Le Trade Act de 2002 : la politique commerciale américaine à l’épreuve de la mondialisation
p. 313-322
Texte intégral
1Le 6 août 2002, le président G.W. Bush apposait sa signature au bas d’un texte de loi (P. L. 107-210) qu’il saluait comme une « victoire pour l’économie américaine ». À ses yeux, cette loi allait en effet permettre aux États-Unis de relancer la dynamique de libéralisation des échanges mondiaux et de réaffirmer leur leadership dans ce processus1. Pour certains observateurs, l’adoption par le Congrès, à la fin du mois de juillet, du Trade Act de 2002 représentait aussi une victoire pour un président qui, en janvier de la même année, dans son discours sur l’état de l’Union, avait fait de l’une des dispositions de cette loi – la reconduction de la procédure du Fast Track – une priorité pour l’année 2002. D’autres soulignaient toutefois que cette victoire, obtenue à l’arraché, au terme de seize mois de difficiles négociations, avait tout d’une victoire à la Pyrrhus, tant les conditions dans lesquelles elle fut acquise obéraient l’avenir2.
2Rétrospectivement, cette seconde analyse semble plus juste que la première. Pour le montrer, nous commencerons par évoquer le contexte dans lequel s’inscrivait le débat dont le Trade Act fut l’objet, avant d’étudier les enjeux de ce texte pour l’Administration Bush. Puis nous verrons que les conditions dans lesquelles fut acquise son adoption ne pouvaient en faire qu’un succès en trompe-l’œil.
Le contexte
3La Constitution des États-Unis (article 1, section 8) confère au Congrès tout pouvoir en matière de politique commerciale, et ce n’est qu’à partir de 1934 qu’il s’engagea dans une voie qui allait marquer durablement le fonctionnement des institutions américaines. En votant le Reciprocal Trade Agreements Act, il acceptait en effet de déléguer une partie de son pouvoir au président et l’autorisait à s’engager dans des négociations commerciales visant à un abaissement négocié des barrières tarifaires3. Bien entendu, cette délégation de pouvoir ne pouvait être que temporaire et passait nécessairement par la voie législative. Mais elle fut reconduite à onze reprises entre 1934 et 1962, et confia donc à l’exécutif une mission essentielle. À l’occasion du vote du Trade Act de 1974, une innovation importante fut introduite. Baptisée Fast Track Authority (procédure dite de la « voie rapide »), elle rendait obligatoire l’information et la consultation régulière du Congrès pendant toute la durée des négociations commerciales. En contrepartie, elle prévoyait aussi que, une fois l’accord conclu, le Congrès ne disposerait que de soixante jours pour l’approuver ou le rejeter en bloc, sans pouvoir l’amender en aucune façon.
4Cette procédure, qui fut utilisée pour le Tokyo Round, l’Uruguay Round et la négociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), peut apparaître comme d’un intérêt simplement technique. En fait, son intérêt est principalement politique : elle présente l’avantage de conforter la position de l’Administration en lui donnant une crédibilité maximale vis-à-vis des partenaires avec lesquels elle négocie. À l’inverse, une Administration qui ne dispose pas de la Fast Track Authority est très affaiblie. Ainsi, entre la fin de l’année 1994 et l’été 2002, période au cours de laquelle le dispositif ne fut pas reconduit, l’Administration se trouva dans l’incapacité de s’engager dans des négociations commerciales complexes4.
5L’accélération de la mondialisation qui avait caractérisé la dernière décennie du xxe siècle transformait cette paralysie en handicap. Elle privait en effet les États-Unis de la possibilité d’orchestrer la mondialisation, dans laquelle ils jouaient toutefois un rôle de premier plan. En effet, alors que, dans les années de prospérité d’après-guerre, la croissance américaine avait été essentiellement tirée par la demande intérieure, la part des échanges et des investissements internationaux dans le PIB s’était en effet fortement accrue à partir des années 1970. Après l’effondrement du bloc soviétique le mouvement s’était accéléré : le modèle incarné par les États-Unis n’avait plus guère de concurrent et les évolutions technologiques, tout comme les stratégies des entreprises, renforçaient leur intégration à l’économie mondiale. Au moment où ils entraient dans le xxie siècle, ils jouissaient donc d’une puissance économique incontestée. Pourtant, leur leadership ne pouvait s’exercer en dehors de la relation d’interdépendance qui les liait à leurs principaux partenaires5. Pouvoir orienter de façon significative la définition du cadre dans lequel se développait cette interdépendance était pour eux un enjeu essentiel.
