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Wilhelm Röpke, l’autre Hayek

 | 
Jean Solchany

Roll back : les mille et un engagements d’un croisé de l’anticollectivisme

Chapitre 11. Pourfendre le « collectivisme » sous toutes ses formes

Texte intégral

Le rude combat pour la concurrence

  • 1 Wilhelm Röpke, « Die Laufbahn der Sozialen Marktwirtschaft », dans Frank Greiß, Fritz W. Meyer (dir (...)
  • 2 Wilhelm Röpke, « Die Laufbahn der Sozialen Marktwirtschaft », art. cité, p. 6.
  • 3 Ibid., p. 6-7.
  • 4 Ibid., p. 7-8.
  • 5 Ibid., p. 8.
  • 6 Id., « Die deutsche Wirtschaftspolitik steuert einen falschen Kurs », Industriekurier. Beilage « Ma (...)

1Au début des années 1960, Wilhelm Röpke fait preuve d’une ambivalence croissante à l’encontre de la politique économique allemande1. Certes, dans les mélanges dédiés en 1961 à Alfred Müller-Armack à l’occasion de son 60e anniversaire, il observe que la notion d’économie sociale de marché est devenue incontournable, pas seulement en Allemagne, ainsi qu’en témoigne ses multiples traductions. Au-delà du concept, il salue la réussite d’un pays qui a donné au « monde un exemple de politique économique digne d’être imité2 ». Si les autres nations, d’abord tentées par une « politique inflationaro-collectiviste », ont tardé à suivre, le mouvement est désormais lancé. En France, en Espagne, dans bien des pays en voie de développement, on s’est convaincu des vertus de l’économie de marché et de la lutte contre l’inflation3. Même aux États-Unis, l’intérêt scientifique croissant pour le néolibéralisme traduirait la mise en cause des fausses certitudes du passé. Non pas « idée éventée, usée, provinciale », mais pensée plus que jamais d’actualité, l’économie sociale de marché incarnerait le « programme unique et véritable de l’ordre dans la liberté, du bien-être de masse, de l’économie et de la société adaptées à l’homme4 ». Mais elle est menacée, nuance l’économiste. Non seulement ses ennemis ne baissent pas la garde, mais ses partisans commettent des erreurs. Wilhelm Röpke juge qu’il ne pourrait pas, en 1961, répondre par la positive à la question « La politique économique allemande est-elle la bonne ? », faisant allusion à son célèbre rapport remis à Konrad Adenauer une décennie plus tôt5. En 1962, dans un texte intitulé « La politique économique allemande dans la mauvaise direction », il dit certes ne pas chercher la polémique avec le ministre de l’Économie. De fait, il ne lui a pas ménagé son appui, même s’il le critique souvent sévèrement en privé. Il soutient également que, en matière de politique économique, le décalage entre la théorie et la pratique est inévitable. « Mais il y a des péchés capitaux à propos desquels il [le théoricien] ne peut pas se taire s’il ne veut pas trahir son devoir. On rencontrera l’approbation du plus grand nombre en disant qu’un tel moment est aujourd’hui atteint dans la politique économique allemande6. »

  • 7 À l’origine, il s’agissait également de se démarquer de la tradition historiciste et de Gustav Schm (...)
  • 8 Wilhelm Röpke, L’explication économique du monde, op. cit., p. 204-205.
  • 9 Id., Die Gesellschaftskrisis der Gegenwart, op. cit., p. 291, 359, 388.
  • 10 Id., Civitas humana, op. cit., p. 75.

2Pour une part, ce pessimisme reflète les difficultés rencontrées par les ordolibéraux dans leur combat pour une loi contre la limitation de la concurrence (Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkung). La dénonciation des monopoles constitue en effet un impératif catégorique pour des économistes et des juristes qui condamnent, depuis les années 1920, la dégénérescence du capitalisme parasité par le « pluralisme » des groupes d’intérêt7. À la base du credo ordolibéral, il y a la vision d’une concurrence libre, protégée de l’emprise des monopoles, privés ou étatiques. Wilhelm Röpke partage cette ligne. Dans L’explication économique du monde, il conteste l’idée « aujourd’hui très répandue » selon laquelle « notre système économique est de jour en jour irrésistiblement étouffé par les monopoles ». Leur montée en puissance ne serait pas inhérente à l’évolution du capitalisme, mais résulterait de l’action de l’État, qui intervient à mauvais escient, pesant du « poids de son autorité, de sa jurisprudence et de sa politique économique plus ou moins monopolisante8 ». Dans Die Gesellschaftskrisis der Gegenwart, l’économiste genevois s’en prend au « féodalisme industriel monopolisto-industrialiste ». Le monopole est « non seulement socialement insupportable, mais également une perturbation du processus économique et une entrave à la productivité ». Il conduit au chaos et à la dictature : « Une économie qui est gangrenée par les monopoles subit un processus rampant et chronique d’auto-intoxication, qui finit fatalement, sous l’effet d’aggravations aiguës, par ruiner l’économie de marché, et, avec elle, la structure libérale et démocratique de l’État et de la société. » L’analyse est étayée par des références allemandes et américaines, l’économiste Edward Chamberlin et sa Theory of Monopolitistic Competition, le journaliste Walter Lippmann et sa Good Society, le juriste antitrust Thurman W. Arnold et ses Bottlenecks of Business, ainsi que l’armada des économistes ordolibéraux ou assimilés, Franz Böhm, Walter Eucken, Leonhard Miksch, Alexander Rüstow9. Dans Civitas humana, Wilhelm Röpke va jusqu’à qualifier son programme d’« anticapitaliste ». Sa finalité, l’« ordre concurrentiel véritable », aurait un « caractère absolument révolutionnaire ». « Son essence est une politique antimonopoles, qui se conçoit comme radicale et authentique, qui ne veut pas tolérer et surveiller les monopoles, mais les supprimer10. »

  • 11 Sur le long processus qui a conduit à l’adoption en 1957 de la Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkung(...)
  • 12 Lettre du 20 juin 1948 de Walter Eucken à Erich Welter, citée par Anton Riedl, Liberale Publizistik (...)

3Après la guerre, cette mobilisation contre les monopoles ne faiblit pas. Elle rencontre un écho dans les lignes directrices de Düsseldorf, rendues publiques par la CDU à l’été 1949, et à la rédaction desquelles Franz Böhm a participé. Mais le lobbying en faveur d’une législation réglementant les monopoles tarde à porter ses fruits. La question de la faisabilité du programme ordolibéral dans sa variante la plus volontariste, telle que formulée par Wilhelm Röpke durant la guerre, se pose. À l’été 1949, des fuites dans la presse révèlent la teneur de la réflexion menée par un comité dont Franz Böhm est membre et dont le président est Paul Josten, un ancien fonctionnaire du bureau des cartels au ministère de l’Économie dans les années 192011. Le projet Josten, que Walter Eucken trouve « excellent12 », envisage une interdiction totale des ententes et la mise en place d’un service des monopoles (Monopolamt), indépendant du ministère de l’Économie et chargé de veiller à l’application de la législation. Le principe d’interdiction (Verbotsprinzip) se substituerait au principe d’abus (Mißbrauchsprinzip), moins contraignant, à la base du décret du 9 novembre 1923 sur les ententes. Ce dernier leur reconnaissait un caractère licite, le ministère de l’Économie étant uniquement habilité à intervenir pour abus de position dominante. Mais, en plein contexte électoral, Ludwig Erhard doit prendre ses distances avec le projet Josten. Alors même que la CDU fait campagne contre le « socialisme » et l’« économie de contrainte » (Zwangswirtschaft), plaider en faveur de nouvelles formes de contrôle étatiques pourrait dérouter.

  • 13 Lettre du 12 mai 1951 de Franz Böhm à Albert Hunold, citée par Philip Plickert, Wandlungen des Neol (...)
  • 14 La Fédération de l’industrie allemande est une organisation faîtière qui prend la succession du Rei (...)
  • 15 Ludwig Erhard, « Zehn Thesen zur Verteidigung der Verbotsgesetzgebung. Professer Erhard zur Kartell (...)
  • 16 Hans Herbert Götz, « Erhard bleibt hart – Scharfe Rede auf der Tagung der Aktionsgemeinschaft Sozia (...)
  • 17 Leonhard Miksch, « Internationale Kartelle », 28/12/49 ; Id., « Gibt es nützliche Kartelle ? », FAZ(...)

4Après l’imbroglio du projet Josten, ce n’est pas avant le début de 1952 que le ministère de l’Économie propose un texte au gouvernement. Le dossier est délicat car les demandes alliées de déconcentration et de décartellisation brouillent le message que Ludwig Erhard veut adresser à l’opinion. Mais la lenteur du processus est également imputable aux oppositions suscitées par la législation anticartels en tant que telle. Dans une lettre à Albert Hunold, Franz Böhm se plaint des « entrepreneurs favorables aux cartels » et se dit isolé13. Le projet que Ludwig Erhard présente à ses collègues au début de 1952 conserve le principe d’interdiction, mais envisage une série d’exemptions. Moins radical donc que le plan Josten, il suscite malgré tout des réticences du côté du ministre des Finances, Fritz Schäffer, et du ministre des Transports, Hans-Christoph Seebohm. Le Bundesverband der Deutschen Industrie (BDI) créé en 1949 et son président, le métallurgiste Fritz Berg, se montrent très critiques, rejetant le principe d’interdiction au profit du principe d’abus, réclamant un plus grand nombre d’exemptions14. Ludwig Erhard et Fritz Berg s’affrontent par lettres ouvertes interposées15. Durant la campagne de 1953, le ministre de l’Économie doit faire des concessions. Mais après le grand succès démocrate-chrétien, il reprend l’initiative. Au mois de novembre, lors d’un meeting de l’Aktion Soziale Marktwirtschaft, il tient un discours offensif, relayé par Franz Böhm et Alexander Rüstow16. Il peut compter sur le soutien sans faille d’Erich Welter. À la fin des années 1940, le directeur de la FAZ était en contact direct avec Paul Josten. Son journal a publié des contributions de Leonhard Miksch et Walter Eucken17. En lien étroit avec Ludwig Erhard, le publiciste Hans Ilau, adversaire résolu du BDI, orchestre la campagne anticartel du journal francfortois.

  • 18 « Berg geht zum Gegenangriff über. BDI-Prâsident verteidigt den Kartellstandpunkt der Industrie geg (...)

5En février 1954, Ludwig Erhard revient à la première version du texte, présentée au début de 1952, et suscite l’ire du BDI. Mais un revers essuyé au Bundesrat en mai 1954 révèle que au sein de la CDU, le soutien pour son projet ne dépasse pas certaines limites. Le groupe de ses conseillers et des députés qui se sentent proches de lui, que l’on appelle la brigade Erhard, par allusion à la brigade Erhardt, le corps franc du début des années 1920, a fort à faire en matière de communication. Sous la pression du chancelier, Ludwig Erhard doit rouvrir le dialogue avec le BDI. Depuis la fin de 1953, Fritz Berg ne décolère pas et vitupère contre des professeurs qui n’auraient à l’entendre aucune compréhension de l’économie réelle18. À ce stade, le dossier prend une dimension ouvertement politique, le SPD se déclarant favorable à la future législation. Un accord est finalement conclu en octobre 1954, l’acceptation du principe d’interdiction par l’organisation patronale étant contrebalancée par une extension du périmètre des exemptions. Aucun des deux camps ne semble pouvoir l’emporter : le BDI est loin de représenter tous les industriels, la CDU est imparfaitement acquise au principe de la loi. Mais l’échéance électorale de 1957 joue en faveur de Ludwig Erhard. Avec un SPD devenu partisan de la loi anticartel, la CDU ne peut donner l’impression de céder au patronat. La loi contre la limitation de la concurrence est votée en juillet 1957.

  • 19 Wilhelm Röpke, Ist die deutsche wirtschaftspolitik richtig ?, op. cit., p. 21.
  • 20 Lettre du 22 janvier 1953 de Hans Ilau, NR, dossier AK 52-53.
  • 21 Dans un article non publié, dont le manuscrit a été retrouvé par Hans Willgerodt dans le Nachlaß Rö (...)
  • 22 Id., « Ein Probefall des Neoliberalismus », NZZ, 28 février 1953.
  • 23 Lettres des 6 et 17 février 1953 à Hans Ilau, NR, dossier AK 52-53.
  • 24 Lettre du 22 octobre 1954 à Hans Ilau, NR, dossier AK 54-55.
  • 25 Wilhelm Röpke, « Rechnung ohne den Menschen », FAZ, 31 décembre 1954. Voir également Id., Jenseits (...)

