Valeur et enjeux économiques de la mort
Le trésor au secours du défunt (Charles VI-1422)
p. 315-332
Texte intégral
Introduction
À l’heure dernière, la richesse n’est pas un viatique…, mais elle facilite indubitablement les démarches. La gloire terrestre et le destin céleste participent d’une même économie, au regard d’une comptabilité qui s’étend d’ici-bas à l’au-delà, selon la belle formule de Jacques Chiffoleau1. La mort a donc un coût, et le salut, sans être tarifé, est favorisé par les legs pieux et les fondations charitables : la générosité testamentaire, doublée d’une « bonne mort », facilite l’accumulation des mérites et l’acquisition du trésor le plus précieux, le « trésor dans le ciel ».
1Mon propos est ici de prolonger ces réflexions en abordant la valeur économique de la mort royale, dans la perspective du salut, mais aussi comme « investissement » social et politique : quel est le coût global du décès du « roi très chrétien » ? Au sein du budget funèbre, quels sont les postes de dépenses les plus importants ? La question centrale est aussi celle de leur financement. Généralement le « roi trésorier » vient au secours du roi défunt : en 1316, les funérailles de Louis X furent ainsi financées par la vente de ses biens2. Néanmoins Elisabeth A. R. Brown a bien montré que la prodigalité testamentaire des souverains était telle que leurs successeurs avaient bien du mal à respecter leurs dernières volontés3.
2Pour aborder ces questions économiques, il fallait une mort particulièrement bien documentée. « L’opération Charles VI » fut donc lancée tant les sources le concernant sont exceptionnelles : deux testaments4, une dizaine de chroniques5 et un compte à double entrée, comprenant recettes et dépenses mortuaires6.
3Au décès du monarque (21 octobre 1422), les pièces d’orfèvrerie et les livres qui subsistaient de son trésor furent en effet inventoriés et vendus afin de financer les frais liés aux célébrations de funérailles que, en dépit de la situation politique complexe – et même pourrait-on dire, parce que la succession était difficile –, l’on voulait véritablement royales : Henri V était mort à Vincennes le 31 août 1422, avec pour seul successeur un bébé de dix mois. Jean de Bedford, son frère, se proclama régent pour la France, une régence que Philippe le Bon, duc de Bourgogne, pouvait aussi revendiquer7. Le décès de Charles VI ouvrait une nouvelle crise, entre le successeur désigné par le traité de Troyes, Henri VI, et le dauphin Charles, alors à Mehun-sur-Yèvre, qui se proclama roi dès le 30 octobre.
4Le compte à double entrée fut rédigé par le maître de la chambre aux deniers de Charles VI, Renaud Doriac. Il agissait sur l’ordre du chancelier de France, Jean le Clerc, et de conseillers royaux qui, dès le décès survenu, prirent les premières mesures financières et mortuaires – Bedford était alors à Rouen où il avait accompagné le corps de son frère et ne revint à Paris que le 5 novembre8. Il n’existait pas d’Ordo pour les funérailles, et il fallut réfléchir au protocole à suivre qui fit l’objet de « meure deliberation de chevaliers, escuyers, clers et gens saiges, anciens et notables, qui en maints lieux avoient veu semblables besongnes9 ».
5Il ne s’agit pas ici d’évoquer tous les détails de la mort du roi, mais de mettre en lumière ses spécificités, dans une perspective comparatiste, en présentant les principales dépenses mortuaires, pour le repos de l’âme d’une part, pour la « mise en théâtre » du corps d’autre part. Il faudra enfin analyser la nature – et la valeur – des pièces du trésor mises en vente pour les financer10. Les funérailles de Charles VI occupent une place à part dans l’historiographie et pour les innovations introduites au sein du rituel – effigie et cris de succession, et pour les débats qu’elles ont suscités autour du simple ou du double corps du roi11.
Le repos de l’âme : le prix du salut
6La valeur de la mort est avant tout liée au passage qu’elle suppose, un passage dans l’au-delà qu’on espère favorable à l’accession au « trésor éternel » que représente le paradis. Charles VI décéda de « fievre quarte » à 6 heures du matin à l’hôtel Saint-Pol12. Selon les chroniqueurs, il se conforma au modèle de la « bonne mort » chrétienne. Il avait déjà dicté deux testaments, le premier en août 1392, alors qu’il venait de reprendre ses esprits après sa première crise de folie dans la forêt du Mans13, le second six mois plus tard, en janvier 1393, alors qu’il tentait en parallèle de régler les modalités d’une éventuelle régence (ordonnance confiant la tutelle des enfants royaux à la reine, Isabeau de Bavière, et le gouvernement du royaume à son frère, Louis d’Orléans)14. Comme Charles V l’avait fait en 1374, le roi prenait ainsi concomitamment des mesures concernant son corps politique (ou plutôt le corps du royaume) et son corps mortel.
7La mort royale est peu développée dans les chroniques : Charles VI, roi fou, ne pouvait servir de modèle à ses successeurs (à la différence de son père). Elle fut publique : le roi était entouré de ses proches serviteurs, de son premier chambellan et de son aumônier15. Renaud Des Fontaines, son confesseur, lui administra les derniers sacrements. Tout au long de son agonie, Charles VI eut sous les yeux la Vraie Croix, à la fonction propitiatoire : le roi-souffrant mourait face à la Croix rédemptrice, symbole du sacrifice du Christ et de la rédemption du genre humain.
8Les services religieux débutèrent dès le décès royal, alors que le corps reposait d’abord dans la chambre mortuaire, puis dans la chapelle basse de l’hôtel16. Au total, plus de 1200 livres tournois furent consacrées à ces célébrations (1540 livres si l’on prend en compte le paiement des droits paroissiaux à l’église Saint-Pol dont dépendait l’hôtel royal et le rachat du drap d’or et des ornements funèbres à Notre-Dame). Pendant vingt jours, de la mort du roi à son départ pour Notre-Dame, des services furent célébrés jour et nuit autour du corps, par les chapelains du roi les premiers jours, puis par les quatre ordres mendiants de Paris17.