6Et ce d’autant plus que si la mondialisation était souvent perçue, de l’extérieur, comme une mondialisation « à l’américaine », de nombreuses voix s’élevaient, à l’intérieur des États-Unis, pour critiquer ses méfaits, et en particulier ses effets négatifs sur les travailleurs américains et sur l’environnement6. Syndicats et écologistes en avaient même fait l’un de leurs chevaux de bataille favoris, et l’opinion publique, bien que majoritairement favorable au libre-échange, n’était pas insensible à ces arguments7. Cette inquiétude ne pouvait que s’accroître au fur et à mesure que la conjoncture économique s’assombrissait en 2001 et 2002. Après l’éclatement de la bulle Internet au printemps 2000, la croissance avait d’abord fléchi, puis l’économie était entrée en récession8. Dans ce contexte, la situation de l’emploi ne pouvait que se dégrader : entre le début de l’année 2000 et la fin de l’année 2002, l’industrie manufacturière supprima 1872000 emplois de cols bleus et le taux de chômage moyen passa de 4 % à 6 % (+ 50 %). Certes, cette dégradation n’était pas directement en rapport avec la mondialisation, mais la concomitance entre les deux phénomènes, combinée au gonflement du déficit commercial, rendait l’amalgame facile. La mondialisation devint ainsi, pour certains, le bouc émissaire responsable de toutes les difficultés auxquelles était confrontée l’économie des États-Unis9.
7La montée de cette inquiétude ne pouvait manquer de trouver une traduction politique et d’affecter l’élaboration de la politique commerciale. Si celle-ci n’avait pas constitué, de la fin de la Seconde Guerre mondiale au début des années 1990, un enjeu majeur, c’est qu’elle faisait alors l’objet d’un assez large consensus. Mais les choses changèrent du tout au tout à partir du débat sur l’ALENA, en raison de la forte médiatisation de ce débat. Ainsi, après 1994, la question de la reconduction du Fast Track cristallisa une opposition de plus en plus « partisane » (au sens américain du terme) entre deux camps qui devinrent de plus en plus soudés face à l’enjeu qu’elle représentait10. Au départ, le clivage n’était pas « partisan », en ce sens qu’il ne recouvrait pas un positionnement reflétant l’appartenance à l’un des deux partis. Mais peu à peu les adversaires du Fast Track se firent de plus en plus nombreux parmi les démocrates, tout particulièrement à la Chambre des représentants. Ses partisans se comptaient désormais essentiellement dans les rangs républicains.
8Cette « polarisation » affecta nécessairement les relations entre le Congrès et la Maison Blanche. Sous la présidence Clinton, l’Administration et les nouveaux démocrates durent en effet compter avec l’opposition au libre-échange d’élus démocrates dont l’assise électorale les liait fortement au mouvement syndical ou au mouvement écologiste. À partir des élections de mi-mandat de novembre 1994, ils durent aussi compter avec une majorité républicaine qui, si elle était elle-même majoritairement favorable au libre-échange, ne manquait aucune occasion de contrecarrer l’action du président. Cette conjonction explique l’impossibilité dans laquelle se trouva le président Clinton de rassembler une majorité « bipartisane » susceptible de voter la reconduction du Fast Track entre 1994 et la fin de sa présidence.
