Version classiqueVersion mobile

Un art sans frontières

 | 
Gérard Monnier
, 
José Vovelle

III. La diffusion et ses institutions

La galerie « Il Milione » (Milan) et les avant-gardes étrangères dans les années trente

Christine Coquillat

Texte intégral

1Dans le cadre de l’étude de l’internationalisation des arts en Europe, nous nous proposons d’examiner le rôle joué, en Italie, par la Galerie Milanaise « Il Milione » qui, au début des années trente, engage une politique artistique résolument tournée vers les avant- gardes étrangères. Cette nouvelle orientation est la conséquence d’une réflexion approfondie sur la situation italienne et les dirigeants du Milione donnent à leur prise de position une valeur symbolique. Pour eux et vis-à-vis des milieux artistiques, le choix même de l’Europe est significatif. Nous sommes alors sous le régime fasciste et le fait de présenter et défendre la production étrangère revêt un caractère provocateur parfaitement assumé. N’étant ni le fruit du hasard ni celui d’un caprice, l’attitude du Milione nous amène à nous interroger sur ses origines et ses raisons profondes : pourquoi le Milione fait-il appel aux avant-gardes étrangères ; qu’espère-t-il d’elles ? Telles sont les questions auxquelles l’examen du parcours de la Galerie nous permettra de répondre.

2Il n’est guère possible d’imaginer que la Galerie puisse évoluer de façon indépendante du milieu dans lequel elle s’inscrit. C’est donc dans le passé récent du milieu artistique milanais qu’il nous faut trouver les facteurs qui la conduisent à établir et revendiquer ses liens avec l’étranger. Cette recherche met en évidence le rôle primordial joué par le mouvement architectural rationaliste. En effet, si les artistes italiens d’avant-garde entretiennent depuis longtemps des relations avec leurs homologues européens, l’idée d’une internationalisation de la création ne pénètre en Italie que durant la seconde moitié des années vingt, par le biais des architectes rationalistes du « Gruppo 7 » qui installent leur siège à Milan. En restant très proches du mouvement international, les rationalistes introduisent en Italie une nouvelle façon de considérer la création et son rôle mais aussi une nouvelle conception des rapports avec les avant-gardes étrangères.

3Les architectes se présentent comme une avant-garde artistique. Les idées qu’ils défendent ont des répercussions importantes sur l’ensemble du milieu créatif milanais. Au point de vue plastique, ils provoquent une émulation, une sorte de frénésie de modernisme et donnent aux artistes la volonté de rechercher, chacun dans son propre domaine, une expression qui corresponde à celle développée en architecture. Leur influence ne se limite pas à la recherche plastique mais s’étend aussi au comportement. Ils ont envers le milieu artistique international une attitude d’intégration et contribuent à ancrer dans les esprits l’idée que modernisme et internationalisme ne font qu’un. Par ailleurs, leur démarche est scientifique et didactique. Ils créent des bases documentaires importantes et constituent des bibliothèques dans lesquelles ils rassemblent des textes fondamentaux - étrangers comme italiens - aussi bien sur l’architecture et la création industrielle que sur la littérature. Cet aspect est primordial car, ainsi, ils donnent au milieu artistique la possibilité, mais aussi le désir et l’habitude, de se référer directement aux travaux étrangers. L’expérience rationaliste dynamise le milieu milanais et lui ouvre de nouvelles perspectives. Chez les rationalistes, l’idée d’internationalisme apparaît le plus souvent revendiquée à travers le thème de l’« Europe ». Le terme d’« Europe » devient ainsi le mot-clé de toute la partie de l’avant-garde proche du mouvement architectural. L’idée d’Europe est étroitement liée à celle de modernisme et signifie, en même temps que l’affirmation d’une volonté artistique, celle d’une volonté politique. Elle porte l’espoir de ceux qui, refusant le retour à la tradition, s’opposent aux tentatives de normalisation des arts qui, sous couvert de patriotisme et sous le vocable d’« italianité », s’opèrent en Italie. Le thème est utilisé pour combattre le retour au passé, mais aussi les tendances provinciales des milieux artistiques. Le choix d’un art européen est témoin du désir de ceux qui le défendent de lutter contre la tentation d’autarcie culturelle à laquelle succombe une majorité d’Italiens.

