Entre droit et science sociale : la famille selon l’Académie espagnole des sciences morales et politiques (1860-1889)
p. 141-155
Texte intégral
1En me proposant d’étudier l’Académie royale des sciences morales et politiques espagnole (entre 1857, date de sa création, et 1931), mon objectif était d’examiner les modalités d’élaboration d’un discours normatif sur l’homme naturel et social dans une institution savante et sur une longue durée1. Cette partie de mon travail s’est nourrie des propositions méthodologiques de l’histoire et de la philosophie des sciences qui, depuis une vingtaine d’années, s’efforcent d’étudier les conditions concrètes de la production d’un savoir scientifique et s’intéressent aux lieux, institutions et milieux dans lesquels il est construit2. Les académies présentent, dans le cadre de ces recherches, un certain nombre de spécificités. Elles réunissent un cercle restreint d’hommes considérés comme les représentants les plus légitimes d’une discipline ou d’une spécialité intellectuelle. À la différence de l’université (lieu de transmission) et de l’ouvrage savant (travail individuel), elles sont surtout un lieu d’exposition et d’échange scientifique entre pairs. C’est aussi un lieu d’accès aux savoirs et aux informations : ceux que détiennent les académiciens eux-mêmes, ceux auxquels ils accèdent grâce aux contacts entretenus avec d’autres institutions savantes, espagnoles ou étrangères.
2L’Académie que j’ai choisi d’étudier présente une autre caractéristique : son objet même subit, dans les quarante années qui suivent sa création, une profonde transformation. Elle n’affecte pas seulement le contenu de ses propositions mais la signification disciplinaire du syntagme « sciences morales et politiques », apparu à la fin du xviiie siècle pour qualifier des savoirs englobant les sciences de gouvernement et l’étude des « mœurs », c’est-à-dire des actions libres des hommes, qu’étudient l’histoire, la philosophie morale et politique3. La création de l’Académie est antérieure à la structuration des sciences sociales en disciplines différenciées par des chaires universitaires : les premiers académiciens qui « incarnent » les sciences morales et politiques sont des juristes, des économistes et des historiens. Les premiers « sociologues » reconnus comme tels n’entrent à l’Académie qu’à partir des années 1890. L’évolution des thèmes de réflexion de l’Académie et de ses orientations méthodologiques offre ainsi la possibilité de réfléchir sur les matrices disciplinaires et thématiques des sciences sociales, et notamment sur la place des catégories et des problèmes juridiques dans l’élaboration de leurs objets. Le recrutement de l’Académie procédant de la cooptation, les nouveaux venus sont souvent les disciples des premiers. Cette succession humaine et intellectuelle donne à l’évolution théorique la dimension concrète de la transmission.
3Le deuxième objet de mes recherches concerne les rapports entre norme théorique et norme juridique. Il tient compte du double ancrage, politique et savant, d’une institution qui ne sépare pas les questions de la connaissance et de la régulation du social. La présence des académiciens dans les différentes instances de production du droit (ministère de la Grâce et de la Justice, Tribunal suprême, Commission de la codification), la représentation académique dans les organes consultatifs de l’État ainsi que la consultation directe par le gouvernement (notamment par le biais de rapports remis au gouvernement sur des projets de loi) autorisent l’étude comparative de la doctrine académique et des textes juridiques portant sur des objets similaires.
4J’ai choisi d’aborder cette articulation entre savoirs sur l’homme et norme juridique à travers l’un des objets de prédilection de l’Académie : la famille. D’un point de vue quantitatif, sa place dans les travaux académiques est importante sur l’ensemble de la période que j’étudie (1860-1930). Il est présent dans différents domaines disciplinaires : le droit civil, la philosophie et l’histoire, et à partir des années 1890 la sociologie. L’objectif de ce travail n’était pas d’analyser seulement le contenu idéologique des thèses académiques mais de mettre en évidence les logiques intellectuelles et institutionnelles qui expliquent la place importante que prennent dans l’Académie les questions liées à la famille.
5On peut à ce propos avancer quelques hypothèses : les académiciens reproduisent l’usage que la théorie politique classique fait de la famille comme métaphore de l’organisation politique (un État en modèle réduit) ; ils répondent à des sollicitations extérieures, aux attaques lancées par les théoriciens socialistes contre cette institution ; et un certain nombre d’entre eux participent à la codification du droit civil espagnol, qui en régule l’organisation4.
6 Les hypothèses précédemment évoquées isolent des explications différentes de l’importance accordée à la famille dans l’Académie : l’une savante, la seconde idéologique et la dernière juridique. Elles sont évidemment imbriquées. Pour ne pas les séparer, j’organiserai mon propos autour des objectifs assignés à l’Institution par le pouvoir politique et par les académiciens eux-mêmes. Et cela pendant la période qui précède l’adoption du Code civil, entre 1860 et 1889. J’envisagerai dans un premier temps l’Académie comme une institution officielle de production idéologique chargée de réfuter les doctrines hostiles à la famille telle qu’elle est définie par les lois civiles et la philosophie politique dominante. Dans un deuxième temps, j’évoquerai les fonctions que lui assignent les académiciens qui participent à la codification du droit civil : tribune de revendications, d’élaboration et d’exposition doctrinale, lieu de débat et de formation d’un consensus.
