Entre rayonnement et réciprocité
| , , ,La construction d’une politique de projection culturelle britannique en France, des années 1930 à 1953
Texte intégral
1À la différence du cas français, la notion de diplomatie culturelle possède en Grande-Bretagne une genèse très récente. Alors qu’en France, dès François Ier, le dynamisme culturel et artistique était considéré comme un élément de prestige national sur la scène internationale, l’idée d’un quelconque usage de la culture dans la diplomatie a longtemps été étrangère aux Britanniques. Et leur œuvre colonisatrice n’a jamais, ni dans l’esprit de ses théoriciens, ni dans la pratique, revêtu de dimension culturelle appliquée aux populations soumises. L’assujettissement de territoires à la Couronne britannique répondait à des objectifs commerciaux et stratégiques, et non culturels.
- 1 Cette expression a été créée par Stephen Tallents, futur controller of Public Relations de la BBC, (...)
2Cette indifférence fondamentale à l’exportation de leur culture a façonné en quelque sorte un mode de pensée traditionnel chez les élites britanniques. La prise de conscience de l’utilité d’une diplomatie culturelle s’est fréquemment heurtée à la primauté étroite du Trade follows the flag qui à la différence des efforts de promotion culturelle enregistre des résultats tangibles et (quasi) immédiats. Il faut attendre les années 1950 pour voir se constituer un corps de doctrine soulignant l’importance d’une politique culturelle à l’étranger qui vient appuyer des ambitions politico-commerciales. La notion de propagande, distincte de la notion de relations culturelles en ce sens qu’elle suppose une diffusion unilatérale d’informations, suscite une réticence à laquelle on ne peut guère passer outre que dans des circonstances exceptionnelles. C’est pourquoi les actions de propagande menées lors du premier conflit mondial n’ont pas eu de suites lorsque la paix fut revenue. Par ailleurs, l’usage de l’expression « projection culturelle »1 traduit bien la volonté de faire de la diplomatie culturelle un simple miroir des réalisations culturelles britanniques, avec ce que cela sous-tend de parti-pris minimaliste dans les efforts de promotion, comme si le reflet devait susciter par nature les adhésions.
3 Pour l’application de ces principes généraux, la France représente un terrain spécifique, dont les tenants de la promotion culturelle doivent s’employer à mettre en valeur l’intérêt : est-il indispensable de favoriser le développement de la connaissance de la Grande-Bretagne dans un pays qui lui est géographiquement proche, de niveau de vie et de civilisation comparables, dont les élites entretiennent déjà des liens séculaires ? L’étude des relations franco-britanniques démontre combien ces deux peuples ont parfois eu des difficultés à se comprendre, possèdent parfois des intérêts divergents qu’il s’agit d’expliquer, et malgré leur proximité ne se font en général qu’une idée très partielle de la richesse de la culture de l’autre.
4La construction d’une politique culturelle à l’égard de la France sera envisagée ici à travers le prisme de son principal outil de mise en œuvre : le British Council. Des années 1930 à 1943, des efforts timides sont réalisés par les Britanniques pour promouvoir leur culture auprès des Français. Puis sur décision du ministre des Affaires étrangères de 1943, Anthony Eden, les Britanniques élaborent une politique énergique et ambitieuse autour de l’activité du British Council. 1949 voit le nadir de cette politique, la projection culturelle en France devant s’incliner devant ces priorités que furent la consolidation des relations avec le Commonwealth et les colonies.
5Au lendemain du premier conflit mondial, la Grande-Bretagne ne dispose d’aucun organisme public ou privé dédié à la promotion culturelle à l’étranger. Des initiatives dispersées d’origine privée se font jour, jusqu’à ce que face aux puissantes machines de propagande des pays totalitaires le gouvernement britannique prenne conscience du besoin urgent de promotion culturelle globale. La guerre va renforcer le British Council en lui permettant d’acquérir une expérience profitable. L’action culturelle britannique en France suit ces différentes phases.
- 2 J. M. MItchf. ll, International Cultural Relations, Londres, 1986, p. 39.
- 3 J. Tilley, Report of the Foreign Office Committee on British Communities abroad, 22 mars 1920, bw 2 (...)
6Le rapport Newbolt rédigé en 1917 sur la circulation de livres et périodiques à l’étranger constate leur faiblesse et conclut à la complémentarité de la culture et du commerce. Cependant, le Trésor exprime les plus vives réticences concernant le financement spécifique d’une campagne de promotion de produits culturels qui peut de son point de vue être tout à fait réalisée par le ministère du Commerce extérieur. Par ailleurs, l’économie britannique traverse alors une période de réajustement au temps de paix difficile, ce qui ne plaide pas en faveur de ce type de dépense considérée comme superflue. Toutefois, le ministre des Affaires étrangères, Lord Curzon, assigne dès mai 1919 aux missions diplomatiques à l’étranger une tâche de propagande, qu’elles doivent mener en s’appuyant sur le réseau des consulats et les comités de résidents britanniques2. Le rapport Tilley de mars 1920 souligne l’importance des communautés britanniques dans ce dispositif de projection, mais préconise à terme la création d’un organisme spécial en charge de la promotion britannique à l’étranger3.
- 4 Ni l’institut britannique ni le British Council, tous deux actifs à cette date, n’entretiennent de (...)
- 5 Sur cette association anglophile née en 1916 et ses activités dans l’entre-deux-guerres, voir : C. (...)
7Cependant, en France, la communauté britannique ne présente pas les caractères d’un agent de propagande efficace. En premier lieu, elle n’est pas dotée d’un organe de représentation, et ne peut donc effectuer de travail coordonné, avant 1938. Et à cette date, la projection culturelle est prise en charge par des structures qui n’entretiennent pas de relations étroites avec les résidents britanniques4. En revanche, l’ambassade du Royaume-Uni en France est en contacts réguliers avec l’association France/Grande-Bretagne, dont l’objectif est de promouvoir une meilleure compréhension entre Britanniques et Français5. Ces liens semblent assez lâches cependant, et l’ambassade ne peut faire entièrement reposer sa politique de propagande culturelle sur une association anglophile étrangère, sur laquelle elle n’exerce aucune influence.
- 6 British Institute in Paris.
- 7 Les projets de conférences sont rassemblés dans le dossier « Institut britannique – causeries », am (...)
