1L’« exubérance » nouvelle de l’État1, du fait des besoins entraînés par la mobilisation militaire et civile en 1914, se traduisit en France par la définition inédite d’une véritable politique du commerce extérieur, destinée à soutenir la transformation et le développement de l’économie française, et à asseoir la puissance française sur les marchés étrangers. La prise en compte des impératifs commerciaux par la diplomatie française dans la définition de sa stratégie de reconstruction européenne n’alla pas de pair avec une réflexion approfondie sur les moyens et les structures aptes à soutenir cette stratégie. Lorsque cette réflexion émergea, il était dans une certaine mesure déjà trop tard : trop tard par rapport aux réformes engagées par le grand rival britannique, et trop tard par rapport aux mesures annoncées par le ministère du Commerce. De fait, la rue de Grenelle se révéla la seule administration alors capable d’exprimer une vision d’ensemble de la politique économique extérieure. Cette vision fut incarnée par un homme : Étienne Clémentel, devenu le 29 octobre 1915 ministre du Commerce et de l’Industrie, dans le gouvernement formé par Aristide Briand. Loin d’être un inconnu de la classe politique française, Clémentel s’était imposé depuis une bonne décennie comme un fin connaisseur des questions douanières et financières2. La politique internationale le mobilisa d’emblée ; dans une lettre adressée à Briand, le 20 décembre 1915, il engagea le processus qui conduisit à la tenue, du 13 au 17 juin 1916, de la conférence économique interalliée destinée à mettre en œuvre une politique anti-allemande commune, mais aussi à définir les cadres qui permettraient de poursuivre la coopération entre les Alliés au lendemain de la guerre3. La pensée et l’action de Clémentel ne dissociaient pas les deux versants de la politique économique : sa politique internationale se voulait un instrument de transformation et de développement de l’économie française. Sa contribution fut « de plonger un programme économique qui est d’abord et brutalement anti-allemand dans une vision planétaire libérale et "moderniste" ; et ensuite – et ce fut sans doute le plus durable – de relier ce programme à l’origine à peu près strictement défensif à un projet de développement de l’économie française4 ». En d’autres termes, il avait pour vision la mise en place d’un dispositif permettant une discrimination économique réelle de l’Allemagne, mais qui ne s’incrivît pas dans le cadre général d’une politique protectionniste. Le but poursuivi par Clémentel était de permettre aux entreprises françaises de s’insérer dans la compétition internationale et de doser, par l’instrument douanier, le niveau de protection souhaitable de chaque secteur de l’économie. Sa conviction libérale était celle d’un libéral « réglé », médian, au sens où Francis Démier a défini la notion à partir de l’examen de l’idéologie sous-tendant l’action de la chambre de commerce de Paris dans le premier xix^e siècle5 : un libéralisme raisonné, pragmatique, modulant les effets du marché, qui entendait continuer à protéger le développement de certaines entreprises, mais surtout stimuler la croissance et l’esprit de concurrence du plus grand nombre. Ou encore celle d’un libéral « organisé », pour reprendre l’expression mise en valeur par G.-H. Soutou et appliquée en l’occurrence à Henri Hauser, le proche collaborateur de Clémentel sur ces dossiers, avec lequel il partageait notamment l’idée d’une nécessaire régulation du commerce des matières premières6.

2La réflexion des services du ministère fut sensiblement nourrie pendant la Première Guerre mondiale par l’observation des efforts analogues entrepris à l’étranger. Cette vigilance n’était pas une nouveauté. Bien avant la guerre, de nombreuses publications avaient attiré l’attention sur les faiblesses structurelles du commerce extérieur français face aux atouts de ses concurrents, en particulier les Allemands7. La relance du dispositif allemand d’expansion économique pendant le conflit n’échappa pas au nouveau ministre du Commerce8. Mais, à côté de l’observation du modèle allemand, le modèle britannique devenait la référence privilégiée. De leur côté, les quelques attachés commerciaux en poste à l’étranger avaient réagi avec rapidité à la relance de l’activité commerciale des concurrents de la France et multiplié les notes alarmistes9. Aussi, lorsque le ministère du Commerce et le Quai d’Orsay commencèrent à réfléchir, dès avant la guerre, puis ensemble durant le conflit, à la manière d’améliorer et d’étendre le système existant, les avis exprimés tinrent-ils nettement compte des expériences étrangères et, en premier lieu, de l’expérience britannique, qui, si l’on en juge d’après l’épaisseur des dossiers constitués10, avait fait l’objet de l’examen le plus poussé, loin devant les exemples allemand, américain et belge. Le « jeu d’influences contradictoires et réciproques11 » développé entre la Grande-Bretagne et la France dans d’autres domaines s’enrichit dès lors de ces échanges relatifs à l’action extérieure des États. Dans les deux pays, le dualisme administratif en matière de gestion de l’information économique extérieure préexistait à la guerre. Chacun y apporta une réponse différente, reflet d’une tradition culturelle comme de la prise en compte des demandes émergeant de la société civile.

Les leçons de l’expérience britannique

Traditions culturelles et réponses administratives

3Comme en France, la guerre de 1914-1918 remit en cause, en Grande-Bretagne, la prépondérance du ministère des Affaires étrangères dans l’élaboration de la politique extérieure et permit à d’autres départements, comme à d’autres acteurs, d’exprimer leur prétention à intervenir dans le processus. Dans les années 1920, le problème persistant des réparations allemandes et des dettes de guerre, le désordre monétaire, la politique douanière conduisirent, de ce côté-là de la Manche également, « le Trésor, le ministère du Commerce et la Banque d’Angleterre à jouer un rôle considérable dans les relations extérieures britanniques12 ». Entraînant l’abolition de la frontière entre politique intérieure et politique extérieure, élargissant le contenu des politiques étrangères, la guerre suscita d’inévitables chevauchements de compétences et des efforts parallèles et nouveaux de coordination des actions des différents départements ministériels concernés. Il en résulta une immédiate perte d’influence du Foreign Office au profit du Cabinet, qui, sous la férule de David Lloyd George, qui ne tenait pas les diplomates en haute estime, s’imposa, jusqu’en octobre 1922 et au départ du Premier ministre, comme le principal centre de coordination de la politique étrangère. Ce recul fut dû principalement à l’incapacité du Foreign Office à maîtriser les données économiques du conflit et de l’après-guerre13. Comme en France, le mépris pour tout ce qui paraissait relever de l’intendance y régnait et, à l’origine, la fonction commerciale était exercée par les consuls. Service distinct du service diplomatique, les qualificatifs qui lui étaient accolés : « Cendrillon », « belle-fille (ou beau-fils) », etc., reflétaient assez le niveau inférieur dans lequel on tenait cantonné le service consulaire14. Pour Harold Nicholson, que cite David Platt, le refus d’abaisser le diplomate au rang de voyageur de commerce traduisait la volonté de rompre avec la vieille tradition vénitienne selon laquelle les diplomates britanniques au Levant et en Extrême-Orient étaient à l’origine des agents de la Compagnie du Levant ou de la Compagnie des Indes occidentales15. L’ancien attaché commercial Francis Oppenheimer confirma cet état d’esprit dédaigneux en évoquant l’attitude du secrétaire général du Foreign Office pendant la guerre : « Lord Hardinge [...] animé par l’esprit de l’ancienne diplomatie, voyait dans le négoce et le commerce quelque chose de sordide16. » L’administration centrale disposait certes, depuis 1865, d’un Commercial Department, et, au nom du principe de l’unicité de la représentation extérieure britannique, tant les services consulaires17 que le Service des attachés commerciaux lui étaient rattachés (Consular et Commercial Attachés Service). Mais en réalité, l’essentiel du travail de traitement et de diffusion de l’information économique comme l’aide apportée aux entrepreneurs et à la promotion des produits britanniques étaient assurés par le ministère du Commerce (Board of Trade). Comme dut le reconnaître sir Victor Wellesley, Controller of Commercial and Consular Affairs de 1916 à 1919, qui avait grandi en Allemagne et y avait été par la suite attaché commercial18, le département commercial du Foreign Office faisait office de « bureau de poste pour le ministère du Commerce pour les affaires de tous les jours et était l’éditeur indifférent de rapports commerciaux19 ».

4À la différence de l’état d’esprit existant en France, il y avait un consensus entre les pouvoirs publics et les entrepreneurs sur le fait que les affaires commerciales relevaient de la sphère privée des négociants20. Les chambres de commerce britanniques n’entretenaient pas avec l’État la relation ambivalente des institutions consulaires françaises. « La suggestion la plus pratique destinée aux négociants britanniques [...] était "Faites vos propres affaires"21. » Cet état d’esprit resta celui de la majorité des industriels britanniques jusqu’à la guerre et motiva d’ailleurs leur hostilité à toute organisation patronale22. La seule compétence étatique qui fut donc développée au xix^e siècle fut la collecte et la diffusion de l’information économique, ce que les Britanniques appelaient : « Commercial Intelligence23 ». Son traitement fut confié au ministère du Commerce, le Board of Trade (BOT), au sein duquel un Statistical Department avait été fondé en 183224. La montée en puissance du BOT avait accompagné le grand mouvement de réforme tarifaire (abolition des corn laws), engagé en 1823, qui conduisit à l’instauration du libre-échange en 1846. Il devint la principale centrale d’information économique sur l’extérieur, participant de la construction progressive d’un système précurseur d’intelligence économique où l’administration et les entreprises allaient travailler en synergie25. À partir des années 1880, il renforça les moyens dont il disposait pour diffuser l’information, remaniant le Board of Trade Journal en 1886, créant une Commercial Intelligence Branch en 1899, et traitant les informations envoyées par les premiers attachés commerciaux ainsi que par les nombreuses missions commerciales qui sillonnèrent les quatre coins du monde à partir du début du xx^e siècle26. Enfin, au tournant du siècle, il mit sur pied un réseau d’attachés commerciaux d’un type particulier, qui commença à quadriller l’Empire : les commissaires commerciaux des dominions (Trade Commissioners in the Overseas Dominions), dont la création avait été proposée par la Royal Commission on the Depression of Trade and Industry dès 188627. Ils furent précédés par des « correspondants », nommés en Afrique du Sud en 1903 et en Australie en 1906. À la suite de la Conférence coloniale de 1907, des Trade Commissioners furent envoyés en 1908 dans les Dominions pour y appuyer les entrepreneurs britanniques alors que les Français ne disposaient d’aucun réseau d’agents commerciaux dans leurs propres colonies28. Alors au nombre de quatre, ils étaient basés à Montréal, Melbourne, Wellington et au Cap. Certains dominions, comme le Canada dès 1892, avaient par ailleurs désigné leurs propres commissaires commerciaux dans diverses parties de l’Empire et à l’étranger29. Malgré la puissance du BOT, le Foreign Office parvint néanmoins à maintenir son emprise sur les réseaux diplomatiques classiques pourvoyeurs de l’information : celui des consuls comme celui des attachés commerciaux. Le premier attaché commercial britannique, en la personne de sir Joseph A. Crowe, fut nommé à Berlin en 1880.