L’Académie royale des sciences morales et politiques, lieu d’élaboration d’une théorie officielle de la famille et de ses origines
7Dans ses statuts, l’Académie des sciences morales et politiques se définit comme une corporation de l’État chargée de « cultiver les sciences morales et politiques ». Mais le travail académique ne se réduit pas à l’idéal de scientificité apolitique qu’évoquent les textes officiels. Les académies nationales sont des organes de l’État, les instances de production d’un discours normatif, officiel sur leur domaine de compétence. Lors de l’inauguration de cette Académie en 1857, les discours officiels annoncent la mission qui lui est assignée : lutter contre les doctrines qui, hostiles à la famille et à la propriété, menacent la société dans son existence. Les académiciens sont chargés d’élaborer et de diffuser un discours scientifique qui soit à la fois une réponse à ces « théories dissolvantes » et la doctrine officielle de l’État5. Le rôle des académies des sciences morales et politiques dans la réfutation des doctrines socialistes sur la famille et la propriété est un chapitre oublié de l’histoire des idées politiques ou des sciences sociales qui en évoque parfois l’orientation conservatrice, sans rien dire de la dimension officielle, fonctionnelle de cette réfutation et sans s’interroger sur les ressources qu’elle mobilise (modèles d’argumentation et supports de diffusion).
8Les travaux de l’Académie des sciences morales et politiques sont, de façon quasi exclusive, l’œuvre de juristes. Il ne s’agit donc pas seulement d’une réponse « conservatrice » à la remise en question de l’ordre social mais d’une réponse juridique, « civiliste » à des projets qui contestent deux institutions « civiles » et par là un ordre juridique. Il est possible de parler d’« un » discours académique en raison du contrôle collectif que l’Académie exerce sur ses publications et de l’étiquette institutionnelle qui les unifient aux yeux de leurs lecteurs6.
9Dans ces publications, la défense de la famille va au-delà de la réfutation : les mémoires académiques développent une véritable théorie de la famille qui vise à en démontrer la nécessité, l’universalité et l’antériorité sur toute autre forme d’organisation sociale. Les exposés théoriques les plus complets sont les mémoires de Manuel Alonso Martinez et de Benito Gutiérrez. Le premier, intitulé La familia, s’insère dans un ensemble d’études de philosophie du droit, publiées par Alonso Martínez l’année de la Restauration (1875)7. Le second mémoire est un traité sur le divorce, comportant des éléments d’histoire du droit comparé et une défense doctrinale de l’indissolubilité du mariage, en réaction à l’adoption par la France en 1884 d’une loi rétablissant le divorce (introduit dans le droit français en 1792 et supprimé en 1816 sous la Restauration). Il est présenté à l’Académie en 1885 par le professeur de droit civil Benito Gutiérrez, un des idéologues du parti conservateur sur les questions matrimoniales. À ces travaux s’ajoute le mémoire de Carlos Soler y Arqués8 intitulé Ideal de la familia, primé au concours de 1886, portant sur la comparaison de la famille chrétienne et de « la » famille païenne9.
10Dans ces mémoires, la famille est présentée comme la première des relations sociales, non seulement à l’échelle de la vie de l’individu mais également dans l’histoire de l’humanité. Elle est pour Alonso Martinez la « loi des hommes comme la gravitation est la loi des corps ». La nécessité de la famille repose chez lui sur deux arguments. D’une part, son universalité, induite des faits révélés par l’histoire et les récits de voyage : aucun voyageur n’a jamais rencontré d’homme seul, sans père ni mère ni enfant. D’autre part, la condition de l’enfant à la naissance, inférieur à la plante qui trouve dans le sol sa subsistance et inférieur à la brute, puisqu’il lui manque la parole, la pensée et la locomotion10. Les besoins physiques et moraux des enfants, et donc de l’espèce humaine, ne peuvent se satisfaire de l’union passagère de l’homme et de la femme qui suffit à la procréation mais non au développement de la personnalité de l’enfant. L’homme n’est pas « maître de naître en dehors d’une famille, de n’appartenir à aucune, de choisir celle qui lui plaît11 », il est nécessairement inséré dans des communautés sociales et en premier lieu dans la famille. C’est de cette appartenance qu’il faut déduire l’extension de ses droits et non de la condition d’homme (abstraite) : ses droits ne sont pas absolus, identiques et illimités mais relatifs, variables et limités (par ceux des autres)12.
L’erreur de la plupart des écoles modernes consiste à déduire le droit de l’homme seulement, faisant abstraction du milieu dans lequel il naît, grandit et meurt ou, ce qui est la même chose, en faisant abstraction de la famille, de la commune [municipio] et de l’État. L’homme ainsi considéré n’est pas un être réel, c’est un être imaginaire qui n’existe pas aujourd’hui, n’a jamais existé, pas même dans les temps préhistoriques et qui n’existera jamais nulle part. L’homme n’est, et ne peut être, qu’un mari, un père, un fils, un frère, un résident (vecino), un conseiller municipal, un voyageur, un citoyen [...], un naturel, un étranger, et en dernier ressort, un membre de l’association humaine, en relation juridique et morale avec ses semblables. Chacun de ces états limite sa liberté et engendre des droits et des devoirs réciproques et corrélatifs13.
