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Wilhelm Röpke, l’autre Hayek

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Jean Solchany

Röpke avant Röpke ? Retour sur les années weimariennes

Chapitre 7. Weimar après Weimar : le poids de la socialisation allemande

Texte intégral

1933 : un libéral antinazi sur la sellette

  • 1 Wilhelm Röpke, « Nationalsozialisten als Feinde der Bauern. Ein Sohn Niedersachsens an das Landvolk (...)

1Wilhelm Röpke manifeste une aversion profonde pour le NSDAP. Dans un tract intitulé « Les nationaux-socialistes ennemis des paysans » diffusé le 11 septembre 1930, soit trois jours avant les législatives qui marquèrent le premier succès nazi au niveau national, il interpelle les électeurs qui pensent que la situation ne peut plus s’aggraver. À la crise économique s’ajouteront la crise de l’État et la guerre civile si l’on n’y prend pas garde. Dans cet appel lancé par un « fils de Basse-Saxe à la paysannerie », tel est son sous-titre, il lance un avertissement solennel : « Celui qui aura voté national-socialiste le 14 septembre prochain ne pourra pas dire plus tard qu’il ne savait pas ce qui allait en résulter. » Il aura choisi le « chaos » et la « destruction », il aura voté pour la « guerre à l’intérieur et à l’extérieur ». Destiné à un électorat rural protestant de plus en plus réceptif au nazisme, le message souligne l’antithèse supposée entre les valeurs de la paysannerie et l’essence du nazisme : « Le sens de l’État, l’esprit constructif des paysans allemands, le caractère révolutionnaire, violent, hostile à la propriété du national-socialisme – on ne peut imaginer de plus grande opposition ! » Cette lecture antisocialiste du nazisme est authentiquement libérale dans la mesure où elle ne s’accompagne pas d’un plaidoyer en faveur d’une solution autoritaire. Après avoir réclamé un Reichstag en état de travailler, seul à même de rétablir la confiance à l’intérieur et à l’extérieur, l’économiste dénonce au contraire les conservateurs : « Vous serez complices si vous votez nazi ou pour un parti qui n’a pas de réticences à former un gouvernement avec les nazis1. »

  • 2 Id., « Epochenwende », art cité, p. 106-111.
  • 3 Une version abrégée a été publiée pour le trentième anniversaire de l’arrivée des nazis au pouvoir  (...)
  • 4 « Geh. Rat Troeltschs letzten Gang », Hessisches Tageblatt, 28/2/1933.

2Jusqu’à son départ en exil, Wilhelm Röpke n’a pas dévié d’une ligne hostile au nazisme, qu’il continue d’afficher publiquement après l’arrivée d’Adolf Hitler à la chancellerie. Son article intitulé Epochenwende, qui ne fut pas publié, est la version écrite d’une conférence prononcée à Francfort le 7 février 1933. L’économiste y oppose le libéralisme et la liberté au national-socialisme perçu comme la manifestation de la « révolte des masses ». En promouvant l’« abrutissement des masses », en enflammant les « sentiments les plus destructeurs et les plus débridés », en prêchant le retour dans les « forêts primitives de Germanie », le nazisme ne pouvait que dérégler le fonctionnement complexe d’une économie moderne. Dans sa quête effrénée du pouvoir, il a eu recours aux slogans les plus contestables – « Allemagne, réveille-toi », l’« idéalisme völkisch », la « purification de l’âme allemande ». Mais, au-delà, le soulèvement des masses qu’il incarne est une attaque frontale contre « tout ce que nous nommons la culture : un soulèvement contre la raison, la liberté, l’humanité, contre l’ensemble des normes écrites et non écrites qui ont été élaborées durant des millénaires pour rendre possible une communauté humaine hautement différenciée, sans dégrader les hommes en esclaves de l’État ». L’idéal nazi est celui d’une « nation marchant au pas de la parade, un esclavage d’État, plus asiatique qu’allemand ». Comme le fascisme, le nazisme incite les masses à la haine en désignant des boucs émissaires, les « Juifs », les « marxistes », les « ennemis héréditaires de toutes sortes » et, avant tout, les « libéraux2 ». Certes, le manuscrit de ce texte destiné à Der deutsche Volkswirt n’a été retrouvé qu’en 1961 par la veuve de Gustav Stolper3. Mais le 27 février 1933, Wilhelm Röpke a tenu d’autres propos assez similaires, même si plus indirects, lors de l’enterrement de Walter Troeltsch. Dans son oraison funèbre, il présente son vieux maître comme un « jardinier de la science », connu pour son « combat contre tout ce qui lui semblait de la mauvaise herbe et de la vermine », pour ensuite se demander si un tel jardinier était adapté à l’« époque actuelle, qui voit l’Allemagne sur le chemin de quitter la forêt ordonnée pour retourner dans la forêt primitive4 ».

  • 5 Voir Anne Christine Nagel (dir.), Die Philipps-Universität Marburg im Nationalsozialismus, op. cit. (...)
  • 6 Protokoll der Senatsitzung vom 13. April 1932. Reproduit dans Anne Christine Nagel (dir.), Die Phil (...)
  • 7 Lettre du 18 avril 1933 de Hans Krawielitski au ministère de l’Éducation, GStA Berlin, I. HA Rep 76 (...)

3Après le 30 janvier 1933, l’existence à Marbourg devient problématique pour Wilhelm Röpke. Sa ville a voté à plus de 50 % pour le NSDAP lors des élections de novembre 1932, dépassant de 16,1 % la moyenne nationale, rivalisant avec les records enregistrés par les nazis dans leur forteresse du Schleswig-Holstein. L’université n’est pas un refuge, loin s’en faut. Depuis le début des années 1930, les étudiants nationaux-socialistes sont majoritaires. À la fin de Weimar, le travail des universitaires libéraux ou de gauche, moins d’une dizaine sur plus de 80 professeurs ordinaires, était déjà difficile5. Mais après la prise du pouvoir, Martin Rade, Wilhelm Röpke, Hermann Jacobsohn, l’orientaliste social-démocrate Alfred Götze ou le théologien pacifiste Georg Wünsch se retrouvent sur la sellette. En mars, après l’enterrement de Walter Troeltsch, un séjour d’agrément au Sahara permet à l’économiste de prendre un peu de champ. Mais ses difficultés ne font que commencer. Le 13 avril 1933, le recteur et professeur de droit Walter Merk (1883-1937), un national-allemand qui devient rapidement membre bienfaiteur (Förderndes Mitglied) de la SS et adhère à la Ligue des juristes nationaux-socialistes, invite à la démission les membres du Sénat de l’Université « étiquetés dans l’opinion comme des précurseurs du système weimarien6 ». Wilhelm Röpke est également la cible d’attaques le visant plus directement encore. Ancien du StuKoMa, membre de la Ligue des étudiants nationaux-socialistes, Kreisleiter de Marburg, député du Landtag de Prusse, Hans Krawielitski écrit le 7 avril 1933 à Bernhard Rust, le nouveau ministre de l’Éducation : Wilhelm Röpke fait preuve de « comportement antinational », rejette la « nécessité de la dignité nationale, de la résolution morale et du dévouement résolu aux exigences vitales de la nation ». Il ne peut être considéré comme un « professeur allemand », est un « danger pour la jeunesse académique allemande ». Hans Krawielitski réclame sa destitution et annonce un mouvement de boycottage de ses cours. Il est également poussé par des motivations plus prosaïques, souhaitant déblayer le terrain pour faire succéder à Walter Troeltsch un nazi de la première heure, Adolf Wagner, sur une chaire dédiée à l’étude de la doctrine économique corporatiste et de l’artisanat7.

  • 8 Lettre du 16 avril 1933 au recteur de l’université de Marbourg, reproduite dans Anne Christine Nage (...)
  • 9 Lettre du 24 avril 1933 d’Eberhard Francke au ministère de l’Éducation, GStA Berlin, I. HA Rep 76. (...)

4Wilhelm Röpke tente d’échapper à l’orage, donne des gages, mobilise des soutiens. Le 16 avril, il démissionne de toutes ses fonctions administratives, déclarant sa volonté de dissiper les « malentendus » nés autour de sa personne par une « coopération loyale à la grande mission de redressement général8 ». Le 24 avril 1933, Eberhard Francke, le délégué de la représentation des étudiants de la faculté des sciences de l’État, dont relève l’économie, écrit au ministère pour plaider sa cause. Même après la « révolution nationale », Wilhelm Röpke resterait apprécié des étudiants, pourtant « orientés à 95 % à droite ». S’il n’a jamais caché ses convictions libérales, il serait, désormais, animé du désir sincère de « s’intégrer dans le nouveau front, dans notre nouveau front9 ». Le lendemain, dans l’attente d’une décision définitive les concernant, le ministère n’en suspend pas moins Wilhelm Röpke et Hermann Jacobsohn, son collègue et ami juif qui, deux jours plus tard, se jette sous les roues d’un train en provenance de Francfort. Le 30 avril 1933, un jour après l’enterrement, où il était représenté, le journal libéral Hessisches Tageblatt suspend sa parution. Le milieu libéral marbourgeois achève de se décomposer.

  • 10 Voir supra le chapitre 2.
  • 11 Après la guerre, l’économiste expliquera avoir décidé de quitter l’Allemagne au plus vite, après qu (...)

5À l’aide de ses contacts au ministère des Affaires étrangères, qui intervient en sa faveur jusqu’en septembre 1933, Wilhelm Röpke tente de négocier sa mise à l’écart sous la forme d’un congé d’un an. Il pourrait alors gagner Istanbul tout en préservant la possibilité d’une réintégration dans l’université allemande. Mais c’est un échec. On l’a vu, Wilhelm Röpke est mis à la retraite le 28 septembre 1933 au titre de l’article 4 de la loi sur le rétablissement de la fonction publique10. À cette date, il se trouve à l’étranger depuis plusieurs mois déjà, ayant gagné la Hollande à la fin du mois de mai11. Il ne refoulera le sol allemand qu’après Hitler. Mais il n’a jamais perdu le contact avec ses collègues demeurés au pays, à commencer par Walter Eucken. La rupture du lien intellectuel n’a été que relative. Wilhelm Röpke a suivi de près l’éclosion de l’ordolibéralisme à Fribourg.

