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Territoires impériaux

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Hélène Blais
, 
Florence Deprest
, 
Pierre Singaravélou

Savoirs, inventaires, catégories

Chapitre 3. Arpenter le territoire congolais. Savoirs géographiques, ressources militaires et expansion coloniale (1870-1900)

Patricia Van Schuylenbergh

Texte intégral

  • 1 La Conférence de géographie de 1876. Recueil d’études – Bijdragen over de Aardrijkskundige Conferen (...)
  • 2 Citons notamment les travaux d’Auguste Roekens parus à l’Académie royale des sciences coloniales de (...)
  • 3 J. Vandersmissen, Koningen van de wereld. De aardrijkundige beweging en de ontwikkeling van de kolo (...)
  • 4 M. Poncelet, L’invention des sciences coloniales belges, Paris, Karthala, 2008, p. 57.

1Au cœur du mouvement expansionniste qui guide la Belgique en Afrique centrale à partir des années 1870, à l’initiative de son roi Léopold II, la géographie tient une place déterminante. Si le recueil paru à l’occasion du centenaire de la Conférence de géographie qui se tient à Bruxelles en 1876 a davantage mis en avant les aspects juridiques, financiers et religieux de cette rencontre « au sommet1 », peu d’études contemporaines ont alors souligné la dimension impérialiste de la géographie2, dont la récente thèse de Jan Vandersmissen a pourtant révélé toute la richesse et la complexité3. Alors qu’en France, en Grande-Bretagne ou en Allemagne la géographie est déjà considérée comme un instrument privilégié de l’impérialisme politique et que des sociétés savantes spécialisées se multiplient, la jeune Belgique commence à peine à envisager son intérêt afin de contribuer au bien-être économique de la nation. C’est sa vocation utilitaire pour le commerce, la navigation et l’industrie qui fait bientôt apparaître la géographie comme une « propédeutique » aux « sciences coloniales4 » et stimule son essor. À Anvers, ville portuaire ouverte sur le monde, se tient le premier Congrès de géographie en 1871, où des scientifiques de disciplines variées et issus d’horizons divers, influencés par la vision humboldtienne du monde, confrontent leurs idées et mettent l’accent autant sur la géographie physique et historique que sur les possibilités d’expansion économique de la Belgique vers l’outre-mer. Ce chapitre propose ainsi d’examiner le processus de construction des savoirs géographiques dans ce dernier tiers du xixe siècle en Belgique, savoirs qui participent à son projet expansionniste en Afrique centrale. Il s’agit d’analyser les relations étroites entre les sciences, les technologies et les aspirations impériales, d’une part, et les pratiques coloniales, d’autre part.

La construction d’un savoir colonial

Le credo de l’exploration universelle

  • 5 Rapport du secrétaire général J. Du Fief sur la situation générale de la Société belge de géographi (...)

2À cette époque, les informations diffusées sur l’Afrique centrale « découverte » par les explorateurs mettent « la science à la portée de tout le monde5 ». Les cartes de la région comprise entre les deux bras du Nil et la terra incognita du cœur de l’Afrique sont progressivement comblées (Burton, Speke, Grant et Baker). L’importance historique de ces découvertes, qui confirment en grande partie les renseignements fournis par Ptolémée sur la présence d’une vaste zone lacustre au centre du continent, stimulent l’intérêt des nations européennes. Les explorations de Livingstone dans les régions du Zambèze, du Luapula et du Lualaba offrent des renseignements inédits sur les cours de ces rivières. Stanley effectue le relevé de plusieurs lacs et confirme des informations précédentes. La « traçabilité » de ces nouveaux itinéraires construit cette vaste région équatoriale en une réalité tangible selon l’optique occidentale, en la décrivant et en donnant des noms aux lieux, aux habitants et à leurs environnements naturels. Ces voyages connaissent un énorme retentissement en Europe et sont relayés auprès du public par des maisons d’édition qui comprennent l’avantage de publier les journaux et carnets de route de ces nouveaux héros.

  • 6 Celle-ci s’inspire de plusieurs courants, représentés par d’importantes personnalités qui constitue (...)
  • 7 A. Roekens, « Le génie de Léopold II et la Conférence géographique de Bruxelles de 1876 », dans La (...)

3Les découvreurs européens ouvrent l’Afrique centrale au savoir occidental, mais préparent aussi le terrain aux projets politiques du roi Léopold II. Convaincu de la nécessité d’exploiter des colonies pour en tirer tous les avantages économiques, celui-ci va en effet utiliser l’exploration géographique comme fer de lance de sa doctrine coloniale6. Entouré d’un vaste réseau de personnalités belges et internationales issues du monde politique, diplomatique et scientifique qui l’informent sur l’état des connaissances géographiques, et très impliqué dans les rencontres internationales comme le Premier Congrès international des sciences géographiques de Paris (1875) où il est l’un des principaux souscripteurs7, le souverain patronne en Belgique la Société de géographie d’Anvers et la Société belge d’études géographiques, créées en 1876 selon les vœux formulés par les participants du Congrès de 1871. C’est à partir de cette période que le roi ambitionne de créer l’instrument destiné à matérialiser sur le terrain ses projets expansionnistes. Sous le couvert de la Conférence de géographie de Bruxelles (1876) qu’il organise au Palais royal avec le concours de nombreux géographes et explorateurs étrangers, se dessinent les contours d’une Association internationale africaine (AIA) présentée aux nations participantes comme une entreprise internationale désintéressée, qui allie des objectifs scientifiques, de lutte antiesclavagiste et de « croisade » humanitaire. Derrière ce paravent, elle lui permet de se positionner avantageusement en matière de commerce et d’exploitation coloniale. L’AIA est conçue comme un organisme d’organisation et de financement d’un chapelet de stations scientifiques et hospitalières entre Zanzibar et les côtes occidentales congolaises, établies d’après un plan commun entre les comités nationaux des pays participants. Ces stations sont destinées à servir de base d’opérations aux voyageurs isolés, de relais aux explorations systématiques et de lieux d’étape pour de nouvelles voies de pénétration commerciale, comme le fleuve Congo que l’explorateur Henry Morton Stanley termine d’emprunter dans le cadre de l’Anglo-American Expedition (1874-1877) et qui fait d’ores et déjà miroiter au souverain ses immenses potentialités. Ce dernier y perçoit la splendide opportunité d’utiliser cette voie pour pénétrer au cœur du continent et en faire une immense base d’opérations internationales et neutres. Il s’agirait d’y établir des postes comme points d’appui aux fonctions militaires, permettant la « pacification » et la « lutte contre l’esclavage », mais également sanitaires et scientifiques. À partir de ces véritables « cercles de civilisation », les explorateurs isolés pourraient alors se mouvoir vers les régions encore inconnues.

  • 8 J. Vandersmissen, op. cit., p. 224.
  • 9 Annexe II, circulaire et bulletin d’adhésion, Compte rendu des Actes de la Société belge de géograp (...)
  • 10 A.-J. Wauters, « Le Congo entre l’Équateur et l’Océan », Bulletin de la Société belge de géographie(...)

4Ce projet, qui est en réalité un instrument de propagande léopoldien, s’appuie en Belgique sur un comité national réunissant royalistes convaincus et esprits éclairés du temps, issus du monde diplomatique et universitaire. Il reçoit aussi le soutien enthousiaste des deux nouvelles Sociétés de géographie belges, dont les modes d’action et les objectifs diffèrent quelque peu. La Société de géographie d’Anvers constitue un véritable lobby « colonial8 », notamment grâce à ses membres éminents, proches collaborateurs du roi (le baron Lambermont, Émile Banning, Émile de Borchgrave, le baron Greindl, Jean-Baptiste Thys et Maximilien Strauch), et soutient le projet « humanitaire » du roi, perçu comme une mission chrétienne. Ses membres s’intéressent aux questions des liaisons avec les réseaux intérieurs africains, à la diffusion de la « civilisation » et à la lutte contre l’esclavage. Inspirée du modèle de la Société de géographie de Paris, la Société belge d’études géographiques9 (devenant Société royale belge de géographie dès 1882) supporte tout aussi activement la politique royale et diffuse des informations au sujet des explorations, mais se consacre davantage à la production de savoirs. Présidée à ses débuts par le général Liagre, elle est administrée par des savants humanistes qui possèdent des connaissances approfondies en matière d’astronomie (Jean-Charles Houzeau de Lehaie, directeur de l’Observatoire royal), de géodésie (Émile Adan, directeur du Dépôt de la guerre) et de cartographie (Joseph Vandermaelen, fils de Philippe Vandermaelen et héritier des Ateliers cartographiques, J. Du Fief, secrétaire général, professeur à l’Athénée royal de Bruxelles). Tous ont d’ailleurs participé au Premier Congrès de Paris. Dès 1884, la société s’occupe surtout de géopolitique et notamment de la question des frontières de l’Afrique centrale, mise en avant par les rivalités entre Brazza et Stanley10.