5Une réforme de fond de l’appareil diplomatique fut réclamée pendant tout le conflit, tant par la haute administration que par l’opinion publique30. Très conscient de l’impréparation tant économique que militaire de la Grande-Bretagne, comme de ses propres défaillances, le Foreign Office participa à ce premier mouvement qui devait par ailleurs déboucher sur d’utiles restructurations31. Mais il dut aussi affronter l’offensive développée en juin 1916 par Walter Runciman, président du Board of Trade. Elle avait pour objectif de résoudre le problème de la dualité de contrôle de l’information économique extérieure en intégrant le Service des attachés commerciaux du Foreign Office au Service, élargi, des commissaires commerciaux, dirigé par le BOT, et de transférer également le Service consulaire au même BOT32. Pour le Foreign Office, cette réorganisation de la représentation commerciale extérieure faisait naître le spectre de la division de la représentation britannique à l’étranger. Or, le principe de l’unité d’action demeurait un tabou pour la diplomatie britannique comme il l’était pour la diplomatie française. En revanche, le Foreign Office était tout à fait disposé à laisser au BOT les fonctions commerciales d’appui et de promotion des exportations, et il sut négocier habilement cette partition33. Pour parer au danger, il mit sur pied des comités (Crowe Committee, Faringdon Committee, etc.) intégrant des représentants des milieux d’affaires, alors qu’en France la promotion de la concertation dans la sphère diplomatique fut le fait du ministère du Commerce et de l’Industrie. Le Foreign Office soutint les efforts de la nouvelle génération d’hommes d’affaires, qui appuyaient les initiatives de Lloyd George, et pour lesquels la coopération entre les industriels et le gouvernement devait se poursuivre et être le fondement de la reconstruction économique de l’après-guerre. Il encouragea en particulier les efforts de Frank Dudley-Docker, président de Metropolitan Carriage, Wagon and Finance Co. qui, en 1916, rassembla les industriels d’une centaine de firmes, « la plupart, comme lui, représentant les industries mécaniques des Midlands », en une Fédération des industries britanniques ou Federation of British Industries (FBI)34. La nouvelle FBI connut un succès rapide et s’imposa comme la fédération patronale la plus représentative de Grande-Bretagne : elle était composée d’entrepreneurs présents à titre individuel, de firmes et de groupements de firmes ou de groupements professionnels35. Quelles qu’aient été leurs critiques passées, les hommes d’affaires britanniques « appuyèrent avec force la revendication du Foreign Office de contrôler un service d’intelligence économique unifié et étendu. [...] avec l’affermissement récent du Service des attachés commerciaux et les compétences diplomatiques, le prestige unique du ministère, les hommes d’affaires continuaient à le regarder comme le plus puissant défenseur des intérêts britanniques à l’extérieur36 ». Devant la résistance du BOT et sa volonté de concentrer tant les fonctions d’informateur que les fonctions commerciales, une solution de compromis se dégagea progressivement des discussions qui intervinrent entre lord Robert Cecil, sous-secrétaire d’État parlementaire pour les Affaires étrangères, et le nouveau président du BOT, sir Albert Stanley : la création d’un ministère commun. Celui-ci fit l’objet d’une proposition conjointe des deux hommes au Cabinet, le 14 août 1917, proposition adoptée le lendemain et qui conduisit à la nomination d’Arthur Steel-Maitland, en tant que sous-secrétaire d’État parlementaire pour les Affaires étrangères, à la tête du nouveau ministère du Commerce extérieur, ou Department of Overseas Trade (DOT), le 14 septembre 1917. Il était responsable à la fois devant le Foreign Office et devant le BOT.

6Cette nouvelle administration de nature hybride concentrait dorénavant tant la partie relative à la collecte de l’information que celle relative à sa diffusion, jusque-là partagée entre les deux ministères. Les Services consulaires et le Service des attachés commerciaux continuèrent à être responsables devant le Foreign Office, mais par l’intermédiaire du DOT. La gestion des fonctions commerciales des consuls et celle des attachés commerciaux furent assurées par le DOT. En septembre 1919 enfin, le Board of Trade, soutenu par le Cabinet, obtint que le DOT fût installé dans ses locaux dans la City. Dès lors, le temps des grandes réformes relatives aux structures administratives de la diplomatie commerciale était passé37. En 1919-1920, le Board of Trade reposait dorénavant sur trois divisions, dirigée chacune par un secrétaire d’État parlementaire et un chef permanent. En l’occurrence, la division « Commerce extérieur » correspondit au Department of Overseas Trade. Le DOT était dirigé par un contrôleur général, sir William Clark, qui assura la continuité par-delà les passages de secrétaires parlementaires plus ou moins éphémères. Il était administré par le BOT en tant que division de celui-ci, mais son budget était autonome38. La mission première du nouveau ministère fut la réorganisation du réseau des attachés commerciaux. En 1914, celui-ci était déjà plus dense que le réseau français : il y avait huit attachés commerciaux dépendant du Foreign Office, auxquels s’ajoutaient les commissaires commerciaux. Ce qui fit la spécificité de la réforme britannique fut en fait la rapidité de son application et la croissance rapide du nombre des attachés. Au 1^er avril 1918, dix-huit nouveaux postes virent s’ajouter aux dix existants39. Dès 1919, année où Clémentel obtint le vote de sa grande loi, l’Angleterre avait distancé nettement la France en nombre de représentants à l’extérieur. Il y eut à cette date un décrochage indéniable entre les deux pays. En janvier 1919, douze postes avaient été pourvus et parmi eux : quatre conseillers commerciaux : Addison à Paris, Capei Cure à Rome, Fox à Shanghai et Crowe à Yokohama40. En mai 1919, ils étaient dorénavant au nombre de trente, dont six conseillers commerciaux. Une nouvelle hiérarchie avait en effet été créée pour structurer le réseau des nouveaux attachés41, ou « diplomates commerciaux » (Commercial Diplomatic Officers) du Commercial Diplomatic Service. Elle comprenait des conseillers commerciaux (Commercial Counsellors), suivis de secrétaires commerciaux (Commercial Secretaries) de 1^re, 2^e et 3^e classes. Le recrutement était assuré par un comité de sélection mixte comprenant à côté des fonctionnaires des représentants de l’Association des chambres de commerce et de la Fédération des industries britanniques42. Sur les quarante-quatre conseillers et secrétaires commerciaux nommés en novembre 1920, cinq faisaient partie de la première génération d’attachés, seize étaient des consuls, un était membre du corps diplomatique, trois issus du Home Service et dix-neuf des milieux d’affaires43. Les trente attachés étaient répartis de la manière suivante : six conseillers commerciaux (en France, en Italie, en Russie, aux États-Unis, en Chine et au Japon), sept secrétaires de 1^re classe, douze secrétaires de 2^e classe et cinq secrétaires de 3^e classe44. Le statut de diplomate, assorti d’un rang précis dans la hiérarchie diplomatique, leur avait été immédiatement conféré. Les traitements afférents étaient très importants et firent l’envie de leurs homologues français45.

7Au sortir de la guerre, le DOT prit l’initiative d’organiser deux grandes séries de réunions destinées à améliorer l’activité des Trade Commissioners et des Commercial Diplomatie Officers. La conférence rassemblant les Trade Commissioners s’ouvrit de manière très symbolique le lendemain de l’armistice, le 12 novembre 1918. Dix nouveaux commissaires commerciaux avaient été nommés afin d’étendre leur présence aux autres territoires coloniaux : Indes, Indes occidentales et Afrique orientale britanniques46. Ils étaient en majorité issus des milieux d’affaires. L’allocution d’ouverture marqua le passage de relais qui devait s’effectuer du champ militaire au domaine économique : « Nous nous rencontrons au matin de l’événement le plus heureux et le plus capital de l’histoire de l’Empire britannique. [...] Toutes nos énergies doivent maintenant se tourner du tumulte de la guerre vers le champ du développement et de l’expansion de notre commerce avec les marchés extérieurs [...]47. » Estimant que cette réunion avait produit d’heureux résultats, le DOT décida, deux ans plus tard, de réunir les attachés commerciaux britanniques. Sept réunions furent organisées au DOT en novembre 1920. Elles rassemblèrent des fonctionnaires du DOT, les attachés en poste à l’étranger, comme James Addison, le conseiller commercial à l’ambassade de France. Elles permirent de remettre en cause l’utilité des sacro-saints rapports annuels et trimestriels d’activité dont tout diplomate s’était fait une spécialité. En ce qui concernait l’information économique, les conseillers britanniques en France et en Chine étaient conscients des limites de leur travail. « Je pourrais écrire un rapport demain sur la France, déclara Addison, Si vous lisiez le Times, vous n’auriez pas besoin de lire mon rapport. » Ce que confirma Fox : « On a critiqué le fait que certains rapports envoyés par des conseillers commerciaux contenaient des éléments qui sont fournis par des experts spécialisés dans certaines affaires. Une fois, un gentleman a reçu du DOT l’extrait d’un rapport qu’il avait lui-même écrit48. » Les limites du travail d’informateur que pouvait réaliser le diplomate étaient ainsi soulignées de manière très précoce, face au constat lucide de l’émergence d’autres sources d’information comme la presse ou les groupements patronaux, qui pouvaient recueillir l’information de manière plus spontanée ou directe auprès des entrepreneurs. Les diplomates commerciaux britanniques n’hésitaient donc pas à désacraliser des études qui fondaient la légitimité de leur action quotidienne...

8Le décrochage signalé entre l’Angleterre et la France en 1919 ne doit pas laisser ignorer que, dès l’année suivante, l’austérité budgétaire imposée par le Trésor conduisit l’Angleterre à revoir en partie à la baisse ses grandes espérances. Selon les vœux du DOT, vingt-cinq nouveaux postes auraient dû être créés et porter à cinquante-cinq le nombre des attachés commerciaux. Le ministre des Affaires étrangères, lord Curzon, déplora ces restrictions qui obligèrent à limiter les nouvelles créations à neuf. Il établit la liste des neuf postes prioritaires à ses yeux : en Europe méridionale (Grèce et Serbie), en Europe centrale (Pologne, Roumanie et Bulgarie), en Scandinavie, en Sibérie, en Amérique latine (Colombie, Venezuela et Cuba) et dans les Indes néerlandaises49. D’autres réductions furent, dès cette date, envisagées, passant par la suppression de certains postes, l’allègement des dépenses estimées pour les frais d’envois postaux ou télégraphiques, ou encore la limitation des visites effectuées au Royaume-Uni50. En 1921, il y avait trente-sept postes d’attachés effectivement créés, mais six postes non encore pourvus. En fait, depuis sa création, le DOT n’avait cessé de faire l’objet de vives critiques. En 1922, le Geddes Committee alla jusqu’à proposer sa suppression. La mobilisation des milieux d’affaires fut si importante que le chancelier de l’Échiquier ne suivit pas ses conclusions et il fallut attendre la réforme initiée par Anthony Eden en 1941 pour que le Service diplomatique, le Service consulaire et le Service des attachés commerciaux fussent fusionnés51.

Les influences britanniques sur le dispositif français

9En dépit de sa complexité et de ses imperfections, le dispositif britannique suscita l’intérêt de l’administration française. Chacun allait valoriser l’aspect qui jouait en sa faveur : le Quai d’Orsay insista sur la mainmise conservée par son homologue britannique sur le réseau des diplomates commerciaux, le ministère du Commerce souligna l’importance donnée à une centrale de l’information économique. Un attaché commercial relaya l’interrogation fondamentale qui sous-tendait, là-bas comme en France, toute réforme des structures de l’action économique extérieure : « C’est [...] une question extrêmement difficile à résoudre que celle de savoir si, dans le domaine du commerce extérieur, le point de vue commercial doit l’emporter, entraînant la compétence du Board of Trade, ou si la question étrangère doit passer au premier plan, comme le demandent les partisans du Foreign Office52. » Bien qu’issu du corps diplomatique, il penchait, au contact de Clémentel, en faveur d’un renforcement du ministère français du Commerce : pour lui, le DOT, c’était l’organisme « qui correspond, vous le savez, à notre ONCE53 », centralisant la documentation économique et les échantillons de produits. C’était aussi l’opinion des hauts fonctionnaires français du ministère du Commerce, reconnaissant dans le DOT « à la fois la direction de l’expansion économique et [...] l’ONCE54 ». À l’évidence, la France devait consentir un nouvel effort pour renforcer son propre pôle d’information économique extérieure.

