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Civilité et politique aux origines de la nation argentine

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Pilar Gonzáles Bernaldo De Quiros

Seconde partie. La nation au pouvoir (1852-1862)

7. Sphère publique et régime représentatif

Texte intégral

1La pratique associative introduit une nouvelle représentation de l’individu et du lien social, dont les conséquences peuvent s’évaluer par l’impact du mouvement associatif dans la société locale. Il s’agit cependant d’un processus lent dont le rythme correspond à celui de la profonde mutation culturelle de l’époque moderne qui mène aux régimes républicains représentatifs. L’articulation de ces deux processus est plus ou moins harmonieuse et bien souvent peu évidente au regard de l’historien. Il y a néanmoins des moments phares qui facilitent la visibilité du phénomène, soit par la mise en place d’un discours destiné à donner sens aux pratiques, soit par l’étendue et l’impact des modifications dans l’univers relationnel des populations.

2Les dix années de sécession de l’État de Buenos Aires, avec l’essor du mouvement associatif et le retour en force du discours du contrat politique, nous offrent un de ces rares moments où l’articulation entre représentations sociales et institutions politiques affleure à la surface. Alors, dans un mouvement convergent, les pratiques associatives diffusent une représentation contractuelle de la société comme agrégat d’individus-sujets de droit et, en même temps, participent directement à la réactualisation des institutions représentatives.

Vers une nouvelle approche du politique : la sphère publique comme antichambre du pouvoir

3L’activité politique fait irruption dans la scène publique porteña avec le départ de Rosas du gouvernement de la province de Buenos Aires. Nous voyons alors apparaître « le parti de la liberté », dont les dirigeants les plus notoires étaient des libéraux romantiques exilés pendant le régime rosiste. Entre mars et décembre 1852, la vie politique acquiert une vitalité inouïe ; la résurgence de la presse d’opinion, la réapparition des formes de participation à la vie publique, ainsi que la création des nouvelles formes d’organisation politique liées à la pratique du « suffrage universel », donnent une nouvelle vie aux institutions républicaines, pourtant jamais révoquées.

4La résurgence de l’activité politique publique doit beaucoup à la liberté de réunion, qui rendit possible l’essor du mouvement associatif. Les associations se multiplient et se diversifient, avec une nette tendance à une spécialisation dans une aire d’action. Mais, en même temps, « l’explosion associative » élargit la sphère du politique à cet espace intermédiaire entre l’individu et le pouvoir, ce qui entraîne une modification des rapports entre la société et ses institutions. La nouveauté de la période réside moins dans des réformes institutionnelles, ou dans des transformations des rapports de force socio-économiques, que dans cet élargissement de la sphère politique, qui accompagne la réactualisation des institutions républicaines. C’est dans cette sphère intermédiaire entre l’intime et le pouvoir qu’une nouvelle conception de la représentation semble s’articuler avec les anciens fondements et réseaux du pouvoir.

Le renouvellement du personnel politique après Caseros

  • 1 Nous renvoyons ici à l’excellente analyse de Halperin Donghi Tulio, « Una nación... », op. cit.

5Après trois mois de triomphale entente, les différends avec la politique d’Urquiza amènent les dirigeants porteños à se séparer de la Confédération Argentine. Les thèses du vieux parti unitaire trouvent alors, parmi les porteños, un ample spectre de sympathisants allant de leurs héritiers naturels – les élites intellectuelles libérales –, aux grands propriétaires de terres et de capitaux qui cherchent un frein aux exigences des provinces de l’intérieur. Une semaine après la révolution du 11 septembre 1852, Lorenzo Torres, une des figures du rosisme, et Valentín Alsina, un des jeunes libéraux romantiques exilés à Montevideo, scellent par une accolade symbolique le nouveau front porteñista. Cette alliance, qui n’est étonnante qu’en apparence, révèle une ligne de continuité entre la politique conservatrice de Rosas et celle des libéraux exilés1. Il s’agit toujours de la défense des intérêts de Buenos Aires : le développement du libre-échange avec le commerce international et l’exclusivité pour la province de l’usufruit des entrées fiscales de la douane de Buenos Aires.

  • 2 Pour la biographie de López voir Piccirilli Ricardo, Los López, Una dinastía intelectual. Ensayo hi (...)

6Cette continuité des intérêts porteñistas ne traduit cependant pas une perpétuation de la classe dirigeante resiste au pouvoir dans la province. Seuls 87 hommes de l’administration de Rosas – représentant 9,3 % de la classe dirigeante de l’État de Buenos Aires – continuent à occuper des postes après Caseros. Mais, pour ceux qui se perpétuent dans l’administration, le passé rosiste n’entrave pas outre mesure leur ascension politique. Ainsi 32 des 87 hommes, soit un tiers des cas, ont, malgré leur participation à l’administration antérieure, une carrière politique ascendante après 1852. Certains cas concernent des hommes qui, par leur prestige et leurs compétences administratives, ont servi sous plusieurs régimes. Le cas exemplaire est sans doute celui de Vicente López y Planes, dont la carrière politique remonte à la révolution d’indépendance2. Mais, à quelques exceptions près, la majorité d’entre eux sont des hommes en début de carrière, pour qui l’expérience rosiste ne semble pas être un désavantage. Ainsi les juges de paix, qui représentent 38 % du total des hommes « de la continuité » ont, dans un cas sur deux, une carrière politique ascendante après Caseros. Pour certains, l’ascension est graduelle : Felipe Botet, par exemple, juge de paix rural vers la fin du régime de Rosas, sera ensuite élu conseiller municipal à San Telmo ; de même que Juan Carranza, juge de paix rural lors de la révolution de 1833, deviendra en 1860 conseiller municipal de la riche paroisse de la Cathédrale au Sud. Mais pour d’autres, l’ascension est plus rapide. C’est l’exemple des juges de paix qui deviennent députés à la Chambre de représentants de la province de Buenos Aires, comme Luis Gómez et Manuel J. Guerrico, ou encore José M. Otamendi qui sera élu sénateur en 1859. Le cas de Plácido Obligado est un peu particulier. Père de Manuel Obligado, il remplit la charge de juge de paix pendant les premières années du deuxième gouvernement de Rosas (1835-1836), pour disparaître ensuite de la scène politique. Son élection à la législature en 1860 s’explique plus aisément par la carrière de son fils, l’ex-gouverneur de la province, que par son propre parcours politique.

  • 3 Cf. Calvo Carlos, Nobiliario del Antiguo Virreinato del Río de la Plata, Buenos Aires, Librería y E (...)

7Les représentants rosistes constituent un nombre assez réduit des députés de la législature libérale – rien que cinq – et ils sont seulement 14 à poursuivre une activité politique. Parmi les hommes de la continuité, les cas de Nicolás Anchorena, Juan B. Peña et Lorenzo Torres présentent un intérêt tout particulier, par le poids de cet antécédent rosiste dans leur carrière future. Nicolás Anchorena, riche propriétaire terrien, cousin de Rosas, et apparenté aux plus importantes familles du rosisme, exerça « le poste » de représentant pendant les dernières années du rosisme, pour remplir ensuite plusieurs charges dans l’administration libérale : ministre de l’Intérieur en 1852, il sera à plusieurs reprises député et sénateur pour la ville de Buenos Aires. Avec son intégration au gouvernement libéral, le nouveau pouvoir de la province cherche sans doute à s’assurer le soutien d’un des secteurs les plus influents des élites locales. Juan B. Peña, homme de finances, avec des liens de parenté avec les puissantes familles Lezica, Ramos Mejía, Ortiz Basualdo et Díaz de Vivar avait également participé au premier gouvernement de Rosas3. Il fut impliqué par la suite dans la révolution des « Livres du Sud » de 1839, ce qui l’éloigne du pouvoir dans la dernière décade de son gouvernement. Avec l’arrivée des libéraux en 1852, il est nommé ministre des Finances. Puis il remplit plusieurs fonctions dans l’administration de l’État de Buenos Aires, se faisant surtout remarquer comme un homme de conciliation. Il deviendra ainsi, en 1857, un des candidats au gouvernement de la province pour le secteur modéré des libéraux porteñistas. Le cas de Lorenzo Torres est en revanche bien différent. Avocat, un des premiers diplômés de l’université de Buenos Aires, professeur de la même université entre 1829 et 1832, il s’écarte du mouvement des jeunes libéraux des années trente-cinq. En 1839, il défend Rosas lors de la révolution déclenchée par ces mêmes jeunes avec l’opposition unitaire de Montevideo et quelques propriétaires et exploitants du sud de la province. Il devient ensuite une des grandes figures du rosisme. Sa carrière politique post-Caseros fut marquée par ce passé : homme de continuité du porteñismo, il est aussi l’un des héritiers du fédéralisme porteño. Cela fit de lui un élément capital dans les rapports entre la province de Buenos Aires et la Confédération. En 1857, il est même signalé par les partisans d’Urquiza comme un candidat possible au gouvernement de la province.

8Les cas cités ici illustrent bien la transition entre l’ordre rosiste et le régime libéral. Les hommes de la continuité bénéficient d’une autorité sociale qui leur vient soit des réseaux familiaux, soit d’un fort ascendant sur les masses urbaines et rurales. Par leur ralliement au « parti de la liberté », le parti libéral s’associe au maintien de l’ordre rosiste. Mais la présence de ces hommes de la continuité, qui assurent le renouveau institutionnel, ne saurait cacher les transformations qui s’opèrent au sein même de la classe dirigeante provinciale. Il s’agit moins d’un changement dans la composition sociale des élites politiques que d’un renouveau générationnel lié à l’introduction de nouvelles procédures d’accès aux institutions politiques.

Une nouvelle génération de représentants

  • 4 Chiffres obtenus à partir d’un échantillon de 182 personnes, soit 78 % du total. Cf. notre base de (...)
  • 5 Nous avons des réponses pour 115 députés sur 234 (à peu près la moitié du total). Sur 115, 87 – soi (...)

9Les premières manifestations d’une renaissance de la vie politique publique surviennent avec les premières élections « libres » du mois de mars 1852. Les habitants de la province sont alors invités à élire leurs représentants à la législature provinciale. Dès lors, et jusqu’en 1862, 234 personnes occupent un siège à l’assemblée ; de 1852 à 1854 à la Chambre des représentants et, après la Constitution de l’État de Buenos Aires de 1854, dans la Chambre des députés de l’Assemblée Législative. Par rapport aux représentants des salles constituées entre 1827 et 1839, il n’y a pas de différences fondamentales à signaler, si ce n’est que maintenant les « capacités » sont mieux représentées, avec un tiers de représentants issus des professions intellectuelles, parmi lesquels une forte majorité – 90 % – est constituée d’avocats4. Cela se traduit par un nombre plus important de députés ayant un diplôme universitaire – environ 75 % des députés, pour lesquels nous avons des informations concernant leur niveau d’études5. Quelques-uns d’entre eux puisent ailleurs leur source de pouvoir, comme cela semble être le cas de Federico Anchorena, de Félix Sánchez de Zelis ou de Norberto de la Riestra qui appartiennent aux riches familles de propriétaires. Mais, dans l’ensemble, nous avons affaire à des hommes dont le capital culturel est source de pouvoir. Si, auparavant, ils en tiraient prestige par le biais d’une carrière dans l’administration coloniale, accompagné bien entendu d’une bonne stratégie familiale, ils se lancent maintenant dans une carrière politique qui fait de plus en plus appel à de nouvelles capacités garantissant une ascension politique certaine.

10Prenons l’exemple de la famille Escalada. Antonio José de Escalada, né à Buenos Aires en 1754, fut un fonctionnaire de la Couronne. Ses enfants deviendront des militaires de l’armée indépendantiste, premier échelon dans une nouvelle carrière d’honneurs et de pouvoir. Antonio José marie sa fille María Remedios avec José de San Martin, alors que son fils Manuel devient général de l’armée révolutionnaire. En tant que militaire, Manuel exercera plusieurs charges dans l’administration de l’État de Buenos Aires, occupant à trois reprises le ministère de la Guerre. Son propre fils, Manuel Maria, continue dans cette voie mais, à la différence de son père, il renforce son ascension par de nouvelles capacités. Avocat diplômé de l’université de Buenos Aires en 1844, il assure tout d’abord des postes dans l’administration de justice, pour démarrer sa carrière politique comme député à la législature en 1852. Il devient en 1856 ministre du gouvernement Obligado. Manuel Maria ne se marie pas, mais ne manque pas d’établir des liens avec les principales familles porteños, en s’affiliant au club du Progrès. Le changement de stratégie dans le but d’une ascension dans la carrière du pouvoir est clair : de fonctionnaires de la Couronne, ils deviennent militaires de l’armée révolutionnaire pour finir par acquérir un diplôme universitaire, qui semble assurer la voie à une nouvelle carrière politique, consolidée par une insertion dans les puissants réseaux relationnels que la pratique associative semble assurer.

  • 6 Voir document n° 89 « Lieu d’étude des 108 diplômés de la Chambre de représentants de la province d (...)
  • 7 Le chiffre total de diplômés est de 80. Sur ce graphique nous en avons rapporté seulement 75. Pour (...)

11Bien entendu, il s’agit d’un exemple suggestif qui demanderait une étude exhaustive sur les stratégies de carrière dans l’ascension politique des groupes familiaux. Le sujet est sans aucun doute essentiel, mais dépasse les propos de cette recherche. Il est néanmoins certain qu’à partir de 1852, les diplômés de l’Université se font plus nombreux dans la Chambre des représentants, et dans l’ensemble de l’administration de l’État provincial. Ces diplômés le sont, dans la majorité des cas, de la seule Université que comptent la ville et la province6. Cette croissance des diplômes de l’université de Buenos Aires s’explique à notre avis par le fait que l’institution, depuis sa fondation en 1821, a fini par acquérir une certaine stabilité institutionnelle et surtout une importance certaine dans la vie politique locale, car non seulement le nombre de diplômés tend plutôt à augmenter mais, comme le montre le document n° 21, le pourcentage des diplômés qui accèdent au pouvoir s’accroît7.

12Le graphique montre que des 75 diplômes enregistrés, 27, soit plus d’un tiers, ont été obtenus entre 1841 et 1850. Si nous observons le graphique B, l’idée d’un afflux des diplômés universitaires dès l’époque rosiste se confirme. Le graphique en grisé désigne trois générations d’étudiants-collègues, dont la plus homogène est celle de 1841-1852 ; ce qui porte à penser que la nouvelle classe politique ne se constitue pas exclusivement dans l’exil. Une large part de ses membres est formée par les institutions du rosisme, mais dans un système qui exclut ses membres du pouvoir ; circonstance qui explique leur ralliement à la cause des exilés du régime, ainsi que l’échec de la tentative d’organisation « nationale » rosiste.

  • 8 Cf. notre base de données.