L’enjeu du Trade Act pour l’Administration Bush
9L’élection de George W. Bush sembla dans un premier temps ouvrir une ère nouvelle, marquée par une conjoncture plus favorable, puisque le nouveau président disposait d’une majorité au Congrès. Certes, la politique commerciale n’était pas apparue comme une priorité pour le candidat Bush pendant la campagne présidentielle de 2000, et cette impression ne se démentit pas pendant les premiers mois de son mandat. Il est à cet égard significatif que les questions économiques aient été quasiment absentes de son discours d’investiture de janvier 2001, qui fit la part belle aux valeurs et à la religion, ou encore à l’éducation, à la santé, à la réforme des retraites (Social Security) et à la défense. Le terme economy n’y est mentionné que deux fois, lorsque le président rappelle que de la bonne santé de l’économie dépend le bien-être des plus démunis et que c’est pour relancer la croissance qu’il va proposer au Congrès une diminution des impôts11. En revanche, le texte ne contient aucune référence au commerce international ou la mondialisation. Ce silence en dit long sur la volonté d’un président élu dans des conditions difficiles de ne pas évoquer un sujet polémique au moment où il s’apprêtait à demander au Congrès d’approuver des baisses d’impôts qui étaient elles-mêmes fortement controversées : non seulement les démocrates y étaient hostiles, mais une partie significative des républicains, favorable à l’orthodoxie budgétaire, ne cachait pas sa réticence à suivre le président dans une voie qui, à ses yeux, conduirait l’État fédéral à renouer avec les déficits légués par les années Reagan et à annihiler tous les efforts consentis dans les années 1990 pour assainir la situation des finances publiques.
10Une fois les baisses d’impôts votées à l’été 2001, la question du Fast Track pouvait être abordée avec moins de contraintes. Cette question était en effet loin d’être sans importance pour l’Administration. Elle conditionnait la participation crédible des États-Unis à deux négociations dont les enjeux étaient à ses yeux capitaux du point de vue économique : l’une, régionale, concernait la mise en place de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) à l’horizon 2005 ; l’autre, multilatérale, concernait le lancement d’un nouveau cycle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La normalisation des relations commerciales avec la Chine, obtenue du Congrès par le président Clinton lors de la dernière année de son mandat, ouvrait la voie à l’entrée de ce pays dans l’OMC et augmentait l’intérêt du lancement d’un nouveau cycle de négociations multilatérales.
11Les attentats du 11 septembre conduisirent, dans un premier temps, les États-Unis à chercher à resserrer leurs liens avec leurs alliés traditionnels et à en tisser de nouveaux avec des pays qui, même s’ils étaient d’anciens ennemis, ne faisaient pas partie de ce que l’Administration ne tarderait pas à baptiser l’« axe du mal ». En novembre 2001, le cycle de Doha était lancé dans une atmosphère qui contrastait avec celle qui avait caractérisé la conférence ministérielle de Seattle deux ans plus tôt. Un mois plus tard, la Chine était admise à l’OMC. En janvier 2002, le discours sur l’état de l’Union, tout entier dominé par l’évocation de la lutte contre le terrorisme, présentait la libéralisation des échanges comme partie intégrante d’une stratégie géopolitique visant à conforter l’union du monde libre face à la menace terroriste12.
12La lecture de l’Economic Report of the President, publié annuellement, met en lumière la continuité de la position des Administrations successives en matière de politique commerciale. On n’y relève pas de différences fondamentales entre le discours tenu sous l’Administration Clinton et celui que tient l’Administration Bush. Dans les deux cas, le discours est sous-tendu par l’idée que la libéralisation des échanges est bonne pour les États-Unis et qu’il importe donc de faciliter ce processus13. Le chapitre 7 du rapport de 2002, intitulé Supporting Global Economic Integration souligne ainsi (p. 251) que « les bénéfices que les Américains retirent de leur interaction avec d’autres pays sont énormes ». Il relève par ailleurs qu’il subsiste encore des obstacles au libre-échange et qu’il importe que les États-Unis puissent jouer un rôle de premier plan dans leur élimination14. Or ce leadership sera d’autant plus fort que les partenaires des États-Unis auront l’assurance que les positions défendues par les représentants de l’Administration à la table de négociation jouissent d’un soutien inconditionnel du Congrès.
