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Chapitre VI. La France et la Grande-Bretagne : deux perceptions différentes de la défense européenne
p. 235-262
Texte intégral
1Après avoir évoqué les relations militaires entre les deux pays dans l’après-guerre, il nous paraît intéressant, alors que l’entente entre les deux pays sur les problématiques de défense européenne semble atteindre son apogée avec la signature du traité de l’Atlantique nord, de déterminer quelles sont les lignes de forces qui sous-tendent la politique de chacun des deux pays.
Des analyses politiques et militaires qui se recoupent
La conscience d’une Europe bipolaire
2Lors du débat de ratification du traité de l’Atlantique nord, le 25 juillet 1949, Robert Schuman analyse la situation européenne en ces termes :
Le sentiment de l’insécurité n’est pas toujours l’effet d’une menace déjà précisée, d’une agression visiblement préparée. Le seul déséquilibre des forces entretenu par le plus fort, non compensé pas des garanties internationales sérieuses au profit du plus faible suffit à créer l’insécurité1.
À cette définition fait écho, particulièrement chez les socialistes, le soulagement de « la fin du chantage, la reprise de notre véritable liberté »2.
3Les derniers mois de négociation du traité de l’Atlantique nord ainsi que sa ratification ont en effet vu l’approfondissement de l’antagonisme entre les deux blocs. Plusieurs événements accélèrent l’affrontement larvé entre l’Est et l’Ouest dès 1947.
4D’abord, la proclamation de la doctrine Truman de mars 1947 (aide américaine à tout gouvernement qui voudrait mettre un frein à l’expansion communiste, ce que rend d’ailleurs possible le mois suivant le vote d’une ligne budgétaire de 400 millions de dollars mise à la disposition du Président américain afin de mettre en œuvre cette politique de la Grèce et de la Turquie) ; ensuite, la fin de la participation communiste au gouvernement en France en mai 1947 ; la mise en place du European Recovery Programme (ERP) à compter de juin 1947 ; et la politique d’affrontement idéologique énoncée par Jdanov en septembre 1947 à la conférence de Szklarska Poreba (à laquelle répondra bientôt la doctrine Dulles aux États-Unis). Enfin et surtout, la politique de mise au pas et de répression engagée dans tous les pays de la zone d’influence soviétique (coup de Prague en février 1948, qui nous l’avons vu a incontestablement accéléré les négociations du traité de Bruxelles ; début de la crise de Berlin à partir du 31 mars 1948, qui accélère le vote de la résolution Vandenberg par le Sénat américain).
5L’affrontement ne fait donc pas de doute aux yeux des dirigeants britanniques et français à la fin des années 1940, comme en témoignent leurs déclarations de l’époque. Le coup de Prague est profondément ressenti en France, particulièrement par les socialistes qui sont très proches des socialistes tchécoslovaques (ceux-ci seront pour la plupart liquidés pendant le coup d’État communiste). Le modèle praguois pourrait s’appliquer rapidement au reste de l’Europe. À ce titre, le rôle des États-Unis, dans cette période d’incertitude apparaît primordial : « Les États-Unis ne devront jamais permettre que la France et l’Europe occidentale soient envahies par la Russie comme elles l’ont été par l’Allemagne »3, déclare ainsi en ce mois de mars 1948 le socialiste Henry Queuille. Pour les Britanniques, le gouvernement de l’URSS, ayant constitué un bloc politique et économique réel, toute perspective immédiate de rétablissement et maintien de « relations normales avec les pays européens derrière sa ligne de contrôle » était impensable, ces pays étant « dominés par des communistes, bien que minoritaires ». Pour Bevin, il s’agit non seulement de tenter – difficilement – de contenir « l’empiétement additionnel de la marée soviétique », c’est-à-dire de renforcer les barrières « physiques », mais aussi, dès lors, d’« organiser et consolider les forces éthiques et spirituelles inhérentes à cette civilisation occidentale dont nous sommes les principaux protagonistes », car l’URSS, derrière sa ligne de « retranchements solides », exerce une pression « croissante et continuelle, qui menace la structure entière de l’Ouest »4.
6Dès la fin de la guerre, les Britanniques prennent conscience de la nécessité d’une aide militaire massive à l’Europe de l’Ouest, en raison du déséquilibre des forces sur le continent. En avril 1948, le Foreign Office déclare :
Nous n’estimons pas qu’il y ait un substitut à un traité, si quelque chose d’efficace devait être fait. Un vrai système de défense établi par les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et les États d’Europe de l’Ouest affecterait l’approche globale du monde vis-à-vis du problème de la paix, et sera le premier grand pas vers ce qui, en fin de compte, pourrait devenir un vrai système collectif de sécurité mondial, conformément aux principes des Nations unies5.
Et dans un message à Marshall le 16 avril 1948, les gouvernements français et britannique rappellent que la situation en Europe, malgré la tournure favorable depuis la signature du traité à Cinq, risque de bientôt s’aggraver, et déclarent leur vif souhait que les États-Unis soient maintenant prêts à prendre « une quelconque direction » en s’associant avec la défense de l’Europe occidentale : « tout le monde doit comprendre qu’en pratique, la défense de l’Europe de l’Ouest doit être considérée comme faisant partie de la défense du monde occidental »6.
7De fait, les Européens, malgré leur tentative, affrontent de sévères difficultés économiques, qui ont des conséquences non négligeables sur leurs capacités financières dans le cadre du réarmement d’après-guerre. Une note au Foreign Office le 24 juin soulève le problème de paiements intra-européens, et notamment de l’augmentation des paiements à la Grande-Bretagne dans le cadre du réarmement d’Europe de l’Ouest. Le Foreign Office rappelle que les objections du Trésor à la fourniture d’avions en France avant l’établissement d’un accord sur la méthode de paiement « n’ont pas encore été surmontées », et que si le Trésor maintient cette position, il faudrait de toute urgence trouver un accord de base pour le financement du réarmement occidental : « même si le Trésor décide de laisser de côté la question pour le moment, le problème est tel qu’aucun de nous ne peut se permettre de ne pas en tenir compte »7.
8Le mois suivant, le Quai d’Orsay adresse à l’ambassade britannique à Paris un document sur les conséquences financières de la coopération en matière de défense prévue entre les deux pays. Certaines fournitures britanniques sont prévues dans peu de temps, et le gouvernement français souhaite une clarification des répercussions financières. Le Quai d’Orsay affirme que, en effet, les réserves d’or et de devises de la France sont tombées « en dessous du niveau généralement considéré comme inférieur au minimum de sécurité ». La dette extérieure de la France est importante ; le déficit de la balance de ses paiements actuels s’affiche à 1,5 milliard de dollars par an ; les règlements entre la zone franc et la zone sterling « se traduisent par un important déficit pour la France », dont la dette depuis la guerre envers la Grande-Bretagne représente maintenant environ 120 millions de livres. Dans ces circonstances, le gouvernement français « n’estime pas pouvoir contracter de nouvelles dettes vis-à-vis du Royaume-Uni au titre de l’exécution d’un programme d’armement ». Dans le but commun de l’exécution par la France et la Grande-Bretagne d’un plan de défense dont l’importance est vitale et « ne doit être ni entravée ni retardée par des difficultés financières », le Quai d’Orsay propose de restaurer dans ce contexte « les principes de l’aide mutuelle tels qu’ils ont fonctionné entre eux pendant la dernière guerre » (Paris rappelle que ces principes ont été appliqués également par le gouvernement américain). Selon ces termes, et « dans la limite de [leurs] ressources et de [leurs] possibilités propres », la France et la Grande-Bretagne fourniraient entre eux à titre gratuit « les prestations à caractère militaire qu’il est en mesure de lui consentir dans l’intérêt commun ». Le mémorandum se termine avec la proposition, en cas d’accord de la Grande-Bretagne sur les points ci-dessus, de négociations immédiates, pour que « l’étude et la mise en application du plan militaire commun puissent se poursuivre sans aucun délai »8.
9La prise de conscience française de la nécessité d’un soutien militaire extérieur se fait donc, elle aussi, rapidement. D’une part parce que la France, dès 1947, est engagée dans une guerre en Indochine qui l’oblige à envoyer ses meilleures troupes (et une bonne partie de son encadrement militaire) en Extrême-Orient, au détriment de son déploiement militaire en Europe. D’autre part parce que, comme nous le verrons, ses difficultés économiques empêchent la France de devenir le pivot de la défense ouest-européenne, rôle que souhaitent pourtant lui donner les Anglo-Saxons, comme le démontrent les conversations entre Bonnet et le général Bradley en avril 1948. Bradley défend le réarmement français, car une armée française forte et équipée est essentielle pour l’Europe, en tant que « noyau » autour duquel se rassembleraient les forces armées belges, néerlandaises et britanniques : « Il voit dans la réorganisation d’une quarantaine de divisions françaises la solution du problème militaire de l’Europe occidentale. [Il] m’a assuré qu’il continuerait de s’employer à faire adopter l’idée du réarmement des forces françaises par le Congrès9. »
10L’application du traité de Bruxelles achoppe en effet très rapidement sur les moyens financiers nécessaires à l’intégration des armées des Cinq. Ainsi, le 26 et 27 octobre 1948, lors d’une rencontre entre Bevin et Ramadier, la faiblesse de la position économique et militaire de l’Europe est explicitement évoquée par les deux partenaires (l’urgence de l’aide américaine est patente). En ce qui concerne la puissance relative des divisions occidentales par rapport à celles de l’URSS, Bevin est soucieux de résoudre le problème du déséquilibre des forces rapidement, et pour cela, les Européens semblent avoir besoin de beaucoup d’aide matérielle des États-Unis. Il faut à tout prix, pour la Grande-Bretagne et la France, « éviter un déséquilibre de nos économies et donc la destruction de notre force économique du fait d’un effort excessif d’augmentation de notre puissance militaire ». La Grande-Bretagne peut progresser par elle-même dès maintenant, mais elle a aussi besoin de l’aide américaine. Marshall a promis des livraisons préliminaires en janvier, ce qui serait un encouragement non négligeable pour le moral des forces armées, et donc constituerait un progrès permettant aux Cinq de mieux s’organiser. L’intégration des industries concernées serait effectuée par le Military Supply Board, et pour le problème des paiements intra-européens, Bevin confirme qu’une solution a été arrêtée pour que les paiements entre les Cinq soient facilités, afin de ne pas freiner les échanges.