11La famille naît du mariage, fondement de la « famille légitime », par opposition à la famille naturelle. Les académiciens définissent le mariage comme l’union perpétuelle de l’homme et de la femme. Union monogame donc, mais surtout permanente et indissoluble. D’une part parce que l’union de deux être « moraux et intelligents » ne saurait se réduire à la « copulation brutale » qui avilirait les femmes et priverait les hommes de la paternité. Mais surtout, l’accomplissement des droits et devoirs réciproques des enfants et des parents (éducation, obligation alimentaire à l’égard des enfants, des parents âgés) suppose la permanence de l’institution familiale. Ce maintien du lien familial au-delà du moment où l’enfant devient autonome n’existe pas dans le monde animal. C’est un trait distinctif de l’humanité14. D’un point de vue juridique, le mariage est un acte indissociablement civil et religieux. De sa nature civile, il tire sa forme contractuelle : le mariage repose sur le consentement des conjoints. Mais dans son essence, c’est un acte religieux, comme le prouve l’universalité des solennités religieuses qui entourent sa célébration15.
12La position de l’Académie sur le divorce découle de sa théorie du mariage. Le mariage est indissoluble parce qu’il est un acte religieux et non un simple contrat pouvant être rompu, comme toutes les conventions humaines, sur la seule volonté des contractants. Le divorce est d’autre part contraire aux fins de la famille, cette « relation de droit naturel qui impose des devoirs supérieurs à notre arbitre ». Enfin, il fragilise le lien conjugal car il crée une inégalité entre les parties contractantes. L’homme ne perd rien dans la consommation du mariage et s’il pouvait légalement « répudier » sa femme après avoir « profité de ses faveurs », sa situation serait inchangée alors que sa femme y aurait perdu sa jeunesse, sa beauté et sa virginité, et trouverait plus de difficultés à contracter un second mariage16. À la différence de la séparation de corps qui annule la vie commune sans rompre le lien conjugal, le divorce rend impossible la réconciliation des époux17.
13La famille telle que la conçoivent les académiciens est placée sous la « puissance paternelle ». Marquées par l’influence du droit romain, les lois civiles qui régissent alors l’organisation familiale consacrent l’autorité du mari sur sa femme et ses enfants qui lui doivent l’obéissance. Ce pouvoir du père « a existé à tous les âges et chez tous les peuples », selon Alonso Martínez, car « la famille, comme toute association, suppose un chef ». Le fait que cette direction de la famille revienne à l’homme est selon lui un héritage de l’asservissement des femmes par les hommes dans des sociétés primitives dominées par la force. La condition civile des femmes fait l’objet de plusieurs travaux académiques. Dans les années 1880, la revendication du partage de l’autorité paternelle par le père et la mère représente la limite maximale des positions académiques sur la question de l’émancipation féminine, ce qui signifie l’admission tacite de l’incapacité juridique des femmes mariées et de leur devoir d’obéissance à l’égard du mari18.
14Enfin, les travaux académiques sur le droit successoral rappellent que la famille est aussi le lieu de la transmission des biens, d’un nom et de la renommée qui s’y attache. De là la différence d’appréciation dont les adultères masculin et féminin font l’objet. L’adultère féminin est plus grave car l’enfant qui en naîtrait ferait entrer dans la famille un élément étranger, usurpateur du nom et du patrimoine familial. L’adultère masculin, lui, n’a de conséquences qu’à l’extérieur de la famille19.
15Cette théorie de la famille repose sur une série d’affirmations qui sont autant de réponses aux attaques que l’institution familiale reçoit alors.
16Il s’agit tout d’abord de la critique socialiste de l’institution familiale, accusée d’empêcher la fraternité universelle et la communauté des biens. Ses théoriciens ne semblent pas avoir été lus directement mais à travers des ouvrages de synthèse résumant, sur un mode généalogique, les thèses socialistes sur la famille, la propriété et sa transmission depuis Platon jusqu’au socialisme français, en passant par les utopies de Thomas More et de Campanella20. Le socialisme scientifique est à peine mentionné. Sans doute parce qu’il s’est moins intéressé à l’organisation familiale que le socialisme utopique, au moins jusqu’à la publication en 1884 par Engels de son ouvrage De l’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État. Les travaux académiques sur la famille, publiés entre 1860 et 1890, évoquent donc des théories anciennes, élaborées dans le premier xixe siècle, déjà réfutées et en partie abandonnées par les socialistes eux-mêmes.
17Si le socialisme constitue un ennemi plus rhétorique que réel, d’autres publicistes contemporains sont une cible réelle pour les académiciens, des contradicteurs qui peuvent d’ailleurs répondre. Il s’agit des partisans du divorce (notamment les « divorciaires » français) et de ceux qui critiquent l’organisation familiale au nom de l’émancipation des femmes ou de la liberté religieuse et individuelle. Ce sont des écrivains comme Georges Sand et Alexandre Dumas fils, des juristes comme Joseph Tissot et Émile Acollas, des hommes politiques comme Camille Pelletan et Alfred Naquet, député à l’origine des nombreux projets de lois qui ont abouti au rétablissement du divorce en France en 1884.
18Mais les contradicteurs directs de l’Académie se trouvent en Espagne : ce sont des juristes, des philosophes du droit libéraux ou républicains que l’Académie désigne sous le nom de « krausistes », disciples du philosophe allemand Karl Krause21. Le principal porte-parole de cette école au Parlement et dans les revues savantes est Gumersindo de Azcárate. Favorable au mariage civil, au divorce et à l’émancipation de la femme qui doit « réintégrer la plénitude de ses droits en tant qu’être humain », il développe dans ses articles une critique libérale de l’organisation juridique de la famille22. Selon lui, la loi doit rester sur le « seuil du foyer et de la conscience » et ne doit donc pas donner d’effets civils à un mariage religieux. Le mariage est un contrat résiliable. Fondé sur la volonté libre, il ne peut être le fondement d’un asservissement volontaire et rien ne justifie la perte pour la femme mariée de droits qu’elle a en tant que personne.