6Des nombreux débats qui ont accompagné cette longue gestation, Wilhelm Röpke a eu sa part. Dans Ist die deutsche Wirtschaftspolitik richtig ?, il réitère sa condamnation des monopoles19. Il est également en correspondance étroite avec Hans Ilau, qui l’informe des pressions exercées sur Ludwig Erhard par le BD120. En 1952, il dénonce la position qu’il juge intenable des adversaires de la loi sur les cartels (Kartellgesetz), comme on l’appelle généralement21. Sa détestation des grands groupes, soupçonnés d’influencer l’État à leur profit, ne fait aucun doute. En 1953, dans un rapport pour le comité des finances du Bundestag, Wilhelm Röpke critique les entreprises de raffinerie pétrolière, qui tentent d’obtenir des tarifs douaniers avantageux. L’enjeu serait un test pour le néolibéralisme22. L’économiste dénonce un « attentat cynique contre l’économie sociale de marché », annonce qu’il va cesser de piloter les mélanges Erhard, s’indigne des « Konzerne du secteur de la raffinerie », accusés de poursuivre la politique autarcique nazie23. En octobre 1954, au lendemain de l’accord conclu entre le ministère de l’Économie et le BDI sur la future loi contre la limitation de la concurrence, un Wilhelm Röpke désabusé suggère à Hans Ilau de demander à Ludwig Erhard d’imaginer ce que « ses amis doivent penser de son accord, de sa concertation paraconstitutionnelle avec Berg24 ». De fait, ce marchandage entre le pouvoir et le patronat apparaît bien éloigné de sa vision du fonctionnement de l’économie. Dans ses écrits, le chef d’entreprise est présenté comme un capitaine aventureux naviguant à ses risques et périls sur la mer du marché, comme le garant actif de la « coordination tout simplement vitale entre l’offre et la demande », comme un capitaliste justement récompensé du risque qu’il encourt. Mais la fonction essentielle qu’il remplit dans le fonctionnement d’une économie libre serait gravement dénaturée en situation de « rigidification monopolistique ». Fuyant les risques de la haute mer, l’entrepreneur se réfugierait alors dans un port sûr, celui de la « sécurité garantie par l’État et la cartellisation25 ».

  • 26 Id., « Kartelle – nur auf Rezept », FAZ, 28 mai 1955.

7En 1955, Wilhelm Röpke réaffirme dans les colonnes de la NZZ que la cartellisation est tout sauf inéluctable puisque les cartels sont des « constructions artificielles », qui marchent à « contre-courant de l’évolution naturelle » et ne prospèrent que sous la protection de l’État. Dans un sens, le retour au libre échange est la meilleure des lois anticartels. Mais on ne peut s’en contenter. On ne saurait d’un côté se plaindre de l’influence grandissante de l’État et de l’autre consentir à un renforcement des bureaucraties économiques privées. L’économie de marché, la liberté tout court seraient menacées. Car l’alternative à une économie sans cartels ne serait pas une « économie de cartels fraîche et joyeuse », mais une « économie de plus en plus imprégnée de planification et, à terme, collectiviste ». Les cartels sont un « nouveau pas de géant » en direction d’une situation où les décisions prises au niveau central pèsent de plus en plus, et l’initiative privée et la souplesse qui en résulte de moins en moins. Certes, il y a des cartels qui sont plus utiles que nuisibles, l’économiste en établit la liste. Mais il n’est pas loin de considérer que le processus de concentration constitue « aujourd’hui le plus grand danger pour la liberté26 ».

  • 27 Hans Hellwig, « Wir brauchen kein Kartellgesetz », art. cité.
  • 28 Voir supra le chapitre 8.
  • 29 Lettre du 8 juillet 1955 à Alexander Rüstow, NR, dossier Rüstow.
  • 30 Lettre du 5 novembre 1956 à Carlo Mötteli, NR, dossier AK 56-57.
  • 31 Wilhelm Röpke, « Die Laufbahn der Sozialen Marktwirtschaft », art. cité, p. 8.

8Au printemps 1955, le journaliste libéral Hans Hellwig publie son article intitulé « Nous n’avons pas besoin d’une loi sur les cartels » dans un climat surchauffé27. Son frère n’est autre que Fritz Hellwig, député de la CDU, président de la Commission économique du Bundestag et directeur du Deutsches Industrie-Institut de Cologne, un think tank proche du BDI. Paru dans la nouvelle revue de Volkmar Muthesius, les Monatsblätter für freiheitliche Wirtschaftspolitik, le texte fait scandale, on l’a vu28. Si ce sont d’abord les accusations voilées de compromission avec le nazisme portées contre les ordolibéraux qui choquent, la polémique souligne également la ligne de clivage qui sépare les partisans d’une législation anticartels d’une fraction moins enthousiaste du camp néolibéral, Friedrich Hayek, Ludwig von Mises et leurs relais allemands. L’accusant de prendre position contre le principe d’interdiction (Kartellverbot), Wilhelm Röpke considère Volkmar Muthesius comme l’exposant d’un « anarchisme libéral » qu’il rejette catégoriquement. Il dit ne pouvoir que répliquer lorsque « ce qui fait l’œuvre de notre vie est ici fondamentalement attaqué par un côté avec lequel nous semblions jusqu’alors alliés29 ». En novembre 1956 encore, il accuse « Volkmar Muthesius et son cercle » de ruiner tous les efforts entrepris pour « rendre le libéralisme économique réaliste et viable30 ». Sur fond de querelles avec le BDI et de tension à l’intérieur de la nébuleuse néolibérale, le compromis qu’est la loi contre la limitation de la concurrence ne peut totalement satisfaire les ordolibéraux et autres pourfendeurs des cartels. En 1961, Wilhelm Röpke est plutôt amer : « Le grand problème de la concentration et de la concurrence n’a été résolu que de manière imparfaite et insatisfaisante du fait de pressions politiques opposées31. »

  • 32 Lettre du 14 mai 1952 à Hans Ilau, NR, dossier AK 52-53.
  • 33 Voir Anton Riedl, Liberale Publizistik für Soziale Marktwirtschaft, op. cit., p. 245-246, 289-291.
  • 34 « Die Schweiz und die Kartelldebatte in Deutschland », NZZ, 14/2/54.
  • 35 Carlo Mötteli, « Kartelldebatte auch in der Schweiz. Von der Mißbrauchs- zur Verbotsgesetzgebung ?  (...)

9Reste que l’économiste ne s’est pas totalement impliqué dans un dossier qui s’avère gênant par certains côtés. Son ancrage helvétique le contraint à une certaine retenue. Fritz Berg a beau jeu de souligner la forte cartellisation qui prévaut en Suisse et de disserter sur le thème « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». En privé, Wilhelm Röpke admet que la « cartellisation de part en part [Durchkartellierung] de la Suisse est tout sauf bénigne32 ». Mais il s’abstient de le dire ouvertement car ses alliés helvétiques ne partagent pas ce point de vue. Lorsque Erich Welter lui demande en janvier 1954 de répondre à Fritz Berg, il préfère se tenir à l’écart et recommande Robert Ottinger, de la NZZ33. L’article que publie finalement le quotidien helvétique au mois de février ménage la chèvre et le chou, recommandant le principe d’interdiction pour l’Allemagne et le principe d’abus pour la Suisse, la situation dans les deux pays étant jugée très différente34. En 1955, dans ORDO, Carlo Mötteli ne dit guère autre chose35.

  • 36 Lettre du 3 février 1953 à Hans Ilau, NR, dossier AK 52-53.

10Plus fondamentalement, Wilhelm Röpke accorde moins d’importance que par le passé à la question des monopoles : « Soit dit entre nous, je me sens ces dernières années toujours moins à l’aise avec un certain radicalisme antimonopolistique parce que je suis de plus en plus conscient qu’il est extraordinairement difficile de composer de façon satisfaisante avec d’une part le danger d’ouvrir la boîte de Pandore en faisant des concessions en soi légitimes aux intérêts cartellistes et d’autre part la nécessité de telles concessions », écrit-il à Hans Ilau en février 195336. Wilhelm Röpke se situe désormais en deçà de son « anticapitalisme » des années de guerre. La confrontation entre les ordolibéraux partisans d’une loi stricte et le BDI au contraire soucieux d’en limiter la portée ne doit pas faire perdre de vue, par ailleurs, que les uns et les autres sont proches sur bien d’autres dossiers. Enfin, la tension entre les néolibéraux les plus libéraux et ceux plus proches de l’ordolibéralisme se révèle éphémère. Dès 1956-1957, la relation entre Wilhelm Röpke et Volkmar Muthesius s’améliore. Ce qui unit les différentes courants du néolibéralisme est beaucoup plus important que ce qui les divise.

Haro sur les syndicats et l’État-providence

  • 37 Robert Van Horn, « Reinventing Monopoly and the Role of Corporations. The Roots of Chicago Law and (...)
  • 38 Yves Steiner, « The Neoliberals Confront the Trade Unions », dans ibid., p. 181-203.
  • 39 Vervon Orvall Watts, Union Monopoly, Its Cause and Cure, Los Angeles, 1954. Lettre du 6 mai 1954 de (...)

11À partir des années 1950, pour bien des néolibéraux, les monopoles ne sont pas ou plus un problème. Aux États-Unis, leur dénonciation par la première École de Chicago n’est plus de mise37. D’autres manifestations de la vie économique et sociale sont jugées plus inquiétantes, y compris par les néolibéraux européens. Wilhelm Röpke n’est pas moins virulent que Friedrich Hayek dans sa dénonciation des syndicats. En la matière, les débats de la Société du Mont-Pèlerin à la fin des années 1940 ont toutefois révélé un clivage de part et d’autre de l’Atlantique. Si les néolibéraux suisses et allemands, William Rappard, Carlo Mötteli, Franz Böhm, plaident en faveur d’une ligne plutôt conciliatrice, Friedrich Hayek et Fritz Machlup sont d’emblée négatifs38. Cette posture intransigeante renvoie au contexte nord-américain où industriels les plus intransigeants et néolibéraux les plus anti-interventionnistes s’en prennent au « monopole » des syndicats et plus généralement au New Deal. En 1954, Friedrich Hayek diffuse parmi les membres de la société une brochure de l’économiste et publiciste américain Vervon Orvall Watts sur le « monopole » syndical39. Progressivement, la ligne dure s’impose au sein de l’organisation, le congrès de Princeton en 1958 marquant une étape importante dans cette direction.

  • 40 Wilhelm Röpke, Die Gesellschaftskrisis der Gegenwart, op. cit., p. 360.
  • 41 Id., Maβ und Mitte, op. cit., p. 170.
  • 42 Id., Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 47.
  • 43 Fritz Machlup, Monopolistic Wage Détermination as a Part of the General Problem of Monopoly, Chambe (...)
  • 44 Wilhelm Röpke, Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 325 ; Id., Die Gesellschaftskrisis (...)

12En réalité, la méfiance à l’encontre du syndicalisme est d’emblée palpable également du côté européen. Wilhelm Röpke, lorsqu’il dénonce les monopoles en 1942, s’en prend aussi aux syndicats, qui « peuvent accéder à une position de pouvoir monopolistique extrêmement nuisible et dangereuse40 ». En 1950, dans Maß und Mitte, il craint que le cauchemar sorélien du refoulement de la démocratie par le syndicalisme ne devienne réalité, s’inquiète de l’avènement d’une « sorte de féodalisme prolétarien », c’est-à-dire l’exploitation de la « partie la moins bien organisée du prolétariat et du reste de la société par les groupes d’ouvriers et d’employés les mieux organisés41 ». En 1958, il revient sur la question des monopoles. Si elle reste d’actualité, n’ayant nulle part trouvé de solution satisfaisante, l’économiste constate des progrès annonciateurs d’un règlement définitif du problème. Sauf sur un point capital. Un monopole serait toujours aussi problématique, celui des syndicats, qui s’affirment comme le « bastion le plus puissant et le plus dangereux de pouvoir économique et social42 ». Wilhelm Röpke cite en note le rapport très hostile au syndicalisme que Fritz Machlup a réalisé en 1947 pour la chambre de commerce des États-Unis et qui structure l’intervention que l’économiste autrichien a prononcée en avril 1947 au Mont-Pèlerin43. Sur la question syndicale, la référence anglo-saxonne est récurrente chez Wilhelm Röpke qui, dès 1942, évoque les « débordements de violence bien connus des chefs syndicaux aux États-Unis » : l’histoire des États-Unis et de la Grande-Bretagne serait remplie de « cas scandaleux » révélateurs de la « tyrannie des syndicats44 ».

  • 45 Lettre du 23 mai 1952 à Otto H. Vogel, NR, dossier AK 52-53.
  • 46 Lettre du 20 juin 1958 à Albert Hunold, NR, dossier AK 58-59.
  • 47 Wilhelm Röpke, TG, 58, entrée du 13 novembre 1958.