11Pour Ramadier, et Bevin le soutient, la priorité est d’arriver « à l’égalité en ce qui concerne la puissance initiale de déploiement avec les Russes », et cela dans les deux prochaines années au plus tard. Ramadier évoque l’intégration de l’aide militaire américaine avec celle du ERP, car dans son esprit, l’allocation budgétaire américaine pour l’aide à l’Europe ne fait pas de distinction entre l’aide militaire et l’aide de l’ERP. L’aide militaire viendrait donc, soit par une réduction de dépenses militaires américaines pendant le American Rearmement Programme (ce qui débloquerait des crédits pour l’Europe de l’Ouest), soit par une réduction de l’aide du plan Marshall, c’est-à-dire les Européens recevraient globalement les mêmes sommes, mais sous forme de crédits militaires plutôt que sous forme d’aide économique. C’est une question essentielle pour Ramadier, dont Bevin, qui a discuté de la question avec Marshall, partage l’importance. Bevin n’estime pas que les Etats-Unis, étant « parfaitement conscients des dangers », aient l’intention de modifier l’European Recovery Programme. Il avoue ne pas connaître leurs intentions précises, mais estime que les États-Unis s’engageront encore plus vis-à-vis de l’Europe, malgré les élections à venir : « Ils veulent que l’Europe se rétablisse rapidement, sinon elle pourrait s’effondrer et l’Amérique aurait donc gaspillé l’argent accordé dans le cadre du European Recovery Programme10. » Notons d’ailleurs que, dès cette époque, le rôle américain dans la défense de l’Europe n’est pas négligeable, puisque dès 1948, les Américains envoient en Grande-Bretagne soixante bombardiers stratégiques susceptibles d’emporter des vecteurs atomiques, et des militaires américains participent aux comités militaires prévus par le traité.
12Toutefois, le traité de Bruxelles perd rapidement de son importance dès la signature du traité de l’Atlantique nord. Il apparaît que le financement de l’intégration des différentes forces militaires représente pour les pays européens participants (et particulièrement la France et la Grande-Bretagne) le problème majeur de l’application de ce traité. De fait, le Comité de défense du traité de Bruxelles laisse très rapidement sa place aux différents comités issus du traité de l’Atlantique nord, dont certains ont vocation spécifique à traiter des problèmes économiques et budgétaires liés aux clauses militaires du traité (Comité de défense économique et financière, Comité militaire de production). Dès 1949, les dépenses nationales des pays signataires sont subordonnées aux besoins de financement nés de l’application de la stratégie et du déploiement des forces prévues par le traité de l’Atlantique nord. À la même date, les dépenses occasionnées par la mise en œuvre du traité de Bruxelles sont de facto transférées aux dépenses liées à l’application du traité de l’Atlantique nord. La subordination de la France et de la Grande-Bretagne aux États-Unis en matière de financement et d’équipement de leur armée se double d’une subordination stratégique et militaire de fait. En effet, le déséquilibre des forces en 1949 est patent : l’OTAN aligne 11 divisions et 1 000 avions contre 27 divisions et 6 000 avions pour les Soviétiques. Dès lors, il apparaît que les forces conventionnelles de l’OTAN sont déployées afin de soutenir le premier choc d’une éventuelle offensive soviétique, dans l’attente du soutien ultérieur des Américains (sous une forme conventionnelle ou sous la forme ultime de l’arme atomique, dont l’usage reste bien sûr à la seule discrétion des États-Unis), qui seul peut garantir la victoire.
13Ainsi, un mémorandum du 25 mai 1948 résume en pleine négociation sur le Pacte atlantique les intentions des Cinq dans l’attente de l’aide américaine : en cas d’attaque de la part de l’Union soviétique, qu’elle vienne dans l’immédiat ou non, les Cinq sont résolus à se battre aussi loin à l’Est que possible en Allemagne. En cas d’invasion soviétique en Europe de l’Ouest, « des dommages irréparables seront infligés avant leur libération » : il faut donc viser à retenir les Soviétiques « à la position la moins avancée en Allemagne », et à couvrir le territoire des Cinq afin de s’assurer le temps nécessaire pour l’intervention décisive des États-Unis. Le mémorandum affirme que les Cinq, en pleine évaluation de leurs ressources, « reconnaissent pleinement » qu’ils sont actuellement « militairement affaiblies », et qu’il est essentiel que leurs plans soient liés « très étroitement au concept stratégique américain » ainsi qu’au déploiement des forces « qu’elles sont prêtes à fournir » pour la défense de l’Europe occidentale, et ce, dès le commencement11.
14Ce parapluie américain, désiré par la Grande-Bretagne mais aussi par la France, apparaît aux yeux des dirigeants des deux pays comme la condition nécessaire de la sécurité de l’ouest du continent européen. Dès septembre 1948, le Foreign Office est conscient que même s’il est préférable que la Grande-Bretagne, soutenue par les États-Unis, puisse être « défendue et utilisée comme base pour des opérations offensives », son potentiel industriel serait inévitablement détruit en même temps. L’Union occidentale doit disposer de la puissance nécessaire pour être efficace au niveau militaire : si elle ne l’est pas, selon le mémorandum, au moment où une guerre éclate, elle risque d’être envahie. Pour le Foreign Office, la défense de l’Europe occidentale peut être garantie par un pacte régional dans la région nord-atlantique dans le cadre du chapitre VIII de la Charte des Nations unies12. Bevin, au cours de son discours à la Chambre des communes le 18 mars 1949, affirme que l’organisation du traité de Bruxelles a fait beaucoup de progrès. Cependant, ce nouveau Pacte atlantique,
nous regroupe sous un toit de sécurité plus large, un toit qui s’étend sur l’océan atlantique et nous donne l’assurance d’une prépondérance de puissance, qui sera utilisée pour défendre la paix, la sécurité et le progrès...
Le but et l’utilité de ce pacte est de faire un vrai socle, sur une base la plus large possible, de la sécurité collective dans le vrai sens du terme, et nous espérons que les conditions politiques deviennent telles que ce système de sécurité collectif puisse, si nous arrivons à une compréhension mutuelle, s’étendre pour couvrir le monde entier13.
La dépendance économique de la France et de la Grande-Bretagne à l’égard de l’aide américaine
15L’importance de l’aide américaine est un élément déterminant du succès de la reconstruction en France et en Grande-Bretagne. Comme nous l’avons vu, la situation économique de la France est très difficile au sortir de la guerre. Le rétablissement de l’économie française, priorité des priorités des premiers gouvernements de la IVe République, conduit les dirigeants français à mettre en place une planification du redressement économique du pays. Pierre Mendès France, qui est l’un des premiers à défendre la mise en place d’une telle planification en créant une direction du Plan dès 1944, est relayé par ses successeurs, et plus particulièrement Maurice Schumann14, qui fonde en janvier 1946 le commissariat au Plan sous la direction de Jean Monnet. Le plan mis au point dès novembre 1946 par le gouvernement Blum (Plan de modernisation et d’équipement) vise à faire retrouver à la France dès 1948 son niveau de production de 1938. Six secteurs économiques sont définis comme prioritaires : l’électricité, le charbon, l’acier, le ciment, les transports ferroviaires et le matériel agricole.
16Très rapidement apparaît aux yeux des dirigeants français le problème du financement du plan de reconstruction. Le salut ne saurait se trouver dans les échanges extérieurs. En effet, la France souffre d’un appareil productif insuffisamment compétitif pour développer les exportations qui pourraient financer ses importations, pourtant nécessaires à la rénovation de son appareil productif. Comme le dit Jean Monnet, « Nous devons exporter même l’utile pour nous procurer l’indispensable15. »
17De fait, le manque de spécialisation de l’industrie dans l’immédiat après-guerre et la poussée des investissements liés à la reconstruction qui entraîne une augmentation des importations (particulièrement américaines) amènent un gonflement du déficit extérieur (5 milliards de dollars entre 1946 et 1949) et, par là, de la dette. Pour financer les déficits extérieurs, la France utilise non seulement des palliatifs (vente des avoirs extérieurs ou des stocks d’or de la Banque de France), mais surtout négocie, dès 1946, avec les Américains, l’obtention de prêts nécessaires au financement de sa reconstruction16. Le sort des dettes d’avant-guerre réglé dès 1946 par les accords Blum-Byrnes, la France contracte donc auprès principalement des États-Unis de nouveaux prêts (par exemple dès 1947, 650 millions de dollars de l’Export-Import Bank pour l’achat de matériel américain, 250 millions de dollars de la BIRD, 280 millions de dollars du FMI), qui accentuent sa dépendance financière à l’égard de son allié américain17.