8C’est pourquoi un projet de création d’un centre d’étude de la culture britannique fondé sur le développement de l’apprentissage de la langue anglaise suscite le vif intérêt de l’ambassade. Ce projet reprend, en la réinsérant dans un cadre plus global, l’initiative privée d’un professeur d’anglais, Miss Edith Williams, qui avait décidé dès 1891 de créer à Paris un foyer de discussion afin d’exercer chez les participants la pratique de l’anglais. Cette initiative s’avérait être un complément utile aux cours de la Sorbonne, essentiellement théoriques à cette époque, et remportait un certain succès. Il est prévu de développer cet embryon de centre culturel en lui donnant un supplément de ressources pour étendre son action, et en renforcer la qualité (par exemple en favorisant l’accroissement des liens avec les universités britanniques). Ainsi naît en 1927 l’institut britannique à Paris6, sous les doubles auspices de l’ambassade du Royaume-Uni et de l’Université de Paris. L’Institut est placé sous l’autorité de l’Université, qui avait établi de solides relations pédagogiques avec le foyer de Miss Williams. Cet organisme présente d’emblée aux yeux de l’ambassadeur les caractères d’un vecteur de promotion culturelle aux riches potentialités, et statutairement l’ambassade est étroitement associée à sa gestion. Des échanges réguliers s’instaurent entre le directeur de l’institut et l’ambassadeur sur les actions à mener afin de tirer efficacement parti de cet outil prometteur de diffusion de la culture britannique. Ainsi, tout au long des années 1930, l’institut mène deux stratégies complémentaires en cherchant à atteindre des populations diverses : l’organisation de cours d’anglais pour Français et de français pour les Anglais, destinés à un public étudiant ; et la préparation de cycles de conférences, parfois en étroite collaboration avec France/Grande-Bretagne, choisies en fonction des programmes universitaires mais également accessibles à un public simplement curieux de culture britannique7. Il faut cependant souligner que cet effort de promotion culturelle se situe dans une perspective éducative, et touche essentiellement les élites universitaires anglicistes. S’y adjoint un auditoire anglophile que l’on peut supposer restreint, même si les adhérents à France/Grande-Bretagne ont tendance à connaître une diversification sociale plus nette au fur et à mesure qu’approche la guerre, et que se ravive un intérêt diffus pour notre futur allié. Le grand public reste alors en marge de cette action.
- 8 P. M. taylor, The projection of Britain – British overseas publicity and propaganda, 1919-1939, Cam (...)
- 9 En 1931, les recettes budgétaires de la Travel Association se répartissent ainsi : une majorité d’a (...)
- 10 Son curriculum vitae se trouve dans : amae, Service des Œuvres, carton 106.
- 11 British Council, Finance and Agenda Committee, 8 avril 1936, note de Noble Hall datée du 5 mars 193 (...)
9Aussi limitée dans ses populations-cibles est la Travel Association (ta), second organisme statutairement privé à développer une action spécifique en faveur de la culture britannique en France. Le principe d’action de la ta se fonde sur le lien traditionnel établi entre culture et commerce, et vise à la fois à favoriser les séjours touristiques en Grande-Bretagne et à faire prospérer les intérêts commerciaux britanniques à l’étranger, d’où un rayon d’action qui ne se limite pas à la France8. La ta reçoit des encouragements officiels, et ouvre des bureaux dans les pays considérés comme les plus importants en regard de ses objectifs, pour mener une action en coopération avec les missions diplomatiques. Voici donc un second cas d’initiative privée ayant reçu un soutien officiel, par des subsides en particulier9. Ainsi, selon ces lignes directrices, est ouvert un bureau à Paris en 1931, dirigé par un correspondant du Times, Henry Noble Hall10. Ce bureau joue un rôle important dans la définition d’une politique d’action culturelle, mais son activité réelle est entravée par l’insuffisance de ses moyens budgétaires, en particulier pour atteindre les provinces. La ta s’efforce de prendre position auprès de deux catégories professionnelles « médiatrices » : les enseignants (envoi de matériel pédagogique...) et les journalistes que connaît bien Noble Hall11. Celui-ci fait par ailleurs usage du réseau de sections locales de France/Grande-Bretagne pour y prononcer des conférences, lorsque ses moyens financiers lui permettent de se déplacer. Il entretient également des contacts avec d’autres associations anglophiles de ce type (tel l’Accueil franco-britanni que).
10 Les restrictions financières qui représentaient l’obstacle majeur au développement d’une promotion culturelle efficace sont atténuées, bien que tardivement, avec l’entrée en action du British Council.
- 12 Une charte royale réunissant tous ces principes est octroyée au British Council en 1940.
11La création en 1934 du Comité britannique pour les relations avec d’autres pays, rebaptisé ultérieurement British Council, traduit une prise de conscience de l’importance de la promotion culturelle à l’étranger. Les initiatives antérieures portaient sur des domaines précis (l’éducation, le tourisme). Le Council se définit comme une structure spécifiquement dédiée à une « promotion globale du British Way of Life ». Suscité par le responsable du service de presse du Foreign Office Reginald Leeper, le Council est tout d’abord un organisme destiné à mener une activité de contre-propagande afin de mettre l’accent sur les réalisations d’une nation violemment décriée par les régimes fascistes. La prégnance de ce contexte a puissamment contribué à faire accepter par l’administration britannique la création d’un organisme chargé de réorienter les efforts de publicité culturelle vers un développement des relations culturelles. En effet, les objectifs du Council sont doubles : promouvoir à l’étranger les réalisations britanniques en matière d’éducation, art, littérature, sciences, système de gouvernement ; et favoriser les échanges culturels avec les autres pays pour une meilleure compréhension et appréciation mutuelle. Statutairement – ce qui est crucial – le Council est un organisme indépendant, dont les crédits sont votés par le Parlement sur proposition du Trésor12.
- 13 Ainsi le président de la Travel Association, Lord Derby, est nommé vice-président du Council et siè (...)
- 14 Le Council octroie 420 £ en 1937/38, puis 400 £ l’année suivante pour les dépenses de fonctionnemen (...)
12La ta ne disparaît pas pour autant, et ses relations avec le Council font l’objet d’une définition aboutissant à une interpénétration organique et une coopération fonctionnelle étroite13. En France, le Council s’assure les services de Noble Hall à partir de 1937, en contribuant aux dépenses de fonctionnement du bureau et à l’accroissement de son budget déplacements14. De nouveau, pour utiliser avec le maximum de profit des moyens encore réduits, le Council s’appuie essentiellement sur le maillage des consulats, et les réseaux anglophiles existants, en fort développement avec l’approche de la guerre.
13Toutefois l’ambassade ne perd pas son rôle fondamental dans la supervision d’une politique culturelle dont elle approuve les grandes lignes avant que les organismes exécutifs se chargent de sa réalisation effective. L’ambassade dispose en effet d’une vision globale de la stratégie des différents acteurs présents sur le sol français.