13En privé, l’économiste est plus virulent encore envers la « politique de racket fasciste des syndicats45 ». Certes, le dialogue avec des syndicalistes responsables lui paraît envisageable. Mais rares sont ceux considérés comme tels. L’Américain Walter Reuther, le célèbre leader de l’UAW (United Auto Workers), est un « boss syndical » (Gewerkschaftsboss), le « nec plus ultra du syndicaliste monopoliste dictatorial » ; il aurait contribué à la crise de l’automobile46. Pour Wilhelm Röpke, la pratique de la démocratie sociale ne semble que partiellement compatible avec sa vision d’une économie libre. L’inconfort ressenti face aux évolutions de l’après-guerre découle aussi de ce constat. Le jugement porté sur la grande grève qui touche l’industrie métallurgique du Schleswig-Holstein d’octobre 1956 à février 1957 est d’une sévérité qui en dit long. S’indignant du mécontentement de l’IG Metall à la suite à sa condamnation, en novembre 1958, par le tribunal fédéral du travail de Cassel, l’économiste dénonce l’« effondrement de tout l’édifice de l’État de droit » devant une « situation révolutionnaire latente » avant d’évoquer la « fin de la démocratie du fait de nouveaux pouvoirs féodaux, du fait du syndicalisme47 ».

  • 48 Id., Maβ und Mitte, op. cit., p. 168-170.
  • 49 Id., Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 210.

14La détestation des syndicats s’alimente aussi de la responsabilité qui serait la leur dans les dérèglements économiques de l’après-guerre. Wilhelm Röpke croit constater une baisse du rendement au travail dans les principales économies développées, un phénomène qui, dans la « société prolétarisée », s’expliquerait par la disparition des incitations à travailler et des sanctions contre le « prolétaire négligent ». En clair, l’angoisse de la diminution du salaire et de la perte du travail a disparu avec la politique de plein emploi48. Une situation regrettable, d’abord imputable au keynésianisme triomphant. Mais les syndicats, en position de force pour négocier les salaires, contribuent eux aussi à la spirale inflationniste. Ils ont également leur part de responsabilité dans le développement de l’État-providence qui, à côté de l’inflation rampante, est l’autre grand sujet de préoccupation de l’économiste. Étroitement liés, les deux phénomènes seraient des « processus pathologiques d’autant plus sournois qu’ils sont chroniques et insidieux ». Plus que la « planification globale », la « socialisation généralisée » ou l’« État totalitaire », ils menaceraient le plus immédiatement, « de l’intérieur », les « pays du monde libre49 ». L’État-providence, voilà l’ennemi : ainsi peut-on résumer, ou presque, Au-delà de l’offre et de la demande, le dernier ouvrage de Wilhelm Röpke paru en 1958.

  • 50 Friedrich Hayek, « The Road to Serfdom after Twelwe Years » dans Id., Studies in Philosophy, Politi (...)
  • 51 Lettre du 23 mars 1958 de Friedrich Hayek, NR, dossier AK 57-58.
  • 52 Bertrand de Jouvenel n’a pu présenter son intervention en personne. Sur les programmes des congrès (...)

15Un terrible cancer rongerait les sociétés libres de l’intérieur. Friedrich Hayek ne dit pas autre chose, en 1956, dans la préface à une nouvelle édition de La route de la servitude : si le fascisme et le communisme sont enfin perçus comme aussi dangereux l’un que l’autre, si le « socialisme chaud » (hot socialism) contre lequel il s’était insurgé douze ans plus tôt peut être considéré comme mort dans le monde occidental, la pensée socialiste n’en a pas moins laissé des traces profondes, et les politiques apparemment les plus anodines menacent tout autant la liberté que les formes avérées de totalitarisme ou de socialisme. Le développement du « welfare State paternaliste » en Grande-Bretagne a entraîné un « changement du caractère de la population ». Accusé de miner la société libre, présenté comme l’instrument d’une « nouvelle forme de servitude » induite par le totalitarisme doux déjà dénoncé par Alexis de Tocqueville, l’État social devient la cible prioritaire d’un combat auquel sont conviés les principaux ténors du néolibéralisme50. Au début de 1958, Wilhelm Röpke est sollicité par Friedrich Hayek pour disserter sur le welfare State, l’un des quatre grands thèmes du prochain congrès de la Société du Mont-Pèlerin51. Sous la présidence de Fritz Machlup, il parle aux côtés de Walter Hagenbuch et de John Jewkes, invités pour leur compétence sur le cas britannique, de Bruno Kaarle Suviranta (1893-1967), une vieille connaissance qui évoque le cas finlandais, et de l’industriel américain W. Grede, qualifié de « très intelligent » par Friedrich Hayek et recommandé par Jasper Crâne, le fund miser du meeting. Parmi les discutants, on trouve notamment Friedrich Hayek, William H. Hutt, Ludwig von Mises, Louis Baudin et Felix Morley, le publiciste américain de l’hebdomadaire conservateur Human Events52.

  • 53 Voir notamment Wilhelm Röpke, « Das Problem der Lebensvorsorge in der freien Gesellschaft », dans I (...)
  • 54 Id., « Die Laufbahn der Sozialen Marktwirtschaft », art. cité, p. 8.
  • 55 id., Die Gesellschaftskrisis der Gegenwart, op. cit., p. 353 ; Id., Civitas humana, op. cit., p. 26 (...)
  • 56 Id., « Der Beveridgeplan », Schweizer Monatshefte, XXII, n° 3-4, avril 1943-mars 1944, p. 159-173, (...)
  • 57 Ibid., p. 163.
  • 58 Sur les oppositions à l’État social en Suisse et le rôle joué par les milieux d’affaires dans la mi (...)

16Depuis la seconde moitié des années 1950, Wilhelm Röpke multiplie les interventions sur l’État-providence53, dont la « prolifération » est la raison la plus fondamentale le faisant douter de l’économie sociale de marché54. Si l’Allemagne ou la Suisse semblent moins touchées que les États-Unis ou la Grande-Bretagne, aucun pays n’est à l’abri d’un phénomène qu’il a dénoncé dès la Seconde Guerre mondiale. La nécessité d’aider les plus faibles dans la société moderne ravagée par la prolétarisation n’est certes pas contestée. Une « politique de soulagement à court terme », c’est-à-dire la continuation provisoire de la politique sociale traditionnelle, est nécessaire tant que la structure profonde de la société n’aura pas été modifiée. La « politique sociale ancien style », faite d’assurance sociale, de protection du travailleur et d’augmentation des salaires, a des vertus symptomatiques. Mais lorsqu’il s’agit du long terme, perpétuer l’existant ne peut qu’aggraver la situation55. Le plan Beveridge est une dangereuse illusion parce que simple continuation « im fortissimo du vieux jeu de la politique sociale bismarckienne », avec à la clef « encore plus d’assurance sociale, encore plus de bureaucratie sociale, encore plus de transferts de revenus, encore plus de paperasses, encore plus de cotisations, encore plus de concentration de pouvoir, de revenus et de responsabilités entre les mains d’un État qui de toute façon recense, régule, concentre, contrôle tout56 ». Telle est l’analyse présentée en 1943 dans les Schweizer Monatshefte. La vision beveridgienne serait celle d’une « gigantesque station de pompage servant le détournement du revenu national », « avec son système de canalisation hautement complexe, ses vis, ses vannes », avec pour finalité une redistribution sans équivalent dans un État non communiste57. D’un plan à la « conception centraliste, mécaniste et égalitariste », synonyme de forte augmentation des prélèvements fiscaux et sociaux, il faut également craindre l’impact sur un système économique déjà mal en point, de plus en plus impotent et sensible aux perturbations de l’équilibre, victime de la rigidification monopolistique, de l’anarchie des groupes de pression et du collectivisme étatique58.

  • 59 Wilhelm Röpke, « L’assistance médicale d’après le plan Beveridge. Conférence tenue devant la Sociét (...)

17Wilhelm Röpke considère donc le plan Beveridge dans ses conséquences potentielles. Le 30 novembre 1943, devant la Société des médecins du canton de Zurich, il dénonce les menaces planant sur le libre exercice de la médecine. L’intellectuel, fils et petit-fils de médecins ruraux, dit savoir « à quel point le développement de l’organisation médicale et de l’assurance maladie a influencé la destinée du médecin soucieux de ses responsabilités et prêt à tout sacrifier à ses idéals professionnels », son père ayant connu une « fin prématurée après des années d’expériences amères ». S’il ne comprend rien de très précis en la matière, le plan Beveridge n’en signifierait pas moins la « fin de toute activité médicale privée et par conséquent la fin de l’indépendance professionnelle du médecin ». Le corps médical est voué à être fonctionnarisé. La « socialisation de l’assurance médicale » reviendra à régenter la médecine selon le « principe collectiviste » de la « séparation des deux éléments, satisfaction des besoins/ paiement des frais », qui n’est en rien adapté à la couverture de besoins très élastiques. La Russie bolchevique en a fait l’expérience lorsqu’elle a mis gratuitement les tramways à la disposition de la population. L’encombrement qui s’ensuivit fut tel qu’il fallut revenir au système des prix. La soumission de la médecine au principe collectiviste serait catastrophique. Devant la très forte demande des besoins, le travail des médecins deviendrait énorme et leur rémunération insatisfaisante. En lieu et place de la libre détermination des besoins par les prix, les autorités imposeraient une sélection, soumettant les médecins à un contrôle rigoureux59.

  • 60 Id., « The Welfare State Throughout the World », art. cité.
  • 61 Id., Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 294-295.
  • 62 Id., « The Welfare State Throughout the World », art. cité.
  • 63 Lettre du 13 juillet 1964 à William François, NR, dossier AK 64-65.
  • 64 Wilhelm Röpke, « Das Problem der Lebensvorsorge in der freien Gesellschaft », art. cité.
  • 65 Lettre du 30 avril 1956 de Hans Ilau, NR, dossier AK 56/57.
  • 66 Lettre du 4 février 1957 à Hans Ilau, NR, ibid.

18Si le principe de l’assistance médicale aux plus démunis n’est pas récusé, il y aurait des manières plus ou moins intelligentes de procéder. Une chose est d’aider les plus faibles, une autre est de promouvoir une médecine socialisée sur le modèle soviétique ou britannique, explique Wilhelm Röpke à la fin des années 195060. Le National Health Service fait ici figure d’épouvantail. L’analyse est étayée par des références à l’économiste néolibéral John Jewkes et au publiciste conservateur Colm Brogan61. Plus que jamais, Wilhelm Röpke dénonce le principe de la prise en charge du risque médical par la collectivité : « Si en plus de décharger le patient de l’intégralité du fardeau financier représenté par la maladie, vous promettez également de lui payer l’intégralité de son salaire alors qu’il se déclare lui-même malade, vous avez tout fait pour ruiner l’ensemble du système de la médecine sociale62. » La diabolisation de la « médecine socialisée » est l’un des grands cris de ralliement de l’intelligentsia néolibérale et néoconservatrice de la seconde moitié du xxe siècle. Les ravages de l’État-providence n’épargnent pas l’économie sociale de marché. Au milieu des années 1960, Wilhelm Röpke dit au lobbyiste néolibéral français William François tout le mal qu’il pense du « système de l’assurance coercitive et bureaucratisée » qui régnerait outre-Rhin63. Dès 1956, il s’élevait contre des « projets radicaux d’assurance vieillesse collective »« comme aujourd’hui en France et peut-être demain en Allemagne64 », d’accord en cela avec Hans Ilau65. Les milieux économiques craignent l’alourdissement des dépenses sociales que promet l’élargissement du nombre d’ayant droits, le doublement du montant des retraites et leur indexation sur le niveau des salaires. Mais, avec la « rente dynamique », Konrad Adenauer dispose d’un formidable atout pour remporter les élections de 1957. Dans cette grande réforme des retraites votée à la fin du mois de janvier par un Bundestag quasi unanime, Wilhelm Röpke ne voit pourtant que la « victoire des démagogues du social66 ».

  • 67 Wilhelm Röpke, « Das Problem der Lebensvorsorge in der freien Gesellschaft », art. cité, p. 14-15 ; (...)
  • 68 Id., « Das Problem der Lebensvorsorge in der freien Gesellschaft », art. cité, p. 4, 5.
  • 69 Id., Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 225.

19L’extension de l’État-providence à des catégories toujours plus étendues de la population entraîne des besoins de financement accrus qui attisent le biais inflationniste. En dépit de sa prétention à protéger le niveau de vie des retraités, la « rente dynamique » rajoutera un « compresseur dans la machine de l’inflation ». Autre défaut majeur, la retraite par répartition entrave la formation du capital et compromet l’investissement. Seul le crédit expansionniste et inflationniste garantit alors, dans une logique malsaine, la progression de l’activité67. Comme dans les années 1920, Wilhelm Röpke affirme qu’il n’y a pas de quatrième dimension en économie : « On ne peut donner aux uns que ce qui a été pris aux autres. » L’État n’est que l’« instance qui fait le lien entre ceux à qui l’on prend et ceux à qui l’on donne », par le biais de l’impôt, de la cotisation ou par la méthode sournoise et manifestement injuste de l’inflation68. L’État-providence conduit enfin à négliger des dépenses vitales. Limité dans sa capacité à « se défendre militairement face à l’empire communiste », le monde libre dépend de plus en plus de ses seules armes nucléaires pour assurer sa sécurité69.