13C’est précisément là que se situe l’enjeu de l’adoption du Trade Act.
Une victoire obtenue à l’arraché
14Présentée dans sa version initiale à la commission des Voies et des Moyens de la Chambre des représentants le 10 mars 2001, soit moins de trois mois après l’entrée en fonction de G.W. Bush, la version finale de la Public Law 107-21015 ne fut approuvée par le Sénat que le 1er août 2002. Il fallut donc près de 17 mois au Congrès pour accorder au président la Trade Promotion Authority16. Sans revenir sur le détail du contenu des différentes versions du projet de loi qui furent soumises à la Chambre, puis au Sénat17, situons les forces en présence.
15La composition du 107e Congrès, qui siégea de janvier 2001 à décembre 2003, présentait une configuration très particulière. Si les républicains étaient majoritaires à la Chambre (ils disposaient de 221 sièges, contre 211 aux démocrates), les démocrates disposaient d’une majorité d’une voix au Sénat18. En conséquence, pendant la période qui nous intéresse ici, la commission des Voies et des Moyens et la sous-commission sur le Commerce de la Chambre étaient présidées par des républicains – respectivement William M. Thomas et Philip M. Crane –, tandis que la présidence de la commission des Finances du Sénat revenait au démocrate Max Baucus19. L’issue des votes décisifs dont le projet de loi fut l’objet montre en outre que si son adoption fut acquise à une très large majorité au Sénat, celle-ci se joua à une voix à la Chambre.
Résultat des votes sur les différentes versions du projet de loi au Congrès

Source : Chambre des représentants et Sénat.
16Si le camp républicain pouvait, en effet, compter sur une majorité de représentants favorables au projet, celui-ci n’y faisait toutefois pas l’unanimité (194 de ses membres finirent par l’approuver et 21 s’y opposèrent). Contrairement aux apparences, l’Administration ne disposait donc pas du soutien d’un nombre de représentants suffisant pour assurer l’adoption du texte. Pour obtenir la majorité de voix requises, la stratégie républicaine fut double. Elle consista d’une part à élargir au maximum le soutien au projet de loi dans son propre camp, et d’autre part à gagner un nombre suffisant de voix dans le camp démocrate pour compenser celles qui lui feraient défaut chez les républicains.
17Cette configuration politique explique l’adoption de mesures destinées à affaiblir la résistance de ceux qui, dans les rangs républicains, étaient les plus tièdes vis-à-vis du Fast Track, notamment parce qu’ils craignaient qu’un soutien à ce dispositif ne leur coûte des voix déterminantes pour leur réélection en novembre 2002. La méfiance vis-à-vis de la libéralisation commerciale est traditionnellement forte dans les États dont l’économie est très dépendante des exportations agricoles et dans ceux où les industries traditionnelles, intensives en main-d’œuvre, sont très exposées à la concurrence internationale. La loi agricole (U.S. Farm Security and Rural Investment Act) adoptée en mai 2002 trouve ici sa principale justification : elle augmentait de façon très significative les subventions de l’État fédéral à l’agriculture, et ce pour une période allant au-delà de celle pour laquelle la Trade Promotion Authority était, dans le même temps, demandée20. Peu de temps auparavant (mars 2002), se fondant sur les conclusions d’une enquête menée par la commission du Commerce international (U.S. International Trade Commission), le président avait décidé d’imposer un relèvement temporaire des droits de douane sur les importations de certaines catégories d’acier. Cette décision, clairement favorable aux intérêts du lobby sidérurgiste, était censée apporter quelques voix supplémentaires au Trade Act.