  • 11 Ibid., p. 31.

5En appuyant le projet léopoldien et en présentant le Congo comme un espace ouvert aux « influences civilisatrices, non d’une nation particulière, mais du monde entier11 », ces deux sociétés propagent l’idée d’une conquête pacifique du territoire centrafricain, réalisée grâce à l’esprit d’entreprise et à la mobilisation commune, sous l’initiative d’un « prince » éclairé. Elles mettent en avant l’esprit scientifique et humanitaire de l’AIA qui devrait permettre d’éviter toute violence pour y parvenir. Le dispositif institutionnel mis en place par ces sociétés et leurs réseaux vise trois objectifs principaux : le développement du savoir géographique par le biais de l’exploration systématique des nouveaux espaces, l’élaboration d’une science pratique de la colonisation et de sa « mise en valeur » et, enfin, la diffusion du savoir géographique dans l’enseignement. La réalisation des cartes géographiques de l’Institut national de géographie illustre bien cette démarche. Cette société anonyme créée en 1882, et dont le roi rêve de faire un centre permanent de documentation géographique dans une optique de propagande, se compose d’importants investisseurs privés qui la financent (Léopold II, le ministre d’État Jules Malou, le général Henri Wauwermans, le banquier Léon Lambert, etc.). Dès 1884, sous l’initiative d’Alphonse-Jules Wauters (1845-1916), l’un des premiers géographes de métier en Belgique, l’Institut édite également un périodique destiné à populariser les sciences géographiques, Le mouvement géographique. Organe par excellence du projet léopoldien, il devient dès 1890 celui des sociétés commerciales et industrielles installées au Congo. Les nombreuses cartes qui y figurent sont alors un formidable instrument de conquête de l’opinion pour le soutien de l’œuvre royale : elles témoignent des intenses activités exploratoires dans la région et du souci de diffuser rapidement leurs résultats en matière de connaissances géographiques (fig. 1).

Emprunts aux savoirs militaires

6Dans ce contexte, l’armée va également jouer un rôle important car le développement de la science géographique est intimement lié à la maîtrise des nouveaux savoirs en matière de cartographie, d’astronomie, de géodésie et à l’utilisation d’instruments techniques sophistiqués. Elle fournit non seulement des procédés scientifiques applicables sur le terrain, mais elle devient aussi la source privilégiée de recrutement d’un nouveau genre d’acteurs, tout à la fois « explorateurs-géographes-techniciens ».

  • 12 Ibid., p. 55.
  • 13 Les techniques géodésiques héritées des traditions françaises dominent dans les écoles militaires j (...)
  • 14 B. Jouret, « L’Institut cartographique militaire (1878-1947) », Vox Magazine, nov. 2006, p. 24 ; H. (...)

7D’une utilité absolue en période de guerre, la science géographique constitue, en temps normal, la base de la formation des officiers et se veut avant tout pacifique12. Dirigée depuis l’indépendance belge de 1830 par des cadres français qui décident des grandes orientations, l’armée belge devient le lieu de formation de véritables savants qui effectuent des travaux géodésiques et cartographiques de premier plan, dont les techniques sont héritées des traditions françaises puis allemandes13. S’établit ainsi une cartographie officielle de la Belgique par le Dépôt de la guerre (1831) qui réalise la carte d’état-major de la Belgique au 1/40000 (1883) et sa carte topographique en couleurs au 1/20 00014. Des liens plus tangibles se créent entre les dirigeants des écoles de formation militaire et les directeurs de l’Observatoire royal de Belgique. L’amitié entre le général français Nerenburger (1804-1869), brillant mathématicien formé à Saint-Cyr, naturalisé belge et directeur du Dépôt de la guerre, et son ancien professeur Adolphe Quetelet (1804-1874), personnalité belge de tout premier plan dans le développement des sciences astronomiques, mathématiques et statistiques au xixe siècle, marque le début de ces orientations. Elles sont consolidées sous l’influence d’un autre savant, Jean-Charles Houzeau de Lehaie. Nerenburger et Quetelet font tous deux partie de la Commission de révision du réseau géodésique belge.

Figure 1 – Carte publiée par l’Institut national de géographie, parue dans Le mouvement géographique du 8 mars 1885
Cette carte montre les 26 stations créées, en un temps record, par diverses nationalités marchant sous une même bannière « au centre d’immenses territoires acquis à l’œuvre par des traités réguliers passés avec les chefs, germes de futures provinces, embryons de futurs États, reliés déjà entre eux par un service de bateaux » (A.-J., Wauters, « Le Congo entre l’Équateur et l’Océan », Bulletin de la Société royale de géographie, 1884, p. 31).

(H.O.2010.31.1, collection MRAC, Tervuren).

  • 15 Ce diplômé de l’École militaire développe des aptitudes de cartographe, astronome et géodésien, et (...)
  • 16 J. Vandersmissen, op. cit., p. 226.

8Les hauts gradés de l’armée belge participent également au développement des savoirs géographiques liés à l’outre-mer en devenant les principaux animateurs des Sociétés belges de géographie. Le lieutenant-colonel du Génie Emmanuel Wauwermans (1825-1902) préside la Société de géographie d’Anvers tandis que le général Jean-Baptiste Liagre (1815-1891), à la fois successeur de Nerenburger et de Quetelet à l’École militaire et secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique, est membre fondateur de la Société belge d’études géographiques qu’il dirige en 1876, avant de laisser sa place à Émile Adan dans les années 188015. Ces personnalités possèdent une grande réputation scientifique et entretiennent d’importants réseaux, notamment avec le palais royal16. Liagre, surtout, est un savant polyvalent, formé à la culture franco-allemande. Il ouvre un champ d’investigations qui englobe toutes les branches des sciences naturelles, y compris l’anthropologie physique et l’ethnographie, la minéralogie, la paléontologie et la géographie politique associée à l’histoire et à la statistique sociale. Dans la lignée de Von Humboldt et de Houzeau, autre membre fondateur de la Société, il est fortement influencé par l’idée d’une science « humaniste », développée au service de la compréhension des secrets de la nature qui échappent en grande partie à l’homme. Son approche se distingue des travaux menés par les autres membres de la Société qui continuera à compter un nombre élevé de militaires, dont une majorité de professeurs issus des écoles militaire et de guerre.

  • 17 H. Van der Linden, « Adan Émile », Biographie nationale, XXIX, 1957, col. 21-25.
  • 18 E. Adan, « Détermination des lieux d’étape dans les voyages et les explorations », Bulletin de la S (...)
  • 19 Par exemple, E. Adan, Conférence sur l’Afrique équatoriale et les découvertes géographiques moderne (...)

9Issus des écoles et établissements de l’État (École militaire, École de guerre, Dépôt de la guerre), ces militaires dispensent à leurs élèves les savoirs scientifiques et techniques relatifs aux missions de terrain, préparant ainsi le recrutement de futurs candidats pour des missions à l’étranger. Dans les années 1870-1880, les cours de géométrie, probabilités, cartographie, astronomie, géodésie mais aussi d’histoire et de géographie militaires sont dispensés par le colonel d’état-major Émile Adan (1830-1882), directeur du Dépôt, commandant de l’École de guerre et membre correspondant de l’Académie des sciences17. Ce professeur y privilégie les techniques de géographie astronomique, les procédés de triangulation et la manipulation des instruments de travail et d’observation, notamment sur une collection d’appareils qu’il a lui-même miniaturisés, et met particulièrement l’accent sur la manière d’exploiter ces méthodes dans les stations. Selon lui, les observations astronomiques permettent non seulement de tracer des itinéraires fiables, comblant ainsi les errements et les données hasardeuses des explorateurs, de déterminer avec précision des lieux d’étape, mais aussi de sauver leur vie en leur fournissant des moyens de se diriger et d’éviter les intermédiaires (autres voyageurs, guides locaux) a priori suspects : « Les guides les plus sûrs sont fixés au ciel18. » Plus précisément, à la demande du Comité national de l’AIA dont il fait également partie, Adan dispense des cours sur l’expansion coloniale à l’École de guerre, de même qu’il renseigne les membres de l’Association et des Sociétés de géographie sur les étapes de pénétration et l’aménagement de stations en Afrique centrale. Dès 1879, il donne aussi une série de communications à l’Institut cartographique militaire, nouvelle appellation du Dépôt de la guerre19.

La géographie au service de l’expansion nationale

  • 20 Exposition universelle de Paris 1878, Catalogue des cartes et plans exposés par le Dépôt de la guer (...)