13Nous remarquons, par ailleurs, des variations quant à l’âge des représentants. Alors que nous avions noté que, sous Rosas, la législature tendait à vieillir, on constate maintenant une tendance au rajeunissement. D’une moyenne d’âge de 53 ans pour la législature des dernières années du rosisme, on passe, pour les premières années post-Caseros, à une moyenne de 45 ans, pour descendre ensuite à 43 pour les législatures de 1856-588. Nous sommes tentés de conclure que rien ne semble distinguer plus nettement ces nouveaux représentants des anciens « fonctionnaires » de la représentation rosiste, que leur âge. Nous avons néanmoins signalé l’existence de quelques différences concernant les critères de sélection pour exercer le pouvoir. La fin du rosisme coïncide avec l’apparition de ces professionnels de la politique, surtout des publicistes-avocats qui tendent à élargir leur champ d’action politique à la sphère publique. Pour accéder au pouvoir, le simple réseau familial ou l’autorité sociale traditionnelle ne suffisent plus. Ces formes de notoriété et de pouvoir doivent s’articuler maintenant autour d’une nouvelle conception de la représentation qui semble être la clé de voûte de la stabilité institutionnelle.

21. Le parcours universitaire (à l’UBA) des représentants de l’État de Buenos Aires entre 1852 et 1862

21. Le parcours universitaire (à l’UBA) des représentants de l’État de Buenos Aires entre 1852 et 1862

(échantillon de 109 personnes)

Les nouveaux rouages du pouvoir

  • 9 Cf. « Appartenance associative des représentants de la province de Buenos Aires entre 1840 et 1852  (...)

14Si l’extraction sociale des représentants ne varie pas significativement pendant toute notre période, il n’en va pas de même en ce qui concerne leurs pratiques associatives. En effet, une des grandes différences qui caractérise les représentants de la législature post-Caseros réside dans l’intensité et la nature de leurs pratiques de sociabilité associative. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 1828 et 1852, seulement 12 % des représentants faisaient partie d’une association avant ou pendant leur charge, alors que pour la période qui nous occupe, leur nombre atteint 66 %. Le document n° 22 nous permet d’observer cela plus en détail. Dans 92 % des cas, les députés s’affilient à une association avant ou pendant leur charge, alors que pour la décade 40-50 ils étaient seulement 21 %9. Cela confirme l’idée d’une relation entre l’affiliation associative et l’activité politique : soit que l’appartenance associative constitue une voie d’accès à la sphère du pouvoir, soit que les hommes politiques cherchent à intégrer des réseaux de sociabilité publique afin de consolider et élargir leur pouvoir représentatif.

  • 10 Voir infra « Les nouvelles pratiques citoyennes... ».
  • 11 Voir développement infra.

15Toutes les associations n’attirent pas également les députés. En toute logique, les plus fréquentées par les législateurs sont les associations politiques. En effet, 40 % des appartenances concernent des clubs électoraux10. Nous trouvons ensuite les formes classiques d’appartenance associative : associations socioculturelles, associations maçonniques et clubs de loisir, qui représentent 20 % des appartenances. La franc-maçonnerie, contrairement à une idée reçue, révèle un taux d’appartenance relativement faible (11 %) par rapport aux autres formes associatives. Ce qui nous oblige à relativiser l’idée de la place primordiale qu’aurait eue la franc-maçonnerie dans la politique locale. Du point de vue quantitatif, tout au moins, l’appartenance maçonnique demeure, pour l’époque, une pratique circonscrite à un nombre relativement limité de députés, le plus grand nombre optant pour d’autres formes associatives11. Il semble en tout cas bien établi que, pour les représentants à la législature provinciale, la pratique associative est déjà un acquis culturel : 72 % des députés entre 1852 et 1862 sont membres d’une association. C’est d’ailleurs un aspect qui dépasse le cadre des représentants. Les chiffres sont ici plus que parlants : 64 % de l’ensemble de la classe dirigeante participe entre 1852 et 1862 au moins à une association. C’est bien la preuve que le cas des députés est loin d’être une exception. Nous trouvons même un taux encore plus élevé pour certaines charges : ainsi, sur 27 personnes remplissant une charge judiciaire, 25 sont membres d’une association, soit une moyenne de 0,92 appartenances par personne ; les charges de maintien de l’ordre, parmi lesquelles aucune appartenance n’avait été attestée entre 1840 et 1852, présentent alors une moyenne de 0,86 par personne. En revanche, les charges académiques et diplomatiques, qui auparavant se différentiaient par leur affiliation à ce type de pratiques culturelles, se trouvent maintenant dans la moyenne des appartenances associatives. Dans un cas comme dans l’autre, le faible enjeu politique de la charge peut expliquer ce faible taux.

22. Type d’appartenance associative des 234 représentants à la législature de Buenos Aires entre 1852 et 1862, en relation avec l’obtention de la charge

22. Type d’appartenance associative des 234 représentants à la législature de Buenos Aires entre 1852 et 1862, en relation avec l’obtention de la charge

ASC : Association socioculturelle ; ISC : Institution socioculturelle ; AP : Association politique ;
AFR : Association franc-maçonne ; AL : Association de loisir ; ABC : Association de bienfaisance et
charité ; IBC : Institution de bienfaisance et charité ; AAM : Association d’aide mutuelle

16Les données sont encore plus significatives si nous prenons en considération le document n° 24 sur le type d’association qui attire le plus les différentes charges. Il nous permet de distinguer trois modèles d’appartenance. Tout d’abord, les postes qui comptent une majorité d’inscriptions à des associations socioculturelles. Cela concerne 50 % des charges, qui ont comme point commun le fait de réclamer une compétence professionnelle, comme les membres du Haut Tribunal de Justice, les postes techniques, les charges académiques, judiciaires et diplomatiques, ainsi que les ministres et chefs d’administration du ministère. A l’exception des gouverneurs, élus par la législature, il s’agit dans tous les cas de charges non électives. Sur ces huit charges, nous pouvons en distinguer cinq qui ont une deuxième appartenance : les gouverneurs, les membres du Haut Tribunal de Justice, les chefs d’administration du ministère, les charges diplomatiques et les hommes remplissant une charge technique combinent association culturelle et club électoraux. La première appartenance vraisemblablement pour consolider les alliances au sein de la classe dirigeante, la deuxième pour s’approcher des électeurs. Les ministres, les charges judiciaires et les charges académiques alternent la pratique socioculturelle avec les associations de loisir. Les deux formes sont équivalentes quant à leurs rapports indirects avec l’activité politique, la différence résidant dans le réseau de relations que chacune permet d’intégrer : dans l’association culturelle, ces fonctionnaires pouvaient rentrer en contact avec « l’intelligentsia » du régime, alors que dans les clubs, c’est plutôt l’élite socio-économique qu’ils vont côtoyer.

23. Évolution de la moyenne d’appartenance associative de la classe dirigeante porteña selon la charge

23. Évolution de la moyenne d’appartenance associative de la classe dirigeante porteña selon la charge

17Le deuxième modèle d’appartenance concerne les charges qui privilégient surtout l’affiliation à une association politique. Cela concerne les charges militaires, les charges de maintien de l’ordre, d’administration de justice, ainsi que les députés, sénateurs, les conseillers municipaux, et les élus aux conventions et congrès nationaux ; autrement dit les charges qui sont directement concernées par l’acte électoral, soit parce qu’elles proviennent de l’élection au « suffrage universel », soit parce qu’elles interviennent le jour du scrutin. L’appartenance à un club est dans ces cas un moyen de se rapprocher des électeurs par la mise en scène de l’acte représentatif. La participation à un club électoral est combinée, dans la majorité des cas, avec l’affiliation à un club de loisir, pour les raisons déjà évoquées. Une exception : celle des charges militaires qui associent, par ordre d’importance, l’activité dans un club électoral avec l’appartenance franc-maçonne.

18Nous trouvons, enfin, des postes qui privilégient la filiation à des associations qui ont comme principal objectif la sociabilité entre pairs. Ainsi les clubs de loisir « aristocratiques » ou « bourgeois » sont majoritairement choisis par les hommes remplissant de hautes charges dans l’administration des finances. Dans ces cas, nous avons affaire à des individus dont l’extraction sociale explique, autant que la charge, cette filiation associative. Mais cette affiliation ne semble pas étrangère à leur présence dans le gouvernement, soit parce qu’elle leur permet de gravir les différents échelons d’une carrière administrative, soit parce qu’elle donne des assises sociales indispensables à la stabilité institutionnelle.

19En ce qui concerne la date d’intégration à l’association par rapport à la date d’obtention de la charge (document n° 25), la majorité des hommes, soit 47,9 % de la classe dirigeante, s’affilient à l’association quelque temps avant l’obtention de la charge, alors que 32,3 % d’entre eux le font pendant l’exercice de leurs fonctions. Cela fait en tout 80 % des appartenances qui concernent des hommes qui se trouvent dans la carrière politique. Pour les autres cas, l’appartenance est postérieure à leur mandat, mais pas forcément au terme de leur carrière politique car, parmi ces 20 %, une nette majorité continuent leur carrière après 1862.

24. Type d’appartenance associative de la classe dirigeante porteña entre 1852 et 1862, selon les charges exercées

24. Type d’appartenance associative de la classe dirigeante porteña entre 1852 et 1862, selon les charges exercées

FR : Association franc-maçonne ; AL : Association de loisir ; ABC : Association de bienfaisance et charité ; IBC :
Institution de bienfaisance et charité ; AAM : Association d’aide mutuelle ; ASE : Association socio-économique ;
ISC : Institution socio-économique ; SC : Société commerciale ; AR : Association religieuse

25. Appartenance associative de la classe dirigeante porteria entre 1852 et 1862, en relation avec l’obtention de la charge

25. Appartenance associative de la classe dirigeante porteria entre 1852 et 1862, en relation avec l’obtention de la charge

dep : député ; sén : sénateur ; mun : conseiller municipal ; conv : conventionnel ; gouv : gouverneur ; HTJ : membre du Haut Tribunal de Justice ; min : ministre ; CHM : chef d’administration du ministère ; mil : militaire AI : personnel de l’administration de justice ; dip : diplomate ; ens : enseignant et personnel universitaire ; AF : personnel de l’administration financière ; FT : fonction technique ; JPX : juge de paix ; MO : personnel de maintien de l’ordre

  • 12 Les chiffres concernent le total des appartenances et non pas des personnes. Elles sont cumulatives (...)

20Dans certains cas, l’appartenance avant le mandat est suffisamment importante pour faire penser à une sorte de « campagne électorale » dans le cadre de ce type particulier d’organisation politique. Ainsi, 75 % des appartenances associatives des élus aux conventions et congrès nationaux 60 % de celles des conseillers municipaux et 57,3 % des députés sont antérieures à leurs élections. L’intégration à ces réseaux de relations semble directement liée à l’obtention de la charge, d’autant plus qu’il s’agit de charges électives au premier et deuxième degré. On retrouve le même phénomène pour les charges d’administration financière et les postes techniques. En tout, nous avons recensé 3 653 appartenances associatives à Buenos Aires entre 1829 et 1862. Pour l’époque qui nous occupe, plus de la moitié concerne les hommes assurant des charges dans l’administration de l’État, alors qu’auparavant ceux-ci n’atteignent pas 5 % du total12. Ce qui nous permet de conclure que si l’obtention d’un diplôme est devenue un moyen d’accéder au pouvoir, elle l’est autant par la qualification, qui correspond aux nouveaux critères de sélection du personnel politique, que par les réseaux de relations que ces hommes intègrent du fait de leurs pratiques de sociabilité. Car la grande différence avec la période antérieure réside dans la création de nouvelles formes associatives d’organisation qui se développent à partir des pratiques culturelles du milieu intellectuel lié à l’université de Buenos Aires, et qui servent d’antichambre du pouvoir. De plus en plus, il devient indispensable, pour une carrière politique ascendante, de participer au monde associatif.

L’élargissement de la sphère politique. Le cas de la franc-maçonnerie

  • 13 C’est la thèse de la franc-maçonnerie. Certains auteurs soulignent le rôle primordial que joue l’Or (...)
  • 14 Il est impossible d’analyser ici en détail chacune des associations considérées. Nous avons choisi (...)

21La franc-maçonnerie est la première institution de sociabilité à disposer d’un réseau de relations qui s’accorde aux impératifs de la politique porteña, ce qui laisse supposer que l’utilisation politique de l’organisation maçonnique ne manquera pas de se produire. On a même soutenu que la franc-maçonnerie avait été le principal agent de l’organisation nationale13. Son cas présente, de ce fait, un double intérêt14. Intrinsèque à l’association, d’abord, car il est impératif d’élucider la relation souvent établie entre franc-maçonnerie et pouvoir ; son étude permet également d’analyser le rôle des nouvelles pratiques contractuelles dans l’institution d’un nouveau lien social comme produit du contrat entre individus être rationnels et sujets de droit.

  • 15 La seule étude qui existe sur ces élections est celle de Mignanego Alberto Armando, « La elección d (...)

22La chronologie de son développement justifierait l’assimilation entre franc-maçonnerie et pouvoir. En effet, la première loge porteña, est créée en mars 1856, dans un moment de pleine effervescence politique à l’approche des élections du 30 mars 1856, destinées à renouveler la moitié de la législature provinciale. Élections importantes, car il s’agit d’élire la chambre qui doit à son tour élire le gouverneur. C’est à ce moment-là qu’un groupe de « progressistes », s’identifiant avec le journal La Tribuna des frères Varela, commence à s’organiser contre la politique d’un gouvernement qui fait à leur avis trop de concessions à la Confédération15. Cela se traduit par une multiplication des réunions informelles, l’organisation de clubs électoraux et la publication de périodiques d’opinion.

  • 16 Valentin Alsina était le principal opposant à la politique « conservatrice » de Manuel Obligado, et (...)
  • 17 Cf. Document n° 100 dans PGB, La création..., op. cit., t. II.

23Tout porte alors à croire que l’implantation de la franc-maçonnerie à ce moment précis ne peut pas être une simple coïncidence. Cependant, lorsque l’on essaie de trouver une cohérence entre la création de cette loge et l’organisation d’une opposition au gouvernement d’Obligado, les certitudes s’évanouissent. D’abord, la presque totalité des frères fondateurs étaient des personnages secondaires de la politique porteña. A l’exception de Sarmiento et Valencia, le reste des membres fondateurs n’étaient pas encore des hommes engagés dans la vie publique politique. Pour certains d’entre eux, la carrière politique commencera par la suite ; d’autres resteront à l’écart de la scène publique politique. Les exceptions concernent l’ex-député Mariano Billingurst qui participe au même moment à une activité électorale. D’autres comme Federico Alvarez de Toledo ou Carlos Cáseres envisagent déjà leur candidature à la législature provinciale ; pour eux, il est aisé de penser que leur affiliation à la franc-maçonnerie n’allait pas sans quelques arrières pensées politiques. Mais, si nous nous en tenons à l’aspect quantitatif, nous trouvons que sur les 73 frères qui forment la loge Unión del Plata au cours de l’année 1856, 14 vont participer aux activités des clubs électoraux, dont deux seulement, Mariano Billinghurst et José M. Gutiérrez, l’année même de leur affiliation maçonnique. Il est donc difficile de supposer, comme le prétendent beaucoup d’auteurs, que la première loge ait servi à organiser la campagne de l’opposition. Par ailleurs, l’initiation de Lorenzo Torres peu de temps après complique encore plus le tableau. Car comment concilier la thèse de la franc-maçonnerie « alsiniste » avec la présence de Lorenzo Torres16 ? Autant dire qu’il est difficile de déduire une quelconque tendance politico-électorale du groupe des frères fondateurs. Ainsi par exemple, si nous prenons les membres de l’assemblée de 1857 qui votent pour V. Alsina au gouvernement de la province, les résultats contredisent la thèse classique sur l’origine alsiniste de la franc-maçonnerie. Le même pourcentage de votes de francs-maçons est attribué à V. Alsina et aux candidats de l’opposition17. Ces chiffres parlent plutôt d’un parti libéral alsiniste qui recrute ses alliés politiques dans le club du Progrès, et qui confirme ses alliances dans les clubs électoraux. En fait, ces hommes de pouvoir choisissent, en plus grand nombre, de s’affilier à un club politique ou un club d’agrément, que de s’initier à la franc-maçonnerie, car cette dernière est vraisemblablement moins opérationnelle pour l’activité politique liée à la pratique électorale. Il ne faut pas pourtant perdre de vue que l’acte électoral n’était à l’époque que la confirmation des choix qui se faisaient ailleurs, et c’est là que la franc-maçonnerie a pu aider les hommes à accéder aux nouveaux réseaux de pouvoir.