4Au début des années trente, les protagonistes du mouvement pro-européen, c’est-à-dire les architectes et les artistes qui leur sont proches, ne disposent pas de locaux qui leur permettent de s’exprimer de façon importante et permanente. Ils se réunissent donc dans des bars comme le Mokador ou le Craja et rêvent d’un endroit qui puisse leur servir à la fois de lieu de rencontre et de lieu de diffusion. C’est dans ce contexte spécifique qu’apparaît la Galerie du Milione. Sa création répond aux besoins d’une partie de l’avant-garde milanaise. Si le projet n’est mis à exécution que par quelques personnes (les frères Ghiringhelli et Daniele Roma), l’idée en est débattue par tous et occupe pendant un été toutes les conversations.

5Le Milione est fondé en 1930, en pleine crise économique, et prend la place de la Galerie Bardi fermée peu de temps auparavant. Ses locaux sont situés en face de la Pinacothèque de Brera, dans un immeuble réalisé par l’architecte rationaliste Pietro Lingeri. Il se démarque des Galeries classiques dans le sens où l’organisation d’expositions artistiques n’est pas sa seule activité, ni même son activité principale. Comme l’expliquent ses dirigeants, le Milione est, à l’origine, destiné à n’être qu’une simple librairie,

  • 1 Il Milione, n° 1, Milan, 15 sept.-11 nov. 1932 ; n.p.

« début modeste d’un programme artistique à réaliser par la suite »1

6écrivent-ils en 1932. Sous la pression de l’entourage, le Milione naît Librairie et Galerie et se veut avant tout un lieu de rencontres et d’échanges. En ce qui concerne les expositions présentées, il ne s’en tient pas aux expressions traditionnelles que sont la peinture et la sculpture mais s’ouvre à d’autres domaines comme ceux de la création industrielle, de l’architecture, de la scénographie, de la typographie, de la publicité, de la mode... Des cycles de conférences, traitant des problèmes de la création moderne, de l’architecture rationnelle, de l’art international..., sont organisés et prennent place dans l’espace de la librairie. En 1932, afin de se donner les moyens de s’exprimer, les responsables de la Galerie entre-prennent de publier un Bulletin de liaison intitulé Il Milione et finissent, en 1935, par créer leurs propres éditions. En relation avec tous les créateurs modernes, le Milione s’impose progressivement comme un lieu incontournable de l’avant-garde. Toutes les activités de la Galerie/Librairie se complètent et ont pour objet de promouvoir la création moderne sous tous ses aspects et dans tous ses domaines. Les directeurs de la Galerie affirment vouloir atteindre le grand public mais, s’ils se donnent pour objectif d’expliquer, de développer et de diffuser la création contemporaine, leur travail s’adresse aussi aux artistes auxquels ils tentent de faire partager leurs vues. Les travaux des avant-gardes étrangères prennent place dans ce double programme.

7Dans les premiers temps, la Galerie ne s’intéresse guère aux représentants des avant-gardes étrangères et ne présente que des artistes italiens peu connus mais tous engagés dans des recherches personnelles échappant aux deux grandes tendances que sont le Futurisme et le Novecento. Ce n’est qu’au début de l’année 1932, soit plus d’un an après sa fondation, qu’elle commence à se tourner vers les productions étrangères. Les symptômes les plus manifestes de la nouvelle orientation sont les expositions. La première a lieu en janvier 1932 et rassemble Jean Lurçat, Max Ernst et Louis Marcoussis. Elle est suivie d’une seconde, celle des Suisses Greta Mander et Robert Staeger (mars 1932) ; d’une troisième, réunissant le peintre abstrait allemand Walter Helbig et le paysagiste américain Gordon Mac Couch (mai 1932) ; d’une autre, rassemblant Léger et Pascin (décembre 1932) et d’une exposition collective d’artistes parisiens comprenant des oeuvres de Chagall, Dufy, Picasso... (mars 1933). En 1934, l’intérêt pour les travaux étrangers est à son apogée et la Galerie milanaise accueille successivement Papazoff (février), Seligmann (mars) Mander et Staeger puis Kandinsky (avril), Lazar Segall (mai), Vordemberge-Gildewart (octobre) et Josef Albers (décembre). Par la suite, les expositions d’artistes étrangers se raréfient. En 1935, exposent encore au Milione Seligmann (janvier) et Baumeister (mai). En novembre la Galerie organise une exposition de “noir et blanc” où figurent pêle-mêle Italiens et étrangers, parmi lesquels Braque, Kandinsky, Léger, Klee, Vordemberge-Gildewart... La dernière exposition de la décennie consacrée à des artistes étrangers a lieu en mars 1938. II s’agit d’une collective abstraite présentant Arp, Domela, Magnelli, Seligmann, Taeuber-Arp et Vézelay. En fait, durant la deuxième moitié des années trente, les artistes étrangers laissent la place à des artistes italiens ayant une expérience du milieu artistique international, comme Severini, De Chirico, Prampolini, Savinio, Campigli...