10Fils spirituel de Liagre, Adan est un partisan convaincu des valeurs d’une science universelle qui se place au-dessus des particularismes nationaux et doit se développer grâce à l’exploration des continents par les « conquérants » que sont les pionniers de la géographie. Néanmoins, le contenu et le ton de ses nombreuses conférences sur les découvertes réalisées en Afrique équatoriale encouragent la participation de la Belgique à ce mouvement européen. L’exploration du Centre africain par les militaires du Comité belge de l’AIA débute dès 1877 avec la mission Crespel-Cambier qui suscite une large publicité. En 1878, le Dépôt expose au Trocadéro, dans le cadre de l’Exposition universelle de Paris, un catalogue de cartes et plans sur la connaissance actuelle du continent africain. Il contient une grande carte des explorations réalisée par Adan, sur la base des documents publiés « par des voyageurs courageux qui se sont voués à la solution des problèmes géographiques et humanitaires », carte qui est destinée à appuyer l’œuvre léopoldienne20.

  • 21 E. Adan, « De la science astronomique dans les voyages et les explorations », Bulletin de la Sociét (...)
  • 22 E. Adan, op. cit., 1879, p. 5.
  • 23 Ibid., p. 6.
  • 24 Dans une lettre du 12 octobre 1877 adressée à la Société de géographie d’Anvers (T. Heyse, « Ernest (...)

11Munis du solide bagage scientifique dispensé par ces écoles, les militaires à la tête des cinq missions organisées par le Comité belge de l’AIA (1877-1884) demeurent cependant insuffisamment préparés pour affronter toutes les difficultés de terrain21 : « Il fallait, écrit Adan, avoir beaucoup réfléchi aux conséquences d’un projet qui allait lancer dans des contrées inexplorées et réputées inhospitalières des hommes résolus à accomplir la mission humanitaire indiquée par notre Souverain et prêts à affronter tous les périls pour glorifier le nom du petit pays d’où l’élan a été donné22. » Les Crespel, Cambier, Burdo, Maes, Becker, Storms sont considérés en Belgique comme de véritables héros, mettant leur vie en jeu pour la cause, et attirent, de ce fait, de nombreux candidats à leur succession car, comme le souligne Adan, « pour un soldat qui tombe au début d’une grande entreprise, vingt autres sollicitent l’honneur d’aller continuer l’œuvre commencée23 ». Ces nouveaux agents deviennent ainsi les protagonistes d’une nouvelle croisade pour le progrès, qui mêle intimement intérêts humanitaires, géographiques, commerciaux, industriels et scientifiques, et qui justifie le sacrifice de ces premiers explorateurs. Ernest Cambier (1844-1909), membre correspondant de la Société de géographie d’Anvers et commandant en second de la première expédition africaine, considère qu’il est de son devoir patriotique de contribuer à la prospérité de la nation belge24. Endurant avec peine son voyage entre Tabora et Karema, il met notamment en pratique, grâce à ses connaissances astronomiques, un procédé de détermination des longitudes à partir de la station de Karema, qui constitue un premier repère géographique au centre du continent. Pour services éminents rendus à la science et au progrès de la géographie, la Société lui remet à son retour un diplôme honorifique.

  • 25 E. Adan, art. cité, 1878 (a), p. 143-144.
  • 26 J. Stengers, « Introduction », dans La Conférence de géographie de 1876, op. cit., p. XIV-XXV.

12Les échanges de savoirs s’effectuent dans les deux sens. Les enseignements dispensés par les professeurs des écoles militaires procurent aux agents de l’AIA des outils scientifiques et techniques leur permettant de progresser sur le terrain (construction d’une carte d’itinéraire, mesure du GMT, utilisation du baromètre et du thermomètre, calcul de latitude). Adan leur fournit des cartes sur lesquelles ils rapportent les lieux d’étape d’après les routiers construits journellement, les détails des abords des stations et les itinéraires, déterminent les latitudes des premières stations et rectifient les erreurs des premières cartes fournies25. En contrepartie, les membres des expéditions deviennent les membres correspondants des Sociétés et y sont invités à décrire leurs expériences de terrain. Cette politique se poursuit après 1884, lorsque les cinq expéditions organisées par l’Association laissent la place à une dimension nouvelle de l’exploration, où le souhait d’universalité exploratoire se transforme en quête quasi exclusive de ressources économiques. Dès 1879, l’AIA abandonne l’idée de mélanger les nationalités dans les expéditions et les stations car l’idéal de coopération internationale qu’elle entend promouvoir se heurte très vite aux préoccupations nationales de ses participants, Grande-Bretagne et France en tête26. L’échec des expéditions de l’AIA et les conclusions des explorations de Stanley pour le Comité d’étude du Haut-Congo que le roi finance poussent alors ce dernier à concentrer exclusivement son expansionnisme sur cette région. C’est dans cette logique qu’il crée l’Association internationale du Congo (1882) qui se fera reconnaître comme puissance souveraine successivement par les États-Unis, par l’Allemagne puis par les autres pays participants à la Conférence de Berlin, pour devenir enfin l’État indépendant du Congo (EIC) en 1885.

13Dès 1881, cette volonté expansionniste du roi était appuyée officiellement par la Société de géographie d’Anvers. Elle fait œuvre de propagande en diffusant auprès du grand public par des voies diverses (Expositions internationales d’Anvers de 1885 et de 1894, Bulletin de la Société) les informations récentes sur les dernières avancées de ses explorateurs, Stanley en tête. Elle présente le Congo comme un potentiel d’investissements industriels et de relations commerciales permettant de lutter contre la lourde crise économique belge. La pénétration au cœur de ce vaste territoire est effectuée par les militaires qui forment les principaux agents du nouvel État et correspondent avec les Sociétés de géographie. Durant la période 1886-1908, l’exploration géographique reste sous le contrôle quasi exclusif de l’EIC, le plus souvent dans le sillage des campagnes militaires. Les explorateurs ont alors pour mission d’établir leur position jusqu’aux confins possibles de l’empire ainsi projeté, c’est-à-dire jusqu’aux zones de friction avec les frontières établies par d’autres nations européennes. Dans ce contexte, le rôle de la science se précise : elle transmet les connaissances sur les nouveaux territoires qui sont sous le contrôle du roi et mesure le développement de méthodes qui les rendront rentables.

Les premières expéditions scientifiques sur le terrain

La mission géodésique d’Augustin Delporte (1890-1892)

  • 27 François Folie, directeur de l’Observatoire depuis 1885, Édouard Van Beneden, zoologiste de l’unive (...)
  • 28 Diplômé de l’université de Bruxelles, il enseigne l’économie politique, géographique et industriell (...)
  • 29 MRAC/Histoire : Fonds A. Delporte (58.22), Budget des recettes et dépenses extraordinaires pour l’e (...)

14C’est pour répondre à la double préoccupation, connaître et étudier cette « part du gâteau africain » pour mieux la contrôler et la rentabiliser, que l’EIC va progressivement devenir le lieu privilégié d’une politique interventionniste d’exploitation des ressources naturelles du Congo. Les premières incitations à une exploration nationale sont introduites par les scientifiques eux-mêmes, désireux de contribuer dès le départ à l’aventure léopoldienne dans une région classée comme terra incognita et perçue comme une mine inépuisable de données inédites. La Classe des sciences de l’Académie royale de Belgique, créée à l’initiative d’Édouard Dupont, directeur du musée des Sciences naturelles de Belgique, et soutenue par des personnalités reconnues dans leurs disciplines respectives27, recommande vivement d’y procéder à l’étude du magnétisme terrestre. Défendu par le sénateur libéral, Charles Auguste Houzeau de Lehaie (1832-1922)28, neveu de Jean-Charles Houzeau29 et l’un des membres fondateurs de la Société royale belge de géographie, un projet d’exploration est accepté par les Chambres qui votent l’octroi d’une subvention de 60 000 francs belges au ministère de l’Intérieur et de l’Instruction publique.

  • 30 M. Dehalu, « Notice biographique », BCB, t. III, Bruxelles, IRCB, 1952, col. 188-202.
  • 31 B. Jouret, art. cité, p. 25.
  • 32 A. Delporte, Astronomie et cartographie pratiques à l’usage des explorateurs de l’Afrique, Bruxelle (...)
  • 33 P. Herrinck, « Magnétisme terrestre », dans Livre blanc, Bruxelles, Académie royale des sciences d’ (...)