- 15 British Council, Foreign Publicity Division, note du 4 octobre 1939, bw 2/363, pro.
14 En Grande-Bretagne, la menace de guerre induit une réorganisation des structures gouvernementales. Procède de cette réflexion en 1939 la création d’un ministère de l’information (moI) dévolu à des tâches de propagande, fonction qui de façon croissante devient difficile à séparer de la simple promotion culturelle en temps de guerre. Parallèlement le British Council se dote à Londres de services régionaux, chargés du suivi des politiques dans les différentes régions du monde. La France constitue alors une région à elle seule15. Mais la situation à Paris est complexe en raison de la position centrale de Noble Hall dans ce dispositif, et de la confusion entre les différentes missions.
15L’épanouissement d’une politique cohérente de promotion culturelle britannique en France est stoppé net par l’invasion de la France. Cet événement impose le repli total ou partiel en Grande-Bretagne des structures chargées de la mise en œuvre de cette politique.
- 16 Note de Melle Barthelmé, économe du British Institute in Paris, à Hugh Sellon [directeur], 11 octob (...)
- 17 G. harris, « Les années de guerre et d’après-guerre, 1939-1950 », dans L’Institut britannique de l’ (...)
16Ainsi l’institut britannique ferme le 10 juin 1940, sur décision de l’ambassade. Pour éviter la saisie des locaux, l’immeuble est placé sous la protection explicite de l’Université de Paris. A partir de septembre et jusqu’à la fin de la guerre, l’inspecteur général de l’Université chargé de gérer l’immeuble crée un Centre d’enseignement secondaire par correspondance qui sous couvert d’un enseignement de langues variées poursuit discrètement et de façon réduite l’activité de l’institut16. Cependant, en dépit du maintien clandestin d’une partie de ses activités, le centre de gravité de l’institut se déplace vers la Grande-Bretagne. De ses deux organes de gestion – un comité d’administration français et un comité exécutif londonien – seul le comité londonien est en mesure d’assurer ses fonctions, et en conséquence décide en juillet 1940 de poursuivre les activités de l’institut outre-Manche. L’Institut est rattaché à l’université de Reading et organise des cours pour Français et Anglais avec le soutien des universités britanniques. Il reçoit également l’appui des Forces françaises libres, qui se traduit par l’allocation d’une petite subvention. Puis à partir de 1941, il emménage dans les locaux de l’institut français de Londres17. Si l’institut, doté d’une administration et d’un programme franco-britanniques, peut effectuer une adaptation au temps de guerre, éventuellement en se dédoublant, et maintenir dans des conditions difficiles et dangereuses une activité en France occupée, les autres organismes sont britanniques et n’ont d’autre choix que de se replier complètement sur la Grande-Bretagne.
- 18 De la Travel Association, il n’est plus question par la suite.
- 19 Exemples : foyer polonais de Peeblcs, ou encore centre franco-écossais à Edimbourg.
- 20 A. haigh, La diplomatie culturelle en Europe, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1974, p. 43-46.
17Pour le British Council18, cette période de guerre réunit les conditions permettant d’acquérir en matière de relations culturelles l’expérience qui lui faisait défaut. D’une manière générale, le Council bénéficie de la possibilité de développer le volet relationnel et coopératif de son action, en assistant les autorités gouvernementales en exil en Grande-Bretagne et les représentants des diverses communautés réfugiées dans leurs efforts de création de foyers nationaux19. Il revient au Council de prendre en charge le soutien éducatif et culturel de ces communautés, ce qui se traduit par l’organisation de cours (d’anglais ou de formation professionnelle), conférences, visites, en fonction des besoins exprimés, et exige une nécessaire adaptation des méthodes de travail selon la communauté concernée. Son personnel acquiert ainsi un pragmatisme et une souplesse qui lui seront indispensables par la suite. De plus, l’ampleur et l’efficacité du travail accompli lui valent une certaine popularité, une réputation de sérieux et de compétence qui préparent un terrain favorable à l’accomplissement de sa future mission de développement des relations culturelles après la guerre20.
18Ainsi, les organismes de promotion culturelle britanniques mettent à profit les restrictions d’activités imposées par les combats de la Seconde guerre mondiale pour préparer des méthodes d’action opérationnelles en temps de paix, afin d’une part de pérenniser leur existence (puisque c’est essentiellement la force de la propagande ennemie qui justifiait leur naissance), et d’autre part d’acquérir des positions influentes pour la Grande-Bretagne dans le monde d’après-guerre.
19La préparation de la stratégie à suivre afin de faire fructifier le capital de sympathie et de prestige qu’aura acquis la Grande-Bretagne pendant la guerre s’effectue vers 1943. Les organismes concernés doivent alors établir une ligne d’action claire, et définir les champs de compétences entre les diverses composantes du dispositif de projection culturelle. La mise en œuvre concrète de ces plans se fait tout d’abord dans un contexte difficile de pénurie, puis connaît un essor inédit.
- 21 Robertson (British Council) à Palairet (Foreign Office), 5 février 1944, bw 31/12, pro.Cette lettr (...)
20Dans le cas français, cette coordination est vivement souhaitée et encouragée par le ministre des Affaires étrangères Anthony Eden, qui fait part de ses vœux au directeur du British Council Malcolm Robertson le 10 juillet 1943. Il confie dans cette même lettre au Council le rôle de canal officiel à travers lequel devra s’exercer la régulation des activités culturelles franco-britanniques après la guerre21. Cette désignation comme représentant de la Grande-Bretagne pour les questions culturelles n’autonomise pas pour autant dans son principe le Council du politique, et des consultations fréquentes avec l’ambassade sont recommandées. Par ailleurs, les activités culturelles définies dans le cadre de cette mission comprennent également l’éducation, ce qui suppose que le Council exerce une sorte de supervision sur les activités de l’institut britannique. Les relations du Council avec ces deux organismes doivent en fait achever de se définir sur place en raison des possibles recouvrements de territoires ou de considérations hiérarchiques. La réussite de cette coopération dépend largement de la bonne volonté des individus.
- 22 En fait, la bbc conserve une grande indépendance d’action, incontestée par le Council en raison de (...)
21En revanche, les tâches dévolues à la bbc se plaçant sur un registre différent (moyen de communication dont la bbc a seule la gestion) mais complémentaire par la teneur de ses programmes, la coordination paraît a priori plus aisée22.
- 23 British Council. Executive Committee, Paper B attaché à l’ordre du jour de la réunion du 11 décembr (...)
- 24 Les candidats communistes rassemblent plus d’un quart des voix aux élections d’octobre 1945.