9Un premier service solennel eut lieu dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, avec vigiles (9 novembre) et, le lendemain, messe de Requiem, chantée par l’évêque de Paris, Jean de La Rochetaillée, patriarche de Constantinople18. On retrouve les mêmes célébrations dans la nécropole de Saint-Denis : la messe fut dite par l’évêque de Paris, « l’évêque de Chartres fit l’office de diacre, et l’abbé de Saint-Denys (Jean de Bourbon de la Boulaye) celui de sous-diacre19». Enfin, une « donnée » générale – de trois blancs par personne – eut lieu à Saint-Denis pour une somme globale de 1000 livres tournois ; c’était nettement moins que les 3 000 livres prévues par le roi dans son testament20.
10Encore peu exploité par l’historiographie, ce testament (1393) est passionnant à double titre : pour l’analyse des dévotions royales d’une part (cette conversion bien connue des valeurs qui transforme les dons matériels en bienfaits spirituels) et pour les modalités de son exécution d’autre part. Les messes et les prières pouvaient être dites selon trois temporalités distinctes : celle du moment du trépas et de l’enterrement, celle de l’année qui les suit et celle enfin d’une perpétuité qui ne devait s’achever qu’avec le Temps lui-même21. C’est cette dernière temporalité que Charles VI privilégie, sous la forme de chapellenies et d’anniversaires nécessitant la constitution de rentes22. Les intercesseurs choisis sont innombrables. Comme la plupart des testateurs contemporains, le roi fractionne ses legs pieux et charitables, selon des calculs qui dosent savamment ordres religieux anciens (bénédictins et chartreux) ou plus récents (ordres mendiants – à qui sont confiées les messes cumulatives, à célébrer dès son trépas – et célestins), églises séculières (cathédrale Saint-Julien du Mans, Sainte-Chapelle de Paris, église Saint-Pol), hôpitaux (hôpital Saint-Antoine à Paris, Quinze-Vingt, Hôtel-Dieu de Paris, Hôtel-Dieu de Compiègne, hôpitaux de Pontoise et de Vernon) et collèges (de Navarre)23.
11Le testament transforme certes l’appréhension du décès en « mort de soi » (le salut est envisagé avant tout de manière individuelle), mais le poids de la mémoire dynastique restreint les choix du testateur, en particulier dans le monde royal et princier où les legs sont réitérés, parfois sans grand changement, d’un acte à l’autre. Charles VI se démarque ici de ses prédécesseurs : il ne reprend pas les legs parisiens systématiques des testaments antérieurs et choisit d’ancrer ses donations dans l’ensemble du « jardin de France » – comme le fera aussi son frère Louis d’Orléans dans son testament dicté en 1403 – au gré de ses dévotions (église Saint-Pol à Paris où il fut baptisé, couvents des Célestins de Paris et d’Amiens, hôpitaux fondés par saint Louis, église de la Madeleine à Vézelay…) ou au gré de l’actualité architecturale et artistique d’églises qu’il souhaitait aider matériellement (la cathédrale Saint-Julien du Mans dont il fallait refaire la croisée, le collège de Navarre, les églises de fondation royale « désolées à cause des guerres et autrement »).
12Au total, le « prix du passage » monte à la somme exorbitante de 63400 livres tournois, une démesure dévotionnelle largement partagée par les princes du sang24. Il faut bien sûr s’interroger sur la réalité des dons effectués. La difficulté d’exécution des testaments constitue en effet un problème récurrent, même au sein de la famille royale25. Charles VI évoque ainsi dans son testament des paiements non encore effectués de legs paternels et grands-paternels26. Pour tenter d’échapper à ce problème, Jeanne d’Évreux, veuve de Charles IV le Bel, commença à réaliser ses dispositions testamentaires de son vivant, par anticipation (à partir de 133927). Son exemple inspira Charles VI qui, dès 1393, établit des officiers et un bureau, avec un budget particulier (2000 francs mensuels fournis par le trésorier des guerres, Jean Chanteprime) pour réaliser les legs pieux qu’il avait dressés dans son testament et pour mener à bien les fondations encore non réalisées de son père28. L’opération, menée par Jean Chaux, changeur du Trésor, dura près de quatre ans (avril 1393 à février 1397). Une telle anticipation testamentaire est exceptionnelle. Elle explique que les donations n’apparaissent pas dans le budget funèbre lui-même, consacré presque entièrement à la « mise en théâtre » du corps royal.
L’ensevelissement du corps : le coût des funérailles
13La mort de Charles VI mêle à la tradition funéraire capétienne des innovations que l’historiographie estime majeures, comme l’apparition de l’effigie. Il est vrai que le budget consacré aux funérailles royales est important (7900 livres tournois)29, témoin de la valeur symbolique accordée à la cérémonie au sein de la « politique de communication » mise en place par les Valois30. Mon propos n’est pas de détailler toutes les séquences du rite, mais de donner les grandes tendances du coût économique de la dernière « mise en image » de la majesté du monarque au terme de ses pérégrinations terrestres. Quelques postes de dépenses, les plus importants, peuvent être mis en exergue :
141. Le coût des vêtements de deuil fournis aux membres de l’hôtel du défunt : 310 serviteurs reçurent des robes et des chaperons noirs, pour un montant total de 1 352 livres tournois (draps et façons31). Les officiers accompagnaient le roi jusqu’à sa mise en terre. Ils formaient le gros du bataillon du convoi funèbre, marchant lentement, entièrement couverts de deuil, le chaperon à cornette engorgé dissimulant leur visage. Deux cents d’entre eux (échansons, panetiers et valets de chambre) portaient une torche armoriée de six livres de cire32.
15Le reste du convoi se composait en tête des religieux (toutes les églises parisiennes en procession), du recteur et des docteurs de l’université de Paris et de prélats (les évêques de Paris, de Chartres et de Thérouanne, les abbés de Saint-Magloire, de Saint-Germain-des-Prés et de Sainte-Geneviève33), marchant directement devant le corps34.