15Augustin Delporte (1844-1891)30 représente un choix idéal pour cette mission. Docteur en sciences physiques et mathématiques de l’Université libre de Bruxelles, il a été également formé par Adan aux Écoles militaire et de guerre, où il reprend les chaires de géologie et d’astronomie en 1882. Il est reconnu pour la qualité de ses travaux sur le magnétisme terrestre. En outre, son expérience et sa préparation de terrain à l’Institut cartographique militaire (ancien Dépôt de la guerre) et son intérêt pour les explorations font de lui l’« explorateur géographe » type, à même d’aider les entrepreneurs coloniaux. Avec lui, l’idéologie de la « science utile », promue par les écoles d’ingénierie militaires au service de l’exploitation, prend tout son sens : celle-ci doit s’appliquer au perfectionnement des arts et industries, et contribuer ainsi à la prospérité publique. Instruisant, comme l’a fait Adan avant lui, les jeunes officiers appelés à servir en Afrique31, il transmet le message suivant aux futurs explorateurs : « L’explorateur géographe doit précéder le géologue, l’industriel et le colon ; seul il peut, sans dépenses exagérées, préparer le travail d’ingénieur, dans le tracé des voies de communication32. » À cette raison éminemment pratique s’ajoute un intérêt scientifique : la réalisation des travaux sur le champ magnétique terrestre et dont les recherches sont liées aux problèmes de la physique du globe et de la météorologie33.

  • 34 M.-F. Jozeau, Géodésie au xixe siècle : de l’hégémonie française à l’hégémonie allemande. Regards b (...)
  • 35 B. Jouret, « Une étude consacrée à Houzeau et à Humboldt, deux savants avant-gardistes », dans 75e (...)
  • 36 Cf. notamment ses ouvrages Essai d’une géographie physique de la Belgique, au point de vue de l’his (...)
  • 37 Delporte compare par exemple les croquis du Stanley-Pool réalisés par Stanley, Comber et Grenfell, (...)

16En Belgique, Jean-Charles Houzeau (1820-1888)34 a commencé la mesure magnétique du pays et a réalisé une carte hypsométrique de l’Europe35. Ses travaux, dans lesquels les connaissances géographiques et géologiques sont éclairées par d’intéressantes considérations sur sa vision globale de la Terre et de son étude, sur le rôle de l’homme dans l’« ordre général » de la nature et de ses œuvres36, témoignent de l’importance du paradigme humboldtien dans les recherches sur le magnétisme terrestre en Belgique. Inspirateur de modèle mathématique de Gauss dans ce domaine, Humboldt avait sollicité du tsar Nicolas Ier l’autorisation d’établir plusieurs observatoires en Sibérie et participa notamment à la Magnetic Crusade dirigée par sir Edward Sabine (1788-1883) à partir de 1839 pour construire un réseau de stations dans l’Empire britannique (Canada, Tasmanie), dans le but final de produire un relevé complet du magnétisme du globe. Delporte poursuit ce mouvement afin de mettre en évidence la nécessité d’observations astronomiques au Congo pour corriger et compléter les imprécisions des cartes existantes37. Il souhaite, par ce biais, hisser la Belgique au rang des autres nations en profitant des chances exceptionnelles de succès qu’offre le Congo, perçu comme un champ inexploré d’expériences.

  • 38 « Un pionnier de la recherche scientifique au Congo belge. Le commandant Delporte », dans Les vétér (...)
  • 39 Mouvement géographique, 4 mars 1894, p. 19.
  • 40 A. Delporte, L. Gillis, Observations astronomiques et magnétiques exécutées sur le territoire de l’ (...)

17Munis d’un matériel fabriqué selon les instructions de maisons spécialisées de Bruxelles et de Paris, Delporte et son adjoint Lucien Gillis vont établir le long du fleuve Congo trente-cinq points astronomiques, travail colossal pour l’époque, et y effectuer des mesures des composantes du champ magnétique. Ils sont également chargés par l’EIC de réaliser une triangulation pour fixer la latitude du parallèle de Noki, servant de frontière avec la colonie portugaise, ceci afin d’éviter que le tracé du chemin de fer Matadi-Léopoldville ne coupe cette limite arbitraire et ne passe chez les voisins38. L’objectif final de cette première étape est de couvrir le territoire d’un premier réseau géodésique destiné à servir de base à la triangulation du pays39 et à se rapprocher progressivement de l’Équateur magnétique. Mais le décès prématuré de Delporte au cours de sa mission limite ses résultats à des tables détaillées des coordonnées de stations40. Devenu en Belgique un « martyr » de la science, son portrait apparaît en couverture du Patriote illustré (28 juin 1891), et les journaux belges de toutes tendances lui consacrent leurs colonnes.

Mission Charles Lemaire au Katanga (1898-1900)

  • 41 Entre 1892 et 1894, le directeur du musée d’Histoire naturelle, Édouard Dupont, appuyé par Houzeau (...)
  • 42 Né à Cuesmes (près de Mons), il est formé à l’École militaire et à l’École d’application où il obti (...)

18Tandis que l’EIC organise progressivement l’exploration méthodique du territoire de l’État, son idéal scientifique est intimement mêlé au pragmatisme économique. Il étend donc les missions géodésiques à la botanique et à l’ethnographie, s’associant de la sorte au programme du musée des Sciences naturelles de Belgique41, du moins jusqu’à la constitution d’un musée spécifiquement congolais, le musée du Congo, qui voit le jour en 1898, après l’Exposition internationale de Tervuren de 1897. La mission du capitaine Charles Lemaire (1863-1926)42 illustre bien, dans ce contexte, l’équation entre les enjeux politiques, scientifiques et de mise en valeur du territoire.

  • 43 C. Lemaire, Note sur la cartographie astronomique au Congo, Bruxelles, Société belge des ingénieurs (...)
  • 44 MRAC/Histoire : Fonds Charles Lemaire (62.45) : Notes diverses, document n° 111 : lettre du secréta (...)

19En novembre 1897, le roi confie à Charles Lemaire la poursuite du programme de Delporte dans la région du Katanga. Personnalité aguerrie aux techniques militaires, ce dernier possède une expérience de terrain et des connaissances en topographie, géodésie et astronomie dispensées à l’École militaire43. Ses activités congolaises inaugurent les « missions géographiques scientifiques » qui deviennent de véritables inventaires cartographiques des régions, fondés sur des collectes de plus en plus systématiques de données. Celles-ci offrent un aperçu général de leurs potentialités naturelles et humaines qui peuvent y être exploitées de même qu’un prétexte à l’expansion des territoires de l’EIC. Ainsi, il est chargé d’opérer des reconnaissances géologiques plus ou moins importantes et de susciter des découvertes botaniques et zoologiques présentant un intérêt à la fois scientifique et économique inédit, pour le compte de l’EIC. L’objectif de la mission cache un but éminemment géopolitique : la reconnaissance approfondie des territoires de l’État dans ses limites orientale et méridionale et l’étude des possibilités de jonction fluviale entre le Katanga, le Kasai et le Kwango44 afin de déterminer les principales voies de pénétration et d’évacuation des biens et produits vers la côte occidentale plutôt que vers l’est, sous domination britannique. Pour ce faire, il reçoit du roi les pleins pouvoirs judiciaire et militaire pour contraindre les chefs locaux à signer des actes de soumission dans les régions voisines des lacs Moero et Bangwelo, et la protection de la Force publique, composée des troupes autochtones sous le commandement d’un cadre européen, afin de calmer les « sentiments des tribus frontières [qui] vis-à-vis des Européens sont mal définis ».

Méthodes et techniques sur le terrain

  • 45 C. Lemaire, op. cit.
  • 46 Isolé avec une trentaine de pisteurs locaux, il construit son itinéraire à partir de la route des c (...)
  • 47 Voir à ce propos la photo de sa Mission scientifique du Ka-Tanga, Bruxelles, P. Weissenbruch, 1902, (...)

20La mission katangaise corrige les lacunes d’une précédente mission de Lemaire dans la région de l’Équateur. Dans une petite brochure qu’il rédige sur la cartographie astronomique au Congo, Lemaire détaille ses conditions de travail pour expliquer la « fantaisie45 » de ses premiers relevés, parfois très éloignés de la réalité46. Nourri par l’expérience, il prépare cette deuxième mission en utilisant la technique de détermination de coordonnées astronomiques, appliquée avec succès par Delporte. Il dispose également d’instruments de mesure qui ont fait leur preuve, notamment auprès des explorateurs britanniques (boussole, montre, podomètre et anéroïde, baromètre à mercure Captain Georges, chronomètres de la maison Hohwü d’Amsterdam, cercle méridien de la maison Secretan à Paris, théodolite de la maison Hurlimann à Paris et magnéomètre Delporte de la maison Sacré de Bruxelles), ainsi que de trois caisses destinées aux enregistrements météorologiques, confectionnées par l’Observatoire royal d’Uccle dans le but de construire un observatoire astronomique à la station de Moliro, première étape du voyage47 (fig. 2).

  • 48 C. Lemaire, Mission scientifique du Ka-Tanga. Journal de route. Section Moliro-M’pweto-Ka-Béça-Lofo (...)
  • 49 Ainsi les niveaux d’altitude enregistrés dans les stations varient parfois de plusieurs centaines d (...)