  • 70 Friedrich Hayek, La Constitution de la liberté, Paris, Itec, 1994, p. 297.
  • 71 Gilles Dostaler, Le libéralisme de Hayek, op. cit., p. 76.
  • 72 Wilhelm Röpke, Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 216.
  • 73 Helmut Schoeck, Der Neid. Eine Theorie der Gesellschaft, Fribourg, Munich, Alber, 1966 ; Id., Envy. (...)

20Friedrich Hayek n’est pas moins négatif sur l’État-providence en général et la retraite par répartition en particulier. Dans La Constitution de la liberté publiée en 1960, il prophétise un avenir très sombre. Lorsque les jeunes actifs soumis à des charges croissantes ne pourront plus assumer les retraités ou ne voudront plus le faire, l’« enfermement des vieux incapables de subvenir à leurs besoins dans des camps de concentration pourrait bien être ce qui attend les membres d’une génération dont le revenu futur reposera entièrement sur l’oppression des jeunes70 ». Pour le futur Prix Nobel, les systèmes de protection sociale ont depuis longtemps dépassé leur fonction légitime d’assistance aux plus faibles et procèdent à une redistribution des revenus détournée et confiscatoire71. Wilhelm Röpke juge que le welfare State est devenu « dans un nombre croissant de pays un instrument de la révolution sociale » qui vise à substituer l’« envie » à la « compassion » comme « principe d’action dominant72 ». Il emprunte cette catégorie de l’envie à Helmut Schoeck (1922-1993), l’un de ses admirateurs inconditionnels, membre de la Société du Mont-Pèlerin depuis 1954. Ce sociologue d’origine autrichienne, qui a enseigné quinze années aux États-Unis, notamment à l’université Emory d’Atlanta, accède en 1965 à une réelle notoriété avec Der Neid. Eine Theorie der Gesellschaft (L’envie. Une théorie de la société’), bientôt traduit en anglais et dont il propage les thèses dans les cercles néolibéraux depuis de nombreuses années73. Il recourt à la psychologie sociale pour souligner le caractère universel de cette disposition à travers les âges, les sociétés et les continents. Il affirme surtout la nécessité d’en limiter les effets. Agir sans avoir à se préoccuper de l’envie des autres serait la condition même de la croissance économique. Les idéologies et les religions ont généralement placé des limites au rôle social joué par l’envie en la disqualifiant comme moralement répréhensible et en justifiant une répartition inégale des biens et privilèges.

  • 74 Id., « Das Problem des Neides in der Massendemokratie », dans Albert Hunold (dir.), Masse und Demok (...)
  • 75 Ibid., p. 242-243, 249, 246-247.
  • 76 Wilhelm Röpke, Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 216-217.
  • 77 Id., « Das Problem der Lebensvorsorge in der freien Gesellschaft », art. cité, p. 5.

21Mais les théories égalitaristes et socialistes n’ont pas suivi ce schéma. La légitimité qu’elles ont conférée à l’envie a justifié des politiques économiques et fiscales décourageant l’effort, l’innovation, la création. En 1957, dans un ouvrage collectif publié par le SIAF d’Albert Hunold, Helmut Schoeck dénonce les hommes politiques qui spéculent sur l’envie du plus grand nombre. L’« enthousiasme qui sous-tend le trend en faveur de l’État-providence total » ne reposerait pas sur la « joie de donner mais sur le plaisir malsain de prendre ». Les « plans grandioses des apôtres de l’État-providence et des collectivistes mondiaux » ne peuvent qu’« intensifier l’envie74 ». Aux États-Unis, les médecins hostiles à la socialisation de la médecine seraient la cible de la haine d’une partie de la population, le parti démocrate serait le « porte-parole et l’agitateur des éléments envieux, primitifs, ne voyant pas au-delà du bout de leur nez ». Quant à la politique des syndicats, elle aussi « augmente l’envie ». En Allemagne de l’Ouest, lors des élections de 1953, le SPD aurait explicitement joué sur les sentiments d’envie pour disqualifier la politique gouvernementale75. « Prendre est ainsi devenu au moins aussi important que donner », écrit en écho Wilhelm Röpke, qui dénonce une « campagne contre tout ce qui ose dépasser le niveau moyen de revenus, de dons et de rendement ». L’État-providence reposerait sur une « philosophie sociale perverse », se nourrirait d’un « ressentiment social » permanent76. Il joue donc un rôle majeur dans l’avènement du Léviathan, de l’« État moderne insatiable77 ».

  • 78 Id., Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 218, 219, 233, 232.
  • 79 Ibid., p. 192,190, 208, 226 et 32.

22Une « part considérable du revenu privé » est pompée, détournée par l’État au prix de nombreuses déperditions qu’imposent les coûts d’administration extraordinaires du système. Sous l’effet du welfare State, dont le « caractère collectiviste » ne peut plus échapper à personne, l’individu est privé de la libre disposition de son revenu soumis à l’impôt. Il ne lui reste plus qu’une sorte d’argent de poche pour acheter une télévision ou s’adonner aux jeux de hasard. Le stade d’ores et déjà atteint dans de nombreux pays confirmerait de « manière stupéfiante » la vision d’un totalitarisme doux développée par Alexis de Tocqueville. L’État-providence est la modalité suivant laquelle « s’accomplit avant tout, dans le monde non communiste, la soumission de l’homme à l’État ». Il garantit aux « masses domestiquées » une sorte de « stabulation confortable78 ». Devenu un État pieuvre par excellence avec le montée en puissance de l’État social, l’État moderne n’en reste pas moins un État faible, proie des groupes de pression. La vision du mini-État cohabite toujours avec celle du super-État. À la fin des années 1950, Wilhelm Röpke incrimine de nouveau le « pluralisme malade » qui ne chercherait pas à limiter l’État, mais à l’instrumentaliser à son profit. Wilhelm Röpke se réfère toutefois moins aux néolibéraux allemands qu’à Benjamin Constant, le « grand théoricien du gouvernement constitutionnel », ou Frédéric Bastiat, aux yeux de qui l’« État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde ». L’économiste évoque aussi le célèbre prêtre anglican William Ralph Inge (1860-1954), figure d’un spiritualisme religieux teinté de néoplatonisme et publiciste hors pair, aux yeux de qui la politique est l’art de prendre l’argent dans les poches des partisans du parti adverse pour le mettre dans les poches des partisans de son propre parti79.

  • 80 Ibid., p. 232, 177, 229-231.

23La « révolution sociale » portée par le welfare State aspire à l’égalitarisme. Avec « un impôt sur le revenu radicalement progressif inséparable de l’État-providence », il devient difficile de s’élever au-dessus du vaste groupe inférieur des personnes qui disposent d’un revenu, mais n’ont pas de patrimoine. Les perspectives d’ascension sont surtout pour ceux qui font carrière dans l’État ou les organisations nationales et internationales, « de plus en plus les vrais piliers et profiteurs de ce système ». Les principaux pays occidentaux ayant adopté, au nom d’un « radicalisme égalitaire », une législation sur l’héritage confinant à la confiscation, l’existence d’une véritable élite est menacée. Or, les revenus et les patrimoines exercent une fonction irremplaçable, source du capital et de l’investissement, du mécénat et de la bienfaisance. À l’amputation du pouvoir d’achat des catégories supérieures ne correspond toutefois aucune augmentation de celui des catégories défavorisées. Les bénéficiaires du transfert ne sont pas les masses, mais l’« absolutisme étatique moderne », qui étend démesurément ses compétences par la « socialisation de l’utilisation des revenus ». La formation et l’usage du capital, l’école et la recherche, l’art et la politique, tout « ce qui relevait auparavant d’un investissement personnel et volontaire est désormais au mieux prestation de l’État, centralisé, impersonnel, imposé, lourd, stéréotypé, et se paie avec une perte significative de liberté ». Ce que Edmund Burke appelait les unboughtgraces of life étouffe sous l’« emprise asphyxiante de l’État80 ».

Inquiétudes européennes

  • 81 Id., Paneuropa ? Vortrag in der Staatswissenschaftlichen Fachschaft, Iéna, 2 juillet 1926, NR. Nous (...)
  • 82 William Rappard, Uniting Europe, New Haven, Yale University Press, 1930 ; Lionel Robbins, Economic (...)
  • 83 Wilhelm Röpke, « Weltwirtschaft und internationales Rechtssystem », Friedenswarte, n° 3-4, 1936, p. (...)
  • 84 Id., International Economic Disintegration, op. cit.

24Le pessimisme de Wilhelm Röpke face à l’évolution du monde occidental, son refus de l’État-providence, son rejet du « collectivisme » induisent une réflexion critique sur la construction européenne. Avec ses diatribes contre le Marché commun, accusé de dériver d’une philosophie dirigiste, protectionniste et technocratique, l’économiste se retrouve parfois isolé. Notamment lorsqu’il défend le général de Gaulle, critiqué de toutes parts pour avoir bloqué l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE. Sa confrontation avec l’enjeu européen est en réalité bien plus ancienne. Dès juillet 1926, dans une conférence intitulée « Paneuropa ? », le jeune professeur d’Iéna s’était exprimé sur le projet de Richard Coudenhove-Kalergi81. Son intérêt pour la question européenne ne se dément pas dans les années 1930. Déçus par la SDN ou l’impuissance internationale à gérer la Grande Dépression, de nombreux intellectuels de sensibilité libérale, William Rappard, Lionel Robbins ou Michael A. Heilperin, réfléchissent alors à une refondation de l’ordre international, à la possibilité d’une fédération européenne ou d’un gouvernement mondial82. S’il ne participe que secondairement à ces débats, sous la forme d’une contribution publiée dans la Friedenswarte de Hans Wehberg où il pose les conditions d’un État mondial virtuel rendu possible par un ordre international libéral, Wilhelm Röpke en est imprégné. Ne serait-ce que par sa proximité avec ceux qui les mènent83. N’oublions pas également que sa réflexion sur la crise moderne prend en compte la « désintégration » du système économique international, objet d’un ouvrage publié en 1942, mais mûri à la fin des années 193084.

  • 85 Lettre du 18 mai 1939 à Franz Robert Klein, NR, dossier Wichtige Briefe.
  • 86 Wilhelm Röpke, « The Economics of International Federation, 31 octobre 1939 », reproduit dans Insti (...)
  • 87 Lettres des 16 et 21 octobre 1939 à Alexander Rüstow, NR, dossier Rüstow.
  • 88 Lettre du 26 octobre 1939 à Alexander Rüstow, ibid.

25Dans cet horizon où la fédération est pensée comme l’antithèse du nationalisme, la parole néolibérale bruisse de l’enjeu européen. En mai 1939, dans l’urgence du conflit qui s’annonce, Wilhelm Röpke affirme la nécessité d’accorder plus d’attention à la perspective européenne, sous peine de manquer un « moment historique85 ». En octobre 1939, après que William Rappard a invité ses collègues à redéfinir le rôle de l’IUHEI dans une Europe en guerre, Wilhelm Röpke propose d’étudier les implications économiques des unions politiques86. Il semble alors accorder une grande importance à l’idée européenne. Le 16 octobre, il rencontre Richard Coudenhove-Kalergi, une prise de contact dont il attend beaucoup, considérant que les « États-Unis d’Europe » pourraient naître du « combat européen global contre le bolchevisme (au sens du pacte Hitler-Staline). » Le mouvement paneuropéen puiserait sa dynamique dans une logique d’intégration négative face à l’« ennemi héréditaire » collectiviste. Mais l’entrevue est jugée décevante. Richard Coudenhove-Kalergi n’aurait pas compris qu’il faut adosser le projet européen à un « grand contre-programme » opposable au « bolchevisme » et non se limiter à « l’élaboration de statuts idéaux pour une cour de justice paneuropéenne et semblables niaiseries87 ». Malgré sa déception, Wilhelm Röpke aspire encore à se rapprocher des milieux européens. Il envisage, très vaguement il est vrai, de prendre contact avec l’Europa Union Schweiz, une scission de la Paneuropa-Union, supposée en délicatesse avec la maison mère88.

  • 89 Wilhelm Röpke, Die Gesellschaftskrisis der Gegenwart, op. cit., p. 378.
  • 90 Id., Civitas humana, op. cit., p. 386.
  • 91 Ibid., p. 389.
  • 92 Id., Internationale Ordnung, op. cit., p. 63-64.