16Celui-ci fut porté par ses valets jusqu’à Notre-Dame, puis, pour le long parcours jusqu’à Saint-Denis, par les hanouars, habitués à transporter de lourdes charges (ici le cercueil de plomb et l’effigie). Près du corps, se trouvaient, outre le prévôt de Paris, les grands officiers de l’hôtel – chargés de la personne privée du roi –, le premier chambellan, les écuyers d’écurie et ses maîtres d’hôtel ; les quatre coins du poêle étaient soutenus par les présidents du parlement de Paris, vêtus de leur habit de fonction35, et le dais par le prévôt des marchands et les échevins ; derrière le corps, cheminait seul le duc de Bedford, comme régent et représentant du successeur du défunt (Henri VI)36 – on s’indigna que les princes du sang, notamment Philippe de Bourgogne, n’aient pas fait le déplacement37. Il était suivi des grands officiers de la couronne, servant cette fois le « corps politique du roi », le chancelier de France, les conseillers, les maîtres des requêtes, les officiers de la Chambre des comptes et les notaires et secrétaires du roi. Ils étaient accompagnés de bourgeois et de Parisiens venus en grand nombre.
172. Autre poste important de dépenses, le luminaire, aux vertus propitiatoires mais aussi sociales, symbole, par sa profusion, du rang du défunt (2232 livres tournois y furent consacrées). Le signe lumineux accompagne le corps dans toutes les séquences rituelles, de la veillée funèbre dans la chambre du roi et la chapelle castrale (4 grands cierges de 40 livres de cire entouraient le cercueil, auxquels s’ajoutaient 12 cierges de 24 livres posés sur l’autel), aux convois funèbres (deux cents porteurs de torche) et aux services liturgiques célébrés à Notre-Dame et à Saint-Denis38. Le corps y brille de multiples feux, image anticipatrice du paradis promis aux élus : les cierges étaient placés au-dessus de la ceinture de deuil, fleurdelisée, le long de la nef et du chœur (« la herse » mentionnée dans les comptes où furent fichés les cierges, 1227 au total, d’une livre chacun), sur les principaux autels et sur la chapelle ardente, principal élément du décor dans l’une et l’autre église. Vaste édifice de bois, elle était recouverte de fine toile noire semée d’écus aux armes royales. Les quatre pignons (qui faisaient croisée, chacune surmontée d’une croix) étaient recouverts de satin et ornés d’une grande fleur de lys39. La chapelle scintillait de centaines de cierges (pour un total de 832 livres de cire)40 ; des cierges de 30 livres de cire chacun brillaient aux quatre coins41.
183. Les armoiries royales recouvraient ainsi tout l’espace. Outre le décor de la chapelle ardente, à Notre-Dame comme à Saint-Denis, la nef, le chœur et les piliers étaient décorés d’une toile azurée fleurdelisée (dans la nécropole, la chapelle Saint-Jean-Baptiste où le roi fut enterré était également parée de litres funéraires). Bannières, pennons et blasons ornaient aussi les deux édifices. À l’entrée de la cathédrale étaient ainsi fixés deux bannières et deux pennons, alors que de grands blasons, aux armes royales, surmontaient les piliers du portail et de la porte principale42. Ce décor, entièrement fleurdelisé, était l’une des caractéristiques des funérailles royales : les princes du sang transformaient plutôt leur nécropole en espace de deuil, recouvert d’une vaste ceinture noire armoriée. Dans les enluminures des Grandes Chroniques de France, Jean Fouquet a certes systématisé l’utilisation de l’azur fleurdelisé, mais ce décor correspond bien à la réalité des obsèques royales.
19Au sein du budget funèbre, l’apparat héraldique occupe une place importante, indissociable des autres dépenses régaliennes mettant en scène le roi en majesté (pour un total de 1391 livres tournois). Celui-ci fut en effet présenté revêtu de l’habit royal, le visage et les mains « à découvert », une première fois lors de l’exposition qui suivit son décès, dans la chambre mortuaire, une seconde fois dans le convoi et la nécropole. Il s’agissait d’un rituel de souveraineté pratiqué aussi à la cour pontificale et en Angleterre. En revanche, dans le royaume, les princes des fleurs de lys étaient toujours ensevelis dans un cercueil.
20L’exposition à Saint-Pol fut publique : elle permit aux grands du royaume (les conseillers royaux, les parlementaires, la Chambre des comptes, l’université de Paris et les collèges, mais aussi les prévôts – de Paris et des marchands –, les échevins et les bourgeois) de se recueillir une dernière fois devant la dépouille et surtout de constater la réalité du décès. L’exposition ne dura qu’une journée selon le Religieux de Saint-Denys, deux ou trois jours selon le Bourgeois de Paris « et là le voyait chacun qui voulait, pour prier pour lui43 ». Elle était d’autant plus importante qu’on savait la mise en bière inévitable, l’intervalle – présumé très long en l’absence du duc de Bedford – entre la mort et l’inhumation n’autorisant pas une exposition corporelle dans le convoi. Charles VI avait bien été embaumé par ses physiciens et chirurgiens (« et fut trouvé qu’il avoit le cuer et le foye net44 ») et son corps empli d’herbes et d’aromates (pour un coût de 180 livres tournois45), mais de tels procédés ne permettaient pas de conserver la dépouille plus de quelques jours.
21Or depuis le début du xiiie siècle, le rituel royal réclamait l’exposition en majesté. Les organisateurs, le chancelier de France et les conseillers royaux, donnèrent donc l’ordre de mettre le corps en plomb et de le « représenter ». L’idée d’un mannequin funèbre, d’origine anglaise, leur fut peut-être soufflée par Jean de Bedford. Il est possible aussi qu’ils en aient eux-mêmes pris l’initiative tant cette solution leur semblait évidente : une effigie venait d’être utilisée dans le convoi normand du roi Henri V, décédé moins de deux mois plus tôt à Vincennes – les interactions entre les deux rituels sont d’ailleurs très importantes46.
22Le mannequin fut façonné à la « semblance » exacte du roi. François d’Orléans, peintre de Charles VI, fut chargé de sa conception. Dès le décès survenu, il réalisa un masque mortuaire qu’il garnit de « poils » (cheveux) : « le chief et visage d’iceluy moslé et fait sur son propre visage et apres la vie le plus proprement que on a peu, et ledit chief garny de poil au plus près de la chevelure que portoit ledit seigneur et aussy les mains moslees et faictes apres la vie, et vestues de gans blancs brodez47 ». On vêtit ensuite l’effigie d’une robe et d’un manteau de parement de drap d’or rouge, fourrés d’hermine48. Un orfèvre, Christophe de Harlint, confectionna les regalia – pour un coût global de 184 livres tournois – : un sceptre fleurdelisé, une main de justice d’argent doré et une couronne d’argent vermeil doré, façonnée seulement « de costé et devant » puisque l’arrière ne se voyait pas. Autre signe de majesté, un dais de drap d’or rouge, brodé de fleurs de lys, surmontait le corps49.