Le projet ordolibéral comme entreprise opportuniste

6Le hasard des recrutements a en effet rassemblé dans le pays de Bade des universitaires unis par la même volonté de rouvrir à nouveaux frais le dossier de la science économique, de ses fondements et de ses objectifs. Au-delà du noyau originel, constitué des juristes Franz Böhm et Hans Großmann-Doerth et de l’économiste Walter Eucken, qui publient en 1936 un texte programmatique, Unsere Aufga.be (Notre tâche), tout un groupe, notamment des élèves de Walter Eucken, comme Friedrich A. Lutz, Fritz W. Meyer et Leonhard Miksch ou le journaliste et économiste Hans Gestrich, adhèrent peu ou prou au paradigme ordolibéral. Cette École de Fribourg constitue le pôle le plus libéral de la pensée économique allemande sous le nazisme, qui se révèle difficile à saisir dans sa diversité. La réduire à une série de courants passéistes ou extrémistes serait caricatural. Certes, après 1933 et le départ de nombreux économistes novateurs, les traditions historiciste et holiste se trouvent renforcées. Mais, à côté des Sombart, Gottl-Ottlilienfeld et Spann, se développe une pensée plus « moderne », héritière des intenses débats du début des années 1930, produit également du contexte à bien des égards spécifique d’une économie allemande placée sous le signe du plein emploi, du dirigisme et de l’effort de guerre. Ses principaux représentants sont Cari Föhl, Robert Nöll von der Nahmer et Heinrich von Stackelberg. Membre du NSDAP dès 1931, ce dernier est l’un des économistes les plus brillants de sa génération, pionnier de la théorie économique mathématisée. Il entretient de nombreux liens avec Walter Eucken et ses collègues.

7L’École de Fribourg elle-même n’est pas monolithique. Les promoteurs de la pensée ordolibérale au sens strict sont à distinguer des économistes Constantin von Dietze et Adolf Lampe qui, s’ils partagent bien des points avec Walter Eucken, n’en développent pas moins un argumentaire autonome au sein de la nébuleuse fribourgeoise. Le milieu socioculturel dans lequel elle s’enracine lui confère néanmoins une homogénéité. Cette communauté de professeurs majoritairement protestants au sein de la catholique Fribourg forme un groupe soudé par de nombreux rites de sociabilité. De solides convictions communes, la question religieuse, en particulier la réception des mots d’ordre de l’Église confessante, fondent une réelle connivence. La notion de libéralisme peut toutefois sembler inadéquate pour caractériser une vision du monde marquée au sceau d’un conservatisme foncier, pour cerner une pensée économique qui se veut en rupture avec le laissez-faire et dont la vision de la concurrence se double de considérations sur le rôle essentiel à assigner à l’État.

  • 12 Franz Böhm, Walter Eucken, Hans Großmann-Doerth, « Unsere Aufgabe », dans Franz Böhm, Die Ordnung d (...)
  • 13 Franz Böhm, Walter Eucken, Hans Großmann-Doerth, « Unsere Aufgabe », art. cité, p. 16.

8Paru en 1936-1937, Unsere Aufgabe est considéré comme le premier manifeste de l’ordolibéralisme. Ses trois auteurs le publient en introduction à deux des quatre volumes d’une nouvelle collection intitulée « Ordnung der Wirtschaft » (Ordre de l’économie), qui se voit ainsi conférer une forte cohérence programmatique12. En une quinzaine de pages, Franz Böhm, Walter Eucken et Hans Großmann-Doerth font passer plusieurs messages. En premier lieu, le paradigme historiciste, par sa faiblesse intrinsèque, expliquerait le déclin de l’influence exercée par les juristes et les économistes. Dans sa forme marxisto-sombartienne, il aurait conduit à un fatalisme synonyme d’impuissance face aux évolutions de l’économie. Le Tatkreis, par exemple, s’inscrirait directement dans cette filiation par son prophétisme confinant au défaitisme. Dans sa forme schmollerienne, il aurait débouché sur un relativisme incapable de poser les vraies questions, faute d’une approche théorique adéquate. En témoigne la faible prise en compte de la question des monopoles ou des groupes d’intérêt. « Enfant de son temps », prisonnier de la croyance au progrès, Gustav Schmoller aurait sous-estimé les « passions démoniaques et les instincts égoïstes des hommes », n’aurait pas vu les « dangers du chaos13 ».

  • 14 Walter Eucken, Nationalökonomie wozu ?, Leipzig, Felix Meiner, 1938.
  • 15 Bernhard Laum, « Methodenstreit oder Zusammenarbeit. Randbemerkungen zu einem Angriff auf die histo (...)
  • 16 Id., Die Grundlagen der Nationalökonomie, op. cit.

9En 1938, dans Nationalökonomie wozu ?, petite synthèse de ses positions à destination d’un public plus large, mais également dans le Schmollers Jahrbuch, Walter Eucken reprend cette charge contre l’historicisme, achevant de relancer la controverse14. L’économiste historiciste Bernhard Laum, professeur ordinaire à l’université de Marbourg depuis 1936 et membre du NSDAP, lui répond. Walter Eucken réplique par un appel au dépassement de l’historicisme et une critique du néohistoricisme15. Mais ses attaques renouvelées sont moins une fin en soi qu’elles ne servent le projet de résoudre enfin la « grande antinomie » dans laquelle la pensée économique allemande se débat depuis la célèbre controverse qui a opposé Carl Menger à Gustav Schmoller à la fin du siècle précédent. Dans son maître ouvrage de 1940, Die Grundlagen der Nationalökonomie (Les fondements de l’économie nationale), Walter Eucken précise la perspective esquissée dans Nationalökonomie wozu ?16.

  • 17 Id., Nationalökonomie wozu ?, op. cit., p. 20. Voir également Walter Eucken, Die Grundlagen der Nat (...)
  • 18 Id., Nationalökonomie wozu ?, op. cit., p. 35-36.

10Le défi consiste à saisir la « diversité historique des formes économiques » et à « dans le même temps considérer les problèmes d’un point de vue global et théorique17 ». La démarche de l’« abstraction isolante », sorte de jugement a priori qui dépasse la contradiction entre approche théorique et démarche empirique, permet de dégager un certain nombre d’« idéaux-types », de « formes pures », à partir desquels se sont constitués dans le passé et se constituent dans le présent les différents ordres économiques. Point essentiel : le nombre de ces formes pures n’est pas illimité. Il est dès lors possible d’établir une « morphologie des formes économiques ». Considérant que chaque sujet économique agit en fonction d’un « plan économique » (Wirtschaftsplan), un postulat dont il fait la base de son raisonnement, Walter Eucken est en mesure de réduire la diversité des systèmes économiques du passé et du présent à deux grands idéaux-types, celui de l’économie centralisée (zentralgeleitete Wirtschaft), consistant en la mise en œuvre d’un seul plan économique, et celui de l’économie de marché (Verkehrswirtschaft), résultante d’une multitude de plans économiques, dont il s’agit de comprendre comment ils se coordonnent. La diversité des systèmes économiques relevant peu ou prou de l’économie de marché oblige toutefois à considérer un grand nombre de sous-types. Mais Walter Eucken pense avoir surmonté la grande antinomie. Sa morphologie a été élaborée en partant de formes pures identifiées par une méthode d’abstraction qui prend en compte la diversité du réel et de l’histoire, mais échappe au piège de l’empirisme. Les « connaissances théoriques » que délivre la science économique moderne ont une validité intemporelle18.

  • 19 Franz Böhm, Walter Eucken, Hans Großmann-Doerth, « Unsere Aufgabe », art. cité, p. XIX, XX.
  • 20 Walter Eucken, Nationalökonomie wozu ?, op. cit., p. 53.
  • 21 Id., Die Grundlagen der Nationalökonomie, op. cit., p. 266.
  • 22 Id., Nationalökonomie wozu ?, op. cit., p. 55

11Mais l’ambition de l’École de Fribourg n’est pas que théorique. Au-delà du constat de l’impuissance historiciste, les auteurs de Unsere Aufgabe aspirent à définir la bonne « constitution économique » (Wirtschaftsverfassung), entendue comme une « décision d’ensemble sur l’ordre de la vie économique nationale ». Le droit se voit reconnaître un rôle essentiel dans cette visée codificatrice. À condition toutefois d’agir en étroite interaction avec la pensée économique. Il sera alors possible de faire respecter la libre concurrence, « principe d’ordre (Ordnungsprinzip) important de l’économie allemande actuelle ». Par l’étude des formes de marché, la science économique peut distinguer les types de concurrence légitimes de ceux qui ne le sont pas19. En 1938 et 1940, Walter Eucken précise que l’enjeu est d’« ouvrir la voie à un ordre véritable de l’économie dans son ensemble20 » et de « préparer intellectuellement la création d’un ordre viable de l’économie moderne par le biais d’une “constitution économique”21 ». La réalisation de cet ordre véritable passe par l’acceptation de la « concurrence de rendement » (Leistungswettbewerb), « principe ordonnateur incontournable, sans lequel l’économie moderne ne peut être ordonnée22 ». Derrière le discours ordolibéral qui s’élabore dans les années 1930, il y a donc des économistes désireux de s’imposer comme une expertise incontournable.

  • 23 Ibid., p. 51, 55.
  • 24 Ibid., p. 57.

12Il s’agit de peser sur la définition de la politique économique afin d’éviter la répétition des dérives interventionnistes des décennies précédentes. Depuis la fin du xixe siècle et plus encore après 1918, les interventions étatiques se sont multipliées. La tendance s’est encore accentuée avec la crise de 1929 et les politiques mises en œuvre pour y remédier : « Aujourd’hui, il y a d’innombrables régulations du marché dans presque tous les États de la planète. » Un ensemble complexe fait d’instances semi-étatiques et de groupes d’intérêt a résulté de cet interventionnisme conduit sans principe unifié. Il ne reste plus grand chose de l’ordre économique libéral hérité du xixe siècle. La vocation de la science économique est donc de repenser l’ordre de l’économie, de mettre à disposition un savoir technocratique : « Si l’ambition étatique d’ordonner consciemment l’économie [...] doit aboutir, alors l’État doit être au clair sur la constitution économique au sein de laquelle toutes les mesures ponctuelles doivent être mises en œuvre23. » Aux yeux de Walter Eucken, la science économique semble de nouveau capable d’exercer une influence : « S’il n’y avait pas encore d’économie nationale, il faudrait l’inventer maintenant. Elle n’est pas une science du passé, au contraire, l’avenir lui appartient24. »

  • 25 Daniela Rüther, Der Widerstand des 20. Juli auf dem Weg in die Soziale Marktwirtschaft, op. cit., p (...)
  • 26 Franz Böhm, Die Ordnungder Wirtschaft als geschichtliche Aufgabe und rechtsschöpferische Leistung, (...)
  • 27 Ibid., p. 7.