21L’apport de ces techniques permet non seulement de garantir une méthode scientifique qui pourra être utilisée ensuite, mais aussi de justifier la validité de ses informations et, du même coup, de déclasser celles qui proviennent d’autres sources. Dans ses journaux de voyages, en partie publiés48, Lemaire s’étend largement sur l’utilisation par les agents de l’État et les explorateurs d’instruments « inutiles et non adaptés », source de fluctuations parfois très importantes des données enregistrées49, ainsi que sur les erreurs d’interprétation des informations « hasardeuses » fournies sur le terrain par les autochtones ou les Européens. Il explique, par exemple, l’indistinction couramment pratiquée par les voyageurs entre les noms des villages et ceux des chefs locaux, comme « Mpweto » qui désigne à la fois une station européenne, un village indigène et un chef. Si le chef décède, le nom change, ce qui n’est pas sans poser problème.

Figure 2 – Borne géodésique aux chutes Kiombo (Lufira)

(AP.0.0.899, collection MRAC Tervuren, photo F.L. Michel, 1898).

Eldorado katangais et frontières d’État

  • 50 S’y succèdent ainsi les expéditions de Böhm et Reichard (1883-1884), Capello et Ivens (1884- 1885), (...)
  • 51 Msiri, originaire de l’Unyamwezi, est le fondateur de l’empire Yeke au Katanga. Pratiquant le comme (...)
  • 52 M. Zimmerman, « Explorations aux sources du Zambèze et du Congo. L’expédition Lemaire », Annales de (...)
  • 53 Cette information à propos de la richesse cuprifère de la région est déjà mentionnée dans le journa (...)
  • 54 J. Cornet, Katanga. Le Katanga avant les Belges et l’expédition Bia-Francqui-Cornet, Bruxelles, 194 (...)
  • 55 Depuis 1890, le Katanga suscite la convoitise de Cecil Rhodes, président de la British South Africa (...)
  • 56 La présence de commerçants et prospecteurs étrangers dans la région, tels que Robert Williams, un i (...)

22La compétition internationale pour le cuivre et l’or est l’un des enjeux évidents du projet. Les nombreux explorateurs européens témoignent unanimement des richesses katangaises et convergent tous vers son centre nerveux, Bunkeia50, capitale du pouvoir de l’empire Garenganze du Yeke Msiri qui, bien qu’ayant toujours refusé de se soumettre aux pressions et aux demandes d’ingérence de l’EIC, est astreint par la force à donner libre accès à son territoire51. Curieusement, Lemaire fait très peu état de ces potentialités et s’attache énergiquement, au contraire, à défendre l’idée que les prétendues mines d’or du Katanga ne sont que « pure imagination52 » des explorateurs antérieurs53. Pourtant, le territoire renferme d’importants gisements de cuivre. La présence de malachite et de mines à ciel ouvert exploitées par les populations locales est déjà confirmée par le géologue Jules Cornet, membre de la mission Bia-Francqui (1892-1893). C’est sur les consignes du roi, qui veut minimiser l’intérêt de la découverte pour ne pas déchaîner l’intérêt britannique, que Cornet tait ses observations et fait état de la faible valeur relative des minerais dont les gisements, explique-t-il, sont trop éloignés pour permettre leur exploitation54. Lemaire reprend ces déclarations à son compte, ce qui incite l’opinion publique à minimiser l’importance de ces ressources convoitées depuis 189055et à éloigner définitivement les commerçants et prospecteurs miniers étrangers établis en Rhodésie du Nord et qui sont susceptibles de franchir à tout moment la ligne de faîte Congo-Zambèze pour pénétrer au Katanga56.

  • 57 P. Van Schuylenbergh, De l’appropriation à la conservation de la faune sauvage. Pratiques d’une col (...)
  • 58 C. Lemaire, op. cit., 1902, p. 169.
  • 59 C. Lemaire, Les Wamboundous. Les colporteurs noirs entre l’Atlantique et le Ka-Tanga, extrait de la (...)

23Les observations de Lemaire visent aussi à cautionner les erreurs de délimitations des frontières politiques et à rectifier les tracés selon des données scientifiques objectives. La question de l’île de Kilwa, sur le lac Moero, est révélatrice. Cédée à la Grande-Bretagne en vertu de la convention de Bruxelles du 12 mai 1894, qui délimite les zones d’influences respectives entre l’EIC et la Grande-Bretagne, Kilwa est considérée comme un foyer de contrebande afro-arabe où l’État ne peut intervenir, alors qu’elle demeure un lieu de passage privilégié pour les nombreuses caravanes du Bihé et des Bienos57. En vertu de la mission politique qui lui est assignée dans cette zone frontalière, les relevés de Lemaire marquent une position plus occidentale de l’île et plaident pour une rectification de tracé en faveur de l’État belge selon des critères scientifiques58. Dans les autres zones, il émet des avis officieux sur le choix d’emplacement ou de déplacement de certains postes militaires selon des critères essentiellement géostratégiques et économiques (facilité d’approvisionnement en eau et en nourriture, possibilité d’y développer des essais de peuplement européen, exploitation de ressources naturelles et minérales, installation et concurrence européenne avec les commerçants régionaux), non seulement vis-à-vis de ses voisins britanniques, mais aussi pour canaliser les commerçants « Wamboundous59 » (fig. 3).

Figure 3 – Itinéraire de Lemaire et ligne de faîte Congo-Zambèze, paru dans Le mouvement géographique du 21 octobre 1900

(HO.2010.30.1, collection MRAC Tervuren).

Incidences géographiques et scientifiques

24Les résultats obtenus durant la mission sont particulièrement féconds. Durant les quelque 7 000 kilomètres parcourus à pied, en steamer et en pirogue, Lemaire détermine près de 500 coordonnées géographiques et corrige certaines coordonnées précédentes, avec des variations allant jusqu’à 35 kilomètres. Les itinéraires relevés constituent les données essentielles de nouvelles cartes, notamment la feuille X de la carte au 1/2 000000 de Wauters pour la région et la première carte du Katanga au 1/1 000000, réalisée en 1903 par Hubert Droogmans, le président du Comité spécial du Katanga. Il édite lui-même un atlas composé d’une cinquantaine de feuilles qui relèvent au 1/50000 l’itinéraire parcouru et les indications précises de ses observations de terrain (fig. 4).

25Ces déterminations permettent de faire avancer la science géographique sur différents points : la fixation de l’allure générale de la ligne de faîte séparant les bassins des deux principaux fleuves africains, Congo-Zambèze ; les indications sur le rôle, fort exagéré jusque-là, du lac Dilolo qui infirment l’idée de l’écoulement de ses eaux dans des voies multiples ; la confirmation de l’hypothèse de Wauters du cours initial du Congo par la Lubudi ; la confirmation des dernières informations britanniques mentionnant le report plus vers l’ouest de la rive occidentale du Tanganyika.

  • 60 MRAC/Histoire : Fonds Charles Lemaire (62.45) : Notes diverses, document n° 110.

26Outre les déterminations et les relevés cartographiques, Lemaire enregistre des observations diverses en sciences naturelles et anthropologie, documentées par des photographies, aquarelles, objets et dépouilles récoltés par les membres de la mission. Les descriptions publiées de sa mission font revivre le Katanga agricole de l’époque de l’installation de ses postes les plus importants (Lofoi et Pweto) et renseignent sur les pratiques locales comme le tréfilage du cuivre, la fonte du fer, la construction des hauts-fourneaux. Elles offrent de nombreuses indications sur l’environnement naturel de l’époque, la configuration des sols et de la végétation, les modes de vie des populations rencontrées. La mission témoigne également de la vive impulsion donnée à l’époque par le gouvernement de l’EIC à la réalisation plus systématique de récoltes de spécimens sur le terrain, à destination du musée du Congo. Théodore Masui, directeur de l’Exposition de 1897, recommande à Lemaire d’accompagner ses envois par des croquis colorisés du peintre Léon Dardenne, des photographies de Frantz Michel et des détails scientifiques de l’expédition (itinéraires, liste des choses signalées), informations qui paraîtront dans la revue des Annales du Musée afin de ne pas laisser « stériles » les travaux entrepris par des Belges, de reconnaître publiquement leur primauté dans des découvertes déjà dérobées par les étrangers et de montrer le sérieux apport scientifique national lors de l’Exposition de Paris de 190060. De nombreux écrits et des conférences de vulgarisation scientifique à destination de publics issus du monde de l’industrie, du commerce et des mines paraissent sous son nom après l’expédition, sous forme d’ouvrages, de brochures, d’articles publiés notamment dans le Mouvement géographique, La Belgique coloniale, la Société belge de géologie, le Service météorologique de Belgique.

Figure 4 – Atlas donnant l’itinéraire détaillé parcouru par la Mission scientifique du Katanga, échelle 1/50000, Bruxelles, P. Weissenbruch, 1902, feuille 12

(HA.01.181, collection MRAC Tervuren).