23La célèbre enluminure peinte par Philippe de Mazerolles50 illustrant l’ouvrage de Jean Chartier51, met le convoi au centre de la représentation (fig. 1). Le mannequin de cire est posé sur une litière recouverte d’un poêle de drap d’or rouge que tiennent les quatre présidents du parlement de Paris. Devant la litière et sur son côté droit, cheminent les pleurants, vêtus de deuil. De l’autre côté, trois cavaliers exhibent l’épée, le casque et l’écu du roi. Ils étaient en réalité absents du convoi, mais le peintre représente ici les usages funèbres de la cour à laquelle il appartient, celle des ducs de Bourgogne, qui pratiquaient l’exposition des « pièces d’honneur » du défunt.
24À l’innovation de l’effigie, l’inhumation de Charles VI en apporte une autre : le cri de succession. Il est vrai que dans le contexte politique troublé de ce premier quart du xve siècle, les funérailles du roi jouèrent le rôle exceptionnel de « rituel d’inauguration », tant il fallait affirmer, d’une part, la passation anglaise des pouvoirs (contre les droits éventuels du dauphin), et, d’autre part, le rôle de Bedford comme régent de France, alors que d’aucuns lui préféraient le duc de Bourgogne. Le Journal d’un bourgeois de Paris s’en fait le témoin : au retour de Saint-Denis, Jean de Bedford fit « porter l’épée du roi de France devant lui, comme régent, dont le peuple murmurait fort52 ». Rappelons qu’au sein du convoi qui menait le corps à Saint-Denis, Bedford avait suivi directement le cercueil, se présentant comme le représentant en France du jeune Henri VI, successeur légitime du défunt – il n’y a pas encore d’absence volontaire du successeur aux funérailles de son prédécesseur53.
Fig. 1 – Jean Chartier, Chronique du règne de Charles VII, manuscrit commandé par Louis de Bruges (Bruges, entre 1470 et 1479), BNF, ms. fr. 2691.

25Le cri du héraut d’armes, autour de la fosse à Saint-Denis, insistait également sur la transmission anglaise du pouvoir : « Dieu veuille avoir pitié et mercy de l’âme de très excellent, très hault et puissant Charles, roy de France, VIe de ce nom, naturel et souverain seigneur » ; « Dieu doint bonne vie à Henri, par la grâce de Dieu roy de France et d’Angleterre, nostre souverain seigneur », doublé des cris des sergents d’armes « Vive le roy, vive le roy, vive le roy54 ». Le rituel n’a ici aucun pouvoir performatif puisqu’il ne fait qu’exprimer – par le geste et la parole – un accord successoral négocié deux ans auparavant. Des relations ultérieures donnèrent une version révisée du cri funèbre, au profit d’une transmission delphinale du pouvoir55.
26Les funérailles de Charles VI furent donc dignes du rang du défunt. Les comptes montrent cependant que les dépenses se firent à l’économie. Dans le contexte d’une succession difficile, le « réemploi » fut en effet le maître mot de la cérémonie. Les tissus de drap d’or, l’hermine, les fleurs de lys furent ainsi ôtés d’autres décors, rafistolés et recousus. La robe et le manteau de parement du roi furent par exemple façonnés dans le drap d’or qui avait déjà servi à faire le poêle sur le corps à l’hôtel Saint-Pol ; la fourrure d’hermine de la robe et du manteau fut récupérée dans la garde-robe de la tapisserie, décousue puis recousue56. Les 1100 fleurs de lys du poêle funèbre et du dais furent également décousues d’un « dossier et banquier ». Enfin les draps qui décoraient les salles de deuil de l’hôtel Saint-Pol furent loués à un crieur de corps pour un coût de 30 livres tournois57. Il est vrai que les moyens financiers manquaient, même si le « roi trésorier » vint au secours du roi défunt.
Le « roi trésorier58 »
27Le trésor véhicule l’image fabuleuse de la richesse et du pouvoir. Concept d’usage polysémique, il touche à des phénomènes en apparence aussi divers que les pratiques du don et des échanges curiaux, la création artistique, la collection et l’accumulation59. Il est analysé ici d’un point de vue économique, comme valeur matérielle. Charles VI avait lui-même réclamé dans son testament (janvier 1393) que son trésor finance ses dépenses funèbres, léguant tous ses « joyaux et vaisselle d’or, d’argent et de pierrerie […], tant de chapelle d’eglise comme de chambres » à son fils aîné « distraits et osté […] les sommes de monnoyes necessaires pour accomplir nostre present testament, ou codicile se aucun apres en faisons60 ».
28Aussitôt le décès du roi survenu, Jean le Clerc et les conseillers royaux ordonnèrent de procéder à l’estimation des pièces61. Ils députèrent cinq « commissaires au fait et gouvernement desdites obseques » pour superviser l’inventaire et la vente des biens « jusques aux sommes qui seroient necessaires » : il s’agissait de Jean Aguenin, président au parlement de Paris, de Renaud Des Fontaines, confesseur de Charles VI, de Philippe de Ruilly, trésorier de la Sainte-Chapelle de Paris, de Pierre de Fontenay, maître d’hôtel et seigneur de Rancé, et de Michel de Laillier, maître des comptes du roi62. Deux notaires royaux, Adam Des Champs et Girard Mauclerc, furent chargés d’établir l’inventaire, un changeur et deux orfèvres d’en estimer le contenu « apres ce qu’ils ont juré aux sains Euvangiles de Dieu de les peser et prisier bien justement et loyaument63 ». L’inventaire complet du trésor royal est conservé en deux copies à la Bibliothèque nationale de France64. Plusieurs centaines de pièces, provenant de l’hôtel Saint-Pol, du Louvre et de Vincennes, furent estimées pour une somme totale de 25 267 livres tournois65. La valeur mercantile de chacune est indiquée66, sauf pour quelques rares objets jugés « inestimables » car dépourvus d’écrins précieux (comme des reliques placées dans une bourse).