18Mais c’est surtout l’aide directe du gouvernement américain dans le cadre du ERP qui met en évidence l’importance de l’aide américaine accordée à la France – et à la Grande-Bretagne – entre 1947 et 1950. L’annonce de cette aide par Marshall dans son discours du 5 juin 1947 (« aide fraternelle » destinée à rétablir « cette santé économique normale sans laquelle il n’est pas de paix sûre ») permet en effet aux principaux pays d’Europe de l’Ouest, de répondre au douloureux problème de manque de moyens nécessaires au financement des importations en vivres et matières premières (pendant la durée de son application, l’ERP apporte au total 13 milliards à l’Europe). Ce sont ainsi 284 millions de dollars fin 1947 et 1 300 millions de dollars en 1948 qui sont accordés à la France dans le cadre de l’aide globale des États-Unis à l’Europe. Au regard de la faiblesse des exportations françaises, cette aide s’avère primordiale pour le financement des importations, nécessaires à la reconstruction économique du pays18.
19De fait, à la fin des années 1940, le bilan de la reconstruction en France est considérable. Dans le domaine agricole, la France revient, par exemple, dès 1948-1949, au niveau de production de 1938, principalement grâce à l’importation de matériel agricole américain financé par des prêts de l’Export-Import Bank. En revanche, dans le domaine industriel, la reconstruction s’est avérée plus difficile, même si dans le domaine énergétique, les progrès sont considérables. La production de charbon retrouve en 1950 son niveau de 1929. La production électrique, mue par le volontarisme des pouvoirs publics, progresse fortement (33 MW en 1950 contre 20 MW en 1938). Dans le domaine sidérurgique, autre priorité du plan, la progression est également soutenue : on retrouve en 1950 le niveau de 1938 (mais pas celui de 1929). Il est pourtant notable qu’une partie de cette production doit être exportée, puisque les débouchés en France sont insuffisants, en raison de la faiblesse des industries de transformation qui ne constituent pas une priorité du plan.
20L’économie française est donc convalescente (notons par exemple, à ce titre, que les objectifs du plan pour la production d’acier sont loin d’être atteints, avec 52 millions de tonnes d’acier produites en 1950 contre 62 millions anticipées). Les problèmes rencontrés en 1949-1950 mettent en exergue une dépendance à l’égard des États-Unis qui n’a pas disparu, puisque ces années correspondent à la période d’aide la plus importante versée à la France dans le cadre du European Recovery Programme.
21Les Britanniques connaissent quant à eux, à la fin des années 1940, une crise financière aiguë. En 1947, la convertibilité de la livre a été décidée de manière prématurée. La fuite des capitaux entraîne, de manière précipitée, le rétablissement du contrôle des changes, puis la dévaluation de la monnaie britannique en 1949. Le rétablissement financier est atteint en 1950, et la Grande-Bretagne peut déclarer avec fierté, cette même année, renoncer à l’aide Marshall (qui représente de 1947 à 1950 2,9 milliards de dollars). Cet aboutissement ne saurait cependant masquer la profonde faiblesse de la Grande-Bretagne. Cette amélioration est en effet essentiellement due au boom conjoncturel né du déclenchement de la guerre de Corée (cf. infra). Cette fragilité relative trouve, en effet, son meilleur exemple dans les problèmes financiers rencontrés par la Grande-Bretagne dans le financement de ses dépenses militaires, nées non seulement de sa volonté de maintenir une présence à l’est de Suez, mais aussi des obligations liées à l’effort d’armement consécutif à la mise en place des premiers traités de défense collective en Europe19.
22L’aide américaine contribue à faire naître un sentiment « atlantiste » chez les Français et les Britanniques. En effet, l’aide des États-Unis dans l’immédiat après-guerre, mais surtout la mise en place du European Recovery Programme ont en effet trois significations majeures aux yeux de la France et de la Grande-Bretagne. D’abord, ils mettent fin, avant même le vote de la résolution Vandenberg, à l’isolationnisme américain. Ensuite, ils manifestent la priorité accordée par les États-Unis à la zone Europe par rapport à toute autre région du monde. Enfin, ils obligent l’Europe à penser l’ensemble de ses problèmes, et en premier lieu ses problèmes économiques, et par la même, le financement du réarmement, en termes globaux. De ce fait, on peut affirmer que les États-Unis influencent directement les premières réflexions européennes d’Union occidentale. Il est d’ailleurs significatif que les premières institutions pan-européennes sont créées afin de gérer la répartition de l’aide américaine : OECE (Organisation européenne de coopération économique) ou UEP (Union européenne des paiements). Par la suite, les États-Unis encouragent systématiquement toute initiative d’intégration européenne. Ils apportent ainsi un soutien essentiel à la formation de la Communauté européenne du charbon et de l’acier créée en 1951 sur l’initiative de Schuman.
23L’avantage politique tiré par les États-Unis de l’aide Marshall est considérable (on a pu parler de Dollar Diplomacy), puisqu’il crée de fait un sentiment « atlantique » chez les principaux dirigeants européens, tous conscients, à des degrés divers, de l’importance, de l’influence déterminante sur leur politique diplomatique et militaire de l’aide américaine :
La France n’a pas – et n’aura pas pour plusieurs années – les moyens matériels d’une grande puissance. La France reçoit du dehors les armes de ses soldats et les matières premières de ses usines. Tant qu’elle dépendra pour son existence même de la bienveillance des autres, elle n’aura pas le plus indispensable attribut de la puissance20.
En janvier 1948, Bevin déclare qu’il a tout fait et continuera à tout faire pour concrétiser le plan Marshall. Cependant, le progrès économique, essentiel certes, ne pourra pas seul faire face à la menace soviétique : « des forces politiques et même spirituelles doivent être mobilisées pour nous défendre »21. Ce sentiment est d’ailleurs tout à fait justifié : alors que l’aide Marshall est finie, la menace de l’abandon des négociations pour la mise en place d’un crédit à la Grande-Bretagne de 1 milliard de dollars par les États-Unis ne sera pas sans influence sur l’arrêt de l’expédition franco-britannique de Suez en 1956.
24Cette dépendance économique n’est donc pas sans conséquence sur les politiques diplomatique et militaire de la France et de la Grande-Bretagne. L’amélioration économique en France apparaît clairement en 1949 mais elle reste fragile (l’équilibre de la balance des paiements est tout juste atteint). Trois éléments peuvent néanmoins remettre en cause cette fragile amélioration. Premièrement, la signature du Pacte atlantique en 1949 prévoit un programme de réarmement qui menace de contrarier gravement les objectifs du plan Schuman. Cette difficulté est toutefois très rapidement contournée par la participation active des États-Unis aux financements des dépenses militaires de réarmement, ce entre 1950 et 195522. Deuxièmement, le déclenchement de la guerre d’Indochine menace, par les dépenses qu’elle occasionne, l’équilibre des finances publiques. Une fois encore, les États-Unis participent de manière très active aux dépenses militaires françaises en Indochine. Enfin, les États-Unis connaissent en 1949 une année de stagnation économique qui affaiblit leur rôle de « locomotive » de l’activité mondiale. Ces difficultés sont de courte durée. Dès l’année suivante, le déclenchement de la guerre de Corée, par l’accroissement des dépenses militaires qu’elle entraîne, permet une très forte augmentation de la demande en matières premières et une hausse des prix de 40 % sur certaines matières premières stratégiques ainsi qu’une hausse du commerce maritime. Cette hausse du prix des actifs, qui entraîne pour la France une résurgence du phénomène inflationniste, permet au pays un accroissement notable de l’activité (7,9 % en 1950, 6,4 % en 1951) par la relance des exportations (+ 46 % en 1950, + 12 % en 1951)23.
25La France apparaît donc en position de faiblesse dans ses rapports économiques et diplomatiques avec les États-Unis, et ce d’autant plus que l’absence d’alternative à l’aide américaine lui interdit toute politique de chantage à l’aide extérieure vis-à-vis de son puissant fournisseur. La prise de conscience de cette dépendance ne fait aucun doute chez les principaux dirigeants français : la guerre menée par les Français dans l’une de leurs propres colonies ne saurait ainsi être menée sans l’aide américaine. Cette prise de conscience est pleinement partagée par les Britanniques.
26Le sentiment « atlantiste » chez les dirigeants des deux pays naît donc d’abord dans la douloureuse prise de conscience de la subordination, de leur économie et sa reconstruction, à la volonté américaine. Notons d’ailleurs, que la France est en Europe la grande bénéficiaire de l’aide militaire américaine qui prend le relais de l’aide Marshall, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent.
L’évolution de l’attitude de la France vis-à-vis du problème allemand
27L’antagonisme entre les deux blocs amène les Français à s’interroger sur leur rapport avec l’Allemagne. Rappelons qu’au sortir de la guerre, l’Allemagne est divisée en quatre zones d’occupation (russe, américaine, britannique et française). Le désir américain d’ancrer la partie ouest de l’Allemagne dans le camp occidental va rapidement entraîner une division de fait du pays, et l’obligation pour la France de réviser ses projets de l’immédiat après-guerre.
28En effet, l’attitude française vis-à-vis de l’Allemagne reste longtemps ambivalente. La diplomatie française en Europe dans l’immédiat après-guerre vise essentiellement à conjurer toute renaissance de la puissance militaire allemande, perçue pendant longtemps à leurs yeux comme le principal, voire le seul danger à la paix sur le continent. Pourtant, comme nous l’avons vu, le point de vue des pouvoirs publics français évolue entre, d’une part, la signature du traité de Dunkerque, essentiellement dirigé contre l’Allemagne et, d’autre part, la signature du traité de Bruxelles, principalement en raison de la menace hégémonique qui semble se confirmer à l’est du continent, et au vu de la garantie américaine de fait donnée à la France en cas de renaissance explicite du danger allemand.
