Chapitre IX. Une ultime tentative

p. 361-411


Texte intégral

1Les trois années qui suivent la signature de l’UEO ne bénéficient pas de la dynamique créée par la mise en place des nouvelles institutions et le règlement du problème allemand aux yeux des deux pays. Plusieurs éléments viennent en effet obscurcir les relations entre la France et la Grande-Bretagne.

2D’abord, et paradoxalement, l’affaire de Suez (dont les relations militaires entre la France et la Grande-Bretagne ne feront pas ici l’objet d’une étude approfondie1) a vu l’alliance politique et militaire des deux pays dans une aventure militaire extrêmement coûteuse en termes de diplomatie et de prestige. D’une part, parce qu’elle scelle définitivement l’effacement de la France, mais surtout de la Grande-Bretagne, dans la conduite des affaires du monde au profit du couple États-Unis/URSS. Mais aussi, et surtout, parce que la détérioration des relations entre les deux pays européens et les États-Unis est difficile à assumer pour la Grande-Bretagne, qui a fait de ses relations privilégiées avec les États-Unis l’un des axes de sa politique. Dès lors, la préoccupation de Macmillan (il remplace Anthony Eden à la tête du gouvernement en janvier 1957) sera le resserrement des liens avec l’allié américain, au détriment de tout autre sujet.

3Le deuxième élément est l’approfondissement du conflit algérien, qui capte des ressources toujours plus grandes en France. De fait, ce conflit provoque non seulement de très graves problèmes politiques et économiques, puisqu’il accapare le personnel diplomatique et administratif du pays, mais aussi et de manière plus inquiétante aux yeux des Britanniques, il empêche la France de remplir ses obligations militaires dans le cadre de l’OTAN, puisque les effectifs de l’armée envoyés en Algérie augmentent régulièrement pendant toute la période.

4Le troisième point de friction réside dans la volonté française de bénéficier d’un statut plus important dans la direction des affaires européennes, aux côtés des Américains et des Britanniques. Ce point est particulièrement important lorsque l’on sait que les États-Unis, mais aussi depuis 1952 la Grande-Bretagne, disposent de l’arme atomique2 dont l’usage reste bien sûr à leur entière discrétion, ce qui place de fait la France en position de faiblesse vis-à-vis de ses deux alliés.

Les problèmes économiques de la France ainsi que le conflit algérien rendent le respect de ses engagements atlantiques difficile

5La fin de la guerre d’Indochine et l’arrivée de Mendès France font espérer aux Britanniques une réorganisation de la défense française. Pourtant, ils regrettent le départ du chef d’état-major des forces armées, le général Ély, en Indochine et l’arrivée de Koenig au ministère de la Défense nationale, qui a placé de bons officiers dans des postes clés, mais n’a ni l’autorité politique ni la capacité de mettre en œuvre une réorganisation qui s’avère pourtant nécessaire.

6Au cours de l’été 1955, l’Assemblée nationale et le Conseil débattent avec difficulté des projets de réorganisation de la défense nationale française. Le budget présenté en juillet par le général Koenig recouvre l’année 1956 et même, pour les dépenses en matériels, les années 1957 et 1958 (ce budget s’élève à seulement 945 milliards de francs pour 1955 et 948 milliards de francs pour 1956, soit 30 % du budget national, mais loin des 125 milliards de francs que Koenig estime nécessaires pour commencer à réorganiser de façon efficace la défense nationale). Le budget est néanmoins voté par l’Assemblée nationale. Les forces aériennes, « de plus en plus une question de fierté nationale », sont prioritaires, avec 26 % du budget en 1955 et 29 % en 1956, comparé à 24 % en 1954 (la fabrication de deux mille avions français est prévue jusqu’en 1958)3. Gladwyn Jebb, dans une note à Macmillan le 5 septembre 1955, espère voir avant l’année 1960 l’armée de l’Air française « raisonnablement efficace et bien équipée »4. La Marine nationale, la « Cendrillon » des forces armées françaises, reçoit une allocation lui permettant de maintenir une flotte de seulement 360 000 tonnes ; elle voit son objectif d’accroissement de 30 000 tonnes par an (nécessaire pour atteindre le niveau de 540 000 tonnes fixé par l’OTAN pour 1970) réduit à 22 000 tonnes pour 1956 ; et seulement dix escadrons pour l’aéronavale sont budgétés pour 1960, contre vingt anticipés. Néanmoins, elle prévoit la construction de deux porte-avions équipés d’avions français, ce qui lui permettra d’être moins dépendante du matériel étranger, élément essentiel pour son prestige ainsi que pour les prochains budgets de défense. L’armée de Terre, quant à elle, a vu plusieurs de ses unités, dont une division stationnée en Allemagne et récemment réorganisée, envoyées en Algérie, où elles « feront face à des tâches très différentes de celles pour lesquelles l’OTAN aurait aimé les préparer ». Équipées maintenant d’armes modernes, elles doivent cependant s’occuper d’équipements pour la guerre subversive, ce qui retarde sérieusement leur formation pour des conditions de combat en Europe : « ce n’est pas une exagération de dire que la conséquence de ces changements est que la contribution française à la défense de l’Europe de l’Ouest est maintenant presque entièrement inefficace ». De plus, les matériels de fabrication française (l’aide américaine vient à son terme), ne sont pas toujours à la hauteur des besoins. Selon Jebb les divisions françaises « sont sans doute utiles aux Français pour faire grossir leur contribution à l’OTAN ; mais on me dit qu’en fait, elles ne représentent qu’à peine plus d’une brigade britannique ». La France se trouve maintenant dans l’obligation, d’une part, d’essayer de maintenir l’ordre dans un empire « étendu et dispersé », et d’autre part, de faire plus d’effort pour assurer ses obligations vis-à-vis de l’OTAN. Elle ne peut plus réserver autant de revenu national à la défense5.

7Dans ce contexte, la Grande-Bretagne est visiblement inquiète de la capacité française à répondre à ses obligations dans le cadre de l’OTAN, même si les deux parties s’efforcent de maintenir des relations cordiales. Au-delà du problème de moyens, toujours croissants pour le règlement du problème algérien, le conflit en Afrique du Nord a une deuxième conséquence non négligeable aux yeux des Britanniques : il semble accaparer l’attention de tous les responsables politiques et militaires du pays, au risque de les voir se désintéresser des problèmes de défense en Europe.

8Il est clair au cours des dernières années du régime que les gouvernements de la IVe République portent principalement leur attention, y compris dans leurs conversations avec les Britanniques, sur la position de leur allié vis-à-vis du problème algérien. Les Britanniques, conscients de l’importance attachée par leurs interlocuteurs à ce sujet, semblent se montrer compréhensifs vis-à-vis de la politique française en Algérie. Maurice Faure, de retour à Paris après d’un séjour à Londres, publie le 17 juin 1956 une déclaration témoignant de la « compréhension et sympathie » de ses interlocuteurs, ainsi qu’une « totale identité de vues sur les lignes générales et les fins ultimes d’un renforcement de la solidarité européenne ». Concernant très précisément l’Afrique du Nord et le besoin d’une coordination politique améliorée entre les deux partis, Faure exprime « le sentiment que ce point de vue était partagé par nos partenaires »6.

9Dans l’édition du 14 juillet de l’Echoes from Great Britain, le bulletin de l’ambassade de Grande-Bretagne à Paris, consacré aux relations franco-britanniques, Gladwyn Jebb fait référence à la situation en Algérie et caractérise les intérêts franco-britanniques comme étant « aujourd’hui véritablement identiques ». Cependant, on y lit une certaine ambiguïté : Jebb rappelle que les Britanniques ont déclaré à plusieurs reprises, « nous sommes à vos côtés en Algérie », mais le sens réel de cette phrase est exprimé par la suite : il qualifie l’Algérie comme étant un problème « qui vous concerne seuls », mais bien sûr, la Grande-Bretagne « [désire] ardemment » que la paix y soit rétablie, « car la puissance de la France est une condition sine qua non de la puissance du monde libre »7. Dans son rapport annuel pour 1957, Jebb présente à Selwyn Lloyd8 la situation économique en France qui fait de « vrais efforts pour mettre de l’ordre "chez elle" », mais il doute de la poursuite de ses « bonnes intentions » une fois que les prêts accordés à la France seront effectivement reçus. L’amélioration de la situation militaire en Algérie ne sera certainement pas suivie par celle de la situation politique. Le rapport conclut que dans l’ensemble, « le mieux que l’on puisse dire sur 1957 est que l’année a vu la fin du voyage de noces franco-britannique sur Suez – il ne s’est passé rien de très sérieux »9.

10Il est clair que pour Londres, la situation algérienne est devenue si importante pour les Français qu’elle empêche la France d’assumer son rôle de leader naturel, aux côtés des Britanniques, de l’Europe de la défense.

la volonté de la Grande-Bretagne de diminuer unilatéralement ses troupes en Europe provoque une vive inquiétude chez les Français

11Le gouvernement britannique, dans son Defence White Paper de 1954, affirme que malgré l’affaiblissement de la tension internationale, la menace extérieure est toujours réelle. La Grande-Bretagne doit maintenir des forces armées sur le continent européen, sous le Commandant Suprême des forces alliées en Europe, bien que la principale force de dissuasion devienne incontestablement la bombe atomique. C’est maintenant aux Britanniques de participer à cette force de dissuasion, d’abord par la création d’une force de bombardement moderne au sein de l’armée de l’Air britannique, « capable d’utiliser l’arme atomique à son plein effet »10.

12En effet, la Grande-Bretagne fabrique déjà des armes atomiques depuis 1953 : des missiles balistiques sont en cours de développement, et le premier des bombardiers stratégiques tri-réacteurs doit entrer en service au cours de l’année. Des études sur la formation, la tactique et les conséquences sur les forces armées de ces nouvelles armes sont en cours en Grande-Bretagne, et au sein de l’OTAN, depuis un an déjà ; et le gouvernement espère que la récente demande du Président américain au Congrès (pour une législation permettant le partage d’informations à ce sujet) contribuera à l’efficacité des programmes de recherche. Un brief du Foreign Office au secrétaire d’État de décembre 1954, avant la publication du rapport pour l’année 1955, lui demande de souligner

en toute opportunité [...] notre détermination de nous battre vigoureusement contre tout agresseur. C’est le devoir du Gouvernement de Sa Majesté d’expliquer au peuple britannique ce qu’implique une guerre thermonucléaire ; le peuple britannique regardera calmement les choses en face et ne sera pas découragé de jouer son rôle plein et entier dans la défense du monde libre11.

13Le Statement on Defence de la Grande-Bretagne pour 1956 reconnaît le rôle de la dissuasion nucléaire dans la réduction des chances de guerre mondiale, et définit la priorité britannique comme étant le maintien de la dissuasion alliée, à laquelle elle doit plus largement s’associer. En attendant la mise en œuvre d’une offensive nucléaire, le rôle des forces terrestres, aériennes et navales du Pacte atlantique constituent un élément essentiel de cette dissuasion. Les puissances occidentales, agissant de façon purement défensive, doivent donc disposer de moyens de représailles immédiates et efficaces en cas d’agression. Le Foreign Office rappelle la signification du maintien d’importantes forces armées britanniques :

Nos forces sont l’un des instruments de notre politique mondiale ; elles n’ont aucune autre fonction indépendante. Chaque fois qu’elles partent en action, c’est signe d’un échec de notre politique, car à l’étape actuelle de l’Histoire aucune guerre ne peut profiter au Royaume-Uni, bien que nous puissions être obligés de nous battre sur diverses échelles pour défendre nos intérêts nationaux.
Il en découle que l’importance majeure des forces est leur contribution à la dissuasion dans ses formes premières (c’est-à-dire nucléaires) et autres, c’est-à-dire garder à froid la guerre froide12.

Dans ce contexte, la contribution des forces britanniques doit être « suffisante en termes de qualité et importance pour maintenir notre statut de puissance mondiale ». Cela implique certains changements notamment en ce qui concerne la Royal Air Force et l’établissement nécessaire d’une force aérienne stratégique, ainsi que des missiles guidés antiaériens. Cette priorité est illustrée par la stabilité des dépenses militaires entre 1955 et 1957. Ainsi, le budget de défense pour 1954-1955 s’élève à 1 640 millions de livres, dont 85 millions de sterling d’aide américaine ; les forces représentent environ 530 000 hommes en avril 1954, et 536 800 sont prévus pour 195513. Le budget de défense pour 1955-1956, en dehors de l’aide américaine, et fixé à 1 537 200 millions de livres14. Les forces armées britanniques en avril 1955 s’élèvent à 518 000 hommes, auxquels s’ajoutent 284 954 hommes qui effectuent leur service national et 20 557 femmes, soit un total de 823 63015. (Rappelons que le budget de la défense français pour 1955 s’élève à 945 milliards de francs, et à 948 milliards de francs pour 1956, soit 30 % du budget national16.)

14Or, la Grande-Bretagne doit de plus en plus faire face au problème du coût de développement de nouveaux armements, alors que la contrainte budgétaire ne diminue pas. De fait, particulièrement au regard des dépenses nécessaires au développement de l’arme atomique, la Grande-Bretagne se voit contrainte de mener une réflexion sur l’ampleur de ses forces conventionnelles. Pourtant, la dissuasion atomique paraît pouvoir remplir de façon efficace un rôle dans la défense de l’Europe.

15En mai 1956, un mémorandum du ministère de la Défense sur la contribution britannique à la dissuasion qualifie l’effort britannique en armements conventionnels de « proportionnellement réduit », et place la Grande-Bretagne deuxième des contributeurs importants. Elle se considère comme étant le seul membre européen de l’OTAN capable d’améliorer la force de dissuasion :

L’usage tactique de l’arme atomique doit rester pendant quelque temps un élément important aux yeux des Européens. Si nous abandonnons notre programme atomique militaire, les autres pays de l’Europe pourraient facilement dire que la seule raison pour laquelle nous maintenons nos forces est pour des objectifs de guerre froide, ce qui serait en effet vrai, et que nous ne produisons même pas un effort équivalent à celui de l’Italie afin d’établir un pacte de défense européenne17.

Macmillan annonce donc dès octobre 1955 une réduction des forces, qui permettra à l’économie nationale de donner la priorité à l’industrie, dont dépend la production de l’armement, sans réduire l’efficacité des forces britanniques. Le seul moyen d’équiper les forces armées avec des armes modernes dont elles ont besoin, est de réduire les effectifs, alors que la puissance des armes modernes garantit justement une efficacité défensive plus élevée. Dans son Statement on Defence de 1956, le Gouvernement britannique définit son objectif ultime comme étant un accord de désarmement qui aboutira lorsque les méthodes de contrôle sont « découvertes et appropriées » ; or, en 1955, il n’existe aucune méthode pour garantir l’élimination des armes nucléaires, ni pour contrôler leur production. Néanmoins, dans ce but, Londres soutient la résolution à l’Assemblée des Nations unies, afin que le sous-comité de désarmement de l’ONU donne en 1956 la priorité à un accord, pour prendre « toute mesure maintenant possible en vue d’un désarmement convenablement garanti » dans les plus brefs délais18. Le Statement on Defence rappelle que l’Union soviétique refuse toujours d’accepter les propositions occidentales de contrôle des armes nucléaires, qui empêche tout avancement. Dans ces conditions, il faut maintenir le niveau d’effort de défense :

Nous avons l’intention de produire des forces plus réduites mais plus efficaces, et de les déployer et de les organiser pour répondre à une menace altérée ; mais nous devons à tout moment retenir la capacité, en association avec nos Alliés, de venir à l’encontre de la menace continuelle d’agression communiste, avec des forces défensives formées correctement et équipées à cette tâche19.

Les Britanniques vont chercher à mettre en œuvre leur politique de réduction de leur force conventionnelle, en expliquant à leur allié français la compensation apportée de fait par le développement des armes nouvelles, qui contrebalance la diminution du nombre de leurs soldats dans le dispositif de l’OTAN.

16Des conversations franco-britanniques débutent le 26 septembre 1956. Dès le mois de juillet, la presse évoque l’intention britannique de réduire ses dépenses militaires afin de privilégier les progrès techniques qui rendront in fine les forces armées plus efficaces. À la mi-décembre, le ministre de la Défense britannique rédige un mémorandum sur une importante réduction des forces armées de la Grande-Bretagne, prévoyant une réduction des 720 000 hommes actuels à 450 000 au mois d’avril 1961. Dès que le plan sera définitivement arrêté, les engagements britanniques doivent être réduits. Le mémorandum recommande également des « négociations officielles dans le cadre des accords de Paris » pour une réduction des effectifs en Allemagne à 50 000 hommes (contre 80 000 actuellement).

17Des pourparlers déterminants entre représentants français et britanniques se déroulent en mars 1957, et portent sur les réductions proposées. Eden explique à Mollet les motivations de cette décision : des difficultés économiques, le désir d’utiliser leurs forces de façon rentable, et la volonté des autorités britanniques de les réorganiser pour les rendre le plus efficace possible en cas de guerre moderne. En Allemagne, la Grande-Bretagne aligne à cette date 59 unités de combat, dont 15 blindées, 18 d’artillerie (y compris 5 anti-aériennes), 6 de génie et 20 d’infanterie. Le plan britannique pour 1959 prévoit 16 unités d’infanterie en Allemagne et 6 en Grande-Bretagne, 11 unités d’artillerie (aucune unité anti-aérienne), ainsi que 4 unités de génie. Pour les Britanniques, les réductions concernent surtout le domaine administratif, et se comparent favorablement avec les forces armées des autres pays membres de l’OTAN (en tout cas, pour ce qui est de la puissance des unités combattantes). Macmillan et Eden présentent ces plans non pas comme le début d’un retrait des forces, mais plutôt comme un moyen de garder une présence en Europe : le gouvernement serait « très peiné s’il n’était pas soutenu par le gouvernement français sur ce plan, mais il n’y a pas d’alternative... »20. Macmillan présente ces changements comme étant « très douloureux » pour son gouvernement, insiste sur le fait que la situation actuelle n’est pas tenable, et qu’il ne s’agit absolument pas d’un retrait britannique de l’Europe.