  • 18 Les commerçants francs-maçons ont, cependant, plus de possibilité d’accéder à un poste dans le gouv (...)

24Voyons tout d’abord qui sont les francs-maçons qui accèdent au pouvoir après 1852. Ils sont 128 à occuper un poste dans le gouvernement de la province, dont seulement 10 avant Caseros. Les 118 restants représentent 12,7 % du total des francs-maçons. Si nous les comparons au pourcentage des membres du club du Progrès ayant un poste dans le gouvernement, ces chiffres sont plutôt modestes : sur 573 membres du club entre 1852 et 1862, 182 occupent un poste, soit 31,8 % des membres, contre 12,7 % pour les francs-maçons. Il y a donc une large base franc-maçonne qui reste hors du pouvoir18. Ce qui nous permet d’inférer que, si les réseaux maçonniques permettent d’accéder au pouvoir, cela concerne presque toujours des individus d’une extraction sociale similaire ; l’appartenance franc-maçonne ne donne que difficilement accès au pouvoir à d’autres milieux sociaux, même si ceux-ci sont bien représentés à la base. Voilà donc le premier trait de cette appartenance : une minorité des membres de l’élite qui accède aux postes de gouvernement, une majorité composée de moyens et petits commerçants qui restent hors de l’exercice d’une charge élective ou nominative au sein de l’État de Buenos Aires. Le détail des postes politiques occupés par des individus initiés dans la franc-maçonnerie permet de préciser plus encore le poids de l’appartenance maçonnique dans l’accès à un haut poste dans l’administration de l’État.

25Nous constatons que la présence des francs-maçons n’est pas semblable dans toutes les charges. Alors qu’ils sont tout à fait absents des charges de maintien de l’ordre, ils occupent un quart des charges militaires. Cela s’explique, d’une part, en raison du pourcentage important des militaires dans la franc-maçonnerie, mais également du fait des caractéristiques de la carrière militaire qui, par sa structure hiérarchique, correspond mieux à l’organisation maçonnique que les charges électives. Parmi ces dernières, il y a néanmoins un nombre non négligeable de francs-maçons ; aussi bien des membres de la Chambre des représentants que des conseillers municipaux. Ainsi la moyenne d’appartenance franc-maçonne, qui est pour l’ensemble des charges de 15,5 %, s’élève à 31 % pour les charges électives. Nous constatons également que 42 % des appartenances maçonniques de la classe dirigeante porteña sont acquises avant l’obtention de la charge, 36 % pendant la charge et les 22 % restantes après l’obtention de celle-ci ; ce qui laisse penser que l’appartenance franc-maçonne pourrait être pour quelque chose dans l’obtention de la charge. Voyons cela à travers quelques exemples.

26. Nombre d’affiliations de la classe dirigeante porteña à la franc-maçonnerie entre 1852 et 1862, en relation avec l’obtention de la charge

26. Nombre d’affiliations de la classe dirigeante porteña à la franc-maçonnerie entre 1852 et 1862, en relation avec l’obtention de la charge

dep : député ; sén : sénateur ; mun : conseiller municipal ; conv : conventionnel ; gouv : gouverneur ; HTJ : membre du Haut Tribunal de Justice ; min : ministre ; CHM : chef d’administration du ministère ; mil : militaire AJ : personnel de l’administration de justice ; dip : diplomate ; ens : enseignant et personnel universitaire ; AF : personnel de l’administration financière ; FT : fonction technique ; JPX : juge de paix ; MO : personnel de maintien de l’ordre

26L’avocat Juan J. Alsina, fils du géomètre espagnol Juan de Alsina, avait commencé sa carrière politique en 1829 comme député à la Chambre des représentants de la législature provinciale, alors qu’il avait 30 ans. Il occupe plusieurs postes dans l’administration financière pendant le premier gouvernement de Rosas, pour ensuite tomber en disgrâce en 1837, lors de la rupture entre Rosas et les jeunes intellectuels. L’activité de son frère Valentín, exilé à Montevideo, l’avait également défavorisé, car celui-ci faisait partie de la Commission Argentine qui avait organisé le combat contre Rosas. Malgré quelques années de disgrâce, il reprend son siège à la législature pendant les dernières décades du gouvernement de Rosas, ce qui pourrait l’avoir desservi. Peut-être a-t-il essayé de remonter la pente en s’affiliant à deux des principaux centres de réunion des élites locales : le club du Progrès en 1854 et la franc-maçonnerie en 1858, mais sans résultat apparent car il n’occupe aucun poste politique après Caseros. Voilà donc un premier cas où l’affiliation à la franc-maçonnerie ne semble avoir joué aucun rôle dans la carrière politique d’un de ses membres ou, en tous les cas, elle ne change en rien sa situation politique.

27L’expérience franc-maçonnique fut en revanche plutôt favorable pour les frères Torres. Mais à la différence de Juan J. Alsina, les Torres occupent une toute première place dans la franc-maçonnerie. Ils s’initient dès la création de la première loge en 1856. Tous les deux sont très actifs et montent très vite dans la hiérarchie de l’Ordre. Il n’y a pas cependant de rapport immédiat entre cette filiation et leur combat politique. Comme pour Domingo F. Sarmiento, la franc-maçonnerie leur permettait de consolider une carrière déjà entamée, mais qui avait néanmoins besoin d’une confirmation auprès des nouveaux pouvoirs porteños. Pour cette même raison, les frères Torres ne négligent pas les autres réseaux associatifs, comme celui du « club du Progrès » ou des associations socioculturelles, tel que « l’Institut Historique et Géographique », qu’ils fréquentent d’ailleurs avec Mitre et Sarmiento.

28Bien sûr, il y a des cas où l’appartenance maçonnique est plus décisive dans l’accès au pouvoir. Ainsi le cas du Dr. Guillermo Rawson, né dans la province de San Juan de père américain. Il fait ses études à l’université de Buenos Aires où il obtient son diplôme de médecin en 1844. C’est alors qu’il établit ses premiers contacts avec l’élite porteña.. Il retourne ensuite dans sa province natale. En 1856, il se trouve à Buenos Aires et entre alors à la loge Unión del Plata avec son compatriote et ami, Domingo F. Sarmiento. A la différence des autres cas évoqués, la franc-maçonnerie fut sa seule appartenance associative pendant notre période. Comme Sarmiento l’avait fait pour ses projets éducatifs, Rawson utilise les réseaux maçonniques pour mener sa campagne sanitaire, dans le but de mettre en place une politique d’hygiène publique. Son action lors de l’épidémie de fièvre jaune en 1857 lui fait jouir d’un grand prestige auprès du public profane. Quant aux francs-maçons, ils lui octroient une place principale dans toutes les commissions d’assistance publique et d’hygiène. Rawson devient ainsi un personnage public avant de faire irruption sur la scène politique en 1858. Et ceci n’est certainement pas étranger à son activité maçonnique : c’est elle qui lui avait permis de se bâtir une stature politique. Ainsi, après son initiation dans la franc-maçonnerie, et sans participer à d’autres réseaux de pouvoir ni à aucune des campagnes électorales, nous le voyons gravir les échelons d’une carrière politique : député à la législature provinciale en 1856, ensuite sénateur de la même législature en 1861, il sera élu par le président Bartolomé Mitre, également franc-maçon, ministre du gouvernement de la Nation argentine en 1862.

29Son cas diffère de ceux qui, comme Carlos Durand, Juan A. García ou Antonio Pillado, combinent l’appartenance maçonnique à l’activité politique dans des clubs électoraux. Carlos Durand, par exemple, était également médecin diplômé de l’université de Buenos Aires. Comme Rawson, il participe aux différentes commissions maçonniques destinées à l’assistance publique. Mais outre qu’il possède l’avantage d’être porteño, Durand associe les travaux maçonniques à une activité plus spécifiquement politique. Membre du club électoral de San Nicolás en 1857, paroisse pour laquelle il sera élu conseiller municipal en 1858, il fait partie de la commission dirigeante du club Liberté de 1860 jusqu’à la fin de notre période.

30Ces exemples nous montrent une organisation maçonnique qui est, de par son recrutement et ses valeurs, très liée au gouvernement libéral. Le rôle spécifique que joue cette affiliation dans les carrières politiques varie d’un individu à un autre. Mais si la franc-maçonnerie ne détermine pas la carrière politique d’un homme – elle ne remplace pas un parti politique –, son importance réside ailleurs : dans ces associations, les hommes rejoignent les nouveaux réseaux du pouvoir, fondés non seulement sur l’autorité sociale et économique des individus qui les composent ainsi que sur l’étendue et l’institutionnalisation des liens, mais également sur le pouvoir représentatif qui se met en place dans cet espace intermédiaire entre l’individu et l’État.

  • 19 C’est évidement l’avis des francs-maçons mais également de ceux qui dénoncent l’emprise de l’Ordre (...)
  • 20 Pour cette période de la vie de Sarmiento l’œuvre la plus documentée demeure la thèse de Verdevoye (...)
  • 21 Il y renonce en 1861 à la suite des événements survenus dans sa province natale. Cette même année d (...)

31Nous pouvons rappeler à ce sujet le cas exemplaire de Domingo F. Sarmiento. Il fut l’un des rares francs-maçons de conviction qui eut une carrière parallèle et ascendante dans l’Ordre maçonnique et dans la vie politique. Il arrive ainsi à la présidence de la Nation en 1868 et à la direction du Grand Orient Argentin en 1882. Les rapports entre les deux parcours sont étroits au point que certains ont affirmé que Sarmiento était le prototype de l’homme politique produit par la franc-maçonnerie19. Publiciste réputé de la province de San Juan, D.F. Sarmiento commence sa carrière publique, en 1839, avec la rédaction du journal El Zonda. Il contacte à ce moment-là le mouvement des jeunes romantiques porteños, réunis dans l’association « Jeune Argentine ». Pendant son exil, il collabore à la rédaction de plusieurs journaux au Chili et en Uruguay20. Il publie également plusieurs écrits politiques grâce auxquels il acquiert un certain ascendant parmi les opposants de Rosas. En 1854, lorsqu’il se trouve au Chili, il est élu député à la législature de Buenos Aires, siège qu’il n’occupe finalement pas. Un an après, il s’installe dans la ville de Buenos Aires, où il est nommé responsable du journal El Nacional. Quelques mois après, il assume sa première charge publique dans la municipalité de la ville de Buenos Aires. Puis il gravit tous les échelons d’une carrière politique qui le mène à la présidence de la République Argentine : sénateur de l’État de Buenos Aires en 1857, il est nommé en 1860 ministre du gouvernement de Bartolomé Mitre21. En 1862, il est élu gouverneur de la même province de San Juan, poste auquel il doit renoncer en 1864, pour assumer celui de chargé d’affaires auprès du gouvernement des États-Unis. En 1868, lorsqu’il se trouve en fonction aux États-Unis, il est élu deuxième président constitutionnel de la République Argentine.

  • 22 Certes, Sarmiento était apparenté avec quelques-unes des principales familles de San Juan, mais mal (...)

32Le succès de la carrière de Sarmiento s’explique difficilement par les mécanismes traditionnels. Domingo F. Sarmiento est un homme de la province, sans ressources, autodidacte de surcroît. En outre, et à la différence des autres libéraux, il ne dispose pas d’un influent réseau de liens de parenté qui aurait pu lui être utile dans sa carrière22. C’est pour cette raison que Sarmiento incarne si bien cette nouvelle sphère du pouvoir public, car c’est d’elle qu’il tire sa principale source de pouvoir. En effet, il est l’un des plus éminents publicistes qui fait de sa plume sa principale arme politique. Il n’est donc pas étonnant de constater qu’il ait été également un fidèle adepte du mouvement associatif. Des 1836, il entre à la « Société Dramatique Philharmonique » dans sa province natale. En 1837, il est en contact avec le groupe du Salon de Sastre et il participe en 1839 à la fondation de la filiale provinciale de l’Association de Mai. Il s’initie à la franc-maçonnerie en 1854 dans la loge « Union Fraternelle » de Valparaíso. La même année, Bartolomé Mitre le fait entrer à « l’Institut Historique et Géographique Rioplatense ». En 1856, lorsqu’il commence sa carrière publique il s’affilie à l’aristocratique club du Progrès, et fonde en même temps la première loge porteña, l’Unión del Plata. En 1860, alors qu’il est ministre du gouvernement de Mitre, il obtient le 33e grade dans la franc-maçonnerie. Il occupe ensuite plusieurs postes de direction jusqu’à atteindre celui de Grand Maître de la Maçonnerie Argentine.

  • 23 Le combat de Sarmiento pour l’éducation publique est bien antérieur à son intégration à la franc-ma (...)

33Lorsque l’on observe de près la vie maçonnique de Sarmiento, on découvre un franc-maçon convaincu qui ne cesse de travailler dans la loge et hors d’elle, dans cette sphère publique d’intérêt maçonnique : principalement l’éducation et l’assistance publique. Sarmiento est certainement l’un des hommes politiques qui tire le plus de bénéfices de cette structure organisatrice dans les premières années de sa vie. Ainsi, lorsqu’il est conseiller municipal en 1857, il demande aux loges leur soutien pour mener à bien son combat pour le développement d’une éducation publique et laïque. Le succès de l’école modèle de la paroisse de « Cathédrale au Nord » est en grande partie dû à l’apport financier des loges et au soutien de la municipalité, dont la commission d’éducation fut régulièrement composée par des francs-maçons : Sarmiento en 1856 et 1857, Héctor Varela en 1858 et 1859 et Antonio Pillado en 1860 et 1861. Mais la franc-maçonnerie lui sert plutôt à confirmer une notoriété publique acquise par de voies profanes et qui est à la base de son pouvoir. Son combat pour l’éducation, par ailleurs, ne date pas de son initiation à la franc-maçonnerie23. Toutefois l’Ordre lui donne l’appui et la reconnaissance du monde maçonnique, dont quelques membres font partie des puissantes élites porteñas. La franc-maçonnerie représente pour lui un atout supplémentaire qui lui sert à consolider un pouvoir provenant d’une nouvelle notion de la représentation qui se met en place.