29Pourtant, cette assurance américaine ne modifie pas fondamentalement la politique française à l’égard de l’Allemagne jusqu’au milieu de l’année 1948 (recherche de la création d’une entité rhénane et de la Ruhr détachée du reste de la zone allemande ; annexion à terme de la Sarre). Cette politique s’oppose pourtant progressivement à la volonté des États-Unis, mais aussi de la Grande-Bretagne, d’unifier les trois zones d’occupation de l’ouest de l’Allemagne, en vue de constituer une entité autonome unique. À la suite d’une longue période d’obstruction systématique et solitaire de la France, afin d’annihiler tout projet d’autonomie de la partie ouest de l’Allemagne, il faut attendre le printemps 1948 pour que la politique française évolue, principalement sous la pression de facteurs extérieurs (« normalisation » dans le bloc de l’Est avec le coup de Prague en février 1948 et le début de la crise de Berlin fin mars 1948 ; ainsi que la détérioration de la situation économique en France qui contraint les Français à se montrer plus conciliants avec leurs alliés anglo-saxons). Sous couvert de l’illusion donnée au pays et à ses dirigeants de l’éventuel rattachement de la Sarre à la France, le gouvernement Schuman accepte, lors de la conférence de Londres en juin 1948 (réunissant les Cinq et les États-Unis), le principe de la constitution d’un État souverain ouest-allemand24.
30Le 8 avril 1949, quatre jours après la signature du traité de l’Atlantique nord, les Trois définissent les huit textes fixant les statuts définitifs de l’Allemagne de l’Ouest. La France, sous la pression de ses alliés, a donc été amenée, par renoncements successifs, à accepter la création d’un État souverain dans la partie ouest de l’Allemagne. Cette lente évolution fait abandonner à la diplomatie française une vision de l’échiquier européen correspondant plus à une perception des dangers de l’Europe des années trente. Ce n’est qu’en 1948 que les perceptions françaises et britanniques des problèmes de sécurité se recoupent sur la problématique de la hiérarchie des menaces en Europe. Si, comme nous l’avons vu, le personnel politique et diplomatique français s’accorde en effet très tôt avec son homologue britannique sur la perception du nouveau danger soviétique, l’obsession allemande de la France masque cet accord jusqu’à la mi-194825.
31Plusieurs éléments rapprochent donc Français et Britanniques au début des années cinquante dans leur analyse de la situation ouest-européenne, sur laquelle se base finalement leur vision d’une Europe de défense. D’abord, une prise de conscience de la primauté américaine, tant économique que militaire, et la volonté de ménager un allié dont l’importance va croissante face à la menace soviétique. Mais aussi une perception du danger en Europe qui se recoupe finalement au milieu de l’année 1948 avec, particulièrement chez les Français, une hiérarchie dans la menace qui semble placer définitivement le danger soviétique à la tête des préoccupations des diplomates et militaires du pays.
32Toutefois, les divergences entre les deux alliés restent pérennes (absence de consensus politique en France, désir de retrouver son rang, particulièrement vis-à-vis des Américains). Plus encore, de nouvelles naissent entre les deux alliés : un décalage sur le rôle exact des États-Unis en Europe et une différence de conception fondamentale sur la forme que doit revêtir l’intégration européenne.
Les prémices de l’éloignement
Le problème du réarmement allemand divise les deux pays
33La France subit, plus qu’elle ne la désire, la reconstitution d’une entité politique allemande autonome en 1949. Il en va autrement pour un problème sur lequel la position de ses alliés eux-mêmes est moins catégorique : le réarmement allemand et l’éventuelle intégration de l’Allemagne dans les pactes de sécurité ouest-européens. Il est vrai que la perception d’un danger allemand est partagée par ses principaux alliés, Américains comme Britanniques. Comme nous l’avons vu, il faut une intervention américaine à la fin des négociations pour le traité de Bruxelles, par laquelle les États-Unis reconnaissent explicitement leur possible intervention en cas de menace d’agression de la part de l’Allemagne, ou dans le cas d’un manquement de l’Allemagne en matière de désarmement ou de démilitarisation.
34Curieusement, la question allemande n’est pas frontalement évoquée lors des négociations pour le traité de l’Atlantique nord. Il n’est donc pas étonnant de voir Robert Schuman, lors de la signature de ce traité, exclure de fait toute idée de réarmement allemand. Pour lui, ce serait impossible qu’une « puissance non souveraine – et l’Allemagne rentre dans cette catégorie avec son territoire scindé en deux – soit dotée d’une armée, attribut même de la souveraineté »26. Lors de la présentation du texte du traité de l’Atlantique nord aux députés, Schuman peut donc affirmer catégoriquement qu’au sujet de l’Allemagne,
[...] on m’a posé cette question à plusieurs reprises : « Peut-on admettre l’Allemagne à participer au Pacte atlantique ? ». C’est une question qui ne peut pas se poser, non seulement dans l’immédiat, mais même ultérieurement. L’Allemagne n’a pas encore de traité de paix. Elle n’a pas d’armement et elle n’en aura pas. Il est donc impensable pour la France et ses alliés que l’Allemagne puisse être admise à adhérer au Pacte atlantique comme une nation susceptible de se défendre ou d’aider à la défense des autres nations27.
Pourtant, la question fondamentale d’un éventuel réarmement allemand dans le cadre du pacte apparaît à l’analyse. Dans son célèbre éditorial dans Le Monde du 6 avril 1949, Sirius n’affirme-t-il pas : « le réarmement de l’Allemagne est compris dans le Pacte atlantique comme le germe dans l’œuf »28. Cette analyse se révèle en effet pertinente et place rapidement la France dans une situation difficile vis-à-vis de ses alliés, et donc de la Grande-Bretagne.
35Face à la détérioration de la situation internationale (particulièrement le début de la guerre de Corée en 1950-1951), les Européens, comme les Américains, perçoivent parfaitement les dangers encourus par une Europe de l’Ouest en position de faiblesse militaire criante. Dans un rapport aux gouvernements signataires du traité de Bruxelles le 15 juin 1950, Montgomery écrit qu’actuellement, ainsi que dans « l’avenir prévisible », en cas d’attaque par l’Union soviétique, l’Europe de l’Ouest serait « le théâtre de scènes d’une effroyable et indescriptible confusion »29.
36Les Américains affichent comme priorité le renforcement du système défensif ouest-européen. Or, à leurs yeux, une condition sine qua non de la crédibilité de cette défense est l’intégration d’une force militaire allemande au sein de l’OTAN. Comme l’expliqua le général Revers, officieusement, les États-Unis ont toujours eu l’intention d’intégrer dans la défense européenne une infanterie allemande, et non pas une armée allemande propre : « s’ils étaient prêts à envoyer des tanks et matériels en Europe, ils n’étaient pas disposés à y faire tuer leurs hommes, tandis que les Allemands pouvaient fournir d’excellents fantassins »30.
37Cette volonté contredit profondément la politique française d’après-guerre, qui vise essentiellement à éviter toute renaissance du militarisme germanique. L’affrontement avec les Anglo-Saxons paraît donc inévitable, d’autant plus que les Américains, par exemple, ne s’encombrent plus de circonlocutions (rappelons la déclaration d’Acheson à la conférence de New York du 12 septembre 1950 : « Je veux des soldats allemands en uniforme pour l’automne 1951 »). Il est patent que la pression américaine grandissante pour l’intégration de l’Allemagne à la défense européenne suite aux événements de Corée, heurtent de front la politique française de défense en Europe, dont le but est finalement d’éviter « la création d’une armée allemande [...] la constitution de divisions allemandes, de celle d’un ministère de la Défense allemand »31.
38La France doit donc résoudre un problème difficile : elle veut l’intervention américaine pour appuyer la défense de l’Europe de l’Ouest ; or, elle est parfaitement consciente que les États-Unis veulent que l’Allemagne fasse pleinement partie de toute architecture de défense occidentale en Europe, afin de crédibiliser le système de défense ouest-européen vis-à-vis des Soviétiques. Comme l’observe Maurice Schumann, « nous étions dans une situation infernale ». D’un côté, la France ne pouvait pas accepter l’idée d’une armée nationale allemande, mais de l’autre, elle pouvait difficilement, alors que se déroule la guerre de Corée, s’opposer à l’installation du quartier général d’Eisenhower sur le territoire européen : « les Américains nous avaient mis le marché en main : si les Allemands ne participent pas à la défense de leur territoire, il n’y aura pas d’état-major interallié en Europe »32.
39Contrairement à la France, la Grande-Bretagne, par pragmatisme (mais aussi parce que le danger allemand, malgré deux conflits en trente ans, n’est pas perçu avec la même intensité que chez les dirigeants et l’opinion publique française), ne considère pas le problème allemand comme présentant un sujet méritant un affrontement avec ses alliés. Elle n’est pas dans l’obligation de prendre une initiative destinée principalement à contrer la volonté d’intégration pure et simple de l’Allemagne au Pacte atlantique, afin de ne pas apparaître comme étant à l’origine d’un affaiblissement de la défense de l’Europe de l’Ouest (en effet la nécessité d’intégrer des soldats allemands dans le système de défense européenne apparaît à tous, et à une partie des cercles politiques et diplomatique français, comme une réalité difficile à ignorer). Cette initiative, nécessaire aux Français pour éviter l’intégration pure et simple de l’Allemagne au système collectif de défense ouest-européen, et qui rencontrera d’ailleurs un écho relativement favorable aux États-Unis, n’est donc pas partagée par son allié britannique.
