8. Expression et mise en scène syndicales à l’heure de la communication : une mutation délicate
p. 227-257
Texte intégral
1La mise en scène des syndicats doit s’entendre au sens large. Nous intégrons sous cet intitulé toutes les formes d’autoreprésentation, quels qu’en soient les modalités ou le support, des expressions propagandistes les plus classiques aux affirmations les plus innovantes de la communication. Les unes répondent à des exigences identitaires. En effet, si le syndicat constitue une entité palpable, quoique circonscrite aux ateliers, chantiers ou services, il relève, à toutes les autres échelles, de ces communautés imaginaires qui doivent se donner corps pour exister. Cela vaut pour leurs composantes appelées à partager, à travers des références symboliques identiques, les mêmes temps et cadres d’action et d’échanges de type privé, à l’exemple des congrès et leurs rites obligés ou les publications internes. L’image construite peut au contraire procéder de préoccupations externes : se donner à voir et à entendre à des fins de développement, d’affirmation de ses positions, de cantonnement de l’adversaire ou du concurrent, de négociation, etc., dans un espace public ou défini comme tel.
2Deux remarques préalables s’imposent pourtant. La différenciation de ces deux scènes n’est sans doute plus aussi pertinente dans la période retenue qu’elle le fut en d’autres temps. L’irruption des médias et des journalistes dans des espaces qui leur ont longtemps été, sinon fermés, du moins ouverts avec parcimonie, conduit à une interpénétration croissante des sphères publiques et privées et, par suite, des images produites en l’une et l’autre. Ainsi la FGTB et la CSC belges1, le TUC britannique, l’IG Metall ou FO s’attachent-ils, dès les années 1960, à assurer la plus large publicité, par voie de conférences de presse et de communiqués, à toute activité ou prise de position sur le plan national et international.
3La pertinence du thème n’est pas égale pour chacun des pays que distinguent – avec la place dévolue aux corps intermédiaires – les taux de syndicalisation, l’intensité de la compétition entre les organisations, leurs orientations, leurs modes de fonctionnement et conditions d’accès aux médias.
4Observons d’abord qu’aucun des acteurs concernés ne reprendrait sans doute à son compte l’expression de mise en scène et que c’est à des dates débordant de beaucoup le champ chronologique de l’étude que les syndicats se sont dotés, sous des dénominations variées, de structures destinées à cette fin. Du moins un même processus apparaît partout à l’œuvre. Si l’on considère la France, la taxinomie fait ressortir les hésitations du vocabulaire autour du trinôme propagande/information/formation. Le terme de propagande est celui qui, longtemps, a résumé le mieux les techniques et les objectifs recouverts par la question. Les dirigeants cédétistes2 sont les premiers à prendre leur distance avec lui. Si le congrès de 1973 reconnaît l’utilité d’une « propagande offensive » apte à « éveiller (...) la conscience des travailleurs sur les causes de leur condition », il recommande de ne pas la confondre avec l’information. FO et la CGT continuent d’en user jusque dans la première moitié des années 1980 où sa fréquence marque un recul dans les éditoriaux, rapports et résolutions. Cette fidélité n’exclut pas un souci de clarification et de redéfinition. On le constate à travers les trois missions que Force ouvrière assigne à ses publications : « extérioriser » les activités syndicales, « informer tout court » et éduquer3. Les responsables cégétistes ne méconnaissent pas les spécificités de chaque fonction, au risque de possibles confusions. En 1974, l’analyse s’affine et René Buhl détaille les caractéristiques d’une « politique de propagande » fondée sur une formation solide et une information bien faite, adaptée à l’action4. Quatre ans plus tard, le document d’orientation du congrès rejette la conception du « tout propagande ». Modalité décisive, quoique circonscrite, d’une activité tendue vers la prise de conscience et la mobilisation, celle-ci viserait ainsi à « sensibiliser », « provoquer un déclic » qu’il reviendrait à l’information et à la formation d’exploiter.
5La question reste ouverte s’agissant des termes utilisés et des structures créées dans les autres pays. En tout état de cause, la faible autonomisation de l’objet mise en scène du côté des acteurs explique la dispersion de sources susceptibles d’en permettre l’analyse5. On comprendra que cela ne soit pas sans incidence sur la nature et les résultats des recherches. De fait, la communication syndicale contemporaine et la dramaturgie déployée n’ont pas retenu l’attention au même titre que la communication et la dramaturgie politiques. Dès lors, les travaux préalables étaient rares6 et, plus rares encore, leur équivalent dans deux pays aux moins. En outre, les études accessibles se focalisent plus facilement sur la télévision que sur les journaux restés, jusqu’à ce jour, l’un des moyens majeurs d’expression syndicale.
Héritages et savoir-faire : dans la continuité du mouvement ouvrier
La prééminence de l’écrit
6À l’orée des années soixante, les syndicats disposent d’un réel savoir-faire en matière de propagande. Dès l’après-guerre, la CSC belge songe à instaurer un service de propagande. Celui-ci voit le jour, finalement, en 1952, à un moment où la compétition syndicale atteint son paroxysme. Il est rattaché au service de formation des militants dans les entreprises, ce qui souligne l’attention portée aux élections professionnelles organisées à ce niveau. Les campagnes visent ainsi à mettre en évidence les résultats obtenus par les élus. Les non-syndiqués sont systématiquement visités, à leur domicile, par un propagandiste chargé de les persuader de « bien voter ». En ces occasions, des prix attrayants sont distribués tant aux nouveaux membres – un séjour dans l’un des centres de vacances du mouvement, voire un voyage à Rome ou à Lourdes (en 1960 !) – qu’aux meilleurs recruteurs7.
7Les syndicats maîtrisent plus particulièrement les techniques d’impression de tracts et de journaux8. En Grande-Bretagne, la plupart des Unions de moyenne ou de grande taille possèdent leur propre organe. En Belgique, les syndicats disposent tous de revues qui tiennent compte du bilinguisme national9. La CSC publie des feuilles spécifiques à destination des militants, des délégués et des membres des comités d’entreprise. Les adhérents reçoivent, outre les publications confédérale et régionales, le magazine Volksmacht ! Au Travail !, commun à tout le mouvement chrétien. Ce dispositif existe aussi, quoique de manière moins élaborée, du côté socialiste et témoigne de la « pilarisation » de la société belge jusque dans les années 1990. Il participe de la « mise en scène » : le syndicat relève de tout un mouvement, un « monde » catholique et ouvrier à part, relativement clos, mais uni. Ainsi la CSC s’entend-elle avec la JOC en vue d’intervenir auprès des jeunes, spécialement ceux qui viennent de quitter l’école. Ce système présente toutefois des risques : lorsque la JOC de la fin des années 1960 se radicalise un peu trop au goût des syndicats chrétiens et ne parvient plus à mobiliser les jeunes en masse, la CSC ne tarde pas à s’adresser à eux par ses propres moyens. À la différence de la mouvance socialiste, le mouvement chrétien tient compte de la variété du monde ouvrier. Outre les jeunes, la CSC publie, dès 1947, des revues ou feuilles à destination des travailleurs immigrés, tels que Sole d’Italia, fruit d’une collaboration avec les Associazioni Cristiane Lavoratori Italiani (ACLI). La FGTB emploie, pour sa part, des propagandistes d’origine italienne et polonaise, mais insiste d’abord sur l’unité de la classe ouvrière et refuse d’ajuster trop étroitement ses orientations aux demandes des multiples catégories de travailleurs10. Son expression connaît, d’autre part, en 1956 et 1961, une diversification d’ordre idéologique, à la suite de la création de La Gauche, puis de Combat, représentatifs de son aile gauche11. En France où la CGT perd le quotidien dont elle disposait dans l’entre-deux-guerres, l’émiettement confédéral encourage la multiplication des périodiques nationaux en plus des publications locales et fédérales.
8Au début des années soixante, la propagande imprimée française ou belge s’inscrit dans le prolongement des années cinquante : primat du texte, souvent copieux, sur l’image. Cette continuité s’étend au graphisme des affiches illustrées dont la symbolique puise dans le répertoire classique du mouvement ouvrier sans faire de place à la photographie12.
Entre tactique et culture : les modalités de l’affirmation identitaire
9On retrouve un indéniable savoir-faire en matière de déploiement dans l’espace public. 21,2 % des manifestations belges sont le fait des syndicats entre 1953 et 1974. Sur cette base, ils apparaissent comme les organisations les plus « manifestantes », mais leur capacité de mobilisation s’érode dès les années 1960 avant de tomber au-dessous du niveau des années 1950 durant la période 1968-197313. Leur part atteint plus de 80 % en France de 1962 à 196814. En Allemagne, la césure majeure introduite par l’histoire, les ambitions gestionnaires syndicales et un climat social pacifié rejaillissent sur la fréquence et les modalités de recours aux démonstrations de rue. Ce qui n’exclut pas d’exhiber, notamment lors du Premier Mai, nombre d’emblèmes et de symboles empruntés à un passé plus conflictuel. Mieux assumé, l’héritage des organisations des trois autres pays les conduit à afficher hautement leur double culture de classe et d’opposition. En Belgique, le pluralisme, toujours mal ressenti, surtout du côté socialiste, amène les syndicats à se lancer dans des batailles fratricides. Le rood of geen brood (traduction libre : « sois rouge ou crève ») demeure d’actualité, mais recule, notamment chez les dockers anversois. On note des attitudes similaires chez les chrétiens. En conséquence, les syndicats ne s’en prennent pas seulement aux patrons, mais aussi aux structures concurrentes volontiers traitées de « valets du gouvernement » pour peu que la famille politique du rival appartienne à la majorité au pouvoir15. En France, les attaques visent le régime gaulliste et les « monopoles ». Elles se situent sur un registre plus strictement revendicatif en Grande-Bretagne où le TUC, fier des luttes passées et convaincu de parler au nom du monde du travail, ne se pose pas moins comme l’interlocuteur de tous les gouvernements. Avec succès de 1960 à 1970, puis de 1974 à 1979, mais le ton monte entre 1971 et 1974 ou, plus encore, après 1979, face à Margaret Thatcher qui range les syndicats parmi ses ennemis.
10L’histoire et la geste ouvrières demeurent susceptibles de mobilisations ostensibles aux fins clairement identitaires. En Belgique, le Premier Mai constitue le temps fort, chez les socialistes, de la célébration des leaders disparus et des temps héroïques. Les chrétiens lui préfèrent le 15 mai, anniversaire de l’encyclique Rerum novarum. Au fil des ans, la journée perd son caractère religieux, mais consolide son statut d’alternative catholique au Premier Mai. En 1963, au congrès du TUC, Ted Hill invoque les martyrs de Tolpuddle, le lock-out de 1922 dans la construction mécanique, la grève générale de 1926 et la crise de 1931. En 1972, les mineurs érigent leur récente victoire en revanche des défaites de 1921 et 1926. Le pluralisme français complique les choses. Tandis que la CFDT hésite à s’emparer d’une histoire étrangère à ses origines sans rien céder à la CFTC maintenue, Force ouvrière s’évertue à s’enraciner dans le temps long du mouvement ouvrier et remonte volontiers au premier xixe siècle, situant en bonne place la révolte des canuts dans son panthéon. La CGT ne renie aucun pan du passé, mais privilégie le Front populaire, accordé à sa stratégie du moment. À l’occasion, elle réactive aussi la culture de la Résistance pour mieux disqualifier l’adversaire... La culture de contestation sociale s’exprime aussi à travers une symbolique et des marqueurs de classe. Les syndicats britanniques arborent de spectaculaires bannières, cependant que la CGT et FO continuent de déployer le drapeau rouge. La CFDT abandonne quant à elle le bleu d’antan au profit de l’orange... et du rouge. Par là, elle concourt à l’homogénéisation des symboles que confirme par ailleurs la percée, dès avant 1968, de l’Internationale dans des régions et professions autrefois réfractaires.