18Pineau, très inquiet, craint un retrait britannique trop rapide et trop important incitant les autres pays membres de l’OTAN à faire de même, avec le risque d’une nouvelle campagne pour le retrait des forces américaines du continent européen. Ce retrait poserait aussi des problèmes en Allemagne, où des élections approchent, alors que le gouvernement allemand est engagé dans la formation d’une armée allemande. D’autre part, ces propositions nécessitent une étude franco-britannique sur le plan militaire, car la France et l’Allemagne redoutent que des réductions britanniques soient suivies d’une « redistribution des tâches » (par lesquelles la Grande-Bretagne et les États-Unis seraient responsables de la dissuasion atomique, alors que la France et l’Allemagne assumeraient la défense conventionnelle du continent). Enfin, Pineau souligne que du point de vue stratégique, à la place d’une agression soviétique (loin d’être le plus grand danger), des conflits en Europe de l’Est, ou même en Allemagne de l’Est, pourraient se produire. Il est donc impératif de garder sur le continent européen des forces armées suffisantes et bien équilibrées. Pineau ne demande pas à la Grande-Bretagne de renoncer à son plan, mais de ne pas l’effectuer aussi rapidement21, c’est-à-dire en quelques jours22.

19Macmillan reste sur sa position : il rappelle que la contribution de la Grande-Bretagne à l’OTAN dépasse celle de ses alliés (la Belgique a une seule unité en Allemagne, les Pays-Bas aucune, la France a toujours 63 000 hommes en Allemagne) ; les réductions proposées seraient l’équivalent des deux pays. Le plan actuel ne serait pas mis en œuvre avant deux ans, et un nouveau plan pour les forces armées prendrait trois ou quatre ans : attendre la fin de l’année pour une décision est donc impossible pour la Grande-Bretagne. Du point de vue de l’UEO, Macmillan souligne les changements depuis la signature des accords de Paris, notamment la garantie contre une Allemagne fédérale trop puissante : il n’y a donc « aucun argument pour dire que l’armée allemande ne progressait pas assez vite ». Dire qu’il n’y avait plus de forces effectives en Allemagne était une erreur : « la contribution britannique est de loin la contribution la plus efficace en Europe actuellement et le sera encore dans deux ans »23.

20Pour Mollet, ces décisions se présentent au moment le plus important depuis 1945, avec tous les risques de 1938. Seulement la priorité actuelle est d’éviter une guerre sur le continent, plutôt que les moyens de la gagner. Donc la présence de troupes britanniques et américaines est plus importante que la question de l’efficacité des unités combattantes. Mollet préfère une présence « primordiale » renforcée en cas de conflit par des forces françaises, belges et néerlandaises. Il rappelle son soutien personnel à la CED et son regret que l’intégration d’une armée allemande n’ait pu se réaliser : les accords de Paris représentent dans ce contexte un compromis, et intègrent la présence de forces armées britanniques en Allemagne. Les propositions britanniques s’opposent donc à l’esprit même des accords et « ne devraient pas être réalisées en huit jours »24.

21La seule différence, insiste Macmillan, est que trois et non quatre divisions britanniques seront stationnées en Allemagne, la quatrième, dont le matériel sera maintenu sur place, étant prête à rejoindre les trois autres très rapidement, la présence permanente à l’étranger de l’armée britannique est impossible. Les réductions proposées laissent néanmoins 50 000 Britanniques en Allemagne, et encore 6 000 en Grande-Bretagne prêts à les rejoindre : il est donc préférable de réduire les forces maintenant, plutôt que de les retirer toutes à la fin de l’année : « Voilà la véritable alternative25. »

22Pineau défend à nouveau la position française et rappelle à son interlocuteur britannique que l’accord sur la définition des réductions et les moyens de les effectuer doit être discuté entre les pays membres de l’UEO. Ces propos déplaisent fortement à Macmillan, rappelant à son tour que la France n’a pas suivi cette politique pour l’Algérie, alors que la Grande-Bretagne a toujours respecté ces principes. Toutefois, Mollet ajoute que l’effet inévitable de cette décision sur le moral français serait très négatif, voire « une condamnation de ceux qui ont voté pour les accords de Paris », surtout après les trois ans d’affrontement sur ce sujet. La disparition d’une seule division ne saurait provoquer d’interrogations si sérieuses du point de vue de Macmillan, qui soulève enfin la question financière : dans la mesure où le budget de défense est divisé entre hommes et matériels, d’ici 1960, le coût des divisions britanniques actuellement en Allemagne s’élèverait à 2 000 millions de livres par an. Toutefois, la France ne demande pas à la Grande-Bretagne de renoncer à son plan, seulement de prendre le temps d’en discuter, « [pour] donner l’impression d’un effort commun et pour apaiser l’atteinte au moral »26.

23Macmillan, imperturbable, déclare que si les réductions prévues ne peuvent s’effectuer, la Grande-Bretagne retirera de l’Allemagne toutes ses forces armées d’ici la fin de l’année. Pour Mollet, c’est impossible : les Britanniques doivent défendre l’Europe ! Macmillan répond qu’il doit aussi défendre la livre sterling (il finit par se déclarer « non préparé à présider à la liquidation financière de [son] pays »)27. Mollet renouvelle sa position : le but des forces armées stationnées en Allemagne de l’Ouest n’est-il pas « d’empêcher la guerre, plutôt que de la gagner ; l’idée que la puissance de combat est l’élément le plus important transformerait le postulat ». Des réductions d’effectifs britanniques pourraient également inciter les États-Unis à retirer leurs forces armées et entraîner une avancée soviétique, mais Macmillan répète qu’une présence britannique garantie de 50 000 hommes est très suffisante. Mollet insiste avec raison que ce chiffre, pour être accepté, doit être néanmoins discuté et doit recevoir l’approbation des autres pays européens, et la réunion se termine sur ce constat d’opposition28.

24Le lendemain, Macmillan et Selwyn Lloyd rencontrent le secrétaire général de l’OTAN, Lord Ismay, à l’ambassade de Grande-Bretagne à Paris. La délégation britannique lui présente le compte rendu des discussions de la veille avec les ministres français. Le secrétaire général de l’OTAN semble partager la position française. Toutefois, l’OTAN ne peut pas décider quelle est la meilleure solution, elle peut seulement donner son avis. Lord Ismay confirme néanmoins les avantages militaires d’une division de réserve de six bataillons en Grande-Bretagne, qui serait vite appelée à l’action en cas de besoin, mais ce point de vue ne peut pas être soulevé pendant la réunion de l’OTAN. Il faut souligner plutôt le fait que les communications terrestres rendent les forces alliées en Allemagne « virtuellement basées chez elles ». Macmillan propose de se concentrer lors des prochaines réunions sur les prévisions pour 1957-1958 et, dans le cadre des propositions britanniques, de prévoir le retrait de 13 500 hommes avant avril 1958, tout plan de réorganisation et redéploiement des forces armées britanniques n’étant pas réalisable avant deux ou trois ans. (Néanmoins, la Grande-Bretagne souhaite que l’OTAN et l’UEO soient au courant de ses intentions29.)

25La question de la diminution des troupes conventionnelles dans le dispositif militaire de l’OTAN continue donc d’envenimer les relations entre les deux pays. Début 1958, Pineau et Selwyn Lloyd se rencontrent au Chequers, et Pineau demande une approche diplomatique urgente envers Bonn, puis une réunion du Conseil de l’OTAN pour résoudre le problème dans les plus brefs délais. Lloyd rappelle l’inquiétude des Britanniques au sujet de l’équilibre des paiements et lui demande s’il pense à une autre solution : sinon, la Grande-Bretagne se retrouvera dans une situation très grave et sera obligée de réfléchir de nouveau à la question du stationnement de ses forces armées sur le continent. Lloyd a apparemment promis une réponse au ministre de la Défense, d’abord pour octobre, puis début décembre, puis début janvier ; il a besoin d’obtenir des éclaircissements en ce qui concerne les 8 500 Britanniques stationnés en Allemagne qu’il désire supprimer :

J’ai eu un peu de mal à faire comprendre à M. Pineau ce que je disais. J’ai retracé en détail les négociations du printemps dernier, et lui ai dit que je considérais tous les autres membres de l’UEO comme s’étant engagés au retrait de nos 8 500 hommes. Comme concession importante, nous avions dit qu’a condition que les accords financiers soient acceptables, nous serions favorables à la présence des 5 000 hommes, point sur lequel le général Norstad avait particulièrement insisté. M. Pineau, intentionnellement je crois, était obtus sur ce point. Je pense qu’il ne voulait pas me donner la garantie qu’il soutiendrait le retrait de troupes britanniques supplémentaires avant qu’une solution n’ait été trouvée. Cependant, je ne lui ai laissé aucun doute sur le fait que nous allions soumettre l’affaire rapidement à l’UEO et il n’a pas dit qu’il s’y opposerait ou qu’il nous affronterait sur ce point. Je ne peux absolument pas dire cependant que j’avais obtenu son soutien définitif30.

Début février 1958, la question du coût des unités stationnées en Allemagne est de nouveau soulevée lors d’une rencontre Lloyd-Chauvel, ce dernier ayant également obtenu des réponses négatives suite à sa démarche en Allemagne. Pour Chauvel, il s’agit maintenant d’un problème permanent pour lequel il faut arriver à une solution permanente, évitant ainsi que ces « crises périodiques » se reproduisent. Les deux hommes acceptent que la solution la plus efficace ne peut être isolée du cadre de l’OTAN (Chauvel renouvelle ses propos sur la nécessité, pour la pérennité même de l’OTAN, d’une solution à ce problème), mais Lloyd répète l’impossibilité britannique de maintenir 55 000 hommes sur le territoire allemand sans recevoir de contribution pour leur maintien (« évalué sur un cours de change actuel à environ 50 millions de livres par an, c’est un poids qui, avec les remboursements de dettes que nous devrons effectuer au cours des prochaines quelques années, n’est pas acceptable. Les Allemands doivent se décider »)31.

26La diminution unilatérale des troupes britanniques sur le continent n’a donc pas contribué au développement de la confiance entre les deux pays. Au-delà de cette querelle de chiffres, ces discussions bilatérales font apparaître un déséquilibre de fait entre la France et la Grande-Bretagne. Cette dernière en effet, disposant de l’arme atomique, relativise l’importance du déploiement de forces conventionnelles. Cette position a pour la France deux conséquences : elle porte atteinte au symbole que représente à ses yeux la présence d’importantes forces conventionnelles alliées en Allemagne, qui constituent en soit un facteur dissuasif de premier ordre face à la menace soviétique. En second lieu, elle oblige la France à donner la priorité au développement de son propre arsenal nucléaire, afin, d’une part, de faire entendre sa voix vis-à-vis de ses deux alliés anglo-saxons et, d’autre part, d’éviter de se voir confiner au rôle d’appoint conventionnel dans l’OTAN.

tes difficultés en France, ainsi que la possession de l’arme atomique, amènent la Grande-Bretagne à privilégier sa relation avec les Etats-Unis

27La contrainte algérienne et la non-détention par la France de l’arme atomique dont les conséquences apparaissent clairement aux yeux de Paris, par exemple la possibilité d’un retrait partiel par Londres de ses forces conventionnelles stationnées en Allemagne, encouragent la France à s’interroger sur la qualité de ses relations avec la Grande-Bretagne. Deux problèmes majeurs apparaissent dès lors, qui perdureront après l’arrivée de de Gaulle au pouvoir, et qui transcendent donc les modifications apportées par le changement de régime en France. D’abord, l’impossibilité d’une direction tripartite en Europe du fait du maintien voulu par Londres, mais aussi par Washington, d’un lien privilégié anglo-américain. Ensuite, la position ambiguë de la France, de plus en plus accaparée par le conflit algérien, et dont une partie de l’opinion publique appelle ouvertement à une troisième voie en l’Est et l’Ouest. Enfin, la question nucléaire empêche la France de prétendre véritablement à toute co-direction de l’Europe de l’Ouest, aux côtés des Britanniques et des Américains.

Le refus d’une direction tripartite

28L’affaire de Suez ne ramène que temporairement la confiance entre les deux pays et ne rassure que provisoirement la France sur l’ordre des priorités de la diplomatie britannique, particulièrement au regard de son lien avec les États-Unis. En septembre 1956, deux mois après le début de la crise, Jebb décrit les hésitations françaises comme étant « le miroir de l’opinion générale que la France a été abandonnée » par les Britanniques et Américains, et que la Grande-Bretagne, « obsédée par le besoin d’une solidarité anglo-américaine et gênée par l’attitude de l’opposition travailliste, n’avait pas fait montre d’une façon équivalente à la détermination française d’affronter Nasser »32. Dans l’Express, François Mauriac déclare que la Grande-Bretagne, en dernier ressort, sacrifiera toujours la solidarité anglo-française pour sauver son lien avec les États-Unis33.

29De fait, particulièrement face à la volonté des Britanniques de restaurer dans les plus brefs délais le lien privilégié avec Washington, les relations entre Paris et Londres se distendent rapidement après la fin de la crise de Suez. Deux lettres révélatrices de Gladwyn Jebb à Selwyn Lloyd début décembre 1957 témoignent de la détérioration des relations avec la France dans l’esprit britannique : les Français, pendant et depuis Suez, « se sont accrochés de façon plutôt pathétique » à l’espoir que la Grande-Bretagne s’engage dans une « quelconque association "plus étroite" avec l’Europe ». La France voit Londres privilégier sa position d’allié « spécial » des États-Unis ; les Britanniques opposent donc tout arrangement européen à l’exception de ce qui répond à leurs besoins immédiats : « le soupçon (sûrement justifié dans le domaine atomique, mais seulement dans ce domaine) que nous désirons établir un "directorat" anglo-américain au sein de l’OTAN dont le Royaume-Uni serait le partenaire second, mais duquel la France serait totalement exclue... »34.

30Le récent échec des pourparlers entre des représentants britanniques et le général Ély sur les questions d’armements, ainsi que la décision abrupte de ne plus proposer d’informations à la France dans le domaine de la logistique des essais atomiques britanniques, ont alimenté cette inquiétude. De plus, la question du retrait des forces armées britanniques du continent sous-entend que la Grande-Bretagne compte énormément sur ses armes nucléaires pour sa défense, laissant aux Français et aux autres continentaux la fourniture de « chair à canon », sans même évoquer la position générale du gouvernement britannique vis-à-vis du Marché commun. De plus, la participation britannique aux événements en Tunisie (où elle a livré des armes) est largement perçue comme ayant encouragé les rebelles algériens. L’effet général est pour Jebb « extrêmement douloureux », car les Français (qu’il qualifie de « peuple suspicieux ») sont maintenant « plutôt convaincus que nous avons renoncé à la politique de l’ "Europe" en faveur de celle du "49e état". » L’ambassadeur essaye néanmoins d’identifier les raisons plus profondes de cette attitude : d’abord, la gravité de la situation économique en France, puis le lancement du nouveau Spoutnik qui, apparemment met en doute la supériorité stratégique des Américains (force militaire, politique et économique). Cela amène donc les Français à s’interroger sur un possible découplage entre une attaque soviétique sur le sol européen, et une intervention américaine, qui n’apparaît plus comme automatique du fait de la menace de représailles massives soviétiques désormais possibles sur le territoire américain. De plus, Eisenhower est malade, et l’opinion publique française voit le monde occidental sans leader35. Surtout, les problèmes en Afrique du Nord restent entiers36. Une présence militaire française supérieure en Algérie s’avère insuffisante : la réforme politique est essentielle aux yeux de l’opinion mondiale qui, dans l’absence de ces mesures, et face aux problèmes économiques et « manque de détermination morale » de la France, insisterait pour un retrait de l’Afrique du Nord. Jebb se demande si, étant donné ce malaise national, la France serait capable de maintenir son rang de grande puissance, « ou plus précisément, peut-être, de puissance au moins équivalente à celle de la Grande-Bretagne ? ». La réponse dépend, il continue, du maintien de sa position en Afrique, et notamment en Algérie, de sa capacité à redresser son économie, et sa capacité à débuter la fabrication de la bombe atomique (peut-être avec une collaboration allemande). La France a besoin d’aide, pour « éviter l’effet déstabilisateur sur l’Europe de façon générale » et pour financer les opérations en Algérie et ses engagements outre-mer37.

31Jebb évoque enfin la question nucléaire et affirme sa conviction que la France, « sous l’influence du nationalisme et de la fierté blessée, si ce n’est autre chose », entamera son programme militaire nucléaire, dès lors prioritaire (comme nous le verrons, le programme français est déjà fort avancé). Son programme nucléaire dépend néanmoins des conditions économiques et d’une administration forte. Massigli avait l’impression que la France se constituait petit à petit un exécutif plus fort, « ce qui est évidemment plus désirable si elle doit suivre non seulement comme grande puissance, mais même comme nation indépendante ». Enfin, Jebb évoque la possibilité du retour au pouvoir du général de Gaulle, affirmant que même s’il est maintenant considéré comme étant « une force en bout de course », il est néanmoins « difficile d’imaginer tout autre personnage public qui pourrait remplir ce rôle avec succès. En effet, le général interviendra probablement en tant que figure de proue pour établir la confiance »38.