29Le trésor de Charles V s’était considérablement amoindri pendant la guerre civile, puis lors de la reprise des hostilités contre l’Angleterre67. Selon Philippe Henwood, la presque totalité des objets précieux qui composaient les collections de Charles VI au début de son règne avait ainsi disparu. L’inventaire montre cependant que de belles pièces subsistaient encore : des joyaux (un saphir, deux ceintures d’or et des bijoux de corps du roi), de la vaisselle précieuse (une nef d’argent doré, une coupe d’or – la coupe saint Louis –, deux hanaps et une aiguière d’or, des fourchettes et des cuillères en or), des ornements de chapelle (un calice d’or, une paix d’or, des burettes d’or, une statue d’argent doré de la Vierge Marie et des reliquaires) ainsi que de précieux manuscrits dont deux de la chapelle royale68.
30Les pièces de plus grande valeur marchande sont les joyaux propres du roi (« ses joyaux de corps ») : son collier d’or à sa devise et son fermail d’or, orné d’un gros diamant, d’une perle et d’un rubis, prisés respectivement 600 et 700 livres tournois, son reliquaire principal – une croix d’or, contenant du fût de la Vraie Croix, sertie de saphirs, rubis et diamants, prisée 650 livres tournois – et sa nef d’argent doré (418 livres tournois).
31Présenté aux visiteurs de marque69, le trésor permettait au prince de pratiquer cette « politique du don » intrinsèque à sa fonction, dons célestiels – aux grands sanctuaires du royaume –, dons auliques – en particulier lors de la fête des Étrennes70 – et dons diplomatiques. Par la proximité de substance entre l’or, les pierres précieuses et la potestas, les pièces d’orfèvrerie participaient de sa majesté71. Elles renvoyaient aussi au lien entre le matériel et l’immatériel, l’ici-bas et l’au-delà : le rôle anagogique de l’or, de l’argent et des pierres précieuses, le pouvoir transcendental de la lumière sont bien connus. Ils renvoient directement à la description de la Jérusalem céleste et laissent entrevoir aux fidèles le royaume des Cieux.
32Les reliquaires, palladium pour le prince et ses sujets, opèrent plus que tout autre ce transfert entre l’ici-bas et l’au-delà. Ils renvoient ici à des reliques – directes ou indirectes – universelles (bras de saint Lucien) ou dynastiques (chemise de saint Louis). Les reliques majeures sont celles de la Passion, détachées du trésor de la Sainte-Chapelle de Paris, comme cette croix en or contenant du fût de la Vraie Croix qui assista Charles VI lors de son trépas. Notons cependant que la valeur marchande du reliquaire a parfois peu de rapport avec sa valeur sacrée : dans l’inventaire, un petit écrin d’or contenant un fragment de la Vraie Croix, du saint Sang et de la sainte Couronne est ainsi prisé 12 livres tournois seulement72 ; seuls comptaient le poids de l’objet, en or ou en argent doré, et les pierres utilisées.
33Le trésor est enfin lié aux problématiques de la circulation. L’inventaire nous apprend que Richard II offrit à Charles VI une chaîne en or à sa devise (prisée 537 livres tournois) et Jean de Berry lui fit cadeau d’un hanap d’or lors du voyage languedocien du roi en 138973. La circulation se faisait aussi à la mort du prince. En 1422, le duc de Bedford récupéra les pièces d’orfèvrerie les plus précieuses destinées à alimenter son propre trésor : la croix d’or reliquaire, les deux principaux joyaux de corps du roi (collier et fermail d’or) et sa grande nef d’argent doré74.
Conclusion
34Premier bilan, le trésor, conçu comme accumulation de biens matériels, rejoignait, par le financement des legs pieux du roi et de ses services funèbres, sa valeur spirituelle, ce « trésor placé dans le ciel » (Mt 6, 20), qui constituait une figure centrale de l’économie du salut75. Deuxième constat, en dépit d’une succession difficile, les funérailles de Charles VI furent bien royales, voulues comme telles par les organisateurs et par le duc de Bedford, afin d’honorer le défunt selon la coutume (ce qu’avait demandé le roi dans son testament exigeant que ses obsèques « soient faites ainsi que faites ont esté pour nos predecesseurs76 ») et, pour le régent, de s’affirmer comme le gouvernant légitime.
35D’autres monarques prirent des chemins différents. Pratiquant l’art de la distinction, Louis XI († 1483) voulut être inhumé comme un simple fidèle, sans effigie, ni pompe funèbre, non à Saint-Denis, mais à Notre-Dame de Cléry, collégiale conservant une statue miraculeuse de la Vierge pour qui il avait toujours eu une grande dévotion77. Avant lui, deux reines de France (Blanche de Navarre et Isabeau de Bavière), ainsi que des princes du sang (Philippe le Hardi, Louis d’Orléans et Louis II de Bourbon) avaient fait ce choix de l’humilité face à la mort, insistant sur sa valeur chrétienne – la perspective du salut –, incompatible selon eux avec sa forme ostentatoire ; ils suivaient en cela les sermons des prédicateurs sur l’inutilité des pompes de ce monde78. Cette oscillation, voire ce conflit, entre investissement religieux et valeur sociale et politique de la mort ne fut en rien spécifique à la France. L’Italie des princes en offre aussi de magnifiques exemples, en particulier dans la seconde moitié du xve siècle : Alphonse le Magnanime, roi de Naples, voulut être enseveli sans pompe, in humilitatis exemplum (1458). De la même manière, Cosme de Médicis, que l’historiographie présente comme assoiffé de pouvoir et de richesse, souhaita la célébration de simples obsèques (1464)79. Une mort « pénitentielle » venait ainsi racheter un faste trop apparent. À moins que la distinction – par une humble mort – ne soit qu’une autre déclinaison du pouvoir.