- 25 British Council, Finance and Agenda Committee, réunion du 13 novembre 1945, bw 69/11, pro.
22Pour autant, les Britanniques définissent un triple objectif justifiant une action culturelle vigoureuse en Europe : restaurer une influence britannique, y réimplanter les valeurs libérales dont la Grande-Bretagne est porteuse, et faire pièce à l’influence communiste23. En outre, la France est considérée comme un terrain de rivalité culturelle entre Alliés, et il s’agit à la fois d’adopter une position de courtoise mais de réelle concurrence vis-à-vis des États-Unis, et surtout de contrecarrer l’influence communiste dans un pays où le Parti communiste séduit une partie notable de l’élite intellectuelle et représente un poids électoral non négligeable24. Toutefois le contexte de l’immédiat après-guerre ne favorise pas la jouissance pleine et entière de l’indépendance d’action octroyée statutairement au Council. Le politique établit des priorités, dont le Council doit tenir compte dans ses plans. Par exemple, le Foreign Office détermine fin 1945 le nombre de bourses d’études en Grande-Bretagne accordées aux territoires libérés ; la France est le second pays prioritaire derrière la Grèce (en proie à la guerre civile) et juste avant la Tchécoslovaquie25.
- 26 Britsh Council registered files : Algeria (1943-1946), bw 10/1, pro.
23L’installation d’un centre du British Council à Alger en 1943 préfigure sur le plan méthodologique ce qui doit être réalisé à Paris26. Le schéma de développement obéit aux principes suivants : la définition de ses relations avec les organismes britanniques officiant à un titre ou un autre dans le même domaine d’activité, l’établissement de contacts solides avec les autorités et les élites médiatrices culturelles du pays (universitaires, artistes, presse...), une priorité absolue donnée à la diffusion d’informations sur la Grande-Bretagne auprès des libraires et des institutions éducatives (par l’imprimé ou les conférences). Mais le British Council doit tout d’abord définir ses rapports avec l’ambassade, et se coordonner avec les représentants du moi et avec l’institut britannique.
- 27 Ashley-Clarke (ambassade) à Howell (British Council), 12 avril 1946, bw 31/38, pro.
- 28 Les observations sur la situation matérielle sont consignées dans les rapports envoyés au Council à (...)
24L’ambassade est en relations constantes avec le Council, exerce une surveillance qui semble relativement serrée sur ses activités tout en lui laissant officiellement une grande liberté d’action. Par la suite, est dessiné un cadre à l’intérieur duquel doivent évoluer les activités fonctionnelles respectives de l’ambassade et du Council. Il est clairement établi que le bureau de presse de l’ambassade prend en charge la diffusion d’informations sur des thèmes d’actualité et que le Council conserve une vocation artistique et d’enseignement27. Sur un plan pratique, si le bureau parisien du Council n’entretient pas de lien organique avec l’ambassade et peut ainsi jouer la carte de la neutralité politique, il ne dispose pas automatiquement des avantages obtenus par l’ambassade en matière de logement et de nourriture, ce qui ne facilite pas son installation à Paris en ces temps de pénurie28.
- 29 À Bordeaux : voir note de Miss McLeod, 16 novembre 1946, bw 31/20, pro. En revanche à Toulouse, le (...)
- 30 British Council, Policy Committee, 8 octobre 1946, paper A (daté d’août 1946), bw 69/12, pro. Ce do (...)
25Les relations avec le moi sont minimales car le moi est étroitement attaché à l’action de propagande menée pendant la guerre, or le Council souhaite imposer une image dissociée au maximum du politique afin de dépasser les clivages partisans et atteindre un public aussi large que possible. Cependant, les rapports sont relativement harmonieux en général, en dépit de quelques rivalités ponctuelles (par exemple dans le sud-ouest de la France29). Mais le moi est dissous le 1er avril 1946 et remplacé par le Central Office of Information (coi) intégré au Foreign Office. La répartition des tâches est établie très rapidement, et le Council transfère essentiellement au coi ses compétences relatives à la production de matériel audio (et) visuel sur la Grande-Bretagne30.
- 31 Mémorandum on the relation between the British Institute in Paris and the British Council (Paper A) (...)
- 32 Leur cristallisation se fait autour de la personne du directeur Hugh Sellon. Le départ de Sellon ou (...)
26Ayant rouvert ses portes, l’institut britannique reprend son activité éducative, dans l’exercice de laquelle il dispose d’une précieuse antériorité. Aux termes d’un accord conclu en mars 194431, il est inséré dans la politique de promotion culturelle coordonnée par le Council. Il est prévu un soutien fonctionnel et surtout financier du Council pour l’institut. Cet accord esquisse une sujétion de l’institut au Council, décidée à Londres sans consultation de l’Université française sous l’autorité de laquelle il est statutairement placé. Il porte en germe deux types de rapports conflictuels : d’une part entre le Council et un Institut qui accepte difficilement sa tutelle, et d’autre part entre le Council et l’Université qui se sent dépossédée de son autorité au profit d’un organisme officiant aux limites de la propagande. Entre 1944 et 1949, date à laquelle un modus vivendi est trouvé, les relations Institut/Council sont empoisonnées par ces pommes de discorde32.
- 33 C’est le cas, par exemple, pour l’envoi de conférenciers. Voir Massigli à dgrc, 9 avril 1945. amae, (...)
- 34 Ainsi est instauré un système d’échange de publications, dont les détails figurent dans le rapport (...)
27Dans un second temps, le Council, en sa qualité de coordinateur de la politique culturelle britannique en France, prend contact avec les autorités françaises, et plus précisément la dgrc. À cette époque, les relations sont ponctuelles. Les deux organismes ne coopèrent pas de façon systématique, ce qui rend intempestives certaines initiatives prises sans concertation préalable33. Mais dans l’ensemble, la dgrc vient appuyer utilement les démarches et les efforts du Council, en particulier pour la diffusion de livres et brochures britanniques34.
- 35 Les Progress Reports constituent la source principale pour connaître les activités du Council. Ils (...)
28Cette mise à disposition étendue d’imprimés ou d’ouvrages britanniques est en effet la priorité du Council. La lenteur, la lourdeur des procédures, la faiblesse de circuits financiers en convalescence après la désorganisation de la guerre sont autant d’obstacles aux actions du Council, qui cherche à apaiser la soif de connaissance de la Grande-Bretagne qu’il a pu déceler dans la population française. En particulier, les professeurs et étudiants souhaitent pouvoir rapidement actualiser leurs acquis. Afin de répondre à cette demande, le Council constitue une bibliothèque centrale (200 livres en mai 1945, 4 000 en décembre), complétée par un petit réseau en province au fur et à mesure que s’ouvrent des centres régionaux (Grenoble, Toulouse, Nancy...). Des conférences sont également organisées, sous forme de Quinzaines ou de Semaines culturelles. L’octroi de bourses d’études et les dons de revues complètent l’action éducative menée par l’institut britannique. Afin d’atteindre un public socialement plus diversifié, des tournées de conférences, des petites expositions de photos, des projections de films documentaires ont lieu dans toute la France35.