19Les mémoires de l’Académie sur la famille mobilisent des références, des savoirs et des raisonnements types qui nous permettent d’atteindre, au-delà de leur contenu, les référents communs à leurs auteurs et les formes habituelles de la démonstration académique. La formation majoritairement juridique des académiciens se reflète à la fois dans la construction des mémoires et dans les questions qu’ils soulèvent. Les thèmes renvoient aux points qui suscitent d’importants débats doctrinaux (le divorce, la recherche de la paternité, les questions successorales). Le mémoire d’Alonso Martínez suit les étapes du cycle de vie de la personne de la naissance à la mort, mode d’exposition courant en philosophie du droit. C’est au droit aussi que sont empruntées les définitions de la famille et du mariage. Le mariage est donc présenté comme une union, une « société » à la fois naturelle (elle exprime la nécessité de compléter les limites naturelles de la personne humaine : l’âge et le sexe) et morale (la fin de l’institution est la reproduction de l’espèce, c’est-à-dire indissociablement la procréation et l’éducation). Pour les juristes de l’Académie, l’humanité est différenciée car elle est moins faite d’hommes que de personnalités et de relations juridiques. La personnalité juridique se manifeste toujours dans des relations contraignantes, une combinaison de droits et de devoirs qui dépend largement des circonstances naturelles (l’âge, le sexe et donc la position dans la famille) et civiles qui constituent le chapitre de l’« état des personnes » dans le droit civil. C’est pour cela que la famille est marquée par des inégalités juridiques. Cela éclaire autrement la « dimension conservatrice » des positions académiques. La doctrine académique sur la famille est conservatrice parce que la formation juridique des académiciens imprime à cette « institution civile » des définitions qui admettent le principe d’inégalité de ses membres, celui de l’autorité du père et de l’indissolubilité, principes en grande partie hérités du droit romain et de la doctrine chrétienne du mariage. Le mariage, dans le recueil de lois Las partidas (1256), c’est le « maintien du monde23 ».
20Les données empiriques sur la famille contemporaine sont peu nombreuses, hormis quelques données statistiques sur le divorce ou les couples consanguins. Ce ne sont pas la famille et le mariage tels qu’ils existent qui intéressent les académiciens, mais ce qu’ils doivent être et ce qu’ils ont été. La philosophie et l’histoire sont les composantes essentielles de l’argumentation. La plupart des travaux de l’Académie sur la famille comportent une partie historique, et deux mémoires, ceux d’Alonso Martínez et de Soler y Arqués, proposent une histoire de la famille depuis les origines. Alonso Martinez construit une sorte de généalogie de la famille moderne. Il y décrit en effet l’organisation de la famille chez différents « peuples » en suivant une échelle plus « civilisationnelle » que temporelle. Elle part de la « barbarie » et suit ensuite les découpages habituels des histoires universelles (Égypte, Hébreux, Inde, Perses et Mèdes, Chine). Ce stade indéterminé du développement primitif de l’humanité est accessible à travers le témoignage que les récits de voyages offrent sur les « mœurs des sauvages », sorte d’incarnation fossile du passé des peuples civilisés24. La construction du mémoire est très finaliste puisqu’elle consiste à dégager les éléments annonciateurs de la famille européenne moderne. Celle-ci trouverait son berceau en Égypte et aurait été organisée par Moïse, avant d’être perfectionnée par le christianisme. Le christianisme élève le mariage au rang de sacrement, rehausse la dignité des femmes en proscrivant la polygamie et la répudiation, et modère la puissance paternelle « en sonnant le glas de la religion civique romaine et avec elle celui du sacerdoce du père ». L’« état de barbarie » sert de contrepoint : il fournit le répertoire des écarts, des retards sur le type idéal de la famille : polygamie, inceste, infanticide, ségrégation des femmes, abandon des vieillards...
21Le mode de construction de ces mémoires et les auteurs auxquels ils font référence les rattachent à un genre : celui de l’histoire comparative des institutions juridiques fondamentales qui constituent au milieu du xixe siècle le cadre d’exposition privilégié de ce que l’on a appelé par la suite la « théorie patriarcale25 ». Ces ouvrages ont un certain nombre de traits communs. Ils sont l’œuvre de juristes et d’historiens. Les plus célèbres sont Sumner Maine, Mommsen, Niebuhr, Fustel de Coulanges et Kœnigswarter26, ils ont pour objet la genèse de la famille, de la société et de l’État, et la reconstitution de la forme antique des sociétés humaines. Antique mais non préhistorique. Ils s’appuient essentiellement sur des sources écrites, juridiques : le droit romain, le droit de l’Inde Ancienne (le Code de Manu), quelques éléments du droit grec et des rapprochements avec l’histoire des anciens Hébreux, des Arabes et des Chinois. Leurs données sont spatialement centrées sur ce que l’on appelle alors la « famille aryenne », c’est-à-dire sur l’espace eurasiatique.
22Leur schéma de l’évolution historique des sociétés est le suivant. L’état social primitif réside dans la famille fermée, groupe isolé résultant de l’union matrimoniale et du lien de parenté formé par le père. L’autorité paternelle est un fait primordial. La seconde étape est celle de la naissance de la société, réunion de familles et non d’individus. Cette réunion donne naissance à des groupes domestiques larges fondés sur la parenté : la gens, la tribu, la cité, la nation. Leur noyau reste la famille, elle donne sa « contexture patriarcale aux organisations supérieures27 ».