13Révulsés par l’emprise des « intérêts » sur l’économie et l’État, et contempteurs du « pluralisme » weimarien, les tenants de l’ordolibéralisme en gestation ambitionnent de jouer un rôle. Non sans naïveté, ils s’imaginent qu’ils ont peut-être une opportunité inédite d’y parvenir au lendemain du 30 janvier 1933. L’historienne Daniela Rüther observe qu’il s’agit là moins d’une volonté de coopération avec le nouveau pouvoir que de l’espoir de le manipuler au service de leur vision de l’économie et de la société25. Les Fribourgeois sont d’emblée indisposés par le caractère « plébéien » du nazisme, à l’encontre duquel ils adopteront une posture de plus en plus critique. Mais, dans un premier temps, sa rhétorique du redressement national au-delà des clivages de partis et de classes ne laisse pas insensible. En 1937, dans un ouvrage publié dans la série « Ordnung der Wirtschaft », Franz Böhm procède, bien plus que Walter Eucken, à une mise en perspective historique et sociologique de la quête ordolibérale. Si elle a libéré des forces extraordinaires et permis l’épanouissement de la liberté individuelle, l’ère bourgeoise a eu des effets dissolvants, constate-t-il, détruisant des ordres anciens sans parvenir à en construire de nouveaux. À bien des égards, y compris sur le plan économique, la liberté n’a pas été suffisamment contrebalancée par l’ordre. Franz Böhm critique alors la pensée économique classique et fait un tableau très sombre de la société moderne, dénonçant son individualisme et son matérialisme, évoquant un « mécanisme social complexe et raffiné » au sein duquel le « besoin de communauté vivante » n’est pas satisfait. Si l’État et le pouvoir politique n’intègrent pas l’individu dans un « devenir national », ne lui font pas prendre la mesure des « tâches communautaires à accomplir », le résultat est une insatisfaction fondamentale lourde de conséquences. C’est le « processus de la massification, de l’embrigadement dans les partis (Parteiung), de la confusion linguistique, de la dissolution et de la querelle de groupe » qui, en interaction avec le développement économique moderne, a atteint une « dimension tout simplement fatale26 ». Déclinant une vision holiste caractéristique de l’ordolibéralisme, Franz Böhm souligne la nécessité d’un « ordre moral », sans lequel il ne peut y avoir de communauté véritable27.

  • 28 Ibid., p. 10.
  • 29 Leonhard Miksch, Wettbewerb als Aufgabe, op. cit., p. 5.

14Après avoir dépeint la gravité de la situation, le juriste évoque la « conviction commune » aux auteurs de la série « Ordnung der Wirtschaft » en se réclamant d’une perspective qui s’apparente à une entreprise de régénération nationale. S’il condamne avec fermeté les formes de collectivisme d’inspiration marxiste, il fait la part belle à l’État : « L’exigence la plus fondamentale pour tout ordre économique qui se respecte est que la direction politique doit être le maître de l’économie, dans son ensemble comme dans ses parties ; il est nécessaire que la politique économique de l’État s’approprie le déroulement économique à la fois sur le plan spirituel et en termes d’exercice du pouvoir. » Dans ce but, l’économie doit être structurée par un ordre « qui soit à la fois un ordre juridique et politique », qui « soit investi et vécu spirituellement par la nation », qui « soit suivi avec dévouement et discipline par les citoyens producteurs (die wirtschafienden Volksgenosseri)28 ». Tous les moyens sont envisageables pour fonder un « ordre » suffisamment fort, afin que la « direction politique » puisse affirmer son pouvoir sur l’économie. Esquissée sous Weimar, la vision d’un État fort au-dessus des intérêts économiques guide toujours la réflexion. Autre contributeur de la collection « Ordnung der Wirtschaft », Leonhard Miksch ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit en 1937 que la « mise en place d’une constitution économique ordonnée dans le sens de Franz Böhm n’est pas pensable sans un État fort qui organise les différents marchés avec un degré de liberté variable et veille à ce que le système dans son ensemble ne perde pas à nouveau son unité et sa cohérence29 ».

  • 30 Franz Böhm, Die Ordnungder Wirtschaft als geschichtliche Aufgabe und rechtsschöpferische Leistung, (...)
  • 31 Ibid., p. 12.
  • 32 Ibid., p. 52.
  • 33 Leonhard Miksch, Wettbewerb als Aufgabe, op. cit., p. 5.
  • 34 Hans Großmann-Doerth, « Sinnlos gewordenes liberales Wirtschaftsrecht – Aufgabe nationalsozialitisc (...)

15Pour Franz Böhm, la vocation du « bon ordre économique » est de libérer les forces productives inscrites au sein de chaque citoyen (Volksgenosse), de les mettre autant que possible au service de la totalité30. Cette conception est indissociable du contexte politique et moral dans lequel elle doit s’inscrire et qu’elle contribuera à remodeler : « L’ordre de l’économie, en sa qualité d’ordre d’un aspect de la vie communautaire politique et culturelle de la nation, doit être constitué de manière à contribuer – à partir du quotidien – à la progression du sentiment vital politique global et au perfectionnement de l’unité nationale31. » Si Franz Böhm n’entre pas dans le détail des mesures à prendre par le pouvoir politique pour souder une nation économique moderne en une « vraie communauté de peuple et de destin », à l’entendre, des mesures de grand style et de grande portée seraient déjà en cours : « Le temps où l’État laissait aller les choses sur ce plan et ne voyait pas la mission historique est révolu32. » Pour sa part, Leonhard Miksch fait du nouveau climat politique une condition même de la faisabilité du projet ordolibéral : « La volonté renforcée de l’État de diriger [die verstärkte Führungswille], y compris sur le plan politique, satisfait ainsi à une exigence de la politique de concurrence33. » Cosignataire de Notre tâche, même s’il devait par la suite s’éloigner du groupe fribourgeois, Hans Großmann-Doerth (1894-1944), dans un article de 1934 intitulé « Un droit économique libéral devenu sans objet – une mission de la rénovation juridique national-socialiste », présente dans la force du nouvel État allemand l’« espérance de toute rénovation véritable de notre droit34 ». L’ambition de refonder la pensée économique et d’ériger ses promoteurs en infaillibles conseillers du prince s’accompagne de satisfecit plus ou moins appuyés accordés au nouveau pouvoir.

  • 35 Cité par Daniela Rüther, Der Widerstand des 20. Juli auf dem Weg in die Soziale Marktwirtschaft, op (...)
  • 36 Franz Böhm, Die Ordnungder Wirtschajt als geschichtliche Aufgabe und rechtsschöpferische Leistung, (...)

16Bien des Fribourgeois semblent avoir cru en des temps nouveaux plus favorables que les anciens. Après 1933, ils ne s’enferment pas dans le silence, promouvant au contraire leurs idées dans une configuration qui leur semble plus ouverte, considérant que le moment nazi constitue une fenêtre de tir favorable aux réformes de grand style. Plusieurs années après l’arrivée des nazis au pouvoir, Franz Böhm exprime encore cette conviction de manière tout à fait explicite, usant d’une rhétorique vitaliste et communautaire bien dans l’air du temps national-socialiste. En 1936, lors d’une réunion de la faculté de droit à Fribourg, il oppose ainsi la « révolution nationale », synonyme de mobilisation pour les économistes, et la situation déplorable qui prévalait antérieurement : « Avant s’était répandu un peu partout un découragement généralisé ; l’impuissance de la machinerie parlementaire, la division de la nation en partis, groupes d’intérêt, classes et fronts opposait à toute action résolue des résistances et des frottements presque insurmontables. Et subitement la possibilité fut là d’aller de l’avant sur tous les plans35. » En 1937, à propos du plan de quatre ans piloté par Hermann Göring, il voit dans l’« existence d’une part d’un état d’exception en matière de constitution économique, d’autre part d’une mission puissante et unique mobilisant l’énergie et la participation enthousiaste de l’ensemble de la nation » une « occasion incomparable » de faire bouger les lignes en faveur d’une constitution économique durable36.

  • 37 Sur le comité des professeurs, voir Daniela Rüther, Der Widerstand des 20. Juli auf dem Weg in die (...)
  • 38 Walter Eucken, « Wettbewerb als Grundprinzip der Wirtschaftsverfassung », dans Günther Schmölders ( (...)

17La présence de représentants de l’École de Fribourg dans des comités et structures de réflexion à caractère plus ou moins officiel traduit aussi une certaine accommodation. C’est à la suite d’un lobbying intensif d’Adolf Lampe que le ministère de l’Économie constitue un comité des professeurs (Professorenauschuss), qui compte également Walter Eucken, chargé à la fin de 1939 de rédiger un rapport sur la situation économique allemande depuis le début du conflit. Le document n’est pas dépourvu d’une tonalité critique, met en garde contre un financement inflationniste de la guerre et dénonce un chaos polycratique nuisible au pilotage de l’économie37. Il marque donc une certaine désillusion par rapport à l’optimisme affiché un ou deux ans plus tôt. Les Fribourgeois ne renoncent pas pour autant à leur recherche d’influence. A partir de 1940, ils sont actifs au sein de l’Académie du droit allemand, une institution fondée en 1933 pour refonder le droit dans un sens national-socialiste. Placé jusqu’en 1942 sous la présidence de Hans Frank, son père spirituel devenu gouverneur général de Pologne en 1939, puis d’Otto Thierack, le ministre de la Justice, cette organisation, qui compte parmi ses membres l’intellectuel völkisch Max Hildebert Böhm, le président de la Cour de justice du peuple Roland Freisler ou encore l’idéologue antisémite Friedrich Grimm, se compose de nombreux sous-ensembles. Une Klasse IV baptisée « Étude de l’économie völkisch » est créée en 1940 sous la présidence de l’économiste nazi Jens Jessen et rassemble la grande majorité des économistes allemands. Au sein de cette subdivision qui se décompose elle-même en groupes de travail (Arbeitsgemeinschaften, AG en abrégé), une réflexion assez libre peut se déployer. D’une certaine manière, la Klasse IV de l’Académie pour le droit allemand est la continuation du défunt Verein für Socialpolitik disparu en 1935. Les Fribourgeois sont particulièrement présents dans l’AG Volkswirtschaftslehre (Doctrine économique), théâtre de la réflexion théorique la plus ambitieuse. À l’occasion, le propos se fait critique. Lors d’un colloque de novembre 1941 organisé par l’AG Preispolitik (Politique des prix), Walter Eucken accuse l’économie d’administration centralisée d’entraver l’épanouissement de la concurrence de rendement (Leistungswettbewerb) et réclame pour l’après-guerre une « restructuration totale de l’ordre économique38 ».

  • 39 Ludolf Herbst, Der totale Krieg und die Ordnung der Wirtschaft, op. cit., p. 127-146.
  • 40 Sur Otto Ohlendorf, pendu en 1951, voir Andrej Angrik, Besatzung und Massenmord. Die Einsatzgruppe (...)
  • 41 Ludolf Herbst, Der totale Krieg und die Ordnung der Wirtschaft, op. cit., p. 443.