Annexe
Annexe
Annexe : tableau récapitulatif des dépenses funèbres
Services et messes de funérailles et du bout de l’an (avec rachat du poêle à Notre-Dame) | Aumônes aux pauvres, dons aux hôpitaux de Saint-Denis | Traitement du corps (embaumement, linceul, cercueil en plomb) | Vêtements de deuil pour les officiers de l’hôtel |
1 540 l. t. | 1100 l. t. | 220 l. t. | 1352 l. t. |
Luminaire (à Saint-Pol, dans le convoi et lors des services à Notre-Dame et Saint-Denis) | Draps d’or et de soie | Orfèvrerie et pierreries | Broderie |
1979 l. t. | 244 l. t. | 184 l. t. | 231 l. t. |
Effigie et blasons | Teinture (draps, velours, satin) | Charpenterie (chapelles ardentes, litière, coffre sur la fosse) | Maçonnerie (fosse) |
500 l. t. | 232 l. t. | 253 l. t. | 68 l. t. |
Total : 7903 l. t.
Notes de bas de page
1 J. Chiffoleau, La comptabilité de l’au-delà. Les hommes, la mort et la religion dans la région d’Avignon à la fin du Moyen Âge (vers 1320-vers 1480), Rome, École française de Rome, 1980.
2 Le compte des funérailles de Louis X, rédigé par Gencien de Pacy, changeur du Trésor, était joint à l’inventaire après-décès des biens du roi et l’enregistrement de leur vente, E. A. R. Brown, « The Ceremonial of Royal Succession in Capetian France : the Double Funeral of Louis X », dans id., The Monarchy of Capetian France and Royal Ceremonial, Aldershot/Brookfield, Variorum/Gowers, 1991, p. 228. Quand le trésor est insuffisant, le successeur doit prendre en charge le paiement sur ses propres deniers. Ce fut le cas à la mort de Charlotte de Savoie, veuve de Louis XI, en 1483. Charles VIII finança presque entièrement les dépenses mortuaires, M. Gaude-Ferragu, « “L’honneur de la reine” : la mort et les funérailles de Charlotte de Savoie, (1er-14 décembre 1483) », Revue historique, 652, 2010, p. 779-804.
3 E. A. R. Brown, « Royal Testamentary Acts from Philip Augustus to Philip of Valois. Executorial Dilemmas and Premonitions of Absolutism in Medieval France », dans B. Kasten (dir.), Herrscher-und Fürstentestamente im westeuropäischen Mittelalter, Cologne, Böhlau, 2008, p. 415-430.
4 Premier testament (1392) mis en appendice dans la Chronique du Religieux de Saint-Denys, éd. par M.-L. Bellaguet, préface de B. Guenée, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 1994 (1re éd. 1842), vol. 3, p. 501-511. Second testament (1393), AN, J 404 B, no 40, publié par Georges Bessé, Recueil de diverses pièces servant à l’histoire du roy Charles VI, Paris, Sommaville, 1660, p. 345 (vidimus daté du 25 septembre 1393, déposé dans la Chambre des comptes).
5 De nombreuses chroniques décrivent la mort et les funérailles de Charles VI, plus ou moins fiables. Le Bourgeois de Paris semble avoir assisté au convoi funèbre, Journal d’un bourgeois de Paris, éd. par C. Beaune, Paris, Livre de poche (Lettres gothiques), 1990, p. 192-197. Le Religieux de Saint-Denys était sans doute présent aussi lors des célébrations liturgiques, au moins à Saint-Denis, Chronique du Religieux de Saint-Denys, op. cit., livre 43, p. 489-491. Cf. aussi Enguerrand de Monstrelet, Chronique, éd. par L. Douët d’Arcq, Paris, Société de l’histoire de France, 1857-1862, t. 4, p. 113. Chronique anonyme du règne de Charles VI publiée à la suite de la Chronique d’Enguerrand de Monstrelet, op. cit., t. 6, p. 324-327. Clément de Fauquembergue, Journal, éd. par A. Tuetey, Paris, Société de l’histoire de France, 1903, t. 2, p. 59-61. Juvénal Des Ursins, « Histoire de Charles VI, roy de France, et des choses mémorables advenues durant quarante-deux années de son règne, depuis 1380 jusqu’en 1422 », à la suite de Christine de Pizan, Le Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V, éd. par J.-F. Michaud et J.-J.-F. Poujoulat, Paris, s. n., 1836, p. 347. Certains récits semblent s’être inspirés d’une source mère : le « Cérémonial de l’inhumation de Charles VI », publié par R. Giesey à partir d’un manuscrit de la BNF, ms. fr. 18764, fol. 119-126 qui offre la version originale « anglo-française » des funérailles (il s’agit d’une copie). L’auteur de ce cérémonial serait un greffier du parlement de Paris, R. Giesey, Le roi ne meurt jamais. Les obsèques royales dans la France de la Renaissance, Paris, Flammarion, 1987, p. 297-304. Il en existe aussi une version « francisée » (en particulier en ce qui concerne le cri de succession). Plusieurs historiens la publièrent, en particulier le vicomte de Guiton, Revue anglo-française, 2/2, 1841. Elle date manifestement de la fin du règne de Charles VII puisque le roi y est qualifié de « victorieux » (ibid., p. 301). Je remercie P. Contamine de m’avoir fourni ce renseignement.
6 Compte publié par Y. Grandeau, « La mort et les obsèques de Charles VI », Bulletin philologique et historique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1970, p. 133-186, à partir d’une copie réalisée au xviie siècle sur le registre conservé à la Chambre des comptes de Paris, BM Rouen, collection Leber 5870, manuscrit Menant, t. 8, fol. 134-172.
7 Sur son lit mortuaire, Henri V avait conseillé à son frère, Jean de Bedford, de faire de Philippe de Bourgogne le régent de France pendant la minorité d’Henri VI, et de prendre la régence si le duc la refusait. En réalité, à peine le décès survenu, le duc de Bedford décidait de l’assumer seul, B. Schnerb, Les Armagnacs et les Bourguignons. La maudite guerre, Paris, Perrin, 1988, p. 231.
8 Jusqu’au retour du duc de Bedford, les actes royaux furent pris au nom du chancelier et du conseil de France, « Cérémonial de l’inhumation de Charles VI », éd. par R. Giesey, dans Le roi ne meurt jamais…, op. cit., p. 298.