23Cette théorie fut contestée pour la première fois en 1860, avec la parution de l’ouvrage de Bachofen, Le matriarcat28. Cette publication fut suivie par toute une série de travaux concordants que l’on a regroupés sous l’appellation de « théorie matriarcale29 ». Contrairement aux travaux précédemment évoqués, c’est dans la préhistoire qu’ils cherchent les origines de la famille. Ils s’appuient sur la « paléolinguistique », et sur les traces que l’ère primitive a pu laisser dans les mythes, les nomenclatures de la parenté et les « mœurs des sauvages » étudiés à travers des observations ethnographiques de première main, prélevées cette fois plutôt en Amérique du Nord. Cette théorie opère un renversement complet par rapport à la théorie patriarcale car elle attribue à la société une existence antérieure à la famille. La forme sociale primitive est la communauté large (la horde) dans laquelle les relations sexuelles ne sont soumises à aucune règle définie. Cette « promiscuité » ou ce « communisme sexuel » exclut le mariage, et la filiation est forcément utérine, puisque la maternité en est le seul signe tangible. C’est de là que proviendrait la prééminence sociale et politique des femmes, que Bachofen désigne par le terme de « gynécocratie ». Les auteurs de la théorie matriarcale (juristes comme Bachofen, Morgan, ou naturalistes comme Lubbock) ont été suivis par la sociologie évolutionniste (Spencer notamment)30 et ils sont considérés, dans les histoires internalistes des sciences sociales, comme les fondateurs de l’anthropologie sociale et des recherches sur la parenté31.
24Ces oppositions théoriques ne sont pas neutres et témoignent des usages politiques possibles de l’histoire. Pour les académiciens, elle est avant tout un savoir empirique permettant d’affirmer l’universalité de certains faits (l’existence de la famille, le mariage religieux, l’autorité paternelle) et le sens du progrès. Tout écart par rapport à ce modèle est perçu comme une régression (comme le divorce, sorte de « polygamie successive ») ou une aberration (la suppression pure et simple de la famille à Sparte au temps de Lycurgue). La référence historique sert ainsi à disqualifier les propositions socialistes, jugées antinaturelles parce que sans précédent. La « théorie patriarcale32 » s’inscrit dans un récit historique finaliste dans lequel la famille est une donnée originelle, au fondement de toute société. Elle se confond avec la genèse de l’État. Cette histoire participe de la défense de l’institution familiale, et il n’est pas étonnant que l’histoire évolutionniste qui postule l’existence d’un matriarcat originel ait subi des attaques du côté de l’Académie33. La théorie matriarcale remet en effet en question l’universalité de la famille, du mariage et de l’autorité paternelle en supposant l’existence d’une société antérieure à la famille, dans laquelle mariage et paternité seraient absents. En remontant aux origines de l’humanité, elle rivalise avec le récit biblique, et la théorie de la « promiscuité originelle » salit les premiers hommes. Mais surtout, les socialistes peuvent désormais, dans leurs revendications de changement, s’appuyer sur l’histoire, sur l’existence d’un communisme primitif. « Ils modifient le passé pour changer l’avenir », selon Soler qui dénonce les orientations socialistes de Bachofen34.
Les travaux académiques sur la famille et l’élaboration du droit civil
25Comme nous venons de le voir, l’Académie est un lieu où s élaborent des discours normatifs sur la famille, une réfutation des théories critiques à l’égard de l’institution familiale. Mais cette production « idéologique » ne résume pas le travail d’une institution qui, d’après ses statuts, doit « éclairer » les décisions publiques par une réflexion menée à l’abri du monde politique35. Il est dès lors légitime de s’interroger sur les liens possibles entre la production théorique de l’Académie et l’élaboration des normes juridiques, autrement dit, entre un discours normatif sur la famille et l’élaboration du droit civil. Il ne s’agit pas de chercher à confirmer ce que l’Académie dit d’elle-même ni à en faire à tout prix l’auxiliaire du législateur. D’ailleurs, son influence ne saurait être directe car l’Académie n’a aucune attribution politique. Elle a cependant une compétence et une légitimité intellectuelles, celles de ses membres. Plusieurs d’entre eux sont, à des degrés divers, impliqués dans la production ou l’application du droit dans les années 1860-1880 : les professeurs de droit civil qui « font la doctrine » (Pedro Gómez de la Serna, Benito Gutiérrez), les ministres de la Justice du « Sexenio » révolutionnaire36 (Eugenio Montero Ríos) ou de la Restauration37 (Francisco Cardenas et Manuel Alonso Martinez), le doyen du Collège des avocats (Manuel Cortina), les juges et présidents du Tribunal suprême (Cirilo Álvarez Martinez, Manuel Seijas Lozano), les parlementaires et les membres des commissions chargées de la codification du droit civil.