27Répondant à l’appel de l’outre-mer, la production d’un savoir géographique en Belgique se développe dans le contexte d’un régime économique libéral qui cherche avant tout des débouchés à l’étranger. Cette volonté expansionniste est intimement liée au rôle central de Léopold II, qui non seulement s’inspire des avancées du mouvement géographique international pour élaborer les principales caractéristiques de sa doctrine coloniale, mais utilise également les données rassemblées par ses Sociétés et ses réseaux pour l’alimenter. L’ouverture progressive du continent africain aux découvertes internationales lui donne ainsi l’occasion de réaliser un projet géographique tout à fait original qui, sur fond de croyance absolue dans le progrès, propose une internationalisation de l’exploration dans un but « humanitaire » et « pacifique », où l’impérialisme peut trouver matière à se déployer.

28L’Afrique équatoriale devient le terrain d’expérimentation d’une science géographique économique qui souhaite rapprocher les peuples européens, favoriser le commerce et l’industrie, et augmenter la richesse des nations occidentales. La description et l’inventaire tous azimuts des territoires explorés deviennent dès lors une nécessité absolue, et les militaires, pionniers de l’exploration, présentés comme de véritables conquérants, voire des martyrs de la cause, deviennent les nouveaux héros de ces pratiques de terrain. Ceux-ci, appuyés par des techniques militaires de plus en plus fiables, ouvrent des perspectives inédites et font miroiter de nouveaux enjeux en mettant en évidence les ressources environnementales, humaines, naturelles qui peuvent y être exploitées. Au fur et à mesure que se développent les savoirs concernant l’Afrique centrale, s’impose la volonté de « nationaliser » la région afin d’y freiner la concurrence des pays européens voisins et d’y garder, de la sorte, un monopole de fait et de droit. Le passage d’un impérialisme international, imaginé par Léopold II, à un colonialisme d’État, finalement préféré par ce dernier, marque ce changement de perspective. L’État indépendant du Congo, une fois constitué, prend bientôt conscience du rôle des sciences comme fondement d’une politique interventionniste de gestion et de mise en œuvre des ressources naturelles du Congo. Les premières missions scientifiques organisées sur le territoire, comme la mission Delporte et surtout la mission Lemaire, servent de laboratoires du « tout-connaître », stimulant l’occupation politique de la région et la mise en valeur économique de ses terres ; elles servent également de cadre de compétition entre les nations pour l’appropriation de ses ressources ; elles récoltent, enfin, une multitude d’observations, d’objets et de spécimens qui, une fois exportés en métropole, sont instrumentalisés, disséqués, classés et exhibés pour alimenter les musées comme le musée du Congo à Tervuren.

Figure 5 – Tréfilage du cuivre à Moliro

(AP.0.0.936, collection MRAC Tervuren ; photo F.L. Michel, 1898).

Figure 6 – Postures anthropologiques des « Warua » (Pweto, Haut-Luapula)

(AP.0.0.21779, collection MRAC Tervuren ; photo F.L. Michel, 1899).

Figure 7 – Aquarelles botaniques du peintre L. Dardenne

(HO.0.1.1079-3, collection MRAC Tervuren).

Bibliographie

Sources

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Adan, E., Conférence sur l’Afrique équatoriale et les découvertes géographiques modernes avec une carte, ministère de la Guerre (Communications de l’ICM, n° 2), Bruxelles, imprimerie A. Cnophs Fils, 1879.

Anonyme, « Un pionnier de la recherche scientifique au Congo belge. Le commandant Delporte », Les vétérans coloniaux. Revue congolaise illustrée, 8, 1948, p. 9.

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Delporte, A. et Gillis, L., Observations astronomiques et magnétiques exécutées sur le territoire de l’État indépendant du Congo, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1892.

Delporte, A., Astronomie et cartographie pratiques à l’usage des explorateurs de l’Afrique, Bruxelles, A. Manceaux, 1889.

Herrinck, P., « Magnétisme terrestre », dans Livre blanc, Académie royale des sciences d’outre-mer, t. II, Bruxelles, 1962, p. 222.

Houzeau de Lehaie, J.-C., Essai d’une géographie physique de la Belgique, au point de vue de l’histoire et de la description du globe, Bruxelles, M. Hayez, 1854.

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Lemaire, C., Les Wamboundous. Les colporteurs noirs entre l’Atlantique et le Ka-Tanga, extrait de la Revue de géographie (juin, juillet et août 1902), Paris, Ch. Delagrave, 1902.

Lemaire, C., Mission scientifique du Ka-Tanga. Journal de route. Section Moliro-M’pweto-Ka-Béça-Lofoï-Chutes Ki-Oubo, Bruxelles, P. Weissenbruch, 1902.

Lemaire, C., Note sur la ligne de faîte Congo-Zambèze, extrait du Bulletin de la Société de géographie de l’Est (1er et 2e trimestres 1902), Nancy, Berger-Levrault et Cie, 1903.

Lemaire, C., Note sur la cartographie astronomique au Congo, Bruxelles, Société belge des ingénieurs et industriels, A. Lesigne, 1906.

Luwel, M., « Rapport sur le dossier “Organisation de l’exploration scientifique du Congo (1889-1894)” », Bulletin de l’Académie royale de sciences coloniales, 46, 1956, p. 967.

Roekens, A., Léopold II et l’Afrique 1855-1880, ARSC, 1958.

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Verbeken, A., Msiri roi du Garenganze, Bruxelles, L. Cuypers, 1956.

Wauters, A.-J., « Le Congo entre l’Équateur et l’Océan », Bulletin de la Société belge de géographie, 8, 1884, p. 26-32.

Zimmerman, M., « Explorations aux sources du Zambèze et du Congo. L’expédition Lemaire », Annales de géographie, IX, 48, 1900, p. 474.

Notes

1 La Conférence de géographie de 1876. Recueil d’études – Bijdragen over de Aardrijkskundige Conferentie van 1876, Académie royale des sciences d’outre-mer – Koninklijke Academie voor Overzee Wetenschappen, 1976.

2 Citons notamment les travaux d’Auguste Roekens parus à l’Académie royale des sciences coloniales de Belgique (Les débuts de l’œuvre africaine de Léopold II, 1875-1879,1955 ; Léopold II et la Conférence géographique de Bruxelles, 1876,1956 ; La période initiale de l’œuvre africaine de Léopold II. Nouvelles recherches et documents inédits, 1875-1883,1957 ; Léopold II et l’Afrique 1855-1880,1958, etc.) et d’Albert Duchesne dans la collection de l’Académie royale des sciences d’outre-mer, sa nouvelle appellation (« La pensée expansionniste du duc de Brabant, futur roi Léopold II », dans L’expansion belge sous Léopold Ier, 1831-1865,1965, p. 741-767).

3 J. Vandersmissen, Koningen van de wereld. De aardrijkundige beweging en de ontwikkeling van de koloniale doctrine van Leopold II, thèse de doctorat en histoire, faculté de philosophie et lettres, université de Gand, année académique 2007-2008.

4 M. Poncelet, L’invention des sciences coloniales belges, Paris, Karthala, 2008, p. 57.

5 Rapport du secrétaire général J. Du Fief sur la situation générale de la Société belge de géographie, dans Compte rendu des Actes de la Société belge de géographie, 1re année, n° 2, mars-avril 1877, p. 48.

6 Celle-ci s’inspire de plusieurs courants, représentés par d’importantes personnalités qui constituent son « arsenal » : Henri-Alexis Brialmont, qui collabore au projet militaire et expansionniste du roi en Chine dans les années 1860 et conclut à la nécessité de disposer de colonies pour augmenter la puissance et la prospérité de la nation, et prouver la capacité du peuple belge à être impérialiste, à l’instar d’autres nations européennes comme la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas ; J.W.B. Money, auteur de Java or How to Manage a Colony (1861) ; Charles Sainctelette, qui le met en contact avec le publiciste français Jules Duval, autorité en matière d’affaires coloniales ; Émile de Borchgrave, représentant des Affaires étrangères et du roi aux Congrès géographiques d’Anvers en 1871 et de Paris en 1875, et l’un des collaborateurs les plus importants dans la préparation de la Conférence de géographie de 1876 ; ses grands commis et conseillers en Affaires étrangères, Auguste Lambermont et Émile Banning.

7 A. Roekens, « Le génie de Léopold II et la Conférence géographique de Bruxelles de 1876 », dans La Conférence de géographie, op. cit., p. 384.

8 J. Vandersmissen, op. cit., p. 224.

9 Annexe II, circulaire et bulletin d’adhésion, Compte rendu des Actes de la Société belge de géographie, 1re année, n° 1, août 1876-février 1877, p. 17.

10 A.-J. Wauters, « Le Congo entre l’Équateur et l’Océan », Bulletin de la Société belge de géographie, VIII, 1884, p. 26-32.