18Le camp démocrate était quant à lui majoritairement opposé à la reconduction du Fast Track. À côté de raisons de principe, jouaient ici des considérations tout aussi politiciennes et électoralistes que celles qui déterminaient la position de certains élus républicains. L’espoir de reconquérir une majorité à la Chambre lors des élections de novembre 2002, combiné à la volonté de ne pas renforcer la position d’un président dont l’image auprès de l’opinion publique s’était fortement améliorée depuis le 11 septembre21, poussaient le Démocratie Caucus à s’aligner sur les positions adoptées par l’AFL-CIO et la nébuleuse d’associations hostiles au libre-échange22. Ainsi, seule une minorité de démocrates restait favorable au Fast Track. Ils choisirent de focaliser leur combat sur l’inclusion dans la loi de dispositions qui amélioreraient significativement le programme d’aide aux victimes de la libéralisation des échanges (Trade Adjustment Assistance)23. Cette position s’inscrivait dans la continuité de celle qu’avait longtemps défendue une majorité d’élus démocrates24.
19La structuration du texte du Trade Act en différentes « divisions25 » reflète bien le compromis dont il résulte. Compromis entre une majorité d’élus républicains et une minorité d’élus démocrates, minorité particulièrement restreinte parmi les représentants. Aux termes de ce marché, la TPA fut adoptée en échange d’une amélioration du dispositif du TAA26. Les conditions dans lesquelles il fut conclu ne pouvaient toutefois que porter préjudice à la mise en œuvre de la stratégie de l’Administration.
Un succès en trompe-l’œil
20Étant donné les concessions accordées aux agriculteurs, aux sidérurgistes et à l’ensemble des salariés qui bénéficiaient désormais d’une meilleure assistance s’ils perdaient leur emploi du fait de la libéralisation des échanges, le fait que le vote du Trade Act n’ait été acquis qu’à une voix de majorité à la Chambre ne peut manquer de retenir l’attention. Il révèle l’ampleur du recul de la cause du libre-échange au sein de la classe politique américaine et l’étroitesse de la marge de manœuvre dont jouissait l’Administration Bush. La campagne orchestrée par les groupes de pression hostiles au libre-échange, au premier rang desquels l’AFL-CIO, avait donc porté ses fruits. Certes, le Trade Act ne comportait pas, comme ils l’auraient souhaité, des dispositions contraignant l’Administration à exiger que tout accord commercial signé par les États-Unis comporte des clauses protégeant les droits des travailleurs et l’environnement. Certes, les nouvelles règles du Trade Adjustment Assistance n’étaient pas aussi généreuses qu’ils l’avaient demandé en matière de couverture médicale des chômeurs couverts par le dispositif. Ces mesures s’étaient heurtées à l’opposition de la majorité républicaine à la Chambre. Mais l’essentiel était ailleurs : il était désormais fort douteux que l’Administration Bush puisse faire aboutir les négociations commerciales qui l’avaient conduite à solliciter le renouvellement du Fast Track.
21En effet, les partenaires des États-Unis furent plus sensibles à la difficulté avec laquelle l’Administration obtint le feu vert du Congrès qu’à la prétendue « victoire » du président. Ils ne purent par ailleurs que constater l’écart entre le discours des responsables américains et leurs actes – et l’effet du relèvement des droits de douane sur les importations d’acier, puis du Farm Bill, fut à cet égard particulièrement désastreux. Ces mesures ne pouvaient qu’entamer la crédibilité américaine au moment où s’engageait une négociation multilatérale baptisée « cycle du développement », qui allait voir l’affrontement traditionnel entre les États-Unis et l’Europe se doubler d’un affrontement Nord-Sud, alimenté par l’action de pays émergents comme le Brésil ou l’Inde. Bien avant la suspension de ces négociations à l’été 2006, certains observateurs avaient prévu l’impasse dans laquelle cette incohérence de la politique américaine allait conduire le Doha Round et la négociation de la ZLEA27. L’histoire ne les a pas démentis.
22L’analyse de cet épisode de l’histoire intérieure des États-Unis est donc riche d’enseignements. Il permet d’éclairer les difficultés auxquelles la mondialisation confronte l’élaboration de la politique commerciale américaine et, par voie de conséquence, le rôle que les États-Unis peuvent jouer dans le concert des nations.