32Toutefois, dans sa dépêche suivante, Jebb adresse à Selwyn Lloyd des propositions d’aide britannique pour faire face à ces problèmes. Il faut convaincre les États-Unis du fait qu’un gouvernement démocratique et coopératif « pourrait néanmoins, pour des raisons liées à l’apaisement de l’opinion publique, [...] procéder avec un programme militaire nucléaire », car un programme militaire nucléaire réduit, « en satisfaisant la fierté française [...] pourrait les rendre plus disposés à une coopération militaire dans d’autres domaines »39. Il propose par exemple que la proposition française de faire usage des rampes de lancement de missiles de Colomb-Béchar soit acceptée et encourage une coopération – définie avec les États-Unis – dans le domaine de la recherche. Il rappelle aussi l’importance pour la France de participer aux réunions tripartites :

La France, selon l’hypothèse actuelle, n’est pas et ne sera pas une grande puissance, même dans la mesure où nous sommes nous-mêmes une grande puissance, mais nous aurons des récompenses magnifiques si nous la considérons comme telle lors des négociations. Quelles que soient nos autres opinions, il n’y a aucun doute que son pouvoir de nuisance est immense et que nous pourrions l’ignorer seulement à nos risques et périls40.

Surtout, Jebb va demander au Foreign Office d’adopter une attitude plus favorable vis-à-vis des Français lorsque ces derniers s’entretiennent avec Washington. Sa défense de la politique suivante ne laisse pas de doute quant à l’attitude britannique :

En général, lors de nos conversations « spéciales » avec les Américains, [nous ne devons] pas nous montrer avec eux dans leur conviction, apparemment très ferme que les Français sont des passoires, désespérés et perdus, mais plutôt les encourager à tout faire pour préserver les institutions parlementaires françaises en se comportant avec les Français comme s’ils étaient étanches, sûrs et même « anglo-saxons »41.

Le Foreign Office qualifie le « malaise » décrit dans la dépêche de l’ambassadeur comme étant très réelle, et selon lui, l’opinion française est « sur le point de se réveiller face à la saignée colossale et sans espoir de la guerre d’Algérie ». La fierté française a « beaucoup plus de résistance que généralement admis [...] si cela permettait à la France d’échapper à son isolement international de façon permanente, ceci augmenterait son statut véritable et réduirait ses complexes »42.

33Le 10 décembre, Mollet se rend au Foreign Office et soulève la question de la fourniture d’armes pour la Tunisie, dont le geste britannique représentait clairement « une erreur ». L’opinion publique française a très mal réagi, et la récente détérioration des relations franco-britanniques a provoqué en France une partialité plus marquée et potentiellement dangereuse. Déjà, poursuit Mollet, on parle beaucoup de la possibilité d’une France qui ne dépendrait plus du bloc occidental, mais qui essaierait de tirer profit de sa relation avec les deux blocs, tendance établie d’abord par de Gaulle au lendemain de la guerre. Mollet lui-même a toujours donné la priorité à une association française la plus proche possible avec ses partenaires européens. Il a accepté l’Alliance atlantique « avec joie », mais l’Europe doit pouvoir faire face aux États-Unis au sein de l’OTAN, et il soutient l’idée d’une « troisième force » anticommuniste qui soutiendrait l’Occident. La France, malheureusement, reste « trop divisée et trop faible » pour prendre la tête de cette association. Par contre, la Grande-Bretagne bénéficie d’un système politique stable qui lui permettrait d’unir les pays continentaux « si seulement elle s’en approchait elle-même ». Si elle ne se rapproche pas de l’Europe, Mollet prévoit que le Marché commun prendra une position de neutralité, ou échouera, et il est prêt à tout pour voir s’établir une entité européenne dont la Grande-Bretagne fasse partie : « la préservation des valeurs européennes est [pour lui] plus importante que le socialisme », comme l’indique, ajoute-t-il, sa coopération avec Adenauer et Eden. Il parle des deux « idées maîtresses » actuelles – le communisme et l’Europe – mais pour la majorité des Français, les Britanniques donnent la priorité à leur relation avec les États-Unis. Toutefois, les Britanniques ne réalisent-ils pas où cette politique pourrait mener l’Europe ? Dans une Europe de l’Ouest neutraliste, l’Alliance atlantique n’aurait plus de valeur :

Les Américains sont un peuple formidable [...] mais leur civilisation est différente dans son essence de la civilisation d’Europe, même si bien sûr, en dernier ressort, c’est toujours l’Europe qui fournit à l’Amérique ses idées essentielles. La réalité est que les Américains sont non seulement incapables mais au fond peu disposés à assumer le rôle de leader ; c’est vers les Européens qu’ils se tournent systématiquement pour jouer ce rôle43.

Le mardi 6 novembre, jour de la décision du cessez-le-feu de Suez, Adenauer lui avait demandé : « Vous croyez vraiment que les Américains vous soutiendront si les Russes bombardent la flotte anglo-française à Suez ? » Mollet lui répond que bien sûr, jamais les États-Unis ne laisseraient choir leurs alliés européens ! Il interroge Eisenhower directement à ce sujet : « la réponse quand elle vint fut paradoxalement des plus claires » : seul en cas de cessez-le-feu immédiat les États-Unis défendraient la France et le Royaume-Uni contre les Russes. Pour le Foreign Office :

Un « directorat » anglo-américain qui imposerait sa politique à la France et aux autres membres de l’Alliance atlantique est en réalité une invention de toute pièce, sans doute, par ceux qui considéraient qu’une politique de « neutralisme » porterait maintenant ses fruits, étant donné l’augmentation importante de la puissance de l’Union soviétique et la récente et malheureuse faiblesse de la direction américaine44.

Le gouvernement britannique actuel n’a-t-il pas l’esprit le plus européen de tous les gouvernements de l’après-guerre ? D’où l’idée d’un Free Trade Area, qui permettrait l’établissement du Marché commun mais aussi l’association de la Grande-Bretagne au continent européen. Ces propos rassurent Mollet, qui avertit néanmoins son interlocuteur britannique de l’importance du calendrier : une association trop tardive de la Grande-Bretagne ne permettrait pas d’éviter une avancée communiste. Le gouvernement français propose des conversations confidentielles, avant la réunion au sommet concernant le désarmement, entre la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis, pour qu’une approche commune puisse être définie, « une seule voix » au sein de l’OTAN. Ces propositions ont déjà été envoyées aux États-Unis, et Lloyd se déclare favorable à la proposition française, à condition que les discussions restent « discrètes » :

J’ai dit également que ces consultations devraient être utiles pour dissiper tout le malaise qui s’était introduit dans les relations franco-britanniques, et qui ne me plaisait pas du tout. Alors que je n’ai certainement pas eu l’impression, lors de mes récentes conversations avec M. Pineau lorsqu’il était chez moi aux Chequers, d’un ressentiment quelconque à notre égard, il y avait toujours des gens qui avaient un intérêt dans la propagation de bruits selon lesquels les relations franco-britanniques étaient tendues45.

Il soulève, par exemple, le récent accord dans le domaine de la défense entre la France, l’Allemagne et l’Italie, accord qui, pour beaucoup d’observateurs, est « ciblé » contre la Grande-Bretagne. En décembre 1957, la France, l’Allemagne et l’Italie signent un accord sur la standardisation d’armements et la coordination de leur fabrication, y compris pour les armes nucléaires – même si pour respecter les accords de Paris les armes nucléaires ne seront pas fabriquées en Allemagne fédérale. Cet accord a pour but la préparation du partage de la production en matière d’armements prévu dans le cadre de l’OTAN, les pays concernés étant moins avancés que les États-Unis et le Royaume-Uni (notamment pour des rampes de lancement). Chauvel affirme que son gouvernement prévoit, avec l’accord de l’Allemagne et de l’Italie, une déclaration à ce sujet à l’UEO et à l’OTAN, pour préciser que l’accord « doit être perçu dans le contexte d’accords bilatéraux existants » et qu’il s’adapte parfaitement à l’organisation actuelle. Il s’agit donc plutôt d’« un complément aux arrangements existants dans le domaine de la défense entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne, et la Grande-Bretagne et la France ». Lloyd estime que la déclaration prévue contribuera à dissiper la spéculation sur la nature de cet accord, qui se placera dans le cadre de l’Union de l’Europe occidentale.

34Le 14 février, Mollet rend visite à Selwyn Lloyd. La Tunisie et l’Algérie sont évoquées, mais c’est surtout la détérioration des relations franco-britanniques qui préoccupent les deux hommes. Lloyd estime que le gouvernement français travaille « contre » la Grande-Bretagne, en ce qui concerne l’Allemagne et aussi la Free Trade Area. Effectivement, Mollet constate également une « détérioration malheureuse » des relations entre les deux pays, qui pour lui a commencé le 6 novembre 1956, au moment de l’ordre du cessez-le-feu à Suez, et qui dès lors n’a cessé de croître. L’« incident » de la fourniture d’armes à la Tunisie illustre le sentiment très répandu en France : pour l’opinion publique française, les Britanniques adoptent une politique « égoïste » qui place ses intérêts « devant la France »46. Mollet qualifie cette attitude de « tout à fait indéfendable » : au contraire, les propos britanniques vis-à-vis du Free Trade Area, dont le but n’est pas de « détruire » le Marché commun, sont pour Mollet sincères, lui-même « un anglophile bien connu » qui, à travers ses propos sur les affaires étrangères depuis de nombreux années, a toujours su rendre hommage à la Grande-Bretagne. Cependant, il est conscient à cette date d’une certaine réticence de son opinion publique à l’égard de ce type de déclaration. Néanmoins, il affirme son intention d’oeuvrer pour une amélioration des liens entre les deux pays, tout en précisant qu’il n’a pas pour le moment de « suggestions spécifiques » pour y parvenir47.

35Le mois suivant, un dîner militaire franco-britannique à Londres réunit le général Ély, M. de Courcel, Sir William Dickson et l’amiral Sir Michael Denny. Dickson, au cours d’une conversation avec Ély, affirme le désir britannique de soutenir la France en Afrique du Nord. Frank Roberts48, qui organise le dîner, s’entretient avec le général Ély et M. de Courcel49, d’abord sur la question d’un pacte en Méditerranée occidentale : les deux Français « très réservés et même critiques » considèrent qu’un tel pacte n’apporterait rien de positif à la puissance militaire occidentale – au contraire, un pacte de ce genre risquerait d’encourager des visées soviétiques en Méditerranée et de provoquer une hostilité encore plus marquée de la part de Nasser et des Arabes en général. Pour M. de Courcel, les problèmes actuels rencontrés par les puissances occidentales au Moyen-Orient sont la conséquence directe du pacte de Bagdad, et il n’a aucune intention de recommencer avec un pacte défensif en Méditerranée, région « encore plus délicate ». Roberts note que :

Même si lui-même et Ély étaient trop polis pour le dire ouvertement, leurs remarques concernant la provocation constituée par des interventions extérieures indésirables se porteraient sur les Russes, mais également je pense sur les Américains et sur nous-mêmes. Ils voyaient plus d’avenir dans le type de regroupement économique suggéré par M. Gaillard, fondé par exemple sur l’exploitation du Sahara. Ils n’ont pas répondu à ma suggestion plutôt tentante d’un pacte méditerranéen, dont les détails restaient à définir, et qui pourrait contribuer à trouver une solution aux difficultés actuelles de la France en Afrique de Nord50.

Dans ces conditions, Roberts anticipe une attitude similaire de la part de Chaban-Delmas, et donc une hostilité du ministère de la Défense nationale en France. Ély parle surtout des conséquences de la situation financière française sur la politique de défense : les forces aériennes, et non pas la Marine nationale, comme l’estimait Roberts, en seraient les principales victimes. La Marine doit ralentir son programme de modernisation, mais c’est un programme déjà bien entamé ; alors que l’armée de l’Air souffrirait de réductions sévères en avions nouveaux mais aussi en moyens humains. Ély partage le point de vue de Montgomery, à savoir que malgré les nouveaux missiles, des bombardiers seront indispensables pendant encore dix ans, et même plus longtemps51. Roberts note que les « sujets délicats » des armes nucléaires ou de la coopération entre la France, l’Allemagne et l’Italie ne sont pas abordés par les Français : « J’ai explicitement évité de mentionner ceci, puisque notre politique au sein de l’OTAN et de l’UEO est de rester muet et de laisser les trois pays se sortir du désordre dans lequel ils sont entrés à l’aveuglette52. »

36Les deux pays admettent donc une détérioration dans leurs relations, notamment parce que la France se retrouve en position de faiblesse vis-à-vis de son voisin britannique, ne disposant pas de l’arme atomique. Cette situation lui pose en effet deux problèmes. Elle peut potentiellement être ravalée au rang de simple fournisseur de forces conventionnelles sur le champ de bataille du centre-Europe. Elle n’a aucun moyen d’influencer la mise en œuvre des frappes atomiques par les Américains ou les Britanniques, ce qui est particulièrement grave puisque la volonté des États-Unis de déployer des IRBM53 sur le sol français pourrait entraîner en cas d’usages de ces missiles des représailles soviétiques massives sur son propre territoire.

La question nucléaire

37Deux ans après la première explosion d’une bombe A britannique, la réunion des ministres du Pacte atlantique en décembre 1954 conclut que la « la politique soviétique ne donne aucune raison de croire que la menace faite au monde libre a diminué »54. Le Defence White Paper pour 1955 souligne l’effet dévastateur des bombes H et rappelle l’intention du gouvernement britannique d’en fabriquer. Les États-Unis ont maintenant communiqué des informations relatives au test d’une bombe thermonucléaire à Eniwetok en novembre 1952, bombe beaucoup plus puissante que celles de Nagasaki et Hiroshima ; le 1er mars une bombe thermonucléaire encore plus puissante est testée aux îles Marshalls ; il n’y a donc « aucune limitation technique ni scientifique à la production d’armes nucléaires même plus puissantes que celles-ci ». Potentiellement, la question de la bombe atomique peut difficilement être acceptée par l’opinion britannique. Ainsi, le rapport la qualifie de force de dissuasion « considérable [qui] a diminué de façon significative le risque de guerre à grande échelle »55. Cependant, les armes thermonucléaires ainsi qu’une défense aérienne stratégique doivent être complétées par des forces conventionnelles, en tant que « bouclier » pour décourager toute tentative d’invasion communiste en Europe. Pour garantir une dissuasion efficace, mais aussi pour pouvoir se défendre au cas où les négociations pour la paix échouent, les forces britanniques doivent être renforcées avec celles de leurs alliés, équipées et formées56.

38La Grande-Bretagne signe le 15 juin 1955 un accord de coopération avec les États-Unis sur les utilisations civiles de l’énergie atomique, d’une durée de dix ans. Cet accord comprend des échanges d’informations sur les réacteurs militaires générateurs d’énergie et, depuis l’amendement du 13 juin 1956, sur les réacteurs militaires pour la propulsion navale, aérienne et terrestre. Des arrangements particuliers sont également permis pour l’échange de matières nucléaires spéciales (par exemple, l’échange de plutonium-uranium 235). Cet accord représente des économies considérables dans le domaine de la recherche et permettra l’accélération de la construction britannique d’un sous-marin atomique. Les États-Unis bénéficieront du succès des recherches britanniques dans l’étude des phénomènes de fusion atomique ; la Grande-Bretagne a désormais un statut de chercheur reconnu dans le domaine nucléaire. Cependant, selon une note du Quai d’Orsay de septembre 1956, cet accord ne garantit pas une totale collaboration, car il ne prend pas en considération les échanges d’informations sur la fabrication d’armes atomiques : « il ne serait pas surprenant qu’une fois que ce premier succès aura été digéré, l’opinion publique anglaise et d’importants secteurs du Parlement ne recommencent à réclamer la collaboration totale dont l’Angleterre a déjà depuis dix ans la nostalgie »57. La France, elle, signe un accord avec les États-Unis le 19 juin 1956 qui prévoit la fourniture par les Américains à la France d’un maximum de 40 kilogrammes d’uranium 235 (à chaque commande), quantité demandée par les Français et renouvelable58.

39Les questions nucléaires sont abordées lors d’un débat le 11 mars à la Chambre des communes. Le Gouvernement britannique est convaincu que seul un accord de désarmement peut réduire la tension internationale, et Lloyd estime que ces conversations du mois suivant doivent trouver un accord à cette fin, peut-être « la première phase d’un programme plus ambitieux ». L’ambassadeur français à Londres note que :

Ces propos donnent une idée exacte de l’attitude que M. Lloyd paraît avoir adoptée à l’issue de ses entretiens avec M. Jules Moch : la délégation britannique présenterait avec la nôtre un plan général couvrant l’ensemble du problème de désarmement et déterminant ses étapes ; elle s’efforcerait, d’autre part, de proposer un accord sur la première phase de ce plan, vraisemblablement en déposant des propositions inspirées, notamment en matière de niveaux d’armements, de celles que le Foreign Office nous a récemment communiquées59.

Pour la Grande-Bretagne, en l’absence d’un accord de désarmement, la sécurité de l’Ouest dépendra toujours de l’OTAN et de la dissuasion nucléaire. Néanmoins, le Gouvernement britannique attache une certaine importance à l’UEO, grâce à laquelle un système de contrôle d’armements pourrait être mis en place et « dont l’adoption serait un grand pas en avant vers le règlement des problèmes franco-allemands »60.