- 36 Myers, Quarterly Report, septembre-décembre 1945, bw 31/13, pro.
- 37 Télégramme Massigli, 19 janvier 1945 ; Erlanger à dgrc, 27 février 1945, amae, Relations Culturelle (...)
- 38 British Council, Finance and Agenda Committee, 10 avril 1945, extrait des comptes rendus, bw 31/10, (...)
- 39 Erlanger à dgrc, 13 avril 1945, amae, Relations Culturelles 1945/1947, carton 195. L’Old Vie se pro (...)
- 40 Voir le dossier bw 31/29, pro, entièrement consacré à cette exposition. Des compléments se trouvent (...)
29Toutefois, les difficultés matérielles et l’organisation des bureaux restreignent l’étendue du développement des activités du Council dans cette période d’après-guerre. Il est estimé que ce développement n’a réellement lieu qu’à partir du printemps 1946. Mais le Council s’efforce dès 1945 de présenter par des manifestations de prestige différentes facettes de la culture britannique à un public réputé exigeant et peu au fait des réalisations culturelles d’outre-Manche – surtout si elles sont contemporaines. Les domaines concernés avec plus ou moins de bonheur sont la musique (festival Purcell36, concert de Benjamin Britten37...), de façon plus consistante et réussie le théâtre (spectacles du Sadlers Wells Ballet38 , de l’Old Vie Company39), et la peinture (échec retentissant d’une exposition d’œuvres de la Taie Gallery40.
- 41 Cette augmentation budgétaire suit celle du budget Europe, dont environ 10,5 % du budget est affect (...)
30L’année 1947 consacre la bipolarisation croissante du monde et l’affrontement des idéologies libérale et communiste. La stratégie globale du British Council s’oriente alors dans deux directions : l’accompagnement du processus de décolonisation qui touche dans l’immédiat l’Asie du Sud-Est par un développement de l’assistance technique et éducative ; le renforcement de la promotion culturelle dans les pays européens exposés au danger communiste. La France bénéficie de cette orientation, et le bureau du Council à Paris voit en conséquence ses moyens budgétaires s’accroître41.
- 42 J. M. mitchell, op. cit., p. 230-234.
31L’ancrage de son activité dans le paysage culturel français est favorisé par son officialisation. En effet, à l’issue des réflexions menées pendant la guerre, le gouvernement britannique avait conçu le projet d’établir des programmes d’échanges culturels et de constituer à terme un maillage de conventions servant de cadre au développement des relations culturelles européennes. Mais alors que des discussions sont initiées très tôt avec la Belgique, la Tchécoslovaquie, les Pays-Bas ou la Norvège, il est estimé que la France doit stabiliser son gouvernement en préalable à l’établissement d’une politique de coopération. En conséquence, les pourparlers devant aboutir à la rédaction d’une convention culturelle débutent en 1946. La convention est signée le 2 mars 194842. Ce document vise à réguler les échanges entre les deux pays, tout en leur assurant une consistance minimale, et en facilitant leur mise en œuvre. Il garantit donc un niveau minimal d’obligations culturelles, ce qui sous-entend un engagement des gouvernements à maintenir le budget consacré à l’action culturelle à l’étranger au-dessus d’un certain seuil afin d’être en mesure de respecter les obligations souscrites. Une commission mixte est chargée du suivi de l’application de la convention. Ainsi l’assistance que peut apporter la dgrc au Council revêt un caractère officiel, et gagne en efficacité.
- 43 Voir le dossier bw 31/28, pro.
- 44 Voir le dossier bw 31/30, pro.
- 45 Howell, Rapport pour l’année 1948/1949, bw 31/34, pro.
- 46 McEwen, Rapport de la section Beaux-Arts pour l’année 1947/1948. Ibid.
- 47 Pour cette période, les activités du Council en France sont consignées dans les rapports annuels en (...)
32La période 1947-1948 constitue le zénith des activités du Council en France. Il parvient à étendre son aire d’influence en s’appuyant sur l’intense activité de ses centres régionaux, tout en maintenant ses positions à Paris. Dans trois domaines, le renforcement des activités est patent. En premier lieu, les expositions d’art sont organisées selon une stratégie désormais bien rodée de manifestations de prestige à Paris et d’expositions d’envergure plus modeste mais de grand intérêt en province. Ainsi sont présentées dans la capitale les œuvres picturales de William Blake43, une rétrospective de Turner44, et les points saillants de huit siècles de vie britannique à Paris45 (à l’occasion de la signature de la convention culturelle). Mais l’initiative la plus audacieuse dans ce domaine est l’organisation d’une exposition de peinture contemporaine britannique, ouverte dans une galerie parisienne puis marseillaise. En effet, sans pour autant négliger les « valeurs sûres », le Council cherche surtout à faire (re)connaître et apprécier en France le travail d’une jeune génération d’artistes talentueux, tels Henry Moore, Graham Sutherland... Les premiers résultats sont encourageants46. Par ailleurs, soumis à une demande à caractère pédagogique, le Council prépare des séances de films documentaires, et des envois de films et de photographies de Grande-Bretagne. Ce mode de promotion culturelle est apprécié, et possède l’avantage d’offrir de l’outre-Manche une image très facilement accessible à toutes les catégories sociales. Enfin, la promotion de la musique constitue un axe important du travail du Council, mais pour lequel il rencontre des difficultés. Les échanges franco-britanniques en la matière accusent un net déséquilibre au profit de la France. Le Council cherche alors à favoriser l’interprétation d’œuvres anglaises par des Français. La province fait l’objet d’efforts particuliers avec un surcroît d’activités pour le théâtre (tournée de l’Arts Theatre Company), la diffusion d’imprimés (avec l’accroissement des fonds des bibliothèques régionales du Council) et les conférences. En renforcement logistique, un nouveau centre régional ouvre à Lille. Les appuis de sociétés anglophiles locales représentent également une précieuse aide ponctuelle47.
- 48 Agreement between the Conseil d’administration of the British Institute, University of Paris, and t (...)