8Comme le montre la liste (exhaustive) des artistes étrangers que nous venons de dresser, les choix sont éclectiques et les manifestations s’étalent sur une période relativement brève ; à une exception près, toutes s’inscrivent dans l’espace de temps compris entre janvier 1932 et mai 1935. Cela mérite réflexion et nous amène à nous interroger sur les raisons profondes de cette volonté internationale et aussi sur les critères de sélection et les raisons de l’interruption du programme. L’ambition internationale du Milione semble avoir pour origine deux facteurs principaux qui sont d’une part l’avènement du mouvement rationaliste qui apporte sa vision internationaliste de la création et d’autre part la décadence du mouvement novecentiste auquel les rationalistes sont très attachés et qui, en raison de ses idéaux de plus en plus anti-modernistes et anti-européens, est alors très contesté. Si, durant les années vingt, les architectes et le Novecento ont effectivement des intérêts communs, après 1930, le Milione et son entourage considèrent que le mouvement artistique, devenu trop réactionnaire, est désormais incapable d’offrir un équivalent pictural au rationalisme architectural et qu’il est nécessaire de lui substituer d’autres expressions.

9Dès le début, l’activité du Milione repose sur la volonté de lutter contre le Novecento qui, sans être promu au titre d’art officiel, bénéficie aussi des faveurs du pouvoir. Si les dirigeants du Milione luttent contre les options artistiques défendues par le Novecento, ils ont aussi l’ambition, non avouée, de favoriser l’apparition d’un mouvement artistique moderne capable de prendre la place convoitée d’expression officielle. Prenant le mouvement rationaliste comme point de référence, la Galerie, qui veut lui donner un équivalent artistique, considère son caractère international et, logiquement, choisit de faire appel aux avant-gardes étrangères.

10Ainsi, même si elle déplaît à l’aile fasciste la plus conservatrice, la référence aux avant-gardes étrangères ne doit pas être considérée comme une manifestation d’opposition au régime.

11Sans ambiguité, la Galerie s’affirme fasciste et travaille à donner au fascisme une expression artistique. Cette politique réussit en partie puisque la Galerie abrite les débuts du mouvement non-figuratif italien qu’elle présente comme l’équivalent artistique du rationalisme architectural, mais elle échoue dans la mesure où elle ne réussit pas à l’imposer comme expression officielle.

12Quant à la question des choix artistiques, les responsables de la Galerie y répondent en partie. Mettant en avant leur volonté didactique, ils expliquent que leur ambition initiale était de présenter des artistes comme Cézanne, Renoir ou Goya, mais que, faute de moyens, ils ont dû se résoudre à changer leurs projets. Ils écrivent :

  • 2 « Non abbiamo i mezzi per far vedere agli Italiani dei Cézanne, dei Renoir, dei Goya, che sarebbe (...)

« Si nous avions pu, nous l’aurions fait : il est évident que cela aurait été bien utile pour une éducation picturale plus rapide qui aurait abrégé de nombreuses discussions que nous sommes lassés de répéter »2.

13Les oeuvres sont donc choisies à des fins « d’éducation picturale ». Dans l’éditiorial de l’un des premiers Bulletins, nous lisons :

  • 3 « Vogliamo essere fedeli al nostro programma di elargire i mezzi di giudizio agli italiani di buon (...)

« Nous voulons être fidèles à notre programme qui est d’élargir les moyens de jugement des Italiens de bonne foi »3

14Désireux de concrétiser leurs aspirations, les dirigeants du Milione s’investissent d’une mission éducative qui vise à familiariser le public et les artistes avec des expressions et des préoccupations encore étrangères au milieu italien. Ils veulent démontrer qu’il existe d’autres valeurs que celles prônées par les artistes locaux. Le Milione a recours à l’art européen comme à un répertoire de contre-valeurs qui doit permettre aux créateurs italiens d’échapper à l’archaïsme et au provincialisme. La volonté didactique explique la grande diversité des travaux présentés. Les courants artistiques proposés forment une sorte de raccourci, de condensé, des principales tendances étrangères. Il s’agit d’un éventail très large des-tiné à permettre au public de comprendre l’art contemporain. Même si le programme présente des lacunes et si les artistes ne sont pas toujours très représentatifs des tendances qu’ils sont censés incarner, les expositions ouvrent quand même sur des problématiques autres que celles qui mobilisent les artistes italiens. Le fait que les manifestations consacrées à la production étrangère n’occupent qu’une courte période ne signifie nullement que le Milione vienne à s’en désintéresser mais plutôt qu’il se redéfinit des priorités en fonction de l’évolution du contexte local. En présentant la production étrangère, le Milione a pour but de lutter contre l’archaïsme et de faire apparaître de nouvelles valeurs. Vers 1935, c’est chose faite ; le mouvement non-figuratif est là pour en témoigner. Après l’éclosion, en 1934, de la non-figuration qui incarne en partie ces nouvelles valeurs, la politique didactique n’est plus justifiée et les artistes italiens, désormais intégrés au milieu artistique international, remplacent, dans les expositions de la Galerie, les artistes étrangers.