9 Ibid., p. 299.
10 Sur le concept de trésor, L. Burkart et al., « Introduction », dans Le trésor au Moyen Âge. Discours, pratiques et objets, Florence, Sismel (Micrologus’ Library, 32), 2010, p. 3. Sur la valeur économique des objets, L. Feller, « Introduction », dans id., A. Rodriguez (dir.), Objets sous contrainte. Circulation des richesses et valeur des choses au Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2013, p. 5-22.
11 Je renvoie ici aux travaux de R. Giesey sur le concept des deux corps du roi, prouvé, selon lui, par les funérailles, R. Giesey, Le roi ne meurt jamais…, op. cit. Des critiques furent formulées contre ces théories : A. Boureau, Le simple corps du roi. L’impossible sacralité des souverains français (xve-xviiie siècle), Paris, Éd. de Paris/Chaleil, 1988 ; E. A. R. Brown, « Royal Bodies, Effigies, Funeral Meals, and Office in Sixteenth-Century France », Micrologus, t. 7 : Le Cadavre. Anthropologie, archéologie, imaginaire social, 1999, p. 502 ; id., « Refreshment of the Dead : Post Mortem Meals, Anne de Bretagne, Jean Lemaire de Belges, and the Influence of Antiquity on Royal Ceremonial », dans J. Balsamo (dir.), Les funérailles à la Renaissance, Genève, Droz, 2002, p. 113-130.
12 Clément de Fauquembergue, Journal, op. cit., p. 59. En réalité, on ne sait de quoi le roi est mort. Il souffrait des jambes, puisque les comptes attestent qu’un tailleur dut agrandir ses chausses tant il avait « mal a ses jambes », Y. Grandeau, « La mort… », art. cité, p. 169.
13 Testament mis en appendice de la Chronique du Religieux de Saint-Denys, op. cit., p. 501-511.
14 AN, J 404 B, no 40, publié par G. Bessé, Recueil de diverses pièces…, op. cit., p. 345. Sur l’ordonnance de régence, AN, J 402, no 10, datée de janvier 1393, G. Brunel, Images du pouvoir royal : les chartes décorées des Archives nationales (xiiie-xve siècle), Paris, Somogy, 2010, p. 216.
15 Selon la Chronique anonyme du règne de Charles VI, son chancelier aurait aussi été présent, Chronique anonyme publiée à la suite de la Chronique d’Enguerrand de Monstrelet, op. cit., t. 6, p. 324.
16 Il demeura dans la chambre mortuaire du mercredi 21 octobre au dimanche suivant (le 25) où il fut descendu avec des cordes et des sangles dans la chapelle basse, Y. Grandeau, « La mort… », art. cité, p. 180.
17 Les comptes ne mentionnent que les chapelains et les ordres mendiants, mais les chroniqueurs signalent aussi la présence d’abord des chanoines de Notre-Dame, puis de ceux de la Sainte-Chapelle du Palais, ensuite relayés par les ordres mendiants, « Cérémonial de l’inhumation de Charles VI », art. cité, p. 298. Cf. aussi le témoignage du Religieux de Saint-Denys, Chronique du Religieux de Saint-Denys, op. cit., p. 489.
18 L’Évangile fut dit par l’abbé de Saint-Germain (Jean Bourron), et l’Épître par l’abbé de Saint-Magloire (Pierre Louvel), Chronique anonyme du règne de Charles VI, op. cit., p. 326.
19 Chronique du Religieux de Saint-Denys, op. cit., p. 495-497.
20 La somme comprenait aussi des dons aux hôpitaux et maladreries de Saint-Denis et une pitance aux moines. De même, il avait voulu répartir 12000 francs entre ses « pauvres officiers et serviteurs ». Ils ne reçurent que 6000 francs.
21 V. Tabbagh, « Le rythme des messes pro remedio animae dans les fondations de la fin du Moyen Âge », Micrologus, 19 : La misura/Measuring, 2011, p. 383-401.
22 Chapellenies : à l’église Saint-Denis de la Chartre et en celle du Saint-Sépulcre à Paris, chez les Cordeliers de Marseille, à la Madeleine de Vézelay et à Roosebeke ; anniversaires : dans le couvent des Célestins d’Amiens, à l’hôpital de Saint-Antoine à Paris…
23 Pour toute cette partie : G. Bessé, Recueil de diverses pièces…, op. cit., p. 345 et suiv.
24 Cf. le second testament de Louis Ier d’Anjou (décembre 1383) impressionnant de démesure, AN, P 1334/17, no 34.
25 E. A. R. Brown, « Royal Testamentary Acts… », art. cité, p. 415-430.
26 G. Bessé, Recueil de diverses pièces…, op. cit., p. 346.
27 Tout ne fut pas exécuté cependant, et dans son dernier testament (mars 1367), elle en appelle à son cousin, Charles V, pour qu’il prête attention à la réalisation de ses fondations, E. A. R. Brown, « Jeanne d’Évreux : ses testaments et leur exécution », Le Moyen Âge, 1, 2013, p. 57-83.
28 BM Rouen, ms. 3405, Leber 5870, Menant vol. 8, fol. 126-128. 1 500 francs étaient destinés à l’accomplissement du testament de Charles VI, et 500 francs à la réalisation de celui de son père. Je remercie E. A. R. Brown d’avoir ainsi attiré mon attention sur ce document.
29 La somme totale de l’argent dépensé après la mort de Charles VI est de 26 575 l. t. Aux dépenses funéraires proprement dites, il faut ajouter l’argent fourni aux officiers du roi (6000 francs), ainsi que les « dépenses de bouche » des serviteurs de l’hôtel pendant les cérémonies (1269 l. t.). Une somme de 4600 l. t. échut aussi au duc de Bedford, en sa qualité de représentant d’Henri VI : Charles VI avait en effet légué de nombreux objets précieux à son héritier, et Bedford reçut, ou prit, ce qui restait des bijoux royaux quand il arriva à Paris, R. Giesey, Le roi ne meurt jamais…, op. cit., p. 155. Il récupéra aussi des livres précieux, L. Douët d’Arcq, Inventaire de la bibliothèque du Roi Charles VI, fait au Louvre en 1423, par ordre du régent duc de Bedford, Paris, Société des bibliophiles, 1867, et des ornements de chapelle (AN, KK 38). Le régent remit ultérieurement 1200 l. t. à Garnier de Saint-Yon pour des livres qu’il avait reçus, Y. Grandeau, « La mort… », art. cité, p. 166.