33Outre ces activités, l’action du Council s’affirme sur le plan éducatif. En cette période, les relations avec l’institut britannique sont tendues (voir supra), ce qui explique la création d’une section spéciale de l’institut48 placée sous le contrôle du Council pour mener un travail d’organisation de tournées de conférences et de cours de vacances. Les séjours éducatifs constituent un second volet de la politique éducative du Council, avec l’octroi de bourses (une dizaine par an). Ces efforts resserrent les liens du Council avec le milieu enseignant et contribuent – parmi d’autres initiatives – à développer le flux d’échanges universitaire et scolaire entre les deux pays.
34Le bilan d’activités est très positif à l’issue de l’année 1948. Mais les coupes budgétaires auxquelles avait échappé la France sont finalement répercutées à partir de 1949, et exigent une réorientation stratégique des activités du Council en France.
35Soumis aux orientations inspirées par le Foreign Office en fonction des évolutions internationales, le British Council doit s’engager plus nettement en faveur de ses relations avec le Commonwealth et les colonies, au détriment d’une répartition plus équilibrée de ses activités dans le monde. C’est le signe d’une certaine intégration de la dimension culturelle à la sphère diplomatique. Mais, en conséquence, des choix d’activités doivent être opérés. Ainsi en France le repli est double : les actions sont essentiellement délimitées par le cadre de la convention culturelle et le public visé se restreint surtout à une élite anglophile.
36Les territoires nouvellement décolonisés constituent un enjeu de poids pour les grandes puissances. Les peuples jusqu’alors soumis à la Couronne britannique se dirigent inexorablement vers l’indépendance, et la Grande-Bretagne cherche à préserver un Commonwealth, sphère d’influence témoignant de sa puissance passée, à le détourner des sirènes communistes et à l’arrimer fermement au camp occidental, en particulier en nouant avec lui des liens commerciaux forts. Le British Council est chargé de renforcer les liens unissant ces jeunes nations (ou futures nations) à la Grande-Bretagne en développant une activité intense d’assistance éducative et technique. L’urgence et l’ampleur de l’action à mener justifient l’affectation d’une partie importante de son budget global à cette tâche. Malgré les protestations du Council, qui estime avoir encore un travail substantiel à mener auprès des pays industrialisés, et qui souhaite en particulier continuer à affirmer la vigueur de la culture britannique parmi les cultures européennes, le budget alloué pour l’Europe subit une forte érosion (perte de 52 % entre 1947/48 et 1952/53). Par rapport aux autres pays européens, la France conserve un budget élevé, mais si les activités lancées les années précédentes peuvent être en grande partie reconduites en 1949, c’est au prix d’une extension maximale des moyens, qui ne pourra être prolongée par la suite. Dès 1950, les activités du Council en France enregistrent une diminution, avec la fermeture de centres régionaux (Lille, Nancy, Lyon et Toulouse) et une réduction du personnel. Sont alors désignées comme activités prioritaires l’éducation et la diffusion des écrits.
37En matière d’éducation, le Council s’attache essentiellement à mettre en œuvre les recommandations de la commission mixte mise en place pour l’application de la convention culturelle, voire à les développer. Ainsi les échanges d’assistants, de maîtres-assistants, d’universitaires, l’organisation de cours d’été, l’octroi de bourses d’études sont poursuivis, et les échanges directs entre établissements français et anglais vivement encouragés. Le Council cherche par ailleurs à atteindre avec des programmes d’éducation adaptés la population adulte, et en l’absence d’un unique organisme français interlocuteur, il entretient dans cette optique des relations avec les syndicats non communistes (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens et Force Ouvrière).
- 49 Ainsi, le contingentement des importations de livres britanniques en France est supprimé le 28 déce (...)
- 50 L’Accord sur la Libre Importation de Matériel Scientifique Culturel et Éducatif conclu sous l’égide (...)
38La diffusion d’imprimés échappe également à des compressions budgétaires trop prononcées, et le Council s’emploie à la favoriser, en s’attaquant à la réduction des obstacles techniques qui ralentissent le circuit de distribution. Les échanges de livres pâtissent tout particulièrement de ces difficultés. Quelques mesures sont prises de part et d’autre pour diminuer les entraves49, mais ses actions doivent être replacées dans le contexte plus large d’un accord facilitant la circulation de biens culturels placé sous l’égide de l’unesco50.
- 51 Voir les rapports annuels, bw 31/44, pro.
39L’amoindrissement du réseau de centres régionaux du Council induit en particulier une baisse importante de la fréquentation des bibliothèques, mais d’une façon générale le Council resserre au maximum ses liens avec les sociétés anglophiles locales qui constituent ainsi des relais palliant quelque peu l’effondrement de l’infrastructure provinciale du Council51. De même, la formule de prêts en blocs est considérablement développée. Enfin, les publications du British Council connaissent une diffusion qui se limite à ces relais culturels et aux écoles.
40Plus généralement, on peut constater que pendant ces années, l’action du Council se recentre sur un public déjà familier des choses britanniques et/ou désireux d’en savoir davantage sur la civilisation d’outre-Manche : étudiants et anglophiles.
41Le Council réalise de notables efforts afin de maintenir une activité de promotion culturelle à un niveau qu’il estime acceptable. En effet, en France, l’institution scolaire offre de multiples possibilités pour apprendre l’anglais, aussi l’action des Britanniques dans ce domaine tient-elle du soutien et du renforcement davantage que de l’impulsion. Les activités fonctionnelles touchant aux arts conservent alors toute leur importance.
- 52 Voir le dossier bw 31/43, pro.
- 53 R. berthoud, Graham Sutherland, a biography, Londres, Faber & Faber, 1982, p. 156-157.
- 54 Commission mixte franco-britannique, 16-18 mai 1949, résolutions, p. 4. amae, Relations Culturelles (...)
- 55 Créé le 15 juin 1945 au théâtre du Vieux-Colombier.
42Leur organisation reste facilitée si elles sont inscrites au programme des manifestations officielles franco-britanniques approuvées par la commission mixte. C’est par exemple le cas d’expositions telles que celle sur le paysage anglais de Gainsborough à Turner. Mais plus généralement, le département des Beaux-Arts fait preuve d’un grand dynamisme, mettant un point d’honneur à imposer l’art britannique en France. Les initiatives de Paris sont appuyées par Londres. Et le succès des présentations d’œuvres de Henry Moore52 et Graham Sutherland53 dans des musées parisiens récompense cette ténacité. Les souhaits de la commission mixte concernent également le domaine musical, mais malgré les efforts consentis la musique britannique a toujours des difficultés à s’imposer, particulièrement à Paris. Enfin, la commission mixte peut soutenir des tournées théâtrales (compagnie Norman Marshall)54. Lorsque le Council organise sans aide officielle des manifestations ou des activités, il s’appuie de façon croissante sur une coopération établie avec les sociétés anglophiles. Celles-ci bénéficient par exemple de concerts de musique (qu’elles apprécient), de conférences. Le théâtre constitue un domaine spécifique, parce que les pièces britanniques, classiques ou de boulevard, sont appréciées, traduites, et jouées par des troupes françaises, de telle manière que les difficultés du Council pour favoriser les tournées de compagnies anglaises n’ont pas de répercussions négatives majeures sur le succès que rencontrent ces pièces. À titre d’exemples, la Comédie Française met en scène une série de pièces de Shakespeare, le répertoire du Théâtre National Populaire de Jean Vilar comprend « Meurtre dans la cathédrale » de T.S. Eliot55.