26Durant le conflit, l’économiste devenu prophète approfondit sa réflexion sur le monde de l’après-guerre et l’Europe. Là aussi, il file la métaphore de la troisième voie. Le nouvel ordre international qu’il appelle de ses vœux en 1942 doit prendre la forme d’une communauté internationale d’États « dont la structure ne pourra qu’être authentiquement fédérative, ce qui signifie qu’elle doit se composer de sous-groupes régionaux et continentaux89 ». Mais cette refondation n’est pas dissociable de la réorganisation de l’économie internationale, précise-t-il en 1944. À l’antithèse observable sur le plan national entre économie de marché et collectivisme, correspond à l’échelle internationale l’opposition entre économie mondiale et « économie de bloc collectiviste » (kollektivistische Groβraumwirtschaft)90. Wilhelm Röpke met également en garde contre la vision d’une communauté internationale synonyme d’abolition de la souveraineté nationale. Si les projets de « confédérations d’États pour certaines régions ou groupes d’États » venaient à se réaliser, il faudrait préciser la nature des relations économiques entre ces fédérations91. En 1945, dans Internationale Ordnung, le volet international de sa trilogie, l’économiste aborde avec plus de prudence encore l’hypothèse d’un dépassement du fait national dans des schémas fédératifs ou internationaux. Si le contexte n’est pas défavorable à l’émergence d’un nouveau patriotisme européen, la situation n’est pas mûre pour une fédération européenne, dont les contours ne sont guère précisés, si ce n’est pour en souligner le caractère problématique, voire utopique92.

  • 93 Ibid., p. 64-65.
  • 94 Id., « Les problèmes fondamentaux de l’union économique européenne », Industrie. La revue de l’indu (...)
  • 95 Id., « Die europäische Intégration. Marktwirtschaftliche oder kollektivistische Méthode ? », Rheini (...)

27Ce scepticisme renvoie également à un primat de la politique intérieure. Dans Internationale Ordnung, Wilhelm Röpke invite à ne pas perdre de vue la « question centrale de l’ordre national », « préalable indispensable » à un nouvel ordre international : « Si les États ne possèdent pas la structure politique, économique et sociale adaptée à un ordre international de paix, alors tous les efforts pour une communauté des peuples sont peine perdue93. » L’avenir du monde et la confrontation entre liberté et collectivisme se jouent au niveau des États et de leur détermination à mettre en œuvre une politique authentiquement libérale. Mais il faut également respecter les principes d’un ordre économique sain au niveau international. À la fin de 1948, Wilhelm Röpke dénonce les « plans économiques grandioses » élaborés alors que les « conditions fondamentales de leur réalisation font défaut ». Il se montre sceptique sur le plan Marshall, regrettant que « bien peu s’attachent encore aux principes de l’ordre économique », alors que « de leur stricte application [...] dépend le succès de l’aide américaine94 ». Trois ans plus tard, son bilan est mitigé. Sans conteste, le rétablissement du continent n’aurait pas été si rapide « sans la main secourable des États-Unis d’Amérique ». Mais le second objectif de rétablir l’Europe comme unité économique saine et fonctionnelle, de ramener les États sur le chemin de la stabilité économique interne et externe, d’instaurer un système libre d’échanges commerciaux et financiers équilibrés n’a pas été atteint. La faute en incomberait à « certaines tendances planificatrices ». Mais l’administration du plan Marshall a aussi sa part de responsabilité pour n’avoir pas identifié clairement la grande alternative à laquelle l’Europe se trouve confrontée. Il aurait fallu choisir entre, d’une part, le retour à l’économie du marché, le rétablissement du mécanisme des prix au niveau national comme au niveau international et, d’autre part, la substitution d’un système d’économie planifiée internationale d’ampleur européenne aux systèmes d’économie planifiée nationaux95.

  • 96 Id., « Les problèmes fondamentaux de l’union économique européenne », art. cité, p. 745.
  • 97 Id., « Die europäische Intégration. Marktwirtschaftliche oder kollektivistische Méthode ? », art. c (...)

28Tout projet européen doit donc respecter les principes libéraux. Aussi la méfiance est-elle de mise à l’encontre du mouvement fédéraliste européen : « Les congrès fédéralistes européens rassemblent maints personnages qui adhèrent à une certaine forme de socialisme ou, tout au moins, jugent opportun de laisser s’imposer celle-ci. » L’économiste juge déconcertant que l’on puisse se réclamer d’un fédéralisme européen tout en promouvant un « système économique absolument incompatible avec le fédéralisme96 ». Le débat européen doit tourner moins autour de la finalité de l’intégration que de sa méthode. La « méthode collectiviste » aurait pour prix un « moins en intégration avec le reste du monde » ; on observerait au niveau européen les conséquences de l’économie planifiée déjà manifestes au niveau national. La « méthode de l’économie de marché » permettrait au contraire une intégration européenne « ouverte » et non pas « fermée », la seule digne de ce nom97. Wilhelm Röpke a déjà un avis bien affirmé lorsque débute la séquence fondatrice qui va du plan Marshall aux traités de Rome, à laquelle il aurait d’ailleurs pu prendre une part active s’il l’avait souhaité, à l’instar de William Rappard, Denis de Rougemont ou Salvador de Madariaga, présents lors du congrès de La Haye de mai 1948.

  • 98 Lettre du 21 octobre 1946 de Léon Van Vassenhove, NR, dossier AK 46.
  • 99 Lettre du 23 janvier 1950 de Richard Coudenhove-Kalergi, NR, dossier AK 49-52.
  • 100 Lettre du 10 janvier 1953 de Denis de Rougemont et Raymond Silva, NR, dossier AK 52-53.
  • 101 Lettre du 20 septembre 1955 de Roger Motz, NR, dossier AK 56-57.
  • 102 Lettre du 17 octobre 1958 de Richard Coudenhove-Kalergi, NR, dossier AK 58-59.

29Tout au long de l’après-guerre, même après que son scepticisme est devenu une évidence, Wilhelm Röpke est l’objet de nombreuses sollicitations. En octobre 1946, le Français Léon Van Hassenhove, futur représentant en Suisse de l’Union européenne des fédéralistes, lui a proposé de publier dans L’Action fédéraliste européenne98. En janvier 1950, Richard Coudenhove-Kalergi s’efforce sans succès d’obtenir sa présence lors d’une réunion sur les questions monétaires99. Trois ans plus tard, Denis de Rougemont, en sa qualité de directeur du Centre européen de la culture né sur les fonds baptismaux du congrès de La Haye, ne parvient pas plus à gagner sa collaboration. L’économiste refuse de participer à un « groupe de dirigeants de l’opinion et de spécialistes des sciences politiques » chargés de soumettre les projets de Constitution européenne à un « examen critique » et de « suggérer éventuellement d’autres solutions ». L’invitation à la première réunion est également envoyée à Raymond Aron, Richard Coudenhove-Kalergi, Walter Dirks, Bertrand de Jouvenel, Eugen Kogon, Georges Vedel ou encore Martin Wight100. Déjà bien en peine de convaincre Wilhelm Röpke de participer aux congrès de l’Internationale libérale dont il est le président, Roger Motz, également à la tête du Mouvement libéral pour l’Europe unie, ne réussit pas non plus à l’attirer au second colloque européen libéral à Strasbourg en octobre 1955101. À la fin de 1958, Richard Coudenhove-Kalergi échoue à le faire intervenir lors du IXe congrès de l’Union paneuropéenne internationale à Aix-la-Chapelle102.

  • 103 Gespräch mit Professor Röpke am 4. Juni 1950 über Schuman-Plan, PA AA, Best. B15 Band 33.
  • 104 Wilhelm Röpke, Leitgedanken zum Schuman-Plan, Typoscript, NR. Nous n’avons pu trouver ce document. (...)
  • 105 Lettre du 12 juin 1950 à Alice Goebel, IUHEI, dossier correspondance William Rappard-Wilhelm Röpke.
  • 106 Lettre du 28 juin 1950 d’Albert Picot, ibid. Dans une lettre du 24 juin 1950 adressée aux directeur (...)
  • 107 Konrad Adenauer (édition réalisée par Hans-Peter Mensing), Teegespräche 1961-1963, Berlin, Siedler (...)
  • 108 Lettre du 17 octobre 1953 à Konrad Adenauer, NR, dossier AK 54-55.

30Par le biais allemand, Wilhelm Röpke aurait également pu jouer un rôle plus politique. Le 4 juin 1950, il rencontre pour la première fois Konrad Adenauer, qui sollicite son avis sur le plan Schuman en cours d’élaboration. S’il le juge « très précieux » d’un point de vue politique, ses implications économiques lui semblent incertaines, voire problématiques. Il pointe la menace d’un « syndicat monstrueux », synonyme d’« interventions dans l’économie libre », et recommande de limiter la future communauté au seul domaine de la sidérurgie, à l’exclusion donc de l’énergie103. Peu de temps après, le petit mémoire de quatre pages qu’il fait parvenir au chancelier stipule que le plan Schuman comporte une « tendance indéniable à la centralisation, à la politisation et à la collectivisation104 ». Si Konrad Adenauer lui a fait une « bonne impression105 », Wilhelm Röpke décline sa proposition d’intégrer un comité d’experts sur le plan Schuman. Il ne souhaite pas se placer en porte-à-faux avec les autorités helvétiques. Le département de l’instruction publique de Genève lui a fait savoir qu’il « souhaiterait plutôt que vous refusiez cette charge, de façon qu’aucun conflit ne pût naître entre votre position de professeur dans un État neutre et une situation qui comporterait un certain caractère politique106 ». Plus important encore, Wilhelm Röpke s’est, semble-t-il, vu proposer de représenter l’Allemagne fédérale lors de la conférence de Paris chargée d’élaborer le traité de la CECA. Se récusant, il suggère le nom de Walter Hallstein, qui entamera grâce à ce tremplin une longue carrière diplomatique et politique107. Son refus découle de la méfiance que lui a d’emblée inspirée le plan Schuman. En octobre 1953, Wilhelm Röpke redit au chancelier ses préventions à l’encontre des socialistes, très actifs dans le mouvement européen, aspirant à une « Europe à l’économie planifiée », sous couvert d’unification européenne. Il se dit consterné par les résolutions du second congrès de La Haye qui vient de s’achever, y voyant la « revendication explicitement socialiste » d’une politique d’investissement à l’échelle européenne108.

  • 109 François Denord, Antoine Schwartz, « L’économie (très) politique du traité de Rome », Politix, n° 8 (...)
  • 110 François Denord, « Néo-libéralisme et “économie sociale de marché” : les origines intellectuelles d (...)
  • 111 Patricia Commun, « La contribution d’Alfred Müller-Armack à l’initiation d’un ordre économique libé (...)
  • 112 Sur ces points, voir Milène Wegmann, Früher Neoliberalismus und europäische Intégration, op. cit., (...)

31Les reproches faits par Wilhelm Röpke au plan Schuman et au Marché commun peuvent surprendre. Le traité de Rome a été présenté par les chercheurs comme dérivant des idées néolibérales109. L’inscription dans ce texte fondateur du principe de concurrence et de lutte contre les ententes et les positions dominantes renvoie au schéma ordolibéral d’une Constitution économique110. La construction européenne a été portée par la démocratie-chrétienne ouest-allemande dont les ordolibéraux se sentent proches. Enfin, Alfred Millier-Armack n’a-t-il pas été l’un des protagonistes des négociations, d’abord comme représentant allemand dans le comité Marché commun dirigé par Hans von der Groben, puis comme secrétaire d’État aux Affaires européennes111 ? Mais l’homogénéité du néolibéralisme sur la question européenne ne doit pas être surestimée. Pour un Maurice Allais qui continue, dans l’après-guerre, de plaider l’idée européenne, d’autres, comme Lionel Robbins ou Friedrich Hayek, prennent leurs distances dans le contexte de la guerre froide. Des différences liées à la nationalité se font également jour. Les néolibéraux français et belges sont favorables à une construction européenne qui briserait les habitudes protectionnistes des patronats indigènes. Les néolibéraux allemands craignent que la pression française et italienne ne force la RFA à renoncer à tout ou partie de son système libéral. Avec pour chefs de file Gottfried Haberler et Wilhelm Röpke, le camp sceptique semble majoritaire à la Société du Mont-Pèlerin, de Saint-Moritz en 1957 à Cassel en 1960112. La position de Wilhelm Röpke est donc moins marginale qu’emblématique d’une sensibilité néolibérale européosceptique, très bien reçue dans plusieurs pays extérieurs à l’Europe des Six, notamment en Suisse.

  • 113 Wilhelm Röpke, « Gemeinsamer Markt und Freihandelzone », dans Aktionsgemeinschaft Soziale Marktwirt (...)
  • 114 Lettre du 10 décembre 1957 de Ludwig Erhard, lettre du 12 décembre 1957 à Ludwig Erhard, correspond (...)