11Cette imprégnation culturelle se vérifie dans le lexique en usage et les valeurs exaltées. De nombreux dirigeants britanniques des années soixante mettent en avant la fierté de classe et de métier, à l’instar de Jack Dash, chez les dockers de Londres, ou de Ted Hill, parmi les chaudronniers. Les études menées sur le vocabulaire syndical des confédérations françaises révèlent que le vocabulaire de lutte, offensif ou idéologique, persiste jusqu’en 1984, pour faire place, alors – et alors seulement – à celui de la négociation et de la protection des acquis. L’évolution concerne toutes les centrales avec des spécificités dès lors que la différenciation nécessaire passe aussi par les mots : « action », « lutte », « socialiste », « capitalisme », « travailleurs », « autogestion » pour la CFDT, « travailleurs », « monopoles », « programme commun » pour la CGT16. Le ton des journaux de la FGTB frise l’agressivité jusqu’à la fin des années cinquante. Le syndicat fait figure de champion des travailleurs soumis à l’oppression et inscrit son action dans un combat émancipateur ininterrompu depuis un siècle. Toutes les occasions sont bonnes pour recourir à la métaphore de l’esclavage et du servage. Destinées en premier lieu aux travailleurs de l’industrie traditionnelle, les publications ignorent les autres catégories et fractions du salariat. Parfois évoquées, les femmes ne sont appréhendées que dans leur rapport aux ouvriers masculins. Ceci distingue nettement le syndicalisme socialiste de son homologue chrétien au sein duquel, on l’a dit, les différentes catégories de travailleurs sont prises en compte qu’il s’agisse des femmes, des salariés des « nouvelles industries » ou des cols blancs17.
12Le poids conféré à la pédagogie dans le système politique français et dans la culture qui en est issue éclaire le primat durable de l’écrit. Il en va de même en Belgique. Le long compagnonnage entretenu par le mouvement ouvrier britannique avec certains artistes et intellectuels radicaux explique l’intérêt porté à la culture par d’importants syndicats. La déférence envers William Morris, Bernard Shaw, voire Shakespeare, Robert Burns et Charles Dickens n’est pas de pure forme alors que subsiste la tradition d’un théâtre de gauche – Raphaël Samuel, Ewan MacColl et Stuart Cosgrave – et d’un cinéma militant – films communistes et du Labour. Dans la continuité de collaborations souvent anciennes et d’engagements progressistes communs, d’autres coopérations se nouent entre syndicalistes et intellectuels réunis autour de projets d’action culturelle en France et au Royaume-Uni. Lors du congrès du TUC en 1961, un délégué du syndicat des techniciens de cinéma et de télévision – ACTT – annonce la création, avec le soutien d’artistes et d’écrivains – Doris Lessing, Bernard Kops, Shelagh Delaney, Clive Exton –, du Centre 42 en vue de promouvoir les initiatives culturelles des syndicats et des unions locales18. L’année suivante, le Centre 42 patronne plusieurs festivals, mais traverse de graves problèmes financiers et se heurte aux contempteurs d’une démarche jugée paternaliste. Au contraire, des organisations gardent le cap d’une contre-culture de classe plus affirmée, à l’exemple du puissant TGWU ou de l’AUEW qui financent des pièces de théâtre à contenu politique.
Acquis partagés et spécificités nationales
13Répétons-le, les spécificités propagandistes nationales sont à rapprocher des données essentielles que constituent le taux de syndicalisation et l’intensité de la concurrence intersyndicale. Ainsi, le premier détermine-t-il l’inégale propension de chaque centrale à valoriser son expression à usage externe ou à privilégier les manifestations identitaires propres à consolider l’unité du groupe. S’agissant de la seconde, il est tentant d’opposer la situation française ou, dans une moindre mesure, belge au syndicalisme unitaire, ou presque, de Grande-Bretagne et d’Allemagne, porteurs d’images stables. L’enchevêtrement des structures britanniques, adossées à des cultures industrielles ou de branche, reste toutefois la norme. L’unification s’opère, éventuellement, par et au sein du Labour, mais aussi dans l’espace public, en convergence avec les franges de l’intelligentsia et de la jeunesse radicalisées autour des thèmes du pacifisme et de la solidarité internationale – Vietnam, Biafra, Afrique du Sud, Rhodésie, etc. Il en va différemment en Allemagne où les syndicats ne souhaitent guère se départir, dans les années soixante, de l’image rassurante qu’offre leur adhésion à l’action concertée et au néo-corporatisme. Il faut encore compter avec les relations que les syndicats entretiennent avec les partis socialistes, communistes ou démocrates-chrétiens et l’aide – ou le handicap – que constituent les organes de ces partis. La FGTB ne remet pas en cause sa dépendance vis-à-vis des services et structures socialistes de communication. Bien que la CSC n’entretienne pas de liens officiels avec le Parti social-chrétien (PSC-CVP), beaucoup de choses rapprochent les deux organisations, notamment en Flandre. En pratique, cette communauté d’appartenance à la mouvance catholique permet plus souvent au syndicat de faire prévaloir ses vues que l’inverse19. En France, la proximité de la CGT avec le PCF limite, à partir d’un autre type de relations, l’expression autonome de la centrale qui s’interdit de concurrencer l’Humanité. La question, posée au congrès cégétiste de 1978, d’un quotidien propre n’est pas soumise à la discussion publique. Dans l’ordinaire des pratiques, d’autres cousinages transparaissent depuis les travaux confiés aux imprimeries du PCF ou les contrats de publicité passés par le biais d’une agence de même origine. Avec des références différentes et moins de constance, la CFDT lie son avenir à celui de la gauche non communiste qualifiée de « partenaire privilégié » au congrès de 1967.
L’expression syndicale en question, le tournant des années 1960-1970
Les nouvelles conditions sociales et culturelles de réception des messages syndicaux
14Alors que le salariat avoisine ou dépasse 80 % des actifs, son accroissement quantitatif s’accompagne d’une transformation de sa composition, source de diversification des origines et des statuts que traduisent la féminisation, l’arrivée des baby-boomers, de ruraux et d’immigrés, base de recrutement des ouvriers spécialisés (OS) des usines, mais aussi des professions intermédiaires des services, publics et privés. Le recul global de la durée du travail croisé avec l’élévation du niveau de vie, les progrès de l’instruction – entre 1958-1959 et 1968-1969, le nombre des étudiants est multiplié par près de deux en Allemagne et au Royaume-Uni, par plus de deux et demi en France – et de la consommation modifient les modes de socialisation, les processus d’identification et les sentiments d’appartenance sur fond d’affaiblissement des contraintes et des solidarités collectives, d’affirmation des individus.
15L’extension des responsabilités économiques et sociales de l’État hisse celui-ci au rang d’interlocuteur de syndicats engagés, bon gré mal gré, dans des tactiques de pressions directes et indirectes, qui supposent souvent de prendre l’opinion à témoin et impliquent de communiquer avec elle. L’effort s’impose d’autant plus que l’époque est aussi celle de l’entrée, effective et pensée, dans l’ère de la communication, marquée par la massification et la diversification des moyens et supports de la médiatisation. La radio et la télévision favorisent la diffusion d’une culture de masse peu respectueuse des cadres sociaux et nationaux traditionnels de référence que malmène, simultanément, l’irrésistible tendance à privilégier un présent privé d’épaisseur historique et de projection vers l’avenir. Incapable de combler ce déficit, le prolongement des études retarde l’âge d’entrée dans la vie active et atténue le rôle du lieu du travail dans la diffusion des normes et des valeurs auprès des enfants d’ouvriers que leur scolarisation prolongée met au contact de jeunes d’autres milieux dans le même temps où elle leur ouvre des perspectives d’ascension sociale. A défaut d’effacer les clivages de classe, les connivences, sinon les solidarités, de génération que nouent les adolescents participent à l’émergence d’une culture jeune amplifiée par les médias. Ces changements perceptibles chez les teen-agers ne laissent pas indifférents les théoriciens-praticiens d’une communication érigée en technique de résolution pacifiée des tensions sociopolitiques, par l’écoute et l’échange.
16Au moment où des contingents importants de travailleurs entrent dans la société de consommation, la standardisation qui la sous-tend entraîne une certaine uniformisation non dépourvue de conséquences sur les représentations collectives. La nouvelle hiérarchie des postes de dépenses enregistre et précipite le changement des modes de vie, notamment dans le domaine des loisirs. Selon leurs traditions respectives, les centrales syndicales conviennent des progrès réalisés, fût-ce pour s’en attribuer la paternité et en souligner les lacunes. Tandis que la CGT met une sourdine au thème de la paupérisation, la FGTB, maintenant orientée vers une stratégie pragmatique d’efficacité immédiate, oppose un passé d’oppression aux succès récents d’un syndicalisme puissant et respecté. Le 14 janvier 1964, l’une des émissions télévisées de la branche flamande de la FGTB met en valeur, à propos des vacances, les acquis ouvriers à travers une série de reportages montrant des villégiatures confortables et des ménages épanouis. Par là, elle rejoint la CSC attentive aux thèses sociologiques sur la « nouvelle classe ouvrière ». En retour, ces analyses, développées par les Ligues ouvrières chrétiennes (KWB) de Flandre et les Equipes populaires de Wallonie, radicalisent peu à peu la mouvance catholique, CSC comprise, et la rendent plus réceptive à la lutte des classes20.