43En revanche, à côté de ces secteurs, il en est d’autres pour lesquels le retrait du Council, nettement plus marqué, ne peut être amorti par un quelconque réaménagement stratégique. Il est soit partiel (diffusion de séries de photographies limitées à la région parisienne) soit total (projections de films documentaires).
44Au total, le repli du Council se traduit de façon variable. Si, en général, l’organisation d’activités fonctionnelles se ressent des compressions budgétaires, l’appui des associations anglophiles assure paradoxalement un élargissement de son aire d’influence. Toutefois en termes de population atteinte, le Council privilégie manifestement ses liens avec les intermédiaires culturels, parfois au détriment d’une action visant le grand public.
45Au terme de ce survol de l’élaboration d’une politique de promotion de la culture britannique en France, il apparaît que le gouvernement britannique intègre prudemment la dimension culturelle dans sa diplomatie. La France bénéficie de cette orientation. En 1953, une commission chargée de l’évaluation des services d’information britanniques à l’étranger consacre l’importance de leur action, en complément de la diplomatie traditionnelle. Cependant, l’idée selon laquelle la culture britannique possède une originalité en soi qu’il faut tenter d’imposer dans le monde comme une concurrence sérieuse face aux Français ou aux Américains reste étrangère au raisonnement tenu : les objectifs affichés d’une action culturelle sont politiques et commerciaux.
- 56 La commission de 1953 recommande ainsi de mettre l’accent sur la promotion politique et commerciale (...)
46Aussi, en raison du contexte international et des intérêts de la Grande-Bretagne (conserver une influence par le biais du Commonwealth), la France se trouve dans une position difficile à défendre : vis-à-vis d’un pays dont le niveau de développement est proche de celui de son voisin d’outre-Manche, qui entretient avec lui des relations séculaires, la nécessité d’une promotion culturelle peut paraître superflue. Le Council justifie alors son action par la définition d’enjeux spécifiques : locaux – la recherche d’une reconnaissance artistique et culturelle dans un pays réputé dans ce domaine – ou européens – l’affirmation de la culture britannique comme composante essentielle de la culture européenne. Ces arguments traduisent la revendication d’une acception globale de la culture, que les urgences internationales de l’heure limitent essentiellement à l’éducation, et qui doit également prendre en compte les arts, envers les pays développés et particulièrement la France56.
Notes
1 Cette expression a été créée par Stephen Tallents, futur controller of Public Relations de la BBC, qui a fait paraître en 1932 un ouvrage intitulé The Projection of England.
2 J. M. MItchf. ll, International Cultural Relations, Londres, 1986, p. 39.
3 J. Tilley, Report of the Foreign Office Committee on British Communities abroad, 22 mars 1920, bw 2/85, Public Record Office (pro). Ces recommandations n’ont pas été approuvées par le Trésor.
4 Ni l’institut britannique ni le British Council, tous deux actifs à cette date, n’entretiennent de liens directs avec les Britanniques installés à Paris. Granville Barker à Bridge, 28 juillet 1938, Bw 31/14, pro ; et Henry Noble Hall, Note on Paris British School, 14 décembre 1938. Ibid.
5 Sur cette association anglophile née en 1916 et ses activités dans l’entre-deux-guerres, voir : C. Okret, La culture de l’esprit d’Entente cordiale : l’association France-Grande-Bretagne (1919 – 1940), thèse de l’École nationale des chartes, 1997.
6 British Institute in Paris.
7 Les projets de conférences sont rassemblés dans le dossier « Institut britannique – causeries », amae, Service des Œuvres, carton 109.
8 P. M. taylor, The projection of Britain – British overseas publicity and propaganda, 1919-1939, Cambridge, 1981, ch. III : « Commercial propaganda and the concept of national projection ».
9 En 1931, les recettes budgétaires de la Travel Association se répartissent ainsi : une majorité d’adhésions privées, un tiers de subventions de municipalités britanniques, et une aide gouvernementale de 5 000 £. – P.M. Taylor, op. cit.
10 Son curriculum vitae se trouve dans : amae, Service des Œuvres, carton 106.
11 British Council, Finance and Agenda Committee, 8 avril 1936, note de Noble Hall datée du 5 mars 1936, bw 69/2, pro.
12 Une charte royale réunissant tous ces principes est octroyée au British Council en 1940.
13 Ainsi le président de la Travel Association, Lord Derby, est nommé vice-président du Council et siège à son comité exécutif en compagnie du vice-président et du directeur de la Travel Association. En contrepartie, le secrétaire général du Council prend part aux réunions de la ta British Council, Finance and Agenda Committee, 5 février 1936, bw 69/1, pro. Du point de vue fonctionnel, deux comités mixtes sont créés pour la radio et les films. British Council, Executive Committee, 19 février 1936. Ibid.
14 Le Council octroie 420 £ en 1937/38, puis 400 £ l’année suivante pour les dépenses de fonctionnement du bureau parisien de la Travel Association. Il offre également un soutien financier pour l’organisation de conférences (280 £ en 1936/37 et 1937/38, 140 £ en 1938/39), C. Okret, op. cit., p. 488.
15 British Council, Foreign Publicity Division, note du 4 octobre 1939, bw 2/363, pro.
16 Note de Melle Barthelmé, économe du British Institute in Paris, à Hugh Sellon [directeur], 11 octobre 1944. boîte 2, dossier 1, archives du bip.
17 G. harris, « Les années de guerre et d’après-guerre, 1939-1950 », dans L’Institut britannique de l’université de Paris (the British Institute in Paris), publié par l’institut britannique à l’occasion du 25e anniversaire de sa fondation, 1952, p. 27-31.
18 De la Travel Association, il n’est plus question par la suite.
19 Exemples : foyer polonais de Peeblcs, ou encore centre franco-écossais à Edimbourg.
20 A. haigh, La diplomatie culturelle en Europe, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1974, p. 43-46.
21 Robertson (British Council) à Palairet (Foreign Office), 5 février 1944, bw 31/12, pro.Cette lettre résume le contenu de celle d’Eden, dont un extrait est conservé dans le même dossier (Eden à Robertson, 10 juillet 1943, bw 31/12).