18Au début de 1943, au lendemain de la dissolution de plusieurs groupes de travail de l’Académie, non pour des raisons politiques mais à la suite de réductions d’effectifs dans le contexte de la guerre totale, plusieurs économistes poursuivent leur réflexion au sein ce que l’on a appelé l’Arbeitsgemeinschaft Erwin von Beckerath, du nom de l’économiste qui présidait l’AG Volkswirtschaftslehre et pilote désormais ce qui s’apparente à une structure informelle sans ancrage institutionnel, mais dont l’activité se déroule avec la pleine approbation de l’Académie pour le droit allemand. La réflexion qui s’y déroule sur la nature de la politique économique nazie et les inflexions éventuelles à y apporter retient en effet l’attention de plusieurs responsables ministériels qui voient d’un bon œil ce genre de brain-storming. Dès 1940, le ministère de l’Économie a commencé à réfléchir à l’après-guerre dans une logique d’assouplissement du dirigisme, sinon de retour au libéralisme39. Dans cette perspective, la Klasse IV créée au même moment au sein de l’Académie du droit allemand prenait tout son sens comme lieu de production d’une expertise technocratique à destination des décideurs. La fin de la guerre approchant, la question de ses lendemains se fait plus pressante. En novembre 1943, le Gruppenführer SS Otto Ohlendorf devient secrétaire d’État au ministère de l’Économie, au sein duquel il joue un rôle important. L’ex-commandant de l’Einsatzgruppe D responsable de l’assassinat de 90 000 juifs en URSS occupée est en effet un économiste de formation, ancien élève de Jens Jessen à l’Institut für Weltwirtschaft de Kiel. Dans ses nouvelles fonctions, il manifeste un grand intérêt pour les travaux de l’AG von Beckerath40. Le ministère de l’Économie sollicite l’expertise des économistes. En 1944, Adolf Lampe est sondé pour savoir si l’AG von Beckerath accepterait d’intégrer le dispositif du ministère, mais il donne une fin de non-recevoir. Leonhard Miksch accepte en revanche d’intégrer une cellule de Conseil scientifique mise en place en mars 194441.

  • 42 Nils Goldschmidt, Michael Wohlgemuth, « Enstehung und Vermächtnis der Freiburger Tradition der Ordn (...)
  • 43 Helge Peukert, « Die wirtschafts- und sozialpolitischen Zielsetzungen des Freiburger Kreises », dan (...)
  • 44 Dieter Autoritärer Liberalismus und Soziale Marktwirtschaft, op. cit. ; Ralf Ptak, Vom Ordoliberali (...)

19De 1933 jusqu’à la fin des années 1930, la doctrine ordolibérale s’élabore avec l’ambition de faire d’une économie repensée un discours pour l’action. Le nouveau contexte politique est perçu comme une fenêtre de tir après plusieurs décennies d’« État total » et de « pluralisme ». Au regard de cette réalité, il paraît difficile de suivre Nils Goldschmidt et Michael Wohlgemuth lorsqu’il écrivent que la « contradiction fondamentale entre les membres de l’École de Fribourg (notamment Walter Eucken et Franz Böhm) et l’idéologie nationale-socialiste » se révéla précocement42. L’analyse de Helge Peukert, qui identifie dans le texte manifeste Unsere Aufgabe la présence d’éléments de « critique latente du système », nous paraît également pécher par un certain excès d’indulgence43. En revanche, Dieter Haselbach et Ralf Ptak formulent des analyses beaucoup plus sévères, mais convaincantes sur bien des points44.

  • 45 Nils Goldschmidt, Michael Wohlgemuth, « Enstehung und Vermâchtnis der Freiburger Tradition der Ordn (...)

20Il n’y a donc pas consensus sur la question épineuse de l’ordolibéralisme sous le nazisme. Épineuse déjà parce qu’elle n’est pas dépourvue d’enjeux mémoriels. Présenter le « programme fribourgeois de la liberté » comme une « pierre fondatrice essentielle de l’économie sociale de marché » après la guerre rend inconfortable la réflexion sur l’horizon idéologique dans lequel se meut l’ordolibéralisme des origines45. Mais épineuse également parce que les ordolibéraux ont eu sous le nazisme une trajectoire difficile à cerner. Si, dans un premier temps, l’heure semble à un certain opportunisme dans une atmosphère de régénération nationale qui ne laisse personne indifférent, dans un second temps, la désillusion prend le pas sur l’accommodation. Du côté ordolibéral, l’appréciation du nazisme en tant que tel n’a jamais été enthousiaste. Elle devient de plus en plus sévère au fil du temps. La difficulté pour l’historien est de démêler un écheveau fait d’idéologie conservatrice et antidémocratique, de compromission dans les instances officielles, mais également d’un processus de distanciation qui conduit les Fribourgeois à produire de l’expertise non seulement à destination du régime nazi, mais aussi de l’Église confessante. Le parcours des ordolibéraux renvoie à la problématique de la résistance conservatrice, au cheminement de cette fraction minoritaire des élites libérales-conservatrices qui, après un ralliement initial plus ou moins marqué au national-socialisme, s’en est progressivement détachée, au point, pour certains de ses représentants, de s’engager dans une opposition religieuse et intellectuelle, voire dans une résistance politique et armée. L’évolution des ordolibéraux d’une posture opportuniste à une attitude dissidente permet de comprendre la proximité qui s’est maintenue envers et contre tout entre Walter Eucken et Wilhelm Röpke, l’émigré antinazi.

Le projet ordolibérol comme pensée dissidente

  • 46 Daniela Rüther, Der Widerstand des 20. Juli auf dem Weg in die Soziale Marktwirtschaft, op. cit., p (...)

21On l’a dit, le rapport que remet le comité des professeurs à la fin de 1939 reflète une certaine désillusion. Mais, plus important encore, ce groupe de travail met en contact des hommes dont certains ont des liens directs avec l’opposition conservatrice. Adolf Lampe et Walter Eucken côtoient Jens Jessen, qui fut avec Ernst Wiskemann un grand « espoir » de l’économie nazie, mais a évolué vers une opposition active. Il devait être victime de la répression après le 20 juillet 1944. Les deux Fribourgeois entrent également en contact avec Johannes Popitz, le ministre prussien des Finances, lui aussi condamné à mort au lendemain de l’attentat contre Hitler. La sociabilité des groupes d’experts facilite l’échange d’informations au sein du milieu socioculturel homogène des élites. Le comité des professeurs et son mémoire sont connus de l’opposant conservateur Ulrich von Hassel. Au sein du groupe de travail « Politique des prix » de l’Académie du droit allemand, Adolf Lampe est en contact avec le comte Yorck von Wartenburg, l’une des principales figures du cercle de Kreisau46. Mais les Fribourgeois deviennent eux-mêmes des acteurs de cette nébuleuse conservatrice au sein de laquelle s’affirment progressivement des comportements oppositionnels de nature et d’intensité diverses. Plus que l’opposition au recteur Heidegger, qui mobilise en particulier Walter Eucken, c’est la question religieuse qui tôt soude bien des universitaires fribourgeois dans une attitude de méfiance sinon face au régime, du moins à l’encontre des chrétiens allemands partis à l’assaut des Églises protestantes.

  • 47 Voir Bernd Martin, « Professoren und Bekennende Kirche. Zur Formierung Freiburger Widerstandskreise (...)
  • 48 Daniela Rüther conteste la thèse généralement admise suivant laquelle le cercle de Fribourg serait (...)

22Avant même la déclaration de Barmen de la fin mai 1934, qui constitue l’acte de naissance de l’Église confessante, le pasteur Hermann Weber et l’historien Gerhard Ritter ont rédigé à Fribourg un tract intitulé « Principes pour la formation d’un front confessant ». En 1935, Walter Eucken rencontre Martin Niemöller. En 1936, l’arrivée à Fribourg de l’économiste Constantin von Dietze, membre éminent de l’Église confessante de Brandebourg, qui loge neuf mois chez Gerhard Ritter, renforce encore le front confessant47. Tel est l’arrière-plan qui voit se constituer, à la fin de 1938 et à l’initiative d’Adolf Lampe, le cercle de Fribourg, un groupe de discussion qui rassemble des universitaires, souvent avec leurs épouses, ainsi que quelques théologiens catholiques proches des éditions Herder. Il est difficile de déterminer le rôle qu’a joué dans sa naissance le choc suscité par la « nuit de Cristal48 ». Les Ritter, les Eucken, les Lampe, les Dietze sont des participants réguliers. On discute de l’éthique chrétienne et du droit naturel considéré dans une perspective catholique et protestante. Le droit à la résistance et au tyrannicide est même évoqué, sans qu’il en ressorte quelque chose de concret. Dû à Gerhard Ritter et à deux pasteurs, un mémoire d’une vingtaine de pages intitulé Kirche und Welt (L’Église et le monde) circule néanmoins dans les milieux confessants.

  • 49 Bonhoeffer Denkschrift, « Politische Gelmeinschaftsordnung. Ein Versuch zur Selbstbesinnung des chr (...)
  • 50 Ibid., p. 665.

23À l’automne 1942, Dietrich Bonhoeffer s’adresse au cercle de Fribourg pour passer commande, au nom de l’Église confessante, d’un mémoire plus ambitieux sur la refondation politique, économique et sociale de l’Allemagne après la guerre, qui doit servir de contribution allemande à la conférence œcuménique mondiale planifiée pour l’après-guerre par les évêques de Chichester et de Canterbury. Un groupe d’envergure plus restreinte, le cercle de Bonhoeffer, se charge alors de la rédaction du texte, comprenant Constantin von Dietze, Adolf Lampe, Walter Eucken et Gerhard Ritter. D’autres professeurs sont impliqués plus ponctuellement, comme Franz Böhm, qui rédige avec son collègue fribourgeois Erik Wolf l’annexe « Principes pour un ordre juridique ». Des versions préliminaires sont discutées avec Helmut Thielicke, Theophil Wurm, Otto Dibelius et d’autres figures de l’opposition protestante. En janvier 1943, le mémoire Politische Gemeinschaftsordnung (Ordre communautaire politique), dû à la plume de Gerhard Ritter, est achevé49. Sa lecture permet d’identifier la vision du monde sous-tendant l’ordolibéralisme du début des années 1940 comme une variante du regard critique que les élites conservatrices jettent sur la « modernité », le « matérialisme » et l’« individualisme ». « La crise politique de notre époque est fondamentalement une crise morale et spirituelle », il faut découvrir ses causes avant de penser à un « programme de reconstruction », tel est le postulat qui guide la réflexion50.

  • 51 Ibid., p. 681-683, 704-705.
  • 52 Ibid., p. 691,703,714.