Une conception différente de l’Europe
40L’intégration européenne fait très tôt débat en France comme en Grande-Bretagne. Dans son discours de Zurich le 19 septembre 1946, Churchill appelle de ses vœux la constitution des États-Unis d’Europe autour de l’axe franco-allemand, auquel toutefois ne doit pas participer la Grande-Bretagne, accaparée par ses liens privilégiés avec le Commonwealth. Toutefois, Churchill affirme avec force dans ce discours, qu’il ne peut s’agir que de la constitution d’une union de nations n’ayant rien perdu des attributs de leur souveraineté. A ce discours répond très tôt une vision fédéraliste de l’Europe, qui affirme la nécessité pour se faire d’abandon partiel de souveraineté. L’opposition entre ces deux conceptions divise les dirigeants européens, mais surtout opposent rapidement la France et la Grande-Bretagne. Un élément déterminant unit toutefois les deux camps : la certitude, particulièrement après le coup de Prague de mars 1948, que cette intégration européenne constitue un élément essentiel de la sécurité de l’Europe occidentale.
41En mai 1948 se tient à La Haye le Congrès de l’Europe, réunissant autour de Churchill 800 personnalités européennes. À l’occasion de ce congrès est solennellement rappelée la nécessité d’abandonner une partie de la souveraineté des États, afin de coordonner et de développer leurs ressources, et la nécessité d’intégrer l’Allemagne à la construction de l’Europe de l’Ouest, et de constituer une assemblée parlementaire. Le mouvement européen contribue, à l’issue de ce congrès, à la création le 5 mai 1949 à Londres, du Conseil de l’Europe qui, à la déception de ses concepteurs, s’avère être plus un club (auquel participent au demeurant des membres prestigieux tels que Churchill, Spaak, Reynaud) qu’une véritable organisation supranationale. En effet, les réticences britanniques à voir donner au Conseil de l’Europe de nouvelles attributions, cantonnent finalement cet organisme au domaine juridique et culturel, à la grande déception des Français (rappelons que Georges Bidault est à l’initiative du projet).
42Il apparaît en effet un clivage de plus en plus net entre les positions françaises et britanniques sur le niveau de l’intégration européenne, et plus particulièrement sur le degré d’abandon de souveraineté que nécessite, aux yeux des Français, cette intégration.
43Le débat entre Français et Britanniques, lors des réunions de travail suivant immédiatement la signature du traité de Bruxelles, démontre la différence d’approche entre les deux pays sur les problématiques de supranationalité et de délégation de souveraineté. Le traitement de cette question en 1948 est primordial dans la perception qu’ont les deux pays de leur problématique de défense en Europe de l’Ouest. Elle oppose, en effet, une Grande-Bretagne, soucieuse du maintien d’une souveraineté dont la seule expression ne saurait être détenue que par le Parlement britannique, et qui ne conçoit la défense européenne qu’en terme purement militaire (et économique) à la France. Pour cette dernière, la défense de l’Europe repose sur la crédibilité de l’Union entre ses membres, qui ne peut se concevoir sans délégation partielle de souveraineté de chacun d’entre eux. Il est intéressant de noter que dans cette querelle, qui n’est donc pas seulement sémantique ou politique, mais touche aussi à la crédibilité à long terme d’un système de sécurité qui se veut collectif, les États-Unis se rapprochent finalement de l’analyse française, et mettent leurs alliés britanniques dans une position relativement difficile.
44Les Français évoquent pour la première fois pendant l’été 1948, dans les négociations avec les autres membres du traité de Bruxelles, la mise en place d’une éventuelle Assemblée européenne. À la conférence du Conseil consultatif établi par le traité de Bruxelles, les 19 et 20 juillet 1948 à La Haye, Bidault soulève ainsi la question d’une fédération européenne. Il propose la création d’une Assemblée européenne comprenant des délégations des cinq pays de Bruxelles, mais aussi des délégations des Parlements d’autres pays européens qui souhaitent éventuellement y participer, et la création d’une union douanière entre les Cinq (ou entre certains d’entre eux), à laquelle pourraient accéder d’autres pays. Les Britanniques, ainsi que Spaak, soulèvent immédiatement les problèmes de représentation nationale dans ce genre d’assemblée :
M. Bidault a soulevé cette question de façon très inattendue, apparemment sous l’effet d’une pression considérable de la part de M. Ramadier. En fait, lorsque la discussion a eu lieu, il n’était plus ministre des Affaires étrangères, mais cela ne l’a pas empêché de faire un discours qui pourrait bien être à son avantage politique à long terme [...]. Je répondis que bien que je sois d’accord sur le principe, j’estimais que le problème nécessitait plus de réflexion dans le contexte du danger lié au fait que des communistes pourraient se servir d’une telle Assemblée [...] pour faire échouer ces mêmes buts pour lesquels nous travaillions33.
Les Cinq décident de réfléchir à ces questions avant la prochaine réunion du Conseil.
45Les Britanniques marquent très vite leurs réticences face à l’initiative française, malgré l’écho favorable que celle-ci suscite chez les Américains. Le 15 septembre 1948, Bevin prononce un discours à la Chambre des communes sur l’Union occidentale. En réponse à une question de Eden sur la problématique d’une Assemblée européenne, proposition adoptée par le gouvernement français et accueillie favorablement par les États-Unis, Bevin est « évidemment désagréablement choqué » par l’opinion américaine selon laquelle la Grande-Bretagne freine l’établissement d’une Union occidentale. Pour lui, le Royaume-Uni doit être « dans deux endroits différents en même temps », à la fois au centre du Commonwealth, et en Europe, rôle extrêmement difficile à assumer. La question d’établir une Union occidentale doit être abordée progressivement, par accords et traités mais « en abordant ces intérêts qu’on peut appeler collectifs ». Bevin affirme que seulement lorsque les parties auront identifié les questions essentielles de défense, de coopération économique et de développements politiques, sera-t-il possible, « et je crois sincèrement que c’est possible », d’établir une sorte d’assemblée pour la gestion des problèmes soulevés par les gouvernements34.
46Lors d’une conversation au sujet d’une Assemblée européenne, le 25 septembre 1948 avec Ramadier, ministre français de la Défense, Bevin confirme de nouveau que le gouvernement britannique n’ira pas aussi loin que la France. Ramadier propose que la question soit traitée dans le cadre de l’organisation des seize pays de l’OECE ou, si possible, par les cinq signataires du traité de Bruxelles : un accord de principe montrerait au monde qu’il y a « quelque chose de nouveau en Europe, quelque chose d’européen », et faciliterait dorénavant la solution des problèmes au sein de l’Europe occidentale. Bevin préfère voir progresser les « domaines pratiques » du pacte de Bruxelles, et souligne l’importance pour le gouvernement britannique « d’arriver à des résultats pratiques avant d’atteindre des concepts ». Ramadier affirme que les différents traditions et systèmes de gouvernement des deux pays font que les problèmes qu’ils doivent affronter dans leur pays respectif ne sont pas les mêmes. Il souligne l’importance de l’opinion publique et notamment parlementaire (« c’est en effet ce fait qui est d’abord responsable de l’instabilité du Gouvernement français »), et rappelle qu’en 1947, l’opinion publique française s’est emparée de l’offre formidable du plan Marshall. Cependant,
[...] il n’y avait aucun doute qu’à ce moment-là elle risquait de faiblir. L’intérêt public pour l’unité européenne a besoin d’être relancé par des moyens énergiques, et c’est pour cela que l’idée d’une Assemblée européenne est si attirante. Si [l’opinion publique] était déçue elle pourrait se décourager, et ce qui avait été promis avec tant d’espoir pourrait finalement ne produire aucun résultat35.
Ramadier ajoute que le « travail pratique » du traité de Bruxelles, auquel Bevin fait référence, est assez limité. Le domaine européen n’a pas encore été exploré et il y a donc actuellement « un spectre considérable », mais ce potentiel diminuera avec le temps et s’arrêtera de toute façon « devant la barrière de la souveraineté nationale »36.
47Bevin lui fait part de son intention d’étudier la position française, malgré leurs différences considérables. Le lendemain il écrit au Premier ministre en lui affirmant le dommage que causerait au gouvernement britannique le soutien à cette Assemblée européenne, dont la tâche principale est la rédaction d’une constitution d’Europe de l’Ouest sur une base fédérale. Il ajoute que quelques « pas impressionnants supplémentaires dans l’organisation du système de Bruxelles actuel » doivent bientôt suivre-l’opinion publique soutient une telle démarche –, et il suggère la création d’un Conseil d’Europe occidentale37. Deux jours plus tard le Premier ministre lui répond : « Bien que je sois d’accord sur le besoin d’une avancée supplémentaire vers l’Union occidentale, je dois avouer que votre proposition ne m’attire point. »38
48Le 2 octobre 1948 ont lieu au Quai d’Orsay des conversations franco-britanniques39, au cours desquelles la question d’une Assemblée européenne est de nouveau abordée ; Bevin répète que la Grande-Bretagne n’est pas favorable à cette proposition et, précisant que ses propos recouvrent sa position personnelle, il met pour la première fois en avant son idée de Conseil d’Europe occidentale, avec des réunions régulières des ministres respectifs pour maintenir la responsabilité gouvernementale, que Schuman qualifie de Commonwealth d’Europe occidentale. Toutefois, ce dernier admet comprendre la démarche britannique, et lui-même n’a pas beaucoup d’espoir immédiat quant à la mise en place d’une Assemblée. Néanmoins, il précise que la France a pris cette position d’abord, parce qu’une telle organisation est essentielle aux yeux des Américains, et de l’opinion publique d’autres pays. Cependant, cette proposition est encore au stade de la réflexion, et si, après discussion entre les Cinq au sein du Conseil consultatif, la proposition britannique est jugée préférable, la France « n’insisterait pas sur sa propre proposition »40.