Les nouvelles pratiques citoyennes : de l’opinion armée à l’armée électorale

34« L’explosion associative » introduit une véritable innovation dans la sociabilité politique porteña.. En effet, le rétablissement des institutions représentatives fut accompagné de la création des « clubs électoraux », destinés à mettre en place un acte électoral qui s’organise alors en deux temps : d’abord, la concertation des élites autour des listes de candidats, pour laquelle interviennent ces nouveaux réseaux associatifs qui s’articulent avec d’anciennes formes de pouvoir et d’autorité ; ensuite, la mobilisation politique pour assurer la liste concertée, le jour du scrutin, et pour laquelle sont sollicités d’autres secteurs de la population urbaine, qui n’interviennent pas dans la concertation des listes. Si, au bout du compte, le profil des élus ne change guère, les procédés qui mènent au pouvoir introduisent d’importantes modifications dans l’ancienne structure de pouvoir. C’est ce changement qui donne une nouvelle vie aux « vieilles » institutions représentatives et permet, malgré une situation économique et politique extrêmement délicate, une stabilité institutionnelle qui établit les bases du futur pouvoir national.

Le rétablissement du suffrage

  • 24 Cf. « Mensaje de Rosas a la Junta de Representantes de la provincial de Buenos Aires » dans Mabraga (...)
  • 25 Art. 23 et 31 de la Constitutión del Estado de Buenos Aires..., op. cit., (1854).
  • 26 Lors du débat, Nicolás Anchorena souligne les inconvénients de cette « imprécision ». Cf. Sala de R (...)

35Rappelons que la loi électorale de 1821 ne fut jamais révoquée par Rosas. Ce sont plutôt les facultés extraordinaires qui lui permirent d’instituer le régime des élections dirigées, qu’il présente comme une garantie légale à l’autorité24. Après la chute de Rosas, les libéraux porteños, qui dans les années 37-38 avaient contesté la loi électorale de 1821, non seulement l’acceptent mais l’appliquent avec une vitalité jusqu’à présent inconnue. La Constitution de la Confédération Argentine de 1853 confirme par ailleurs le régime républicain fondé sur le principe de la démocratie électorale. Les porteños, qui refusent de signer cette constitution, font de même lorsqu’ils promulguent la première constitution de la province de Buenos Aires, transformée alors en « État autonome ». L’article 7 de la constitution ratifie la loi de 1821, en apportant quelques nouveautés qui tendent plutôt à l’élargissement du vote. Maintenant les mineurs enrôlés dans la Garde Nationale, et les majeurs de 18 ans mariés, disposaient également du droit de suffrage. La seule condition est d’être né en territoire argentin – à Buenos Aires ou dans les provinces de la Confédération –, ou d’avoir été naturalisé par la suite. Aucune restriction culturelle ou économique au sujet des électeurs, mais quelques conditions pour les représentants : pour être député, il faut disposer d’un capital de 10 000 $ annuels, ou exercer une profession ou un métier qui produit une rente équivalente, afin de garantir l’indépendance et la disponibilité des élus. Pour les sénateurs, le capital exigé s’élève à 20 000 $25. En dehors de ces restrictions, aucune autre condition n’est fixée26. Quant au gouverneur, il continue d’être élu par la Chambre. En somme, peu de changement, et quand ils existent, ils vont plutôt dans le sens d’une confirmation de la démocratie électorale.

  • 27 Héctor Varela se donne même la peine d’énumérer tous les instruments légaux que la loi mettait à di (...)
  • 28 Cf. Cámara de Senadores del Estado de Buenos Aires, Diario de sesiones de la Cámara de Senadores de (...)
  • 29 La loi n° 75 remplaça la n° 140 qui avait été votée par le congrès de la Confédération argentine. C (...)
  • 30 Les premiers devaient être choisis par les députés, le président et vice-président par une junte d’ (...)

36Les débats sur la nécessité d’une réforme électorale commencent pourtant, aussitôt la constitution de l’État de Buenos Aires votée. Maintes critiques sont alors formulées contre la législation existante, surtout dirigées contre les vices de procédure27. La réitération des dénonciations au sujet de la fraude, toujours formulées par la fraction perdante, ne change en rien la pratique électorale, même lorsque la nouvelle législation est mise en place en 185728. La loi électorale de 1857 introduit de nouvelles procédures concernant la composition des registres électoraux, ainsi que l’élection d’autorités dans les assemblées électorales ; le principe de la souveraineté universelle restant incontesté. Cette loi provinciale sert ensuite à la rédaction de la loi nationale d’élections, promulguée par le Congrès national en 186329. De nouvelles modifications sont alors introduites afin de restreindre et de contrôler le vote. L’amendement à la constitution de 1853, voté par Buenos Aires en 1860, commence par instituer le vote indirect des sénateurs et du président de la République30. Mais jusqu’à la fin de notre période la législation confirme le principe établi par la loi de 1821.

Les clubs électoraux : de l’organisation communautaire à la sphère publique

  • 31 Cf. EP, 6-4-1852, p. 3, col. 4.
  • 32 Ibid.

37Après dix-sept ans de gouvernement de Rosas, la population de la province est convoquée, en 1852, pour élire ses représentants. Lors des premières élections « libres » nous voyons apparaître de nouvelles formes associatives destinées à « organiser » l’opinion. Cinq jours avant les élections des représentants, et deux mois après la déroute de Rosas, le journal El Progreso informe que « les divers clubs électoraux se réuniront samedi pour établir une liste des candidats à la représentation de la ville. Nous nous réjouissons de voir ce solennel rétablissement de l’esprit public dans notre pays. Pendant la dictature, et même avant, il n’y avait d’autres candidats que ceux du gouvernement...31 ». Le périodique évoque ainsi la pratique couramment utilisée par Rosas pour remplacer les autorités représentatives ; il effleure en filigrane une mise en garde à Urquiza, qui prétend renouer avec cette pratique après sa « campagne libératrice »32. L’opposition porteñista, composée en bonne partie de libéraux exilés, refuse alors les « suggestions » d’Urquiza et organise, pour se concerter autour d’une autre liste de candidats, des « clubs électoraux ». C’est ainsi que naissent les « clubs électoraux de paroisse ».

  • 33 Pour leur rythme de développement voir document n° 6 « Typologie du mouvement associatif (1800-1862 (...)
  • 34 Cette question se pose d’autant plus que jusqu’à présent aucun auteur n’a élucidé le phénomène de l (...)
  • 35 Il établit pour la ville de Buenos Aires « une association composée de ses paroisses, sous la dénom (...)
  • 36 Cf. « Reglamento de los clubes electorales », LT, 28-2-1857.
  • 37 Ibid., art. 6.

38Une question demeure : comment cette structure s’est-elle mise en place ? Car on ne peut pas manquer de s’étonner devant la rapidité et l’efficacité de cette nouvelle organisation politique33. Est-il possible de concevoir une sorte de « politisation champignon » qui en peu de temps organise la vie politique porteña34 ? Certainement pas. Ceci d’autant plus que, jusqu’en 1857, ces associations fonctionnent sans réglementation apparente... comme si une structure de ce type pouvait se régler de manière spontanée. Il est vrai que, déjà en 1852, on évoque l’existence d’un règlement pour la paroisse de San Miguel, mais il faut attendre cinq ans pour que le règlement de 1857, signé par des individus de la société civile et politique, en finisse avec ce flou statutaire35. Il stipule que chaque paroisse doit bâtir, avant les élections, une liste complète de représentants pour la ville. Celle-ci est établie d’après l’opinion de chaque paroisse ; autrement dit, par les représentants de la paroisse qui participent à la commission du club. Par la suite une commission centrale doit constituer la liste définitive, avec les candidats qui figurent en plus des listes paroissiales36. Finalement, la population doit ratifier « sa volonté », déjà exprimée lors de la constitution de la liste, par l’acte électoral37.

  • 38 Il ne s’agit cependant pas de districts électoraux, car la population votait dans la paroisse de ré (...)

39Pourquoi avoir choisi la structure paroissiale pour « uniformiser les opinions » ? La première réponse serait de dire que les limites paroissiales correspondent à celles de la division électorale établie par la loi de 182138. Ainsi, étant donné que les assemblées électorales se constituent par paroisse, il est logique que, dans chacune des paroisses, soit organisé un club pour garantir le triomphe de la liste « accordée » par chaque assemblée. Ceci expliquerait la division territoriale des clubs – bien qu’il faille encore expliquer pourquoi la loi d’élections opte pour le cadre paroissial –, mais ne résoudrait pas le problème de la rapidité d’implantation de cette forme associative. Une explication plausible à cette rapide organisation paroissiale, que le journal El Progreso inscrit dans le cadre de la sphère publique, est qu’elle ait été créée à partir d’une structure de sociabilité paroissiale préalable, qui est maintenant utilisée à des fins politiques. Les clubs bénéficieraient ainsi d’une structure communautaire, avec ses liens et autorités, qui contribue aussi bien à l’organisation de la campagne « d’uniformisation de l’opinion » autour des listes de candidats, qu’à garantir dans chaque paroisse la discipline électorale le jour des élections.

  • 39 Cf. Session de la chambre de députés du 8-10-1856 dans Cámara de Diputados de la Provincia de Bueno (...)
  • 40 Cf. Session de la chambre de sénateurs du 26-9-1857 dans Cámara de Senadores del Estado..., op. cit (...)

40Lors du débat, en 1856, du projet de loi électorale pour l’État de Buenos Aires, aussi bien ceux qui sanctionnent la création de districts électoraux, que ceux que s’y opposent, évoquent l’existence de forts liens communautaires qui interviennent dans un vote théoriquement individuel. Le député Carlos Tejedor soutient ainsi le projet en soulignant l’aspect positif du lien communautaire : « Entre vecinos d’une même paroisse tous se doivent respect, car tout le monde se connaît, et quoique parmi eux nous pouvons trouver des indociles, je crois qu’ils regarderaient à deux fois avant de commettre dans leur paroisse les désordres perpétrés par des individus qui n’y appartiennent pas39 ». Une année plus tard, le sénateur Vélez Sarfield s’oppose à la loi, en évoquant le poids néfaste des liens communautaires dans l’exercice des droits politiques : « Le nom de Paroisse signifie pour nous avoir un juge de paix, avoir un curé, tous deux très influents lors des élections ; autorités qui pèsent lourd et qui peuvent être un obstacle lors des élections. Ne convenons pas d’une division territoriale qui entrave le libre exercice du droit des citoyens40 ».

  • 41 Il semblerait que le juge de paix pouvait également le faire. Cf. « Pública Solicitada », LT, 16-3- (...)
  • 42 La rubrique destinée à la vie associative est appelée « Faits locaux » et apparaît souvent dans la (...)
  • 43 Héctor Varela se plaint plusieurs fois de cette clause, considérant que même lorsqu’ils atteignaien (...)
  • 44 D’après le règlement, la commission paroissiale devait se dissoudre après l’acte électoral ; ce qui (...)

41Ce sont, en effet, ces liens et autorités communautaires, évoqués par les élus du peuple, que nous trouvons lors de l’organisation des clubs paroissiaux, spécialement lors du processus d’élection des commissions paroissiales, chargées de la constitution de la liste de candidats. D’après quelques références, il semble que c’était la commission sortante qui était chargée de convoquer une « assemblée paroissiale » afin d’élire la nouvelle commission41. Les paroissiens étaient informés de ces réunions par la presse périodique qui réservait une place de choix aux événements associatifs, et tout particulièrement à ceux qui touchaient à la vie politique42. Pour que l’élection fût légitime, l’assemblée paroissiale devait compter un minimum de 30 individus domiciliés dans la paroisse43. Cependant, les multiples plaintes publiées par la presse périodique font penser que la convocation aux élections des assemblées n’était pas toujours publique et, même, que la règle était plutôt de transformer ces assemblées en réunion d’amis et membres d’une même faction, pour confirmer un choix fait par avance et ailleurs44.

  • 45 Cf. « Pública Solicitada », LT, 16-3-1856, p. 3, col. 2-3 ; « Los vecinos de la Concepción y su pro (...)
  • 46 Cf. « Pública solicitada », LT, 16-03-56, p. 3.
  • 47 Cf. « Publicación Solicitada », LT, p. 1, col. 1-3. La paroisse de San Miguel fut l’une des premièr (...)
  • 48 Cf. EO, 22-2-1857, p. 3, col. 1.
  • 49 Cf. EO, 1-3-1857 ; « Reglamento de los clubes electorales », LT, 28-2-1857.

42Voyons quelques exemples d’existence de réseaux qui précèdent les assemblées paroissiales. Dans la paroisse de la Concepción, quelques voisins se plaignent du curé Mariano Marín qui, après s’être confronté à un groupe d’opposants, convoque l’assemblée un jour différent de celui prévu, afin d’éviter l’assistance d’opposants à sa liste45. L’incident survient lorsque le juge de paix de la paroisse, qui s’oppose à Marín, convoque une nouvelle assemblée chez lui. Marín se lance alors dans une campagne, « avec ses acolytes Solá, José M. Dantas, Amoedo, Luis Beláustegui (catéchiste) et d’autres, pour mendier les voix de la paroisse46 ». L’opposition progressiste fera alors de même. Dans la paroisse de San Miguel, Manuel Trelles, un notable de la paroisse qui en 1852 participait à la commission électorale de sa paroisse, est accusé par Varela « d’avoir décidé dans une réunion secrète la liste des membres qui allaient composer la commission électorale de 185647 ». Dans la paroisse de la Cathédrale au Nord, c’est le groupe des exclus qui publie un manifeste dans le journal El Orden pour protester « de n’avoir pas été invités par le juge de paix pour choisir la commission de la paroisse48 ». D’après ces derniers, l’assemblée était constituée de 50 personnes, tous des amis politiques du juge de paix. Le même journal accuse Carlos Cáseres, président de la commission de la paroisse de la Cathédrale au Sud, d’avoir été choisi par une assemblée qui n’atteignait pas le nombre stipulé par les règlements49.

  • 50 Ceci ne veut pas dire que ces autorités confirment le pouvoir de l’Église comme institution ou la m (...)
  • 51 Cf. « Avisos », LT, 17-3-55, p. 4, col. 2 ; « Hechos locales », LT, 4-5-55,p. 2, col. 4 ; « Hechos (...)

43Nous pourrions multiplier des citations qui, dans tous les cas, nous parlent de clubs dont le réseau de relations est antérieur à la constitution de l’association : c’est ce réseau qui prévaut dans l’élection des autorités électorales paroissiales, qui à leur tour vont déterminer la liste des candidats. Les autorités de la paroisse – curé, juge de paix et notables – utilisent alors des liens et autorités traditionnels pour organiser une pratique qui se fonde, nonobstant, sur la négation de ces formes communautaires50. De ce point de vue, les clubs électoraux de paroisse représentent un cas typique d’organisation politique moderne qui s’emboîte sur une structure communautaire traditionnelle. Organisés pour assurer la représentation politique des « individus-citoyens », les clubs de paroisse confirment la place des autorités communautaires traditionnelles dans le système représentatif. Cela laisse supposer que l’espace public dans lequel s’inscrit la campagne a beaucoup moins à voir avec la sphère publique moderne qu’avec un espace public ancien occupé par des autorités traditionnelles. Le modèle d’emplacement des clubs électoraux dans la ville en est une confirmation. En effet, sur un total de 23 références concernant les lieux de réunion, 17 réunions se tiennent dans l’église paroissiale, dont la moitié au presbytère, et l’autre moitié dans la sacristie ; les autres 6 références font état de réunions chez le juge de paix ou chez les notables de la paroisse51.