40Cependant, la volonté des Britanniques de soutenir une conférence sur le désarmement (lié à une éventuelle réunification de l’Allemagne) n’est pas fortuite pour la France. Les négociations prévoient en effet une limitation, voire une interdiction, des essais nucléaires. Or, la France doit disposer de temps pour mener à bien ses recherches afin de disposer de l’arme atomique. Le programme français a en effet été lancé entre 1954 et 1958 sous la houlette de Pierre Mendès France, Edgar Faure et Guy Mollet. Le programme bénéficie de l’appui de deux hommes, le général Ailleret qui, de 1952 à 1957, occupe le poste de commandant des armes spéciales de l’armée de terre, et Félix Gaillard, chargé des problèmes atomiques dans quatre gouvernements français d’août 1951 à juin 1953. Ce dernier a mis en place, avec Francis Perrin (directeur du Commissariat à l’énergie atomique), un plan de cinq ans prévoyant le développement de l’énergie nucléaire pacifique, mais qui laisse également la porte ouverte aux études permettant la mise en place d’un armement atomique.

41En mars 1956, Mollet se rend à Londres, où il soulève deux problèmes à résoudre afin de rapprocher les positions françaises et britanniques sur le désarmement : l’élaboration d’une politique franco-britannique, puis l’accord américain pour utiliser cette politique comme base de discussion. Macmillan partage son point de vue, mais souhaite modifier quelques points dans le projet français, afin que la fabrication d’armes nucléaires, ainsi que les essais nucléaires militaires puissent être intégrés dès le début de la dernière phase du plan, et non pas à la fin de la deuxième phase, comme le prévoit le projet actuel. Les deux hommes s’accordent sur une version qui formera la base de discussions avec les Américains. Mollet rappelle que pour l’opinion française, le désarmement est « le moyen de progresser vers la sécurité, pas du tout vers le neutralisme. C’est le moyen par lequel les puissances occidentales peuvent retrouver l’initiative dans les affaires internationales et, en même temps, faciliter la solution du problème allemand »61.

42Fin juin 1957, Chauvel confie à Lloyd que le Premier ministre lui avait récemment parlé de la possibilité de placer les discussions de désarmement62 sous l’égide d’une conférence entre les quatre ministres des Affaires étrangères. Il avait mentionné aussi la possibilité d’un « lien atomique » entre la Grande-Bretagne et ses alliés de l’UEO, propositions auxquelles ses collègues français, y compris Pineau, se sont montrés « très réceptifs ». Chauvel est d’ailleurs très optimiste en ce qui concerne les accords anglo-américains sur la proposition d’armes atomiques pour l’UE063.

43Il est clair que la politique de défense britannique au printemps 1958 donne toujours la priorité au développement d’une dissuasion nucléaire. Les experts prévoient que dans un an ou deux, des armes atomiques tactiques feront naturellement partie de la force de frappe moderne en Europe de l’Ouest comme à l’Est, et que l’idée d’en éviter les conséquences indescriptibles pour l’utilisation des armes conventionnelles ne fait qu’augmenter les chances d’une confrontation nucléaire. Ramsbotham (Foreign Office), dans une note adressée à Pemberton-Pigott (ministère de la Défense) sur les MC70 et le débat sur les questions de défense, affirme que :

Même s’il apparaît peu satisfaisant d’être incapable de concevoir une stratégie pour limiter une guerre en Europe avec ces armes affreuses, je crois toujours que le meilleur espoir d’éviter une telle guerre est de perfectionner notre propre force de dissuasion, au regard de sa crédibilité vis-à-vis des Russes et aussi des circonstances inconnues dans lesquelles cette force de dissuasion pourrait être utilisée64.

Il rappelle la politique de Dulles d’il y a deux ans de « représailles massives », politique qui ne pouvait constituer une dissuasion efficace. Il propose une stratégie de l’avant, dont le bouclier peut couvrir tout le front, identifier les agressions potentielles, dissimuler des problèmes locaux ou frontaliers et, surtout, confirmerait à l’URSS la possibilité « de commencer quelque chose qui finirait certainement avec des échanges nucléaires massifs ». Il rappelle également des aspects économiques non négligeables :

Comme vous, je crois certainement que nous devrions avoir un bouclier aussi important et efficace que nous pourrions nous le permettre, mais pas seulement pour les raisons mentionnées ci-dessus. Il me semble que la question « pouvons-nous nous le permettre », qui gouverne aussi la sélection d’armes que nous devrions mettre dans notre arsenal, est un élément aussi déterminant dans l’élaboration d’une stratégie efficace que toute estimation que nous pouvons faire des intentions soviétiques et des formes possibles d’agression soviétique en Europe65.

Les discussions continuent, et en octobre 1957, Chauvel et Lloyd évoquent de nouveau et discutent de la visite de Macmillan à Washington : les États-Unis « désirent sincèrement plus d’interdépendance parmi les pays du monde libre », désir qui pour Lloyd résultait peut-être du lancement du satellite soviétique, « et peut-être aussi à la prise de conscience qu’après avoir dépensé beaucoup d’argent pour le monde libre, les Etats-Unis avaient été très peu remerciés »66. D’après Lloyd, les Américains sont parfaitement conscients du fait que les États-Unis disposent de la majorité des armes nucléaires du monde libre, armes qu’ils sont prêts à partager avec la Grande-Bretagne et avec d’autres « pays libres ». Face à la nouvelle technologie soviétique, les questions de sécurité (fuites...) ont moins d’importance ; de plus, les Américains sont également conscients du potentiel scientifique de l’Europe. Les conversations anglo-américaines à ce sujet continueront jusqu’au mois de décembre (date de la réunion du Conseil de l’OTAN), les Américains désirant discuter avec les chefs des gouvernements concernés lors d’une réunion du Pacte atlantique67.

44Pour Chauvel, la question de coopération dans ce domaine doit être précédée par un changement de la loi MacMahon68. Lloyd considère que ce serait « une erreur » de parler trop souvent de la loi MacMahon, puisque les Américains sont conscients qu’une modification est possible, « bien qu’il ne puisse peut-être pas obtenir tout ce qu’ils auraient désiré »69. Chauvel affirme que les Français préparent leur dossier pour la réunion de l’OTAN en décembre, et insiste sur la nécessité de développements institutionnels en dehors de l’OTAN pour gérer cette coopération70.

45Le 1er novembre 1957, Selwyn Lloyd donne une conférence de presse sur la conférence de Washington dont l’objectif principal était de donner « plus de vie et de substance » à l’Alliance atlantique. D’ailleurs, il qualifie le problème de « club atomique » de « faux problème » : dorénavant, la France et l’Allemagne seront associées aux recherches dans le domaine nucléaire et vont coopérer sur la recherche et la mise au point de missiles balistiques. Par conséquent, Chauvel parle d’« espoirs sérieux » de voir modifier la loi MacMahon : « l’Angleterre fonde là-dessus de grands espoirs car, en raison de son avance dans le domaine nucléaire, elle est en position privilégiée pour bénéficier de toute modification éventuelle de la loi de 1946 »71. À la veille de la réunion de l’OTAN de décembre 1957, la Chambre des communes est toujours tenue dans l’ignorance des propositions britanniques, Macmillan et Lloyd ayant refusé de les dévoiler, et doit attendre le compte rendu de la conférence le 21 décembre. Macmillan a justifié seulement l’accord britannique aux propositions américaines portant sur les engins balistiques à portée moyenne. « Il s’est défendu de renoncer, au profit des Américains, au droit de décider de l’usage des armes nucléaires, et par conséquent de décider non seulement de la paix ou de la guerre, mais encore de la forme et de l’intensité d’une guerre éventuelle72. »

46À la veille du changement de régime politique en France, deux questions se posent donc aux dirigeants français. La France souffre d’une position de faiblesse non négligeable dans ses relations avec les Anglo-Saxons qui possèdent tous les deux l’arme atomique. Cette faiblesse apparaît clairement dans les négociations pour le désarmement, et la limitation des essais nucléaires qui peuvent, si elles sont menées à leur terme, empêcher la France de mener à bien les expérimentations nécessaires pour « qualifier » l’arme. Ensuite, le développement des armes de destructions massives et des missiles balistiques pose le problème du degré d’intervention des Américains dans un éventuel conflit en Europe : la menace de destructions massives sur leur propre territoire pourrait en effet faire hésiter les Américains dans l’utilisation de vecteurs atomiques pour défendre l’Europe. Cette double problématique amène les dirigeants français à prendre la décision décisive d’entreprendre le développement de l’arme atomique : le 11 avril 1958, Félix Gaillard donne l’ordre d’entreprendre le développement de l’arme atomique française dont la première explosion doit avoir lieu en 1960. Cette décision, nous le constatons, revêt donc autant une signification militaire que politique, ce qui différencie la position française en matière nucléaire de la position britannique73.

De Gaulle : une nouvelle politique ?

47De Gaulle a quitté le pouvoir en 1946. Ses conceptions en matière de politique étrangère et plus particulièrement de politique et de défense européennes n’évoluent pas fondamentalement pendant son passage dans l’opposition. Les principaux thèmes se retrouvent par exemple dans un discours du 4 décembre 1954, dans lequel le général donne son approbation aux accords de Paris à trois conditions. Il demande en premier lieu, une « négociation clairement définie » pour étudier la possibilité d’une détente internationale, c’est-à-dire la limitation et l’inspection de toutes les sortes d’armement. Si cela s’avère impossible, tout moyen, y compris le réarmement allemand, doit être utilisé pour garantir la sécurité « et, si nécessaire, la victoire » de l’Ouest et de la France. Mais si un accord est possible, un modus vivendi doit être conclu pour que l’unité, la sécurité et la souveraineté de l’Allemagne soient garanties par un statut international. La France, avant tous les autres, est qualifiée pour initier ces négociations, en raison de la menace allemande et du Traité franco-soviétique. En second lieu, de Gaulle propose la réorganisation de l’OTAN afin d’« enlever les désavantages dont la France souffre dans l’organisation actuelle ». À cette date, elle ne contrôle ni son armée ni sa propre politique en ce qui concerne les urgences en Indochine ou en Afrique du Nord ; elle n’a pas d’armes atomiques, et elle doit s’opposer à ce que les États-Unis distribuent comme ils le souhaitent des armes aux nations libres, ce qui va à l’encontre de l’idée de la « solidarité européenne ». Enfin, le général souhaite que l’avenir de la Sarre soit « définitivement réglé », c’est-à-dire sa séparation politique de l’Allemagne et son union économique avec la France. L’accord récemment conclu entre la France et l’Allemagne est « satisfaisant », mais doit être appliqué, sans que son interprétation suscite des « controverses ». Dans ce contexte, une garantie anglo-américaine s’avère inutile, et risque même de compliquer la situation. Cette politique, conclut de Gaulle, aura le mérite de restituer à la France son prestige ; mais elle est impossible dans le contexte du régime actuel (de la IVe République) qui, à terme, engloutira Mendès France, malgré son courage et ses méthodes nouvelles. De Gaulle se réserve une intervention quand la gravité de la situation le nécessitera74.

48Son discours provoque de nombreuses réactions dans la presse française, qui fait référence à un « nouveau de Gaulle » qui se rapproche du gouvernement, et qui permettra la ratification des accords. Le Monde parle d’une réunion entre un nouveau de Gaulle et un nouveau Rassemblement :

Ce nouveau de Gaulle est moins pessimiste dans son analyse de la situation politique actuelle [...] bien que son mépris du « système » demeure inchangé, il rendit hommage à Mendès France. Il est aussi allé plus loin que la simple politesse, puisque avant tout, il s’est abstenu de causer tout embarras au Gouvernement75.

De fait, les grands thèmes évoqués dans ce discours vont se retrouver dans les premiers mois suivant l’arrivée de de Gaulle au pouvoir.

juin 1958 : le général de Gaulle revient au pouvoir

49Le retour de de Gaulle au pouvoir provoque de nombreuses interrogations en France76 comme en Grande-Bretagne, et le Foreign Office est soucieux de confirmer au nouveau Président du Conseil l’amitié de la Grande-Bretagne, « pour faire ressentir à de Gaulle que nous et les Américains, nous l’acceptons comme ami et allié, et pour l’empêcher de se lancer tout de suite dans des politiques qui pourraient nous être déplaisantes »77. Le 3 juin 1958, à la veille du voyage du général de Gaulle en Algérie, Macmillan propose que les deux hommes se rencontrent pour discuter des questions internationales du moment, ajoutant que le contact personnel ainsi qu’une discussion franche sont les seuls moyens d’éviter « des malentendus et de la mauvaise interprétation » et en exprimant « toute notre solidarité » en ce qui concerne le règlement du problème algérien78. Ses messages sont bien accueillis par de Gaulle qui, quelques jours plus tard, se déclare également « profondément touché » par le message de Churchill : « Dans la lourde tâche que j’ai à assumer, j’aurai à cœur de maintenir et de développer les relations d’amitié qui unissent la France à la grande et noble Angleterre et que nous avons naguère pratiquées ensemble dans les années glorieuses et difficiles79. »

50Notons toutefois que le projet de message de Macmillan contient des paragraphes supplémentaires relatifs à des questions précises qui n’ont pas été intégrés dans le texte finalement envoyé, par exemple, la réalisation du Free Trade Area, et l’idée d’interdépendance : « il est nécessaire pour les partenaires les plus forts de l’alliance d’accepter quelque degré de dépendance vis-à-vis de leurs alliés. C’est ce concept d’interdépendance qui, je l’estime, devrait nous guider dans notre tentative de former le nouveau modèle du monde libre »80.

51Lors d’une conversation avec Hoyer-Millar le 4 juin 1958, Chauvel renouvelle les assurances déjà données à Paris sur la pleine adhésion française aux organisations internationales, telles que l’OTAN ou le Marché commun ; de Gaulle ne prévoit pas de grands changements de la politique française dans ce domaine, ce qui rassure le Foreign Office. Chauvel se réjouit de la nomination de Couve de Murville, le nouveau ministre des Affaires étrangères, apprécié à Washington et bien considéré par les Allemands ; Couve de Murville étant « en très bons termes avec le général de Gaulle, dont il a la confiance totale », ce qui devrait faciliter le déroulement des affaires au Quai d’Orsay, le général « n’étant pas la personne la plus facile à gérer en matière de politique étrangère »81.

52Une semaine plus tard, le lendemain du débat à la Chambre des communes sur le désarmement, Chauvel et Selwyn Lloyd discutent de la suspension des essais nucléaires : d’après Couve de Murville, le général « insisterait sur le développement de la bombe française ». Pour Selwyn Lloyd, Chauvel « doutait que quelque chose puisse arrêter le général de d’exécuter son projet actuel », mais soulignait la fermeté américaine en ce qui concerne les informations relatives à l’arme atomique : de Washington dépendrait la communication ou non des avancées scientifiques82. Lloyd rappelle que le gouvernement britannique propose de suspendre les essais atomiques ainsi que la fabrication de bombes, à condition que l’URSS limite quant à elle la fabrication de matériels fissiles (cf. les propositions du mois d’août) : « À mon avis il fallait aller à la réunion au sommet, et se préparer à en extraire le meilleur compromis possible... »83 Chauvel confirme que de Gaulle ne mettrait pas en cause les obligations françaises actuelles vis-à-vis des traités : « Il n’était peut-être pas personnellement très enthousiaste en ce qui concerne quelques institutions européennes, mais il était peu probable qu’il souhaiterait les contrecarrer84. »

53Chauvel rencontre le général fin juin, et le trouve « en bonne condition physique », il semble s’être « adouci ». De Gaulle se montre pro-européen, tout en restant très critique à l’égard des institutions européennes telle que l’EURATOM, institutions qui, à ses yeux, « ne suffisent pas » : il manque à l’Europe un élément politique. Sur la réunion au sommet, il se déclare intéressé par le plan Rapacki, non pas pour le plan lui-même, « mais parce qu’il a été proposé par un Polonais », et confirme que le développement d’opportunités avec les satellites soviétiques lui semble « impossible » ; enfin, il soutient l’unité allemande sans conviction. A l’issue de cet échange, Chauvel s’entretient avec Macmillan et lui présente les idées du général, pour qui la structure politique de l’OTAN n’a pas su suivre la transformation de la structure militaire suite à l’avènement des armes atomiques. De Gaulle a l’intention de discuter la question d’armes atomiques tactiques et stratégiques avec Macmillan, « bien que ce soit un sujet qu’il pourrait d’abord plutôt aborder avec M. Dulles », ce qui représente pour Macmillan une situation plutôt ironique : de Gaulle souhaite faire partie de la course aux armes atomiques au moment où Macmillan désire l’abandonner, et il rappelle le coût extrêmement élevé de la fabrication de ces armes (tout en indiquant à Chauvel que ce sont des propos qu’il ne tiendra pas au général de Gaulle). Sur les concepts stratégiques de l’OTAN, Macmillan partage l’avis du général :

L’idée d’armées importantes en Europe est ridicule. En ce moment l’armée française se trouve en Algérie, mais quand elle reviendra, elle reviendra dans l’OTAN comme si c’était donc un problème qui affectait énormément les Français. Dans les conditions actuelles, les armées importantes sont extrêmement coûteuses et il est peu probable que cela soit justifié85.

Le 24 juin, Selwyn Lloyd envoie un télégramme à Jebb, afin de lui communiquer les intentions de Macmillan avant sa visite à Paris quelques jours plus tard, et rappelle que les Britanniques n’ont « rien à négocier » pendant la visite, et que Jebb, lors de sa deuxième rencontre avec de Gaulle prévu le lendemain, ne doit pas trop « s’impliquer ». Néanmoins, Macmillan et Lloyd désirent connaître l’avis du général sur les problèmes internationaux actuels et sur la question de l’avenir de l’OTAN. D’après Frank Roberts, de Gaulle pourrait demander plus de pouvoir dans la structure de commandement de l’OTAN :

Malgré son ressentiment instinctif vis-à-vis de l’idée d’une souveraineté française atténuée par l’appartenance de la France à cette Communauté, ce qui se rapproche beaucoup des réserves que nous avons toujours eus sur une association trop étroite à la Communauté, nous ne lui donnerons néanmoins aucun encouragement laissant à penser que nous serions solidaires de toute tentative de détruire ce qui a été créé avec tant de difficulté86.