De nouvelles ambitions syndicales
17En dépit de décalages chronologiques nationaux, les années 1960-1970 apparaissent comme une période faste pour les syndicats ouest-européens. Au terme de deux décennies de croissance ininterrompue, ceux du Royaume-Uni comptent 12239000 membres en 1980. En perte de vitesse après 1952, leurs homologues allemands renversent la tendance à partir de 1973 et repassent, en dix ans, au-dessus des meilleurs scores de l’après-guerre avec plus de huit millions d’adhérents, soit plus du tiers des actifs. Accentué par les questions linguistiques et régionales, le pluralisme syndical n’affecte pas la capacité des organisations belges dont les taux d’organisation (retraités et chômeurs inclus) passent de 50 % en 1965 à 55 % en 1970, puis 69 % en 1975, pour atteindre un maximum provisoire de 81 % en 198421. Une étude des taux d’affiliation à la CSC, la plus dynamique en ce domaine sur l’ensemble du territoire, suggère des gains notables parmi les femmes, les employés et les immigrés. La féminisation des syndicats d’employés retient l’attention : alors qu’en 1965 les femmes formaient le quart des adhérents à la LBC (Landelijke bedienden centrale) chrétienne et flamande, elles sont majoritaires vingt ans plus tard. Loin derrière les rythmes de progression et les taux de syndicalisation de leurs voisins, les syndicats français n’échappent pas au mouvement, mais peinent à le suivre. Durablement affaiblis par les défaites et les divisions de 1947-1948, leurs effectifs se redressent dans les années 1960. Les grèves de 1968 favorisent le recrutement sans permettre, toutefois, de franchir le seuil de 25 % de syndiqués avant le recul de la seconde moitié des années 1970. Ce renforcement doit beaucoup aux adhésions réalisées parmi les femmes et les employés. En Grande-Bretagne, la proportion des femmes syndiquées, proche de 25 % en 1960, frôle 40 % vingt ans plus tard. Si les hommes font mieux – 54,5 % –, leur avance se réduit. L’évolution recoupe en partie celle observée chez les salariés des services dont les forces organisées augmentent plus vite que les créations d’emplois entre 1964 et 1970.
18Les conjonctures politiques et les types de relations industrielles expliquent des différences notables dans les pratiques syndicales des années 1960, moins enclines à la modération et à la contractualisation dans l’Hexagone qu’en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Belgique. Dans ce dernier pays, l’apologie de la lutte compose avec de nouvelles figures : le travailleur prospère, la table de négociations et la cogestion. La FGTB opte pour l’image d’une force tranquille. « Avec la FGTB et l’Action commune, envisageons plein de confiance l’année de lutte 1960 ! » proclame, le 2 janvier, la une de son organe où l’illustration donne à voir un couple et leur enfant, ravis et bien portants22.
19Le ton se durcit, toutefois, à la fin de la décennie. Partout, on assiste à un regain de combativité, sinon à une radicalisation. En Belgique, les syndicats socialistes renouent avec la rhétorique âpre d’autrefois. « Les patrons sont les propriétaires, ils occupent la citadelle ; au pied des remparts le syndicat revendique la part qui revient aux travailleurs », proclame le secrétaire général de la FGTB23. Pour leur part, les syndicats chrétiens inscrivent l’autogestion au centre de leur nouveau programme d’action. Outre-Manche, la victoire des mineurs stimule, en 1972, l’opposition syndicale à l’Industrial Relations Act voté l’année précédente et à la politique des revenus des conservateurs. Dans tous les pays, les grèves portent en premier lieu sur les salaires, condition de l’accès aux nouveaux produits et services offerts sur le marché. L’inflation encourage cette prééminence. Au fil des luttes et des compromis, les syndicats se voient reconnaître de nouveaux droits d’expression qui, à leur tour, aiguillonnent la réflexion des organisations sur les conditions de leur exercice. Résultat des grèves du printemps, la loi française du 27 décembre 1968 sur la reconnaissance des sections d’entreprise autorise l’existence de panneaux d’affichage, la distribution de tracts et la tenue de réunions mensuelles d’information, toutes activités de nature à favoriser la vie syndicale.
Problèmes et handicaps de l’expression syndicale
20Les autorités et le patronat n’assistent pas sans réagir à la montée en puissance de syndicats qui, indépendamment de leurs stratégiques explicites, s’érigent peu ou prou en contre-pouvoirs. Toutefois, il s’en faut que ceux-ci affrontent leurs interlocuteurs-adversaires à armes égales sur le terrain de la communication et de la propagande. Indissociables de l’essor de la consommation de masse, les techniques de marketing et de promotion24 débordent de la sphère commerciale pour envahir l’espace public. En France, la première campagne pour l’élection du président de la République au suffrage universel marque un tournant, en 1965, dans les modalités de l’expression politique et révèle le rôle de la télévision, présente, déjà, dans un foyer sur deux. Indépendamment des obstacles à surmonter pour se procurer les équipements et les ressources nécessaires à la réalisation d’émissions télévisées, les syndicats se heurtent à des restrictions législatives aux allures d’interdits, sans commune mesure avec la réglementation depuis longtemps libérale en vigueur pour la presse.
21Trois modèles régissent l’audiovisuel public qui domine la production et la diffusion des émissions de télévision des pays considérés. En France, la régie d’État équivaut à une mainmise gouvernementale, aux antipodes de l’indépendance reconnue à la BBC britannique. A mi-chemin des cas précédents, la Belgique connaît un troisième type de situation, proche des réglementations allemande et italienne. A l’issue d’une genèse difficile, la loi du 18 mai 1960 prévoit la diffusion, en plus des productions propres de la RTB wallonne et de la BRT flamande, d’émissions concédées à trois catégories d’institutions ou d’organisations : religieuses et philosophiques, politiques, sociales et économiques. En Flandre, par exemple, le tiers social et économique intéresse le Conseil socio-économique régional – SERV – et des associations professionnelles représentatives comme les syndicats de salariés, d’employeurs et de classes moyennes. Sur un total initial de 86,5 heures concédées, la CSC s’est ainsi vue attribuer 2h45 contre 1 h 45 au syndicat socialiste et 15 minutes à leur homologue libéral. Précision essentielle, la production des émissions de la FGTB relève d’institutions socialistes : l’Institut Émile Vandervelde25 – EVI – et l’Institut socialiste de Radio Télévision – SIRT – fondé en 1961, au sein de l’Office de la radiodiffusion et de la télévision nationale, pour veiller à la représentation socialiste. De 1974 à 1982, la BRT diffuse, dans le cadre de ses programmes « école ouverte », une émission intitulée Loon naar werken réalisée en collaboration avec les trois confédérations. Les interventions de la centrale chrétienne sont reprises intégralement dans son journal – ACV-Vakbeweging – et enregistrées sur des supports vidéo afin d’être passées au cours des stages d’études et de propagande. Malgré les efforts consentis par les directions impliquées dans ces programmes, les syndicats ne trouveront jamais le ton adéquat pour élargir l’audience d’émissions devenues le symbole d’un mode sclérosé d’expression audiovisuelle. On ne rencontre rien de tel en Grande-Bretagne où les syndicats, absents des instances administratives de la BBC, ne bénéficient d’aucun droit d’antenne spécifique. De fait, ils n’y apparaissent guère en dehors des journaux d’information et des reportages consacrés au congrès annuel du TUC. En France, l’orientation, potentiellement subversive, de transformation sociale qu’affichent les principaux syndicats leur interdit l’accès aux studios de radio et de télévision26. Les événements de 1968 confortent les tenants d’un contrôle étroit de l’information politique et sociale. Ainsi doit-on attendre 1975 pour que les syndicats, partis et grands courants de pensée, bénéficient d’un modeste quart d’heure hebdomadaire d’expression libre sur la troisième chaîne de télévision publique. Promptes à s’engouffrer dans la brèche, les trois grandes confédérations ne se satisfont guère d’une concession qui les oblige à se partager 8 % du temps octroyé.
22Réduits à la portion congrue dans les médias audiovisuels, les syndicats contestataires ne sont pas les derniers à entrevoir, au risque d’en exagérer les effets, le conformisme que sécrètent les moyens de communication de masse, soucieux de fédérer leur public autour du plus petit commun dénominateur et dont l’omniprésence menace la réception de messages plus austères et moins consensuels. En France, certains s’interrogent sur l’accessibilité des problèmes syndicaux pour la « grande masse ». Les mutations culturelles contemporaines des prémices de la société de consommation prennent d’autre part à contre-pied maintes traditions syndicales. Qu’il s’agisse des réunions, des meetings ou des manifestations, les organisations doivent s’adapter, tant bien que mal, au développement des loisirs. Le Premier Mai en pâtit qui voit sa désaffection s’accentuer lors des « ponts » et week-ends prolongés auxquels il lui arrive de donner lieu.
23De nouveaux fronts s’esquissent, enfin, au cœur du dispositif syndical : l’entreprise. Alors que l’ultime vague de rationalisation taylorienne se propage, la remise en cause des modes d’organisation du travail qui lui sont associés gagne les ateliers d’OS, foyers d’une contestation multiforme, de grèves spectaculaires et de syndicalisation. Le miracle japonais aidant, l’heure va bientôt sonner des cercles de qualité et autres méthodes d’implication de la main-d’œuvre au moyen des techniques de communication managériale. Concurrencés jusque dans les ateliers, les syndicats résistent mal à l’offensive27. Relais et guides d’opinion par excellence, les militants ne sont certes pas à court de ressources et d’atouts. Les moindres découlent de leur insertion dans les structures de la sociabilité populaire et de leur aptitude à exercer par là, au fil d’échanges informels entre amis et proches, une influence que tous les spécialistes de la communication s’accordent à juger déterminante dans la formation du jugement et sa cristallisation. A condition, toutefois, que les contours des forces syndicales épousent d’assez près ceux d’un salariat en voie de recomposition. Il n’apparaît pas, sur ce point, que les discours et les pratiques mesurent pleinement la féminisation de la population active dont on peine à lire la traduction dans les instances dirigeantes. En 1976, onze des principaux syndicats anglais constitués en majorité de femmes ne comptent que trente permanentes sur un total de 420. Les militantes s’en inquiètent et s’en indignent, mais les progrès seront maigres au cours de la décennie suivante.
24Des difficultés similaires existent du côté des services, des techniciens et des cadres où l’on observe toujours une moindre propension à l’organisation que parmi les groupes-phares de la classe ouvrière classique. La redistribution géographique des activités au profit de régions sans réel passé syndical ajoute ses effets et explique les moindres résultats obtenus dans l’Ouest français ou le sud de l’Angleterre. Sur ces terres de mission syndicale, la célébration des luttes héroïques d’antan n’est pas d’un grand secours quand elle n’apporte pas d’eau au moulin des détracteurs d’un syndicalisme soupçonné d’archaïsme et d’ouvriérisme. La lente évolution du vocabulaire et des figures de rhétorique nuit à la réception de discours dont l’efficacité unificatrice compense mal les risques de malentendus ou de refus d’écoute. Après une longue période de prospérité, le retour de la FGTB des années 1970 à l’image de l’ouvrier opprimé traduit le durcissement de ses positions, mais perd de sa force mobilisatrice. De fait, malgré d’évidents retards et décalages de nature idéologique, les mots-clés du syndicalisme enregistrent les changements du réel. L’exemple de la Flandre, où l’adaptation du discours et de la stratégie de la CSC aux différentes composantes du salariat favorise l’accès à la masse des nouvelles catégories de travailleurs, illustre cependant les opportunités offertes par les transformations économiques des Trente Glorieuses28. En Belgique comme en France, toutes centrales confondues, les « prolétaires » et la « classe ouvrière » s’estompent derrière les « travailleurs » et les « salariés »29.