  • 52 Le club « Constitutionnel », créé sur l’initiative des frères Varela, tenait ses meetings dans les (...)
  • 53 Varela déclare : « la lista que se presenta [la de los clubes parroquiales] no es ni la de las parr (...)
  • 54 Le journal El Orden annonce que la veille se sont réunies, au théâtre El Porvenir, les commissions (...)

44L’adoption de ces nouvelles formes associatives introduit, nonobstant, une innovation considérable dans l’organisation de la vie politique car, si les premiers clubs sont des réunions de notables, au fur et à mesure que s’ouvre le jeu politique, en grande partie grâce à la systématisation de la fraude, les clubs modifient leur nature et fonction. En 1853 déjà, nous trouvons des clubs qui s’organisent hors du cadre de la paroisse suivant, pourtant, la dynamique qui les avait vus naître en 1852, mais créés maintenant par les exclus des commissions paroissiales. En 1854, deux nouveaux « clubs d’opinion », le « Constitutionnel » et l’« Argentin », sont créés pour s’opposer à la liste ministérielle soutenue par les clubs de paroisse52. Si ces premières ébauches d’organisation politique sont significatives d’une évolution de la structure de la sociabilité politique dans la ville, c’est surtout pendant les élections de 1856 – année pendant laquelle la classe politique va se diviser en « progressistes » et « conservateurs »– que nous voyons s’implanter définitivement les « clubs d’opinion » comme formes d’organisation extra-paroissiales. Lors de la nouvelle campagne électorale, la liste des « progressistes » est soutenue par le journal La Tribuna et le club électoral des gardes nationaux, alors que les « conservateurs » utilisent la structure des clubs paroissiaux, brisant – d’après l’expression de La Tribuna – « le pacte vicinal », car « ils annulent de ce fait les engagements préexistants, en donnant un coup de pied à la conciliation établie de vieille date53 ». Avec ces accusations, Varela cherche à justifier les nouvelles associations électorales qui s’organisent en dehors de la communauté de paroisse, et qui vont se multiplier pendant la campagne électorale de 1857. Alors, on a même évoqué la possibilité de créer une commission centrale des « clubs d’opinion »54.

  • 55 Le club Liberté propose rarement une liste, mais est là pour faire voter et triompher celle qui rep (...)
  • 56 Cf. « Educación de la democracia », LT, 19-3-1858, p. 2, col. 3.

45Le club Liberté, un des grands clubs d’opinion, créé en 1857, se démarque aussitôt des clubs paroissiaux, qu’il qualifie de simples coteries électorales. Il annonce que son objectif n’est pas de proposer des candidats mais de faire triompher ceux qui représentent la véritable volonté du peuple55. Varela décrit les bienfaits des nouveaux clubs en des termes qui méritent citation : « L’éducation de l’opinion publique, qui est l’essence de la démocratie, compte maintenant avec ses lycées que sont les clubs, elle a des professeurs désintéressés dans les personnes des orateurs populaires, elle a ses bibliothèques dans les pages des organes libres d’opinion [...] un club est une réunion sérieuse d’hommes qui comprennent individuellement leur dignité de citoyen et tâchent de la rendre effective à travers le soutien qu’ils apportent aux initiatives patriotiques pour l’union et au travail préparatoire afin de rendre ses pratiques démocratiques56 ». Malgré les convaincantes déclarations de civisme, les « clubs d’opinion » sont davantage assimilables à des organisations de clientèle qu’à des « lycées civiques » ; en grande partie parce que « l’individu-citoyen », auquel faisait référence Varela, existe seulement dans certains cercles de la société, alors que la loi de 1821 octroyait la citoyenneté à l’ensemble de la population masculine.

  • 57 La participation à ces réunions exigeait la présentation d’une carte d’invitation. Cf. EO, 11-03-18 (...)
  • 58 Cf. EO, 18-3-1856.
  • 59 Cf. ET, 14-3-1857, p. 2, col. 4.8.
  • 60 Cf. LT, 5-3-61, p. 2, col. 34.
  • 61 Nous pouvons trouver ici une confirmation des modifications qu’introduit la nationalisation du pouv (...)

46Toutefois, les nouveaux clubs se définissent comme cadre de la représentation. C’est évidemment aussi le fondement des clubs paroissiaux, mais les clubs dits « d’opinion » se distinguent par une véritable mise en scène représentative qui commence par la participation active de la presse dans la campagne électorale des clubs. A côté des clubs de paroisse, devenus presque une institution du gouvernement, chaque journal monte son propre club ou s’allie à un club déjà constitué. Bien souvent, les rédacteurs du journal composent la commission du club. Ils associent ainsi les clubs dits d’opinion à cette nouvelle sphère publique érigé depuis 1852 par le développement de la presse d’opinion. Il n’est pas tout à fait fortuit que les clubs choisissent pour l’organisation de la clientèle les locaux des théâtres de la ville57. Sur scène, les dirigeants du club représentent, dans les deux sens du terme, l’opinion générale, et non pas celle d’un « cercle » ou d’une paroisse. Dans la salle, le peuple-public assiste pour la première fois à cette mise en scène représentative. Ce peuple-public ne cesse ensuite de s’accroître. En 1856, le club des Gardes Nationaux arrive à rassembler entre 600 et 700 personnes au théâtre de la Victoire58. Un an plus tard le club de la Liberté réunit dans le théâtre Argentin environ 1 300 citoyens59. Le même club rassemble en 1861 environ 2 000 citoyens dans le théâtre Colón60. Les chiffres sont assez considérables bien qu’ils doivent être révisés à la baisse. Mais, même en tenant compte des petites assemblées, les réunions rassemblent pour la toute la période une moyenne de 850 personnes par meeting. Après la nationalisation de la vie politique porteña, cette première mise en scène représentative paraît perdre des adeptes car, selon les chiffres d’Hilda Sábato, pour la décade des années soixante les réunions oscillent entre 60 et 150 personnes61. Il va sans dire que cette force représentative se traduit en capacité mobilisatrice. La première bataille se livrait entre les élites et avant l’acte électoral. Elle consiste à mesurer les forces « dissuasives » de chacun, afin de décider des futures alliances électorales. Néanmoins le fait qu’ils choisissent l’opinion comme fondement de l’association est déjà un élément de rupture par rapport aux clubs de paroisse qui se définissent par rapport à leur appartenance à la communauté de lieu.

47De la paroisse à la sphère publique, le chemin n’est ni univoque ni irréversible. Ce sont bien souvent les mêmes hommes qui agissent en même temps dans un cadre ou dans l’autre. Il s’agit, comme nous l’avons déjà souligné, de formes organisatrices qui « s’emboîtent », articulant ainsi deux structures de pouvoir qui sont pour nous, et pour les intellectuels de jadis, théoriquement contradictoires, mais qui coexistent historiquement. Plus encore, tout porte à croire que la vie politique s’installe dans cet espace, où il est possible de confondre les deux registres : le communautaire et l’individuel.

Les dirigeants électoraux

48Nous avons jusqu’à présent fait référence aux irrégularités électorales au sein des commissions des clubs, ainsi qu’au poids des autorités traditionnelles et des chefs de faction dans leur constitution. Mais nous savons encore très peu de choses sur cette population de « premiers élus » qui, pendant un temps limité, va exercer la représentation de la paroisse et de la ville. 359 individus participent, d’après nos sources, aux commissions des clubs électoraux entre 1852 et 1862. Leur extraction socioprofessionnelle ne diffère pas beaucoup de celle de l’ensemble de la classe dirigeante (document n° 27). Certes, comme chez les francs-maçons, les métiers de commerce, ainsi que les employés dans l’administration, sont ici mieux représentés que dans l’ensemble de la classe dirigeante. Mais, dans l’ensemble, nous avons affaire à des « honnêtes gens », et entre eux, à ceux qui étaient déjà proches du pouvoir : les militaires, les intellectuels et les professions libérales. Les intermédiaires politiques chargés de recruter et mobiliser les bases n’accèdent que difficilement aux postes de direction.

27. Statut socio-professionnel des membres des commissions directives des clubs électoraux entre 1852 et 1862 (échantillon de 169 personnes)

27. Statut socio-professionnel des membres des commissions directives des clubs électoraux entre 1852 et 1862 (échantillon de 169 personnes)
  • 62 Cf. notre base de données.

49Près de la moitié d’entre eux, soit 41,5 %, exercent également une charge dans l’administration de l’État de la province de Buenos Aires, ce qui laisse croire que l’activité du club n’est pas étrangère à la carrière politique des dirigeants (voir document n° 28). Les charges qui attachent plus d’importance à l’activité des clubs sont celles qui sont plus ou moins directement liées au scrutin : les électives (sénateurs, députés et conseillers municipaux), auxquelles viennent s’ajouter les militaires et les juges de paix qui jouent un rôle central le jour des élections. En toute logique, les membres des clubs paroissiaux ont plus de moyens d’accéder au pouvoir que ceux des clubs dits d’opinion : les clubs de paroisses étant contrôlés par le gouvernement et ayant plus de possibilité de triompher, ils étaient mieux placés pour distribuer des charges après les élections. Ainsi sur les 149 membres du club qui remplissent une fonction dans l’administration de l’État, 70 d’entre eux sont membres des clubs de paroisse, 41 appartiennent à des clubs dits d’opinion, et 38 participent aux deux formes d’organisation électorale62.

  • 63 Sur les proto-partis voir l’étude classique de Roberts Michel, Les Partis Politiques, (1911) Paris, (...)

50Du total des dirigeants des clubs qui remplissent des fonctions représentatives, deux types de carrières politiques paraissent se dégager : celle des représentants qui participent aux commissions après avoir occupé un siège dans la législature ou dans le conseil municipal (presque la moitié, 59/106), et celle des représentants dont l’élection semble être la conséquence de leur participation aux commissions des clubs (47/106). Ces chiffres autorisent à penser que les clubs remplissent ici une des fonctions premières des partis politiques du xixe siècle, qui naissent comme force politique d’action électorale, liée à l’institution parlementaire : celle de donner au Public une reconnaissance institutionnelle à travers le Parlement63. Ceci semble se confirmer par l’autre moitié des dirigeants qui ne remplit pas des charges pendant cette période, et que nous pourrions qualifier comme des individus provenant de la « société civile ». Certes, certains jeunes, qui s’initient alors à la vie politique, occuperont après 1862 une place de choix, comme Luis Elordi, Carlos D’Amico, Dardo Rocha, etc. D’autres, hommes de lettres, n’exercent pas alors de charges mais remplissent déjà une fonction importante dans la sphère publique. Le cas exemplaire est sans aucun doute celui de Mariano Varela, mais nous pouvons faire mention d’autres figures comme José M. Estrada, Dardo et Manuel Rocha, Carlos Terrada, ou du jeune Adolfo Saldías, qui n’a pas encore acquis la renommée qu’on lui connaîtra par la suite.

  • 64 Le cas de consigne électorale concerne les élections pour le renouvellement des conseillers municip (...)

51L’appartenance associative témoigne également des transformations de la vie politique porteña. En effet, sur 359 dirigeants, 158 d’entre eux – soit 44 % – vont avoir au moins une appartenance associative à des clubs de loisir, loges franc-maçonniques ou associations culturelles. Il s’agit certainement d’un aspect qui caractérise culturellement l’ensemble des élites porteñas, mais le fort pourcentage d’appartenance associative entre les membres des commissions électorales laisse supposer que la fureur associative n’est pas étrangère au monde politique. Ainsi sur 106 dirigeants des clubs qui remplissent une charge élective, 72 – soit les 2/3 du total – sont affiliés à une autre association. Nous pourrions même ajouter à ce chiffre les 8 cas de députés qui n’appartiennent pas personnellement, mais qui comptent un membre de leur famille nucléaire parmi les mêmes. Au sein des dirigeants des clubs qui participent aux réseaux associatifs, nous allons trouver des personnalités clés de la vie politique porteña, tels que B. Mitre, Adolfo et Valentín Alsina, C. Tejedor, N. Calvo, C. Cáseres, R. Elizalde, José M. Gutiérrez, J. Mármol, P. Obligado, E. de la Riestra, H. Varela, etc. Certes, ces associations ne s’engagent que rarement dans la lutte politique factieuse. Elles peuvent cependant servir d’assise à certaines ambitions politiques et même à obtenir une reconnaissance institutionnelle à travers l’accès à certaines charges représentatives, parmi lesquelles se trouve la propre direction des clubs électoraux. Le cas le plus évident – principalement par le fait qu’on possède des archives, ce qui n’est pas le cas pour toutes les associations –, est celui de la franc-maçonnerie. Si pendant les dix ans de sécession, nous n’avons trouvé dans les archives maçonniques qu’un seul cas de consigne électorale par les autorités maçonniques, les exemples sont en revanche nombreux pour des loges qui exercent une pression sur le gouvernement dans les aires sensibles pour cette institution : santé, éducation et culture64. Il n’est pas tout à fait fortuit que les charges publiques qui concernent ces domaines soient occupées par des actifs francs-maçons, comme Sarmiento dans le domaine de l’éducation ou Rawson et Durand dans le domaine de la santé.

28. Nombre d’affiliations de la classe dirigeante porteña aux clubs électoraux entre 1852 et 1862, en relation avec l’obtention de la charge

28. Nombre d’affiliations de la classe dirigeante porteña aux clubs électoraux entre 1852 et 1862, en relation avec l’obtention de la charge

dep : député ; sén : sénateur ; mun : conseiller municipal ; conv : conventionnel ; gouv : gouverneur ; HTJ : membre du Haut Tribunal de Justice ; min : ministre ; CHM : chef d’administration du ministère ; mil : militaire AJ : personnel de l’administration de justice ; dip : diplomate ; ens : enseignant et personnel universitaire ; AF : personnel de l’administration financière ; FT : fonction technique ; JPX : juge de paix ; MO : personnel de maintien de l’ordre

52La présence, dans la direction des clubs, d’hommes liés au monde de l’édition, et particulièrement à celui de la presse écrite, est également significative. Parmi eux, nous trouvons les principales personnalités politiques de l’époque comme Adolfo Alsina, Nicolás Calvo, Juan A. García, José M. Gutiérrez, José Mármol, Bartolomé Mitre et Héctor Varela. Bien que du point de vue quantitatif la participation de ces hommes de presse à la direction des clubs semble encore minoritaire – sur 359 individus, seulement 31 participent à la rédaction d’un journal –, parmi ceux qui remplissent cette condition, la moitié va exercer une charge élective, et ce seulement jusqu’en 1862. Il s’agit d’hommes qui vont jouer un rôle essentiel dans la vie politique factieuse, parmi lesquels nous trouvons les chefs des deux principales factions : A. Alsina et B. Mitre. Comment expliquer l’importance que les chefs de factions vont accorder à la campagne dans la sphère publique alors que ce type de campagne ne se traduit pas directement en nombre de voix aux urnes, car ils s’adressent à un secteur de la population apparemment abstentionniste ? D’ailleurs les commissions des clubs ne reproduisent pas exactement les réseaux qui interviennent pour leur élection. Nous trouvons à cette époque moins de caudillos électoraux que ce que l’on pourrait prévoir, et une présence massive d’hommes dont l’action se définit dans le cadre de la sphère publique. Des 79 hommes qui composent les commissions du club central entre 1857 et 1862, seulement 6 individus remplissent deux fois cette charge. En 10 ans, sur l’ensemble de 359 individus qui s’incorporent à la direction des commissions des clubs électoraux, seulement 5 individus arrivent à intégrer trois fois la commission d’un même club. La rénovation des dirigeants est mieux assurée dans les clubs d’opinion que dans les clubs de paroisse (document n° 29).