10La presse économique française valorisa de manière générale l’attention prêtée par les pouvoirs publics britanniques aux questions commerciales, sans entrer dans le détail des remaniements structurels. Pour le Bulletin quotidien de la Société d’études et d’informations économiques, fondé par Robert Pinot, le secrétaire général du Comité des forges, le sens de la création du DOT était évident : « Une grande importance est donnée au côté commercial. » Admiratif, il résumait : « C’est un département d’affaires au service d’hommes d’affaires », exprimant ainsi l’attente des milieux économiques français à l’égard du ministère du Commerce en ce début des années 192055. La presse généraliste souligna elle aussi l’engagement des milieux privés auprès des pouvoirs publics. En France, le Comité des forges avait soutenu l’effort de guerre et une Association nationale d’expansion économique avait été créée dès 1915 pour appuyer la reconquête des marchés extérieurs à l’initiative de la chambre de commerce de Paris, mais les milieux patronaux ne s’estimaient pas autant écoutés par les diplomates que leurs homologues britanniques56. Or, l’influence de la Fédération des industries britanniques s’expliqua, en grande partie, nous l’avons dit, par le soutien gouvernemental, et notamment par celui du Foreign Office dont les liens du Commercial Department avec les deux principaux dirigeants de la FBI, le premier directeur général Roland Nugent, et le secrétaire général Guy Locock, étaient étroits57. L’exemplarité de l’organisation britannique publique fut soulignée à diverses reprises par les responsables français, tel le ministre de France à Bruxelles qui, observant l’implantation de deux secrétaires commerciaux britanniques en plein quartier d’affaires, nota qu’« il y a là un précédent que nous aurions tout intérêt à suivre58 » ou par le ministère du Commerce lui-même qui, à la lecture d’une brochure du DOT, transmise par l’attaché commercial à Londres, estimait qu’il s’agissait d’un « exemple que nous pouvons y prendre pour la vulgarisation des nombreux services de l’expansion commerciale organisés au ministère du Commerce59 ».

11La proximité des équipes britannique et française dans le travail quotidien de coordination de l’effort de guerre effectué à Londres permit de fait aux Français de suivre de très près les débats qui eurent lieu en Angleterre sur la réorganisation de la représentation commerciale britannique. Ce furent essentiellement les hommes qui travaillèrent au sein des Services interalliés, et, précisément, au sein du Secrétariat permanent du Conseil allié des transports maritimes, créé le 3 décembre 1917 et installé à Londres60, qui observèrent avec le plus d’attention ce mouvement de réforme : Jean Monnet, délégué du gouvernement français, Jean Charpentier, chef du Secrétariat permanent, l’attaché commercial en Russie Joseph Poulpiquet du Halgouët, qui dirigeait le bureau londonien du Comité exécutif des importations, créé le 13 décembre61, le premier attaché commercial de la France à Londres Jean Périer, enfin, l’universitaire d’origine belge, Daniel Serruys, qui débuta sa carrière de fonctionnaire français d’abord dans les Services du blocus, puis au sein des Services interalliés, avant d’intégrer le ministère du Commerce. C’est lui qui, en sensibilisant Clémentel à la réforme britannique, obtint une première réforme interne du ministère français du Commerce : la création des Services de l’information économique. Il se préoccupa concrètement d’établir la liaison entre son ministre Clémentel et ses homologues anglais afin que la France suivît l’exemple britannique62. Il lui fut alors proposé de commencer à établir ce qu’il appelait son « agence d’informations » au sein du Service du contrôle et du contentieux des Services interalliés63. Dès lors, les Services de l’information économique, dont le fonctionnement et les finalités étaient calqués sur ceux des services britanniques, réfléchirent aux modalités de la relance de l’exportation64. Ils constituèrent l’embryon du ministère du Commerce modernisé que Clémentel allait, peu après, mettre sur pied.

12Le second apport britannique concerna la nature d’une future banque du commerce extérieur. En France, le débat s’était poursuivi pendant la guerre sous l’impulsion du Comité national des conseillers du commerce extérieur65. Devenu ministre du Commerce, Étienne Clémentel se montra favorable d’emblée à l’étude de la question, puis, lors d’une réponse faite à Léon Barbier au Sénat, le 1^er février 1917, s’engagea en faveur de l’intervention de l’État. La question n’était pas propre à la France : au sortir de la guerre, tous les États se la posèrent. La Grande-Bretagne en faisait, au même moment, un élément décisif pour tenter d’occuper en Europe centrale la place laissée vacante par l’Allemagne. Elle fit l’expérience, dans un premier temps, d’un système d’aide fondé sur l’octroi d’avances de fonds directes par l’État. Elle créa en septembre 1919 l’Export Credits Branch (Department) au sein du Board of Trade et, en avril 1920, par l’Overseas Trade (Credit and Insurance) Act, la Chambre des communes lui accorda un crédit de 26 millions de livres. Toutefois, le système eut des difficultés à fonctionner. Les garanties exigées étaient trop nombreuses. Les exportateurs hésitèrent à s’engager dans des opérations qui comportaient encore une trop large marge de risques ; les acheteurs ne parvenaient pas à trouver des banques acceptant de leur fournir des garanties. Aussi le gouvernement britannique en revint dès 1921 au système de la seule assurance, l’État se contentant de garantir la bonne fin des opérations. L’échec du premier système britannique fut immédiatement analysé par les responsables français qui reformulèrent avec précision les termes du problème en demandant de bien distinguer la question de l’octroi de crédits à long terme de celle de la garantie de ces crédits. Émile Mireaux l’analysa en ces termes : « Les faits semblent donc montrer que l’appui de l’État est indispensable. Sous quelle forme doit-il être donné ? L’expérience britannique à cet égard est décisive. L’échec de l’Export Credits Department montre que l’État ne doit en aucun cas assumer le rôle du banquier66. »

13De fait, si le ministère français du Commerce constitua en mars 1920 une Banque française du commerce extérieur (BFCE), il en fit une banque privée à laquelle le gouvernement alloua une subvention annuelle. Le projet de loi, « ayant pour objet l’attribution d’une partie de la redevance supplémentaire versée par la Banque de France, en vertu de l’article 4 de la convention du 26 octobre 1917, à une banque destinée à favoriser le commerce extérieur de la France », fut déposé le 8 juin 1919 sur le bureau de la Chambre des députés. Il reprenait le texte de la convention passée entre l’État et la BFCE. Il fut adopté en octobre 1919. Cette banque devait également contribuer à renforcer le dispositif d’information des exportateurs français en leur apportant des renseignements sur les débouchés susceptibles de s’ouvrir et sur la solvabilité des maisons de commerce étrangères. Elle leur assurait surtout la mobilisation immédiate de capitaux en ouvrant à l’exportateur un crédit d’acceptation et en lui permettant d’anticiper le recouvrement de ses créances. Son activité fut néanmoins considérablement limitée dans la mesure où les crédits mobilisés ne trouvaient souvent pas la garantie nécessaire. La question de fond : celle des garanties, tant des risques commerciaux que des risques politiques, demeurait irrésolue. La tendance, reflétée par Émile Mireaux, fut de considérer que seuls les seconds pouvaient être pris en charge par l’État : « [...] risques anormaux ; ils ont leur origine dans la dépréciation et l’instabilité des changes des pays acheteurs, dans l’incertitude de leur situation politique à l’intérieur et à l’extérieur67. » Il fallut encore du temps avant que de premières réponses ne fussent apportées.

La rupture de l’unité d’action de la politique extérieure

Les réformes inabouties du Quai d’Orsay

14En novembre 1918, le Quai d’Orsay ne put s’opposer au transfert du Service naissant des attachés commerciaux au ministère du Commerce. Ce transfert devait être confirmé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par le rattachement de ce qui devint en 1950 le corps de l’Expansion économique à l’étranger au secrétariat d’État aux Affaires économiques, héritier du ministère du Commerce et de l’Industrie. Il fut à l’origine d’un contentieux récurrent entre les deux administrations. Cette dépossession, inédite, difficilement compréhensible, fut sans doute autant le fruit de la conjoncture que d’un rapport de force administratif. La guerre s’achevait, novembre était le mois de conclusion de l’armistice, et la diplomatie française fut d’abord mobilisée par la préparation des futurs traités de paix et la reconstruction géopolitique de l’Europe. Aucun des grands dirigeants du Quai d’Orsay de l’époque : Philippe Berthelot, Jules Laroche, etc., quelles qu’eussent été leurs intuitions, n’était prêt à accorder du temps à une réflexion sur l’organigramme de son administration et sur la rénovation de l’un de ses services, très mineur au demeurant si l’on considère le personnel alors concerné. Certes le Quai d’Orsay ne resta pas entièrement passif, mais ses réactions furent faibles et au demeurant inefficaces.

15Il avait pourtant saisi dès avant la guerre l’importance nouvelle de l’économie dans les relations internationales. La réforme de 1907 avait voulu l’exprimer en liant affaires politiques et affaires commerciales dans une même direction, ce qui marquait une véritable rupture dans la vision de l’administration centrale des Affaires étrangères en introduisant la réflexion sur les mérites comparés de la logique géographique et de la logique fonctionnelle (ou méthodique) qui allait, de manière alternative, marquer les réformes de l’organigramme jusqu’à nos jours. Une Commission des réformes administratives avait été créée par un arrêté du 6 novembre 1906, présidée par l’ambassadeur François Crozier, avec comme rapporteur Philippe Berthelot, alors premier secrétaire d’ambassade68. Le rapport qu’elle remit le 15 décembre servit de fond au second rapport que rendit le ministre Stephen Pichon au président de la République le 29 avril de l’année suivante. Il reposait sur l’attaque célèbre de la « distinction surannée et forcée maintenue entre les affaires politiques et les affaires commerciales ». Il s’agissait dorénavant de « [...] combiner le système de la répartition géographique avec celui de l’ordre des matières, car il y a lieu de maintenir l’unité de la politique française sur les terrains divers où elle se développe : la France doit avoir une doctrine commerciale, financière, juridique ; des conseillers techniques, commercial et financier, juridiques assureront l’unité de doctrine pendant que les contingences seront traitées par les chefs de sections géographiques appuyés sur ces conseillers. [...] La suppression du dualisme politique et commercial assurera l’unité de vues réalisée par l’établissement d’un directeur politique et commercial dégagé du travail matériel, appuyé sur des spécialistes [...]69 ».

16Depuis le début du xix^e siècle et le rattachement de la gestion des consulats au ministère des Affaires étrangères, deux directions autonomes coexistaient : celle des affaires politiques et celle des affaires commerciales et consulaires70. À partir de 1907, l’armature générale de l’administration centrale fut dorénavant constituée par deux directions : affaires politiques et commerciales, liées, et affaires administratives et techniques. La direction des affaires politiques et commerciales comprenait, entre autres, les sous-directions géographiques. Lui fut rattaché le poste inédit et éphémère de « conseiller commercial et financier » créé par l’article 1^er du premier décret du 29 avril 1907 et ayant rang, dans la hiérarchie des cadres, de sous-directeur. Le second décret adopté ce même jour précisait ses attributions dans son article 7 : « Contrôle général sur les négociations commerciales et financières. Préparation des traités de commerce de concert avec le sous-directeur compétent au point de vue de la doctrine économique française, des répercussions possibles sur les traités existants et des améliorations réalisées par les États étrangers. Rapport sur chaque projet de traité et visa technique. Délégué du ministère auprès des autres administrations et des délégations commerciales étrangères. Centralisation des rapports des attachés commerciaux et contrôle de leurs travaux. Centralisation des rapports avec les groupements financiers ou industriels français qui opèrent dans les diverses parties du monde avec l’appui du ministère des Affaires étrangères. Situation financière des États et emprunts. » Le poste fut confié au consul général Jean Gout, qui avait exercé notamment à Constantinople avant de revenir à l’administration centrale dans un poste de sous-directeur. Il fut nommé conseiller commercial et financier par un décret du 28 décembre 190771. Il resta à ce poste moins de deux ans, nommé sous-directeur du Levant en mai 1909. Il semble que, après lui, le poste n’ait plus jamais été pourvu72. La formule retenue à la fin de la guerre fut la création d’une sous-direction des relations commerciales, intégrée directement à la direction des affaires politiques et commerciales73, confiée à Jacques Seydoux, alors sous-directeur du Service du blocus et des régions libérées. Fondée en mai 1919, elle ne commença à fonctionner réellement qu’en janvier 1920. Elle n’avait encore aucun poids pour s’opposer au transfert des attachés commerciaux.