11 Ibid., p. 31.

12 Ibid., p. 55.

13 Les techniques géodésiques héritées des traditions françaises dominent dans les écoles militaires jusqu’en 1845, tant sur le plan des instruments présentés (le cercle répétiteur pour la mesure des angles horizontaux) que pour les corrections indiquées pour la mesure des angles horizontaux. À partir de cette période, les traditions allemandes l’emportent, notamment par rapport aux nouvelles méthodes utilisées et enseignées de manière plus soutenue dans les universités prussiennes : application du calcul des probabilités (théorie des moindres carrés), théorie des erreurs et théorie des calculs d’approximations (cf. pour le cas français : H. Lacombe et P. Costabel (dir.), La figure de la Terre du xviiie siècle à l’ère spatiale, Paris, Acad. des sciences, 1988 ; J.-J. Levallois, Mesurer la terre. 300 ans de géodésie française. De la toise du Châtelet au satellite, Paris, Presses des Ponts et Chaussées, 1988 ; et pour le cas allemand : W. Bialas, Edgestalt, Kosmologie und Weltanschauung. Die Geschichte der Geodäsie als Teil der Kultuurgeschichte, Stuttgart, Konrad Wittwer, 1985 ; J.-L. Chabert, « Gauss et la méthode des moindres carrés », Revue d’histoire des sciences, 42,1989, p. 5-26.

14 B. Jouret, « L’Institut cartographique militaire (1878-1947) », Vox Magazine, nov. 2006, p. 24 ; H. Elkadem, « La cartographie », dans Histoire des sciences en Belgique, 1815-2000, R. Halleux, J. Vandersmissen, A. Despy-Meyer et G. Vanpaemel (dir.), t. I, Tournai, La Renaissance du livre, 2001, p. 221-222.

15 Ce diplômé de l’École militaire développe des aptitudes de cartographe, astronome et géodésien, et affine ses connaissances auprès de Charles Houzeau de Lehaie, directeur de l’Observatoire royal de Belgique et membre de la Société.

16 J. Vandersmissen, op. cit., p. 226.

17 H. Van der Linden, « Adan Émile », Biographie nationale, XXIX, 1957, col. 21-25.

18 E. Adan, « Détermination des lieux d’étape dans les voyages et les explorations », Bulletin de la Société royale belge de géographie, 1878, p. 142. Cette communication est faite au Comité national de l’AIA (séance du 1er mars 1878). Voir aussi, sur cette question, le chapitre 4 dans cet ouvrage.

19 Par exemple, E. Adan, Conférence sur l’Afrique équatoriale et les découvertes géographiques modernes avec une carte, ministère de la Guerre (Communications de l’Institut cartographique militaire, n° 2), Bruxelles, imprimerie A. Cnophs Fils, 1879.

20 Exposition universelle de Paris 1878, Catalogue des cartes et plans exposés par le Dépôt de la guerre de Belgique, format manuscrit, p. 17-18.

21 E. Adan, « De la science astronomique dans les voyages et les explorations », Bulletin de la Société de géographie d’Anvers, II, 1878, p. 121.

22 E. Adan, op. cit., 1879, p. 5.

23 Ibid., p. 6.

24 Dans une lettre du 12 octobre 1877 adressée à la Société de géographie d’Anvers (T. Heyse, « Ernest Cambier », dans Biographie coloniale belge, t. III, Bruxelles, Institut royal colonial belge, 1952, col. 116.

25 E. Adan, art. cité, 1878 (a), p. 143-144.

26 J. Stengers, « Introduction », dans La Conférence de géographie de 1876, op. cit., p. XIV-XXV.

27 François Folie, directeur de l’Observatoire depuis 1885, Édouard Van Beneden, zoologiste de l’université de Liège, et François Crepin, directeur du Jardin botanique de l’État.

28 Diplômé de l’université de Bruxelles, il enseigne l’économie politique, géographique et industrielle à l’École de mines à Mons (1870). Il est un des membres fondateurs de la Société royale belge de géographie (1876) et en est nommé vice-président puis président (1897-1903). Il défend les principes du libéralisme politique et devient député de l’arrondissement de Mons à la Chambre (1882), puis au Sénat (1897), où il promeut le rôle de la Belgique à l’Institut colonial international, défend l’école publique, combat le protectionnisme et est partisan du suffrage universel. Cf. M. Coosemans, « Notice biographique », BCB, t. III, Bruxelles, IRCB, 1952, col. 458-459.

29 MRAC/Histoire : Fonds A. Delporte (58.22), Budget des recettes et dépenses extraordinaires pour l’exercice 1890, Chambre des représentants, n° 164, séance du 29 avril 1890, p. 4.

30 M. Dehalu, « Notice biographique », BCB, t. III, Bruxelles, IRCB, 1952, col. 188-202.

31 B. Jouret, art. cité, p. 25.

32 A. Delporte, Astronomie et cartographie pratiques à l’usage des explorateurs de l’Afrique, Bruxelles, A. Manceaux, 1889, p. 8.

33 P. Herrinck, « Magnétisme terrestre », dans Livre blanc, Bruxelles, Académie royale des sciences d’outre-mer, t. II, 1962, p. 222.

34 M.-F. Jozeau, Géodésie au xixe siècle : de l’hégémonie française à l’hégémonie allemande. Regards belge, thèse de doctorat en épistémologie et histoire des sciences (dir. P. Crespel), université Paris VII Denis-Diderot, soutenue le 18 juin 1997, p. 96.

35 B. Jouret, « Une étude consacrée à Houzeau et à Humboldt, deux savants avant-gardistes », dans 75e anniversaire de l’Athénée royal d’Uccle. Hommage à J.-C. Houzeau, Bruxelles, impr. Clerebaut, février 2007, p. 59.

36 Cf. notamment ses ouvrages Essai d’une géographie physique de la Belgique, au point de vue de l’histoire et de la description du globe (1854), Histoire du sol de l’Europe (1857).

37 Delporte compare par exemple les croquis du Stanley-Pool réalisés par Stanley, Comber et Grenfell, et note que, s’il existe une vague ressemblance dans la forme du lac, son orientation et ses dimensions sont très divergentes selon les auteurs. Grenfell le dessine quatre fois plus grand que Comber.

38 « Un pionnier de la recherche scientifique au Congo belge. Le commandant Delporte », dans Les vétérans coloniaux. Revue congolaise illustrée, août 1948, p. 9.

39 Mouvement géographique, 4 mars 1894, p. 19.

40 A. Delporte, L. Gillis, Observations astronomiques et magnétiques exécutées sur le territoire de l’État indépendant du Congo, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1892.

41 Entre 1892 et 1894, le directeur du musée d’Histoire naturelle, Édouard Dupont, appuyé par Houzeau de Lehaie, demande à son ministre de tutelle un accroissement de son budget pour organiser un programme d’exploration méthodique du territoire de l’EIC, permettant la récolte de spécimens d’histoire naturelle. Entre-temps, l’idée de constituer un musée spécifiquement congolais est mise en avant, avec l’extension des récoltes à d’autres branches du savoir, dont l’ethnographie et la géologie (M. Luwel, « Rapport sur le dossier “Organisation de l’exploration scientifique du Congo (1889-1894)” », Bulletin de l’Académie royale de sciences coloniales, n° 46, 1956, p. 967.

42 Né à Cuesmes (près de Mons), il est formé à l’École militaire et à l’École d’application où il obtient le grade de sous-lieutenant au 2e régiment d’artillerie. Commissaire de district adjoint durant son 1er terme (nov. 1889-oct. 1893) dans l’EIC, il dirige le service de portage entre Matadi et Léopoldville avant d’administrer Coquilhatville où il développe des plantations économiques (café, cacao, tabac), effectue de nombreuses reconnaissances et observations géographiques, ethnographiques, botaniques, et apporte des informations supplémentaires sur les données des cours de rivières (Ruki, Busira, Lulonga, Lopori, Ikelemba) et sur l’hydrographie du lac Tumba. Après son retour en Belgique, où il donne de nombreuses conférences auprès de sociétés scientifiques mais aussi pour rallier l’opinion publique à l’annexion du Congo à la Belgique, il retourne en 1885 au Congo où il accompagne la Commission des travaux du chemin de fer du Congo. En 1897, il est le secrétaire général de l’Exposition internationale de Tervuren. Après avoir commandé la mission scientifique du Katanga (1898-1900), il commande celle du Bahr-el-Ghazal et y organise les territoires donnés à bail par l’Angleterre à Léopold II (1902-1905) (cf. N. Laude, « Notice biographique », Biographie coloniale belge, t. 2, Bruxelles, ARSC, 1951, col. 603-608).

43 C. Lemaire, Note sur la cartographie astronomique au Congo, Bruxelles, Société belge des ingénieurs et industriels, A. Lesigne, 1906, p. 4.