26Sans doute l’Académie n’est-elle pas le lieu principal de ce travail d’élaboration du droit. Mais le rôle qu’elle y joue est à la mesure des missions dont les académiciens l’investissent et du travail qu’ils y accomplissent. La dimension proprement morale qu’ils donnent à l’acte de faire la loi, sans cesse rappelée dans les mémoires, tend à leur faire poursuivre dans l’Académie le travail de juriste, de législateur qui est le leur par ailleurs. Pour Alonso Martinez, la fonction de légiférer, qui appartient à l’« État », consiste à « interpréter la loi morale », révéler des droits et des devoirs préexistants, traduire la loi divine en loi positive. Cette dimension « morale » du travail législatif est d’autant plus importante dans le domaine du droit civil, domaine où, nous l’avons vu, l’État veille à la reproduction de la société, au « maintien du monde ». Or, l’Académie est l’un des lieux où les questions juridiques peuvent être envisagées sur leur versant théorique, débattues en fonction d’exigences morales autant que politiques. Elle est en effet un lieu d’exposition doctrinale, un lieu de débat sur les points de doctrine civile non tranchés comme, par exemple, la question de la recherche judiciaire de la paternité (1884).
27L’Académie est un lieu de débat et de recherche pour les académiciens, mais c’est aussi pour eux une tribune et un lieu de légitimation. Les discours prononcés par exemple en 1880 pour défendre la liberté de tester, et celui de 1882 où il s’agissait de proposer l’élargissement (mesuré) des droits civils des femmes38 ont à peu près la même fonction que les discours solennels d’ouverture de l’université centrale, du Tribunal suprême, et de l’Académie de législation : ils sont immédiatement publiés dans les revues savantes et offrent aux magistrats et aux professeurs de droit la possibilité de s’exprimer sur les réformes législatives auxquelles ils aspirent39. Ce travail de réflexion doctrinale et de débat est d’autant plus important que les questions qui font obstacle à la codification civile doivent être résolues sur un plan théorique. C’est le cas du conflit qui oppose les tenants d’une vision sécularisée du mariage à ceux qui le conçoivent selon la conception canonique40.
28C’est la révolution de 1868 qui introduit pour la première fois en Espagne le mariage civil avec la loi de 1870 et en application du principe de la liberté religieuse proclamée par la Constitution de 1869. Combattue par les milieux conservateurs et ecclésiastiques, cette loi est abrogée en 1875, par un décret de Francisco Cárdenas, ministre de la Justice du premier cabinet de la Restauration, académicien et auteur d’un essai dans lequel il démontre le caractère historiquement indissociable du contrat et du sacrement dans cette institution41. De retour au pouvoir en 1881, les libéraux relancent le processus de codification civile avec un projet de loi fixant les grandes orientations du Code civil, élaboré pour le reste par une commission technique. Les chapitres sur le mariage, sans cesse remaniés selon les changements de majorité, sont l’occasion de débats qui retardent l’adoption de la loi jusqu’en 1888. Les libéraux remettent en question le décret de 1875 et proposent d’instaurer deux mariages : l’un canonique, l’autre civil. Mais l’efficacité civile de tout mariage dépendrait de sa conformité à la loi espagnole et de son inscription au Registre civil42. Les conservateurs consentent à admettre les deux mariages, canonique et civil, mais attribuent tous les effets civils au premier, obligatoire, et réservent le second, qu’ils nomment consorcio (union), aux seuls non-catholiques déclarés, arguant de la catholicité officielle de l’État espagnol, restaurée par la Constitution de 1876.
29Ces débats ont lieu aux Cortes (Parlement) mais également dans les Académies et les revues savantes, qui servent parfois de tribunes aux parlementaires et aux ministres. En 1884, Cirilo Álvarez, magistrat et membre du parti libéral, choisit le divorce comme thème de son discours de réception à l’Académie. C’est son disciple et ami Manuel Alonso Martinez qui lui répond. L’année suivante, l’académicien conservateur Benito Gutiérrez lit un mémoire sur le même thème. À travers la question du divorce, ils abordent en fait indirectement celle du mariage civil. En effet, déclarer son hostilité au divorce revient à admettre que le mariage est un sacrement et pas seulement un contrat résiliable. C’est un point sur lequel les académiciens conservateurs (Francisco Cárdenas et Benito Gutiérrez) et libéraux (Cirilo Álvarez, Manuel Alonso Martínez) s’accordent : les premiers pour affirmer que le mariage est une institution divine avant d’être civile et que sa régulation dépend en priorité de la législation canonique, les seconds pour se défendre des accusations d’irréligion et se démarquer de ce qui a pu, en 1870, paraître révolutionnaire, tout en justifiant l’intervention de l’État dans ce domaine. On assiste dans cette période, au Parlement comme à l’Académie, à la constitution d’un consensus libéral et conservateur sur la question du mariage, qui ne suscite d’opposition que dans le pôle républicain de la vie politique.