24Dans la première partie du mémoire, « Le chaos politique de notre temps et ses causes », le bolchevisme et son « déluge de sang et d’horreur » sont dépeints comme le triomphe de l’athéisme. La pire conséquence de la guerre serait d’oublier qu’en URSS Satan menace de triompher. Mais le « bon antidote au spectre du bolchevisme » n’est pas du côté de Rome et de Berlin : « Le fascisme et le nazisme ne font que répéter dans une forme remaniée la faute originelle du bolchevisme : la déification de l’État. » Le parlementarisme n’est pas plus la solution. Les démocraties anglaise et américaine, qui « cultivent l’humanité massifiée dans sa forme la plus pure », auraient tort de se croire à l’abri des « forces du mal ». Le mémoire Bonhoeffer invoque un État fort, garant du droit, « responsable devant Dieu et par là même au-dessus des éternelles querelles partisanes, au-dessus du temps changeant de la politique au quotidien », en mesure d’exercer une « véritable direction » (wirkliche Führerschaft). Avec la modernité, la formation des élites est devenue plus difficile et les partis bourgeois se sont transformés en partis de masse, une situation nouvelle que le parlementarisme n’a pas su gérer51. Dans les milieux conservateurs et religieux oppositionnels, la psychose antiparlementaire reste profonde. De même que la phobie des masses. « Le problème central de l’État moderne est l’organisation politique des masses. » La « démassification des masses » est la « tâche principale de tout renouveau politico-social ». La mise en place d’un « ordre communautaire politique » s’enracinant dans le christianisme permettra de transformer la « masse amorphe » en une « vraie communauté » et de préserver la « vraie personnalité de l’homme face au collectivisme et à l’anarchie ». Dans un « moyen terme » entre les « deux extrêmes du collectivisme et de l’anarchie des partis », une nouvelle « couche de notables » sera le socle du redressement politique52.

  • 53 « Anhang 5 Vorschläge für eine Lösung der Judenfrage in Deutschland », Bonhoeffer-Denkschrift, op. (...)
  • 54 Après la guerre, Franz Böhm dirigera la délégation chargée de négocier avec Israël l’accord de répa (...)
  • 55 Voir Walter Oswalt, « Liberale Opposition gegen den NS-Staat. Zur Entwicklung von Walter Euckens So (...)

25Constantin Dietze a rédigé l’annexe (Anhang 5) consacrée à la « question juive ». Après avoir exprimé son horreur devant l’extermination en cours, évoquant des « centaines de milliers de personnes systématiquement massacrées du simple fait de leur ascendance juive », il affirme toutefois la nécessité d’un « statut international des juifs » pour l’après-guerre. Les Juifs deviendraient des étrangers dans leur pays de résidence, leurs intérêts seraient défendus par un conseil siégeant dans un pays neutre. Explorant des « solutions pour un règlement de la question juive en Allemagne », Constantin von Dietze préconise l’abandon de toute mesure discriminatoire, notamment parce que le « nombre de Juifs survivants qui reviendront en Allemagne ne sera pas suffisamment important pour qu’il puisse encore être considéré comme une menace pour le peuple allemand53 ». Si ce texte traduit la prégnance de l’antisémitisme dans les milieux conservateurs oppositionnels, plusieurs membres de l’École de Fribourg se sont émus de la politique nazie. Installé à Iéna à partir de 1937 après quatre années passées à Fribourg, Franz Böhm est dénoncé l’année suivante pour avoir tenu en privé des propos hostiles à l’antisémitisme nazi et se retrouve interdit d’enseignement en 194054. Walter Eucken a laissé transparaître dans sa correspondance son indignation devant les violences nazies55.

  • 56 « Anhang 4 Wirtschafts- und Sozialordnung », Bonhoeffer-Denkschrift, op. cit., p. 761.
  • 57 Voir Daniela Rüther, Der Widerstand des 20. Juli auf dem Weg in die Soziale Marktwirtschaft, op. ci (...)

26Dans le mémoire Bonhoeffer, les questions économiques et sociales font elles aussi l’objet d’une annexe, l’Anhang 4. Partant du postulat que tout ordre économique nécessite certaines conditions politiques et morales pour perdurer, les trois auteurs, Constantin von Dietze, Walter Eucken et Adolf Lampe, pointent l’échec de l’ordre libéral classique, qui n’a pas su poser les fondements moraux indispensables à son épanouissement, ce qui a conduit à la prolétarisation et à la sécularisation. Ils incriminent le traité de Versailles, mais aussi le nazisme, point d’aboutissement d’une évolution regrettable. Sa politique économique aurait encouragé la « collectivisation de la vie dans son ensemble dans le sens d’une massification et d’un viol de la personnalité individuelle56 ». Il n’est plus question de glorifier un quelconque primat du politique. Significative, la distanciation par rapport au nazisme s’observe dans d’autres textes, qui ont d’ailleurs servi pour une part à la rédaction de l’annexe économique du mémoire Bonhoeffer. Constantin von Dietze, Walter Eucken et Adolf Lampe ont ainsi rédigé une sorte de manuel économique (Volkswirtschaftsfibel), destiné à Carl Goerdeler, l’une des principales figures de la résistance conservatrice, soucieux de condenser en un texte pédagogique sa conception de l’économie et de la société57. Dans leur Volkswirtschaftsfibel, les trois Fribourgeois critiquent la politique économique nazie, y compris dans sa dimension expansionniste, s’inscrivent en faux contre l’idée suivant laquelle liberté et égalité iraient de pair, une conception répandue depuis la Révolution française, et réaffirme le principe de la libre concurrence. On retrouve ici la combinaison fondatrice de l’ordolibéralisme entre une sociologie antimoderne et un certain libéralisme économique.

27L’itinéraire des économistes fribourgeois invite également à interroger la relative facilité avec laquelle ils ont pu mener leur réflexion. Des textes comme le mémoire Bonhoeffer ou le Volkswirtschaftsfibel traduisent une réelle prise de risque, mais également la marge de manœuvre qui était la leur sous le nazisme. Présent dans des structures à caractère plus ou moins officiel, une élite de hauts fonctionnaires et d’universitaires disposait de lieux qui étaient également des espaces de semi-liberté. Certains ont pu en faire usage dans un sens plus ou moins oppositionnel. De manière générale, les régimes fascistes se sont montrés peu répressifs à l’encontre des élites traditionnelles. Rien de surprenant de la part du NSDAP, parvenu au pouvoir grâce à une alliance conclue avec les forces conservatrices. Très rapidement, les nazis ont il est vrai affirmé leur hégémonie. Mais la bureaucratie et l’armée constituaient une élite fonctionnelle dont ils avaient impérativement besoin pour administrer un grand pays moderne et préparer la guerre totale. Les élites conservatrices ont donc longtemps constitué au sein de la configuration nazie un espace semi-autonome, à condition toutefois pour elles de ne pas franchir certaines limites, en clair de ne pas représenter une menace pour le pouvoir.

  • 58 Pour un point synthétique, voir Daniels Rüther, Der Widerstand des 20. Juli auf dem Weg in die Sozi (...)
  • 59 Ils survivent à la fin du régime nazi. Adolf Lampe décède en 1946 du fait de la détérioration de so (...)

28Avec le recul, l’efficacité de la surveillance dont elles ont fait l’objet apparaît relativement limitée. Le conservatisme, l’antidémocratisme et le nationalisme de l’immense majorité des bureaucrates, militaires et universitaires constituaient il est vrai une garantie de fidélité au nouveau pouvoir et d’adhésion à sa vision de régénération nationale. Reste un paradoxe : un régime aussi répressif, violent et totalitaire que le nazisme a été incapable de décrypter l’opération Walkyrie en cours de préparation. Cette relative autonomie du milieu des élites conservatrices constitue le contexte dans lequel s’est déroulé le cheminement complexe des ordolibéraux, entre accommodation et opposition, sans qu’ils soient véritablement inquiétés par le pouvoir avant 1944. Certes, Adolf Lampe et Constantin von Dietze ont eu maille à partir avec les autorités bien plus tôt, pour des motifs divers58. Mais le comportement de plus en plus oppositionnel des Fribourgeois est longtemps restée inaperçu. Adolf Lampe, Gerhard Ritter et Constantin von Dietze ne sont arrêtés qu’à la fin de 1944, dans le sillage de la répression qui suivit l’attentat du 20 juillet59.

29Jusqu’à cette date, le cercle Bonhoeffer a pu être un lieu d’élaboration d’une perspective de refondation en rupture avec la Volksgemeinschaft nationale-socialiste, discréditée par le fiasco de la guerre et les horreurs du nazisme réellement existant. Le chemin parcouru en l’espace d’une décennie apparaît considérable. L’attente d’un État fort entre effondrement weimarien et avènement hitlérien, l’idée que de nouvelles possibilités s’ouvraient ont laissé la place à une désillusion profonde, synonyme d’une redéfinition partielle de la vision du monde tant des ordolibéraux que des conservateurs dont ils se sentaient proches. Le mémoire Bonhoeffer apparaît comme une synthèse de cette réflexion libérale-conservatrice, dont la matrice est le rejet de la modernité. La condamnation du nazisme, désormais assimilé à l’ère des masses dont il constituerait l’ultime incarnation, ne vaut pas, toutefois, réconciliation avec la démocratie parlementaire. Le projet ordolibéral émerge de la guerre comme une variante du brain-storming qui agite certains milieux conservateurs, les plus rétifs au nazisme, des dernières années du nazisme aux premières années de l’après-guerre. Reste à déterminer jusqu’à quel point il a été pris en compte par Wilhelm Röpke, dans quelle mesure il a exercé une influence sur l’économiste parti en exil.

Wilhelm Röpke, un ordolibéral en exil ?

  • 60 Wilhelm Röpke, « Blötter der Erinnerung an Walter Eucken », ORDO. Jahrbuch für die Ordnung von Wirt (...)
  • 61 Id., « Wilhelm Eucken », NZZ, 23 mars 1950.
  • 62 Lettre du 5 décembre 1940 à Attilio Cabiati, NR, dossier Briefe 40/42.
  • 63 Lettre du 24 mars 1941 d’Adolf Lampe, lettre du 8 avril 1941 à Adolf Lampe, ibid. Adolf Lampe, Allg (...)

30En 1961, Wilhelm Röpke se livre à une remémoration très positive du lien fort qui s était établi entre lui et Walter Eucken60. Dès 1950, au lendemain de sa mort, il saluait dans la NZZ celui qui avait opposé aux « collectivistes de tous ordres » la « clarté cristalline d’une doctrine forçant les hommes à penser en “ordres économiques” », celui qui avait apporté une réponse à la « grande question de notre époque », à savoir : « Comment une organisation fondamentalement libre de la vie économique moderne est-elle possible61 ? » Ces éloges traduisent une amitié de longue date, que l’exil n’a pas interrompue. Si la correspondance entre les deux hommes s’interrompt en janvier 1943 pour ne reprendre qu’en 1946, une réelle complicité intellectuelle les lie. En décembre 1940, Wilhelm Röpke tient Die Grundlagen der Nationalokönomie pour un « grand livre, avec lequel je m’identifie largement. Il est l’émanation d’un cercle scientifique, auquel je me rattache moi-même au sens large62 ». En avril 1941, à Adolf Lampe qui vient de lui envoyer sa doctrine générale de l’économie de guerre (Allgemeine Wehrwirtschaftslehre) en se réclamant de la troisième voie, rappelant qu’il a promu dès les années 1920 un « interventionnisme productif » par souci de se rapprocher de l’« idéal de la libre concurrence », Wilhelm Röpke répond : « Nous convergeons tous fortement dans nos travaux, et cela bien que la communication scientifique soit devenue si limitée63. »

  • 64 Cité par Günter Schmölders, « Geistige Wurzeln des Wirtschaftsliberalismus », FAZ, 26 avril 1980. I (...)
  • 65 Wilhelm Röpke, « Bauerntum und freie Wirtschaft », NZZ, 3, 4 et 19 décembre 1942 ; Constantin von D (...)
  • 66 Lettres des 7 juin 1941 et 16 février 1942 de Walter Eucken, reproduites dans Wilhelm Röpke, « Blöt (...)