49Deux jours plus tard, Bevin rencontre Marshall à l’ambassade des États-Unis à Paris. Bevin évoque les récentes critiques américaines quant à l’attitude négative de la Grande-Bretagne sur l’unité européenne (des personnalités influentes, notamment Dewey, candidat républicain à la Présidence, menacent de s’opposer à la prochaine approbation du European Recovery Programme, si le développement de l’Union occidentale ne progresse pas). Il insiste sur le fait que les Britanniques sont « loin de s’opposer à l’intérêt américain pour une unité plus poussée en Europe », et met en avant l’effet négatif des propos américains sur l’opinion publique et sur les relations anglo-américaines. Il expose de nouveau son idée de Conseil de l’Europe occidentale, de façon confidentielle, précisant qu’il n’en a pas encore parlé à ses collègues. Marshall répond qu’il a fait tout son possible pour que les relations entre les États-Unis et la Grande-Bretagne soient renforcées (Bevin en est très reconnaissant), mais que « il y a encore des réactions illogiques considérables en Amérique fondées sur des vieilles disputes de l’époque de la guerre civile américaine... ». Bevin répond que sa politique actuelle de développement de l’Union occidentale a le soutien entier de l’opinion publique britannique, mais que, inévitablement, certains milieux sont craintifs, ayant peur qu’une telle union « entraîne la Grande-Bretagne vers des difficultés ». Par conséquent, il faut manier avec soin l’opinion publique britannique à ce sujet41.
50Dix jours plus tard, Kirkpatrick rédige une dépêche destinée à Bevin, dans laquelle il souligne la pression générale, aux États-Unis, en France, même en Grande-Bretagne. La Grande-Bretagne doit proposer quelque chose de plus que l’approche empirique de Bevin, afin de « [couper] l’herbe sous le pied des demandes françaises et américaines pour une "constitution" ». A la suite de discussions avec Jebb et Sir Edward Bridges (du Trésor) le jour même, Kirkpatrick expose la nouvelle proposition britannique : un Conseil des ministres d’Europe occidentale se réunissant deux fois par an, composé de délégations gouvernementales et conseillers des pays respectifs, dans l’esprit de l’assemblée générale des Nations unies. Cette proposition pourrait s’étendre à l’Allemagne et, éventuellement, l’Italie. Il conclut :
Le nouveau système proposé devrait aller très loin pour mettre des bâtons dans les roues de ceux qui veulent imposer une constitution, et qui critiquent le Gouvernement de Sa Majesté de ne pas aller assez vite dans le développement de l’Union occidentale, tout en préservant dans les faits la souveraineté complète des États participants, et qui veulent en réalité baser le nouveau système sur une soi-disant approche « empirique » plutôt que sur la base alternative de l’adoption d’une quelconque « Constitution » officielle42.
Bevin propose le lendemain que cette proposition soit soumise au Premier ministre. Le 23 octobre 1948, il reçoit une longue lettre d’Oliver Franks à Washington au sujet de l’opinion américaine et de l’intégration politique européenne. L’initiative de Bevin d’Union occidentale, les propos comme ceux d’Attlee, souvent cités, selon lesquels l’Europe doit « fédérer ou périr », et l’initiative britannique pour le pacte de Bruxelles, renforcent le point de vue américain que l’union politique entre les pays d’Europe occidentale peut être dirigée par la Grande-Bretagne seule. Les Américains attendaient une collaboration politique rapide à la suite du traité de Bruxelles, d’où les déceptions nées des exposés de Bevin sur les problèmes de construction d’une Europe unie et les suspicions sur un manque d’intérêt des Britanniques sur la question et « de façon générale, [qui] font preuve de mauvaise volonté ». Il rappelle l’espoir américain que la Grande-Bretagne fournisse « la direction nécessaire » dans l’initiation des dispositifs d’intégration politique sur le continent européen. Tout échec à ce propos aurait un effet très malheureux sur la position britannique aux États-Unis :
Même si le manque de progrès ne nous est pas forcément imputable, et même si d’autres pays peuvent être beaucoup plus sujets à la critique, une longue expérience a montré qu’aux yeux des Américains, la faute incombe toujours au Royaume-Uni... Si nous devons réussir à maintenir la foi et le soutien américain pour l’Europe occidentale, y compris l’aide économique et militaire, nous allons devoir réussir à convaincre les Américains que nous progressons vers la même idée de base d’une intégration politique plus étroite, bien que peut-être sous une forme légèrement différente, et à notre façon que nous considérons comme étant meilleure...43
En effet, pour les États-Unis, c’est une solution plutôt économique, et non pas politique, qui répondra à cette situation critique en Europe. Bien sûr, le pacte de Bruxelles, ainsi que les pourparlers à Cinq qui ont suivi sur les questions politiques, militaires et sociales, ont été très favorablement accueillis, mais ne représentent aux yeux américains qu’« au plus un premier pas ». La Grande-Bretagne doit proposer son propre plan et convaincre les États-Unis que ce plan assurera de façon efficace « et avec moins de difficulté que toute tentative d’établir une Fédération européenne », la stabilité politique et économique, et l’indépendance militaire : « une troisième force puissante ». Dans la mesure où les États-Unis visent à voir établir une Europe « forte et indépendante de tout soutien nord-américain, économique comme militaire », la signature d’un Pacte atlantique, « même si cela ne pourrait rendre moins irrésistibles les arguments militaires immédiats en faveur d’une intégration européenne plus étroite », ne soulagera pas l’opinion publique américaine44.
51Reconnaissant le délai dû à la conférence du Commonwealth, prévue prochainement, Franks conclut que si le Gouvernement britannique veut formuler un tel plan, il faut en discuter rapidement et publiquement, afin de convaincre d’autres gouvernements, et plus particulièrement celui des États-Unis. Pour persuader les Américains d’accepter ce plan, il faudrait souligner le fait qu’une association entre l’Europe, d’une part, et le Commonwealth britannique de l’autre, serait beaucoup plus solide aux niveaux politique, économique et militaire qu’une association limitée aux pays européens :
Il ne sera pas forcément facile de persuader les Américains d’abandonner leurs propres théories, à moins que nous puissions les convaincre que nous sommes sincères et que nous mettons en avant nos propositions alternatives, non pas dans le but de faire obstacle ou de retarder les choses, mais dans un véritable esprit constructif. Mais j’estime qu’il est extrêmement important que nous prenions l’initiative le plus tôt possible, et qu’en lançant nos idées dans le débat, nous montrions que nous voulons contribuer de façon constructive à la solution du problème. Au cours du débat, jusqu’à présent, les Américains ont eu tendance à procéder selon l’hypothèse qu’« intégration » est synonyme de « fédération ». La meilleure façon pour nous d’aller à l’encontre de cette idée sera de proposer une idée constructive de notre propre chef45.
Du côté de la France, lors de la réunion du Conseil consultatif au Quai d’Orsay le 25 octobre 1948, Schuman présente la proposition française d’une Assemblée européenne, en soulignant l’importance de « frapper l’opinion publique et donner un peu de satisfaction à ceux qui avaient déjà pris des initiatives ». Spaak le soutient. Il croit au « besoin de l’organisation plus complète de l’Europe », et est sensible au soutien de l’opinion publique à ce sujet. Bevin renouvelle les objections britanniques, notamment l’absence de rôle défini pour cette Assemblée, et rappelle que la politique britannique vise au rapprochement des nations par des politiques communes, vers une association étroite :
Il y a chez les Britanniques un manque de volonté d’approuver une fusion de souverainetés. En effet, une telle fusion pourrait en fin de compte mener à un affaiblissement plutôt qu’à un renforcement de l’Europe de l’Ouest... Si au fond d’eux l’idée d’une Constitution est l’objectif ultime, il faut alors le dire ouvertement...46
Faisant référence à l’absence d’un système de représentation proportionnelle en Grande-Bretagne, Bevin ajoute que « la question d’unité européenne deviendrait inévitablement une question interne majeure ». Il prévoit qu’un engagement forcé du Parti travailliste pour une unité fédérale en l’Europe serait difficilement accepté par l’électorat britannique et, en cas d’échec aux élections, la situation serait perturbante, « pour cette même unité que les gens s’efforçaient de réaliser ». Enfin, sur la pression provenant des États-Unis, et en soulignant l’attitude irréaliste et optimiste des sénateurs américains, il affirme que le gouvernement britannique est « habitué à la pression et ne considère pas qu’il doit être trop influencé par elle »47. L’organisation de défense qui existe actuellement est « sans précédent dans l’histoire de l’Europe », et on assiste à un progrès économique et militaire considérable en très peu de temps : il est donc « irresponsable » de mettre le destin de la Grande-Bretagne entre les mains de parlementaires « qui jusqu’ici se sont distingués par une diversité de propositions plutôt irréalisables et presque ridicules ». Toute Assemblée européenne devrait rester fermement entre les mains des gouvernements ; les caractéristiques et implications doivent être étudiées ; le but ultime étant « de continuer à construire, lentement mais sûrement ». Stikker est favorable à « n’importe quoi pour promouvoir une coopération européenne plus étroite », et Spaak, un peu soucieux de voir que Bevin lui attribue, ainsi qu’à Schuman, des prises de position qu’ils ne défendent pas forcément48, se déclare « pas nécessairement favorable à une constitution ni à une fédération », ajoutant que les pays d’Europe doivent à tout prix se rapprocher : « il faut se rendre compte que l’Europe est devenue une unité [...] la question d’une union européenne plus étroite doit être étudiée »49.
52La réunion décide d’établir un Comité de représentants pour étudier la question du rapprochement entre les pays d’Europe occidentale50. De fait, face à la détérioration internationale et à l’accélération des négociations en vue d’un pacte transatlantique, cette question ne constituera plus une priorité de la diplomatie française, le projet d’une Assemblée européenne, combattu par les Britanniques est enterré pour quelques années.