30La compréhension de l’histoire des savoirs regroupés sous le terme de « sciences morales et politiques » y suppose l’étude de l’institution qui les produit. En s’intéressant aux objets qu’elle se donne, comme ici la famille, on évite un découpage disciplinaire a priori, difficile à établir pour des savoirs qui n’ont pas toujours à l’époque d’ancrage universitaire. Par ailleurs, la prise en compte du cadre institutionnel permet de ne pas dissocier le contenu de cette production intellectuelle de ses modalités d’élaboration. Elle conduit à s’interroger sur les missions qui, de l’extérieur, sont assignées à cette institution et sur les rôles dont l’investissent les académiciens. Elle nous a permis d’identifier deux orientations et deux formes du travail académique. La première correspond à la mission idéologique de l’institution, théoricienne de l’organisation sociale. Cette mission se traduit par la production de discours normatifs sur la société et ses fondements, sous la forme de traités, de discours, de concours lorsque le sujet consiste à « démontrer des valeurs ». Elle trouve son efficacité dans la diffusion hors de l’Académie. La seconde fonction de ce corps consiste à réunir les spécialistes des sciences de gouvernement afin de trancher des questions doctrinales et de proposer des réformes du droit. Dans ce cas, les formes du travail académique sont plutôt le débat, le rapport, le travail en commission et les concours lorsque le sujet requiert la collecte et la synthèse de données. Nous avons pu voir, en effet, que les débats autour de l’organisation de la famille traduisent, au-delà de leur dimension idéologique, l’implication des académiciens dans la codification du droit civil espagnol, droit porteur de conceptions idéales des rapports sociaux. À travers l’exemple des travaux sur la famille, j’ai voulu montrer comment l’Académie opère la synthèse de ces deux orientations théorique (philosophie du droit et histoire) et technique (droit). Pour les académiciens, le débat sur les fondements n’est pas dissocié de l’élaboration des lois, car « légiférer, c’est retrouver la loi morale », déjà là, antérieure et supérieure aux lois positives. La dimension théologico-politique du droit espagnol n’affecte pas seulement le contenu du droit positif mais aussi la façon dont les académiciens conçoivent leur travail.
Notes de bas de page
1 On peut consulter Élodie Richard, L’esprit des lois. Droit et sciences sociales à l’Académie des sciences morales et politiques d’Espagne (1857-1923), thèse de doctorat en histoire, sous la direction de F.-X. Guerra puis B. Vincent (EHESS), université Paris 1, 2008.
2 « Sciences et sociabilités, xvie-xixe siècles », Bulletin de la Société d’histoire moderne et contemporaine, nos 3 et 4,1997.
3 Dominique Damamme, Histoire des sciences morales et politiques et leur enseignement des Lumières au scientisme. Instituer le corps politique, fabriquer une tête de peuple, thèse de doctorat, université Paris 1, UER de sciences politiques, 1982.
4 Le Code civil n’est adopté qu’en 1889, au terme de plusieurs décennies de débats et de projets avortés. Les historiens du droit espagnol ont montré combien le processus de codification civile avait été entravé par les divisions politiques autour de la question du mariage civil. Sur ce point, voir Francisco Tomás y Valiente, Códigos y Constituciones, 1808-1978, Madrid, Alianza Editorial, 1989.
5 L’examen des ouvrages d’histoire de la famille publiés en France au milieu du xixe siècle révèle que ce type de publication relève presque d’une « spécialité » académique, au vu de la part importante qu’y prennent les mémoires primés par l’Académie des sciences morales et politiques. Pour exemple, trois ouvrages devenus « classiques », (parce que) couronnés par l’institut : Édouard-René Laboulaye, Recherches sur la condition civile et politique des femmes (prix 1842) ; Louis Jean Kœnigswarter, Histoire de l’organisation de la famille en France depuis les temps reculés jusqu’à nos jours (prix 1850) ; Paul Gide, Étude sur la condition privée de la femme dans le droit ancien et moderne et en particulier sur le sénatus-consulte velléien (prix 1867).
6 Les mémoires et les discours sont publiés à partir de 1869. Les discours bénéficient d’une publication anticipée dans la presse spécialisée. Les mémoires primés sont publiés à 200 exemplaires dans l’année qui suit le concours. L’Académie a également primé et publié dans les années 1872-1873 de « petits traités » didactiques de défense de la propriété et de la famille destinés à un public ouvrier, sur le modèle des publications réalisées par son homologue française en 1848 (parmi lesquels le célèbre ouvrage d’A. Thiers, De la propriété, Paris, 1848). Les mémoires primés dans les concours ne sont pas à proprement parler des travaux académiques, mais ils reflètent systématiquement le point de vue de l’Institution qui non seulement sélectionne les travaux conformes à ses thèses mais oriente également leur contenu en indiquant au préalable les axes que doit suivre la démonstration.
7 Le juriste Alonso Martinez, figure importante du parti libéral, est considéré dans l’historiographie comme le principal artisan du Code civil (1889).
8 Carlos Soler y Arqués est professeur à l’École centrale des arts et métiers, et membre correspondant de l’Académie d’histoire.
9 Manuel Alonso Martínez, Estudios sobre filosofía del Derecho ; Nociones fondamentales del derecho ; Teoría de los derechos individuales ; La familia ; Historia de la familia ; Estudio sobre el derecho de propiedad, 1875 ; Benito Gutiérrez Fernandez, El divorcio, 1889 ; Carlos Soler y Arqués, Idéal de la familia, Memoria premiada por la Real Academia de Ciencias Morales y Políticas en el concurso ordinario de 1886, Madrid, 1887.
10 C’est un argument caractéristique de la pensée conservatrice qui fonde la nécessité de la famille sur l’absolue vulnérabilité de l’enfant à la naissance. Voir Louis de Bonald, Démonstration philosophique du principe constitutif de la société, Paris, 1830, p. 97.
11 Manuel Alonso Martínez, op. cit., p. 281 et p. 345.
12 Cet antirousseauisme affiché (l’homme est impossible en dehors de la société), conforme à la lecture conservatrice des Lumières et de la Révolution française, doit être replacé dans le contexte de la révolution de 1868 et de l’entrée au Parlement, et du retour dans les universités de personnalités démocrates qui défendent une conception extensive et universaliste des droits individuels fondamentaux.