32Au-delà des économistes néolibéraux stricto sensu, Ludwig Erhard n’est lui-même pas un chaud partisan de la construction européenne dans sa variante la plus fonctionnaliste, s’opposant en cela à Konrad Adenauer, souscrivant en privé à bien des arguments du Cassandre genevois. Mais il est irrité par ses interventions fracassantes. Lors d’une réunion de l’Aktion Soziale Marktwirtschaft à Bad Godesberg en novembre 1957, Wilhelm Röpke a présenté la dynamique européenne sous un jour très sombre, exhorté à ne pas faire de l’Europe un « autel sur lequel l’économie de marché sera sacrifiée », appelé à abandonner l’idée de marché commun si une zone de libre échange n’était pas mise sur pied dans le même temps113. Ludwig Erhard lui écrit alors pour défendre une politique européenne réaliste, passant par l’acceptation du fait accompli, afin d’éviter que les solutions des « Européens patentés » ne s’imposent, afin d’« extraire l’optimum » des traités de Rome dans une logique aussi libérale que possible. Wilhelm Röpke répond que son rôle est celui du chœur dans la tragédie antique. Alors que les hommes politiques ont une liberté d’expression réduite, il soutient la cause libérale en disant tout haut ce que d’autres disent tout bas : « Si vous ne m’aviez pas, vous devriez pour ainsi dire m’inventer114. »

  • 115 Rede des Präsidenten des Bundesverbandes der Deutschen Industrie, Fritz Berg, vor der südwestfälisc (...)
  • 116 Lettre du 17 mars 1958 à Fritz Berg, NR, dossier AK 57-58.
  • 117 Lettre d’avril 1958 (la date précise n’est pas indiquée) de Fritz Berg, ibid.
  • 118 Lettre du 24 avril 1958 de Wilhelm Röpke à Otto H. Vogel, ibid.
  • 119 Wilhelm Röpke, « Die Wirtschaftslogik der europäischen Integration », NZZ, 13 juillet 1950 ; « Fur (...)

33Avec Fritz Berg, l’échange est nettement moins complice. En décembre 1957, le président du BDI évoque l’irresponsabilité d’un « professeur actif en Suisse » qui en appelle à « liquider des traités qui viennent d’être signés115 ». Frappé par un premier infarctus en janvier 1958, Wilhelm Röpke n’exige la publication d’un rectificatif qu’à la fin du mois de mars116. Fritz Berg lui rétorque qu’il n’a cessé de prodiguer des conseils nuisibles à l’économie allemande, de ses propos en faveur de la loi sur les cartels à ceux en faveur de la réévaluation du mark, et lui recommande, puisqu’il est éloigné de son pays d’origine depuis des décennies, de ne plus s’immiscer dans les affaires intérieures allemandes117. Ulcéré, Wilhelm Röpke fulmine dans sa correspondance118. Mais la violence des réactions qu’il suscite témoigne une fois encore de l’écho qu’il rencontre. Depuis le début des années 1950, il fait entendre sa voix plus ou moins dissonante119.

  • 120 Id., « Die europäische Intégration. Marktwirtschaftliche oder kollektivistische Methode ? », art. c (...)
  • 121 Id., Internationale Ordnung – Heute, Erlenbach-Zurich, Rentsch, 1954, p. 313.
  • 122 Id., « How to Integrate Europe », art. cité, p. 593.
  • 123 Id., Internationale Ordnung – Heute, op. cit., p. 315-316.

34En 1951, il se demande si la « conception collectiviste qui a déjà joué un grand rôle lors de l’élaboration du plan [Schumann] » et dont l’inspiration est imputée à André Philipp va l’emporter dans la pratique de la CECA120. Trois ans plus tard, la nouvelle édition d’Internationale Ordnung délivre un verdict sans appel. Le plan Schuman n’a pas été un « acte de véritable intégration économique européenne ». La théorie de l’intégration fonctionnelle à son fondement repose sur une « méconnaissance difficilement compréhensible du problème ». Mettre en place un marché « commun » pour le charbon et l’acier n’a aucun sens parce que ces branches industrielles restent intégrées à des économies nationales isolées les unes des autres par des politiques dirigistes et planificatrices fondées sur une logique d’autarcie monétaire. Le projet européen ainsi conçu est condamné à l’échec parce qu’il n’est pas complété par une libéralisation des économies nationales121. Le 10 février 1953, le jour où la Haute Autorité de la CECA a aboli les tarifs douaniers intercommunautaires, n’entrera donc pas dans l’histoire comme le jour de l’an 1834, qui vit l’entrée en vigueur du Zollverein piloté par la Prusse, ou le 1er février 1849, lorsque la Grande-Bretagne abolit ses lois protectionnistes sur le blé122. L’Union européenne des paiements n’est pas mieux jugée. Dans son principe, elle apparaît soit comme incapable de fonctionner, soit comme inutile. Un constat que son bilan ne vient pas infirmer123.

  • 124 Id., « Gemeinsamer Markt und Freihandelzone. 28 Thesen als Richtpunkte », ORDO. Jahrbuch für die Or (...)
  • 125 Id., « Zwischenbilanz der europäischen Wirtschaftsintegration. Kritische Nachlese », art. cité, p.  (...)
  • 126 Id., « Gemeinsamer Markt und Freihandelzone. 28 Thesen als Richtpunkte », art. cité, p. 41-42.
  • 127 Ibid., p. 44-45, 51-52 ; Jacob Viner, The Custom Union Issue, New York, Carnegie Endowment for Inte (...)
  • 128 Sur le soubassement théorique des réflexions européennes de Wilhelm Röpke, voir Helge Peukert, Das (...)

35À la fin des années 1950, Wilhelm Röpke part en guerre contre le traité de Rome, avec deux longs articles publiés dans ORD0124. En affirmant la possibilité d’une intégration européenne alors que les conditions préalables à sa réalisation ne sont pas remplies, le Marché commun souffre de la même tare originelle que le plan Schuman. La circulation économique ne peut être libre entre des États qui, sans le moindre souci d’équilibrer leur balance des paiements, donnent la priorité à l’« économie planifiée », à l’État-providence, au « plein emploi à tout prix » et à « tous les autres postulats bien connus de l’après-guerre125 ». Le Marché commun est condamné à l’échec parce qu’il ne pourra résoudre le « problème central de l’intégration économique européenne », celui de la convertibilité des monnaies et de l’équilibre de la balance des paiements. Il risque même de ruiner les quelques avancées en la matière réalisées dans le cadre de l’OCDE et de l’UEP, qui fait ici l’objet d’un jugement plus indulgent que quelques années auparavant126. Augurer du succès de la CEE en se réclamant du Zollverein démontre l’illusion qui sous-tend l’édifice du traité de Rome, car l’Europe des Six ne présente pas la cohérence économique qui fut celle de l’union douanière prussienne. Il existe en effet un clivage entre les pays qui ont restauré l’économie de marché et ceux qui persistent dans le dirigisme. Il est vain d’espérer que les pays méritants entraîneront les mauvais élèves sur la bonne voie, le contraire risquant même de survenir. En définitive, le Marché commun constitue la forme fermée de l’intégration : à la différence de l’intégration européenne amorcée dans le cadre de l’OCDE, le plus en intégration sur le plan interne est plus qu’annulé par le moins en intégration sur le plan extérieur. Tel est l’argument assené par Wilhelm Röpke, qui, sur le plan théorique, évoque Jacob Viner127. Dans The Custom Union Issue, publié en 1950, l’économiste américain analyse les effets induits par une union douanière en opérant une distinction capitale entre celles qui favorisent le commerce et celles qui au contraire l’entravent. La vision de l’union douanière qui serait par définition favorable à l’intégration des pays concernés dans l’économie mondiale se trouve battue en brèche au profit d’une analyse au cas par cas. Pour Gottfried von Haberler ou Wilhelm Röpke, partisans d’un libre échange reposant sur la clause du pays le plus favorisé, les thèses de Jacob Viner représentent un soutien inespéré pour étayer leurs thèses mal acceptées dans l’espace européen et allemand128.

  • 129 Wilhelm Röpke, « Europa als wirtschaftliche Aufgabe », dans Albert Hunold (dir.), Europa – Besinnun (...)
  • 130 Wilhelm Röpke, « Zwischenbilanz der europäischen Wirtschaftsintegration », art. cité, p. 87-88.
  • 131 Ibid., p. 73-74.
  • 132 Id., Internationale Ordnung – Heute, op. cit., p. 308-309.
  • 133 Id., « Gemeinsamer Markt und Freihandelzone », art. cité, p. 33.

36Dès 1957, Wilhelm Röpke a mis en garde : plus dirigiste sera le Marché commun, plus grand sera le risque d’autarcie continentale, inhérent à toute économie planifiée129. En 1959, il redit que la « méthode dirigiste-interventionniste (supranationale) » de l’intégration économique internationale est fondamentalement différente de la « méthode de l’économie de marché », qu’elle ne peut entraîner qu’une « intégration régionale fermée », synonyme de « désintégration, de division et de découplage (Entzweiung) par rapport à l’extérieur130 ». Il serait erroné d’attribuer le rétablissement de la convertibilité du franc à la dynamique entraînée par le Marché commun, alors qu’il découle de la nouvelle politique économique libérale conduite par Jacques Rueff131. Depuis le début, l’économiste genevois n’a donc guère varié dans son argumentaire. Le multilatéralisme et la convertibilité des monnaies seraient les deux conditions d’une véritable intégration économique prenant la forme d’une « communauté de marché, de prix et de paiement » garante d’une « division géographique du travail sans entraves avec son augmentation extraordinaire de la productivité132 ». La réussite dépend de la mise en œuvre, au niveau de chaque pays, d’une politique économique et monétaire résolument libérale, et non pas d’un projet supranational risquant de plonger l’Europe dans le dirigisme et la division. L’enjeu est en réalité moins de s’aventurer sur des terres inconnues que d’opérer un retour en arrière. « Il y a eu une intégration économique européenne avant la lettre », affirme inlassablement Wilhelm Röpke. La mission assignée à l’économie européenne consiste « fondamentalement en une réintégration, c’est-à-dire dans le rétablissement d’un état plus satisfaisant des relations économiques européennes, qui a déjà existé dans le passé et qui a été détruit petit à petit depuis 1931 dans la tempête de la crise mondiale133 ».

  • 134 Ibid., p. 310-311.
  • 135 Wilhelm Röpke, « How to Integrate Europe », art. cité, p. 594.
  • 136 Wilhelm Röpke, Internationale Ordnung – Heute, op. cit., p. 311.

37L’intégration d’antan a été réalisée « sans plans, planificateurs, bureaucratie, conférences, unions douanières, hautes autorités », lorsque l’Europe n’était pas encore morcelée par le contrôle des devises, les politiques commerciales collectivistes et la non-convertibilité des monnaies. Dans ce monde d’avant la crise, le protectionnisme n’était pas plus pénalisant que les coûts de transport parfois élevés, à l’instar de ceux qui pesaient sur l’économie américaine. Les barrières douanières ne remettaient pas en question la convertibilité des monnaies et par là même le caractère multilatéral des échanges. L’intégration européenne d’alors était libérale, ouverte, universelle. Amorcée dans les années 1930, la décomposition de l’ordre d’antan maintient ses effets après la guerre parce que les politiques à son origine n’ont pas disparu134. Pour Wilhelm Röpke, Zurich et Munich seraient économiquement plus éloignées l’une de l’autre au début des années 1950 que ne l’étaient l’Islande et la Patagonie un quart de siècle auparavant135. Toute intégration européenne correctement conçue doit passer par l’élimination de cette couche supplémentaire d’entraves absolues et collectivistes venues s’ajouter, après la crise, à la couche des entraves de nature plus relative, les barrières douanières traditionnelles, qui pesaient déjà sur le commerce. Or démanteler tous ces dispositifs relève de la responsabilité de chaque État136.

  • 137 Ibid.
  • 138 Id., « Agrarintegration und EWG », Agri Forum, 1964, n° 2.
  • 139 Id., Die Krise der europäischen Wirtschaftsintegration, Zurich, Schweizerische Kreditanstalt, 1963, (...)
  • 140 Pour une critique de François Bloch-Lainé, voir Id., « Die Planifikation. Ein neues Etikett fur ein (...)