25Culturellement, les préférences des cadres syndicaux les font davantage pencher vers le répertoire classique ou celui de l’agit-prop que du côté de culture jeune en plein essor. Ainsi le syndicat des mineurs britanniques n’hésite-t-il pas à afficher un ambitieux programme de spectacles dans l’intention de détourner – avec le succès que l’on devine ! – les jeunes travailleurs du rock’n roll, des romans et des films américains à trop fortes connotations sexuelles. Ne généralisons pas. Ancrés dans les milieux populaires, beaucoup de militants partagent leurs distractions, cependant que certains groupes de musique n’ignorent pas l’audience des syndicats. Part of the Union, l’un des succès des Strawbs, classé en seconde position du hit-parade de janvier 1973, ne chante-t-il pas les bienfaits de la syndicalisation ? Soucieux de réalisations concrètes, les syndicats allemands des années 1960-1970 s’efforcent d’en apporter la preuve par la création de centres culturels et de cafés pour jeunes.
26Les rencontres ponctuelles, au cours de meetings ou de manifestations, plus rarement de grèves, entre syndicalistes et jeunes radicaux ne sont certes pas du goût de tous les responsables, prompts à ironiser sur les cheveux longs des « gauchistes ». Ces derniers n’éprouvent guère plus de sympathie envers les « bonzes » syndicaux, mais la puissance d’organisations sûres d’elles-mêmes et la relative modération des radicaux d’outre-Manche expliquent l’absence de fossé aussi profond entre les syndicats et la jeunesse contestataire que celui creusé en France, pendant et immédiatement après les événements de 1968. Plus enracinée dans la tradition qu’inspirée par les nouveaux mouvements sociaux, la vigueur des conflits animés par les mineurs britanniques paraît faire écho aux thèses de la gauche. Celle-ci s’enthousiasme, en 1972, devant les méthodes d’action directe appliquées contre les dépôts de charbon dont l’efficacité conduira Arthur Scargill à conclure qu’il suffit que la classe ouvrière montre ses muscles pour que le gouvernement, les patrons, la société s’inclinent30. En Belgique, la contestation en provenance des universités imprime un contenu et un ton nouveaux aux slogans syndicaux : « Travailleurs et étudiants : même front » ou « Coupons les gaz, laissons pousser l’herbe »...31 Elle transparaît également dans les discours prononcés, le Premier Mai, sur la paix, l’Indochine, le Moyen-Orient, les dictatures espagnole, grecque ou portugaise32. Si les grandes confédérations belges prennent leurs distances vis-à-vis des jeunes gauchistes au point de conclure, en 1970, un accord afin de briser des grèves déclenchées par des militants d’inspiration maoïste, ces influences se ressentent au sein de leurs mouvances. Via la JOC et les KWB en voie de radicalisation, la CSC paraît davantage en mesure, malgré le conservatisme de son président, Jef Houthuys, et quelques incidents pénibles, de récupérer « l’esprit de 68 » que sa rivale socialiste. Les brèves rencontres survenues entre syndicalistes et contestataires allemands n’effacent pas les incompréhensions, sociales et culturelles, toujours susceptibles de virer à la polémique et au procès d’intention, sans parvenir à ébranler les solides fondations du DGB. Sur les marges, toutefois, la partie la moins protégée du salariat, notamment parmi les jeunes et les immigrés, s’impatiente et ne reste pas insensible à la contestation qui monte des universités. Dans cette perspective aussi, les grèves sauvages de 1969 et de 1973 sont les indices d’un début de crise de la légitimité syndicale.
Vers de nouvelles pratiques
Permanences et rénovations
27Avec des mots et selon des modalités propres, les centrales ne tardent pas à prendre à bras-le-corps les questions soulevées par la forme et le contenu de leur expression au moyen de structures ou d’initiatives spécifiques. En France, la CGT enclenche, à l’occasion du congrès de 1969, le processus qui aboutit à la constitution, en juin 1971, d’une commission propagande33. Deux ans plus tard, la CFDT inscrit le thème de l’information à l’ordre du jour de ses assises. En 1970, FO institue une commission de formation chargée, entre autres, de familiariser les militants aux techniques d’expression orale et écrite.
28L’imprécision et les variations des contours des activités concernées par la propagande et la communication interdisent d’évaluer précisément leur part dans des budgets aux lignes fluctuantes. Une étude des finances de la CGT et de la CFDT fait ressortir, par-delà des différences sensibles de niveaux – 6,71 % pour la CFDT et 17,4 % pour la CGT en 1977 –, leur commune faiblesse et évolution à la baisse34. À la CGT, les fonds attribués à la propagande sont reconnus « serrés »35, mais les crédits inscrits occultent une partie de l’effort consenti. En effet, nombre de collaborateurs travaillent bénévolement, tandis que la confédération met à contribution les gros comités d’entreprise. En hausse, les recettes publicitaires complètent les ressources des journaux. Enfin, gardons-nous d’oublier les budgets propres des organisations de base chez lesquelles le poste information-propagande écrase tous les autres36. Quoi qu’il en soit, la réflexion sur les problèmes de l’expression syndicale, entamée dans les années 1960, s’approfondit pour entraîner, souvent, une redéfinition des objectifs et des moyens mis en œuvre. Les centrales sont dorénavant convaincues qu’elles ne doivent pas seulement affronter des questions inédites quant au fond, mais veiller à ce que leurs réponses soient entendues et admises par une opinion très sollicitée et moins réceptive aux anciennes formes de communication.
29En terme de durée et de fréquence, rien n’égale l’attention accordée à la presse. Les documents internes de la FGTB confirment le sérieux avec lequel les dirigeants suivent l’élaboration du Werker37. En France, la direction d’organes centraux à fort contenu politique et idéologique revient habituellement au secrétaire général ou au numéro deux. C’est le cas pour La Vie ouvrière, l’hebdomadaire officiel de la CGT, que sa composition et son audience rapprochent des magazines mensuels créés par la CFDT et FO en 1962 et 1965. La diffusion n’est pas, cependant, à la hauteur des objectifs et des sommaires – rubrique culturelle ou vie pratique, enquêtes, photos, couleur – conçus pour gagner un large public. Passée de 90000 à quelque 58000 exemplaires entre 1965 et 1967, la diffusion moyenne de Syndicalisme Magazine signale les problèmes rencontrés par la presse cédétiste. La progression du début des années 1970 ne se poursuit pas et le tirage se stabilise autour de 145000 exemplaires en 1979. La Vie ouvrière fait mieux avec près de 200000 exemplaires vendus, mais le résultat demeure très inférieur aux effectifs cégétistes. Trop de syndicats – près de la moitié en 1972 – se désintéresseraient de sa diffusion. La bonne volonté des autres ne garantit pas une gestion rigoureuse et la ponctualité dans le règlement des recettes. Dernier venu, FO Magazine serait le seul à atteindre tous les membres de la centrale. Son tirage – 700000 en 1974 –, il est vrai, s’ajuste statutairement à celui des adhérents dont la cotisation intègre le service du journal. En principe, du moins, car les militants pestent contre la « gabegie » qui préside sa distribution. Quelques-uns dénoncent, en outre, l’imprécision des informations publiées et leur manque d’intérêt. À la CFDT, les critiques accusent un « langage trop militant », la déficience en illustrations et un « aspect touffu ». Plusieurs transformations substantielles menées en 1977 – polychromie, papier de meilleure qualité, mise en pages plus aérée, reportages, rubriques ouvertes sur les problèmes de société, les loisirs, style proche du langage parlé...– tiennent compte de ces demandes. A des degrés variés, ces améliorations touchent l’ensemble des publications syndicales, journaux d’entreprise compris. Les rares évaluations chiffrées soulignent la place décisive du support papier, en dépit d’un certain essoufflement. Ainsi le tirage total mensuel des périodiques de Force ouvrière tombe-t-il de « près de 2,5 millions » d’exemplaires en 1974 à 2 millions en 198038.
30En plus de l’organe du DGB, les syndicats allemands possèdent leur propre publication, tels Das Signal, pour les cheminots ou Metall, le magazine de l’IG Metall, dont le contenu, technique et austère, limite la lecture, sinon la diffusion, face aux séductions tapageuses de la grande presse d’information et des magazines. Acquis aux principes de l’« économie sociale de marché » et proches d’un SPD plus décidé que jamais à prouver son aptitude à gérer et à gouverner, les cadres syndicaux semblent avoir pris leur parti de cette faiblesse. En tout état de cause, les moyens consacrés aux périodiques sont sans commune mesure avec les fonds réservés, à l’accumulation patrimoniale dans l’immobilier et la finance, jusqu’aux scandales des années 1980. La situation ne serait guère différente au Royaume-Uni si les médias n’y cultivaient pas une agressivité jamais prise en défaut à l’égard d’un syndicalisme rendu responsable de tous les maux du pays, campagne assez soutenue pour amener le Labour des années 1980 à souhaiter se détacher de l’image de parti des syndicats. Nombre de ces derniers éditent des journaux dont l’audience s’étend parfois au-delà des rangs de leur branche d’origine. The Miner bénéficie ainsi d’un lectorat attiré par la modicité de son prix, tandis que l’organe des mécaniciens est réputé attrayant. Il n’en va plus de même à l’échelon confédéral où le Daily Herald, simple feuille de grève en 1911 passée, avec le soutien du TUC, à près de deux millions d’exemplaires vendus en 1929, a disparu sans héritier en septembre 1964. Ce qui ne signifie pas l’abandon de toute politique éditoriale face à la hargne des tabloïds et au comportement général d’une presse à laquelle le congrès de 1970 reproche d’ignorer les analyses économiques et sociales des syndicats et de calomnier leurs dirigeants. En 1979, les coûts d’impression et de diffusion de l’ensemble des publications – journaux, bulletins, brochures et ouvrages – du TUC atteignent 200 000 £ et l’emportent sur les 76 500 £ de recettes tirés des ventes et des droits. Deux ans plus tard, l’organisation envisage, avec Lord Mac Carthy, la création d’un nouveau quotidien qui partagerait les valeurs et les intérêts du mouvement ouvrier. Evalué à 6,7 millions de £, le montant de la mise initiale aura raison du projet en 1983.
31Rites majeurs de la vie syndicale, les congrès sont la principale manifestation annuelle du TUC britannique. Evénement de portée nationale, le congrès bénéficie, exceptionnellement, d’une couverture médiatique d’autant plus large qu’il inaugure la série des assises annuelles des partis de gouvernement : conservateur, travailliste, libéral... Plus espacés dans le temps, ceux des confédérations françaises ne sauraient avoir le même impact. La scénographie, sur la voie d’une réactivation de traditions antérieures aux années de guerre froide, s’efforce néanmoins de travailler l’image projetée hors du monde des militants. En rupture avec la phase de repli sur la banlieue rouge de Paris, les assises de la CGT reprennent le chemin des villes de province à compter de 1972. La CFDT et FO lui emboîtent le pas. Toutes deux sacrifient, à la suite de la CGT, au gigantisme des parcs des Expositions et autres palais des Sports. Dès 1970, des spécialistes de la mise en scène assistent les cédétistes. La dimension esthétique revêt une importance inédite. En 1976, un cadre de la CFDT dit sa satisfaction de voir disparaître « les ornières flanquées de flonflons, de drapeaux rouges et de plantes vertes (pouah !) »39. La préoccupation est plus ancienne à la CGT, mais les sources manquent à son sujet. En 1975, Jacqueline Lambert dégage les trois traits d’un bon congrès : studieux, critique et tremplin des luttes40. C’est à ce dernier caractère que renvoie la réception de fortes délégations de travailleurs en lutte, principale innovation cégétiste de la période. Inquiets de la lisibilité du message émis, les organisateurs doivent gérer des assemblées de 1 500 à plus de 2000 personnes. En 1975, la CGT casse la succession des interventions à la tribune par l’instauration de séquences d’échanges, depuis la salle, à l’aide de micros-baladeurs. En dehors du brouhaha émanant d’auditoires moyennement attentifs, les présidents de séance, conscients de l’effet déplorable des manifestations d’intolérance, peinent à faire cesser les sifflets et huées qui ponctuent les déclarations hétérodoxes. Mécontents du déroulement des assises de 1976 marquées par une forte poussée contestataire, les dirigeants cédétistes envisagent d’en bannir, à l’avenir, l’aspect meeting ou spectacle41. Occasion privilégiée d’une communication externe dont témoignent aussi bien le souci d’assurer la couverture médiatique maximale que les initiatives sportives et culturelles programmées pendant leur durée, les congrès ne demeurent pas moins le moment-clé de vérification de la cohésion militante et de réaffirmation de l’identité organisationnelle. Leur tenue offre le prétexte de l’arborer au moyen de calots en papier, d’agendas, de porte-clefs, de livrets d’accueil, de badges plastiques, etc., dûment revêtus d’une griffe syndicale annonciatrice des logos.