Le transfert des attachés commerciaux au ministère du Commerce et de l’Industrie

17Or, le ministère du Commerce s’imposait avec habileté au même moment comme le coordinateur de l’information sur les marchés extérieurs secrétée tant par les attachés commerciaux que par les organismes militaires. De fait, depuis le début du conflit en 1914, le ministère de la Guerre s’était renforcé comme pôle d’information économique autour du 2^e bureau de l’état-major de l’armée (EMA) qui devint un service de renseignements économiques spécialisé, dans le cadre général de la structuration de la guerre économique74. À l’automne 1918, le ministère de la Guerre se heurta au ministère des Affaires étrangères. Les deux ministères avaient des conceptions différentes de l’exploitation du renseignement, ce qui constitua vraisemblablement un « frein à l’institutionnalisation du renseignement économique75 », en raison de la logique militaire du premier, liée à la guerre (faire respecter le blocus, empêcher les tentatives de pénétration commerciale et financière en France), et de la logique économique du second (préparation de l’après-guerre). Dans cette affaire, le ministère du Commerce tira les marrons du feu, étant vraisemblablement parvenu, sur le terrain, à une meilleure coordination avec les organismes du ministère de la Guerre. Dans l’attente de l’adoption de la loi Clémentel et du décret d’application permettant la désignation des attachés commerciaux, ce furent les missions militaires qui assurèrent la continuité de la présence française en tenant le rôle d’informatrices économiques. Le commandement militaire français se montra en effet favorable à la défense des intérêts commerciaux français : la mission militaire française en Russie méridionale, zone non couverte par le réseau diplomatique du Quai d’Orsay, reçut des instructions en ce sens76. Plus généralement, les missions militaires furent de fines observatrices de l’activisme déployé par les Britanniques et les Américains en Europe centrale, et de véritables actrices de l’expansion économique. Les rapports établis par les militaires étaient transmis par le ministère de la Guerre au ministère du Commerce. Ainsi en Pologne, où la mission militaire s’employa à permettre à l’industrie aéronautique française de prendre pied en parvenant à convaincre les principaux constructeurs (Blériot, Bréguet, etc.) et les motoristes (Gnome-Rhône, Hispano-Suiza, etc.) de s’unir dans un consortium français d’aviation afin de concurrencer les autres firmes étrangères déjà présentes, comme Austro-Daimler, Handley-Page ou Ansaldo-Fiat77. Ce fut aussi le cas en Hongrie, dans cette période entre guerre et paix, où le général Graziani, commandant de l’armée du Danube et représentant la France au sein de la commission interalliée à Budapest, supervisa la mission d’information78. Dans l’attente de la reprise officielle des relations commerciales entre les deux pays, qui ne fut autorisée qu’en août 1919, le ministère du Commerce confirma le ministère de la Guerre dans sa mission d’observateur et d’intermédiaire économiques79.

18Dans ce contexte général, la réalisation du transfert des attachés commerciaux au ministère du Commerce se comprend mieux. Seul diplomate à avoir laissé un témoignage sur cette affaire, Fernand Pila en fut le témoin impuissant80. Très engagé dans la promotion de la récente fonction d’attaché commercial dont il défendait l’importante dimension commerciale, il avait une vision précise du rôle que devait tenir ce nouvel attaché, un rôle différent de celui du consul, dorénavant tenu de le seconder depuis la circulaire du 1^er novembre 1909. À côté de sa mission d’information, l’attaché avait une mission d’« action commerciale », qu’il devait principalement exercer en France par le biais de tournées dans les centres industriels de la France, à la rencontre des entrepreneurs intéressés par le marché envisagé81. En septembre 1918, Pila fut désigné officiellement par son ministre Pichon pour préparer, de concert avec les représentants de Clémentel, Alexis Charmeil, haut fonctionnaire du ministère du Commerce, et François Crozier, attaché commercial, un « avant-projet fixant dans le détail le statut et les attributions de ces nouveaux agents de notre expansion économique à l’étranger82 ». Une lettre de la direction du personnel du Quai d’Orsay du 19 novembre 1918 au ministère du Commerce entérina cette dépossession de fait, lettre très étonnante au demeurant par son incohérence apparente puisqu’elle considérait le transfert comme acquis, tout en ayant auparavant réaffirmé l’autorité du consul comme celle du seul représentant officiel de la France à l’étranger, au nom de l’unité de l’action économique extérieure83. « À tout prendre, la solution logique de l’intéressante organisation que vous envisagez me paraît être le remplacement des attachés commerciaux, sous la forme où ils existent actuellement, par des délégués techniques du ministère du Commerce qui pourraient prendre, selon qu’il vous conviendrait, le titre d’agents commerciaux ou d’attachés commerciaux, ces derniers n’étant plus agents et ne relevant plus directement de mon département, et leur nomination devant être, dans ces conditions, à votre seule décision84. » Le dessaisissement eut lieu de manière consciente, réfléchie, à l’initiative de la direction du personnel et sous couvert de la direction des affaires politiques et commerciales dont elle relevait85. Il fut sans doute aussi motivé par des considérations d’ordre budgétaire : la crainte de devoir assurer la rémunération d’attachés spécialisés en nombre accru, en des temps d’austérité budgétaire86 que renforçait la faiblesse chronique du budget des Affaires étrangères87. Fernand Pila prit connaissance du transfert quelques jours plus tard, lors d’une des réunions préparatoires des clauses économiques de la paix, rue de Grenelle, auxquelles il participait tous les jours. Son témoignage est le seul dont nous disposions à ce jour. La fameuse lettre du 19 novembre, rédigée totalement à son insu, aurait également surpris le ministère du Commerce lui-même ! « Cette lettre, m’a-t-on dit, ne répond pas aux explications échangées entre M. Clémentel et M. Berthelot, peu de jours auparavant, pas plus qu’au sens de la collaboration déjà entamée par les deux ministres en vue de la réalisation des projets du ministère du Commerce88. » Le 14 avril 1919, la Chambre des députés adoptait néanmoins le projet de loi relatif à la réorganisation de l’ONCE et à la réforme de l’institution des attachés commerciaux ; le projet définitif du décret, qui déterminait les conditions de recrutement et d’avancement ainsi que le statut des attachés commerciaux, fut envoyé par Clémentel au ministère des Affaires étrangères le 30 octobre 1919. Le Quai d’Orsay faisait les frais de l’insuffisante réflexion qui avait présidé à la création des premiers postes d’attachés commerciaux, au coup par coup, depuis le début du siècle, sans précision sur la place de leurs titulaires dans la hiérarchie de l’ambassade et sans leur donner de moyens véritables pour bien accomplir leur mission. Il n’avait eu dans ce domaine, dès l’origine, aucune vision ambitieuse et se trouvait logiquement démuni face à une administration beaucoup plus active. En second lieu, et ce fut sans doute décisif, à la différence de la diplomatie britannique, la diplomatie française ne put bénéficier du soutien des milieux privés qui, depuis le début de la guerre, s’étaient rapprochés du ministère du Commerce dans lequel s’incarnait la volonté d’une nouvelle expansion économique à l’étranger.

La proposition Seydoux : l’occasion manquée

19La nouvelle sous-direction des relations commerciales devait être le lieu d’une tardive et vaine contre-offensive des Affaires étrangères face à la montée en puissance du ministère économique. « Le ministère du Commerce tend à devenir de plus en plus un ministère du Commerce extérieur. [...] Le programme esquissé par M. Clémentel, dans la séance de la Chambre du 24 juillet 1918, est déjà assez explicite à cet égard. [...] Attendons-nous à un développement de ce plan89 », écrivait Pila. Fondée en mai 1919, la sous-direction des relations commerciales ne commença pour sa part à fonctionner réellement qu’en janvier 1920 sous l’égide de Jacques Seydoux90. Alors conseiller d’ambassade et rédacteur à la sous-direction d’Asie, il s’était consacré, dès décembre 1914, aux affaires du blocus91. Les compétences qu’il y acquit et sa participation aux Comités interalliés lui conférèrent une autorité nouvelle en la matière qui allait lui permettre de jouer un rôle déterminant dans l’inflexion de la politique allemande, et, plus largement, de la politique européenne de la France. Il y forgea sa réputation de premier diplomate économique de l’histoire du Quai d’Orsay92. De l’été 1918 au printemps 1919, la direction du blocus s’imposa comme l’embryon d’une future sous-direction des relations commerciales, rendue en outre nécessaire pour la réaffectation des diplomates qui l’avaient fait fonctionner durant toute la guerre. Jacques Seydoux entreprit de mettre sur pied un Service d’informations économiques et des réclamations commerciales et un Service industriel. Le premier était destiné à recueillir et à diffuser l’information rassemblée, ainsi qu’à centraliser les fiches existant sur les maisons de commerce et entreprises étrangères. Il s’agissait à l’évidence de répliquer aux structures mises en place par le ministère du Commerce pour améliorer l’information économique. La sous-direction devait aussi se rendre « accessible au public » et faire en sorte « que les commerçants, que les agents étrangers puissent y trouver facilement et promptement les renseignements dont ils ont besoin93 », en bref, avoir un fonctionnement similaire à celui de l’Office du commerce extérieur. Les interlocuteurs privilégiés étaient, outre les autres ministères : l’ONCE, l’Association nationale d’expansion économique, la Société d’études économiques, la Banque nationale du commerce extérieur, le Comité des forges et les chambres syndicales des grands secteurs exportateurs94. C’était, d’autre part, à cette section que les dossiers des attachés commerciaux étaient rattachés, avec l’ambition avouée de « maintenir la subordination de ces agents commerciaux vis-à-vis de nos agents diplomatiques95 ». Les relations avec les chambres de commerce françaises à l’étranger, les conseillers du commerce extérieur et la question des participations françaises aux expositions et autres manifestations commerciales internationales étaient également traitées par ce service.

20Il esquissa aussi les contours d’un réseau d’attachés industriels destiné à faire entrer de nouvelles compétences, en l’occurrence des ingénieurs, dans l’appareil diplomatique. Il s’appuya sur le développement des postes de « conseillers techniques », titre dont on ne peut que souligner l’ambiguïté dans son acception de l’époque, puisqu’il renvoyait à la fois au statut spécialisé de ces conseillers et à un domaine de spécialisation plus particulier : les questions techniques et industrielles. En l’occurrence, Seydoux se servit de la présence d’un inspecteur général des Ponts et Chaussées : Mussat, déjà en poste comme conseiller technique du ministère des Affaires étrangères96. La présence de ce dernier participait de l’appel aux spécialistes effectué durant la guerre comme de l’intégration accrue d’une élite de « techniciens » à l’administration. Ils furent d’ailleurs quarante ingénieurs, élus au sein de la chambre Bleu horizon en 1919, apogée d’un mouvement d’influence croissante sur les affaires publiques. Ils portaient les ambitions d’une démocratie « enfin régénérée », composante technicienne d’un mouvement amorcé en faveur de la réforme de l’État97. Quelques-uns avaient été amenés à participer à l’administration de guerre, tel le plus célèbre d’entre eux, Louis Loucheur, polytechnicien, devenu ministre de l’Armement en septembre 1917, en remplacement d’Albert Thomas. Leur présence au sein de la diplomatie française n’a pas encore fait l’objet d’étude, mais l’impulsion que donna alors Jacques Seydoux montre bien que le Quai d’Orsay essaya de ne pas rester en marge du processus. Mussat fut placé à la tête du nouveau Service industriel de la sous-direction des relations commerciales et chargé d’assuré le recrutement d’« agents techniques » pour les missions diplomatiques. Établissant la cartographie des postes à créer, Seydoux avait en tête le précédent des attachés commerciaux : « Comme pour la question des attachés commerciaux, expliqua-t-il, il faut procéder par étapes98 », recommandant de se doter de postes en Europe avant de mondialiser le réseau en s’appuyant sur les Français déjà établis à l’étranger : « [...] La France possède des ingénieurs de toute espèce qui pourraient servir de correspondants au Département sans qu’il soit besoin d’envoyer quelqu’un en mission spéciale [...]. En Russie (lorsqu’elle sera accessible), au Brésil, dans la République argentine, les pays d’Extrême-Orient, en Turquie, en Roumanie, il y a certainement des ingénieurs, des agriculteurs ou des directeurs de banques françaises capables de nous rendre ce service99. » Mais l’hostilité du ministre des Affaires étrangères Alexandre Millerand « au système des conseillers techniques100 » et l’obstacle financier qui conduisit Jacques Seydoux à suggérer de recruter ces conseillers techniques « à titre d’agents commerciaux » en prenant sur les fonds prévus par la loi du 25 août 1919101 amenèrent la disparition de cet embryon de Service industriel.