15Le travail de présentation des travaux étrangers, commencé avec les expositions, se poursuit de façon importante dans les pages du Bulletin. Il se présente sous la forme de matériel documentaire fourni à l’occasion du passage des artistes au Milione (biographie, bibliographie, articles de critiques d’art étrangers, hommages, argus de presse...), mais aussi sous la forme d’annonces concernant le milieu international dans son ensemble. A partir de de 1935, alors que les expositions d’étrangers se raréfient et disparaissent presque complètement, le Bulletin continue à traiter de l’actualité européenne. Afin de se documenter, la Galerie prend un abonnement auprès d’une agence spécialisée chargée de lui fournir des coupures de presse étrangères. Elle s’assure également le concours de personnes engagées dans le milieu international, comme Alberto Sartoris, Xanti Schawinsky ou l’éditeur Gualtieri di San Lazzaro. Celles-ci jouent le rôle d’intermédiaires dans ses tractations avec les artistes et lui rapportent aussi des documents et des textes relatifs aux expériences menées par les avant-gardes étrangères. Le Milione bâtit autour de lui tout un réseau qui le place en permanence au coeur de l’avant-garde internationale. Ainsi, même s’il ne consacre plus aucune exposition à la production étrangère, il continue à s’intéresser aux milieux internationaux et à entretenir des relations avec eux.

16Examinons rapidement la teneur des renseignements fournis par les Bulletins. Ceux-ci sont de plusieurs ordres. Il y a d’abord les annonces de parutions littéraires où les écrivains étrangers figurent en bonne place. Parmi les volumes dédiés à l’art, la Galerie signale la sortie de monographies sur Kandinsky, Vordemberge-Gildewart, Baumeister... Elle octroie des encarts publicitaires à des publications comme Kleine Welten de Kandisky, comme les livres sur les Bauhaus de Weimar et Dessau publiés par le Musée d’Art Moderne de New York, et donne des comptes rendus de Fantastic Art, Dada, Surrealism d’Alfred H. Barr (New York, 1936) et de Moderne Plastik de Carola Giedion-Welcker (Zurich,1937). Les périodiques ne sont pas oubliés et le Milione présente des revues comme Prélude, Abstraction Création (Paris), Axis (Londres) ou Compàs (Buenos Aires). Le fait que la Galerie soit également librairie est d’une importance fondamentale car la plupart des ouvrages cités sont en vente ou consultables dans ses locaux.

17Dans d’autres rubriques, le Bulletin recense les événements artistiques internationaux (arts plastiques, théâtre..). La Galerie s’efforce sans trêve de relier Milan à l’étranger. Elle montre le souci constant de s’inscrire au sein de l’avant-garde européenne et se considère un peu comme une zone de libre-échange. Une fois posé, le principe d’ouverture à l’Europe n’est plus remis en cause. Au cours de son évolution les préoccupations du Milione changent mais ses intentions européennes ne faiblissent pas. L’ambition éducative et la volonté de se positionner au sein du milieu artistique italien ne suffisent cependant pas à expliquer cette constance à laquelle nous devons chercher d’autres motifs.

18Si le Milione se donne comme vocation première l’éducation du public, et si la présentation d’artistes sert en partie ce but, les liens qu’il établit avec l’Europe ont des visées plus ambitieuses pour l’art italien. Présentant, dans le premier numéro du Bulletin, ses travaux passés le Milione aborde le sujet sur un ton de défi, affirmant :

« Nous continuerons avec les étrangers, même si on nous accuse de leur accorder un intérêt excessif ».

19Et explique :

  • 4 « L’uguale interesse lo vogliamo per noi. Li ospitiamo oggi per un giusto riconsci-mento, desirand (...)