32Les affiches procèdent de la même démarche. En France, la coopération d’artistes de renom, notamment à l’occasion du Premier Mai, conforte une certaine orientation esthétisante. Aussi expressives ou belles soient-elles, les affiches ne valent, cependant, qu’une fois collées. Malgré une pratique militante jamais reniée, la CGT ne refuse plus l’appoint de professionnels à l’aube des années 1970. En 1972, 13 % de ses Unions départementales font appel aux services d’officines privées42. En Grande-Bretagne où l’affichage sauvage suscite la répréhension de l’opinion publique et tombe sous le coup d’une loi plus sévèrement appliquée que dans l’Hexagone, les syndicats de cols blancs confient volontiers à des agences leurs campagnes de recrutement. Dès les années 1960, ils louent à cette fin des emplacements sur les bus, dans les stades ainsi que dans les journaux43. En 1979-1980, on estime à plus de cinq millions le nombre de posters, affiches, badges et pamphlets réalisés et diffusés par le TUC.
33Pour les variantes les plus militantes du syndicalisme, la volonté de gagner les murs rejoint celle de tenir la rue. En France, les rites carnavalesques et parfois la violence relèvent de la recherche d’un spectaculaire irréductible à la notion de manifestations de papier. Ainsi assiste-t-on au retour en force de formes parodiques que des médias à la mémoire courte qualifient d’invention alors qu’elles sont aussi vieilles que la grève : enterrements symboliques, présence de cliques, de fanfares et de tambours, hommes-sandwichs affichant leurs feuilles de paie, ouvriers ceinturés, à la manière des élus, du titre de licenciés, etc. Ces démonstrations dont l’ampleur dépasse parfois les espérances des organisateurs ne se réduisent pas, toutefois, à de simples mises en scène. Issues d’une histoire chargée de sens, elles ont une épaisseur en mesure de réactualiser de grands mythes, tandis que leur ancrage anthropologique renvoie aux attentes ouvrières. Dans plusieurs pays, l’émergence d’une dramaturgie nouvelle, l’audience de l’extrême gauche et le regain d’un certain romantisme révolutionnaire obligent les syndicats à revoir leurs méthodes d’encadrement et d’agencement. Dans le même temps où elle renforce son service d’ordre, la CGT française suit de près l’inventivité soixante-huitarde. Des responsables consultent des plasticiens, s’enquièrent des innovations étrangères, notamment italiennes à l’occasion de rencontres avec leurs homologues de la CGIL. Aux militants, on explique qu’« une manif, ça se regarde et que l’on doit la concevoir comme un tract vivant »44. Dès septembre 1968, la CFDT prévoit, quant à elle, de former ses militants aux techniques manifestantes. La plupart du temps, les défilés contribuent à l’affichage identitaire, en particulier lors de démonstrations unitaires où, en règle générale, les organisations se succèdent sans se mêler. Pour le reste, les participants arborent force badges et banderoles. Les drapeaux rouges, frappés au sigle de chaque centrale, voisinent avec des personnages animés en bois. Plus mobiles, faisant parfois alterner sit-in et courses, les cortèges rompent avec les postures anciennes ainsi qu’en témoigne la moindre importance donnée à la recherche de respectabilité vestimentaire des personnalités placées en tête. Un début de lassitude commence cependant à se faire sentir à la fin des années 1970, aggravé, dans le cas français, par la rupture de l’unité entre la CGT et la CFDT. Recentrée, celle-ci n’a pas de mots assez durs, bientôt, à l’encontre du « syndicalisme spectacle », des « défilés folkloriques » et des « cérémonies rituelles », théorisant ses propres difficultés de mobilisation pour renouer avec les meetings, souvent accompagnés de fêtes. Signe des recompositions à l’œuvre, l’Internationale recule jusque dans les rassemblements cégétistes des années 1980, au profit d’une chanson contemporaine du combat perdu des sidérurgistes, Le Chiffon rouge, intronisée au congrès de 1982.
Diversifications durables et fragmentation
34Parallèlement au renouvellement du format et des formules de publications générales confédérales, les organisations françaises entreprennent une double diversification des publics et des supports au fur et à mesure que s’étoffent l’information et la formation des militants. Au début des années 1970, FO offre à ses adhérents L’Expansion, un bulletin d’analyse économique à diffusion restreinte. Les responsables cédétistes ne sont pas en reste et proposent tour à tour Nouvelles CFDT, CFDT Aujourd’hui (1973) et Action juridique CFDT (1978). À la différence des considérations idéologiques qui prévalaient lors de la création de La Gauche ou de Combat, la multiplication des titres belges répond en priorité, à l’aube des années 1970, au souci d’aborder des thèmes spécialisés ou de s’adresser à des fractions précises de syndiqués, en premier lieu les jeunes et les femmes45. En France, la palme revient à la CGT qui s’adresse ainsi aux femmes – Antoinette –, à ses élus et à ses cadres – La Vie des collectivités ouvrières, Droit ouvrier, La Revue pratique de droit social, Le Délégué du personnel, Le Courrier syndical international – et, depuis octobre 1965, aux ingénieurs, cadres et techniciens avec Options. Mais l’édition syndicale comprend encore, en plus de brochures et d’ouvrages, la masse des publications des organisations affiliées. À la différence de la CFDT, FO reprend à son compte le projet d’une couverture maximale des composantes du salariat. Elle tente ainsi de rattraper son retard par l’institution, en 1969, d’une commission féminine, prélude à l’impression trimestrielle de Problèmes féminins. Avec Le Vieux travailleur, les camarades d’André Bergeron font bonne figure vis-à-vis de leurs rivaux cégétistes dont le Bulletin de l’Union des retraités vivote avant de s’effacer, en 1981, derrière Vie nouvelle. Les deux centrales ne relâchent pas leurs actions en direction des travailleurs immigrés, et d’abord des Portugais, des Italiens, des Espagnols et des Polonais. La conquête de la génération du baby-boom en voie d’entrer dans la vie active, mais dont la scolarisation se prolonge, soulève d’autres problèmes que complique la faible implantation de la CGT et de FO parmi les enseignants. Épisodiques, à l’instar du Bulletin de la Jeunesse cégétiste des années 1960 et de France espoir, son lointain héritier des années 1980, ou modestes, sur le modèle de Jeunes FO, un mensuel disparu en 1974, les journaux ne constituent pas le mode privilégié de relation avec la jeunesse. En 1967, la CGT se hasarde sur la voie d’un festival au programme hétéroclite qui, prévu au mois de mai de l’année suivante, sera ajourné pour cause de grève généralisée et de contestation juvénile. Sous d’autres formes et à travers d’autres relais, la CFDT n’est pas moins vigilante qui, lors du congrès de 1970, ovationne le représentant de l’UNEF et scrute l’impression produite par ses assises sur les jeunes46.
35Si la division féminine du DGB existe depuis 1949, la confédération attend 1972 pour décréter une « Année des femmes au travail » et lancer une campagne spécifique de recrutement avec des résultats appréciables. Dix ans plus tôt, le TUC avait organisé une démonstration qui, derrière le titre « Avec les mains des femmes », se proposait de dévoiler le rôle de ces dernières dans l’industrie moderne et l’aptitude des syndicats à défendre leurs intérêts. L’initiative n’aura pas de suite avant 1972, année d’un congrès national des femmes convoqué par le comité exécutif du GMWU (travailleurs municipaux). Dans le même ordre d’idée, des syndicats britanniques tentent, après 1979, de compenser le déclin de leurs effectifs par des actions spécifiques en direction des salariés précaires, handicapés ou appartenant à des minorités ethniques et sexuelles pour lesquels le TUC organisera des conférences annuelles47. En Belgique, ce genre de diversification a surtout été développé par la CSC. Dans les années 1970, cependant, la « deuxième vague » féministe la laisse quelque peu désemparée, tandis que la FGTB s’empare des revendications féminines et rattrape son retard. Le point de vue féministe marque ainsi de son empreinte les conceptions syndicales en matière de sécurité sociale, de fiscalité et, plus généralement, pour tout ce qui touche à la politique sociale48.
36En France, de 1973 à 1979, la segmentation s’exhibe lors des défilés de Premier Mai. Des associations toujours plus nombreuses négocient leur présence sans empêcher des accrochages parfois vifs et remarqués entre l’Union des syndicats CGT de la région parisienne et les organisations féministes. La construction d’images homogénéisantes devient malaisée là où le confédéral et l’unité de classe s’étaient forgés dans le développement de luttes globalisantes. En 1968, la grève interprofessionnelle et nationale de longue durée réactive le mythe de la grève générale, cette modalité française de la thématique de classe, avec les représentations de la classe ouvrière et du syndicat qui lui sont associées. Mais le mouvement participe d’une fin de cycle. A la suite du recentrage cédétiste, les journées interprofessionnelles d’action, unitaires ou non, inaugurées dans les années 1966-1967, se font exceptionnelles et la symbolique unifiante se délite. FO joue la carte identitaire de l’Europe, mais ne l’intègre franchement dans sa dramaturgie qu’au terme des années 1980. En Belgique, un discours égalitaire et rassembleur, des appels à l’unité ouvrière aux niveaux syndical et politique, suscitent des espoirs. Les luttes acquièrent une dimension internationale et cherchent à se rattacher aux nouveaux mouvements sociaux en relation avec les revendications et les aspirations des femmes, des étudiants, des jeunes, des chômeurs, des immigrés et du tiers-monde. Les slogans de la période s’attaquent au néocapitalisme, à l’exploitation et à la crise, à la dictature, ils plaident pour un syndicalisme européen et la solidarité internationale... Les apparences sont toutefois trompeuses. On a pu montrer que la radicalisation des discours et des pratiques des deux familles ouvrières belges accentuait, en réalité, leurs différences et provoquait de nouveaux clivages et terrains de compétition de nature à relativiser la portée des appels à l’unité49.