Notes de bas de page
1 À ses yeux, en effet, ce texte allait stimuler la croissance et la création d’emplois, mais aussi redonner aux États-Unis un leadership qu’ils avaient perdu depuis la fin de l’année 1994 à la table de négociations (Starting now, America is back at the bargaining table in full force). White House, Office of the Press Secretary, « President signs Trade Act of 2002. Remarks by the President at Signing of the Trade Act of 2002 », 6 août 2002 : http://www.whithouse.gov/news/relaeases/2002/08/print/20020806-4.html.
2 Voir J.J. Schott, « US Trade Policy : Method to the Madness ? », revised version of paper prepared for the International Affairs Institute, Rome, Italy, October 11, 2002. P.G. Peterson Institute for International Economies : http://www.petersoninstitute.org/publications/print.cfm?doc=pub&ResearchID=482.
3 Les effets négatifs de l’adoption du Smoot-Hawley Tariff de 1930 étaient alors perceptibles et aggravaient l’ampleur de la crise de 1929. Rompre avec le protectionnisme apparaissait comme une source d’avantages potentiels pour les États-Unis.
4 Par « complexes », nous entendons ici des négociations portant sur un champ très vaste et impliquant un grand nombre de partenaires aux intérêts différents.
5 Voir M. Azuelos, « L’économie américaine à l’aube du xxie siècle : les paradoxes d’un leadership reconquis », dans Pax Americana. De l’hégémonie au leadership économique, M. Azuelos dir., Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1999, p. 161-187.
6 L’ampleur et la violence des manifestations qui se déroulent à Seattle en novembre 1999 au moment de la tenue du sommet de l’OMC à l’issue duquel devait être lancé le « cycle du millénaire » en sont une bonne illustration.
7 Voir University of Maryland, Program on International Policy Attitudes, « Americans on Globalization : A Study of Public Attitudes », mars 2000 : http://www.pipa.org/OnlineReports/Globalization/AmericansGlobalization_MarOO_rpt.pdf.
8 Cette récession dura 8 mois, de mars à novembre 2001.
9 Voir G. Burtless et al., Globaphobia : Confronting Fears about Open Trade, Washington (D.C.), Brookings Institution, Progressive Policy Institute, 1998.
10 Voir I.M. Destler, American Trade Politics, Washington (D.C.), Institute for International Economies, nouvelle édition 2005, troisième partie.
11 If we permit our economy to drift and decline, the vulnerable will suffer most […]. And we will reduce taxes, to recover the momentum of our economy and reward the effort and enterprise of working Americans : President George W. Bush’s Inaugural Address, 20 janvier 2001 : http://www.whitehouse.gov/news/inaugural-address.html.
12 In this moment of opportunity, a common danger is erasing old rivalries. America is working with Russia and China and India, in ways we have never before, to achieve peace and prosperity. In every region, free markets and free trade and free societies are proving their power to lift lives. Together with friends and allies from Europe to Asia, and Africa to Latin America, we will demonstrate that the forces of terror cannot stop the momentum of freedom, White House, « The President’s State of the Union Address », 29 janvier 2002 : http://www.whitehouse.gov/news/releases/2002/01/20020129-11.html.
13 Voir, par exemple, le chapitre 4 du dernier rapport transmis par l’Administration Clinton (janvier F2001) et le chapitre 7 du premier rapport transmis par l’Administration Bush (février 2002).
14 To ensure that economic integration continues, constant attention must be devoted to the institutional infrastructure that supports market-based exchanges of goods, services, and capital. The past year has witnessed signs of a slowing global economy, as well as violent threats to the freedom that is essential to a well-functioning economic System. […] It is therefore critical that the United States remain an active leader in the continued liberalization of trade in goods and services, both on a bilateral and on a multilateral basis. [...] Strong U.S. Leadership [...] will help safeguard and enhance both our own economic prospects and those of the rest of the world : Economic Report of the President, transmitted to the Congress together with the Annual Report of the Council of Economic Advisers, Washington (D.C.), U.S. Governement Printing Office, février 2002, p. 300.