44 MRAC/Histoire : Fonds Charles Lemaire (62.45) : Notes diverses, document n° 111 : lettre du secrétaire d’État, signé Liebrechts (secrétaire général pour le secrétaire d’État absent) au gouverneur général du 3 avril 1898.

45 C. Lemaire, op. cit.

46 Isolé avec une trentaine de pisteurs locaux, il construit son itinéraire à partir de la route des caravanes, seul repère qui lui est disponible, mais se heurte à d’autres difficultés : mauvaise compréhension des questions et interprétation des réponses, environnement naturel de hautes herbes où « la route disparaît après 10 mètres » (le système du porte-fanion pour prendre l’azimut se révèle inutilisable). Il utilise finalement le levé à la planchette-boussole, tout en hésitant malgré tout sur l’exactitude de ses représentations.

47 Voir à ce propos la photo de sa Mission scientifique du Ka-Tanga, Bruxelles, P. Weissenbruch, 1902, p. 106.

48 C. Lemaire, Mission scientifique du Ka-Tanga. Journal de route. Section Moliro-M’pweto-Ka-Béça-Lofoï-Chutes Ki-Oubo, Bruxelles, P. Weissenbruch, 1902.

49 Ainsi les niveaux d’altitude enregistrés dans les stations varient parfois de plusieurs centaines de mètres tandis que le taux d’erreur valable de nivellement barométrique en zone équatoriale est de 50 à 60 mètres maximum.

50 S’y succèdent ainsi les expéditions de Böhm et Reichard (1883-1884), Capello et Ivens (1884- 1885), Delcommune, Stairs-Bodson, Le Marinel (1891-1892), Bia-Francqui-Cornet (1892).

51 Msiri, originaire de l’Unyamwezi, est le fondateur de l’empire Yeke au Katanga. Pratiquant le commerce d’esclaves, d’ivoire et de cuivre, il admet dès 1886 les missionnaires dans son royaume, et commence à recevoir des agents européens avec plus ou moins de succès : les Allemands Reichard et Böhm (1884), les Portugais Ivens et Capello (1884), les Écossais Arnot (1886) et Thompson (1890), l’Anglais Sharpe (1891). Le Belge Le Marinel parvient à lui faire signer un traité par lequel il se met sous la protection de l’EIC pour échapper aux attaques des Arabes et de ses autres voisins (1891). Cependant, il refuse de se soumettre à l’État et meurt après une vive altercation avec l’agent Bodson. Son fils Mokanda Bantu prend le pouvoir et accepte l’autorité de l’EIC, les Européens ayant enfin libre accès au Katanga (M. Coosemans, « Notice biographique », Biographie coloniale belge, t. II, Bruxelles, IRCB, 1952, col. 720-725). Cf. A. Verbeken, Msiri roi du Garenganze, Bruxelles, L. Cuypers, 1956 ; H. Legros, Chasseurs d’ivoire. Une histoire du royaume yeke du Shaba (Zaïre), Bruxelles, Institut de sociologie, anthropologie sociale, Éditions de l’ULB, 1996.

52 M. Zimmerman, « Explorations aux sources du Zambèze et du Congo. L’expédition Lemaire », Annales de géographie, vol. 9, n° 48, 1900, p. 474.

53 Cette information à propos de la richesse cuprifère de la région est déjà mentionnée dans le journal de voyage de l’explorateur portugais Lacerda en 1798, traduit en anglais par Burton, The Land of Cazembe, et publié par la Royal Geographical Society de Londres en 1873. Elle est également confirmée lors des voyages du Français J.B.B. Douville, des Britanniques Livingstone, Speke et Cameron, de l’Allemand Reichard et de l’Anglo-Américain Stanley, notamment.

54 J. Cornet, Katanga. Le Katanga avant les Belges et l’expédition Bia-Francqui-Cornet, Bruxelles, 1944, p. 324-327, cité dans R. Brion et J.-L. Moreau, De la mine à mars. La genèse d’Umicore, Tielt, Lannoo, 2006, p. 70.

55 Depuis 1890, le Katanga suscite la convoitise de Cecil Rhodes, président de la British South Africa Company, à laquelle le gouvernement britannique a donné carte blanche pour administrer le bassin du Zambèze. Rhodes, déterminé à pousser aussi loin que possible l’emprise britannique vers le nord et au mépris de l’Acte de Berlin qui fixe la frontière méridionale du Congo à la ligne de faîte Congo-Zambèze, projette d’accaparer le Katanga sur le motif que Léopold II n’a pas de droits sur un territoire qu’il n’occupe pas effectivement. Pour répondre à cet objectif et pour pallier des finances déficitaires, l’EIC crée, à son tour en 1891, une compagnie à charte, la Compagnie du Katanga (CSK) qui se voit confier l’exploration du Katanga dans la perspective d’y développer la colonisation, l’agriculture, le commerce et l’exploitation minière, ainsi que d’y assurer les fonctions de relais politique entre l’État et les chefs locaux. En contrepartie, elle se voit octroyer la pleine propriété d’un tiers du territoire et la concession de l’exploitation du sous-sol pendant quatre-vingt-dix-neuf ans. Entre 1891 et 1894, la Compagnie assure les frontières sud-est de l’EIC avec soumission de ses chefs. Suite à cette prise de possession, la Grande-Bretagne reconnaît officiellement les droits de l’EIC sur le Katanga en 1894.

56 La présence de commerçants et prospecteurs étrangers dans la région, tels que Robert Williams, un ingénieur écossais qui obtient des concessions minières en Rhodésie du Nord pour le compte de la Tanganyika Concessions Ldt, en bordure du Katanga, et qui franchit en 1899 la ligne de faîte du Congo-Zambèze, indique bien les vives rivalités entre les États dans ce domaine. Le CSK accorde à Williams l’autorisation d’effectuer des recherches dans le territoire confiné entre les rivières Lufira et Lualaba et à la frontière méridionale de l’EIC, avec bénéfices répartis entre sa société (40 %) et le CSK (60 %). Fin 1900, le CSK, qui administre dorénavant la région pour le compte de l’EIC, va systématiquement exploiter les gisements miniers de la région, qui deviennent rapidement une source de revenus colossaux.

57 P. Van Schuylenbergh, De l’appropriation à la conservation de la faune sauvage. Pratiques d’une colonisation : le cas du Congo belge (1885-1960), thèse de doctorat en histoire, Louvain-la-Neuve, UCL, 2006, p. 105.

58 C. Lemaire, op. cit., 1902, p. 169.

59 C. Lemaire, Les Wamboundous. Les colporteurs noirs entre l’Atlantique et le Ka-Tanga, extrait de la Revue de géographie (juin, juillet et août 1902), Paris, Ch. Delagrave, 1902, p. 27.

60 MRAC/Histoire : Fonds Charles Lemaire (62.45) : Notes diverses, document n° 110.

Table des illustrations

Légende Figure 1 – Carte publiée par l’Institut national de géographie, parue dans Le mouvement géographique du 8 mars 1885 Cette carte montre les 26 stations créées, en un temps record, par diverses nationalités marchant sous une même bannière « au centre d’immenses territoires acquis à l’œuvre par des traités réguliers passés avec les chefs, germes de futures provinces, embryons de futurs États, reliés déjà entre eux par un service de bateaux » (A.-J., Wauters, « Le Congo entre l’Équateur et l’Océan », Bulletin de la Société royale de géographie, 1884, p. 31).
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/42396/img-1.jpg
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Légende Figure 2 – Borne géodésique aux chutes Kiombo (Lufira)
Crédits (AP.0.0.899, collection MRAC Tervuren, photo F.L. Michel, 1898).
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/42396/img-2.jpg
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Légende Figure 3 – Itinéraire de Lemaire et ligne de faîte Congo-Zambèze, paru dans Le mouvement géographique du 21 octobre 1900
Crédits (HO.2010.30.1, collection MRAC Tervuren).
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/42396/img-3.jpg
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Légende Figure 4 – Atlas donnant l’itinéraire détaillé parcouru par la Mission scientifique du Katanga, échelle 1/50000, Bruxelles, P. Weissenbruch, 1902, feuille 12
Crédits (HA.01.181, collection MRAC Tervuren).
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/42396/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 97k
Légende Figure 5 – Tréfilage du cuivre à Moliro
Crédits (AP.0.0.936, collection MRAC Tervuren ; photo F.L. Michel, 1898).
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/42396/img-5.jpg
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Légende Figure 6 – Postures anthropologiques des « Warua » (Pweto, Haut-Luapula)
Crédits (AP.0.0.21779, collection MRAC Tervuren ; photo F.L. Michel, 1899).
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/42396/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 58k
Légende Figure 7 – Aquarelles botaniques du peintre L. Dardenne
Crédits (HO.0.1.1079-3, collection MRAC Tervuren).
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/42396/img-7.jpg
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Auteur

Royal Museum for Central Africa (Belgique)

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