Le lendemain, Chauvel informe Selwyn Lloyd que de Gaulle estime que l’Alliance atlantique est mal adaptée à la situation actuelle, et qu’il considère que la France n’est pas assez impliquée dans l’organisation stratégique de l’OTAN. La zone de libre-échange pourrait être discutée lors des conversations prévues le 3 juillet entre Couve de Murville et le Paymaster-General ; de Gaulle n’est apparemment pas encore parfaitement au courant des développements du Marché commun et de la zone de libre-échange. En ce qui concerne l’Algérie, les intentions du général ne sont pas connues de ses ministres ; enfin, Chauvel exprime l’espoir que l’accord franco-tunisien sera suivi d’offres d’aide économique et aussi d’armements de la part de la France (la Grande-Bretagne ne désire pas répondre à d’éventuelles demandes d’aide de la Tunisie). De Gaulle se rend en Algérie avec Mollet « pour montrer en France son soutien politique et en Algérie sa détermination de vaincre l’opposition ». Chauvel rappelle le peu de soutien pour de Gaulle au moment de sa conférence de presse à Paris, quand le public était anti-parlementaire ; maintenant, il existe « un sentiment populaire très fort en faveur du général de Gaulle. Par conséquent, les députés disent qu’ils sont très contents d’avoir voté pour lui »87.

54Jebb rencontre de Gaulle le soir même. Le général est « évidemment débordé de travail » mais écoute l’ambassadeur « très courtoisement » et approuve la liste de sujets élaborée par Macmillan ; les deux hommes discutent d’abord de la conférence au sommet à quatre, négociations que de Gaulle désire voir se poursuivre même si les chances de réussite sont faibles. Il indique que dans sa réponse à la note de Khrouchtchev, il a insisté sur l’importance de progresser dans le domaine du désarmement, c’est-à-dire dans tout ce qui recouvre le désarmement : avoir des conversations qui portent uniquement sur la suspension d’essais nucléaires n’a pas de sens ; il faut un système de désarmement le plus complet possible.

55Faisant référence à l’OTAN, de Gaulle espère que ses « quelques critiques précises » entraîneront des réformes : d’abord, le « monopole anglo-saxon », une guerre nucléaire pouvant être décidée seulement par les États-Unis et la Grande-Bretagne, situation que la France déplore. Il est désormais certain que la France aura très rapidement sa propre bombe atomique (il a vu les responsables du projet d’atome militaire le matin même), et de Gaulle, confirmant son intention d’aborder cette question avec Dulles, montre néanmoins la volonté d’en discuter avec Macmillan. Deuxièmement, le général marque son opposition à l’installation de rampes de lancement de missiles sur le territoire français, à moins que ces missiles restent sous contrôle français, peut-être en collaboration avec les États-Unis. De façon générale, le rôle de la France doit être plus marqué dans le domaine de la défense conventionnelle au sein de l’OTAN (elle est actuellement « gênée par la nécessité de maintenir des forces si importantes en Algérie »). Il tient à rassurer son interlocuteur sur le problème algérien qui « sera réglé d’une manière ou d’une autre »88.

56Sur l’Europe, Jebb affirme qu’il ne s’agit pas de retour en arrière sur une quelconque décision française, ni « de répudier des faits accomplis »89. De Gaulle répond par l’affirmative, « mais quels sont ces faits accomplis ? » Certainement pas la CECA, qui a peu de signification ; l’EURATOM non plus ; il reste donc le Marché commun, dont l’importance est « évidente », et avec laquelle la France « sera obligée de s’accommoder ». De Gaulle comprend les préoccupations britanniques en ce qui concerne l’association de la Grande-Bretagne avec le Marché commun, et « semble accepter » l’assurance de l’ambassadeur britannique que la Grande-Bretagne ne désire absolument pas détruire le Marché commun, mais seulement trouver un accord sur la coopération économique entre les Six et la Grande-Bretagne. Jebb soulève la question du Moyen-Orient, et affirme (« au risque de vous déplaire ») que malheureusement le problème algérien rend toute coopération franco-britannique au Moyen-Orient « extrêmement difficile » : les Arabes ont plutôt tendance à considérer la France comme « protectrice principale » de l’État d’Israël. Ce sont des propos qui ne plaisent pas au général : si la Grande-Bretagne et les États-Unis s’engagent au Liban, la France interviendra également ; pour lui c’est « un constat de faits » ; il ne donnera pas son aval à d’autres possibilités : la France a toujours « un intérêt considérable » au Moyen-Orient, ses alliés ne devraient pas l’empêcher de les protéger. Jebb suggère que la question soit discutée entre de Gaulle et Macmillan. Enfin, sur l’Algérie, Jebb confie à de Gaulle l’intérêt « profond » de Macmillan en ce qui concerne les intentions du général de Gaulle pour la résolution de ce conflit : « J’ai ajouté qu’il me semblait que le général était le seul qui pourrait mettre en place un new deal en Algérie et s’il y arrivait, j’étais convaincu que nous lui donnerions tout notre soutien. » De Gaulle répond « quel soutien ? », et Jebb donne l’exemple de « l’influence considérable » de la Grande-Bretagne aux Nations unies. De Gaulle, pour qui l’ONU n’a pas une grande importance, admet néanmoins que les Britanniques pourraient éventuellement être « utiles » dans ce domaine90. Dans un télégramme à Macmillan le jour même, Jebb écrit :

Le général était beaucoup moins mélancolique que la dernière fois que je l’avais vu, mais de manière générale montrait moins de charme et moins de désir de plaire et était considérablement plus ferme sur tous les sujets. Ses opinions sur l’OTAN sont clairement moins désastreuses que l’on me l’avait indiqué lors de notre rencontre en mars dernier, et je pense qu’il n’est pas du tout nécessaire de penser que les pensées sombres qui, dans une humeur de frustration viennent dans l’esprit d’un grand homme d’État dans l’opposition, soient nécessairement celles qui lui viendront à l’esprit lorsqu’il sera de nouveau au sommet. Cependant, il est évident qu’en ce qui concerne le programme atomique français, les rampes de lancement de missiles, le Moyen-Orient et peut-être (mais je ne crois pas que ce soit nécessairement le cas) l’Europe, des difficultés nous attendent91.

Les conversations franco-britanniques de juin et juillet 1958

57Un mémorandum du Foreign Office à l’attention de Macmillan à la veille de ses conversations avec le général de Gaulle rappelle que la stratégie de dissuasion nucléaire de l’Alliance, critiquée par le général, fut réaffirmée de façon « claire et unanime » à la réunion des ministres de la Défense le mois précédent (particulièrement pour les forces nucléaires de dissuasion anglo-américaines, ainsi que pour les forces conventionnelles, soutenues par des armes nucléaires tactiques). Il y a, il est vrai, des différences d’opinion quant au degré de dissuasion, en cas d’agression locale ou infiltration hostile, mais la réunion a affirmé le besoin d’une dissuasion la plus efficace possible. La décision d’utiliser ou non les armes nucléaires par les États-Unis ou la Grande-Bretagne est une décision propre à ces deux pays (« nous espérons que nos Alliés nous feront confiance en ce qui concerne l’utilisation de ces armes »), mais toute tentative de définition des circonstances d’usage doit être évitée. En attendant que d’autres pays continentaux et pays du SACEUR puissent être associés à ces décisions, rien n’est encore défini, « et puisqu’elle n’est pas satisfaisante pour la France, il serait mieux d’éviter toute discussion dans la mesure du possible »92.

58La France a actuellement deux commandants au sein de la structure de commandement de l’Alliance, contre trois Américains et trois Britanniques. Mais aux niveaux moins élevés, le nombre de commandants français s’élève à un sur 23, contre six Britanniques, ce qui reflète à la fois la distribution géographique, et aussi la contribution limitée de la France à la défense de l’OTAN93. Le Foreign Office rappelle que le SACEUR souhaite disposer du contrôle de l’installation de sites IRBM (rampes de missiles balistiques) en France94. Le Foreign Office reconnaît également que de Gaulle préférerait un accord similaire à celui des Américains, « au lieu d’accepter ce qui pourrait sembler être l’alternative inférieure », des sites français sous le contrôle du SACEUR : la réponse officielle britannique doit être « prudente [...] sans s’engager ». Le Foreign Office ne veut pas inciter la France à prendre une position indépendante vis-à-vis du SACEUR, toutefois, « nous ne souhaitons pas sembler les inciter à accepter un accord inférieur au nôtre »95. Sur la question d’armes nucléaires françaises, le mémorandum poursuit :

Les Français pourraient nous demander de l’aide pour leur programme d’armements. Nous nous sommes mis d’accord avec les États-Unis afin de ne rien faire pour avancer le programme français, et le Premier ministre pourrait détourner les demandes d’aide françaises en suggérant qu’ils s’adressent aux Américains qui sont les « partenaires seniors » dans les affaires atomiques ; il pourrait aussi les décourager en faisant référence au coût élevé d’un programme d’armement nucléaire.
Notre relation avec les Américains dans le domaine de la défense atomique est déjà étroite et le deviendra encore plus, dès que le nouvel accord bilatéral prendra effet. Ceci rend très difficile pour nous une aide aux Français dans ce domaine, même si nous le désirions réellement96.

Les propositions de suspendre les essais nucléaires sont également évoquées ; la France, étant moins avancée dans le développement des armes atomiques, oppose tout arrêt d’essais nucléaires et semble « encore plus déterminée que les autres » à lier cela à d’autres formes de dissuasion, ce qui rend donc la suspension d’essais impossible. Depuis les discussions du sous-comité de dissuasion de septembre 1957, les échanges franco-britanniques à ce sujet ne sont plus qu’« intermittents », et le gouvernement britannique se rapproche de la position américaine. Les représentants français sont ignorants (« mais ils le soupçonnent fortement ») du fait que Britanniques et Américains soient « virtuellement d’accord pour relâcher le lien entre une suspension des essais nucléaires et d’autres mesures de désarmement »97.

59Le Foreign Office ne se fait donc aucune illusion sur la détermination de de Gaulle à maintenir le programme français d’armes nucléaires. Lors d’une conversation le 23 juin avec Gladwyn Jebb, Maurice Schumann avait déclaré que « la seule difficulté réelle » qui risquait de se produire pendant les conversations entre de Gaulle et Macmillan était la question de la « quatrième puissance atomique », ajoutant que même si de Gaulle n’attendait pas grand-chose des Britanniques, « il aurait sans doute espéré que le Premier ministre britannique soit plus sensible à son point de vue ». Le Foreign Office fait référence à l’accord anglo-américain :

Il faudrait peut-être être franc avec le général de Gaulle sur la position que nous avons établie avec les Américains sur le lien minimum entre une suspension d’essais et d’autres mesures de désarmement. Si nous ne lui indiquons pas notre véritable position à cet égard, M. Dulles pourrait le faire une semaine plus tard. La position est que les Américains et nous-mêmes, alors que nous ne sommes arrivés à aucune décision finale, sommes actuellement d’accord qu’il pourrait être acceptable de s’accorder avec les Russes pour suspendre les tests, non pas seulement pour les autres éléments de l’accord de 1957, mais seulement en échange d’un engagement russe de poursuivre les discussions dirigées vers l’établissement de la date limite et de mesures contre l’attaque surprise, et de quelques mesures de désarmement conventionnel98.

Les conversations entre de Gaulle et Macmillan, dont le but est « non pas de prendre des décisions, mais d’assurer aux deux chefs de gouvernement une information réciproque »99, se déroulent le 29 et 30 juin à Matignon. Macmillan trouve le général « assuré et détendu, mais d’une humeur exaltée sur son devoir ». Il trouve chez le général une « modestie et une simplicité d’approche [...] nouvelles. Toutes ses anciennes prétentions et préjugés semblaient avoir disparu »100.

60Le problème algérien est à l’ordre du jour et de Gaulle affirme son intention d’organiser un référendum à ce sujet au mois d’octobre pour Français et Algériens. Il n’a apparemment aucun plan d’intégration ou de séparation, « tout est ouvert »101. Sur la Free Trade Area, Macmillan s’exprime « avec le plus de force possible » sur l’importance de cette organisation « vitale » pour laquelle un accord doit être établi avant le 1er janvier, car « si cela échoue, presque tout ce que nous espérions faire ensemble s’effondrerait. Nous serions obligés de refaire toute notre politique »102. Les négociations n’avancent plus depuis cinq mois et l’échec pourrait entraîner des conséquences graves pour toute l’Alliance. Macmillan prie de Gaulle de faire de son mieux pour que ces négociations reprennent, mais le général « n’a montré aucun signe laissant penser qu’il était sensible à cette approche ». Il n’est pas contre une coopération plus large entre les pays européens, seulement la zone de libre-échange pourrait être extrêmement problématique pour les Français, qui ne peuvent donc y entrer à la légère. La France « a fini par accepter » la communauté des Six (de Gaulle n’approuve pas certaines de ses caractéristiques), mais n’acceptera pas la zone de libre-échange : son économie est en effet fondée sur le protectionnisme ; de plus, l’industrie française risque de souffrir si ses frontières sont ouvertes à tous ; d’où la réticence française à ce sujet et le désir d’examiner soigneusement les possibles implications dans chaque secteur de l’économie de la demande britannique103.

61Les conversations se poursuivent sur l’OTAN. De Gaulle trouve l’Alliance atlantique trop restreinte géographiquement ; les limites actuelles sont « dépassées » ; il propose qu’elles s’étendent à l’Afrique du Nord, peut-être à l’Afrique centrale, au Moyen-Orient et à l’Océan indien, et fait part aux Britanniques de son intention de faire des propositions concrètes à ce sujet – y compris en ce qui concerne la structure du commandement de l’OTAN – à brève échéance. La seule solution est « une organisation mondiale, dirigée par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, renforcée par l’OTAN », dont l’étendue serait donc beaucoup plus large. De Gaulle confie que les premiers essais nucléaires français ne pourront pas se dérouler avant l’année prochaine, ce qui est pour Macmillan « très inopportun. Je ne pense pas que nous puissions garder la position beaucoup plus longtemps ». Le général renouvelle à plusieurs reprises ses propos vis-à-vis du processus de décision d’utiliser ou non les armes nucléaires auquel la France ne prend aucune part ; elle n’a donc « aucune responsabilité en ce qui concerne des décisions de paix et de guerre ». La France aura ces armes, même si elle ne peut les fabriquer elle-même : il propose un Standing Group atomique occidental, dont le contrôle serait « partagé entre les puissances occidentales principales ». Macmillan soulève l’idée américaine d’un possible trusteeship occidental sous lequel seraient développées « certaines idées de force atomique » ; mais de Gaulle préfère discuter de ces questions directement avec Dulles. Macmillan constate que le général semble « très conscient de la pression qui pèsera sur la France », mais qu’il a « clairement l’intention de l’utiliser pour faire pression sur les Américains »104.

62Ainsi le général affirme catégoriquement que la France n’acceptera jamais la limitation de la dissuasion par la suspension d’essais nucléaires si elle n’a pas elle-même de potentiel nucléaire ; de toute façon, ces dispositions ne seront pas efficaces. Macmillan pense néanmoins qu’à la conférence au sommet, la « dissuasion contrôlée » peut être étudiée, avec des accords « limités », ainsi que quelques premières démarches dans les domaines d’inspection et de contrôle. L’URSS serait peut-être prête à accepter une suspension d’essais nucléaires, puisque le contrôle de ces essais se passe plus dans les déserts, ce qui ne concerne pas les Soviétiques. Dans la mesure où l’opinion publique est profondément concernée par ce problème, la position actuelle pourrait être « difficile à tenir ». Pour de Gaulle, il est « ennuyeux » que l’opinion publique s’inquiète des conséquences des essais, mais qu’il est néanmoins possible de les effectuer sous l’eau ou au Sahara, ce qui en réduirait les effets dangereux. En tout cas, la France, à la veille d’obtenir un statut de puissance nucléaire, ne pourra jamais donner son accord à la suspension d’essais isolés : la dissuasion est « tout ou rien ». D’après la presse, Macmillan n’avait-il pas lui-même affirmé que la position de la France était « entièrement justifiée » ? Macmillan confirme qu’avant de fabriquer sa propre bombe atomique, la Grande-Bretagne aurait également refusé la suspension des essais. Il ajoute que le Président Eisenhower est également soucieux de l’opinion publique, et espère que le général poursuivra ces discussions avec Dulles105.

63Il faut d’abord résoudre le problème de la position de la France et la question de savoir quels pays devraient posséder des armes atomiques ; puis le problème d’arriver à un contrôle des armements à Moscou avec en échange la suspension d’essais nucléaires. Dans les intérêts de l’Ouest, poursuit Macmillan, la possession d’armes nucléaires « doit s’arrêter quelque part ». Mais la France, rappelle de Gaulle, n’a pas encore ces armes (d’où sa propre position vis-à-vis des essais) ; de plus, elle ne participe pas aux décisions concernant leur déploiement à la réunion du sommet de l’Alliance. Macmillan à son tour rappelle le coût extrêmement élevé des armes atomiques et le fait qu’« une fois commencé, il est impossible d’arrêter ». Les dépenses et l’effort nécessaires sont énormes ; il faut les partager entre les puissances occidentales. Il définit le but britannique de « potentiel nucléaire » de taille réduite, sous contrôle britannique, mais ayant davantage un objectif diplomatique que militaire ; « pour le reste, nous serions satisfaits de partager le contrôle avec les Américains ». Si les conversations entre de Gaulle et Dulles se passent bien, une nouvelle approche sur la suspension des essais sera possible.