Expérimentations sans lendemains
37Le développement rapide des techniques audiovisuelles, l’écho qu’on leur prête dans l’opinion fascinent les syndicalistes. En France, les réalisations cinématographiques des années 1930 et des lendemains de la Libération, l’audience acquise parmi les techniciens et les réalisateurs sont autant d’atouts pour la CGT. Dès 1965, la question est évoquée en congrès. Deux ans plus tard, les militants sont conviés à une exploitation systématique des supports modernes. La vague de licenciements qui frappe l’ORTF après 1968 resserre les liens noués avec les professionnels des médias. Victimes d’une chasse aux sorcières, nombre de ceux-ci renforcent l’équipe de la Scopcolor, une coopérative qui, autour du CREPAC – Centre de recherche pour l’éducation permanente et l’action culturelle – créé par Roger Louis en avril 1968, fédère la CGT, la CFDT, la FEN et divers mouvements d’éducation populaire. À la demande, la Scopcolor, elle-même productrice de documentaires, réalise des courts-métrages présentés en ouverture aux réunions-débats. Les innombrables prises de vue des grèves et des manifestations du printemps 1968 opérées avec les moyens du cinéma amateur constituent une mine documentaire exceptionnelle de plusieurs dizaines de kilomètres de pellicule que Paul Seban explore, en 1970, pour son film : La CGT en mai 1968. L’activité, relancée par la confédération, est relayée au niveau local par les comités d’entreprise et certaines structures syndicales. Adhérente à la Scopcolor, la confédération met sur pied, en région parisienne, un service de diffusion itinérante – SDI. Déjà, le secteur propagande de la CGT prédit l’avènement prochain d’une véritable révolution technique. Face au danger d’obsolescence rapide, il conseille de ne pas prendre de retard, mais préconise la prudence. L’enthousiasme fléchit devant les coûts et la longueur des délais de production qui empêchent de coller à l’actualité50. A la CFDT, les contacts avec l’audiovisuel passent surtout par la Scopcolor qui, en 1973, tire une minicassette du congrès cédétiste. L’élan donné, les organisations et les militants s’enhardissent et présentent une quarantaine de films lors des assises de 1976. On en dénombre une trentaine, trois ans plus tard, après la fondation d’un service audiovisuel confédéral. Ce dernier développe une activité tous azimuts, préparant, entre autres, des expositions de photos, domaine que ne néglige pas, non plus, la CGT.
38La revendication d’un accès aux micros et aux caméras de l’ORTF, clairement formulée par la CGT en 1967, est commune à l’ensemble des confédérations françaises. Huit années, on le sait, s’écouleront avant que s’entrouvrent les portes de la télévision publique. En Belgique, l’une des premières émissions traitant longuement des luttes syndicales remonte à 1957...51 La correspondance entre les dirigeants de la FGTB souligne combien ceux-ci concevaient la télévision, avant tout, comme un outil de propagande évalué en termes d’efficacité immédiate52. À l’instar des programmes télévisés, les séquences radiophoniques sont considérées comme un remarquable moyen de s’adresser aux membres actuels ou potentiels de la centrale. En conséquence, la diffusion de chaque « Chronique syndicale » est précédée d’une large campagne de publicité dans les journaux corporatifs, socialistes ou indépendants.
39L’étape suivante est celle des radios libres. Filles de 1968, elles profitent, en France, de la brève et relative période de tolérance allant de 1977 au début de 1978. Refroidies par la dérive commerciale italienne, désireuses de consolider leur accès à un service public défendu bec et ongles par les syndicats du secteur, les confédérations hexagonales restent dans l’expectative. Leur ébranlement intervient à l’occasion des luttes qui, en 1978 et 1979, agitent les bassins sidérurgiques en crise. Là, les radios démontrent leur capacité à mobiliser les populations au-delà des seuls salariés. À Longwy, la CFDT locale prend les devants grâce au concours des Verts allemands. Elle bute toutefois sur la faiblesse de ses moyens et les réticences confédérales53. La CGT s’engage plus franchement, mais entend mener l’affaire à sa manière : sous son contrôle, avec des professionnels et un matériel puissant obtenu par l’intermédiaire de la CGIL italienne. Le succès de Lorraine Cœur d’Acier – LCA –, réitéré dans le Nord par Radio Quinquin, transforme cependant le caractère des stations. Convaincue que LCA lui échappe et se banalise en radio locale, la confédération, en voie de raidissement interne depuis la rupture de l’union de la gauche, interrompt son soutien financier. Instruite par l’expérience lorraine, elle redéfinit le cadre des « radios de lutte » qui fleurissent en 1979 et proclament leur identité cégétiste au prix d’une audience restreinte. La réalisation, bien avancée, d’une télévision de lutte piratant les installations de la tour Eiffel est, quant à elle, ajournée. Censée dégager de nouvelles perspectives du côté de la radio et de la télévision publiques, l’arrivée de la gauche au pouvoir et la « libération des ondes » votée en novembre 1981 auront paradoxalement raison des initiatives en cours et des projets esquissés.
40Sans espoir du côté du législateur, les syndicalistes britanniques, profondément légalistes et respectueux de l’indépendance de la BBC, n’empruntent, sous Mme Thatcher, aucune des pistes ouvertes sur le continent. À cent lieues des radios libres et de l’exigence d’un accès aux antennes publiques, c’est aux ressources du secteur privé que songent, un temps, les dirigeants du TUC. Entre 1981 et 1983, ceux-ci prennent langue avec les responsables de la nouvelle chaîne Channel 4 pour la réalisation et la diffusion d’une série de documentaires sur le syndicalisme. Sans résultat.
Ouvertures
41Confrontés aux limites de leur expression autonome, les syndicats rêvent tous, en effet, de disposer d’une tribune dans les grands médias ou, à défaut, d’une écoute objective, sinon bienveillante. À cette fin, les organisations se dotent de services de presse chargés de maintenir le contact avec les journalistes, de les solliciter, de capter leur attention, de faciliter leur travail et, au besoin, de le leur préparer. Dès 1955, l’IG Metall dispose du sien. A la fin des années 1960, les centrales maîtrisent la technique des conférences de presse et des communiqués qu’étayent, si nécessaire, des dossiers. À l’instar du Peuple cégétiste, le bimensuel Industrial News, tiré à 1 770 exemplaires en 1967, reproduit l’ensemble des prises de position du TUC à destination de ses cadres, mais aussi des salles de rédaction. En Belgique, la CSC nomme, en 1970, un responsable des relations avec la presse tant écrite qu’audiovisuelle54. La FGTB porte un vif intérêt à ces formes de communication55. L’impact des conférences de presse est suivi de près. Ainsi, au lendemain d’une déclaration de Guy Spitaels sur le fonctionnement du syndicat, position mal perçue par beaucoup d’adhérents, les dirigeants débattent-ils d’une éventuelle mise au point56. Une organisation efficace permet d’atteindre le plus grand nombre de journalistes dont la présence aux conférences fait l’objet d’un pointage systématique. L’aspect formel n’est pas moins soigné et les invitations abondent en expressions de la plus extrême courtoisie57. En France, FO est la première à instituer un service de presse digne de ce nom au début des années 1960. La CFDT s’y résout au milieu de l’année 1968, puis met les bouchées doubles au point d’inscrire le thème de l’information à l’ordre du jour du congrès de 1973. La CGT se montre plus hésitante sous le poids du lourd contentieux, présent et passé, qui l’oppose à la « presse bourgeoise » et à l’audiovisuel public « inféodé au pouvoir ». Dans l’esprit de ses responsables, la solution à ces questions est affaire de rapport de forces et de pression militante. Les grèves de 1968 infléchissent toutefois cette approche. Conscients du rôle de l’opinion publique sur le cours des événements, les cégétistes révisent leur tactique. Sans rien céder de leur appréciation quant à la place des médias dans l’affrontement de classes, ils insistent sur les dommages causés par « la faiblesse de l’expression extérieure »58. Sur la lancée, Georges Séguy obtient la création d’un service de presse ce qui ne va pas sans rejaillir sur l’accueil réservé aux journalistes. Concrètement, les syndiqués sont appelés à surmonter leurs réticences, à mener une « bataille » certes « ferme », mais encore « patiente (et) intelligente »59, à « se faire respecter » sans verser dans l’agressivité60. En 1978, l’allocution d’ouverture du congrès salue pour la première fois, les 200 journalistes présents, lesquels bénéficient, sur place, des services d’une imposante et efficace assistance technique. Les revendications des travailleurs de l’information jouissent, elles-mêmes, d’une attention inédite. L’évolution est néanmoins plus facile à la CFDT vers laquelle se tourne une partie des journalistes licenciés de l’ORTE L’un d’eux, François Loncle met son expérience et son carnet d’adresses à la disposition de la confédération. Au congrès de 1973, Edmond Maire n’exclut pas une « franchise parfois brutale », mais note – pour s’en réjouir – que son organisation « a su se tailler une place » dans les médias. Acquis à l’idée que « la façon dont nous sommes perçus compte autant que ce que nous disons », il tance ses camarades habitués à « mettre les journalistes au pilori » alors qu’ils « font leur métier ». En prévision du congrès de 1979, les organisateurs déconseillent « trop d’austérité » et programment des rencontres informelles autour d’une table. Ces bonnes manières sont courantes à FO. Sans doute le savoir-faire ancien des proches d’André Bergeron ne suffit-il pas à expliquer une présence croissante sur les antennes de l’ORTF qui doit beaucoup à la modération de la centrale. Certains militants s’en alarment et réclament plus de mordant. C’est chose faite après l’alternance politique de 1981, lorsque FO s’emporte contre les « journalistes aux ordres » du PCF et « l’omniprésence » de ses rivaux dans les médias61.
Homogénéisation, centralisation et personnalisation
42La séduction que la communication exerce sur les appareils confédéraux est cependant tempérée par la crainte d’investissements hâtifs et de doubles emplois. Contre ce danger, les dirigeants de FO ébauchent les contours d’une diffusion des organes fédéraux et départementaux qui « s’ajusterait à la presse confédérale »62. Pour la CGT, Henri Krasucki raisonne en gestionnaire partisan de « rationaliser » et de concentrer l’ensemble des publications autour de La Vie ouvrière qui leur servirait de support63. Les responsables cédétistes poussent dans le même sens, mais là comme ailleurs, si les centrales proposent, les organisations affiliées disposent. Adeptes d’une pédagogie de l’exemple et du travail en réseau, les cadres de la commission propagande conditionnent le succès de leur démarche à la désignation de « correspondants » à tous les niveaux64. Si les Unions départementales paraissent plus réceptives aux sollicitations confédérales, la tâche s’avère moins aisée auprès des fédérations professionnelles. Toute mauvaise volonté mise à part, les obstacles financiers freinent bien des ardeurs. La commission propagande garde néanmoins le cap en évitant d’empiéter sur le territoire des secteurs de la presse et de la formation, jaloux de leurs prérogatives. À partir de 1976, un bimensuel – Propa – fait office de bulletin de liaison.