38Le principe de libéralisation à l’échelle nationale s’oppose point par point aux schémas interventionnistes et supranationaux qui prévalent à la fin des années 1950. Sa légitimation par la théorie, mais également l’histoire, via l’éloge du xixe siècle, a valu bien des critiques à Wilhelm Röpke, accusé de passéisme ou de glorification naïve de la Pax Britannica. Mais l’économiste se défend en soulignant la rigueur logique de la « solution libérale » qu’il promeut : la désintégration de l’économie mondiale étant imputable à l’orientation à gauche des politiques économiques, lui tourner le dos impose de prendre le contre-pied des « politiques inflationaro-collectivistes137 ». Avec les années 1960, le Marché commun s’ancre dans le paysage. Mais Wilhelm Röpke ne modère pas ses critiques. S’il concède une libéralisation des échanges industriels, la politique agricole commune lui semble particulièrement condamnable138. De manière plus globale, les deux fautes capitales du Marché commun, sa « politisation » et son « perfectionnisme », ont de lourdes conséquences. D’une part, la tendance fatale à la constitution d’un bloc, d’autre part, la quasi-impossibilité d’un élargissement et d’une libéralisation vers l’extérieur. La situation pourrait empirer encore si, non contente d’avoir mis sur pied une économie planifiée de l’agriculture, la CEE succombait à cette nouvelle mouture de la planification et du dirigisme qu’est l’« économie programmée » à la française139. Wilhelm Röpke voit dans François Bloch-Lainé l’antithèse de Jacques Rueff, le symbole de la dérive planificatrice des élites technocratiques européennes140.

  • 141 Id., « Europa als wirtschaftliche Aufgabe », art. cité, p. 167-168.
  • 142 Id., « Agarintegration und EWG », art. cité., p. 2.
  • 143 Id., Die Krise der europäischen Wirtschaftsintegration, op. cit., p. 7.
  • 144 Lettre du 15 février 1964 à Olaf Gigon, NR, dossier AK 63-64.

39Mais ses réticences vont au-delà de l’économie. Donner la priorité à l’intégration économique sur l’intégration politique et spirituelle en pensant que la première préparera la seconde relèverait d’un économisme dangereux. L’intégration politique et spirituelle exige en effet un sentiment de communauté sur les plans politique et moral qui n’existe pas dans l’Europe de l’après-guerre. C’est le sens de la boutade suivant laquelle la Confédération helvétique n’est pas née au xiiie siècle de la réunion des fromageries cantonales dans une union fédérale des fromageries141. La méfiance röpkienne se nourrit également d’une prévention typiquement néolibérale à l’encontre des bureaucraties et des organismes internationaux. L’appréhension face à une construction européenne jugée emblématique de la modernité technocratique renvoie en outre au pessimisme culturel d’un économiste qui, avec l’émergence d’un « grand espace (Groβraum) centralisé », craint la disparition de la « diversité dans l’unité » qui serait à la source de la richesse culturelle européenne. Le Marché commun est vu comme l’instrument d’une « américanisation sans pitié de l’Europe142 ». Enfin, certaines prises de position renvoient autant à des considérations de politique internationale qu’au souci de dénoncer la construction européenne stricto sensu. Le général de Gaulle reçoit ainsi un soutien plutôt inattendu de Wilhelm Röpke. Le refus gaullien de voir la Grande-Bretagne dans le Marché commun serait moins révélateur d’un égoïsme irresponsable que des dysfonctionnements européens. Il renverrait au souci de renforcer le potentiel militaro-politique du Vieux Continent. Tel est le sens de la force de frappe dont on se moque si souvent143. Ces considérations géopolitiques montrent que les analyses eurosceptiques de Wilhelm Röpke ne sont pas dissociables de sa réflexion plus générale sur les relations Est-Ouest. L’économiste, qui dénonce dans sa correspondance les « Marché-communistes », est un cold warrior144. Face à la menace soviétique, le président français serait un rempart bien plus efficace que son jeune homologue américain, John Kennedy, très sévèrement jugé. Le regard que Wilhelm Röpke jette sur le monde est tout simplement inintelligible si l’on perd de vue son engagement de tous les instants au service de la cause antisoviétique et anticommuniste.

Notes

1 Wilhelm Röpke, « Die Laufbahn der Sozialen Marktwirtschaft », dans Frank Greiß, Fritz W. Meyer (dir.), Wirtschaft, Gesellschaft und Kultur. Festga befür Alfred Müller-Armack, Berlin, Duncker & Humblot, 1961, p. 3-9. Voir également Wilhelm Röpke, « Soziale Marktwirtschaft und Wirtschaftspolitik », Die Aussprache (Arbeitsgemeinschaft Selbststândiger Unternehmer), 11, n° 5-6,1961, p. 115-118.

2 Wilhelm Röpke, « Die Laufbahn der Sozialen Marktwirtschaft », art. cité, p. 6.

3 Ibid., p. 6-7.

4 Ibid., p. 7-8.

5 Ibid., p. 8.

6 Id., « Die deutsche Wirtschaftspolitik steuert einen falschen Kurs », Industriekurier. Beilage « Marktwirtsschaft in der Bewährung », 7 août 1962, p. 13.

7 À l’origine, il s’agissait également de se démarquer de la tradition historiciste et de Gustav Schmoller, accusé d’avoir défendu des positions favorables aux monopoles.

8 Wilhelm Röpke, L’explication économique du monde, op. cit., p. 204-205.

9 Id., Die Gesellschaftskrisis der Gegenwart, op. cit., p. 291, 359, 388.

10 Id., Civitas humana, op. cit., p. 75.

11 Sur le long processus qui a conduit à l’adoption en 1957 de la Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkung, voir James C. Van Hook, Rebuilding Germany, op. cit., p. 233-289 ; Anthony J. Nicholls, Freedom with Responsibilité, op. cit., p. 325-337.

12 Lettre du 20 juin 1948 de Walter Eucken à Erich Welter, citée par Anton Riedl, Liberale Publizistik für Soziale Marktwirtschaft, op. cit., p. 226.

13 Lettre du 12 mai 1951 de Franz Böhm à Albert Hunold, citée par Philip Plickert, Wandlungen des Neoliberalismus, op. cit., p. 272.

14 La Fédération de l’industrie allemande est une organisation faîtière qui prend la succession du Reichsverband der deutschen Industrie de l’époque weimarienne.

15 Ludwig Erhard, « Zehn Thesen zur Verteidigung der Verbotsgesetzgebung. Professer Erhard zur Kartellfrage », Wirtschaft und Wettbewerb, 2,1952, p. 733-736 ; Fritz Berg, « Die Auffassung der Industrie zur Kartellfrage. Präsident Berg antwortet Prof. Erhard », Wirtschaft und Wettbewerb, 2, 1952, p. 857-869.

16 Hans Herbert Götz, « Erhard bleibt hart – Scharfe Rede auf der Tagung der Aktionsgemeinschaft Soziale Marktwirtschaft », FAZ, 20 novembre 1953.

17 Leonhard Miksch, « Internationale Kartelle », 28/12/49 ; Id., « Gibt es nützliche Kartelle ? », FAZ, 7 mars 1950, Walter Eucken, « Von der alten zur neuen Wirtschaftspolitik », FAZ, 3 janvier 1950. Sur le soutien de la presse libérale à la loi anticartel, voir Anton Riedl, Liberale Publizistik für Soziale Marktwirtschaft, op. cit.

18 « Berg geht zum Gegenangriff über. BDI-Prâsident verteidigt den Kartellstandpunkt der Industrie gegenf1Professoren-Marktwirtschaft” », Handelsblatt, 7 décembre 1953.

19 Wilhelm Röpke, Ist die deutsche wirtschaftspolitik richtig ?, op. cit., p. 21.

20 Lettre du 22 janvier 1953 de Hans Ilau, NR, dossier AK 52-53.

21 Dans un article non publié, dont le manuscrit a été retrouvé par Hans Willgerodt dans le Nachlaß Röpke : Wilhelm Röpke, « Kernfragen der Wirtschaftsordnung », ORDO. Jahrbuch für die Ordnungvon Wirtschaft und Gesellschajt, 48,1997, p. 27-64, notamment p. 51. Rédigé en 1953, le texte devait introduire un ouvrage collectif.

22 Id., « Ein Probefall des Neoliberalismus », NZZ, 28 février 1953.

23 Lettres des 6 et 17 février 1953 à Hans Ilau, NR, dossier AK 52-53.

24 Lettre du 22 octobre 1954 à Hans Ilau, NR, dossier AK 54-55.

25 Wilhelm Röpke, « Rechnung ohne den Menschen », FAZ, 31 décembre 1954. Voir également Id., Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 342-344.

26 Id., « Kartelle – nur auf Rezept », FAZ, 28 mai 1955.

27 Hans Hellwig, « Wir brauchen kein Kartellgesetz », art. cité.

28 Voir supra le chapitre 8.

29 Lettre du 8 juillet 1955 à Alexander Rüstow, NR, dossier Rüstow.

30 Lettre du 5 novembre 1956 à Carlo Mötteli, NR, dossier AK 56-57.

31 Wilhelm Röpke, « Die Laufbahn der Sozialen Marktwirtschaft », art. cité, p. 8.

32 Lettre du 14 mai 1952 à Hans Ilau, NR, dossier AK 52-53.

33 Voir Anton Riedl, Liberale Publizistik für Soziale Marktwirtschaft, op. cit., p. 245-246, 289-291.

34 « Die Schweiz und die Kartelldebatte in Deutschland », NZZ, 14/2/54.

35 Carlo Mötteli, « Kartelldebatte auch in der Schweiz. Von der Mißbrauchs- zur Verbotsgesetzgebung ? », ORDO. Jahrbuch für die Ordnung von Wirtschaft und der Gesellschaft, 7,1955, p. 195-211. Sur la retenue relative de la NZZ dans les débats, voir Anton Riedl, Liberale Publizistik für Soziale Marktwirtschaft, op. cit., p. 289-291.

36 Lettre du 3 février 1953 à Hans Ilau, NR, dossier AK 52-53.

37 Robert Van Horn, « Reinventing Monopoly and the Role of Corporations. The Roots of Chicago Law and Economics », dans Philip Mirowski, Dieter Plehwe (dir.), The Road from Mont-Pèlerin, op. cit., p. 204-237.

38 Yves Steiner, « The Neoliberals Confront the Trade Unions », dans ibid., p. 181-203.

39 Vervon Orvall Watts, Union Monopoly, Its Cause and Cure, Los Angeles, 1954. Lettre du 6 mai 1954 de Friedrich Hayek à Albert Hunold, TNL Hunold.

40 Wilhelm Röpke, Die Gesellschaftskrisis der Gegenwart, op. cit., p. 360.

41 Id., Maβ und Mitte, op. cit., p. 170.

42 Id., Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 47.

43 Fritz Machlup, Monopolistic Wage Détermination as a Part of the General Problem of Monopoly, Chamber of Commerce of the United States, 1947. Sur ce rapport, voir Yves Steiner, « The Neoliberals Confront the Trade Unions », art. cité.

44 Wilhelm Röpke, Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 325 ; Id., Die Gesellschaftskrisis der Gegenwart, op. cit., p. 360.

45 Lettre du 23 mai 1952 à Otto H. Vogel, NR, dossier AK 52-53.

46 Lettre du 20 juin 1958 à Albert Hunold, NR, dossier AK 58-59.

47 Wilhelm Röpke, TG, 58, entrée du 13 novembre 1958.

48 Id., Maβ und Mitte, op. cit., p. 168-170.

49 Id., Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 210.

50 Friedrich Hayek, « The Road to Serfdom after Twelwe Years » dans Id., Studies in Philosophy, Politics and Economy, Londres, Routledge, 1967, p. 216-228, notamment p. 220-221, 224-225.

51 Lettre du 23 mars 1958 de Friedrich Hayek, NR, dossier AK 57-58.

52 Bertrand de Jouvenel n’a pu présenter son intervention en personne. Sur les programmes des congrès de la Société du Mont-Pèlerin, voir Liberaal Archief (dir.), Mont-Pèlerin (1947-...). Inventory of the General Meeting Files (1947-1998), 2004, accessible sous le lien http://www.liberaalarchief.be.

53 Voir notamment Wilhelm Röpke, « Das Problem der Lebensvorsorge in der freien Gesellschaft », dans Individual- und Sozialversicherung als Mittel der Vorsorge. Tagungsbericht 1956 der Gesellschaftfür Versicherungswissenschajt und-Gestaltung, Bielefeld, Schmidt, 1956, tiré à part 15 pages ; Id., « Der Wohlfahrtsstaat im Kreuzfeuer der Kritik », NZZ, 17 et 18 juin 1956 ; Id., « The Welfare State Throughout the World », The Commercial and Financial Chronicle, 25 septembre 1958, p. 15, 44.

54 Id., « Die Laufbahn der Sozialen Marktwirtschaft », art. cité, p. 8.

55 id., Die Gesellschaftskrisis der Gegenwart, op. cit., p. 353 ; Id., Civitas humana, op. cit., p. 261.

56 Id., « Der Beveridgeplan », Schweizer Monatshefte, XXII, n° 3-4, avril 1943-mars 1944, p. 159-173, notamment p. 170-171.