64Enfin, de Gaulle réaffirme le « grand danger » que représente l’URSS pour le monde libre, ainsi que la nécessité d’« organiser nos défenses » pour « défendre nos libertés de nouveau » si nécessaire ; cependant il rappelle la distinction entre la Russie et le communisme, assuré que le communisme, « comme le Tsar », sera un jour enterré. Il accepte sans enthousiasme l’idée d’une conférence au sommet, surtout pour la question difficile de la dissuasion, avec celle de la sécurité européenne ; la composition de cette conférence ne lui semble pas d’une importance majeure. Prenant par exemple le plan Rapacki de dénucléarisation (mais une dénucléarisation impossible à contrôler), de Gaulle propose d’élargir le champ du plan vers l’Est, en plein territoire soviétique ; mais les conséquences de cette proposition – une demande soviétique et de l’opinion publique pour un élargissement correspondant à l’Ouest – ne serait de toute façon pas acceptables. Macmillan propose plutôt la définition en Europe d’une zone indépendante d’une Allemagne réunifiée, pour laquelle seront introduites des mesures contre une attaque surprise. Il précise néanmoins que ce sont des idées et non des propositions. Sur l’Allemagne, de Gaulle et Macmillan partagent le sentiment que la politique allemande, sous la direction d’Adenauer, ne constitue plus une menace, mais que l’avenir reste incertain ; le soutien à la réunification de l’Allemagne doit être poursuivi « même si nous sommes peu capables ou peu enclins à nous en occuper en pratique »106.

65À la fin des discussions, de Gaulle se prononce « très heureux » et déclare que des pourparlers doivent pouvoir se dérouler « sans négociation ni accord officiel ». À son tour, Macmillan invite le général à Londres, et ajoute un message personnel de Churchill ; « tout cela semblait faire plaisir au général »107. La presse soulève le caractère amical et informel des discussions, mais ses réactions ne sont pas très expansives, à l’exception du Figaro qui, faisant référence au développement de l’arme atomique de la France, déclare que « il semble que les Britanniques comprennent notre point de vue et que leur sens de la réalité leur a permis de reconnaître ce fait », et suggère que les Français ont réussi à convaincre le Gouvernement britannique des « avantages d’une coopération franco-britannique dans le domaine atomique »108.

66Le 2 juillet, Chauvel rend visite à Hoyer-Millar au Foreign Office et lui fait part de la grande satisfaction du général de Gaulle et de Couve de Murville suite à ces échanges. L’ambassadeur français déclare que « le chemin est libre » pour reprendre les discussions bi- et multilatérales qui ont été interrompues au moment de la crise politique en France il y a deux ou trois mois. Le compte rendu complet des discussions est envoyé par le Foreign Office à Dulles, avant les discussions de ce dernier avec de Gaulle ; Dulles exprime sa gratitude à l’ambassadeur britannique aux États-Unis, Viscount Hood, qui note les premières réactions de l’Américain :

À sa première lecture, son seul commentaire portait sur le paragraphe relatif à l’OTAN. Il a dit alors que s’il était favorable au développement d’une unité plus grande entre les organisations de défense existantes, il s’opposait fortement à ce qui semblait être les intentions de de Gaulle109.

Comme prévu, de Gaulle rencontre Dulles le 5 juillet, et les deux hommes s’expriment de façon informelle sur ces mêmes sujets : « sympathie et compréhension mutuelle ont permis d’envisager avec confiance la collaboration des deux pays au cours des mois qui viennent dans tous les domaines d’importance »110. Fin juillet 1958, de Gaulle rencontre de nouveau ses collègues britanniques, et les deux parties discutent de leurs réponses respectives à la dernière note de Krouchtchev, un projet de « traité d’amitié et de collaboration des États européens »111. Les Britanniques, qui ont communiqué leur texte au Quai d’Orsay, et qui attendent les réactions françaises avec impatience, ne reçoivent pourtant toujours pas de réponse. Ils accordent aux Français une demi-journée supplémentaire alors que la situation est extrêmement pressante et que la réponse britannique ne peut plus attendre, et sont finalement horrifiés d’apprendre que le texte final de la réponse française a déjà été communiqué à l’URSS et aux États-Unis. Le Foreign Office la reçoit beaucoup plus tard, car elle est envoyée à l’ambassade de France à Londres et non pas à celle de la Grande-Bretagne à Paris, qui a pourtant conduit toutes les négociations. Pour le Foreign Office, la situation est très claire : « le général s’est très mal comporté ». Dans une note au Foreign Office le 1er août, Sir George Young écrit de l’ambassade britannique à Paris que :

Ce manque de réponse n’était pas la faute du Quai, qui ne pouvait pas s’en excuser. Elle est uniquement la faute du général qui ne donnera aucune directive. Même Couve, après avoir passé la plupart de la matinée du 30 avec lui, n’avait pas la moindre idée sur ses pensées. Le général [...] mène une conversation purement par interrogation, en n’accordant rien lui-même [...] le Quai n’était absolument pas au courant du communiqué...112

Le Quai d’Orsay est d’ailleurs « contrit » quand Couve de Murville est envoyé à Rome et à Bonn, mais pas à Londres. L’ambassade britannique à Paris se dit donc assez pessimiste sur les futures relations avec de Gaulle :

L’état actuel des choses est que [...] vraisemblablement, nous sommes destinés au genre de vie que nous menions pendant la guerre, et les espoirs que le vieux « Symbole » soit devenu humain depuis lors auront été vains. Il n’est clairement pas plus enclin qu’avant à céder à une opinion majoritaire, mais avancera péniblement malgré tout.
Quant à ce que nous devrions faire, je n’ai pas de nouvelle suggestion à faire. Je crains que la patience soit la seule réponse113.

Le 1er août également, Frank Roberts déjeune avec Spaak, « fatigué et déprimé » après l’échec de sa tentative de réconcilier la position anglo-américaine et celle de la France sur les réponses à la note soviétique. Spaak « ne s’est pas efforcé de défendre l’attitude du général de Gaulle » et analyse comme « absolument fantasque » la proposition du général d’une réunion « à haut niveau » le 18 août, alors qu’il avait affirmé auparavant que ce genre de réunion nécessitait « une préparation soigneuse ». Il partage l’opinion de ses collègues britanniques : de Gaulle contredit la position allemande et italienne, ainsi que celle des autres pays membres de l’Alliance atlantique. Roberts, dans son compte rendu à Macmillan le soir même, ajoute que :

D’après Spaak, cependant, je devrais savoir avec la plus grande certitude que le ministère des Affaires étrangères français ainsi que mon collègue français lui avaient assuré que le général de Gaulle était convaincu qu’il avait été trompé par le Premier ministre et par M. Dulles lors de leurs récentes visites à Paris. Le général n’a maintenant aucun doute qu’il avait été ce qu’il appelait l’objet d’un complot anglo-américaino-turque longuement préparé qui pourvoyait aux besoins de l’occupation militaire du Liban et de la Jordanie et que le Premier ministre et M. Dulles avaient décidé de lui dissimuler. C’était là l’origine essentielle de sa position actuelle114.

Spaak assure Roberts qu’il ne partage pas cette opinion : « l’histoire n’a pas été inventée (par le Quai) pour excuser le comportement du général de Gaulle ». En revanche, il s’interroge sur l’origine et les buts de ces « fausses informations » recouvrant un éventuel complot anglo-saxon pour occuper le Liban et la Jordanie115. Le lendemain, Young écrit à Selwyn Lloyd :

Je suis sûr que le Quai n’aurait pas mis une telle idée dans la tête du général. Ils sont évidemment très peinés par l’évolution des événements. Je ne pense pas non plus qu’ils auraient inventé toute l’histoire. Par conséquent, le général a dû arriver à cette conclusion lui-même, ou sur la base d’un conseil officieux quelconque.
Il est évidemment important de le convaincre qu’il a tort116.

Young suggère une lettre à de Gaulle pour exprimer leur « peine », d’abord sur le fait que Couve de Murville n’ait pu se rendre à Londres, et ensuite, sur le calendrier de la publication de la réponse à la lettre de Krouchtchev. Le texte est rédigé, et envoyé à Paris de la part de Macmillan le 5 août, qui se déclare « navré » par les récents événements au Moyen-Orient (coup d’État à Bagdad et envoi de troupes britanniques en Jordanie pour protéger le royaume hachémite), puis « troublé et peiné » que Couve de Murville ne puisse pas accepter l’invitation du Foreign Office, et surtout, que les Français n’aient pas communiqué le texte de la réponse à la lettre de Krouchtchev avant qu’elle soit envoyée. Il fait référence aux « rumeurs » selon lesquelles les Britanniques auraient retenu des informations en ce qui concerne leurs intentions au Moyen-Orient. Il espère que de Gaulle pourra démentir ces informations, et souligne aussi le « sens de l’urgence » et le fait que parfois « la pression des événements rend une réunion souhaitable ». D’ailleurs Macmillan soutient l’idée d’une conférence à haut niveau à ce sujet le plus tôt possible – « je pense que nous avons de bonnes cartes à jouer »– et suggère que Couve de Murville se rende à Londres pour discuter de ces questions. Il conclut : « Après intense réflexion, j’ai décidé de vous écrire franchement, car j’attache une telle importance à ma propre amitié avec vous, et fort de mon désir qu’il existe entre nous une confiance entière117. »

67Trois jours plus tard, lors d’une conversation avec Young, Daridan confirme que de Gaulle est « extrêmement content » de la lettre du Premier ministre britannique, qui a eu « un effet excellent ». Young écrit au Foreign Office que « Daridan lui-même ne pensait pas que le général avait entretenu les soupçons que nous lui avions attribués ; s’il l’avait pensé, il aurait réagi plus brusquement »118. La réponse du général est envoyée le 9 août : « le ton, comme vous le verrez, n’est pas particulièrement communicatif, mais c’est probablement le mieux que nous puissions espérer du général »119. De Gaulle ne répond à aucun des éléments dans la lettre de Macmillan, « mais l’entourage du général maintient que la correspondance était bénéfique. Je le pense aussi »120.

68Il est désormais clair que pour la Grande-Bretagne, les relations avec les Français sont notablement compliquées par l’arrivée de de Gaulle au pouvoir : sur le fond (partage du pouvoir au sein de l’OTAN, développement de l’arme atomique...) mais aussi sur la forme.

Septembre 1958 : le mémorandum du général de Gaulle

69Le 17 août 1958, des discussions franco-britanniques se déroulent à Matignon sur ce que le Foreign Office appelle « The General’s Plan ». De Gaulle renouvelle ses propos sur le processus de décision au sein de l’OTAN : l’Alliance est fondée sur le principe d’intégration et la France n’acceptera pas un système où les États-Unis agissent seuls. Par exemple, la flotte américaine actuellement en Méditerranée n’a aucun rapport avec l’OTAN, le Bomber Command britannique non plus ; mais l’intégration s’applique néanmoins à la France (sauf en Afrique, où il n’y a aucune présence de l’OTAN). Il propose une réorganisation complète et rapide de l’OTAN. D’abord, une session permanente à Washington de la conférence des ambassadeurs français, britannique et américain ; en cas de problème lors de ces sessions, une conférence à trois. Le Standing Group à trois serait renforcé et étudierait maintenant les questions de stratégie mondiale ; le traité de l’Atlantique nord serait modifié pour inclure l’Afrique au Nord du Sahara ; les armes atomiques seraient « partagées », et les commandements remaniés121.

70Selwyn Lloyd rappelle que selon Dulles, de Gaulle a parlé à plusieurs reprises d’un « organisme » : or, la Grande-Bretagne ne soutient pas l’idée d’« institutionnaliser » la proposition du général. Dans l’esprit de de Gaulle, si ces propos nécessitent l’établissement d’institutions, il faudrait s’y attacher. Il renouvelle sa déclaration : si sa proposition n’est pas acceptée, l’OTAN sera « dépourvue de toute valeur réelle », c’est-à-dire qu’en cas d’agression, chaque pays devra se défendre individuellement, sans plan coordonné122.

71En revanche, dans l’esprit de de Gaulle, l’Allemagne, malgré sa contribution à la défense de l’Ouest, ne pourra pas se joindre à des pourparlers à trois ; ses propositions se rapprochent plutôt au Concert de l’Europe, « gardien de la paix » entre 1870 et 1914. Il faut maintenant un « concert mondial » et tous les alliés doivent l’accepter. Pour la France, ce genre d’arrangement est essentiel dans la mesure où si un État n’a pas le sentiment de contribuer à sa propre défense, il se battra « mal ou pas du tout » le moment venu : « toute l’Europe souffre de ce mal que [j’ai] maintenant décidé de guérir ». Par exemple, la France a toujours ses trois forces armées, mais la Marine est sous commandement étranger et les bases dans lesquelles les unités sont stationnées sont à la disposition de l’OTAN : les hommes et officiers se sentent par conséquent « assez humiliés » ; dans l’armée de l’Air la situation est similaire et même dans l’armée de Terre (à l’exception des unités en Afrique) : toutes ces forces sont « sous commandement étranger, chose terrible pour toute personne ayant un sentiment national ». Or, l’Alliance atlantique ne s’étend pas assez loin au sud, et la France refuse catégoriquement la proposition d’installation de rampes de lancement de missiles dont les têtes nucléaires seraient sous contrôle américain. De plus, les réserves américaines en bombes sur le territoire français impliquent que les États-Unis peuvent « commencer une guerre à tout moment » depuis le territoire national, ce que la France ne peut accepter en l’état. Selwyn Lloyd rappelle que la Grande-Bretagne a le droit de veto sur le lancement de fusées américaines depuis son propre territoire (accord du 24 février 1958), et sur l’utilisation de bases britanniques par des bombardiers américains en cas d’attaque, et que les États-Unis ne peuvent pas provoquer une guerre à partir du territoire français puisqu’ils acceptent de demander le consentement français avant d’entamer toute action offensive depuis son territoire. De Gaulle répond qu’en théorie, c’est ainsi, mais il maintient que la décision sera de toute façon prise au niveau du Conseil de l’OTAN123.

72Les conversations se poursuivent donc sur le développement de l’Europe occidentale. De Gaulle, qui est arrivé au pouvoir après le traité des Six, l’accepte « seulement pour des raisons commerciales », rappelant que le traité de Rome ne modifie pas le statut politique de ses membres, et ne peut de toute façon le faire qu’avec l’accord de l’État concerné. La France n’acceptera pas la supranationalité, ni en Europe, ni à l’OTAN, ni aux Nations unies. Lloyd ajoute que néanmoins, une division politique en Europe est « perceptible » et inquiète profondément la Grande-Bretagne. Le général rappelle les déclarations des hommes politiques britanniques dans le passé sur « les États-Unis, l’Europe et le Commonwealth » et exprime sa désapprobation à ce sujet. Le général se déclare lui-même « responsable de l’échec de la CED » : comment donc pouvait-il accepter une organisation supranationale ? Lloyd rappelle l’existence, avant le Marché commun, de l’OECE et ajoute que de toute façon, « il est évident que si nous sommes confrontés à une guerre commerciale, ce sera très grave ». De Gaulle demande à Lloyd de transmettre un dernier message à Macmillan : il ne reviendra pas en arrière en ce qui concerne le Marché commun, mais fera néanmoins « tout [son] possible » pour éviter une guerre commerciale et pour « promouvoir le développement des échanges le plus étendus possibles » surtout avec la Grande-Bretagne, et il se déclare prêt à étudier la question. Le général « [ne veut pas] mettre de l’huile sur le feu » et lui-même « ne [fera] rien pour aggraver la situation »124.

73Le 17 septembre 1958, le général de Gaulle envoie à la Grande-Bretagne et aux États-Unis un mémorandum dans lequel il leur propose un directorat à trois au sein de l’OTAN125. Le mémorandum affirme que l’OTAN, dans son cadre limité à l’Atlantique nord, ne répond plus aux besoins fondamentaux de sécurité du monde libre. Il propose l’établissement par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, d’une organisation dont les décisions communes porteraient sur toute question politique de sécurité internationale. Cette organisation établirait et mettrait en œuvre des plans stratégiques, notamment ceux qui portent sur le déploiement d’armes nucléaires. De Gaulle présentera ce même mémorandum à Spaak le 4 septembre qui, lui, remettra son propre mémorandum au général le 15 octobre.

74Macmillan ne répondra pas au mémorandum français très rapidement, et sa première réponse, datée le 2 octobre 1958, est assez tiède (le mémorandum « soulève des problèmes d’une telle envergure que vous n’attendrez pas de moi une réponse immédiate »). Macmillan affirme que les propositions du général seront étudiées « avec l’attention qu’elles méritent. Quand je les aurai étudiées en profondeur je ne manquerai pas de vous faire connaître mon point de vue ». Par ailleurs, il se demande si Adenauer est au courant des propositions françaises : il rencontre le Chancelier le 8 octobre – l’organisation de l’OTAN sera sûrement à l’ordre du jour – et ne sais pas si ce dernier est au courant des événements. De plus, « vous m’aideriez dans mes entretiens avec lui la semaine prochaine en me faisant part du rôle qui selon vous serait attribué à l’Allemagne dans la réorganisation de l’Alliance que vous envisagez »126.