15 United States Public Laws, 107th Congress, 2nd Session, Public law 107-210, Trade Act of 2002 (H.R. 3009), 6 août 2002 : http://frwebgate.access.gpo.gov/cgibin/getdoc.cgi?dbname=107_cong_bills&docid=f:h3009enr.txt.pdf.
16 On peut s’interroger sur les raisons qui ont conduit l’Administration à rebaptiser ainsi la procédure du Fast Track. Elles sont sans doute à mettre en rapport avec la volonté de « positiver » la valeur d’un dispositif qui, en raison de sa technicité, pouvait apparaître éloigné des préoccupations de la plupart des citoyens ou dont la connotation avait été ternie par la campagne menée par la coalition « anti-Fast Track ». Voir, par exemple, AFL-CIO, « Coalition of 135 Groups Voice Opposition to Fast Track Letter to Senate Calls Push for Fast Track Backwards-Looking” », 6 mai 2002 : http://www.aflcio.org/mediacenter/prsptm/pr05062002.cfm?RenderForPrint=1.
17 Pour une analyse détaillée, voir I.M. Destler, American Trade Politics…, op. cit., chapitre 11 et Appendix A. Tous les documents relatifs à cette procédure législative sont accessibles sur le site de la bibliothèque du Congrès, à l’adresse : http://thomas.loc.gov/cgi-bin/bdquery/z?d107:h.r.03005.
18 À l’issue des élections de novembre 2000, la répartition des sièges s’établissait à 50-50. La voix décisive du vice-président Dick Cheney, président du Sénat, permit aux républicains d’avoir une majorité du 20 janvier au 24 mai 2001, date à laquelle la défection du sénateur du Vermont, James Jeffords, redonna la majorité aux démocrates.
19 C’est à ces deux commissions et à cette sous-commission qu’il revenait d’examiner le projet de loi avant qu’il ne soit discuté en séance plénière.
20 Voir J.J. Schott, « US Trade Policy… », art. cité.
21 Le pourcentage d’opinions favorables au président, qui s’était situé entre 54 et 59 % de février à août 2001, atteint 87 % en octobre 2001 et est encore de 75 % en avril 2002.
22 Voir AFL-CIO, « Coalition of 135 Groups… », art. cité.
23 Sur ce dispositif, instauré en 1962, au moment où l’Administration Kennedy essayait d’obtenir du Congrès le vote de la loi commerciale qui allait lui permettre de s’engager dans la négociation du Kennedy Round, voir M. Azuelos, « Mondialisation économique et politique sociale aux États-Unis : réflexion sur le dispositif du Trade Adjustment Assistance », dans Marginalité et politiques sociales, T. Djebali, B. Raoulx dir., à paraître aux Presses de l’université de Caen.
24 Voir H. Rosen, « Reforming Trade Adjustment Assistance : Keeping a 40-Year Promise », Institute for International Economies, communication présentée au colloque organisé par l’IIE sur le thème « Trade Policy in 2002 », 26 février 2002, p. 1 : http://www.iie.com/publications/papers/rosen2002.htm.
25 Cette structuration est la suivante : division A : Trade Adjutment Assistance, Trade Adjustment Reform Act of 2002 ; division B : Bipartisan Trade Promotion Authority ; division C : Andean Trade Preference Act ; division D : Extension of Certain Preferential Trade Treatment ; division E : Miscellaneous Provisions.
26 Sur l’importance des avancées concernant le Trade Adjustment Assistance aux yeux de la minorité démocrate qui approuva le texte, voir Max Baucus, « Statement of Chairman Max Baucus Trade Bill of 2002 », U.S. Senate, Committee on Finance, 1er août 2002 : http://finance.senate.gov.
27 Voir J. Schott, « US Trade Policy… », art. cité. Lael Brainard et Hal Shapiro évoquaient dès décembre 2001 la vanité des manœuvres de l’Administration Bush dans sa quête du Fast Track, qu’ils qualifiaient de « Moby Dick de la politique commerciale américaine », voir Brookings Institution, « Fast Track and Trade Promotion Authority », Policy Brief, n° 91 (décembre 2001), p. 1.
Auteur
Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III, CERVEPAS.
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