21De même, il s’employa vainement à obtenir le retour de l’institution des attachés commerciaux dans les murs des Affaires étrangères. Sa vision du modèle allemand semble lui avoir donné la clef de ce qui aurait pu constituer un système alternatif : « En Allemagne, les attachés commerciaux dépendent uniquement du ministère des Affaires étrangères ; il y en a deux pour chaque poste, l’un est le véritable conseiller économique de l’ambassade, l’autre est un agent itinérant qui parcourt le pays102. » La première originalité du contreprojet que Seydoux esquissait alors résidait dans la régionalisation du réseau des attachés commerciaux. « L’important en effet est que l’attaché ou l’agent commercial soit essentiellement mobile, contrairement aux consuls qui sont des agents sédentaires. Il serait donc préférable de concevoir une organisation centrale par régions, plutôt que de constituer des circonscriptions étroites où les attachés et les agents se cantonneront. » La seconde était la dissociation nette des fonctions régaliennes et commerciales. Pour lui, il était « [...] absolument impossible que le ministère des Affaires étrangères abandonne toute connaissance des affaires économiques et les laisse complètement à un attaché commercial qui, s’il n’est pas un ancien agent du Département, sera plus ou moins forcément en conflit avec le chef de mission103 ». Ce qu’il fallait, c’était créer des « conseillers économiques indépendants » au sein des ambassades, qui se tiendraient en relations étroites avec l’attaché commercial. Il rejetait la fusion des attributions régaliennes et commerciales entérinées par le ministère du Commerce : collaborateurs du chef de poste, informateurs du ministère du Commerce, intermédiaires des commerçants français, « il est parfaitement évident que c’est à ces deux derniers ordres de questions seulement que devraient se borner les fonctions des attachés commerciaux, qui, à chaque instant, cherchent à se mêler des négociations, font des démarches personnelles auprès des autorités locales sans avertir les chefs de poste et donnent lieu à une confusion d’attributions des plus fâcheuse104 ». Aux conseillers économiques, l’information économique de l’ambassadeur ; aux attachés commerciaux de la « deuxième génération », les relations avec les entreprises. Le schéma de Jacques Seydoux ne fut pas repris et, dès lors, il semble que le Quai d’Orsay n’ait pas davantage développé la réflexion.

22Rétrospectivement, on peut estimer qu’il avait pourtant esquissé le seul projet alternatif capable d’apporter une réponse cohérente au projet imposé par un ministère économique. Dans la perspective qui était la sienne, les questions économiques demeuraient un élément, parmi d’autres, susceptible de motiver les positions de la diplomatie française, et c’est dans cet esprit qu’il devait également s’opposer aux tentatives du ministère du Commerce de mettre la main sur la conduite des négociations commerciales. Pour lui, c’était une évidence, le ministère des Affaires étrangères devait exercer cette fonction de « tour de contrôle » que d’autres responsables théoriseraient à la fin du siècle. Or, elle venait de lui être contestée par une autre administration, forte d’un projet beaucoup plus approfondi.

Le premier essor du dispositif français

Un Etat moteur de l’action commerciale extérieure

23Au sortir de le Grande Guerre, le ministère du Commerce et de l’Industrie s’imposa comme le nouveau et second pôle d’élaboration de la politique commerciale extérieure de la France. La loi portant réorganisation des cadres de l’administration du commerce fut adoptée le 24 octobre 1919, in extremis, comme l’a remarqué Clotilde Druelle, c’est-à-dire dans les derniers jours de la législature105. Les réticences vinrent du Sénat, mais, pour l’emporter, Clémentel argua de l’urgence où il était de disposer de services fonctionnels pour mener à bien la grande refonte des tarifs douaniers, rendue nécessaire par la dénonciation faite par la France, le 23 avril 1918, de toutes ses conventions et tous ses accords commerciaux (la nouvelle loi douanière datait du 29 juillet 1919). Quatre directions rénovées permirent au ministère de perpétuer l’action de Clémentel qui quitta son poste à l’automne 1919. La valse de ses successeurs fut compensée par la stabilité et la qualité des hauts fonctionnaires placés à leur tête. Certains fonctionnaires avaient fait leurs armes dans l’administration centrale d’avant la guerre, tel Roger Fighiéra, entré comme rédacteur en 1899 ; mais d’autres la découvrirent au sein des Services interalliés, comme l’universitaire Daniel Serruys106. Ils y apportèrent leur intelligence, leur force de travail, un regard neuf et inventif. De ce jour, les représentants du Commerce n’eurent plus à rougir quand ils s’assirent autour d’une table de négociations aux côtés de leurs collègues des Finances ou du Quai d’Orsay. L’autorité d’un Serruys, dénoncée par ses détracteurs, soulignée à l’étranger, fut d’évidence reconnue par ses pairs. Clémentel n’ayant pu obtenir la création d’une direction autonome de l’information économique, ce domaine fut fusionné avec celui des accords commerciaux au sein d’une même direction que Serruys prit en charge107. Il fut le responsable de la restructuration de la politique douanière de la France jusqu’en 1927 avant d’assumer des fonctions importantes au sein de la Société des Nations. Alexis Charmeil, entré au ministère du Commerce directement comme directeur du personnel, des expositions et des transports peu avant la guerre, en août 1914, fut chargé en mars 1920 de la mise en place des Services de l’expansion commerciale auxquels il s’identifia jusqu’à la guerre. Les grands axes de leur action avaient été définis dans le chapitre XII, L’expansion économique de la France à l’étranger, du tome III de la deuxième partie intitulée « Les méthodes d’expansion économique » du Rapport général sur l’industrie française, sa situation, son avenir, que Clémentel préfaça le 5 octobre 1919. Ce texte fondait la politique du commerce extérieur de la France et décrivait les piliers qui allaient permettre son fonctionnement. Elle passait par la remise en ordre des acteurs engagés dans cette sphère et l’affirmation de l’impulsion décisive et du contrôle des pouvoirs publics. Le projet de loi déposé en ce sens au Parlement le 26 novembre 1918 déboucha sur la loi du 25 août 1919, « ayant pour objet la réorganisation de l’Office national du commerce extérieur, la modification du statut des attachés commerciaux et la création d’agents commerciaux ».

24L’ONCE fut confirmé dans son statut d’établissement public et rattaché au ministère du Commerce (article 6 de ladite loi). Il s’agissait de rompre avec l’image d’un organisme ne représentant les intérêts que du seul commerce parisien. Son conseil d’administration était composé de dix-neuf membres, dont cinq seulement relevaient des institutions consulaires. Dix membres étaient directement nommés par le ministre. Le ministère augmentait enfin considérablement sa subvention, et le caractère de service public, ouvert à tous les exportateurs, groupements comme particuliers, rendu par l’Office était nettement affirmé. Doté dorénavant de l’autonomie financière, l’ONCE pouvait, en sus de la subvention annuelle de l’État, accroître ses ressources en recourant à des dons, legs et autres fonds de concours, ainsi qu’à des recettes rémunérant ses services (article 8). La convention initiale passée avec la chambre de commerce de Paris en 1898 courait sur vingt années et venait donc à expiration en mars 1918. La chambre avait accepté, en février, d’en proroger les effets jusqu’en mars de l’année suivante. Une nouvelle prorogation d’un an eut lieu en mars 1919. Entre-temps, la loi du 25 août 1919 établit une taxe spéciale à l’exportation. « Il est créé, sous le titre de taxe pour le développement du commerce extérieur, une taxe de cinq centimes sur chaque unité de perception admise au droit de statistique. [...] » (article 1^er). Le but déclaré était de compenser les dépenses occasionnées par les réformes de Clémentel avec les ressources fournies par cette taxe qui frappait non plus seulement les commerçants du département de la Seine, mais l’ensemble des importateurs et des exportateurs français.

25Parmi les missions imparties à l’ONCE, Clémentel avait souhaité renforcer sa mission traditionnelle d’information économique et diffuser de manière élargie sa documentation, « diriger désormais les informations de l’Office vers les groupements professionnels tels que les syndicats industriels et les associations commerciales108 », alors que jusqu’à présent seuls les entrepreneurs y avaient recours, à titre particulier. Pour y parvenir, le journal édité par l’Office, le Moniteur officiel du commerce, fut remanié. Moins de longs rapports, plus d’informations brèves et précises. Critique implicite des rapports traditionnels rédigés par les consuls et les premiers attachés commerciaux, il s’agissait de permettre au nouveau journal d’irriguer la vie des affaires et de devenir, « pour la presse française, la source la plus abondante, la plus accessible de renseignements économiques109 ». Des agences régionales du commerce extérieur furent ouvertes dans les nouvelles régions économiques : dirigées par les Comités régionaux des conseillers du commerce extérieur (cf. infra), elles éditèrent sous la direction d’Armand Megglé des Atlas-guides économiques et touristiques des régions de France et d’Algérie, et tentèrent d’améliorer la circulation de l’information entre les industriels locaux et l’ONCE110.

26La grande novation de 1919 fut donc d’introduire dans les textes une mission nouvelle d’appui à l’exportation. Le ministre partait du constat de la faiblesse persistante du plus grand nombre des entreprises, aux structures commerciales inexistantes111. L’Office aurait à effectuer un travail sur le terrain destiné à favoriser la pénétration et l’implantation commerciale des entreprises françaises. En particulier, il surveillerait les marchés de travaux et de fournitures, et les en informerait. Il chercherait aussi à favoriser les relations entre vendeurs français et acheteurs étrangers en constituant des répertoires et des fiches permettant aux industriels français de s’adapter au goût de la clientèle étrangère. Dans cet esprit, la loi de 1919 vint entériner la naissance des offices commerciaux à l’étranger, que le ministre avait commencé à mettre sur pied à Zurich et à Londres en 1917. Ils devaient tenir un rôle essentiel au sein du dispositif dans la mesure où ils relayaient à l’étranger l’activité d’appui de l’ONCE et incarnaient une fonction de promotion des exportations par l’organisation de manifestations commerciales où étaient présentés des échantillons et des modèles de produits français. Sur l’articulation de l’ONCE et du réseau des attachés avec les anciennes institutions consulaires qu’étaient les chambres de commerce à l’étranger et les conseillers du commerce extérieur, le rapport Clémentel demeurait imprécis, mais la réforme était en marche. Celle du Comité national de conseillers du commerce extérieur fut présentée par Roger Fighiéra le 24 décembre 1918. Elle reposait sur leur regroupement en Comités régionaux des conseillers du commerce extérieur, afin d’accentuer la cohérence de leur action avec celle des nouvelles régions économiques. La réforme s’effectua d’autant plus facilement que, quittant le ministère du Commerce, Étienne Clémentel accepta la présidence du Comité national en décembre 1919 et qu’il y fit nommer l’un de ses collaborateurs, Armand Megglé, au poste de directeur technique. Il installa le Comité dans les nouveaux locaux acquis avenue Victor-Emmanuel-III, où furent progressivement concentrées toutes les institutions publiques du commerce extérieur. En février 1920, le rapport d’Armand Megglé sur la mise en place de Comités régionaux des conseillers du commerce extérieur au sein des régions économiques fut adopté : en 1923, treize comités fonctionnaient. Ils œuvrèrent à la création des agences régionales du commerce extérieur qui devaient travailler en synergie avec l’ONCE.