29. Rénovation des dirigeants des clubs électoraux

29. Rénovation des dirigeants des clubs électoraux

Nombre de fois qu’un individu participe à la commission d’un club (de paroisse (CP) ; commission centrale (CCP) et d’opinion (CO). Cf. notre base de données.

La « balance » républicaine : l’articulation de deux logiques de la représentation politique

  • 65 C’est le sens des plaintes concernant les vices dans les convocations des assemblées paroissiales.
  • 66 Une analyse des différentes formes électorales et du statut de 1815 dans Salcedo Saturnino, Las pri (...)

53Revenons au moment de la constitution des commissions des clubs. Ces dernières étaient chargées de la composition de la liste de candidats à la représentation ; si bien que l’établissement des commissions était un moment fondamental dans le processus représentatif, par lequel la population devait élire ceux qui allaient désigner les candidats aux élections. Cela octroyait aux commissions une dimension représentative que les acteurs reconnaissent explicitement65. Quelle est leur fonction dans le processus électoral ? La première réponse serait de dire qu’elles en viennent à remplacer les assemblées primaires, que le Statut Provincial de 1815 avait instituées comme forme d’élection indirecte, et qui seront révoquées ensuite par la loi électorale de 182166. Certes, à la différence des grands électeurs élus par les assemblées primaires, les commissions paroissiales désignaient seulement les « candidats » à la représentation. Cette liste devait ensuite être ratifiée le jour des élections... mais par ceux que le principe d’élection indirecte cherchait justement à éloigner des urnes, alors que les « honnêtes gens » tendaient à s’imposer dans l’élection des grands électeurs. Ceci permettrait d’expliquer la contradiction apparente de la vie politique porteña : d’un côté une forte politisation de la vie publique ; de l’autre une faible participation au vote le jour des élections. Peut-être l’indifférence des élites et de ceux qui s’identifiaient avec la nouvelle culture publique républicaine tient-elle au fait que cette deuxième instance représentative ne leur était pas particulièrement destinée. Pour eux, l’essentiel avait déjà eu lieu : le choix des candidats sur lesquels les élites délèguent le pouvoir de concertation de listes. Ainsi la structure du club permet de réguler la compétition pour les listes et de résoudre le difficile problème de concertation notabiliaire qui s’était posé dès l’instauration de la loi de 1821. Pour ce faire on confère à ces élites une dimension représentative qu’ils n’avaient pas auparavant, et qui procède du vote des assemblées paroissiales.

  • 67 Cf. « Club de los estranjeros », LRP, 1-3-1859.
  • 68 Cf. « El derecho de asociación y la circular a los Agentes extranjeros », LRP, 2-3-1859.

54Un exemple de la potentialité représentative de ces associations nous est fourni par le club des Etrangers, créé à Buenos Aires en 1859, pour soutenir le programme du club des Artisans. L’initiative fut vivement critiquée par l’opposition, qui alléguait que les étrangers ne devaient pas se mêler des questions électorales. A quoi son président, l’entrepreneur français St. Guilly, répond que « le programme du club est celui de discuter sur nos intérêts et exprimer notre opinion, bien qu’en tant qu’étrangers nous n’ayons pas le droit de voter67 ». Les étrangers entendent ainsi profiter du droit d’association stipulé dans la Constitution de l’État, pour représenter publiquement leurs intérêts. Voilà donc une nouvelle forme de représentation qui utilise l’organisation des clubs électoraux mais qui ne passe pas par le vote. Son président le dit clairement dans un article publié dans le journal de Calvo : « Comme étrangers nous pouvons prononcer nos vœux et exprimer ouvertement nos sympathies envers les candidats dont la présence à la chambre législative conviendra mieux aux intérêts communs des fils du pays et aux nôtres [...] Nous donnerons nos sympathies en matière électorale à ceux d’entre les représentants de Buenos Aires qui se montrent bien disposés à appuyer nos droits, mais nous n’avons rien à faire dans les urnes électorales...68 » Il va sans dire que « les sympathies » proposées veulent aussi bien dire une force d’opinion favorable que des forces d’action pour le scrutin. Mais il est clair que les étrangers délèguent en Calvo le pouvoir de concertation de la liste des candidats à la représentation. Et le soutien que ceux-ci manifestent publiquement augmente le pouvoir de concertation de Calvo ; pouvoir qui prend son origine justement dans le pouvoir représentatif qui implique cette délégation.

55Une fois le pouvoir de concertation des listes délégué aux membres des commissions, ceux-ci négociaient avec les autres clubs une liste conjointe. Le soutien public que recueillaient ces différentes listes constituait un élément fondamental du pouvoir de négociation des dirigeants des différents clubs. En général, ils arrivaient toujours à un accord qui réduisait à deux le nombre de listes. Ensuite, c’est aux urnes de trancher. Mais alors, d’autres types de pratiques se mettaient en fonctionnement, qui ont peu à voir avec ce qu’aujourd’hui on entend par vote : partialité dans la constitution des assemblées, falsification des registres et diverses formes de contrainte électorale étaient monnaie courante, et bien que dénoncées régulièrement par les partisans de la liste perdante, elles ne mettaient pas en cause la stabilité institutionnelle du régime.

  • 69 Cf. « Elecciones », LT, 11-3-1855, p. 2, col. 2-3.

56Les clubs vont servir aux libéraux porteños des années cinquante pour organiser ce type de pratiques frauduleuses, jusqu’alors plus ou moins improvisées. Ainsi Héctor Varela, un libéral aux profondes convictions républicaines, ne manquera pas de louer publiquement ce qui constitue pour lui une forme de démocratisation de l’acte électoral. Dans la liste des atouts des clubs figure pour lui, à côté de celui d’assurer l’accord préalable des candidatures, l’avantage d’assurer une force de choc afin de s’imposer lors de la constitution des assemblées électorales le jour du scrutin, « car dans notre système électoral imparfait, d’elles dépendent presque toujours le résultat des élections69 ». Comment s’organise concrètement cette armée électorale ? Ici il faut faire une première distinction entre les réseaux qui se tissent sur la structure paroissiale, de ceux qui s’organisent à partir des clubs d’opinion. Si, dans les deux cas, ce sont les liens et non la « volonté rationnelle de l’individu » qui déterminent le choix du bulletin ; dans les premiers peut subsister une notion traditionnelle de représentation communautaire que les seconds tendent à évacuer, principalement parce que, pour leur organisation, ils ont dû rompre avec le fondement culturel des liens traditionnels, comme le montre le cas de la mobilisation des Afro-argentins.

  • 70 Cf. « Un nuevo club patriótico », LT, 15-3-1857, p. 2, col. 3-4.

57Lors de la campagne électorale de 1857, le club Liberté crée une filière destinée aux « citoyens de couleur »70. La fonction politique que Rosas avait fait jouer aux sociétés africaines est ainsi reprise par ce club qui réussit à rassembler, lors de sa première réunion, autour de 300 « citoyens de couleur » ; l’existence de forts liens communautaires rendant peut-être plus facile, et moins redoutable, la mobilisation politique de ce secteur de la population. Pour ce faire, les libéraux mettent à la tête de cette section du club Liberté Rosendo Mendizabal, un mulâtre de 37 ans, musicien de profession lequel, au lieu d’établir des liens « bilatéraux » avec la société Conga, Benguela ou Mondongo, comme Rosas l’avait fait, crée une organisation destinée à rassembler l’ensemble « des individus de couleur ». Pour se gagner leur fidélité, il écarte les organisations ethniques afin d’établir des liens qui s’adaptent mieux au type de représentation que le constitutionnalisme libéral requiert.

  • 71 Adolfo Enrique Rodríguez fait également référence à Domingo Sosa, un homme de couleur, et selon Ber (...)
  • 72 Cf. « Por qué tomais nuestras armas », LT, 29-3-1856.
  • 73 Cf. « Un nuevo club patriótico », LT, 15-3-1857, p. 2, col. 3-4.
  • 74 D’après Mariano Billinghurs, lors du vote de la demande d’admission, il y eut plusieurs refus à cau (...)

58Le problème de la représentation des « citoyens de couleur » s’était posé, pourtant, un an auparavant, lorsque le journal La Tribuna soulignait le risque de promouvoir un vote communautaire. Varela critiquait alors l’attitude opportuniste des « conservateurs » qui refusaient d’inscrire sur leur liste le Colonel Garcia pour proposer à sa place le Colonel – et mulâtre – Domingo Sosa71. D’après ce journal, Sosa ne pouvait être que le représentant d’une « caste » et non pas du « Peuple ». Varela évoquait alors le cas de Rosendo Mendizabal, qui venait d’être alors admis au club des Gardes Nationaux : « les hommes sérieux et importants ont crié au scandale ; ils ont crié qu’on en avait déjà assez des mulâtres ; que Mendizabal n’allait représenter qu’une caste, ce qui était très préjudiciable, car il était choquant qu’un siège dans la législature soit occupé par un homme qui pouvait se constituer en organe des prétentions exagérées d’une caste72 ». Un an plus tard, ceux qui avaient crié au scandale vont pourtant avoir recours à Mendizabal pour créer une filière du club Liberté. Mais dès son premier discours, Mendizabal précise : « la cause autour de laquelle nous nous sommes rassemblés, vous savez bien que c’est celle des principes, des lois et du progrès général...73 ». Cela ne veut pas dire que le club ait transformé ce secteur de la population en individus-citoyens exerçant un droit politique. Ce que semble concrètement faire le club c’est de modifier le vote communautaire par des liens de clientèle, évacuant ainsi le problème de la représentation des « castes ». La carrière politique de Mendizabal en est une preuve. Malgré les forts préjugés raciaux, Mendizabal réussit à intégrer le réseau associatif des élites : membre à deux reprises des commissions des clubs électoraux, il entre dans la franc-maçonnerie en 185874. En 1859, il fait partie de la commission centrale des clubs paroissiaux. La même année, il obtient un poste dans l’administration d’État, comme membre du bureau des Terres Publiques ; charge dont on ne peut pas dire qu’elle soit du strict ressort d’un musicien. De toute évidence il doit son ascension politique à sa participation au réseau associatif des élites, dans lequel il a été accepté pour sa capacité mobilisatrice ; l’activité associative ayant fait de Mendizabal un indispensable intermédiaire politique dans la bataille électorale.

  • 75 Les Gardes nationaux avaient été créés en mars 1852 pour « soutenir les autorités légitimes ». En s (...)
  • 76 Cf. LT, 18-3-1856, p. 2, col. 6, p. 3, col. 1.
  • 77 Cf. « Elecciones del domingo », LT, 1-4-1856, p. 2, col. 6-7.
  • 78 Cf. « Protesta de la parroquia de la Merced », EO, 1-4-1856, p. 2, col. 3.
  • 79 Idem. Bien sûr le récit des événements diffère lorsqu’il est raconté par les partisans des Gardes N (...)
  • 80 Cf. « Asamblea Popular », LT, 18-3-1855, p. 2, col. 2-3.

59Nous pouvons évoquer, avec le club des gardes nationaux, un autre cas classique de club électoral fonctionnant comme structure organisatrice de clientèle politique75. Celui-ci s’organise en 1855 à partir des liens de la communauté d’armes, ce qui de toute évidence constitue une garantie supplémentaire de discipline électorale. En 1856, dans une réunion du club tenue dans le théâtre « de la Victoire », avec une assistance de 800 personnes, Nicasio Biedma, membre du club et commandant de la Garde Nationale, prend la parole pour offrir au club « 400 bras pour soutenir la liste » ; proposition qui fut aussitôt applaudie par José Barros Pazos (candidat député sur la liste des gardes nationaux) et Nicolas Calvo, rédacteur du journal La Reforma Pacífica, qui alors soutenait la même liste76. Le club des Gardes Nationaux emporta les élections avec une nette supériorité sur les « charretiers et ouvriers agricoles de poncho et couteaux », apparemment très mal organisés77. Dans la paroisse de San Miguel, les gardes nationaux interrompirent l’assemblée et se heurtant « aux gauchos de l’assemblée électorale », détruisent la table et les bulletins des votes pour ouvrir un deuxième scrutin avec le vote des amis politiques78. Les habitants de la Conception, toujours selon le récit des vaincus, sachant que les gardes nationaux approchaient, s’enfermèrent dans l’église avec les bulletins de vote. Après une violente bataille à coups de pierres, l’armée des gardes nationaux arriva à faire sortir la table et les registres. Ils firent de même dans les autres paroisses79. Comme ces informations portent à le croire, les moyens mis en place par les gardes nationaux ne diffèrent nullement de ceux utilisés par l’opposition. Cependant, lorsque Héctor Varela annonce, un an auparavant, dans son journal La Tribuna, la création du club des Gardes Nationaux, il signale que ce club représente la véritable opinion publique car « il rassemble des citoyens des différentes paroisses80 ». La véritable opinion publique était alors définie comme étant celle qui rompait avec le cadre local d’appartenance et non pas celle qui garantissait la liberté du vote.

30. Les deux facettes de la représentation vues par le journal El Mosquito, 1863

30. Les deux facettes de la représentation vues par le journal El Mosquito, 1863

60La question demeure de savoir quel sens donner à la participation des secteurs populaires à ces pratiques électorales frauduleuses. Pour aborder convenablement ce problème il faudrait, certes, disposer d’autres types de sources. Nous pouvons néanmoins poser la question dans la perspective des élites qui écrivent dans les journaux, parlent dans les meetings et dirigent les clubs. Il est tout de même surprenant, voire paradoxal, que les élites aient recours, en dernier instance, à un scrutin dont les résultats dépendent de la mobilisation d’une clientèle qui laisse une ample marge livrée au hasard, bien que les risques ne soient pas comparables à ceux qu’elles pourraient encourir, dans les mêmes circonstances, vers la fin du siècle ; car il s’agit ici d’une bataille entre factions des élites qui ont déjà dirigé la première instance de concertation des listes.

  • 81 Cf. LT, 26-4-54.
  • 82 Cf. « Elecciones », LT, 11-3-1855, p. 2, col. 2-3.
  • 83 Nous avons travaillé cette question dans « Producción de una nueva legitimidad... », op. cit.