75Le 13 octobre, le Foreign Office rédige une note en préparation d’une réunion avec des représentants français le 6 novembre. À cette date, le contenu du mémorandum français a déjà été communiqué aux gouvernements de l’Allemagne et de l’Italie ainsi qu’au secrétaire général de l’OTAN ; depuis, son contenu est donc devenu « plus ou moins public ». Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont envoyé des réponses à de Gaulle, dans lesquelles les deux pays constatent que les questions soulevées par le général doivent être « considérées avec attention ». L’ambassadeur britannique à Washington en discute à cette date avec Dulles, et le Foreign Office espère que ces discussions entraîneront des conversations tripartites : « les Américains, qui ont beaucoup hésité, seront maintenant probablement d’accord ». En tout cas, la position du Foreign Office est claire : la Grande-Bretagne rejette les propositions du général :

Il est clair que toute suggestion d’un directorat à trois pour gérer les affaires du monde libre ne serait pas appréciée non seulement par les pays membres de l’OTAN, mais par les pays du Commonwealth et par les non-alignés.
Notre objectif général est donc de détourner le général de Gaulle de ces propositions sans les repousser directement et donc endommager les relations franco-britanniques. Nous encourageons le général de Gaulle et son ministre des Affaires étrangères ainsi que les fonctionnaires français à développer leurs idées. Ainsi, ils reculent déjà sur l’idée d’un « directorat ». Nous espérons que ce processus continuera.
Si le général de Gaulle soulève cette question, Sir Winston pourrait dire que le général de Gaulle a identifié correctement la question, mais que la réponse est difficile à trouver. Nous sommes d’accord avec son diagnostic, mais pas forcément avec son ordonnance127.

Selwyn Lloyd rencontre l’ambassadeur français le 15 octobre, deux jours plus tard, et Chauvel confirme que d’autres pays ont pris connaissance du contenu du mémorandum du général de Gaulle. L’origine de cette information venait du général lui-même, qui aurait communiqué une copie à Spaak : le gouvernement français a immédiatement contacté les gouvernements allemand et italien et leur a envoyé le texte complet du mémorandum. De Gaulle « a l’impression qu’ayant auparavant exprimé au Dr. Adenauer et à Sr. Fanfani ses points de vue au sujet de l’OTAN, son action ne devrait pas surprendre ces derniers ». Or, Adenauer est apparemment « profondément surpris » par les propositions du général – « il n’a apparemment aucune idée de ce qui a pu traverser l’esprit du général de Gaulle »128.

76Chauvel précise que les propositions du général n’auront pas nécessairement des répercussions sur les participations nationales au sein de l’OTAN. Seulement, son intention est de faire la distinction entre les engagements de l’OTAN dans le domaine de la sécurité, et les questions de sécurité mondiale plus larges, qui devraient être l’objet de discussions entre les trois, ainsi que d’engagements mondiaux : en particulier puisque les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France sont déjà impliquées dans des alliances défensives régionales en dehors de l’Alliance atlantique. De Gaulle ne prévoit aucune organisation officielle pour ces conversations tripartites, et accepterait que les résultats soient discutés au Conseil de l’OTAN (à condition qu’ils aient un rapport avec l’Alliance atlantique). Chauvel rappelle que Macmillan « semblait à une époque être favorable à une forme de coordination entre les trois pactes régionaux » ; et que s’il y songeait encore, une proposition pourrait être présentée au général. Or, le souci principal de de Gaulle est plutôt l’efficacité militaire réelle des systèmes régionaux.

77Chauvel rassure son collègue que le gouvernement français recevra avec plaisir l’accord britannique pour des conversations à trois à Washington. D’autre part, Macmillan devrait inclure des « questions précises » sur les éléments du mémorandum qui ne lui sont pas assez clairs129. Le 20 octobre 1958, Macmillan envoie donc une deuxième lettre au général, qui montre clairement les priorités du Premier ministre britannique qui, en s’excusant du retard dans sa réponse, se dit « écrasé de travail [...]. Néanmoins, j’ai maintenant le temps d’étudier ma réponse et j’ai demandé à notre ambassadeur de vous la communiquer. J’espère que nous serons bientôt à même d’avoir de nouveau des conversations personnelles. Entre-temps, j’ai constaté avec une admiration croissante vos grandes réalisations »130. Le lendemain, la réponse britannique officielle parvient au général de Gaulle :

Je vous suis très reconnaissant de m’avoir fait parvenir avant mon départ pour Bonn un message stipulant que vous n’avez aucune objection à l’évocation, pendant mes conversations avec le Docteur Adenauer, de vos vues, déjà exposées au président Eisenhower et à moi-même, sur l’organisation de la défense du monde libre. J’ai pu me rendre compte que le Chancelier était au courant des grandes lignes de votre plan, et votre message nous a donc permis d’en discuter ensemble. Je lui ai fait savoir que vous nous aviez souligné tout particulièrement que la coordination de la résistance contre le communisme à l’échelle mondiale était un des principaux problèmes qui se posait à l’Occident. Le Chancelier est d’accord sur ce point, mais je ne vous cacherai pas que les solutions que vous envisagez ne l’attirent guère.
Pour ma part je suis sûr que vous avez raison quand vous dites que dans l’état actuel des choses, certains membres de l’Alliance peuvent se trouver exposés à des risques qui résultent des décisions auxquelles ils n’ont pas participé. Je crois aussi que vous avez tout à fait raison d’attirer l’attention sur le fait que les responsabilités de certains membres de l’Alliance peuvent se trouver exposés à des risques qui résultent des décisions auxquelles ils n’ont pas participé. Je crois aussi que vous avez tout à fait raison d’attirer l’attention sur le fait que les responsabilités de certains membres de l’Alliance ne sont pas limitées à la zone géographique qui se trouve être celle du traité de l’OTAN. En fait, ses responsabilités sont mondiales. Mais je pense qu’il serait utile, dans notre examen de ces problèmes, de reconnaître dès le début que les méthodes françaises et britanniques sont très différentes et que par conséquent nous serons tous les deux disposés d’envisager le sujet d’un point de vue différent.
Dans votre esprit il serait logique de modifier les institutions de l’Alliance. Une telle méthode aurait, évidemment, l’avantage de l’ordre et de la consistance. Mais nous autres Anglais nous sommes – vous le savez bien – plutôt tentés par les solutions empiriques ; il est même possible que nous exagérons un peu cette préférence. Nous aurions donc tendance à chercher une solution que s’inspirerait des éléments déjà existants et qui ferait surgir le moins de difficultés dans la pratique. À mon avis nous devons nous efforcer à concilier ces deux manières différentes d’affronter le problème.
Je pense qu’entre-temps il vous serait utile de connaître quelques points dans votre mémorandum sur lesquels nous désirerions quelques éclaircissements. Vous recommandez l’institution d’une nouvelle organisation comprenant les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, qui serait responsable des questions politiques et stratégiques d’importance mondiale et qui serait chargée de prendre des décisions communes. Je voudrais savoir si vous envisagez que cet organe fonctionne par la règle de l’unanimité, c’est-à-dire si chaque membre aurait le droit de veto sur les décisions de chacun des autres membres en ce qui concerne les questions touchant la sécurité mondiale. Secundo, je ne me rends pas très bien compte si cette organisation doit, dans votre idée, remplir certaines des fonctions actuelles de l’OTAN, ou si l’OTAN subsisterait dans un rôle subordonné en même temps que d’autres organisations régionales responsables pour d’autres parties du monde. Comme vous le savez, les discussions politiques dans le Conseil de l’OTAN ne se bornent pas à la zone des responsabilités de l’OTAN ; au contraire, elles s’étendent bien au-delà. Cette procédure n’est peut-être pas entièrement satisfaisante, mais le fait est que les problèmes du Moyen-Orient et de l’Extrême-Orient ont été soulevés et débattus entre les alliés dans le Conseil Atlantique au cours de ces derniers mois.
Pour ma part, je vous suis reconnaissant d’avoir attiré l’attention sur ces problèmes. Évidemment il nous faut trouver leur solution. Je crois que nous ne pourrions pas espérer de la trouver en toute hâte. Mais je conviens que nous devons nous attaquer à cette tâche sans plus tarder131.

L’ambassadeur britannique demande un entretien au général et est reçu le 21 octobre 1958. Le compte rendu de leur réunion est envoyé au ministre français des Affaires étrangères le lendemain :

Sir Gladwyn Jebb a remis au général un message de M. Macmillan répondant à la lettre que le général de Gaulle avait envoyée au Premier ministre britannique et qui était accompagnée du mémorandum français sur l’organisation de la défense occidentale.
D’autre part, l’ambassadeur d’Angleterre a donné lecture au général, sans lui en laisser le texte, d’une autre note par laquelle M. Macmillan se déclare disposé à une conversation à trois et, d’autre part, appuie la proposition faite par M. Dulles à M. Couve de Murville à Rome selon laquelle le Gouvernement français devrait envoyer un nouveau document pouvant servir de base à des discussions qui seraient entourées du secret nécessaire.
Le général de Gaulle a répondu à Sir Gladwyn Jebb que :
1. il souhaitait que lecture de cette note soit faite à M. Couve de Murville ;
2. le bruit fait autour de l’affaire dans la presse lui était indifférent ;
3. il était personnellement assez froid à l’égard de la proposition faite par M. Dulles et M. Macmillan ;
4. la France n’avait pas l’intention de rompre ses alliances, mais que l’Alliance atlantique, telle qu’elle était, ne lui convenait pas. Dans ces conditions, ou bien on la changerait, ou bien la France s’en retirerait, en droit ou en fait, ce qu’elle avait déjà d’ailleurs commencé à faire. Ce qui se passerait, en tout cas, c’est que la France ne ferait plus rien pour l’Alliance.
Le général a rappelé que M. Macmillan lui avait déclaré que si la zone de libre-échange ne se faisait pas, la Grande-Bretagne pourrait être amenée à quitter l’OTAN. La position de la France serait la même, a indiqué le général à l’ambassadeur d’Angleterre si l’OTAN n’était pas reformée132.

Quelques jours plus tard, Jebb se rend au Quai d’Orsay pour tenter d’établir des réponses aux questions posées dans le mémorandum britannique. Son interlocuteur133 n’a pas de réponse précise mais lui donne néanmoins quelques indications : les Britanniques envisagent l’organisation d’une consultation permanente sur les questions internationales en cours, dont le but est incontestablement « une politique concertée. Il est clair que personne ne peut s’opposer à une décision prise par un gouvernement sur un problème qui correspond, pour lui, à un intérêt national essentiel »134. Deuxièmement, il faut savoir si l’organisation envisagée par de Gaulle doit remplacer l’OTAN. Or, dans l’esprit français,

le fonctionnement de l’OTAN ne serait pas modifié par l’accord tripartite envisagé. Déjà, à l’heure actuelle, les trois gouvernements ont l’habitude de se consulter sur certaines questions, par exemple la réunification allemande ou le désarmement. Si ces consultations deviennent, en quelque sorte, obligatoires, leurs conclusions ne s’imposeraient pas juridiquement aux autres gouvernements, pas plus que celles auxquelles nous arrivons aujourd’hui. Il est clair cependant qu’à partir du moment où, au Conseil de l’OTAN, les trois puissances sont d’accord, il y a beaucoup de chances que les autres gouvernements se rangent à leur point de vue135.

Il est donc clair que le système prôné par de Gaulle ne s’oppose pas à l’OTAN. Il transcende ce système régional et instaure un triumvirat sur les affaires du monde. Les Britanniques, malgré leur inquiétude initiale, comprennent que la politique de de Gaulle en Europe, même si elle vise à corriger des éléments jugés inacceptables pour Paris, ne saurait aboutir à un bouleversement majeur et à un affaiblissement durable du système de défense ouest-européen.

78Ainsi, la question du mémorandum de de Gaulle est évoquée lors des conversations franco-britanniques à Londres le 6 novembre 1958, au cours desquelles Selwyn Lloyd rappelle l’importance pour l’opinion américaine de ne pas trop insister sur l’idée d’une définition commune de la politique stratégique, et de « calmer » les alliés de l’OTAN. Macmillan ajoute qu’apparemment de Gaulle est « peut-être moins préoccupé par la partie de son mémorandum qui porte sur l’OTAN » et qu’il insiste plus sur l’idée d’une consultation à trois pour toute question en dehors de l’Alliance atlantique. Pour Macmillan, cette question rassure les plus petits alliés, mais peut potentiellement être dangereuse. La Grande-Bretagne a souvent beaucoup de difficulté à persuader les alliés de l’Alliance qui n’ont pas d’engagements à partager en dehors de la région garantie par l’OTAN en Europe : « Plus cet état d’esprit sera encouragé, plus difficile sera la tâche des puissances ayant des responsabilités outre-mer. Il est important pour nous d’éviter une division supplémentaire au sein de l’OTAN » (Couve de Murville rappelle la réaction anxieuse des Allemands au mémorandum du général, et ajoute qu’il est « important de les rassurer »)136.

79La fin de l’année 1958 voit le déroulement de nouvelles conversations franco-britanniques au cours desquelles Guillaumat, le nouveau ministre français des Forces armées, déclare le 12 novembre que la France est déterminée à poursuivre son programme nucléaire militaire, et ne sera pas limitée dans sa politique par les décisions de l’actuelle conférence à Genève (sur les expériences nucléaires) : pour atteindre son but, elle fera l’effort financier nécessaire. Il se déclare déçu par le refus allemand d’acheter le Mirage III, construit « pour répondre aux besoins français » et dans le cadre des limites en ressources de l’industrie aérienne française, et espère néanmoins qu’ils pourront « équiper les forces aériennes d’autres pays membres de l’OTAN » : n’est-il pas raisonnable qu’il existe une industrie aérienne européenne indépendante de celle des États-Unis ? L’Algérie est toujours prioritaire dans le domaine budgétaire, mais il n’y aura pas d’économies sur les armes atomiques. Cependant, par manque de plutonium, le premier essai est retardé. De Gaulle qui, le 23 octobre, déclara que la France ferait bientôt partie du « club atomique », semble faire le maximum pour réduire le retard137. Le Monde suggère que le général poursuit l’idée de réformes militaires exposées dans son livre Vers l’armée de métier, c’est-à-dire une force de frappe réduite mais efficace qui puisse agir immédiatement – aujourd’hui dotée d’armes nucléaires, au lieu d’armes conventionnelles. L’article ajoute que de Gaulle a l’intention de mettre dès que possible les ressources actuellement utilisées pour l’Algérie dans la formation d’unités nucléaires, au détriment des unités conventionnelles « plus ou moins dépassées »138.

80Malgré le manque de réaction de leurs deux alliés, les Français cherchent néanmoins à créer une dynamique dans le dialogue entre les trois. Le 10 décembre, lors d’une deuxième réunion tripartite, de Gaulle pose deux « questions préliminaires » : d’abord, est-il possible d’établir un programme d’action commun pour l’Ouest en ce qui concerne les problèmes de paix, par exemple, Berlin, l’Iran, le Moyen-Orient, l’Extrême-Orient, et la menace soviétique en Afrique ; deuxièmement, d’un point de vue stratégique et militaire, est-il possible pour les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France d’agir ensemble en cas de conflit militaire qui menace la paix mondiale139 ?

81À l’issue d’une conversation entre Gladwyn Jebb et de Gaulle vers la mi-décembre, le Quai d’Orsay se déclare « très impressionné » par le compte rendu du général, et Joxe communique l’essentiel des remarques françaises à Jebb le 15 décembre :

Ils ont noté tout particulièrement que de Gaulle pensait maintenant en termes de coopération anglo-franco-allemande en Europe comme base de toute unité politique réelle sur le continent. C’était la première fois [...] que le général avait exprimé de tels sentiments, et le Quai semblait être soulagé que de Gaulle ne fonde pas tous ses espoirs sur une conception « carolingienne »140.

Jebb répète qu’il est impossible d’établir un système tripartite de stratégie mondiale, et il est également impossible d’établir un système à trois pour l’Europe. Dans sa lettre à Lloyd il conclut qu’il est néanmoins « significatif que le général ne veuille pas se retrouver seul avec les Allemands »141.

82Deux jours plus tard, lors d’une conversation avec Couve de Murville, Macmillan confirme une fois de plus qu’il ne tient absolument pas à la création d’un organisme entre la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis. Les « grandes affaires du monde dont dépendent la paix et la guerre » doivent, il est d’accord avec de Gaulle, être traitées par « un très petit nombre d’États et un très petit nombre de personnes », mais de telles consultations doivent rester confidentielles, officieuses et fondées sur une confiance réciproque entre les parties. Un accord signé entre la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis menacerait de « heurter profondément la susceptibilité d’autres puissances » (notamment l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas, le Canada ou l’Allemagne), et de compliquer les échanges entre les Trois, échanges souhaités « vivement » par Dulles. Couve de Murville répond que son gouvernement « attache plus d’importance à la réalité des choses qu’à leur forme », même si de Gaulle insiste pour des consultations organisées et régulières, et qui portent sur les questions essentielles d’intérêt commun dans le monde. Dulles partage ce point de vue et propose des pourparlers à trois début 1959 portant sur les questions du Moyen, de l’Extrême-Orient, et de l’Afrique...142 Comme le résume une lettre d’Eisenhower envoyée le 20 octobre 1958 au général de Gaulle : « Nous ne sommes pas à même d’adopter un système qui donnerait à nos autres alliés ou à d’autres pays du monde libre l’impression que des décisions fondamentales affectant leurs propres intérêts vitaux sont prises sans leur participation143. »

* * *

83Interrogé en 1996, Sir Brooks Richards, au Foreign Office à l’époque144, confirme que Macmillan ne veut pas répondre au mémorandum du général. Il n’accepte pas la politique de de Gaulle vis-à-vis de la Grande-Bretagne et de l’Europe (de toute façon, la Grande-Bretagne donne la priorité à l’approfondissement de ses relations avec les États-Unis). Or, le mémorandum ne parle ni de l’Europe, ni des rapports entre la Grande-Bretagne et la CEE dans le cadre de la zone de libre-échange. Le Foreign Office et le Quai d’Orsay sont très embarrassés qu’un mémorandum de cette importance ne reçoive pas de réponse immédiate. De Gaulle ne relèvera pas ce silence ; mais Sir Brooks Richards considère que son veto, empêchant quelques années plus tard l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne n’est pas sans rapport avec la non-réponse de la Grande-Bretagne à son mémorandum145.