53L’une des premières oppositions de principe de la Grande-Bretagne à une participation à une structure supranationale apparaît publiquement dès le début des années cinquante, lors de la mise en place de la CECA51. Il nous paraît intéressant dès lors d’évoquer brièvement ce refus de toute délégation de souveraineté de Londres, s’exprimant par la non-participation britannique à la CECA née de l’initiative de Schuman le 9 mai 1950 : d’une part, parce que celle-ci est emblématique de la politique que va poursuivre la Grande-Bretagne pendant toutes les années cinquante, et d’autre part, parce que celle-ci ne sera pas sans conséquences directes sur les projets français en matière de défense (CED). Même si les raisons du refus britannique sont multiples (oppositions de sidérurgistes britanniques, opposition d’une aile du Parti travailliste à « l’Europe des patrons »), ce refus par la Grande-Bretagne d’un organisme supranational, pourtant lui aussi ardemment soutenu par les États-Unis, trouve ses origines dans l’opposition de la Grande-Bretagne à tout organisme bénéficiant d’une délégation de souveraineté. De fait, six gouvernements s’engagent dans les négociations qui aboutissent, malgré le contrôle d’une Assemblée et l’intervention possible d’une Haute Cour chargée de trancher les litiges, à la constitution d’une Haute Autorité dont les marges de manœuvre vis-à-vis des pouvoirs politiques nationaux ne sont pas négligeables.
54Les Français ont très tôt compris qu’une telle architecture heurtait de front les conceptions britanniques de souveraineté. Monnet et Schuman ne veulent pas céder sur les mots et les principes, et rencontrent une même fermeté chez les Britanniques. Le 31 mai 1950, Ernest Bevin définit la position britannique dans un mémorandum au gouvernement français dans lequel il précise que la Grande-Bretagne participera aux pourparlers proposés « dans un esprit constructif » et avec l’espoir d’aboutir à un plan auquel elle puisse adhérer, « mais [le gouvernement britannique] ne peut à ce stade donner d’engagement plus précis »52. Dans une note confidentielle au gouvernement, Jean Monnet démontre sa méfiance à l’égard de cette position britannique :
Il est clair que si la Grande-Bretagne participe à la négociation dans des conditions telles qu’elle soit en mesure non de proposer, mais de discuter des principes eux-mêmes, les autres pays, notamment l’Allemagne agiront de même. Accepter la participation britannique dans ces termes, c’est donc se résigner par avance à ce que soit substituée à la proposition française une construction qui n’en sera que la caricature, dont toutes les notions essentielles auront disparu [...]53.
C’est donc sans doute avec soulagement que les autorités françaises apprennent le refus britannique de participer au pool charbon-acier le 2 juin 1950. Jean Monnet conclut : « Il n’y a qu’à faire l’Europe. Les Anglais viendront quand ça marchera54. »
55Ce premier embryon d’organisation européenne supranationale n’est pas sans conséquence, puisque, comme nous le verrons, le schéma qui a amené à la signature de la constitution de la CECA le 18 avril 1951, va servir de modèle à l’initiative française du plan Pleven pour le projet de la CED. Or, les chances de voir les oppositions de principe apparues entre Britanniques et Français à l’occasion du plan Schuman se reproduire à nouveau sur le projet français d’organisation militaire, ne sont pas minces.
Une Europe atlantique ?
56Comme nous l’avons vu, le rôle de la France et de la Grande-Bretagne pendant la guerre a durablement marqué les esprits dans les deux populations. La Grande-Bretagne, l’un des artisans essentiels de la résistance à l’expansion nazie, puis à la victoire contre l’Allemagne, ne doute pas du rôle majeur qui lui est dévolu dans le cadre de l’après-guerre. Cet état d’esprit influence bien sûr les dispositions de la population britannique vis-à-vis des Américains. Il est caractéristique que la presse principalement marque toujours son assentiment vis-à-vis de tout rapprochement anglo-américain qui apparaît naturel aux yeux de tous, ces deux pays étant évidemment les deux vainqueurs occidentaux du second conflit mondial (il est également caractéristique de percevoir le décalage entre le sentiment de l’opinion publique alimenté par le discours officiel des pouvoirs publics, et les réflexions des diplomates britanniques sur le déclin relatif de la puissance anglaise et le cruel manque de moyens matériels qui contraint la politique étrangère du Royaume-Uni). Dans une conversation avec Marshall pendant les négociations à Cinq pour le traité de Bruxelles, Bevin se déclare peu convaincu que les Britanniques puissent aller aussi loin avec les Français qu’ils ont pu le faire avec les Américains, « avec qui nos conversations militaires étaient comme celles entre des membres du même pays »55.
57Les Français et les Américains ne partagent pas ce lien que l’on peut qualifier de culturel et d’historique entre Britanniques et Américains, renforcé par la solidarité complète entre les deux nations pendant la deuxième guerre mondiale. Pour autant, l’ancrage de la population française à l’ouest est notable. Cependant, cet attachement doit être nuancé par une volonté sourcilleuse d’indépendance de la population vis-à-vis des deux blocs, voire de neutralité.
58La défense de l’Europe est un thème partagé par la majorité de la population française. Tel n’est pas le cas de l’alignement inconditionnel sur un seul des deux blocs, comme le montrent les différentes études d’opinion menées entre 1948 et 1952. En 1949, un sondage fait ainsi apparaître que seule une courte majorité de la population approuve les termes de l’aide Marshall à la France (une bonne chose pour 25 % des personnes interrogées, plutôt bonne pour 20 %), les opposants (20 %) et les sans opinion (32 %) représentant plus de la moitié des réponses. Les Français prennent encore plus de distance vis-à-vis du soutien américain en matière diplomatique et militaire, puisque interrogés sur la position de la France en cas de conflit entre les États-Unis et l’URSS, 32 % des Français optent pour le camp américain, 4 % des Français pour le camp soviétique, alors que 45 % de la population se prononce pour la neutralité56.
59Il est donc clair que le discours gaulliste se trouve en phase avec l’évolution de l’opinion. Les phrases de de Gaulle en 1950 au moment où les premiers projets gouvernementaux de défense intégrée sortent des limbes (« Il faut que la France ait une épée ; il faut que ce soit la sienne ! » ; « La CED, cela consiste à rassembler les forces européennes pour les mettre collectivement à la disposition des États-Unis »), trouvent naturellement des relais dans l’opinion.
60Les gaullistes puisent également leurs arguments dans les non-dits du Pacte atlantique. En effet, le caractère non automatique de l’intervention américaine, consacrée par le texte du traité, peut jeter un doute sur la volonté réelle des États-Unis d’intervenir massivement sur le vieux continent en cas de conflit (malgré la présence de leurs soldats principalement en Allemagne). Ce problème prend un relief nouveau, quand on observe que les Américains sont seuls en Occident jusqu’en 1953 à disposer de l’arme atomique. Dès lors, les gaullistes peuvent s’interroger, à juste titre, sur le délai d’appréciation que s’arrogeraient les Américains avant d’utiliser éventuellement l’arme ultime, et plus encore sur leur réelle volonté d’utiliser cette arme pour défendre l’Europe, au risque de représailles éventuelles et massives sur leur propre territoire.
61L’opinion française est bien plus partagée que l’opinion britannique sur la position du pays par rapport à l’allié américain. Ce mouvement est accentué par l’évolution de l’électorat. Le 17 juin 1951, les élections législatives voient une forte progression des gaullistes (qui totalisent 4 millions de voix) alors que le Parti communiste se maintient à un niveau élevé (il perd seulement 600 000 voix), communistes et gaullistes totalisent 47,7 % des suffrages exprimés. En août 1951, la coalition dirigée par le MRP est fragilisée par le départ du gouvernement des socialistes qui accentue l’influence gaulliste pour toute approbation de textes législatifs à l’Assemblée nationale (avant que finalement, le 6 mars 1952, une partie des députés gaullistes rejoignent finalement le centre droit pour approuver la formation du cabinet Pinay).
62L’influence du Parti communiste est évidemment particulière au contexte français, d’abord par le soutien accordé à la politique de l’URSS, qui « ne s’est jamais trouvée et ne peut pas se trouver en position d’agresseur envers quelque pays que ce soit », déclare Maurice Thorez à la fin de 194857. La politique du Parti communiste en France est également fortement marquée par l’agressivité de l’anti-américanisme qui tient souvent lieu de discours officiel. Rappelons les campagnes menées contre le chef de l’OTAN, le général Ridgway (« Ridgway la peste »), ex-commandant des forces occidentales en Corée, qui culmine avec la grande manifestation du 28 mai 1952, au moment où sont signés les traités instituant de la CED).