L’extension du réseau de l’information sur les marchés extérieurs

27À la source de l’information traitée par celui-ci : le réseau renaissant des attachés commerciaux. La Commission mixte de fonctionnaires et d’industriels, qui allait assurer le recrutement, fut mise sur pied par le décret du 5 mars 1920112. Elle confirma dans ses fonctions Jean Périer, titulaire du poste de Londres depuis l’avant-guerre113 et qui s’était déjà imposé comme l’archétype des attachés commerciaux français. Au Royaume-Uni, les premiers postes consulaires avaient été créés à la fin du xviii^e siècle : en 1789, la France avait ouvert des agences de la marine et du commerce en Angleterre, en Écosse et en Irlande, à la suite du traité de commerce et de navigation signé à Versailles le 26 septembre 1786114. Mais c’est seulement en 1904 que le consul général Jean Périer fut détaché dans la fonction spécifique d’attaché commercial. À cette date, l’Angleterre était le premier partenaire commercial de la France, elle représentait le quart des exportations totales de la France, et l’ambassade de France à Londres, dirigée par Paul Cambon, était l’une des plus prestigieuses en vertu du poids politique acquis par la Grande-Bretagne depuis un siècle. Est-ce le hasard si les premiers titulaires du poste d’attaché commercial en Grande-Bretagne furent des hommes de l’Ouest, de l’Atlantique ? Né à La Rochelle, le tout premier d’entre eux, Jean Périer, évoquait dans un article de jeunesse ses ancêtres du xviii^e siècle : « Comme l’Anglais de notre temps, le Rochelais entre de bonne heure dans les affaires, c’est-à-dire de 18 à 20 ans », saluant l’« énergie et l’initiative » qui les caractérisaient115. Même si l’on s’interdit tout déterminisme, on se plaît à constater que les trois attachés commerciaux en poste à Londres de 1904 à 1941 étaient tous trois fortement enracinés dans ces marches de l’Ouest de la France ouvertes sur le grand large : Périer, né à La Rochelle en 1871, Poulpiquet du Halgouët, né à Pleyber-Christ (Finistère) en 1874, Méric de Bellefon enfin, né à Auray (Morbihan) en 1886. Et qu’ils découvrirent des horizons plus lointains avant de s’installer de l’autre côté de la Manche : comme du Halgouët en Chine, en Perse et en Russie.

28Ce n’était pas leur seul point commun : ils représentèrent cette deuxième génération d’attachés commerciaux au sein de laquelle la présence des diplomates fut âprement défendue par le Quai d’Orsay116. Licenciés en droit, lauréats brillants de l’École libre des sciences politiques, ils entrèrent au Quai d’Orsay, comme attaché d’ambassade (du Halgouët) ou élève consul (Périer et Méric). S’il existait alors deux cadres distincts, c’est un concours commun qui assurait depuis 1880 le recrutement des futurs ambassadeurs ou consuls. Ces deux voies autonomes se rejoignaient au grade de ministre plénipotentiaire, accordé en 1920 à Périer, en 1926 à du Halgouët et en 1939 à Méric de Bellefon. Consul suppléant à Londres depuis 1901, devenu consul général, Périer apprenait le 6 février 1905 sa nomination comme attaché commercial, nomination qu’il demandait depuis fin mars 1904117. C’est à la demande de Paul Cambon que le poste avait été créé : « Il s’agissait de faire un essai » motivé par la volonté de répondre à la rivalité commerciale de pays de plus en plus agressifs, par « l’acuité des concurrences étrangères, particulièrement de cette concurrence danoise pour les produits agricoles et allemande pour les articles fabriqués que notre commerce rencontre à tout instant sur le marché britannique118 ». En septembre 1923, nommé légat à Mexico, Périer quitta un poste auquel il avait imprimé son empreinte durable. Le Quai d’Orsay le soulignait en ces termes : « M. Périer est le type des agents commerciaux et c’est la façon dont il a compris et développé sa mission qui a servi de cadre à toute l’organisation des attachés commerciaux119. » Des années plus tard, Périer rappelait avec fierté que Paul Cambon, quittant la carrière, lui avait écrit qu’il avait été avec Fleuriau « son meilleur collaborateur ». Il fut encore cité en exemple au Parlement au début des années 1930120. Sa succession se fit dans la continuité. Joseph de Poulpiquet du Halgouët, conseiller d’ambassade hors cadres depuis 1920 et placé à la disposition du ministère du Commerce et de l’Industrie, fut d’abord nommé agent commercial à Londres en 1923 pour le seconder, sur proposition de la nouvelle commission de recrutement des attachés commerciaux121, puis nommé officiellement attaché commercial à Londres par décret du 17 décembre. Il y demeura jusqu’en 1936. Yves Méric de Bellefon lui succéda en 1937, recueillant « la difficile succession de du Halgouët à un moment [où la] crise européenne [venait] [de] mettre au premier plan de nos préoccupations la [collaboration] franco-anglaise dans le domaine économique et commercial en cas de guerre122 ». Sa note administrative pour 1937 révèle qu’il n’avait pas sollicité sa nomination à Londres, mais que « le département souhaitait voir un de ses agents continuer à occuper le poste ». Il n’en voyait que les difficultés financières dues au déficit de 1937 et aux crédits insuffisants qui lui furent alloués pour 1938. Mais, de fait, le poste continuait bien à être un enjeu pour le Quai d’Orsay qui allait obtenir le maintien de l’un des siens de haute lutte. Le poste avait été ouvert au recrutement en août. Il fut pourvu officiellement lors de la réunion de la commission de recrutement du 1^er septembre 1937123. Onze candidats se présentèrent : 5 attachés commerciaux, un seul candidat appartenant au ministère des Affaires étrangères, Méric de Bellefon, et 5 candidats non issus de l’administration. L’attaché commercial à Madrid, Tisseau, avait les faveurs du ministère du Commerce, mais le Quai d’Orsay fit bloc pour obtenir la nomination d’un diplomate. Il convainquit d’abord l’un des membres de la commission de recrutement représentatif des milieux patronaux, le permanent patronal Étienne Fougère, de soutenir ce choix124. Puis il obtint l’intervention du président de la République et du ministre des Finances Georges Bonnet auprès du ministre du Commerce Chapsal. Méric de Bellefon l’emporta ainsi sur le candidat officiel du ministère du Commerce125.

29D’emblée, la dimension nouvelle de la mission du premier attaché commercial à Londres avait été précisée : « Servir de guide et de conseil à nos petits commerçants et à nos petits producteurs », dessein « éminemment pratique et démocratique » que soulignait l’ambassadeur, lui-même représentatif de l’effort de démocratisation de la diplomatie tentée par la Troisième République126. Il était symptomatique que Périer n’eût pas installé ses bureaux à l’ambassade, Albert Gate House, mais dans une autre maison louée exprès. Le manque de place expliquait cet état, mais aussi une volonté d’indépendance par rapport à l’ambassade, que justifieraient après lui d’autres titulaires du poste, afin de faciliter les contacts avec les milieux d’affaires britanniques. Dans son rapport de 1905, Jean Périer définissait sa mission, à l’instar de Fernand Pila, comme étant d’« exercer, en Angleterre et en France, une sorte d’action commerciale [...] ». En des termes novateurs que reprendrait Clémentel en 1919, il parlait d’un « appui prêté aux représentants de commerce français établis en Angleterre127 ». Entré immédiatement en relations avec les entrepreneurs français, fort de l’appui de la chambre de commerce française à Londres, Périer précisait dès 1905 les contours de sa nouvelle mission, moins dévolue à la collecte de l’information qu’à l’aide à l’exportation : « [...] C’est par une correspondance multiple avec nos producteurs et plus encore par les entretiens publics ou privés que j’aurai avec eux au cours de ces voyages en France [...] que j’espère parvenir à aider, à encourager, à stimuler nos agriculteurs et fabricants en relations d’affaires avec l’Angleterre128. » Ces voyages, il en fit une spécialité, demandant chaque année au ministère des Affaires étrangères une lettre d’introduction auprès des préfets des départements qu’il entendait visiter. Les limites de son action apparurent vite : le manque de moyens matériels et humains qui lui étaient dévolus. Un temps, la réforme de Clémentel put faire naître l’espoir d’une amélioration, mais l’histoire du poste de Londres montre que les choses ne changèrent pas fondamentalement. Une rémunération inférieure à ce qu’elle était dans les autres pays, un manque de collaborateurs, telles furent les principales difficultés auxquelles se heurtèrent les titulaires du poste dès l’origine. Toutefois, pour relativiser ces difficultés, une comparaison avec la situation de son homologue britannique à Paris est éclairante. James Addison fut appelé à décrire son travail quotidien à l’ambassade lors de la réunion des Commercial Diplomatic Officers qui eut lieu en novembre 1920. Ses journées ressemblaient à s’y méprendre à celles de Périer, et son personnel n’était pas plus fourni129.

30Après Londres, la commission de recrutement se consacra à l’ouverture de postes en Europe centrale pour des raisons évidemment géopolitiques : contrôler une zone traditionnellement chasse gardée de l’Allemagne et assurer sa sécurité en nouant des alliances de revers130. Elle désigna le 11 mars l’attaché commercial pour la Serbie (Raoul-Duval), le 18 mars, pour la Hongrie (Raoul Chélard) et la Tchécoslovaquie (Jacques Blanc), le 22 avril, pour la Roumanie (Sarret), l’Autriche (Poujol) et la Bulgarie (Zakorsky), le 29 juin, pour la Pologne (Herme). Mais il s’agissait aussi d’aider les entreprises françaises à réaliser des opérations intéressantes et à s’imposer sur des marchés souvent occupés par leurs concurrents britanniques ou allemands : Raoul Chélard suivit ainsi avec attention l’obtention par Schneider du marché relatif à la construction du port de Budapest131. La création d’un poste d’attaché commercial en Lettonie en 1930 obéit au même impératif : sur les marchés baltes, les exportateurs français ne disposaient plus des entreprises et des banques russes, qui leur fournissaient jadis l’information nécessaire et leur permettaient d’écouler leurs produits132. Les pouvoirs publics, dans un premier temps, s’employèrent à soutenir les tournées des voyageurs de commerce et à mobiliser les entreprises de travaux publics, tel Le Creusot133. Devant l’insuffisance des résultats, la création d’un poste d’attaché commercial pour les pays baltes, basé à Riga, s’imposa. Olivier Depret-Bixio y fut nommé. Diplômé de l’ELSP et de l’université d’Oxford, polyglotte, il bénéficiait d’une forte expérience professionnelle car il avait travaillé avant la guerre comme importateur de vins français à Moscou, puis après le conflit, comme agent général pour la vente et l’exportation de diverses usines françaises ou étrangères134. Clémentel l’avait annoncé : « Dans l’organisation projetée les attachés commerciaux seraient les véritables conseillers, en matière commerciale, des ambassades et légations auprès desquelles ils seraient placés. En même temps, ils deviendraient, tout naturellement, les chefs de notre représentation commerciale à l’étranger135. » Leur action serait confortée par la présence de collaborateurs, agents commerciaux, qui « seraient à proprement parler les agents à l’étranger du ministère du Commerce ». Leur recrutement serait effectué dans le monde des affaires ou de l’industrie : ce seraient des ingénieurs, des négociants, des experts en travaux publics, en d’autres termes, des spécialistes capables de satisfaire avec précision entrepreneurs et pouvoirs publics sur l’état des marchés étrangers, leurs demandes, leur solvabilité, leur législation douanière, sociale, etc. « Ils ne constitueraient pas des fonctionnaires permanents136 », la précision était d’importance dans un contexte où s’était amorcé le gonflement des effectifs de l’État.