31Ce n’est donc pas un hasard s’il vante les mérites de la conférence très critique à l’égard de la politique économique nazie que Walter Eucken a prononcée à l’Académie du droit allemand à la fin de 1941, au point d’évoquer dans la NZZ une « dénonciation ouverte du fiasco complet de la politique de l’économie de guerre dirigiste nationale-socialiste64 ». Wilhelm Röpke fait également l’éloge de l’article « Agriculture et ordre concurrentiel » publié par Constantin von Dietze dans le Schmoller Jahrbuch en 194265. Au sentiment de proximité exprimé par Wilhelm Röpke correspond le regret exprimé par Walter Eucken que son collègue genevois n’ait pu être présent lors des débats organisés sur ses Grundlagen der Nationalökonomie au sein de l’Académie pour le droit allemand. Parmi les rares livres cités dans Nationalökonomie wozu ? figure d’ailleurs Die Lehre von der Wirtschaft, le manuel rédigé en 1937 par Wilhelm Röpke et dont Walter Eucken pense le plus grand bien. « C’est toujours pour moi une grande joie que nous soyons si profondément en accord sur les questions scientifiques », écrit-il à son ami exilé au début des années 194066.

  • 67 Id., « Die Grundlagen der Nationalökonomie », NZZ, 22 et 24/2/1942.
  • 68 Lettres du 14 janvier 1942, des 6 mars et 26 mai 1943 à Alexander Rüstow, NR, dossier Rüstow.
  • 69 Erich Welter, Der Weg der deutschen Industrie, Francfort-sur-le-Main, Societäts Verlag, 1943, p. 20 (...)
  • 70 Leonhard Miksch, « Rationierungssysteme », Die Wirtschaftskurve, 19,1940, n° 3, p. 153- 155, citati (...)
  • 71 Olaf Breker, « Ordoliberalismus – Soziale Marktwirtschaft – Europäische Integration. Entwicklungsli (...)

32Mais cette relation forte avec les collègues de l’École de Fribourg n’est pas sans nuages. Dans sa recension globalement positive des Grundlagen der Nationalökonomie parue dans la NZZ, Wilhelm Röpke regrette malgré tout une sévérité excessive à l’encontre du libéralisme classique67. En janvier 1942, il dit à Alexander Rüstow sa déception que Walter Eucken n’ait pas procédé dans la seconde édition de son maître ouvrage à un certain nombre de modifications que les deux exilés lui avaient suggérées. Quelque mois plus tard, il se déclare peu convaincu par la notion de « concurrence comme si » (Als Ob Konkurrenz) développée par Walter Eucken, y voyant l’influence exercée par Leonhard Miksch, « qui est à vrai dire, de tous les membres de cercle de Walter, celui que j’apprécie le moins68 ». Wilhelm Röpke est indisposé par l’accommodation plus ou ou moins poussée au contexte nazi dont font preuve certaines de ses collègues. Là réside la raison du refroidissement de sa relation avec Erich Welter. En 1943, le rédacteur de la Frankfurter Zeitung vante. encore les mérites de la domination nazie sur l’Europe : les « perspectives qui résultent pour le développement industriel d’une unification de l’Europe » seraient à l’entendre d’une « importance fondamentale69 ». L’animosité manifestée la même année à l’encontre de Leonhard Miksch renvoie à l’irritation sans doute suscitée chez l’économiste genevois par les nombreux articles que son collègue fribourgeois publie jusqu’à tard dans la guerre dans Die Wirtschaftskurve, le supplément économique de la Frankfurter Zeitung, qui, bénéficiant de protections gouvernementales, a survécu à la disparition du quotidien en août 1943. Dans un article technique sur le système de rationnement, Leonhard Miksch a ainsi souligné l’« avantage particulier de la politique économique nazie, qui construit les indispensables mesures de planification et de contrôle non pas de manière générale, mais au cas par cas, en prenant particulièrement en compte les besoins du moment70 ». Il est également expert auprès de l’Institut scientifique du travail, relevant du Front allemand du travail (Deutsche Arbeitsfront) de Robert Ley71.

  • 72 Lettre du 13 octobre 1935 à Gustav Heinemann, lettre du 15 juin 1936 de Gustav Heinemann, AsD, Nach (...)
  • 73 Lettre du 18 novembre 1938 à Alexander Rüstow, NR, dossier Rüstow.

33Il n’est pas sûr non plus que l’économiste genevois se soit pleinement reconnu dans l’ancrage religieux et confessant de la pensée ordolibérale naissante. Dans un premier temps du moins. À Gustav Heinemann, Wilhelm Röpke a reproché en octobre 1935 ce qu’il juge être son « manque de détermination sur les questions de politique morale ». Il considère que les « frictions actuelles » entre le protestantisme et le pouvoir ne reposent pas sur une opposition de fond, s’interroge sur la place que doit occuper la religion, et critique le luthéranisme. Cette défiance à l’encontre de son ancien grand ami est d’autant plus significative que Gustav Heinemann est au fait des réflexions menées par les économistes du milieu fribourgeois : il mentionne la thèse de Franz Böhm, fait référence à l’Académie du droit allemand, évoque la perspective de combattre le monopolisme non par le biais de l’économie planifiée mais par celui de la concurrence72. En novembre 1938, au terme d’une longue discussion à Genève avec Edith Eucken, elle-même intellectuelle ordolibérale, Wilhelm Röpke juge le rôle du christianisme « dangereusement surestimé dans le cercle représenté par Eucken73 ».

  • 74 Lettre du 25 septembre 1939 à Gustav Heinemann, AsD, Nachlass Heinemann, Teil 1.

34Fondamentalement, l’économiste exilé n’accepte pas le procès du libéralisme fait par Gustav Heinemann et plus généralement par les élites protestantes conservatrices, fût-ce par leur composante confessante la plus hostile au nazisme, fût-ce par ses camarades ordolibéraux. Mais il évolue. En septembre 1939, il dit désormais partager avec Gustav Heimemann le même « diagnostic sociopolitique » sur la situation du monde74. À partir des années de guerre, la convergence s’accroît entre les ordolibéraux et l’économiste genevois. Les premiers adoptent une posture de plus en plus critique à l’encontre du nazisme. Le second souscrit de plus en plus à une sociologie antimoderniste. Au final, tout le monde se retrouve sur la même plate-forme idéologique pour affronter les défis de l’après-guerre. Certes, Wilhelm Röpke n’est pas à considérer comme un ordolibéral. Son évolution après 1933 relève d’un cheminement qui lui est propre. Mais il a été influencé par les intellectuels qui, en Allemagne, actualisent la discussion du début des années 1930 sur le nouveau libéralisme sous la forme du projet ordolibéral de la fin de la décennie.

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  • 75 Dieter Haselbach, Autoritärer Liberalismus, op. cit., p. 17.
  • 76 Sur la rhétorique de la « crise » à l’époque weimarienne, voir les réflexions stimulantes de Moritz (...)

35Alors, Röpke avant Röpke ? Oui, à bien des égards. Le moment weimarien a été fondamental dans le parcours d’un économiste qui est lui aussi le produit de ce que Dieter Haselbach a pertinemment appelé l’« angoisse ordolibérale originelle », c’est-à-dire le choc qu’a suscité chez un certain nombre d’économistes libéraux-conservateurs la « crise » multiforme de l’entre-deux-guerres75. La pensée de Wilhelm Röpke est une pensée de la crise : crise de la pensée économique, crise de l’économie, crise de la civilisation. Autant de topoï qui circulent dans l’espace intellectuel allemand depuis le début du xxe siècle et s’amplifient à l’ère weimarienne. Bien au-delà des seuls économistes libéraux, la rhétorique de la « crise » est obsédante dans l’imaginaire du temps76. Le basculement du Röpke économiste vers le Röpke sociologue qui débute dans les années 1930 est le produit d’un certain climat intellectuel et idéologique weimarien. Mais le dépassement de l’horizon strictement économique doit également s’interpréter, chez Wilhelm Röpke comme chez les ordolibéraux, comme une stratégie visant à relégitimer une science économique dévalorisée par la Grande Dépression, tout particulièrement en Allemagne. En mobilisant des facteurs d’explication relevant de la sphère politique et culturelle (le « pluralisme », l’« État total », les « masses », la sécularisation), les économistes soucieux de refonder le libéralisme étendent démesurément le champ de leur expertise. C’est une technologie de maîtrise de la modernité et de ses retombées économiques, politiques et sociales qu’ils élaborent dans les années 1930 et la première moitié des années 1940, les uns en Allemagne, les autres en exil.

  • 77 Karl Häuser, « Das Ende der historischen Schule und die Ambiguität der deutschen Nationalökonomie i (...)

36Paradoxalement, la rénovation ordolibérale et la pensée voisine de Wilhelm Röpke témoignent également de la force d’un paradigme historiciste certes condamné, mais auquel on se réfère jusqu’aux années 1940, fût-ce pour s’y opposer. C’est là un autre trait qui enracine la pensée de Wilhelm Röpke dans une tradition intellectuelle typiquement allemande. Lui, Alexander Rüstow et les ordolibéraux restent fidèles à une approche holiste des phénomènes économiques et sociaux qui imprègnent la pensée économique allemande depuis le xixe siècle. La vision généalogique et historiquement située de faits économiques moins considérés en eux-mêmes que dans leur mutation sous l’effet de variables à caractère culturel ou historique relève de la tradition historiciste pourtant vilipendée. La « crise » dont Wilhelm Röpke ne cessera de rendre compte trois décennies durant s’inscrit dans une historicité clairement délimitée, celle de la société industrielle. Réagir à cette dernière, gérer ses retombées, c’était déjà l’ambition de l’historicisme schmollerien et du socialisme de la chaire. Les ordolibéraux, Wilhelm Röpke sont eux aussi à la recherche d’une troisième voie au-delà du laissez-faire et du socialisme. Karl Häuser n’hésite pas à présenter dans l’École de Fribourg un rameau périphérique de l’historicisme77.