« Nous voulons éveiller le même intérêt. Nous les accueillons aujourd’hui par reconnaissance légitime, en désirant qu’au plus vite ait lieu un échange entre les divers pays. L’introduction d’une peinture provenant d’au-delà des Alpes ne doit pas nous effrayer. Au contraire, ce sera le début d’un plus vaste marché qui permettra une reconnaissance réciproque et des recherches plus poussées. Et les directeurs des musées de Berlin, de Zurich ou de Prague nous inviteront, comme les autres, à participer aux diverses manifestations des tendances nouvelles... Et finissons-en avec ce provincialisme méprisable ».4

20Nous retrouvons là l’idée d’un art étranger chargé de sortir l’Italie de son provincialisme en lui insufflant des énergies nouvelles. Le but de l’opération est d’élargir l’horizon des artistes en leur offrant, des sujets de réflexion, mais le Milione innove en projetant la création d’un marché international. Par son travail la Galerie cherche en fait à créer des liens entre les avant-gardes italiennes et les autres afin d’imposer ses artistes. Elle veut sortir l’art italien de son isolement. Si des contacts existent déjà entre certains artistes et le milieu international, le Milione va beaucoup plus loin. Sa démarche diffère radicalement des précédentes car jusqu’alors, pour renforcer ces liens, les Italiens se sont toujours expatriés, apportant donc relativement peu à leur milieu d’origine, tandis que l’ambition du Milione est de faire s’établir le milieu international à Milan afin que celui-ci soit accessible à tous. Les dirigeants du Milione pensent que l’art italien ne peut être reconnu qu’à la condition de se rapprocher de la production internationale ; ils se fixent donc pour objectif de faire de la Galerie une plate-forme de l’avant-garde internationale, un lieu d’échanges. Ils y réussissent en partie à travers l’expérience non-figurative puisque les artistes milanais finissent par être accueillis au sein du groupe parisien « Abstraction Création ». La volonté qui vise à faire reconnaître la création italienne à l’étranger est, durant la période fasciste, une constante. Le Milione n’échappe donc pas à la tendance générale, mais il innove par la méthode et la manière. Il ne préconise pas, comme cela s’est en général fait avant lui, l’exportation de ses propres valeurs assortie du refus de prendre en compte les valeurs étrangères, mais la fusion de la création italienne avec la création internationale, et tente de faire de Milan le lieu de cette alchimie.

21Quelles qu’aient été les intentions politiques de la Galerie, il est impossible de nier l’importance de son rôle. Les dirigeants du Milione sont les premiers à tenter de faire de Milan un lieu d’avant-garde de renommée internationale en y amenant des artistes étrangers et en se présentant comme des interlocuteurs engagés et responsables. Mais, ils font plus encore. Etant les premiers à comprendre la dimension esthétique du rationalisme, leur prise de position vis à vis de l’architecture et de la création industrielle s’avère déterminante. La Galerie du Milione est le premier lieu d’art européen à engager la promotion de l’architecture et de la création industrielle comme phénomènes culturels. Cette attitude conditionne l’évolution du milieu artistique italien en donnant non seulement naissance à un mouvement non-figuratif important mais en contribuant aussi à l’éclosion du design. En favorisant, dès les années trente, le rapprochement entre artistes et industriels, le Milione pose les bases d’une coopération qui fera du design industriel italien des années quarante et cinquante l’un des meilleurs sinon le meilleur du monde.

Notes

1 Il Milione, n° 1, Milan, 15 sept.-11 nov. 1932 ; n.p.

2 « Non abbiamo i mezzi per far vedere agli Italiani dei Cézanne, dei Renoir, dei Goya, che sarebbe la prima volta che capita loro. Se avessimo potuto l’avremmo già fatto : è evidente che sarebbe tanto servito ad una più rapida educazione pittorica che avrebbe abbreviato molte discussioni che siano stufi di ripetere ». Il Milione n° 18, Milan, 23 nov.-6 dec. 1993 ; n.p.

3 « Vogliamo essere fedeli al nostro programma di elargire i mezzi di giudizio agli italiani di buona fede ». Il Milione, n° 4, Milan, 10-26 dec. 1932 ; n.p.

4 « L’uguale interesse lo vogliamo per noi. Li ospitiamo oggi per un giusto riconsci-mento, desirando al più presto uno scambio di attività fra i diversi paesi. L’intromissione di pitture d’oltr’alpe non ci deve impaurire. Anzi sarà l’inizio di un più vasto mercato, che permetterà reciproche valutazioni e più attente indagini. E i direttori dei Musei di Berlino, di Zurigo o di Praga rivolgeranno a noi, come ad altri, l’invito per le varie dimostrazionni di nuove tendenze... E finiamola con quel tremendo e riprovevole provincialismo ». Il Milione n° 1, Milan, 15 sept. - 11 nov. 1932 ; n.p.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search