31De fait, si l’on se reporte au bilan établi par le ministère du Commerce en 1930, l’on voit que, sur cinquante postes d’attaché commercial, 13 furent occupés par les agents du ministère des Affaires étrangères, 2 par ceux du ministère du Commerce, et 2 par ceux de l’ONCE137, tous les autres attachés étant issus du secteur privé. Ceux issus du ministère du Commerce y avaient généralement occupé les fonctions classiques de rédacteur avant de gravir quelques échelons au sein de l’administration centrale : ce fut le cas d’André Pettit, né en 1885, diplômé d’HEC, qui y entra en 1909 comme rédacteur, avant de devenir sous-chef de bureau en 1919, puis chef de bureau en 1924. Peu de temps après, il fut nommé agent commercial en Angleterre138. Autre mode d’accès : les offices commerciaux139, tel l’Office commercial français en Roumanie dont le directeur depuis 1925, Fernand Malgrat, devint agent commercial à Cluj en 1930140. Mais le poids des milieux d’affaires au sein de la commission de recrutement et la volonté du ministère du Commerce de développer la mission d’aide aux entrepreneurs favorisèrent effectivement la sélection d’hommes qui avaient préalablement occupé des fonctions dans des sociétés de négoce, des entreprises industrielles ou des banques. Beaucoup d’attachés français étaient diplômés d’écoles supérieures de commerce. Parmi les plus représentatifs, l’on présentera les parcours de quatre hommes. Henri Fallourd, né en 1896, diplômé d’HEC, avait occupé les fonctions de secrétaire général de la Compagnie commerciale maritime à Hambourg, une société de courtage maritime représentant, entre autres, les Chargeurs réunis et les Transports maritimes à vapeur ; puis de directeur de la succursale bruxelloise de la Maison française de métaux précieux Caplain Saint-André. Il entra ensuite dans les Services d’expansion commerciale comme agent commercial près le consulat général de France à Hambourg et occupa ce poste de 1925 à 1935141. Jean-Louis Burin des Roziers, né en 1901, diplômé d’HEC, commença à travailler à la Compagnie française de marine et de commerce, puis à la Compagnie générale transatlantique, avant de tenir le poste de sous-chef du Service exportation des usines Citroën en 1923, puis d’être envoyé par Citroën aux Pays-Bas pour y créer une filiale, en 1924. En mars 1927, il fut nommé agent commercial aux Indes néerlandaises et il demeura jusqu’en janvier 1941 à ce poste142. Maurice Charlois, né en 1904 et diplômé de l’École supérieure de commerce et de l’Institut commercial de Nancy, travailla à Pont-à-Mousson au Service exportation des pays de langue anglaise, avant de devenir secrétaire auprès de l’attaché commercial à Montréal en novembre 1928143. Raymond Haas, né en 1907, diplômé de l’École de perfectionnement commercial de Strasbourg, commença comme stagiaire chez Louis Dreyfus et Cie de 1923 à 1925, puis au Comptoir strasbourgeois d’importation et d’exportation de 1925 à 1927, avant de devenir à Nancy le gérant des Établissements Ash et Cie (spécialisés en fournitures dentaires générales) de 1928 à 1931144. L’expérience professionnelle et la connaissance d’une région particulière s’avérèrent déterminantes.

32Maître des postes de la « première génération » : ceux de Londres, de Rome, de Shanghai et de New York, le Quai d’Orsay parvint à s’y maintenir après la guerre145. Mais cela n’alla pas sans difficultés dans certains cas, dès cette première phase. Aux États-Unis, il fallut attendre la nomination de Maurice Garreau-Dombasle le 16 mars 1927 pour que le poste se stabilisât jusqu’à la guerre. À New York, les locaux des services commerciaux furent situés dans le Rockfeller Center, ainsi que le consulat général et d’autres organismes français. En 1926, l’attaché commercial n’était encore secondé que par deux agents et ne disposait pas de secrétaire146. Douze ans plus tard, Garreau-Dombasle avait donné une réelle ampleur à son poste puisque dix personnes le faisaient alors tourner : deux secrétaires, six sténodactylographes, un archiviste et un standardiste147. Dans de grands pays européens comme l’Allemagne et la Russie, pourtant au centre des réflexions de la diplomatie française, les choses se passèrent encore plus difficilement. Face aux propositions de création de postes d’agents commerciaux à Francfort, Hambourg et Cologne, Jacques Seydoux fit observer sèchement que, « sur la rive gauche du Rhin, nous av[i]ons déjà une organisation économique qui a[vait] fait ses preuves et qui [était] dirigée par le colonel Voisin. Il parai[ssai]t donc ne pas y avoir le même intérêt à s’occuper de la région de Cologne148 ». Il existait par ailleurs à Berlin une mission économique. Quand un Service économique et commercial fut enfin constitué le 15 novembre 1920 au sein de l’ambassade de France à Berlin, il intégra trois membres de cette mission de Berlin149. En août 1924 enfin, un ingénieur des Mines, qui avait occupé en 1918 la fonction de directeur de l’approvisionnement en fontes et aciers au sein du ministère de l’Armement, Jean Lefeuvre, fut nommé attaché commercial à Berlin pour une période de deux ans, puis sa mission fut reconduite jusqu’à la guerre150.

33En ce qui concernait la Russie soviétique, l’établissement de relations diplomatiques avait finalement eu lieu en octobre 1924. La reprise des relations commerciales fut difficile, grevée par le contentieux financier lié au refus du nouveau gouvernement soviétique de reconnaître les dettes tsaristes151. L’avis de vacance fut publié au Journal officiel du 21 mai 1925152, mais le poste d’attaché commercial ne fut pas pourvu avant 1934. Ce fut d’ailleurs le dernier créé avant la Seconde Guerre mondiale. Pour les pouvoirs publics, la situation était très particulière puisque l’État soviétique avait établi depuis le 4 mai 1918 son monopole sur le commerce extérieur. Le niveau des échanges franco-soviétiques était très faible au regard du niveau d’avant-guerre : on se faisait donc peu d’illusions sur les effets de l’établissement d’une représentation commerciale ; ce qui importait dans ce domaine, c’était de parvenir à un accord commercial qui structurât les échanges. Il fut signé le 11 janvier 1934, frayant la voie au pourvoi du poste. Deux candidats furent retenus : l’attaché commercial aux pays baltes, Olivier Depret-Bixio, et l’attaché commercial au Mexique, André Leprévost. Le premier avait acquis une expérience antérieure professionnelle comme négociant. Le second candidat avait une expérience similaire – il avait effectué des stages chez des courtiers maritimes –, puis il avait dirigé le bureau commercial de la chambre de commerce française en Suède de 1919 à 1921153. Surtout, il avait déjà une expérience d’attaché commercial – nommé agent commercial en Irlande, en mai 1924, puis attaché commercial au Mexique –, et bénéficiait du soutien de Charles Alphand, l’ambassadeur de France à Moscou, qui l’avait connu lorsqu’ils étaient en poste en Irlande. Le consensus se fit sur la personne d’André Leprévost. Avec le temps, celui-ci manifesta un doute croissant sur l’utilité de sa présence en URSS. En 1936, il permuta son poste avec Louis Brillat, attaché commercial à Budapest, qui demeura à Moscou jusqu’en 1941.

34Au début des années 1930 enfin, l’Extrême-Orient, l’Afrique australe et les colonies furent proposés comme de nouveaux champs d’expansion. En 1933, la France comptait un attaché commercial et un agent adjoint à Shanghai ; un attaché commercial à Tokyo et un autre à Calcutta. Elle n’avait aucun représentant dans les îles Philippines, en Nouvelle-Zélande, ni à Singapour où pourtant un poste avait été créé en 1932. Mais les mesures d’économie avaient empêché de le pourvoir. En Afrique du Sud, elle ne disposait que d’un attaché commercial à Johannesbourg. Un rapport de Paul Marchandeau, en 1932, proposa d’étendre à certaines colonies françaises le réseau des Services d’expansion commerciale154. Sa proposition fut sans lendemain.

35De fait, la crise économique eut des conséquences immédiates sur le budget des Services de l’expansion commerciale. Les crédits accordés culminèrent en 1930 et 1931 avant d’entrer dans une phase de réductions successives, inaugurée par la loi de finances du 31 mars 1932, qui diminuait les indemnités de fonction et de frais de mission des attachés et agents commerciaux, puis par la loi d’économies du 15 juillet 1932.

36L’ONCE fit les frais de manière beaucoup plus radicale de la crise, pris dans le tourbillon de critiques qui s’abattirent sur les offices155. Le réseau des attachés commerciaux fut en revanche maintenu. Les critiques se concentraient sur les insuffisances de leur statut et de leur place dans la hiérarchie de l’ambassade. Deux décrets en date du 21 avril 1937 tentèrent d’y remédier. Le premier donnait aux attachés commerciaux des satisfactions en termes de carrière, qui prolongeait les premiers gains retirés d’un décret du 5 juillet 1929. Celui-ci les avait assimilés aux consuls généraux en matière de rémunération et avait créé une mission d’inspection des Services de l’expansion commerciale sur le modèle de l’inspection générale des postes diplomatiques et consulaires. En revanche, la question de leur statut et de leur hiérarchie au sein de l’ambassade n’avait pas été réglée : il était impossible à un attaché commercial, non issu de la carrière diplomatique, d’atteindre le grade de ministre plénipotentiaire, alors qu’un attaché militaire pouvait devenir général, ou un attaché naval, amiral. Aussi, l’égalité de traitement était-elle toujours réclamée pour tous, ce que le nouveau décret de 1937 ne leur procura pas davantage. Il leur donna en revanche un titre, honorifique : celui de conseiller commercial, si l’agent était en poste depuis plus de dix ans156. D’autre part, il favorisa les mutations de poste. Le second décret de 1937 eut plus d’importance en contribuant à une première « sédimentation » du corps d’Expansion économique157. Dès lors, en effet, les secrétaires généraux qui correspondaient au grade le plus bas dans la hiérarchie des postes commerciaux, et dont l’emploi avait été créé par le décret de 1929, ne furent plus choisis par les chefs de poste, selon leur bon vouloir en quelque sorte, mais recrutés par voie de concours. Dans la foulée, fut ouvert le 1^er juillet 1937 le premier et unique concours de recrutement de l’entre-deux-guerres permettant l’entrée dans le corps : celui destiné à pourvoir un poste de secrétaire général auprès de l’attaché commercial en Suisse158. Un jeune trentenaire, diplômé de l’Institut d’enseignement commercial supérieur de Strasbourg, Frédéric Peter, qui avait été recruté en 1930 par Marcel Hignette, attaché commercial en Suisse, pour exercer cette fonction de secrétaire général, s’y présenta dans l’espoir d’obtenir ainsi sa titularisation. Arrivé premier au concours, il accomplit un stage de deux mois à l’administration centrale, puis repartit pour Berne le 1^er novembre 1937. Il fut titularisé en 1938.

La naissance de l’assurance-crédit d’État

37L’action du ministère du Commerce et de l’Industrie fut également décisive dans un second domaine : celui de l’assurance des crédits à l’exportation. La tentative de redéploiement de l’impérialisme français des « horizons perdus, russes ou ottomans » vers l’Europe centrale après la Grande Guerre159 fit apparaître que, si les investissements français dans la zone coïncidèrent avec la stratégie diplomatique – les pays de la Petite Entente et la Pologne bénéficièrent à eux quatre d’environ 20 % de tous les placements français à l’étranger160 –, ils servaient peu la politique d’expansion économique extérieure définie par les pouvoirs publics qui souhaitaient orienter et concentrer les placements extérieurs vers des affaires susceptibles de favoriser le développement du commerce extérieur français161. Après l’effervescence des années 1919-1920, où, dans la continuité de la guerre, les principaux acteurs de la diplomatie commerciale travaillèrent de concert pour prendre pied dans la région, les clivages étaient réapparus entre les milieux gouvernementaux et les milieux privés, qui recommencèrent à obéir à des logiques proprement économiques, indépendantes des visées politiques de l’État français, ce qu’illustra de manière exemplaire le repli de Schneider à partir de 1922162. Pour reprendre l’expression des auteurs de l’impérialisme à la française, rarement les marchandises suivirent les capitaux163 : « Là où la Pologne abritait [...] près de 10 % de l’ensemble des capitaux français placés à l’étranger, le marché polonais recevait à peine 1 % des exportations françaises164. » Les banques développèrent des stratégies indépendantes des États, même s’il y eut des convergences165. Elles agirent soit par l’entremise de filiales créées dans les États successeurs : création de la Banque franco-polonaise, de la Banque commerciale roumaine, de la Banque franco-serbe, de la Banque des pays d’Europe centrale, pour Paribas et la Banque de l’Union parisienne, soit par la création de premières banques de groupe, fondées par des firmes industrielles pour assurer leur développement commercial, dont l’Union européenne industrielle et financière, constituée par Schneider, fut l’archétype166. Leur motivation principale fut le pari sur le développement rapide de l’économie de ces pays ; elles ne raisonnèrent pas en termes de complémentarité entre les marchés centre-européens et le marché français : le niveau des échanges demeura, en moyenne, très bas. La dépendance politique de ces États vis-à-vis de la France servit les intérêts d’hommes d’affaires portés vers des gains rapides, à court terme. Rares furent encore les entrepreneurs à accepter l’idée d’une véritable ouverture à la concurrence internationale, à réfléchir de manière globale sur les relations économiques et à en tirer les conclusions sur l’adaptation et la modernisation de leurs structures commerciales. Par conséquent, l’expansion fut portée par l’État plus que par l’initiative privée, ce que G.-H. Soutou qualifiait, au milieu des années 1970, d’« impérialisme du pauvre167 ». Cela motiva en grande partie la création du premier dispositif français d’assurance-crédit d’État.