  • 78 Nils Goldschmidt, « Hermann Schumacher – nur ein weiterer Erbe Schmollers oder der erste Ordolibéra (...)
  • 79 Sur Karl Diehl et l’École de Fribourg, voir Klaus-Rainer Britzinger, « Von “autochtonen Botschaften (...)

37Centrale dans la pensée ordolibérale, la notion d’ordre se laisse plus facilement déduire de la pensée historiciste que de la théorie classique, qui n’accorde guère d’attention à l’État, si ce n’est négative. En dernière analyse, il est délicat de tracer une frontière étanche entre les présupposés historicistes et ceux de l’ordolibéralisme, les uns et les autres s’étant construits par opposition à un libéralisme classique jugé dépassé. Comme l’a bien montré Nils Goldschmidt, le néohistoricisme de Hans Schumacher, le maître de Walter Eucken qui a également influencé le jeune Wilhelm Röpke, annonce dans un sens le projet ordolibéral par son aspiration à lier méthode historique et théorie économique, à mettre en place un cadre culturel ordonnant le jeu du marché78. Le même constat vaut jusqu’à un certain point pour Karl Diehl. Ce représentant de l’historicisme, installé à Fribourg et donc aux premières loges pour observer l’élaboration de la pensée ordolibérale, est certes loin d’en partager les tenants et aboutissants, critiquant ce qu’il estime être une surestimation des vertus de la libre concurrence, portant à l’inverse un jugement moins sévère sur les cartels. Mais il raisonne lui aussi en termes d’ordre. Il assigne lui aussi au droit un rôle fondamental, anticipant l’alliance forte entre le droit et l’économie revendiquée par Franz Böhm, Walter Eucken et Hans Großmann-Doerth dans Unsere Aufgabé79.

38Il n’est donc pas absurde de présenter Wilhelm Röpke comme un Allemand en exil élaborant une variante de l’ordolibéralisme, école de pensée qui peut être considérée comme la dernière mouture d’une lecture de l’économie qui présente depuis des lustres une forte spécificité nationale. Mais gardons-nous d’accréditer la vision d’une pensée économique allemande radicalement autre que ce que l’on peut observer dans les autres pays, de succomber à un schéma d’analyse inféodé au paradigme contestable du Sonderweg, de perdre de vue qu’ailleurs le mainstream, fût-il anglo-saxon, est loin de se réduire à un marginalisme néoclassique formulé en équations. La critique du laisser faire, le constat de la « crise », la dénonciation des masses, la recherche d’une troisième voie, la quête d’un interventionnisme libéral n’ont rien de spécifiquement allemand. Le cas helvétique est à cet égard éclairant. La Grande-Bretagne et la France, à un moindre degré les États-Unis sont d’autres foyers de la rénovation libérale. Wilhelm Röpke subit en réalité des influences très diverses durant son exil. Son analyse de la « crise » est partie prenante d’une réflexion transnationale sur le devenir du libéralisme. Le mouvement s’ébauche dans le courant des années 1930 pour s’amplifier au lendemain de 1945. Après le détour par la Suisse, après le retour sur sa socialisation allemande et weimarienne, une troisième lecture de Wilhelm Röpke s’impose, celle qui vise à le situer dans cette configuration du néolibéralisme émergent. Nous pourrons ainsi décloisonner des réalités trop souvent encore considérées dans leur seul contexte national. La pensée röpkienne apparaîtra moins irréductiblement allemande, illustrant au contraire la circulation des modèles intellectuels et idéologiques à l’échelle du monde occidental.

Notes

1 Wilhelm Röpke, « Nationalsozialisten als Feinde der Bauern. Ein Sohn Niedersachsens an das Landvolk », reproduit dans Id., Gegen die Brandung, op. cit., p. 84-86.

2 Id., « Epochenwende », art cité, p. 106-111.

3 Une version abrégée a été publiée pour le trentième anniversaire de l’arrivée des nazis au pouvoir : Id., « Als der Barbarismus siegte. Vortrag von Wilhelm Röpke, geh. in Frankfurt am Main vor 30 Jahren », FAZ, 30 janvier 1933.

4 « Geh. Rat Troeltschs letzten Gang », Hessisches Tageblatt, 28/2/1933.

5 Voir Anne Christine Nagel (dir.), Die Philipps-Universität Marburg im Nationalsozialismus, op. cit., notamment p. 214 et 42 ; Ruth Verhoen, Waltraud Burger, Richard Stumm (dir.), Leben Sie ? Die Geschichte der deutsch-jüdischen Familie Jacobsohn, Marbourg, Schriften der Universitätsbibliothek Marburg, 2000, notamment p. 69-71. Dans ce dernier ouvrage, voir les résultats nazis à l’échelle du canton (Landkreis) de Marbourg, qui dépassent les 60 % lors des élections de novembre 1932, alors que ceux du Parti allemand de l’État, le continuateur du DDP, sont tombés à 0,35 %.

6 Protokoll der Senatsitzung vom 13. April 1932. Reproduit dans Anne Christine Nagel (dir.), Die Philipps-Universität Marburg im Nationalsozialismus, op. cit., p. 99-100.

7 Lettre du 18 avril 1933 de Hans Krawielitski au ministère de l’Éducation, GStA Berlin, I. HA Rep 76. Kultusministerium Va Sekt 12 T IV, 7 Bd 6, nos 466 et 467. La démarche n’aboutit pas.

8 Lettre du 16 avril 1933 au recteur de l’université de Marbourg, reproduite dans Anne Christine Nagel (dir.), Die Philipps-Universität Marburg im Nationalsozialismus, op. cit., p. 100.

9 Lettre du 24 avril 1933 d’Eberhard Francke au ministère de l’Éducation, GStA Berlin, I. HA Rep 76. Kultusministerium Va Sekt 12 T IV, 7 Bd 6, n° 485.

10 Voir supra le chapitre 2.

11 Après la guerre, l’économiste expliquera avoir décidé de quitter l’Allemagne au plus vite, après que deux membres de la SS ont tenté de le gagner à la cause nationale-socialiste, en l’engageant au moins à devenir Förderndes Mitglied de la SS. Voir Wilhelm Röpke, « Marburger Dozenten- und Professorenjahre 1922-1933 », Alma Mater Philippina, Wintersemester 1965/1966, p. 18-23, notamment p. 23.

12 Franz Böhm, Walter Eucken, Hans Großmann-Doerth, « Unsere Aufgabe », dans Franz Böhm, Die Ordnung der Wirtschaft als geschichtliche Aufgabe und rechtsschöpferische Leistung, Stuttgart, Kohlhammer, 1937, p. VII-XXI. Reproduit, avec une présentation, dans Nils Goldschmidt et Michal Wohlgemuth (dir.), Grundtexte zur Freiburger Tradition der Ornungsökonomik, op. cit., p. 21-37. Les trois autres volumes de la collection « Ordnung der Wirtschaft » sont ceux de Friedrich A. Lutz, Das Grundproblem der Geldverfassung, Stuttgart, Kohlhammer, 1936 ; Hans Gestrich, Neue Kreditpolitik, Stuttgart, Kohlhammer, 1936 ; Leonhard Miksch, Wettbewerb als Aufgabe. Grundsötze einer Wettbewerbsordnung, Stuttgart, Kohlhammer, 1937.

13 Franz Böhm, Walter Eucken, Hans Großmann-Doerth, « Unsere Aufgabe », art. cité, p. 16.

14 Walter Eucken, Nationalökonomie wozu ?, Leipzig, Felix Meiner, 1938.

15 Bernhard Laum, « Methodenstreit oder Zusammenarbeit. Randbemerkungen zu einem Angriff auf die historische Nationalökonomie », Schmollers Jahrbuch, 61, 1937, p. 257-273 ; Walter Eucken, « Die Überwindung des Historismus », Schmollers Jahrbuch, 62,1938, p. 191- 214 ; Bernhard Laum, « Entgegnung auf Euckens Aufsatz », Schmollers Jahrbuch, 62, 1938, p. 215-220 ; Walter Eucken, « Wissenschaft im Stile Schmollers », Weltwirtschaftliches Archiv, 52,1940, p. 468-506.

16 Id., Die Grundlagen der Nationalökonomie, op. cit.

17 Id., Nationalökonomie wozu ?, op. cit., p. 20. Voir également Walter Eucken, Die Grundlagen der Nationalökonomie, op. cit., p. 26-28.

18 Id., Nationalökonomie wozu ?, op. cit., p. 35-36.

19 Franz Böhm, Walter Eucken, Hans Großmann-Doerth, « Unsere Aufgabe », art. cité, p. XIX, XX.

20 Walter Eucken, Nationalökonomie wozu ?, op. cit., p. 53.

21 Id., Die Grundlagen der Nationalökonomie, op. cit., p. 266.

22 Id., Nationalökonomie wozu ?, op. cit., p. 55

23 Ibid., p. 51, 55.

24 Ibid., p. 57.

25 Daniela Rüther, Der Widerstand des 20. Juli auf dem Weg in die Soziale Marktwirtschaft, op. cit., p. 90.

26 Franz Böhm, Die Ordnungder Wirtschaft als geschichtliche Aufgabe und rechtsschöpferische Leistung, op. cit., p. 47.

27 Ibid., p. 7.

28 Ibid., p. 10.

29 Leonhard Miksch, Wettbewerb als Aufgabe, op. cit., p. 5.

30 Franz Böhm, Die Ordnungder Wirtschaft als geschichtliche Aufgabe und rechtsschöpferische Leistung, op. cit., p. 11.

31 Ibid., p. 12.

32 Ibid., p. 52.

33 Leonhard Miksch, Wettbewerb als Aufgabe, op. cit., p. 5.

34 Hans Großmann-Doerth, « Sinnlos gewordenes liberales Wirtschaftsrecht – Aufgabe nationalsozialitischer Rechtserneuerung », Hanseatische Rechts- und Gerichtszeitschrift, 17,1934, p. 19-42. Sur les positions de Hans Großmann-Doerth, les plus radicales au sein du groupe des ordolibéraux originels, voir Uwe Runge, Antinomien des Freiheitsbegriffes im Rechtsbild des Ordoliberalismus, Tübingen, 1971, p. 90-91. Au début des années 1940, Hans Großmann-Doerth oriente sa conception de l’ordre concurrentiel (Wettbewerbsordnung) dans un sens antisémite, imputant aux Juifs une responsabilité dans l’émergence de la concurrence sauvage. Cette inflexion conduisit à la rupture avec Walter Eucken ; voir Wakter Oswalt, « Liberale Opposition gegen den NS-Staat. Zur Entwicklung von Walter Euckens Sozialtheorie », op. cit., p. 317-318, note 4.