43L’impératif de rapidité dans la diffusion des positions syndicales et la technicité des problèmes à surmonter enlèvent aux simples militants tout espoir d’égaler la qualité des produits élaborés au sommet des organisations. A la base comme aux échelons intermédiaires, le matériel type mis en circulation est d’autant plus reçu comme un modèle à dupliquer que les photocopieuses figurent au nombre des équipements en progression rapide. Ces facteurs favorisent la centralisation et les fusions auxquelles conduit par ailleurs l’omniprésence de l’échelon national aux grandes heures de l’État-providence. Au Royaume-Uni, le nombre des syndicats passe ainsi de 781 à 221 entre 1945 et 2000. La tendance au regroupement est plus nette encore en Allemagne. Elle intéresse notamment les salariés des médias où les vieux syndicats ouvriers du Livre et du Papier finissent par s’unir, en 1989, à celui, plus récent, des Arts et de la branche radio-TV au sein de l’IG Medien65. Si la fonction de représentation n’est pas la moindre de celles confiées aux secrétaires généraux, la télévision amplifie la tendance à l’identification des centrales avec leur dirigeant dont, en France, les instituts de sondage s’essaient à mesurer la cote de popularité. Toutes les organisations des années 1970 sont concernées par le phénomène. En Belgique, où les dirigeants de la FGTB accaparent depuis longtemps les éditoriaux des hebdomadaires confédéraux, l’essentiel des émissions syndicales se compose d’interviews des ténors tels L. Major et N. De Bock. Plus centralisée, la centrale chrétienne est dirigée par un « duo » comprenant le président, flamand, et un secrétaire général francophone qui se partagent les interventions dans les médias du Nord et du Sud du pays. Au Royaume-Uni, les journalistes, d’ordinaire peu enclins à donner la parole aux syndicalistes, font exception, y compris en prime time, pour les plus télégéniques ou les plus pittoresques d’entre eux. Ils contribuent ainsi à la notoriété de Clive Jenkins, le leader de l’ASSET. Les confédérations françaises ne se plient pas moins aux contraintes médiatiques avec le concours actif de leurs secrétaires généraux qui, soignant leur image publique, apprennent à consolider, d’un même mouvement, leur autorité sur leurs camarades. Au bureau national de la CFDT, une discussion s’engage, en 1979, à propos de la « personnalisation à outrance » que provoqueraient les médias66. « Nous ne pouvons pas, pas plus que d’autres, échapper à des pratiques qui nous sont imposées de l’extérieur », conclut, fataliste, l’un des participants. On ne s’en inquiète guère à FO. Sur fond de concurrence syndicale, l’organisation ne cache pas sa volonté de miser sur la popularité d’André Bergeron pour élargir son audience. La fréquence des apparitions du secrétaire général à la radio et à la télévision d’Etat amène cependant certains syndiqués à craindre que celui-ci soit perçu « comme le porte-parole du gouvernement »67.
Professionnalisation : la fin des militants ?
44« Technique », voire « science », la communication réclame des professionnels. L’admettre ne va pas de soi chez des syndicalistes qu’une tenace tradition militante mâtinée d’ouvriérisme porte à se méfier de ce genre d’intrusion. Les centrales ont néanmoins l’expérience de collaborations fructueuses au sein d’instances de réflexion, commissions ou bureaux d’études. Si la frontière entre le conseil et l’influence peut paraître poreuse, elle l’est plus particulièrement lorsque la forme tend à l’emporter sur le fond. Les illusions technicistes suscitées par les supports audiovisuels ajoutent une complication supplémentaire. Consciente des risques, la commission propagande de la CGT décourage les militants de trop s’investir dans des apprentissages qui ne sauraient leur permettre de se substituer aux professionnels, sauf à le devenir eux-mêmes au détriment de leur engagement syndical... Venus des médias, du cinéma, de la publicité, de la photographie, des arts plastiques, les spécialistes qui collaborent avec la commission jouissent d’une grande liberté de proposition, mais la décision finale revient à la Confédération. Connue et acceptée, la règle ne soulève pas moins de délicats problèmes d’application. Héritière d’une longue pratique de parrainages intellectuels, la CFDT se montre avide de telles contributions. Pour autant, la coexistence d’une démarche autogestionnaire et de conceptions teintées de paternalisme pédagogique ne va pas de soi. En dehors des journalistes, autorisés à participer à la « réflexion politique » de la direction68, l’intervention d’autres spécialistes, peu préparés aux exigences de la communication, n’améliore pas toujours la lisibilité des thèses cédétistes. S’agissant de radio, de télévision ou de cinéma, l’intervention de techniciens n’est discutée par personne. Elle serait plutôt revendiquée, sur le modèle belge de distribution de subventions aux associations responsables des émissions concédées et de l’obligation faite à la RTB-BTR de fournir gratuitement son personnel et son matériel69.
45La professionnalisation n’est certes pas l’exclusivité des secteurs de la propagande et de la communication. On assiste, en effet, dans les années 1980, au développement de l’offre de services proposée aux syndiqués dans les domaines de la santé, du crédit ou de la formation professionnelle. À défaut d’être nouvelle, l’option s’étend, par exemple dans les organisations britanniques qui, en peine d’afficher des résultats probants du côté de la défense de l’emploi ou des gains salariaux, tentent ainsi de conserver un minimum d’attrait. Pour des raisons similaires, l’idée tente les syndicats français, trop affaiblis, cependant, pour la mettre en œuvre. Le choix n’est pas neutre et réévalue, par la force des choses, les tâches gestionnaires. Ce qui ne va pas sans rejaillir sur le contenu des messages adressés aux syndiqués potentiels.
46Sans doute l’immixtion des spécialistes de la communication est-elle atténuée, sinon masquée, par les progrès de la syndicalisation chez les techniciens des médias, les journalistes, les réalisateurs, les créateurs et les artistes. Au Royaume-Uni, les différents syndicats présents parmi ces catégories rassemblent plus de 350 000 personnes au début des années 1990. En Allemagne, l’IG Medien, forte, on le sait, d’une importante composante ouvrière, compte alors près de 190000 membres. Aussi grandes que soient les ressources des syndicats, la professionnalisation de leur expression est néanmoins synonyme, le plus souvent et aux échelons supérieurs, d’externalisation, véritable révolution au regard d’une culture et d’une identité largement fondées sur le militantisme. Désireux de se débarrasser, du moins vis-à-vis de l’opinion, de la rhétorique traditionnelle, « langue de bois » à la fois datée – « archaïque »– et connotée négativement, mais signe de reconnaissance et facteur de cohésion, les syndicats adoptent parfois, avec les techniques et les supports modernes d’expression, les tics et les codes d’une « langue de coton » de nature à banaliser, voire à brouiller l’originalité irréductible de leur message.
47Indéniable, la similitude des problèmes de communication et des réponses techniques apportées participe et témoigne d’une certaine convergence des syndicalismes ouest-européens. Généralisées et vécues comme une évolution souhaitable et irrésistible, les mutations opérées dans leur mise en scène s’articulent tant bien que mal aux projets et aux particularités politico-idéologiques des centrales, lesquels procèdent en partie de spécificités nationales. La moindre de celles-ci n’est pas, dans le cas français, la longévité d’une situation de pluralisme et de concurrence, propice à l’affirmation des différences. Ainsi quand tel opposant à la ligne majoritaire de Force ouvrière lie les défauts de la presse confédérale à l’abandon pratique de tout idéal de transformation sociale70, la direction cédétiste ralliée au « socialisme démocratique et autogestionnaire » déclare attendre de l’information syndicale qu’elle alimente « la discussion collective » et « aide les travailleurs à développer leur capacité d’analyse »71. Pour la CGT, l’objectif prioritaire demeure la mobilisation des travailleurs que la centrale dit concevoir en termes d’« intervention » consciente et autonome. Entre clin d’œil, boutade et conviction sincère, un document interne de 1979 actualise la définition d’un communisme décrit comme l’alliance de « l’autogestion et (de) la télématique »72.
Notes de bas de page
1 Les syndicats belges ont conservé une structure unitaire avec direction nationale unique, raison pour laquelle nous recourrons à leur appellation française : Fédération générale du travail de Belgique (FGTB) et Centrale des syndicats chrétiens (CSC). Il existe également une confédération libérale, très minoritaire, et plusieurs syndicats corporatifs.
2 L’adjectif qualifie les responsables de la CFDT. Ceux de la CGT sont appelés « cégétistes ».
3 Force Ouvrière Informations, n° 151, juillet 1965.
4 Commission exécutive du 6-7 février 1974. Archives de l’Institut CGT d’histoire sociale, fonds du secteur propagande.
5 Les sources iconographiques et audiovisuelles existent en Belgique et sont riches. En France, elles ne font que depuis peu l’objet d’attention de la part des confédérations syndicales. Cette attention récente et l’existence de l’INAthèque ouvrent aux chercheurs des possibilités nouvelles propres à susciter des travaux.
6 Cf. Mattelart Armand et Michèle, Histoire des théories de la communication, Paris, La Découverte, 2002. Il n’est pas inintéressant de noter, cependant, que l’ouvrage de Harold Dwight Lasswell et Dorothy Blumenstock (World revolutionary propaganda, New York, A.A. Knopf, 1939) – tenu pour l’une des premières études scientifiques d’analyse de la propagande – portait sur le mouvement ouvrier à Chicago dans les années 1920. Cf. Olivesi Stéphane, « De la propagande à la communication », Cahiers d’histoire, revue d’histoire critique, n° 86, 2002, p. 13-28, plus particulièrement p. 19.
7 Pasture Patrick, Mampuys Jozef, In de ban van het getal. Laden-analyse van het ACV, 1900-1990, Leuven, 1990, p. 42-47.
8 Pour l’avant-guerre français, on se reportera à l’étude consacrée à la presse de la CGT et publiée en 1939 par Georges Lefranc, l’un des responsables de la formation syndicale cégétiste, dans Les Cahiers de la presse.
9 À propos de l’impact de la question régionale sur le syndicalisme belge, voir Pasture Patrick, « Divergent developments, regional alliances and the need for national solidarity in Belgium », dans Wets Johan (dir.), Cultural diversity in trade unions. A challenge to class identity ?, Aldershot, Ashgate, 2000, p. 35-70.
10 Coenen Marie-Thérèse (dir.), Les syndicats et les immigrés. Du rejet et l’intégration, Bruxelles, EVO-CARHOP-FEC, 1999.
11 Peiren Luc, en collab. avec Voets Luc et Moreels Franck, « Syndicalisme tussen welvaart en crisis ; het ABVV op de drempel van de 21e eeuw », in Peiren Luc, Messiaen Jean-Jacques (dir.), Een eeuw solidariteit, 1898-1998 ; Geschiedenis van de socialistische vakbeweging, Bruxelles, ABVV, Ludion, Amsab, IEV, 1997, p. 73-74.
12 En France, la CGT est la première des organisations militantes à recourir à l’affiche illustrée vers 1910.
13 Smits Jozef, Démocratie op straat. Een analyse van de betogingen in België, Louvain/Amersfoort, Acco, 1984, p. 246-249.
14 De 1958 à 1962, le pourcentage des manifestations syndicales à finalité revendicative tombe à moins de 20 %, mais les syndicats participent à la plupart des très nombreuses manifestations contre la guerre d’Algérie ou l’OAS.