61Comment les élites justifient-elles la fraude ? En 1854, le journal La Tribuna, qui est en désaccord avec la liste proposée par le club San Miguel, conclut sur la stratégie à suivre : « si par malheur nous n’arrivons pas à une transaction avec le club de San Miguel, nous devrons nous rendre sur le champ de bataille, afin de voir qui en ressort vainqueur81 ». Comme rappelle Varela dans un article déjà cité, vu l’imperfection du système électoral, la force peut constituer une garantie de représentation82 ; raison pour laquelle les citoyens doivent se mobiliser pour imposer leur volonté le jour des élections. Calvo dit en d’autres termes la même chose lorsqu’il incite les artisans à se mobiliser afin de changer leur sort. Il s’agit, bien entendu, d’une stratégie discursive pour justifier la contradiction flagrante entre les institutions qu’ils disent vénérer et les pratiques qui sont supposées les y amener. Mais... pourquoi ne pas les prendre au mot ? Si cela a fonctionné – car malgré tout nous ne pouvons pas nier la stabilité institutionnelle que connaît alors la vie politique locale –, pourquoi ne pas envisager que ce discours, qui cache une flagrante contradiction, traduise une réalité politique ? Certes, nous sommes loin de la figure de l’« individu-citoyen » à laquelle font sans cesse référence les libéraux ; il est également vrai que cette convocation à la participation active a plus de similitude avec la dynamique guerrière, qui prévaut pendant toute la période de crise de l’Ancien Régime local, qu’avec l’exercice des nouveaux droits politiques. Mais il est aussi indéniable que la dynamique guerrière marque la naissance de la vie politique dans la région et remplit une importante fonction dans l’établissement des nouvelles bases de la légitimité politique83 ; pour les secteurs populaires, d’ailleurs, elle fut bien souvent le seul contact avec la politique, dans une société qui vit un demi-siècle de guerre civile. Rosas sut utiliser cette « force d’opinion » qui s’écrit avec les armes et se traduit en action guerrière, avec laquelle il crut pouvoir se passer des élites politiques qui étaient associées aux institutions représentatives, garantes des libertés fondamentales. A notre avis, cela lui a été néfaste.

  • 84 Cf. LT, 30-4-54.
  • 85 Cf. D’Amico Carlos, Buenos Aires, sus hombres, su política (1860-1890), (Mexico, 1890) Buenos Aires (...)

62Les clubs électoraux, qui s’organisent après sa chute pour faire fonctionner les institutions représentatives, semblent articuler ce type de relation avec la politique avec celle qui trace les institutions représentatives. Ceci permettrait de mieux comprendre des déclarations comme celle que fait le journal La Tribuna en 1854 pour annoncer le triomphe de leur liste : « nous comptons avec le principal des éléments : la force. Nous comptons avec le soutien de l’opinion publique84 ». Il y a dans cette mobilisation électorale non seulement l’action d’une clientèle, mais également une logique représentative : celle d’une société qui se manifeste à travers l’action guerrière. Certes, la loi électorale de 1821 proposait un modèle de citoyenneté destiné à mettre un terme à cette société militarisée. Mais la longue période du gouvernement de Rosas, qui associait concentration des pouvoirs avec guerre civile permanente, fit de cette loi lettre morte. Les élites libérales porteñas semblent trouver dans l’organisation des « armées électorales » à travers les clubs, une solution au problème de la représentation politique de certains secteurs de la société. Solution qui ne semble pas faire l’unanimité des élites, à en juger les durs propos de D’Amico sur la politique de B. Mitre : « ... Ce fut Mitre qui, pour s’opposer aux soldats d’Urquiza en 1852, au lieu de recourir aux armes, car l’abus de la force n’a d’autre solution honorable que la propre force, inventa la fraude...85 ». En d’autres termes, au lieu de mener ses soldats au champ de bataille, Mitre les mène... aux urnes. Ceci ne fut pas un fait circonstanciel ; depuis 1852, la pratique électorale combine la force d’opinion avec celle des armes le jour du scrutin. C’est ainsi que dans la réunion du club des Gardes Nationaux en 1856, Biedma peut proposer « 400 bras » et non pas « 400 voix », comme s’il s’agissait de deux formes équivalentes de représentation.

63Les clubs électoraux jouent ainsi un rôle important dans la réactualisation des institutions représentatives en introduisant des modifications significatives dans la vie politique locale. Ils permettent en même temps de réguler la confrontation internotabiliaire pour les candidatures, et d’élargir la représentation à travers une plus forte participation des institutions de la sphère publique à la concertation des listes de candidats. Mais les clubs comportent une troisième nouveauté qui est pour beaucoup dans la stabilité institutionnelle de la période : ils permettent d’élargir la représentation de la société en introduisant d’autres logiques de représentation politique.

Notes

1 Nous renvoyons ici à l’excellente analyse de Halperin Donghi Tulio, « Una nación... », op. cit.

2 Pour la biographie de López voir Piccirilli Ricardo, Los López, Una dinastía intelectual. Ensayo histórico-literario 1810-1852, Buenos Aires, EUDEBA, 1972.

3 Cf. Calvo Carlos, Nobiliario del Antiguo Virreinato del Río de la Plata, Buenos Aires, Librería y Editorial « La Facultad », 1936, t. II, pp. 186-187.

4 Chiffres obtenus à partir d’un échantillon de 182 personnes, soit 78 % du total. Cf. notre base de données. En ce qui concerne l’origine géographique des membres, nous trouvons pas non plus de grandes différences avec les données concernant les membres de la législature rosiste. Sur un échantillon de 162 personnes, 85 % sont originaires de Buenos Aires, 12 % sont des gens de l’intérieur, principalement de la province de Córdoba, et 3 % des pays limitrophes, principalement d’Uruguay. Cf. notre base de données.

5 Nous avons des réponses pour 115 députés sur 234 (à peu près la moitié du total). Sur 115, 87 – soit 75 % – disposent d’un diplôme universitaire. Ces chiffres descendent à 37 % si l’on considère que les sans réponses sont des sans diplômes. Cf. notre base de données.

6 Voir document n° 89 « Lieu d’étude des 108 diplômés de la Chambre de représentants de la province de Buenos Aires entre 1852-1862 » dans PGB, La création..., op. cit., t. II, p. 583.

7 Le chiffre total de diplômés est de 80. Sur ce graphique nous en avons rapporté seulement 75. Pour les 5 autres, soit ils dépassent la fourchette chronologique du graphique, soit les données ne sont pas tout à fait sûres.

8 Cf. notre base de données.

9 Cf. « Appartenance associative des représentants de la province de Buenos Aires entre 1840 et 1852 » dans PGB, La création..., op. cit., t. I, document n° 56, p. 380.

10 Voir infra « Les nouvelles pratiques citoyennes... ».

11 Voir développement infra.

12 Les chiffres concernent le total des appartenances et non pas des personnes. Elles sont cumulatives. La même personne peut être comptabilisée trois fois. Sur un total de 3 653 appartenances, 202 concernent la période 1828-1839, 109 la période 1840-1851 et 2 038 les dix années de sécession de l’État de Buenos Aires. Cf. notre base de données.

13 C’est la thèse de la franc-maçonnerie. Certains auteurs soulignent le rôle primordial que joue l’Ordre maçonnique, alors que d’autres préfèrent parler de l’œuvre des francs-maçons. Dans le premier cas se trouvent les travaux de Antonio Zuñiga et Martín Lazcano ; dans le deuxième il faut surtout citer les recherches d’Alcibíades Lappas. Cf. Zuñiga Antonio, La Logia « Lautaro » y la independencia de América, Buenos Aires, Éd. Graf. J. Estrada, 1922 ; Lazcano Martín, Las Sociedades Secretas, Políticas y Masónicas en Buenos Aires, 2 vol., Buenos Aires, El Ateneo, 1927 ; Lappas Alcibíades, La masonería argentina a través de sus hombres, Buenos Aires, Éd. del Autor, 1966. Pour une analyse de la production maçonnique voir notre travail Masonería y Revolución de Independencia..., op. cit.

14 Il est impossible d’analyser ici en détail chacune des associations considérées. Nous avons choisi d’aborder ici un seul cas, non dans le but de trouver « le modèle », mais de présenter un cas historique qui montre à merveille les nouveaux rapports entre sphère publique et pouvoir.

15 La seule étude qui existe sur ces élections est celle de Mignanego Alberto Armando, « La elección de marzo de 1856 en Buenos Aires », Boletín de la Universidad Nacional de la Piata, t. XIX, n° 6, 1935, pp. 123-142 ; id., El segundo gobernador constitucional de Buenos Aires, y el proceso electoral de 1856-1857, Buenos Aires, 1938.

16 Valentin Alsina était le principal opposant à la politique « conservatrice » de Manuel Obligado, et fut le candidat des « progressistes » au gouvernement de la province. Lorenzo Torres était au contraire le candidat de l’aile plus radicale des « conservateurs » proches d’Urquiza. D’après le libelle anti-maçonnique, la création de la loge « Unión del Plata » avait été l’œuvre de Valentín Alsina. Cf. Farsa..., op. cit.

17 Cf. Document n° 100 dans PGB, La création..., op. cit., t. II.

18 Les commerçants francs-maçons ont, cependant, plus de possibilité d’accéder à un poste dans le gouvernement que les commerçants tout court. Ces derniers représentent 8,4 % de l’ensemble de la classe dirigeante, alors que ce pourcentage monte jusqu’à 12,9 % chez les francs-maçons. Il en va de même pour les employés administratifs, pour lesquels l’appartenance maçonnique double les possibilités d’accès à un poste dans l’administration de l’État de Buenos Aires. Le pourcentage de diplômés francs-maçons est, en revanche, similaire à celui des députés. Dans leur majorité, il s’agit également d’étudiants de l’université de Buenos Aires, soit 66,6 % des diplômés. L’âge ne diffère pas non plus de celui de l’ensemble de la classe dirigeante. Cf. « Statut socioprofessionnel de la classe dirigeante porteña entre 1852 et 1862 (échantillon de 427 personnes, 46 % du total) », PGB, La création..., op. cit., annexe n° 1, document n° 2.

19 C’est évidement l’avis des francs-maçons mais également de ceux qui dénoncent l’emprise de l’Ordre dans la nation. Cette critique concerne surtout les écrivains de la droite nationaliste, dont le combat contre la franc-maçonnerie se confond assez bien avec celui qu’ils livrent contre le libéralisme. Voir par exemple les écrits de Genta Jordan, Sarmiento y la masonería, Buenos Aires, 1949 ; id., La masonería en la Argentina, Buenos Aires, 1949 et 1951 ; id., La masonería y el comunismo en la revolución del 16 de septiembre, Buenos Aires, 1956 ; id., La masonería argentina en la historia argentina. A propósito del centenario de la muerte del General San Martín (1850-1950), Buenos Aires, 1949.

20 Pour cette période de la vie de Sarmiento l’œuvre la plus documentée demeure la thèse de Verdevoye Paul, Domingo Faustino Sarmiento..., op. cit.

21 Il y renonce en 1861 à la suite des événements survenus dans sa province natale. Cette même année de 1860 il participe aux deux conventions nationales.

22 Certes, Sarmiento était apparenté avec quelques-unes des principales familles de San Juan, mais malgré l’insistance avec laquelle il essaie d’en faire une source de prestige social – il destine ses Recuerdos de Provincia (Santiago de Chile, 1850) à réhabiliter son ascendance –, il faisait partie d’une branche tombée en disgrâce.

23 Le combat de Sarmiento pour l’éducation publique est bien antérieur à son intégration à la franc-maçonnerie. Son premier écrit concernant ce sujet date de 1839, alors qu’il avait 28 ans. En 1849, il publie à Santiago du Chili, De la Educación Popular où il développe ses idées sur l’éducation laïque.

24 Cf. « Mensaje de Rosas a la Junta de Representantes de la provincial de Buenos Aires » dans Mabragaña Heráclito, Los Mensajes. Historia del desenvolvimiento de la Nación Argentina (redactados cronologicamente 1810-1910), Buenos Aires, La Comisión Nacional del Centenario, 1910, t. 1, pp. 322-345.

25 Art. 23 et 31 de la Constitutión del Estado de Buenos Aires..., op. cit., (1854).

26 Lors du débat, Nicolás Anchorena souligne les inconvénients de cette « imprécision ». Cf. Sala de Representantes de la Provincia de Buenos Aires, Diario de Sesiones..., op. cit., session du 14-3-54, p. 80.

27 Héctor Varela se donne même la peine d’énumérer tous les instruments légaux que la loi mettait à disposition des hommes politiques pour garantir la fraude : la forme de recensement des électeurs, les procédures de constitution des assemblées électorales, le lieu d’élection dans le portique de l’église, la forme d’élection par listes complètes, etc. Cf. « Ley de elecciones », LT, 22-7-1854.

28 Cf. Cámara de Senadores del Estado de Buenos Aires, Diario de sesiones de la Cámara de Senadores del Estado de Buenos Aires, Buenos Aires, Imp. El Orden, 1858. Session du 1-10-1857, pp. 435-441. Varela commente cette loi dans LT, 16 et 18 juin 1857.

29 La loi n° 75 remplaça la n° 140 qui avait été votée par le congrès de la Confédération argentine. Cette dernière stipulait des élections en trois jours, ce qui facilitait énormément la fraude. La loi n° 75 va reprendre la formule porteña des élections se déroulant en une seule journée. Cf. Legislación Argentina, Colección completa de Leyes nacionales sancionadas por el Honorable Congreso durante los años 1852 a 1917, Buenos Aires, 1918, t. 1, pp. 158-167 et 284-295.

30 Les premiers devaient être choisis par les députés, le président et vice-président par une junte d’électeurs. Cf. Article 78 de la Constitution de la Confédération argentine de 1853, et art. 80 de la Constitution de la République argentine, amendée en 1860. Cf. Sampay Arturo, Las Constituciones de la Argentina (1810-1972), Buenos Aires, EUDEBA, 1975.

31 Cf. EP, 6-4-1852, p. 3, col. 4.

32 Ibid.

33 Pour leur rythme de développement voir document n° 6 « Typologie du mouvement associatif (1800-1862) », « Associations politiques », supra, chap. 2., p. 75.

34 Cette question se pose d’autant plus que jusqu’à présent aucun auteur n’a élucidé le phénomène de la naissance et du développement de ce nouveau système de pouvoir.

35 Il établit pour la ville de Buenos Aires « une association composée de ses paroisses, sous la dénomination de clubs paroissiaux ». Cf. art. 1 du « Reglamento de los clubes electorales », LT, 28-2-1857. Au pied du document figurent 19 signatures de ceux qui participent à son élaboration. Celles-ci correspondent à des membres des élites porteñas : 4 sont celles des juges de paix, dont 3 en fonction, 7 à des élus du peuple – représentants et conseillers municipaux –, 1 à un curé de paroisse, 1 à un milicien, 5 à des membres de la « société civile » et 2 qui n’ont pas été identifiées. La liste nous donne une idée approximative des autorités qui interviennent dans la vie communautaire paroissiale : les autorités civiles, ecclésiastiques et militaires, ainsi que les notables.