38Comme à la fin du xix^e siècle, l’un des principaux problèmes résidait encore dans cette absence de liaison entre investissements et exportations, absence due en grande partie aux rigidités persistantes du système bancaire français, incapable de couvrir les risques à long terme. Les conditions de vente françaises, les délais de paiement et, de manière générale, les garanties apportées pour assurer les échanges étaient très insuffisants. En outre, la guerre avait fragilisé les États qui ne pouvaient plus payer comptant leurs achats et demandaient à leurs fournisseurs des délais de paiement importants, s’étendant parfois sur plusieurs années, notamment pour leurs commandes de biens d’équipement. Or, ces commandes revêtaient pour la France une importance économique particulière puisque la construction ferroviaire ou bien celle d’équipements portuaires étaient des domaines où son industrie excellait. L’absence d’un système de garantie constituait donc un handicap certain. Conscient de ces difficultés, le ministère du Commerce, et, en son sein, la direction du personnel, de l’expansion commerciale et du crédit, avaient entrepris, dès le début des années 1920, de faire travailler les associations patronales, et, en particulier, les conseillers du commerce extérieur, sur l’idée de création d’un organisme susceptible de réaliser l’assurance des crédits à l’exportation168. Le premier congrès du Comité de l’après-guerre, tenu à Marseille en 1922, y consacra une partie de ses travaux, mais en son sein, les avis sur l’opportunité d’un soutien étatique étaient très partagés169.

39En ce qui concernait la couverture des risques politiques, l’État français allait être en définitive le dernier des grands États occidentaux à se lancer dans cette voie : la Grande-Bretagne en 1919, la Belgique en 1921, le Danemark en 1922, les Pays-Bas en 1923, l’Allemagne en 1926, l’Italie en 1927 s’y étaient engagés avant lui170. Ces pays l’avaient précédé, sans se soucier du reste de la personnalité des débiteurs, alors que le système français allait distinguer débiteurs privés et débiteurs publics. En Grande-Bretagne, on l’a dit, un premier système fondé sur le financement direct des exportations par l’État avait cédé la place, en 1921, à un système d’assurance-crédit assuré par l’ECGD. La Belgique avait également tenté un essai de crédits directs à l’exportation par l’intermédiaire de la Société nationale de crédit, fondée en 1919, puis, une loi vint autoriser le gouvernement, par l’intermédiaire d’une commission spéciale, la Commission du Ducroire, le 7 août 1921, à garantir la bonne fin des opérations commerciales d’exportation. Toutefois, cette garantie ne portait que sur 49,5 % du montant des marchés conclus, ce qui ne suscita que faiblement l’intérêt des industriels belges. Aussi le système était-il en voie de remaniement vers 1926-1927171. En Allemagne, deux systèmes commencèrent à fonctionner à partir de 1926. Le premier, élaboré par le gouvernement, reposait sur des contrats passés entre l’État et deux compagnies d’assurances, la Hermès KBAG et la Frankfurter AVB, et entre ces dernières et des sociétés de réassurance. Dans le cas du second système, mis en place à la demande des commissionnaires de Hambourg, ce n’était plus l’insolvabilité du débiteur étranger qui faisait l’objet de l’assurance, mais celle de l’exportateur lui-même vis-à-vis de la banque qui avait mobilisé sa créance. En Italie, un décret-loi du 27 juin 1927 autorisa l’Institut national des assurances à accorder la garantie de l’État pour certains crédits d’exportation comportant des risques spéciaux172.

40Du côté français, l’ensemble des administrations mobilisées (Commerce, Finances et Affaires étrangères) écartaient résolument l’idée d’un concours financier de l’État. Le Mouvement général des fonds (MGF) fit clairement savoir son hostilité à tout concours du Trésor sous forme de prêts173. La politique en cours d’assainissement monétaire conduite par Poincaré s’y opposait. Il était admis que les entreprises saines s’en sortiraient, tandis que celles en difficulté ne devaient pas être portées à bout de bras par l’État. En revanche, le ministère des Finances se montra favorable à l’initiative prise par des sociétés d’assurance de créer une société destinée à couvrir les risques commerciaux encourus à l’exportation. En mars 1927 en effet, sous l’impulsion du ministère du Commerce, onze compagnies françaises et suisses décidèrent de créer une Société française d’assurance pour favoriser le crédit (la SFAFC) qui prit donc à sa charge l’assurance des crédits commerciaux à l’exportation tant en France qu’à l’étranger174. Le projet fut inspiré par Max Hermant, le président du Comité général des assurances : de facture libérale, il reposait sur l’existence de ce pool de réassurance formé par les compagnies partenaires et non par l’État175. Dans la foulée, le ministère du Commerce fit avancer le projet d’engager la garantie de l’État sur les crédits accordés aux autres États et administrations publiques étrangères pour acheter des produits français. Étaient particulièrement concernées les industries lourdes : l’industrie du matériel de chemins de fer, dont la capacité de production accrue ne pouvait plus être absorbée par le marché intérieur, les chantiers de construction navale, les constructeurs de matériel d’aviation, les industries métallurgique, électrique, automobile et les mines. Le volume des commandes, la durée des délais de paiement, la nature des risques encourus ne pouvaient être pris en charge de manière normale par les compagnies privées. Seul l’État était à même de connaître et d’apprécier la solvabilité des gouvernements acheteurs, de limiter le risque et de le garantir176.

41La future loi du 10 juillet 1928 fit l’objet de trois versions successives à la suite de discussions réunissant les responsables de la sous-direction des relations commerciales du Quai d’Orsay, du Service du crédit du ministère du Commerce, du Budget et du Mouvement général des fonds. Le projet de loi fut contresigné par Poincaré le 8 mars et soumis au Parlement. Le ministère du Commerce et de l’Industrie était autorisé à couvrir, au nom de l’État, jusqu’à 60 % de sa valeur une opération d’exportation à une administration publique étrangère. La garantie couvrait le risque de non-paiement de la créance, sous réserve que ce non-paiement ne fût pas motivé par le non-respect par l’exportateur des conditions de la commande. La quotité de 60 % avait été établie pour ne pas affaiblir le sens du risque et de la responsabilité de l’exportateur, qui devait prendre 20 % du risque à sa charge, et pour inciter les compagnies privées ou les banques à prendre en charge les 20 % restants. La garantie était accordée sur avis d’une commission interministérielle contre le payement d’une prime. Les primes étaient encaissées par la Banque nationale française du commerce extérieur et versées à la Caisse des dépôts177. La loi fut adoptée le 10 juillet 1928178. Elle ne s’appliquait pas aux administrations des États qui n’avaient pas signé de traités, de conventions ou d’accords commerciaux avec la France179. À cette date, un État comme l’Union soviétique était donc exclu du dispositif. Dans la foulée de la loi, un Comité de coassurance des risques bénéficiant de la garantie de l’État fut créé entre la SFAFC et les compagnies privées pratiquant l’assurance des crédits depuis le début du xx^e siècle : l’Urbaine-Crédit, la Nationale-Crédit, l’Assurance générale-Accidents, risques divers, la Préservatrice, la Prévoyance-Accidents et la Phénix-Incendies180.

42Le décret du 5 novembre 1928 permit l’entrée en application de la loi et la création de la Commission de l’assurance-crédit, qui déciderait de l’octroi de la garantie. Les administrations se mirent d’accord pour confier le secrétariat général au chef des services économiques de la BNFCE, Louis Pommery181. La présidence revint à Alexis Charmeil, le directeur du personnel, de l’expansion commerciale et du crédit au ministère du Commerce182. La nouvelle loi fit immédiatement l’objet de critiques tant de la part des entrepreneurs que de l’administration. Les entreprises continuèrent leurs démarches pour obtenir de nouvelles améliorations. Schneider, qui bénéficia de la procédure pour obtenir un contrat d’armements en Roumanie en 1930 et des contrats de travaux publics en Pologne et en Yougoslavie en 1931, soutint fortement par la voix de Victor Benezit, polytechnicien qui dirigeait son bureau d’études (la direction des travaux publics) depuis 1924, l’élaboration d’une loi nouvelle permettant d’accroître les exportations183. De son côté, le ministère du Commerce relayait les pressions des entrepreneurs désireux de faire entrer l’un des leurs au sein de la Commission de l’assurance-crédit : « [...] On a reconnu en Angleterre, en Allemagne et en Italie, qu’il y avait intérêt à ce qu’un contact étroit soit maintenu entre les fonctionnaires chargés de la gestion de l’assurance-crédit d’Etat et les représentants des usagers, c’est-à-dire des industriels exportateurs184. » Il proposait l’entrée du président de la Confédération générale de la production française, ce à quoi s’opposa le ministère des Finances qui estimait dangereux d’introduire une personnalité privée185. Un nouveau décret-loi fut promulgué le 27 juillet 1935 : il autorisa le ministère du Commerce à relever le pourcentage de garantie jusqu’à 80 %186. Il autorisa aussi l’extension de la garantie à des dépenses liées à l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ainsi qu’aux fournitures destinées à des sociétés françaises ou étrangères chargées d’un service public à l’étranger. En dépit de l’opposition manifestée par les Finances187, le ministère du Commerce avait obtenu de rester seul maître de la décision, après avoir reçu l’avis de la commission ministérielle.

43En 1935, la législation de 1928 avait donc été perfectionnée, mais elle continuait à ne réserver le bénéfice de la garantie de l’État qu’aux seuls marchés traités avec des administrations publiques étrangères. Or, les exportateurs étrangers avaient obtenu la faculté de se garantir contre les risques afférents à des ventes traitées avec des acheteurs étrangers privés. Conscient du décalage qui perdurait entre les exportateurs français et leurs concurrents, le ministère du Commerce élabora un nouveau projet de loi étendant la garantie de l’État à tous les contrats conclus avec des acheteurs étrangers et couvrant non les risques d’insolvabilité, toujours dévolus aux seules compagnies privées, mais les risques politiques et de transfert. La loi du 22 août 1936, complétée par le décret du 17 novembre 1937, permit l’extension du champ d’application du système d’assurance-crédit d’État aux risques politiques sur acheteurs privés, avec une quotité fixée à 80 96. Les exportateurs traitant avec des firmes étrangères privées étaient garantis contre le risque de transfert, si le transfert des sommes dues se trouvait empêché à la suite de mesures prises par le gouvernement du pays importateur, et contre le risque de non-paiement en cas de guerre, de révolution ou de toute autre mesure d’ordre politique motivant le non-paiement d’une créance188. En vertu de l’article 1 de la loi, l’octroi de la garantie était subordonné à la condition que les créances des exportateurs fussent mobilisées par une banque française agréée, ou garanties contre les risques d’insolvabilité du débiteur étranger par une société française d’assurance-crédit agréée. Les banques engagées dans le processus devaient solliciter, auprès du secrétaire général de la Commission de l’assurance-crédit, l’agrément du ministère des Finances et du ministère du Travail dont relevait la direction des assurances privées. Dans le semestre qui suivit, les banques l’obtinrent sans difficulté, telles la Banque de l’Union parisienne, la SFAFC, la Banque régionale du Nord ou encore Paribas. En revanche, l’État ne couvrait toujours pas les risques purement commerciaux, dus à l’insolvabilité de l’acheteur. Il fallait continuer à en passer par des compagnies privées, ce qui mettait une nouvelle fois les exportateurs français dans une position difficile par rapport à leurs concurrents dont l’État acceptait, directement, comme en Grande-Bretagne, ou par voie de réassurance, comme en Allemagne ou en Belgique, de couvrir les risques commerciaux. À la veille de la guerre, le dispositif français était donc loin d’être achevé.