13 Manuel Alonso Martinez, op. cit., p. 288.
14 Manuel Alonso Martinez, op. cit., p. 300 et p. 317.
15 C’est un lieu commun de la littérature juridique qui reprend ici les conclusions de Fustel de Coulanges sur le mariage dans La cité antique (1864).
16 Manuel Alonso Martinez, op. cit., p. 323 ; Benito Gutiérrez, op. cit., p. 493.
17 C’est la seule rupture entre les époux qu’admettent le droit canonique et la législation espagnole. Le divorce est introduit en Espagne en 1932.
18 Placido de Jove y Hevia, La mujer, su influencia en la moral y en la politica de la sociedad (1884).
19 Il n’est d’ailleurs sanctionné par la loi que si la concubine est entretenue dans le domicile conjugal. Sur ce point, Manuel Alonso Martinez, op. cit., p. 325.
20 L’ouvrage d’Alfred Sudre, L’histoire du communisme ou réfutation des utopies socialistes, traduit en espagnol en 1856, semble être la référence dominante.
21 Karl Krause (1781-1832) : philosophe allemand dont les ouvrages définissent les voies d’une morale s’efforçant d’absorber les oppositions qui affectent le monde pour aboutir à l’« harmonie » entre Dieu, le monde, les États, les hommes. Ses travaux sont traduits en espagnol dans les années 1860. Ce sont les krausistes que combat M. Alonso Martinez dans son mémoire et au Parlement (1871).
22 Gumersindo de Azcárate, « Influencia del principio democrático sobre el derecho privado », Estudios filosófocos y politicos, 1876. Ce texte est d’abord publié dans la Revista de España. Il met en pièces le discours du même titre prononcé la même année par son collègue Benito Gutiérrez, à l’occasion de l’ouverture de l’année universitaire. Azcárate est titulaire de la chaire de législation comparée de l’université centrale et membre du « parti progressiste ».
23 Ernest Lehr, Éléments de droit civil espagnol, Paris, 1880-1890, p. 54.
24 Il tire ses sources d’une compilation déjà assez ancienne : Le traité de législation ou exposition des lois générales selon lesquelles les peuples prospèrent, dépérissent ou restent stationnaires, publié par le juriste Charles Comte en 1828.
25 Une bonne synthèse sur cette littérature et son évolution : Adolfo Posada, Théories modernes sur les origines de la famille, de la société et de l’État, préface de René Worms, Paris, 1896.
26 Henry Sumner Maine, L’ancien droit (The Ancient Law) (1re édition, 1861, traduction française, 1874), Louis Jean Kœnigswarter, Histoire de l’organisation de la famille en France depuis les temps reculés jusqu’à nos jours (1851), Numa Denis Fustel de Coulanges, La cité antique (1864).
27 Adolfo Posada, op. cit., p. 43.
28 Johann Jacob Bachofen, Das Muttterrecht, 1860.
29 John Fergusson Mac Lennan, Le mariage primitif (édition américaine, 1876) ; Lewis Henry Morgan, Système de consanguinité et d’affinité dans la famille humaine (1871), Ancient Society (1877) ; Giraud-Teulon, Les origines du mariage et de la famille (1884) ; John Lubbock, Les origines de la civilisation (1902, 6e édition).
30 Herbert Spencer, Principes de sociologie (1878, édition anglaise, 1877).
31 Christian Ghasarian, Introduction à l’étude de la parenté, Paris, Seuil, 1996, p. 29-34.
32 Désignée ainsi par opposition à la théorie matriarcale.
33 Elle traduit une instrumentalisation de l’histoire par les « sociologues modernes », Carlos Soler y Arqués, op. cit., p. 307-315.
34 Soler n’évoque pas l’ouvrage de F. Engels, Les origines de la famille, de la propriété et de l’État (1e édition, 1884), qui s’inspire de la théorie matriarcale telle qu’elle a été exposée par le sociologue Morgan, et l’infléchit dans une perspective marxiste.
35 Reglamento Interior, art. 96, chap. VIII.
36 1868-1874.
37 Rétablissement de la monarchie bourbonienne en 1875.
38 Juan de la Concha Castañeda (1880) et Placido Jove y Hevia (1882). Ce dernier propose : le partage de la puissance paternelle entre le père et la mère de famille, l’égalité des époux face aux conséquences civiles et pénales de l’adultère, la création d’une légitime conjugale, c’est-à-dire d’une part de la succession immédiatement attribuée à la veuve et supérieure aux « aliments » auxquels se résume sa part dans la législation castillane.
39 Sur ce type de sources, voir Jean-Claude Farcy, Magistrats en majesté. Les discours de rentrée aux audiences solennelles des cours d’appel (xixe-xxe), Paris, CNRS, 1998.
40 Ana Cánovas Mussons, « La cuestión del matrimonio civil en el período 1869-1888, su incidencia en el proceso de codificación civil », Centenario del Código civil, Madrid, 1990, p. 433-494.
41 Francisco de Cárdenas, « El matrimonio en sus relaciones históricas con el Estado y con la Iglesia », Revista de España, Madrid, Tercer año, t. XIV, 1870, p. 345-389.
42 C’est la ligne défendue par Alonso Martinez, président de la Commission de codification en 1881 et ministre de la Justice de 1881 à 1883 et de 1885 à 1888. Pour se défendre des accusations d’hétérodoxie et éviter un nouveau conflit avec la hiérarchie ecclésiastique, il entame même des négociations secrètes avec le Saint-Siège, cf. A. Cánovas Mussons, op. cit., p. 487.
Auteur
Docteure de l’université Paris 1
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