15 De Werker, 11 février 1950, n° 6, p. 1 ; 25 février 1950, n° 8, p. 2 et 8 janvier 1955, n° 2, p. 1 : Les 104 numéros du Werker analysés pour la période 1950-1955 regorgent de slogans, de titres et d’articles façonnant cette image, souvent sur le mode caricatural. Ainsi, la lutte contre la CSC est-elle menée au moyen de titres tels que : « En matière de ridicule et d’insolence, la CSC bat tous les records », « Victoire de la FGTB sur l’ambiguïté des chrétiens » et « Ce mal incurable »...
16 L’ouvrage d’Anne-Marie Hetzel, Josette Lefèvre, René Mouriaux et Maurice Tournier (Le syndicalisme à mots découverts. Dictionnaire des fréquences (1971-1990), Paris, Syllepse, 1998) n’a malheureusement pas son équivalent dans les autres pays.
17 Cf. Pasture Patrick, « Où sont les travailleurs d’antan ? La perception de la classe ouvrière par le mouvement ouvrier chrétien belge d’après-guerre », dans Deniot Joëlle, Dutheil Catherine (dir.), Métamorphoses ouvrières, Paris, L’Harmattan, Coll. « Logiques sociales », 1995, vol. 2, p. 225-237.
18 Cf. Itzin Catherine, Stages in the revolution : political theatre in Britain since 1968, Londres, Eyre Metheun, 1980.
19 Sur ces questions, on se reportera à Pasture Patrick, Kerk, politiek en sociale actie. De unieke positie van de christelijke arbeidersbeweging in België, HIVA-reeks 14, Louvain/Apeldoorn, Garant, 1992 et Pasture Patrick, « Entre Église et citoyen. Le PSC/CVP et sa base organisée », dans Dewachter Wilfried (dir.), Entre État et société. Les sociaux-chrétiens en Belgique, Louvain-la-Neuve, Duculot, 1995, p. 265-295.
20 Pasture Patrick, Kerk…, op. cit., p. 305sq.
21 Ebbingaus Bernhard, Visser Jelle, Trade unions in western Europe, Basingstoke/ Londres, Macmillan, 2000, tableau p. 144.
22 De Werker, 2 janvier 1960, n° 1, p. 1.
23 De Werker, 7 mars 1970, n° 9, p. 1.
24 Cf. Chessel Marie-Emmanuelle, La publicité. Naissance d’une profession, 1900-1940, Paris, CNRS éditions, Coll. « CNRS Histoire », 1998.
25 Les émissions radio de la FGTB sont, elles aussi, assurées par l’EVI et sont diffusées sous le titre « La chronique syndicale ». Les trois grandes centrales se partagent une plage hebdomadaire. Les syndicats socialiste et chrétien obtiennent chacun 40 % du temps, contre 20 % au syndicat libéral. Archives FGTB-national, 144, 7.2 Radio et TV, numéros 1247 à 1249 (listes de programmation).
26 Au contraire des ouvertures intervenues sous le Front populaire grâce auxquelles la CGT et son Institut supérieur ouvrier avaient pu disposer d’un quart d’heure d’émission hebdomadaire au poste d’État de la tour Eiffel.
27 Cf. pour la France : Magniadas Jean, « Entreprise et communication », Les documents de l’ISERES, n° 6, 2000 ; – Malaval Claude, De la tour d’ivoire à la maison de verre. Histoire de la presse des entreprises en France de 1880 aux années 1970, thèse EHESS, 1995 ; – Olivesi Stéphane, La communication au travail. Une critique des formes de pouvoir dans les entreprises, Grenoble, PUG, Coll. « La communication en plus », 2002, voir plus particulièrement le chapitre « De la propagande à la communication », p. 21-24.
28 Spinneux Armand, Forces et stratégies syndicales, Doctorat en sociologie, Université catholique de Louvain-la-Neuve, 1981.
29 Cf. Hetzel Anne-Marie, Lefèvre Josette, Mouriaux René, Tournier Maurice, Le syndicalisme à mots découverts.op. cit.
30 Scargill Arthur, « The New Unionism », New Left Review, 92, July-August 1975, p. 19-20.
31 Archives photos AMSAB, Fêtes du 1er mai à Gand, 1970.
32 Een rechtvaardiger maatschappij, 1 Meitoespraak door Georges Debunne (Une société plus juste, Causerie du Premier Mai par Georges Debunne). Archives FGTB-national, 144, 11.7 Fêtes et événements, n° 1395.
33 Le secteur « propagande » se métamorphosera en secteur « communication » en 1992.
34 Bévort Antoine, « Les finances comparées de la CGT et de la CFTC-CFDT, 1945- 1993 », Communisme, n° 35-37, 1993-1994, p. 141-170.
35 Entretien de Michel Pigenet avec Pierre Barberis, le 22 mars 2002.
36 En 1973, le rapport sur la CFDT et l’information présenté au congrès de Nantes évalue le poids de ce poste à près de 80 % du budget des sections cédétistes en 1973. Archives de la CFDT, 1 G 53.
37 Archives FGTB-national, 144, 7.1 Presse syndicale, numéros 1244-1269.
38 Rapports d’activité aux 12e congrès, les 11-14 juin 1974, à Toulouse, et 14e congrès, les 17-20 juin 1980, à Bordeaux. Force Ouvrière Informations, n° 174, avril-mai 1974 et supplément à FO mensuel, n° 38, mai 1980.
39 Lettre de Claude Perrignon à un journaliste du Nouvel Observateur, le 8 juin 1976. Archives de la CFDT, 1 G 57.
40 Discours de clôture, 39e congrès national. Le Bourget, 22-27 juin 1975, Compte rendu in extenso des débats, Supplément du Peuple, 1er février 1976, p. 362 et 364.
41 BN du 10 septembre 1976. Archives de la CFDT, 1 G 57.
42 Enquête sur les activités de propagande des UD (mars-mai 1972). Archives de l’Institut CGT d’histoire sociale – fonds du secteur « propagande ».
43 Wrigley Chris, « From ASSET to ASTM ; an example of white collar trade union growth in the 1960s », Historical Studies in Industrial Relations, n° 7, 1999, p. 291-292.
44 Propa de janvier 1978.
45 Ainsi en va-t-il avec Ondernemingsraad Nieuws (Bulletin du conseil d’entreprise), Veiligheid en Gezondheid (Sécurité et Santé) et de nombreuses publications locales pour jeunes.
46 BN du 28 mai 1970. Archives de la CFDT, 1 G 39.
47 Wrigley Chris, British trade unions since 1933, Cambridge/New York, Cambridge University Press/UK, 2002.
48 Pasture Patrick, « Belgium : pragmatism in pluralism », dans Pasture Patrick, Verbeckmoes Johan, De Witte Hans (dir.), The lost perpective ? Trade unions between ideology and social action in the new Europe, Perspective on Europe, Avebury, Aldershot, 1996, vol. 1, p. 91-135.
49 Pasture Patrick, Kerk…, op. cit., p. 374-390.
50 Commission exécutive du 6-7 février 1974. Archives de l’Institut CGT d’histoire sociale – fonds du secteur « propagande ».
51 Il s’agissait d’un reportage sur le socialiste Achille Van Acker. Archives BSP-national, 75, n° 151. 1.
52 Lettre de V. Thijs à L. Major du 13 mars 1963, Archives ABW-national, 144, 7.2 Radio et TV, n° 1247.
53 Cf. Noiriel Gérard avec la collab. de Azzaoui Benaceur, Vivre et lutter à Longwy, Paris, F. Maspéro, Coll. « Débats communistes, n° 5 », 1980.
54 « De bedrijvigheid van hetACV 1970-1972 », XXVe congrès de la CSC, 23-25 novembre 1972, CSC, Bruxelles, 1972, p. 61.
55 Archives FGTB-national, 144, 7.3 Conférences de presse, numéros 1250 à 1256.
56 Archives FGTB-national, 144, 7.3 Conférences de presse, n° 1251.
57 On lit ainsi sur les cartons des formules du genre : « Nous apprécierions infiniment que votre représentant soit présent à notre conférence de presse », « Nous osons espérer que votre journal se fera représenter », idem.
58 Commission exécutive du 6-7 février 1974. Archives de l’Institut CGT d’histoire sociale – fonds du secteur « propagande ».
59 Intervention à la journée d’étude du 20 octobre 1977. Archives de l’Institut CGT d’histoire sociale – fonds du secteur « propagande ».
60 Courrier confédéral du 11 mai 1983.
61 Rapport d’André Bergeron, 15e congrès confédéral Force ouvrière, 20-23 novembre 1984, Paris, p. 478 et 482.
62 Rapport Veillon au Comité confédéral national des 21-22 novembre 1964, Force ouvrière du 29 novembre 1964.
63 Krasucki Henri, Pour une presse nationale moderne et efficace, Rapport sur les problèmes de la Vie Ouvrière, supplément au Peuple du 15 novembre 1968, p. 11.
64 Idem.
65 Par crainte de l’hégémonie du Livre, les journalistes se détachent cependant de la nouvelle organisation.
66 BN des 6-8 juin 1979. Archives de la CFDT, 1 G 65.
67 Intervention de G. Fosse, Compte rendu sténographique des débats du 12e congrès confédéral Force ouvrière, 11-14 juin 1974, Paris, p. 68-69.
68 Rapport de Frédo Krumnov, « La CFDT et l’information » pour le 36e congrès, supplément à Syndicalisme du 1er février 1973, p. 40.
69 Coppens Tomas, Politieke « derden » op de BRTN-televisie, Université de Gand, VG Communicatiewetenschappen, 1995, p. 14-21.
70 Intervention de Rougier, Compte rendu sténographique des débats du 13e congrès confédéral Force ouvrière, 10-13 mai 1977, Vichy, p. 104.
71 Résolution présentée par le bureau national au 36e congrès. Archives de la CFDT, 1 G 53.
72 Note économique, n° 173, août 1979.
Auteurs
-
Michel Pigenet
Professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris 1, umr 8058 ;
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Danielle Tartakowsky
Professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris 8
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Gita Deneckere
Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Gand
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Pieter François
Aspirant au Fonds des recherches scientifiques de Flandre
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Chris Wrigley
Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Nottingham.
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L’Europe des Français, 1943-1959
La IVe République aux sources de l’Europe communautaire
Gérard Bossuat
1997
Les identités européennes au XXe siècle
Diversités, convergences et solidarités
Robert Frank (dir.)
2004
Autour des morts de guerre
Maghreb - Moyen-Orient
Raphaëlle Branche, Nadine Picaudou et Pierre Vermeren (dir.)
2013
Capitales culturelles, capitales symboliques
Paris et les expériences européennes (XVIIIe-XXe siècles)
Christophe Charle et Daniel Roche (dir.)
2002
Au service de l’Europe
Crises et transformations sociopolitiques de la fonction publique européenne
Didier Georgakakis
2019
Diplomatie et religion
Au cœur de l’action culturelle de la France au XXe siècle
Gilles Ferragu et Florian Michel (dir.)
2016