* * *

84Le retard et la teneur de la réponse britannique au mémorandum du général de Gaulle trouvent d’abord leurs origines dans l’évolution du ton adopté par les Français vis-à-vis de leur allié britannique après le changement de gouvernement, comme l’atteste l’épisode de la réponse à la note de Krouchtchev. Plus profondément, la politique adoptée par le nouveau gouvernement confirme que les Français ne sont plus enclins aux concessions et au dialogue comme l’étaient leurs prédécesseurs (particulièrement sur les rapports entre la Grande-Bretagne et la CEE naissante). De Gaulle en effet adopte très tôt une attitude méfiante vis-à-vis des Britanniques, trop liés à ses yeux à l’allié américain, mais aussi, et surtout, peu pressés de voir la France s’intégrer au couple anglo-américain qui place de facto la Grande-Bretagne dans un rôle de leader politique et militaire en Europe.

85La non-réponse de Londres au mémorandum du général de Gaulle n’a pas de conséquences immédiates. Londres est très vite rassurée par les apaisements reçus de Paris quant au rôle majeur que doit continuer à jouer l’OTAN dans la défense de l’Europe de l’Ouest. Le mémorandum de fait évoque plus un directorat sur les affaires mondiales que sur les problèmes strictement européens et la nouvelle architecture de sécurité voulue par Paris ne remet pas en cause l’existence de groupements régionaux de sécurité. Toutefois, le malentendu entre la France et ses alliés ne saurait être sous-estimé, puisque même si le nouveau pouvoir en France voit son attention captée par le conflit algérien, les fondements de la politique européenne sont déjà tous présents dans les premières discussions entre Paris et Londres : revendication d’un co-leadership sur les affaires européennes (et donc refus du leadership américain), contrôle des armes stationnées sur le territoire français au nom d’une souveraineté inaliénable, bénéfice politique de la possession de l’arme nucléaire. Les germes des futures dissensions entre Paris et Londres sur les questions de défense européenne, et particulièrement sur le rôle de l’OTAN, sont donc déjà présents à la fin de l’année 1958.

Notes de bas de page

1 Lire par exemple l’ouvrage de Jean-Yves Bernard, La Genèse de l’expédition franco-britannique de 1956 en Égypte, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003.

2 La première explosion nucléaire britannique a lieu le 2 octobre 1952 à Montebello.

3 Télégramme de Jebb à Macmillan le 5 septembre 1955 in PRO/FO371/118135.

4 Ibid.

5 Ibid.

6 Déclaration de Maurice Faure à l’Agence France Presse le 17 juin 1956 in PRO/FO371/124442.

7 Jebb in Echoes from Great Britain, Bulletin de l’ambassade de Grande-Bretagne à Paris, le 14 juillet 1956 in PRO/FO371/124443.

8 Ministre des Affaires étrangères de 1955 à 1963, il ne quitta pourtant pas le territoire britannique. Interrogé en mai 1996, Sir Douglas Dodds Parker (Joint Parliamentary Under-Secretary of State for Foreign Affairs novembre 1953-octobre 1954, puis décembre 1955- janvier 1957) témoigne de l’incompétence de Selwyn Lloyd, dont l’influence était négligeable.

9 Ibid.

10 Defence White Paper pour 1954 in PRO/FO371/125124.

11 Brief du Foreign Office de décembre 1954 in PRO/FO371/125262.

12 Dépêche du Foreign Office signée McDermott le 4 mai 1956 in PRO/FO371/123187.

13 Defence White Paper pour 1954, op. cit.

14 Brief du Foreign Office de décembre 1954, op. cit.

15 Statement on Defence 1956 in PRO/FO371/123185.

16 Télégramme de Jebb du 5 septembre 1955, op. cit.

17 Rapport du ministère de la Défense sur la participation britannique in The Primary Deterrent as a Basis for Discussion – For and Against, le 30 avril 1956 in PRO/FO371/123187.

18 Statement on Defence pour 1956 in PRO/FO371/123185.

19 Ibid.

20 Compte rendu des conversations franco-britanniques du 9 mars 1957. Y sont présents, pour la France : Mollet, Pineau, Maurice Faure, Joxe, Chauvel ; pour la Grande-Bretagne : Macmillan, Selwyn Lloyd, Jebb, Roberts, in PRO/FO371/129327.

21 Eden parle du problème de timing : le White Paper et le budget de défense devaient être établis avant la réunion aux Bermudes une semaine plus tard, ce qui nécessitait une conclusion lors des prochaines discussions à l’OTAN.

22 Compte rendu des conversations franco-britanniques du 9 mars 1957, op. cit.

23 Ibid.

24 Ibid.

25 Selwyn Lloyd rappelle que selon les termes des accords de Paris, la Grande-Bretagne peut retirer ses forces armées « en cas d’urgence outre-mer » ; elle pourrait donc renforcer ses forces armées à Chypre avec celles de l’Allemagne, sans remplacer ces dernières.

26 Compte rendu des conversations franco-britanniques du 9 mars 1957, op. cit.

27 Lloyd rappelle que la question de réductions britanniques fut soulevée il y a 18 mois, lors d’une réunion de l’OTAN, et que face aux objections du SACEUR, les projets britanniques originaux ont été substantiellement modifiés.

28 Compte rendu des conversations franco-britanniques du 9 mars 1957, op. cit.

29 Conversations du 10 mars 1957 à l’ambassade britannique à Paris. Y sont présents : Macmillan, Selwyn Lloyd, Lord Ismay, Jebb, Roberts, Hood, Cairncross, ibid.

30 Conversations entre Selwyn Lloyd et Pineau le 17-18 janvier 1958 in Télégramme de Selwyn Lloyd à Jebb le 21 janvier 1958 in PRO/FO371/137267.

31 Conversation entre Selwyn Lloyd et Chauvel in Télégramme de Selwyn Lloyd à Jebb le 3 février 1958 in PRO/FO371/137267.

32 Télégramme de Jebb au Foreign Office le 28 septembre 1956 in PRO/FO371/24444.

33 François Mauriac in L’Express, septembre 1956, ibid.

34 Ibid.

35 Le titre du dernier Express lit : « L’Amérique décapitée ».

36 Lettre de Jebb à Selwyn Lloyd le 6 décembre 1957, op. cit.

37 Ibid.

38 Ibid.

39 Deuxième lettre de Jebb à Selwyn Lloyd le 6 décembre 1957, ibid.

40 Ibid.

41 Ibid.

42 Mlle J.J. d’A. Collings in Dépêche du Foreign Office le 13 décembre 1957 in PRO/FO371/130636.

43 Compte rendu du Foreign Office de l’entrevue avec Mollet, le 11 décembre 1957 in PRO/FO371/130645.

44 Ibid.

45 Compte rendu de Selwyn Lloyd à Jebb de décembre 1957, ibid.

46 Conversation entre Mollet et Selwyn Lloyd du 14 février 1958 in Télégramme de Selwyn Lloyd à Jebb le 17 février 1958 in PRO/FO371/137267.

47 Ibid.

48 A l’époque le représentant permanent britannique au Conseil de l’Atlantique nord (1957- 1960).

49 Anciennement à la tête du département d’Afrique Levant au Quai d’Orsay.

50 Compte rendu des conversations entre Ély et de Courcel au cours du dîner militaire in Télégramme de Roberts à Jebb le 14 mars 1958 in PRO/FO371/137297.

51 La vitesse des développements électroniques assurera qu’un missile puisse être repéré ou détruit ; un pilote sera encore nécessaire pour s’assurer que le missile a atteint son but.

52 Compte rendu de Roberts du 14 mars 1958, op. cit.

53 Intermediate Range Ballistic Missiles.

54 Defence White Paper pour l’année 1955 in PRO/FO371/125261.

55 Ibid.

56 Ibid.

57 Note du Quai d’Orsay de septembre 1956 sur les accords bilatéraux de coopération atomique entre les États-Unis et divers États de l’Europe septentrionale in MAE/EUROPE 1944-60/Généralités/222.

58 Télégramme de Chauvel au Quai d’Orsay le 2 novembre 1957, ibid.

59 Télégramme de l’ambassade de France à Pineau le 1er mars 1956 in MAE/EUROPE 1944- 60/Grande- Bretagne/133.

60 Ibid.

61 Conversations entre Mollet et Macmillan aux Chequers le 11 mars 1956 in PRO/FO371/124441.

62 Elles se déroulent actuellement au sous-comité de désarmement des Nations unies.

63 Télégramme de Lloyd à Jebb le 28 juin 1957 in PRO/FO371/130645.

64 Note de Ramsbotham à Pemberton-Pigott le 19 mars 1958 in PRO/FO371/135620.

65 Ibid.

66 Conversation entre Chauvel et Selwyn Lloyd in Télégramme de Selwyn Lloyd à Jebb le 29 octobre 1957 in PRO/FO371/130645.

67 La discussion pour la mise en œuvre de ce plan ainsi que le problème de la possession d’armes nucléaires aura nécessairement lieu au sein de l’OTAN.

68 L’acte MacMahon mit fin en 1946 à la collaboration anglo-américaine sur l’énergie atomique.

69 Télégramme de Selwyn Lloyd à Jebb le 29 octobre 1957, op. cit.

70 Ibid.

71 Télégramme de Chauvel au Quai d’Orsay le 2 novembre 1957 in MAE/EUROPE 1944- 60/Généralités/222.

72 Télégramme de Chauvel au Quai d’Orsay le 21 décembre 1957 in MAE/EUROPE 1944- 60/Grande-Bretagne/133.

73 Quatre ans plus tard, une lettre de McGeorge Bundy, conseiller spécial du Président américain pour la défense et président du Conseil de sécurité nationale envoyée le 16 mai 1962 à Raymond Aron, résume a posteriori l’opposition essentielle entre l’attitude de la Grande-Bretagne et celle de la France : « Dans le domaine nucléaire, l’objectif particulier de la Grande-Bretagne n’a pas été tant d’établir son autonomie que de garder un droit de conseiller de prudence (cautionary counsel) à l’égard des États-Unis. La politique de la Grande-Bretagne a pour objectif l’intimité avec les États-Unis, une relation consultative avec le cran de sûreté (safety catch). Est-il totalement injuste de dire que la politique française, en sens contraire, tend à une indépendance accrue par rapport aux États-Unis et à la maîtrise immédiate de la gâchette ? », in R. Aron, op. cit., p. 426.

74 Le Monde du 4 décembre 1954.

75 Ibid.

76 À l’époque, André Siegfried disait volontiers à Pierre Brisson : « Le retour de de Gaulle au pouvoir, c’est la fin de l’Alliance atlantique. ». À quoi Raymond Aron répondait : « Non, le Général est trop intelligent, trop soucieux du rapport des forces pour rompre avec l’Alliance ou avec les États-Unis, pour rejeter ces derniers hors d’Europe. Il sait bien que Moscou a pour objet de séparer les Européens des Américains ; peut-il se donner le même but ? », in R. Aron, op. cit., p. 418.

77 Note de Rumbold à Hoyer-Millar le 2 juin 1958 in PRO/FO371/137268.

78 Lettre de Macmillan à de Gaulle le 3 juin 1958 in PRO/FO371/137269.

79 Lettre du général de Gaulle à Macmillan et Churchill le 7 juin 1958 in Télégramme de Jebb au Foreign Office le 8 juin 1958, ibid.

80 Projet de message de Macmillan au général de Gaulle juin 1958, ibid.

81 Conversation entre Chauvel et Hoyer-Millar le 4 juin 1958 in PRO/FO371/137269.

82 Conversation entre Chauvel et Selwyn Lloyd le 11 juin 1958, ibid.

83 Ibid.

84 Ibid.

85 Conversation entre Chauvel et Macmillan in Dépêche du Foreign Office le 20 juin 1958 in PRO/FO371/137269.

86 Ibid.

87 Conversation entre Chauvel et Selwyn Lloyd in Télégramme de Selwyn Lloyd à Jebb le 25 juin 1958 in PRO/FO371/137275.

88 Conversation entre Jebb et de Gaulle in Télégramme de Jebb au Foreign Office le 25 juin 1958 in PRO/FO371/137276.

89 Ibid

90 Ibid.

91 Télégramme de Jebb à Macmillan le 25 juin 1958, ibid.

92 Brief du Foreign Office pour la visite du Premier ministre à Paris le 29-30 juin 1958 n° III(b) in PRO/FO371/137276.

93 Idem, n° III(a).

94 Le SACEUR souhaite également contrôler les sites en Grande-Bretagne ; or, ces sites sont soumis à un accord anglo-américain. Le SACEUR est informé officieusement que la Grande-Bretagne n’acceptera pas le contrôle de ses sites. L’accord est discuté lors de la réunion des Bermudes en 1957 (donc avant la réunion des chefs de gouvernement de l’Alliance), et est négocié en dehors du contexte atlantique.

95 Brief du Foreign Office de juin 1958 op. cit., n° III(d).

96 Idem, n° IV(a).

97 Idem, n° IV(b)

98 Ibid.

99 Texte de la déclaration au Conseil in Télégramme de Roberts (délégation britannique à l’OTAN, Paris) au Foreign Office le 11 juillet 1958 in PRO/FO371/137277.

100 Compte rendu du Foreign Office des conversations entre de Gaulle et Macmillan in PRO/FO371/137277.

101 Compte rendu des conversations entre de Gaulle et Macmillan in Dépêche du Foreign Office signée Macmillan le 30 juin 1958 in PRO/FO371/137277. Le Foreign Office envoie un compte rendu des conversations à Dulles, avant ses propres conversations avec le général.

102 Ibid.

103 A l’issue des discussions, le Premier ministre enverra au général un mémorandum à ce sujet.

104 Dépêche du Foreign Office signée Macmillan le 30 juin 1958, op. cit.

105 Compte rendu du Foreign Office du 2 juillet 1958, op. cit.

106 Ibid.

107 Dépêche du Foreign Office signée Macmillan le 30 juin 1958, op. cit.

108 Le Figaro du 30 juin 1958 in Télégramme de Jebb au Foreign Office le 30 juin 1958 in PRO/FO371/137276.

109 Télégramme de Hood au Foreign Office le 2 juillet 1958, ibid.

110 Télégramme de Roberts (délégation britannique à l’OTAN, Paris) au Foreign Office le 11 juillet 1958 in PRO/FO371/137277.

111 Télégramme de Dejean (Moscou) au Quai d’Orsay le 15 juillet 1958 in MAE/EUROPE 1944-60/Généralités/209.

112 Télégramme de Young (ambassade de Grande-Bretagne à Paris) à Rumbold (Foreign Office) le 1er août 1958 in PRO/FO371/137270.

113 Ibid.

114 Télégramme de Roberts à Macmillan le 1er août 1958, ibid.

115 Ibid.

116 Télégramme de Young à Lloyd le 2 août 1958, ibid.

117 Lettre de Macmillan à de Gaulle le 5 août 1958, ibid.

118 Télégramme de Young (Paris) au Foreign Office le 8 août 1958, ibid.

119 Télégramme de Young (Paris) à Laskey (Foreign Office) le 9 août 1958, ibid.

120 Ibid.

121 Conversations franco-britanniques du 17 août 1958. Sont présents : de Gaulle, Couve de Murville, Chauvel, Selwyn Lloyd et Jebb. Compte rendu in PRO/FO371/137270.

122 Ibid.

123 Ibid.

124 Ibid.

125 Le texte complet de ce mémorandum figure en annexe.

126 MAE/Secrétariat général/Entretiens et messages/6.

127 Brief du Foreign Office le 13 octobre 1958 pour Churchill à la veille de sa rencontre avec de Gaulle du 6 novembre 1958 in PRO/FO371/137272.

128 Ibid.

129 Conversation entre Chauvel et Selwyn Lloyd le 15 octobre 1958, ibid.

130 Ibid.

131 MAE/Secrétariat général/Entretiens et messages/6.

132 Quai d’Orsay, note pour le ministre des Affaires étrangères, Cabinet, le 22 octobre 1958 in MAE/Secrétariat général/Entretiens et messages/6.

133 Le nom de cet interlocuteur ne figure pas sur le document, mais il s’agit sûrement de Couve de Murville.

134 Quai d’Orsay, Note d’audience, 27 octobre 1958 in MAE/Secrétariat général/Entretiens et messages/6.

135 Ibid.

136 Compte rendu de la réunion à Downing Street le 6 novembre 1958, ibid.

137 Télégramme de l’ambassade de Grande-Bretagne à Paris au Foreign Office le 15 novembre 1958 in PRO/FO371/137297.

138 Jean Planchais in Le Monde, ibid.

139 Brief du Foreign Office pour le secrétaire d’État sur les conversations avec de Gaulle le 16 décembre 1958 in PRO/FO371/137273.

140 Télégramme de Jebb au secrétaire d’État le 15 décembre 1958 in PRO/FO371/137273.

141 Télégramme de Jebb au secrétaire d’État le 15 décembre 1958, op. cit.

142 Note du Quai d’Orsay du 17 décembre 1958 in MAE/Secrétariat général/Entretiens et messages/6.

143 Grosser, Affaires extérieures, op. cit., p. 198.

144 Assistant Private Secretary to the Foreign Secretary, 1958-1959.

145 Sir Brooks Richards confirme que la correspondance relative à cette polémique a été supprimée des archives du Foreign Office.


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