63De manière sans doute encore plus importante, le renforcement des gaullistes aux élections de 1951 n’est pas sans conséquence sur la politique extérieure française. En effet, la politique française de ralliement progressif aux thèses anglo-saxonnes de renforcement de la défense européenne, au prix de l’intégration d’une Allemagne recouvrant par étapes sa souveraineté, provoque de vives critiques de la part des partisans du général de Gaulle. Ces critiques interfèrent sur les rapports entre la France et la Grande-Bretagne, puisque Paris ne dispose pas du soutien quasi unanime à sa politique de défense européenne que peut par exemple revendiquer la Grande-Bretagne. Il est vrai, qu’au-delà de leur base électorale, les gaullistes disposent de nombreux relais dans la hiérarchie militaire et la haute fonction publique qui lui permettent de disposer d’une influence notable sur la politique de défense en matière de défense européenne. Le traitement de la question allemande en 1948-1949 est symptomatique de l’influence gaulliste dans le processus de décision de la politique extérieure française. De Gaulle critique violemment le résultat de la conférence de Londres du 7 juin 1948, qui entérine la reconstitution d’une entité politique autonome dans la partie ouest de l’Allemagne, qui inévitablement rentrera sous influence soviétique :
L’unité allemande, réalisée une fois de plus autour de la Prusse – mais cette fois une Prusse totalitaire liée corps et âme à la Russie soviétique ainsi qu’aux États « populaires » de l’Europe centrale et balkanique – apparaîtrait à la lassitude, à l’insularité ou à l’illusion des Anglo-Saxons comme la solution d’apaisement. Mais si le grand Reich devait reparaître de n’importe quelle façon et surtout de cette façon-là maniée par un tel régime, englobé dans de telles alliances, où seraient les chances de la France ?58
Les partisans du général de Gaulle ne tardent pas à soutenir les thèses de leur leader. Ainsi Koenig, commandant des troupes françaises en Allemagne, court-circuite ses supérieurs hiérarchiques (en l’occurrence, Teitgen, responsables des forces armées), et s’adresse directement au Président du Conseil, Robert Schuman, pour lui demander de réviser sa politique. Michel Debré, secrétaire du Comité des affaires sarroises, intervient également dans le même sens. De fait, les interventions gaullistes ne sont pas sans influence sur le sommet de l’appareil d’État (Robert Schuman désavoue son propre ministre des Affaires étrangères en affirmant à cette époque que « la France n’a pas de politique allemande ; elle se met à la traîne des États-Unis » alors que le Président de la République affirme : « Il faut que ces accords soient votés, mais c’est une catastrophe »)59.
64Dès 1951, les prémices de la division de l’opinion publique et dans la classe politique française apparaissent donc. Cet affaiblissement du discours français, qui correspond au recul électoral de la troisième force et à la montée des gaullistes dans l’électorat, est lourd de menace pour une mise en œuvre harmonieuse de la politique de la France en matière de défense. Pour la première fois depuis la fin de la guerre, le leadership des personnalités politiques (socialistes ou MRP pour la plupart), chargées des dossiers de défense et de politique étrangère, avait finalement permis de rapprocher les positions française et britannique sur les grandes lignes de leur politique de défense en Europe. Toutefois, l’affaiblissement politique des gouvernements français menace la politique de rapprochement entre les deux pays.
* * *
65La signature du Pacte atlantique marque l’apogée de l’entente formelle entre la France et la Grande-Bretagne sur les problématiques de défense européenne. Au-delà des quelques différents naturels apparus lors des négociations pour l’établissement de traités de sécurité collective en Europe (couverture géographique desdits pactes...), plusieurs éléments permettent dès le début des années cinquante de s’interroger sur la pérennité de cette entente.
66D’abord, le rôle de l’Allemagne, qui oblige la France, pour éviter une intégration pure et simple du pays au Pacte atlantique, à prendre une initiative qui n’est pas désirée par son allié britannique. Ensuite, la position des deux pays vis-à-vis de leur allié américain, qui recouvre à la fois un problème de confiance (intervention automatique ou non des États-Unis en cas de conflit sur le continent, liens culturels...), et de leadership : acceptation de la soumission de fait des politiques de défense à la volonté d’une Amérique toute-puissante en matière économique et militaire (l’atome jusqu’en 1951), refus par les Anglo-Saxons de la subordination des instances militaires à des organismes politiques qui seule, aux yeux de la France, peut permettre d’atténuer la toute-puissance militaire américaine... Enfin, d’une manière générale et par opposition à la Grande-Bretagne, l’absence de consensus en France sur les buts et les moyens donnés aux organismes européens de défense collective, et l’accroissement dans la population française de la volonté de préserver l’indépendance française au sein de ces organismes.
Notes de bas de page
1 Robert Schuman le 25 juillet 1949, in Grosser, Affaires extérieures, op. cit., p. 76.
2 Ibid.
3 Henry Queuille in G. Elgey, Histoire de la IVe République, tome I, op. cit., p. 473.
4 Mémorandum de Bevin sur l’organisation de l’Union occidentale in Télégramme du Foreign Office à Washington le 13 janvier 1948 in PRO/FO371/73045.
5 Télégramme du Foreign Office à Washington, avril 1948 in PRO/FO371/68068A.
6 Télégramme du Foreign Office à Paris le 16 avril 1948, ibid.
7 Note du Foreign Office signée Crosthwaite le 24 juin 1948 in PRO/FO371/72970.
8 Note du Quai d’Orsay, juillet 1948 in MAE/EUROPE 1944-60/Généralités/21.
9 Compte rendu des conversations entre Bradley et Bonnet le 15 avril 1948 in Télégramme de Bonnet au Quai d’Orsay le 15 avril 1948 in MAE/EUROPE 1944-60/Généralités/22.
10 Compte rendu des conversations entre Ramadier et Bevin le 15 avril 1948, op. cit.
11 Mémorandum du Foreign Office du 25 mai 1948 in PRO/FO371/73059.
12 Brief du Foreign Office pour la visite de Stafford Cripps aux États-Unis et au Canada, le 11 septembre 1948 in PRO/FO371/73062.
13 Discours de Bevin à la Chambre des communes le 18 mars 1949 in PRO/FO371/79239.
14 Président du MRP (1945-1949) dont il est cofondateur ; spécialiste des questions internationales du parti.
15 Rioux, op. cit., p. 32-48 ; p. 97-120.
16 Voir G. Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne 1944-1954, 2 vol., Paris, Imprimerie nationale, 1992.
17 Rioux, op. cit., p. 235-258.
18 Ibid.
19 Rioux, op. cit. ; Elgey, op. cit.
20 R. Aron, L’Âge des empires et l’avenir de la France, Paris, Défense de la France, 1945, p. 340 in Berstein et Milza, Histoire de la France au XXe siècle, op. cit.
21 Télégramme du Foreign Office à Washington le 13 janvier 1948 in PRO/FO371/73045.
22 Voir P. Vial, « L’aide américaine au réarmement français 1948-1956 », in F. Bozo, P. Malenki et M. Vaïsse (dir.), La France et l’OTAN, actes du colloque tenu à l’École militaire le 8-10 février 1996 à Paris, Bruxelles, Éditions Complexe, 1996-1997.
23 Rioux, op. cit.
24 « Tenant compte de la situation actuelle, [les délégations] reconnaissent qu’il est nécessaire de donner au peuple allemand la possibilité de parvenir, dans le cadre d’une forme de gouvernement libre et démocratique, au rétablissement ultime de son unité aujourd’hui déchirée », in S. Berstein, P. Milza, La France au XXe siècle, Bruxelles, Éditions Complexe, 1991.
25 Pour tous ces éléments, qui sont bien connus, voir A. Grosser Les Occidentaux, op. cit. ; A. Grosser, Affaires extérieures, op. cit. ; P. Gerbet, Le Relèvement, Paris, Imprimerie nationale, 1991.
26 Elgey, op. cit.
27 Ibid.
28 Le Monde, le 6 avril 1949.
29 Elgey, op. cit., p. 569.
30 Ibid., p. 568.
31 Discours de présentation du plan Pleven le 23 octobre 1951 in A. Grosser, Affaires extérieures, op. cit., p. 86.
32 Elgey, op. cit., p. 570.
33 Compte rendu du Conseil consultatif de juillet 1948 in PRO/FO371/73060.
34 Discours de Bevin le 15 septembre 1948 à la Chambre des communes in PRO/FO371/73063.
35 Compte rendu du rencontre Bevin/Ramadier du 25 septembre 1948, ibid.
36 Ibid.
37 Lettre de Bevin au Premier ministre britannique le 26 septembre 1948, ibid.
38 Réponse du Premier ministre à Bevin le 28 septembre 1948, ibid.
39 Sont présents Bevin, Harvey et Roberts pour la Grande-Bretagne et Schuman, Chauvel, Alphand et Bourbon-Busset pour la France.
40 Compte rendu des conversations franco-britanniques au Quai d’Orsay le 2 octobre 1948, ibid.
41 Compte rendu d’une conversation entre Bevin et Marshall à l’ambassade américaine à Paris le 4 octobre 1948, ibid.
42 Dépêche signée Kirkpatrick le 15 octobre 1948 in PRO/FO371/73064.
43 Lettre de Franks (Washington) à Bevin le 23 octobre 1948 in PRO/FO371/73065.
44 Ibid.
45 Ibid.
46 Compte rendu de la réunion des Cinq du 25 octobre 1948 in PRO/FO371/73065.
47 Ibid.
48 Voir M. Dumoulin, Spaak, Paris, Racine, 1999.
49 Compte rendu de la réunion du 25 octobre 1948, op. cit.
50 Ibid.
51 Voir R. Poidevin, D. Spierenburg, Histoire de la Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l’acier : une expérience supranationale, Bruxelles, 1993.
52 Elgey, op. cit., p. 556.
53 Ibid.
54 Ibid.
55 Compte rendu des conversations anglo-américaines du 17 décembre 1947 in PRO/FO371/67674.
56 Rioux, op .cit., p. 194-195.
57 Elgey, op. cit.
58 Ibid.
59 Ibid, p. 481.
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L’impossible alliance ?
Ce livre est cité par
- Coutau-Bégarie, Hervé. (2004) One hundred years of Franco-British strategic Co-operation. The RUSI Journal, 149. DOI: 10.1080/03071840408522966
- Davis, Richard. (2022) Franco-British Relations and Rivalries: One-upmanship, Schadenfreude and the Weight of History. Revue française de civilisation britannique, XXVII. DOI: 10.4000/rfcb.8659
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