22 En fait, la bbc conserve une grande indépendance d’action, incontestée par le Council en raison de la place particulière qu’elle occupe à la lisière de la promotion culturelle et de la propagande (informations et émissions culturelles). Les archives du Council et de la bbctémoignent ainsi d’une coopération ponctuelle, mais pas de consultations menées sur des questions d’orientation générale.
23 British Council. Executive Committee, Paper B attaché à l’ordre du jour de la réunion du 11 décembre 1945, bw 69/11, pro.
24 Les candidats communistes rassemblent plus d’un quart des voix aux élections d’octobre 1945.
25 British Council, Finance and Agenda Committee, réunion du 13 novembre 1945, bw 69/11, pro.
26 Britsh Council registered files : Algeria (1943-1946), bw 10/1, pro.
27 Ashley-Clarke (ambassade) à Howell (British Council), 12 avril 1946, bw 31/38, pro.
28 Les observations sur la situation matérielle sont consignées dans les rapports envoyés au Council à Londres. Voir Progress Report, juillet-septembre 1945, bw 31/13, pro.
29 À Bordeaux : voir note de Miss McLeod, 16 novembre 1946, bw 31/20, pro. En revanche à Toulouse, le moi et le Council coopèrent davantage (Coventry, Progress Report, 8 janvier 1946, bw 31/10, pro).
30 British Council, Policy Committee, 8 octobre 1946, paper A (daté d’août 1946), bw 69/12, pro. Ce document contient des éléments constitutifs du Définition Document produit par le Foreign Office en décembre 1946 afin de clarifier les rapports coI/Council.
31 Mémorandum on the relation between the British Institute in Paris and the British Council (Paper A) [1943], bw 31/8, pro.
32 Leur cristallisation se fait autour de la personne du directeur Hugh Sellon. Le départ de Sellon ouvre la voie à des relations plus sereines entre l’institut, l’Université et le Council. Voir le dossier Sellon, boîte 2, archives du British Institute in Paris (bip).
33 C’est le cas, par exemple, pour l’envoi de conférenciers. Voir Massigli à dgrc, 9 avril 1945. amae, Relations Culturelles 1945/1947, carton 191 ; et Durry à Massigli, 12 mai 1945, Ibid.
34 Ainsi est instauré un système d’échange de publications, dont les détails figurent dans le rapport suivant : Bertram, Progress Report, juillet-septembre 1945, bw 31/13, pro. Il faut également signaler la participation de la dgrc à l’organisation du Book Export Scheme, dont l’objectif est de faciliter l’exportation de livres anglais vers différents pays alliés et neutres avec lesquels le commerce privé est difficile ou impossible, en attendant que les contacts directs entre éditeurs britanniques et libraires étrangers soient rétablis. Ce système s’avère très lourd et sera abandonné en juin 1947. La correspondance relative au Book Export Scheme se trouve dans amae, Relations Culturelles 1945 /1947, carton 193.
35 Les Progress Reports constituent la source principale pour connaître les activités du Council. Ils sont rassemblés dans bw 31/10 jusqu’en avril 1945, et bw 31/13 pour avril 1945- mars 1946, pro.
36 Myers, Quarterly Report, septembre-décembre 1945, bw 31/13, pro.
37 Télégramme Massigli, 19 janvier 1945 ; Erlanger à dgrc, 27 février 1945, amae, Relations Culturelles 1945-1947, carton 194.
38 British Council, Finance and Agenda Committee, 10 avril 1945, extrait des comptes rendus, bw 31/10, pro.
39 Erlanger à dgrc, 13 avril 1945, amae, Relations Culturelles 1945/1947, carton 195. L’Old Vie se produit de nouveau à Paris en 1946 dans le cadre du mois de l’unesco. Voir Le Harivel, Rapport sur la visite de l’Old Vie à Paris, s.d., bw 2/185, pro.
40 Voir le dossier bw 31/29, pro, entièrement consacré à cette exposition. Des compléments se trouvent dans amae, Relations Culturelles 1945-1947, carton 193.
41 Cette augmentation budgétaire suit celle du budget Europe, dont environ 10,5 % du budget est affecté à la France. Outre des considérations politiques, cette croissance budgétaire est due à la prise en compte du haut niveau d’inflation régnant en France (les prix de détail enregistrent une hausse de 59 % en 1948, par rapport à 1947). British Council, Policy Committee, 11 novembre 1947, Paper A., bw 68/5, pro.
42 J. M. mitchell, op. cit., p. 230-234.
43 Voir le dossier bw 31/28, pro.
44 Voir le dossier bw 31/30, pro.
45 Howell, Rapport pour l’année 1948/1949, bw 31/34, pro.
46 McEwen, Rapport de la section Beaux-Arts pour l’année 1947/1948. Ibid.
47 Pour cette période, les activités du Council en France sont consignées dans les rapports annuels envoyés à Londres, conservés en bw 31/13 puis bw 31/33 après 1948. Manque celui de 1946/1947.
48 Agreement between the Conseil d’administration of the British Institute, University of Paris, and the British Council [30 avril 1947], Dossier 1947-1964, archives du bip.
49 Ainsi, le contingentement des importations de livres britanniques en France est supprimé le 28 décembre 1949. Note du sous-secrétariat d’État à l’industrie et au Commerce à la dgrc, 31 décembre 1949. amae, Relations Culturelles 1948/1955, carton 47. Les formalités douanières pour l’entrée de livres sur le territoire britannique sont allégées fin 1950. Commission Mixte franco-britannique, Section britannique, 1er décembre 1950, p. 4, bw 31/33, pro.
50 L’Accord sur la Libre Importation de Matériel Scientifique Culturel et Éducatif conclu sous l’égide de l’unesco est signé par la France et la Grande-Bretagne le 23 novembre 1950.
51 Voir les rapports annuels, bw 31/44, pro.
52 Voir le dossier bw 31/43, pro.
53 R. berthoud, Graham Sutherland, a biography, Londres, Faber & Faber, 1982, p. 156-157.
54 Commission mixte franco-britannique, 16-18 mai 1949, résolutions, p. 4. amae, Relations Culturelles 1948/1959, carton 83.
55 Créé le 15 juin 1945 au théâtre du Vieux-Colombier.
56 La commission de 1953 recommande ainsi de mettre l’accent sur la promotion politique et commerciale, en réduisant les initiatives dans le domaine artistique.
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