57 Ibid., p. 163.

58 Sur les oppositions à l’État social en Suisse et le rôle joué par les milieux d’affaires dans la mise en place d’un système d’assurance sociale à bien des égards particulier, voir Matthieu Leimgruber, Solidarity Without the State ? Business and the Shaping of the Swiss Welfare State, 1890-2000, Cambridge, Cambridge University Press, 2008. Sur les débats autour du plan Bevedrige, voir le chapitre « No Monster Like the Beveridge Plan. The Wartime Breakthrough of Social Insurance (1938-1948) ».

59 Wilhelm Röpke, « L’assistance médicale d’après le plan Beveridge. Conférence tenue devant la Société des médecins du canton de Zurich le 30 novembre 1943 (traduction de l’original allemand) », Schweizerische Ärtzezeitung für Standesfragen/Bulletin professionnel des médecins suisses, 25, 1944, n° 11, p. 95-98.

60 Id., « The Welfare State Throughout the World », art. cité.

61 Id., Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 294-295.

62 Id., « The Welfare State Throughout the World », art. cité.

63 Lettre du 13 juillet 1964 à William François, NR, dossier AK 64-65.

64 Wilhelm Röpke, « Das Problem der Lebensvorsorge in der freien Gesellschaft », art. cité.

65 Lettre du 30 avril 1956 de Hans Ilau, NR, dossier AK 56/57.

66 Lettre du 4 février 1957 à Hans Ilau, NR, ibid.

67 Wilhelm Röpke, « Das Problem der Lebensvorsorge in der freien Gesellschaft », art. cité, p. 14-15 ; Id., Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 224.

68 Id., « Das Problem der Lebensvorsorge in der freien Gesellschaft », art. cité, p. 4, 5.

69 Id., Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 225.

70 Friedrich Hayek, La Constitution de la liberté, Paris, Itec, 1994, p. 297.

71 Gilles Dostaler, Le libéralisme de Hayek, op. cit., p. 76.

72 Wilhelm Röpke, Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 216.

73 Helmut Schoeck, Der Neid. Eine Theorie der Gesellschaft, Fribourg, Munich, Alber, 1966 ; Id., Envy. A Theory of Social Behaviour, New York, Harcourt, 1970. La traduction française est beaucoup plus récente : Id., L’envie : une histoire du mal, Paris, Les Belles Lettres, 1995.

74 Id., « Das Problem des Neides in der Massendemokratie », dans Albert Hunold (dir.), Masse und Demokratie, op. cit., p. 239-272, notamment p. 240, 270.

75 Ibid., p. 242-243, 249, 246-247.

76 Wilhelm Röpke, Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 216-217.

77 Id., « Das Problem der Lebensvorsorge in der freien Gesellschaft », art. cité, p. 5.

78 Id., Jenseits von Angebot und Nachfrage, op. cit., p. 218, 219, 233, 232.

79 Ibid., p. 192,190, 208, 226 et 32.

80 Ibid., p. 232, 177, 229-231.

81 Id., Paneuropa ? Vortrag in der Staatswissenschaftlichen Fachschaft, Iéna, 2 juillet 1926, NR. Nous n’avons pu trouver ce manuscrit. Pour une analyse de son contenu, voir Hans Jörg Hennecke, Wilhelm Röpke, op. cit., p. 58.

82 William Rappard, Uniting Europe, New Haven, Yale University Press, 1930 ; Lionel Robbins, Economic Planning and International Order, Londres, Macmillan, 1937 ; Michael A. Heilperin, « L’internationalisme monétaire et sa crise », dans Paul Mantoux (dir.), La Crise mondiale, op. cit. Sur ces analyses, voir Milène Wegmann, Früher Neoliberalismus und europäische Integration, op. cit., p. 103-104, 315-328.

83 Wilhelm Röpke, « Weltwirtschaft und internationales Rechtssystem », Friedenswarte, n° 3-4, 1936, p. 97-102.

84 Id., International Economic Disintegration, op. cit.

85 Lettre du 18 mai 1939 à Franz Robert Klein, NR, dossier Wichtige Briefe.

86 Wilhelm Röpke, « The Economics of International Federation, 31 octobre 1939 », reproduit dans Institut universitaire des hautes études internationales (dir.), Quarantième anniversaire, op. cit., p. 95-96. Sur le débat à l’IUHEI, voir supra le chapitre 10.

87 Lettres des 16 et 21 octobre 1939 à Alexander Rüstow, NR, dossier Rüstow.

88 Lettre du 26 octobre 1939 à Alexander Rüstow, ibid.

89 Wilhelm Röpke, Die Gesellschaftskrisis der Gegenwart, op. cit., p. 378.

90 Id., Civitas humana, op. cit., p. 386.

91 Ibid., p. 389.

92 Id., Internationale Ordnung, op. cit., p. 63-64.

93 Ibid., p. 64-65.

94 Id., « Les problèmes fondamentaux de l’union économique européenne », Industrie. La revue de l’industrie belge, 2, n° 12, 1948, décembre, p. 744-747, notamment p. 744.

95 Id., « Die europäische Intégration. Marktwirtschaftliche oder kollektivistische Méthode ? », Rheinischer Merkur, 8 juin 1951.

96 Id., « Les problèmes fondamentaux de l’union économique européenne », art. cité, p. 745.

97 Id., « Die europäische Intégration. Marktwirtschaftliche oder kollektivistische Méthode ? », art. cité.

98 Lettre du 21 octobre 1946 de Léon Van Vassenhove, NR, dossier AK 46.

99 Lettre du 23 janvier 1950 de Richard Coudenhove-Kalergi, NR, dossier AK 49-52.

100 Lettre du 10 janvier 1953 de Denis de Rougemont et Raymond Silva, NR, dossier AK 52-53.

101 Lettre du 20 septembre 1955 de Roger Motz, NR, dossier AK 56-57.

102 Lettre du 17 octobre 1958 de Richard Coudenhove-Kalergi, NR, dossier AK 58-59.

103 Gespräch mit Professor Röpke am 4. Juni 1950 über Schuman-Plan, PA AA, Best. B15 Band 33.

104 Wilhelm Röpke, Leitgedanken zum Schuman-Plan, Typoscript, NR. Nous n’avons pu trouver ce document. Citation d’après Hans-Jörg Hennecke, Wilhelm Röpke, op. cit., p. 183.

105 Lettre du 12 juin 1950 à Alice Goebel, IUHEI, dossier correspondance William Rappard-Wilhelm Röpke.

106 Lettre du 28 juin 1950 d’Albert Picot, ibid. Dans une lettre du 24 juin 1950 adressée aux directeurs de l’IUHEI, l’économiste annonce qu’il va refuser la proposition allemande, après concertation avec Albert Huber, le ministre suisse à Bonn.

107 Konrad Adenauer (édition réalisée par Hans-Peter Mensing), Teegespräche 1961-1963, Berlin, Siedler Verlag, 1992, p. 359. Voir également Id., Erinnerungen 1945-1953, Stuttgart, DVA, 1963, p. 337. Il est curieux que Wilhelm Röpke ne fasse pas mention dans sa correspondance de cette proposition.

108 Lettre du 17 octobre 1953 à Konrad Adenauer, NR, dossier AK 54-55.

109 François Denord, Antoine Schwartz, « L’économie (très) politique du traité de Rome », Politix, n° 89, 2010, p. 35-56.

110 François Denord, « Néo-libéralisme et “économie sociale de marché” : les origines intellectuelles de la politique européenne de la concurrence (1930-1950 », Histoire, économie et société, 27, n° 1, 2008, p. 23-33 ; Laurence Simonin, « Ordolibéralisme et intégration économique européenne », Revue d’Allemagne, 33, n° 1, 2001, p. 65-88.

111 Patricia Commun, « La contribution d’Alfred Müller-Armack à l’initiation d’un ordre économique libéral en Europe de 1958 à 1963 », dans Marie-Thérèse Bitsch (dir.), Le couple France-Allemagne et les institutions européennes. Une postérité pour le plan Schuman ?, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 171-190.

112 Sur ces points, voir Milène Wegmann, Früher Neoliberalismus und europäische Intégration, op. cit., notamment p. 359, 485-487 et 491.

113 Wilhelm Röpke, « Gemeinsamer Markt und Freihandelzone », dans Aktionsgemeinschaft Soziale Marktwirtschaft (dir.), Welche Wirtschaftspolitik kann das Vertrauen des Wählers rechtfertigen ? Vorträge und Diskussionen auf der neunten Arbeitstagung der Aktionsgemeinschaft Soziale Marktwirtschaft am 26. und 27. November 1957 in Bad Godesberg, Ludwigsburg, p. 18-32, notamment p. 29.

114 Lettre du 10 décembre 1957 de Ludwig Erhard, lettre du 12 décembre 1957 à Ludwig Erhard, correspondance Ludwig Erhard-Wilhelm Röpke, Ludwig Erhard Stiftung (désormais LES).

115 Rede des Präsidenten des Bundesverbandes der Deutschen Industrie, Fritz Berg, vor der südwestfälischen Industrie- und Handelskammer zu Hagen am 19. Dezember 1957, Mitteilungen des Bundesverband der Deutschen Industrie, 6, n° 1, 10 janvier 1958, p. 1-5.

116 Lettre du 17 mars 1958 à Fritz Berg, NR, dossier AK 57-58.

117 Lettre d’avril 1958 (la date précise n’est pas indiquée) de Fritz Berg, ibid.

118 Lettre du 24 avril 1958 de Wilhelm Röpke à Otto H. Vogel, ibid.

119 Wilhelm Röpke, « Die Wirtschaftslogik der europäischen Integration », NZZ, 13 juillet 1950 ; « Fur und wider den Schuman-Plan », Rheinischer Merkur, 22 juillet 1950 ; « Die europäische Intégration. Marktwirtschaftliche oder kollektivistische Methode ? », art. cité ; « How to Integrate Europe. The Fallacy in the Schuman Plan », The Freeman, 18 mai 1955, p. 593-595.

120 Id., « Die europäische Intégration. Marktwirtschaftliche oder kollektivistische Methode ? », art. cité.

121 Id., Internationale Ordnung – Heute, Erlenbach-Zurich, Rentsch, 1954, p. 313.

122 Id., « How to Integrate Europe », art. cité, p. 593.

123 Id., Internationale Ordnung – Heute, op. cit., p. 315-316.

124 Id., « Gemeinsamer Markt und Freihandelzone. 28 Thesen als Richtpunkte », ORDO. Jahrbuch für die Ordnung von Wirtschaft und Gesellschaft, 10,1958, p. 31-62 ; Id., « Zwischenbilanz der europäischen Wirtschaftsintegration. Kritische Nachlese », ibid., 11,1959, p. 69-94.

125 Id., « Zwischenbilanz der europäischen Wirtschaftsintegration. Kritische Nachlese », art. cité, p. 72.

126 Id., « Gemeinsamer Markt und Freihandelzone. 28 Thesen als Richtpunkte », art. cité, p. 41-42.

127 Ibid., p. 44-45, 51-52 ; Jacob Viner, The Custom Union Issue, New York, Carnegie Endowment for International Peace, 1950.

128 Sur le soubassement théorique des réflexions européennes de Wilhelm Röpke, voir Helge Peukert, Das sozialökonomische Werk Wilhelm Röpkes, op. cit., notamment p. 995.

129 Wilhelm Röpke, « Europa als wirtschaftliche Aufgabe », dans Albert Hunold (dir.), Europa – Besinnung und Hoffnung, Erlenbach-Zurich, Rentsch, 1957, p. 159-184, notamment p. 179.

130 Wilhelm Röpke, « Zwischenbilanz der europäischen Wirtschaftsintegration », art. cité, p. 87-88.

131 Ibid., p. 73-74.

132 Id., Internationale Ordnung – Heute, op. cit., p. 308-309.

133 Id., « Gemeinsamer Markt und Freihandelzone », art. cité, p. 33.

134 Ibid., p. 310-311.

135 Wilhelm Röpke, « How to Integrate Europe », art. cité, p. 594.

136 Wilhelm Röpke, Internationale Ordnung – Heute, op. cit., p. 311.

137 Ibid.

138 Id., « Agrarintegration und EWG », Agri Forum, 1964, n° 2.

139 Id., Die Krise der europäischen Wirtschaftsintegration, Zurich, Schweizerische Kreditanstalt, 1963, p. 9.

140 Pour une critique de François Bloch-Lainé, voir Id., « Die Planifikation. Ein neues Etikett fur ein überholtes Idee », FAZ, 20 juillet 1963.

141 Id., « Europa als wirtschaftliche Aufgabe », art. cité, p. 167-168.

142 Id., « Agarintegration und EWG », art. cité., p. 2.

143 Id., Die Krise der europäischen Wirtschaftsintegration, op. cit., p. 7.

144 Lettre du 15 février 1964 à Olaf Gigon, NR, dossier AK 63-64.

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