36 Cf. « Reglamento de los clubes electorales », LT, 28-2-1857.

37 Ibid., art. 6.

38 Il ne s’agit cependant pas de districts électoraux, car la population votait dans la paroisse de résidence pour les représentants de la ville.

39 Cf. Session de la chambre de députés du 8-10-1856 dans Cámara de Diputados de la Provincia de Buenos Aires, Diario de la Cámara de diputados de la Provincia de Buenos Aires, 1854-1862, Buenos Aires, 1857, p. 483.

40 Cf. Session de la chambre de sénateurs du 26-9-1857 dans Cámara de Senadores del Estado..., op. cit., p. 415.

41 Il semblerait que le juge de paix pouvait également le faire. Cf. « Pública Solicitada », LT, 16-3-56, p. 3, col. 2-3 ; « Hechos locales », LT, 16-02-56, p. 3, col. 1.

42 La rubrique destinée à la vie associative est appelée « Faits locaux » et apparaît souvent dans la deuxième page, troisième colonne de la presse périodique. Parfois, comme il arrive souvent dans le journal La Reforma Pacífica, celle-ci est introduite dans la troisième page, première colonne. Il est possible d’imaginer qu’il existait des relais à ce moyen de communication, destinés à toucher une population qui accédait avec moins de régularité à la presse périodique, ceci d’autant plus que d’après la loi électorale les analphabètes jouissaient également de droits politiques. Et ces relais nous allons justement les trouver dans une structure de sociabilité fondamentalement paroissiale.

43 Héctor Varela se plaint plusieurs fois de cette clause, considérant que même lorsqu’ils atteignaient le nombre de 30, celui-ci était peu représentatif de la Volonté Générale de la paroisse. Cf. LT, 28-5-1855, p. 1, col. 6-7 et LT, 2-3-1856, p. 2, col. 2-3.

44 D’après le règlement, la commission paroissiale devait se dissoudre après l’acte électoral ; ce qui veut dire que les clubs n’ont pas une longue vie institutionnelle, et donc qu’au moment des élections, ce n’est pas la hiérarchie associative mais d’autre type d’autorité qui intervient dans l’élection de leur autorités.

45 Cf. « Pública Solicitada », LT, 16-3-1856, p. 3, col. 2-3 ; « Los vecinos de la Concepción y su protesta », LT, 19-3-56, p. 2, col. 2-3.

46 Cf. « Pública solicitada », LT, 16-03-56, p. 3.

47 Cf. « Publicación Solicitada », LT, p. 1, col. 1-3. La paroisse de San Miguel fut l’une des premières à organiser un club électoral, à la création duquel participent R. Trelles, Ramón Basavilbaso, Manuel Insiarte, Bruno González et Pedro Vernet. Cf. AGN, Manuscritos BN, Legajo n° 526, documento n° 8634.

48 Cf. EO, 22-2-1857, p. 3, col. 1.

49 Cf. EO, 1-3-1857 ; « Reglamento de los clubes electorales », LT, 28-2-1857.

50 Ceci ne veut pas dire que ces autorités confirment le pouvoir de l’Église comme institution ou la mainmise de l’État, à travers les juges de paix. L’autorité de ces notables semble plutôt s’inscrire dans une logique similaire à celle décrite par Giovanni Levi pour expliquer l’autorité de Giulio Cesare Chiesa : elle est moins dans l’institution qu’elle représente que dans sa capacité de médiation entre la communauté et les institutions. Cf. Levi Giovanni, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du xviie siècle, Paris, Gallimard, 1989.

51 Cf. « Avisos », LT, 17-3-55, p. 4, col. 2 ; « Hechos locales », LT, 4-5-55,p. 2, col. 4 ; « Hechos locales », LT, 19-02-56, p. 3, col. 1 ; EO, 19-02-56, p. 3, col. 3 ; EO, 22-2-56, p. 2, col. 5 ; EO, 29-2-56, p. 3, col. 1 ; LT, 14-2-57. seccion avisos, p. 3, col. 4 ; LT, 16-3-56, p. 2, col. 3-4 ; LT, 28-3-56, p. 3, col. 2 ; EN, 18-2-57 ; LT, 18-2-57, p. 2, col. 5 ; EO, 21-2-1857, p. 2, col. 1 ; LT, 6-3-58, p. 3, col. 1 ; LT, 19-3-62.

52 Le club « Constitutionnel », créé sur l’initiative des frères Varela, tenait ses meetings dans les locaux du journal La Tribuna. Dans une réunion commune qui rassemblait environ 100 personnes, les deux clubs arrivent à une entente politique et proposent une liste commune. Cf. LT, 28-4-1854, p. 2. col. 2-3.

53 Varela déclare : « la lista que se presenta [la de los clubes parroquiales] no es ni la de las parroquias, ni la del pueblo, es la de un círculo que la ha confeccionado entre las sombras, escluyendo de la discusión de los candidatos a todos los que no se sometían a sus designación de camarilla », cf. « Usurpación de nombre », LT, 27-3-1856.

54 Le journal El Orden annonce que la veille se sont réunies, au théâtre El Porvenir, les commissions de sept clubs « dissidents » afin d’établir une commission centrale de clubs dissidents. Furent alors élus comme membres de cette commission Marín, Pirán, Cuenta et Cáseres. Cf. EO, 14-3-1857.

55 Le club Liberté propose rarement une liste, mais est là pour faire voter et triompher celle qui représente la volonté du peuple, cf. « La opinión pública en evidencia », LT, 17-2- 1857, p. 2, col. 1-3.

56 Cf. « Educación de la democracia », LT, 19-3-1858, p. 2, col. 3.

57 La participation à ces réunions exigeait la présentation d’une carte d’invitation. Cf. EO, 11-03-1856, p. 3, col. 1. La Tribuna inclut un communiqué « avisando a las personas que componen el club de la Guardia Nacional que el domingo 16 de marzo tendrá lugar la reunión general en el teatro de la Victoria a las 12hs. Se debe presentar la tarjeta de entrada », cf. « Hechos locales » LT, 14 et 15-3-1856, p. 3, col. 2. En 1857 le club Libertad annonce que personne ne sera autorisé à entrer sans carte d’invitation, mais, « quien quiere ingresar al Club Libertad puede solicitar dicho diploma en la casa n° 37 de la calle de la Merced, todos los días », cf. LT, 20-2-57, p. 2 col. 5.

58 Cf. EO, 18-3-1856.

59 Cf. ET, 14-3-1857, p. 2, col. 4.8.

60 Cf. LT, 5-3-61, p. 2, col. 34.

61 Nous pouvons trouver ici une confirmation des modifications qu’introduit la nationalisation du pouvoir porteño dans la vie politique de la ville de Buenos Aires. Cf. Sábato Hilda, op. cit.

62 Cf. notre base de données.

63 Sur les proto-partis voir l’étude classique de Roberts Michel, Les Partis Politiques, (1911) Paris, Flammarion, 1971, et de Ostrogorski Moisei, La démocratie et les partis politiques, Paris, Calmann-Lévy, 1912.

64 Le cas de consigne électorale concerne les élections pour le renouvellement des conseillers municipaux en 1861. La loge « Régénération », à la demande de la loge « Unione Italiana », appelle les frères francs-maçons à voter pour le franc-maçon Salvarezza afin d’éviter que les candidats de la Société Saint-Vincent-de-Paul puissent s’imposer dans la municipalité, car « dans ce cas l’enseignement allait rester aux mains de cette société ». Ils invitent les membres des ateliers nationaux à voter le 25, avec énergie et ferveur maçonnique pour éviter le triomphe des jésuites. Le frère Keil dit qu’il serait convenable que le Suprême Conseil donne une liste des municipaux, pour pouvoir faire un vote groupé. Mariano Billinghurst, Vénérable de la loge, accepte l’idée et déclare qu’il est possible qu’une liste soit bâtie, quoique cette affaire n’ait pas encore été traitée. Mais à son avis tout vote est bon, s’il ne tombe pas sur des jésuites. La séance suivante Billinghurst, qui faisait partie du Suprême Conseil, informe que tous les maçons allaient être invités à une grande session pour traiter des prochaines élections municipales, afin de vaincre les jésuites. Il invite ensuite « les frères étrangers à s’inscrire dans leurs paroisses respectives, pour donner leur vote le 25 ». Cf. AGLA, Libro de actas, logia « Regeneración », caja n° 36, séance du 7 novembre 1860.

65 C’est le sens des plaintes concernant les vices dans les convocations des assemblées paroissiales.

66 Une analyse des différentes formes électorales et du statut de 1815 dans Salcedo Saturnino, Las primeras formas de elegir..., op. cit.

67 Cf. « Club de los estranjeros », LRP, 1-3-1859.

68 Cf. « El derecho de asociación y la circular a los Agentes extranjeros », LRP, 2-3-1859.

69 Cf. « Elecciones », LT, 11-3-1855, p. 2, col. 2-3.

70 Cf. « Un nuevo club patriótico », LT, 15-3-1857, p. 2, col. 3-4.

71 Adolfo Enrique Rodríguez fait également référence à Domingo Sosa, un homme de couleur, et selon Beruti, ex-esclave. Cf. Beruti, Memorias Curiosas..., op. cit., p. 4112 ; Rodríguez A.E., El Régimen electoral en el lapso 1827-1828, Buenos Aires, 1965.

72 Cf. « Por qué tomais nuestras armas », LT, 29-3-1856.

73 Cf. « Un nuevo club patriótico », LT, 15-3-1857, p. 2, col. 3-4.

74 D’après Mariano Billinghurs, lors du vote de la demande d’admission, il y eut plusieurs refus à cause de la différence de couleur de peau. Cf. AGLA, Libro de actas, logia « Unión del Plata », caja n° 21, séance du 25-8-1860.

75 Les Gardes nationaux avaient été créés en mars 1852 pour « soutenir les autorités légitimes ». En septembre de la même année, B. Mitre est désigné chef de la Garde nationale, ce qui lui assure le triomphe sur l’armée d’Urquiza en 1853. Pendant toute la période de sécession de l’État de Buenos Aires, les Gardes nationaux servent de principale force de combat de l’État sécessionniste. Cf. Comando en Jefe del Ejército, Reseña histórica..., op. cit., t. 1.

76 Cf. LT, 18-3-1856, p. 2, col. 6, p. 3, col. 1.

77 Cf. « Elecciones del domingo », LT, 1-4-1856, p. 2, col. 6-7.

78 Cf. « Protesta de la parroquia de la Merced », EO, 1-4-1856, p. 2, col. 3.

79 Idem. Bien sûr le récit des événements diffère lorsqu’il est raconté par les partisans des Gardes Nationaux. Voir « Aparición de la Mas-horca », LT 1-4-1856, p. 2, col. 6-7.

80 Cf. « Asamblea Popular », LT, 18-3-1855, p. 2, col. 2-3.

81 Cf. LT, 26-4-54.

82 Cf. « Elecciones », LT, 11-3-1855, p. 2, col. 2-3.

83 Nous avons travaillé cette question dans « Producción de una nueva legitimidad... », op. cit.

84 Cf. LT, 30-4-54.

85 Cf. D’Amico Carlos, Buenos Aires, sus hombres, su política (1860-1890), (Mexico, 1890) Buenos Aires, Éd. Americana, 1952, pp. 103-104.

Table des illustrations

Titre 21. Le parcours universitaire (à l’UBA) des représentants de l’État de Buenos Aires entre 1852 et 1862
Légende (échantillon de 109 personnes)
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/47128/img-1.jpg
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Titre 22. Type d’appartenance associative des 234 représentants à la législature de Buenos Aires entre 1852 et 1862, en relation avec l’obtention de la charge
Légende ASC : Association socioculturelle ; ISC : Institution socioculturelle ; AP : Association politique ;AFR : Association franc-maçonne ; AL : Association de loisir ; ABC : Association de bienfaisance etcharité ; IBC : Institution de bienfaisance et charité ; AAM : Association d’aide mutuelle
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Titre 23. Évolution de la moyenne d’appartenance associative de la classe dirigeante porteña selon la charge
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/47128/img-3.jpg
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Titre 24. Type d’appartenance associative de la classe dirigeante porteña entre 1852 et 1862, selon les charges exercées
Légende FR : Association franc-maçonne ; AL : Association de loisir ; ABC : Association de bienfaisance et charité ; IBC :Institution de bienfaisance et charité ; AAM : Association d’aide mutuelle ; ASE : Association socio-économique ;ISC : Institution socio-économique ; SC : Société commerciale ; AR : Association religieuse
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/47128/img-4.jpg
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Titre 25. Appartenance associative de la classe dirigeante porteria entre 1852 et 1862, en relation avec l’obtention de la charge
Légende dep : député ; sén : sénateur ; mun : conseiller municipal ; conv : conventionnel ; gouv : gouverneur ; HTJ : membre du Haut Tribunal de Justice ; min : ministre ; CHM : chef d’administration du ministère ; mil : militaire AI : personnel de l’administration de justice ; dip : diplomate ; ens : enseignant et personnel universitaire ; AF : personnel de l’administration financière ; FT : fonction technique ; JPX : juge de paix ; MO : personnel de maintien de l’ordre
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/47128/img-5.jpg
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Titre 26. Nombre d’affiliations de la classe dirigeante porteña à la franc-maçonnerie entre 1852 et 1862, en relation avec l’obtention de la charge
Légende dep : député ; sén : sénateur ; mun : conseiller municipal ; conv : conventionnel ; gouv : gouverneur ; HTJ : membre du Haut Tribunal de Justice ; min : ministre ; CHM : chef d’administration du ministère ; mil : militaire AJ : personnel de l’administration de justice ; dip : diplomate ; ens : enseignant et personnel universitaire ; AF : personnel de l’administration financière ; FT : fonction technique ; JPX : juge de paix ; MO : personnel de maintien de l’ordre
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/47128/img-6.jpg
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Titre 27. Statut socio-professionnel des membres des commissions directives des clubs électoraux entre 1852 et 1862 (échantillon de 169 personnes)
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/47128/img-7.jpg
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Titre 28. Nombre d’affiliations de la classe dirigeante porteña aux clubs électoraux entre 1852 et 1862, en relation avec l’obtention de la charge
Légende dep : député ; sén : sénateur ; mun : conseiller municipal ; conv : conventionnel ; gouv : gouverneur ; HTJ : membre du Haut Tribunal de Justice ; min : ministre ; CHM : chef d’administration du ministère ; mil : militaire AJ : personnel de l’administration de justice ; dip : diplomate ; ens : enseignant et personnel universitaire ; AF : personnel de l’administration financière ; FT : fonction technique ; JPX : juge de paix ; MO : personnel de maintien de l’ordre
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/47128/img-8.jpg
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Titre 29. Rénovation des dirigeants des clubs électoraux
Légende Nombre de fois qu’un individu participe à la commission d’un club (de paroisse (CP) ; commission centrale (CCP) et d’opinion (CO). Cf. notre base de données.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/47128/img-9.jpg
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Titre 30. Les deux facettes de la représentation vues par le journal El Mosquito, 1863
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/47128/img-10.jpg
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