35 Cité par Daniela Rüther, Der Widerstand des 20. Juli auf dem Weg in die Soziale Marktwirtschaft, op. cit., p. 79.

36 Franz Böhm, Die Ordnungder Wirtschajt als geschichtliche Aufgabe und rechtsschöpferische Leistung, op. cit., p. 180.

37 Sur le comité des professeurs, voir Daniela Rüther, Der Widerstand des 20. Juli auf dem Weg in die Soziale Marktwirtschaft, op. cit., p. 102-109.

38 Walter Eucken, « Wettbewerb als Grundprinzip der Wirtschaftsverfassung », dans Günther Schmölders (dir.), Der Wettbewerb als Mittel volkswirtschaftlicher Leistungssteigerung und Leistungsauslese, Berlin, Schriften der Akademie für deutsches Recht, 1942, p. 29-49.

39 Ludolf Herbst, Der totale Krieg und die Ordnung der Wirtschaft, op. cit., p. 127-146.

40 Sur Otto Ohlendorf, pendu en 1951, voir Andrej Angrik, Besatzung und Massenmord. Die Einsatzgruppe D in der südlichen Sowjetunion 1941-1943, Hambourg, Hamburger Edition, 2003. Sur les technocrates hautement diplômés de la SS et du SD, voir Christian Ingrao, Croire et détruire. Les intellectuels dans la machine de guerre SS, Paris, Fayard, 2010.

41 Ludolf Herbst, Der totale Krieg und die Ordnung der Wirtschaft, op. cit., p. 443.

42 Nils Goldschmidt, Michael Wohlgemuth, « Enstehung und Vermächtnis der Freiburger Tradition der Ordnungsökonomik », dans Id. (dir.), Grundtexte zur Freiburger Tradition der Ordnungsökonomik, op. cit., p. 1-16, notamment p. 5.

43 Helge Peukert, « Die wirtschafts- und sozialpolitischen Zielsetzungen des Freiburger Kreises », dans ibid., p. 267-287, notamment p. 275.

44 Dieter Autoritärer Liberalismus und Soziale Marktwirtschaft, op. cit. ; Ralf Ptak, Vom Ordoliberalismus zur Sozialen Marktwirtschaft, op. cit.

45 Nils Goldschmidt, Michael Wohlgemuth, « Enstehung und Vermâchtnis der Freiburger Tradition der Ordnungsökonomik », art. cité, p. 5.

46 Daniela Rüther, Der Widerstand des 20. Juli auf dem Weg in die Soziale Marktwirtschaft, op. cit., p. 123.

47 Voir Bernd Martin, « Professoren und Bekennende Kirche. Zur Formierung Freiburger Widerstandskreise über den evangelischen Kirchenkampf », dans Nils Goldschmidt (dir.), Wirtschaft, Politik und Freiheit, op. cit., p. 27-53.

48 Daniela Rüther conteste la thèse généralement admise suivant laquelle le cercle de Fribourg serait une réaction morale au pogrom de novembre 1938. Elle cite Gerhard Ritter qui, juste après la guerre, fait de la volonté de discuter de la situation de l’Église et du christianisme sous le nazisme l’origine du cercle de réflexion : Daniela Rüther, Der Widerstand des 20. Juli auf dem Weg in die Soziale Marktwirtschaft, op. cit., p. 192. Sur les différents cercles de Fribourg, voir également Christine Blumenberg-Lampe, Das wirtschaftspolitische Programm der « Freiburger Kreise » : Entwurf einerfreiheitlich-sozialen Kriegswirtschaft. Nationalökonomen gegen den Nationalsozialismus, Berlin, Duncker & Humboldt, 1973, notamment p. 13-54.

49 Bonhoeffer Denkschrift, « Politische Gelmeinschaftsordnung. Ein Versuch zur Selbstbesinnung des christlichen Gewissens in den politischen Nöten unserer Zeit ». Reproduit dans Rolf Reichardt, Klaus Schwabe, Gerhard Ritter. Ein politischer Historiker in seinen Briefen, Boppard am Rhein, Boldt, 1984, p. 655-774.

50 Ibid., p. 665.

51 Ibid., p. 681-683, 704-705.

52 Ibid., p. 691,703,714.

53 « Anhang 5 Vorschläge für eine Lösung der Judenfrage in Deutschland », Bonhoeffer-Denkschrift, op. cit., p. 769-774.

54 Après la guerre, Franz Böhm dirigera la délégation chargée de négocier avec Israël l’accord de réparation (Wiedergutmachungabkommen) signé en 1952, jouant un rôle crucial dans la réussite d’une entreprise mal vue par bien des représentants de la CDU.

55 Voir Walter Oswalt, « Liberale Opposition gegen den NS-Staat. Zur Entwicklung von Walter Euckens Sozialtheorie », art. cité, p. 336, 341.

56 « Anhang 4 Wirtschafts- und Sozialordnung », Bonhoeffer-Denkschrift, op. cit., p. 761.

57 Voir Daniela Rüther, Der Widerstand des 20. Juli auf dem Weg in die Soziale Marktwirtschaft, op. cit., p. 287-314 ; « Der Einfluß Freiburger Nationalökonomen auf die wirtschaftspolitischen Vorstellungen und Planungen der Widerstandsbewegung des 20. Juli 1944 – dargestellt am Beispiel der “Volkswirtschaftsfibel” von 1941/42 », dans Nils Goldschmidt (dir.), Wirtschaft, Politik und Freiheit, op. cit., p. 355-381.

58 Pour un point synthétique, voir Daniels Rüther, Der Widerstand des 20. Juli auf dem Weg in die Soziale Marktwirtschaft, op. cit., p. 113, note 187.

59 Ils survivent à la fin du régime nazi. Adolf Lampe décède en 1946 du fait de la détérioration de son état de santé.

60 Wilhelm Röpke, « Blötter der Erinnerung an Walter Eucken », ORDO. Jahrbuch für die Ordnung von Wirtschaft und Gesellschaft, 12, 1960/61, p. 11-19.

61 Id., « Wilhelm Eucken », NZZ, 23 mars 1950.

62 Lettre du 5 décembre 1940 à Attilio Cabiati, NR, dossier Briefe 40/42.

63 Lettre du 24 mars 1941 d’Adolf Lampe, lettre du 8 avril 1941 à Adolf Lampe, ibid. Adolf Lampe, Allgemeine Wehrwirtschaftslehre, Iéna, Fischer, 1938.

64 Cité par Günter Schmölders, « Geistige Wurzeln des Wirtschaftsliberalismus », FAZ, 26 avril 1980. Il s’agit de Walter Eucken, « Wettbewerb als Grundprinzip der Wirtschaftsverfassung », art. cité. Voir supra dans le chapitre.

65 Wilhelm Röpke, « Bauerntum und freie Wirtschaft », NZZ, 3, 4 et 19 décembre 1942 ; Constantin von Dietze, « Landwirtschaft und Wettbewerbsordnung », Schmollers Jahrbuch, n° 2, 1942.

66 Lettres des 7 juin 1941 et 16 février 1942 de Walter Eucken, reproduites dans Wilhelm Röpke, « Blötter der Erinnerung an Walter Eucken », art. cité.

67 Id., « Die Grundlagen der Nationalökonomie », NZZ, 22 et 24/2/1942.

68 Lettres du 14 janvier 1942, des 6 mars et 26 mai 1943 à Alexander Rüstow, NR, dossier Rüstow.

69 Erich Welter, Der Weg der deutschen Industrie, Francfort-sur-le-Main, Societäts Verlag, 1943, p. 207. Sur les reproches faits par Wilhelm Röpke à Erich Welter dès le début de l’époque nazie, voir supra le chapitre 4.

70 Leonhard Miksch, « Rationierungssysteme », Die Wirtschaftskurve, 19,1940, n° 3, p. 153- 155, citation p. 153. Pour plus de précisions sur Leonhard Miksch et Die Wirtschaftskurve, voir Ralf Ptak, Vom Ordoliberalismus zur Sozialen Marktwirtschaft, op. cit., p. 65, 72-75 ; Ludolf Herbst, Der Totale Krieg und die Ordnung der Wirtschaft, op. cit., p. 443, note 394.

71 Olaf Breker, « Ordoliberalismus – Soziale Marktwirtschaft – Europäische Integration. Entwicklungslinien einer problematischen Beziehung », dans Thomas Sandkühler (dir.), Europäische Intégration. Deutsche Hegemonialpolitikge genüber Westeuropa 1920-1960, Göttingen, Wallstein, 2002, p. 99-126, notamment p. 111.

72 Lettre du 13 octobre 1935 à Gustav Heinemann, lettre du 15 juin 1936 de Gustav Heinemann, AsD, Nachlass Heinemann, carton n° 010.

73 Lettre du 18 novembre 1938 à Alexander Rüstow, NR, dossier Rüstow.

74 Lettre du 25 septembre 1939 à Gustav Heinemann, AsD, Nachlass Heinemann, Teil 1.

75 Dieter Haselbach, Autoritärer Liberalismus, op. cit., p. 17.

76 Sur la rhétorique de la « crise » à l’époque weimarienne, voir les réflexions stimulantes de Moritz Föllmer, Rüdiger Graf (dir.), Die « Krise » der Weimarer Republik. Zur Kritik eines Deutungsmusters, Francfort-sur-le-Main, Campus, 2005.

77 Karl Häuser, « Das Ende der historischen Schule und die Ambiguität der deutschen Nationalökonomie in den 20er Jahren », dans Kurt Wolfgang Nörr, Bertram Schefold, Freidrich Tenbruck (dir.), Geisteswissenschaften zwischen Kaiserreich und Republik, op. cit., p. 47-74, notamment p. 71. Voir également Bertram Schefold, « Die deutsche Historische Schule als Quelle des Ordoliberalismus », dans Patricia Commun (dir.), L’ordolibéralisme allemand, op. cit., p. 101-117 ; Helge Peukert, « Walter Eucken (1891-1950) and the Historical School », dans Peter Koslowski (dir.), The Theory of Capitalism of the German Economic Tradition. Historicism, Ordo-Liberalismus, Critical Theory, Solidarism, Berlin, Springer, 2000, p. 93-145, notamment p. 127-128.

78 Nils Goldschmidt, « Hermann Schumacher – nur ein weiterer Erbe Schmollers oder der erste Ordolibérale ? Anmerkungen zu einem “missing link” zwischen der Historischen und der Freiburger Schule », art. cité, notamment p. 73 et 84.

79 Sur Karl Diehl et l’École de Fribourg, voir Klaus-Rainer Britzinger, « Von “autochtonen Botschaften” zur Freiburger Schule – der Paradigmawechsel in der Freiburger Nationalökonomie als Voraussetzung für Widerstand », dans Nils Goldschmidt (dir.), Wirtschaft, Politik und Freiheit, op. cit., p. 123-145, notamment p. 133.

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