30 À titre de comparaison, les funérailles de Philippe le Bon, célébrées à Bruges en 1467, coûtèrent 13 000 l. t. aux finances ducales, AD du Nord, B 2064, fol. 232 v.
31 Il s’agissait de houppelandes s’arrêtant à mi-jambes. Le col et les chaperons étaient doublés, Y. Grandeau, « La mort… », art. cité, p. 172.
32 « Cérémonial de l’inhumation de Charles VI », art. cité, p. 300.
33 Enguerrand de Monstrelet, Chronique, op. cit., t. 4, p. 120. La Chronique anonyme ajoute les noms des abbés de Saint-Maur-des-Fossés, de Saint-Crépin de Soissons et des Vaux de Cernay, Chronique anonyme du règne de Charles VI, op. cit., p. 324. Le Journal d’un bourgeois de Paris donne les noms suivants : abbé de Saint-Denis, abbé de Saint-Germain-des-Prés, Saint-Magloire, Saint-Crépin et Saint-Crépinien, Journal d’un bourgeois de Paris, op. cit., p. 194. L’évêque de Paris : Jean de La Rochetaillée. L’évêque de Thérouanne : Louis de Luxembourg, futur archevêque de Rouen. L’évêque de Beauvais : Pierre Cauchon. L’abbé de Saint-Denis : Jean de Bourbon de La Boulaye (1418-1430). L’abbé de Saint-Germain-des-Prés : Jean Bourron (1419-1436). L’abbé de Saint-Magloire : Pierre Louvel (1417-1447). L’abbé de Saint-Crépin de Soissons : Jean de Servaville.
34 Selon l’auteur du « cérémonial », les églises allaient d’un côté de la rue, et de l’autre venaient les écoliers et ceux de l’université de Paris. Ensuite seulement marchaient les prélats, « Cérémonial de l’inhumation de Charles VI », art. cité, p. 300.
35 Outre les quatre présidents du parlement de Paris, les greffiers et les quatre notaires de la cour se tenaient aussi autour de la litière, « car c’est leur droit que ilz qui en parlement representent la personne du roy et qui gouvernent la justice souveraine du royaume soient au plus pres du corps du roy ». Les huissiers du parlement tenant leurs verges étaient près de la litière « pour garder que nulles gens ne se boutassent entre eulx », « Cérémonial de l’inhumation de Charles VI », art. cité, p. 300-301.
36 Selon le Religieux de Saint-Denys, il portait un manteau noir en forme d’épitoge et un chaperon à courte cornette, Chronique du Religieux de Saint-Denys, op. cit., p. 491.
37 Enguerrand de Monstrelet, Chronique, op. cit., t. 4, p. 120, et la Chronique anonyme, Chronique anonyme du règne de Charles VI, op. cit., p. 325. Juvénal Des Ursins, « Histoire de Charles VI… », art. cité, p. 347.
38 Pour tout ceci cf. le compte, Y. Grandeau, « La mort… », art. cité, p. 180.
39 Ibid., p. 176.
40 825 cierges furent placés sur la chapelle ardente à Notre-Dame de Paris, ibid., p. 180.
41 Au total, 4753 livres de cire furent utilisées à Notre-Dame et 5 679 à Saint-Denis.
42 Dans l’abbaye de Saint-Denis, trois grands blasons dorés à l’or étaient fixés au-dessus « de la porte par devers la cour des droits du roi », trois autres étaient au-dessus de l’entrée « à entrer en ladite église par devers le cloître ». « Au-dessus des portes de ladite église étaient deux grandes bannières également aux armes du roi », Chronique du Religieux de Saint-Denys, op. cit., p. 493.
43 Sur l’exposition à Saint-Pol, Enguerrand de Monstrelet, Chronique, op. cit., t. 4, p. 120 ; Chronique anonyme du règne de Charles VI, op. cit., p. 324 ; Chronique du Religieux de Saint-Denys, op. cit., p. 489 ; Journal d’un bourgeois de Paris, op. cit., p. 192.
44 Chronique anonyme du règne de Charles VI, op. cit., t. 6, p. 324.
45 Avant d’être mis en plomb, le corps avait été recouvert d’un linceul de toile cirée et de toile de lin.
46 Enguerrand de Monstrelet, Chronique, op. cit., t. 4, p. 112-113. À Vincennes, son corps avait été embaumé, puis déposé dans un cercueil de plomb. La cathédrale Notre-Dame de Paris organisa un service solennel, puis le roi fut acheminé jusqu’à Rouen. Là, le corps fut représenté par une effigie couronnée et revêtue du manteau royal violet fourré d’hermine, J. Burden, « English Royal Funerals in the Fifteenth Century », dans M. Chatenet, M. Gaude-Ferragu, G. Sabatier (dir.), Les funérailles en Europe à la Renaissance, Londres, Ashgate, à paraître. Selon le Journal d’un bourgeois de Paris, le service solennel fut célébré à Saint-Denis à la mi-septembre. Le corps arriva à Londres le 5 octobre et fut enseveli à Westminster le 15, Journal d’un bourgeois de Paris, op. cit., p. 191.
47 Y. Grandeau, « La mort… », art. cité, p. 177.
48 Ibid., p. 171.
49 Le poêle funèbre qui recouvrait la litière était aussi de drap d’or rouge, bordé de velours azur fleurdelisé, ibid., p. 175. Sur la description littéraire du dais, Chronique anonyme du règne de Charles VI, op. cit., p. 325. Selon l’auteur, le dais fut porté à la sortie de l’hôtel Saint-Pol par le prévôt des marchands et les échevins de Paris. « Et ensuite fut porté par les plus notables bourgeois chacun à son tour ». À l’arrivée à Saint-Denis, il aurait été tenu par les moines de l’abbaye, Chronique du Religieux de Saint-Denys, op. cit., p. 491.
50 Peintre attesté à Paris en 1454, il fut promu en 1467 valet de chambre de Charles le Téméraire. Installé à Bruges, il devint membre de la guilde des enlumineurs à partir de 1469.
51 Chronique du règne de Charles VII, BNF, ms. fr. 2691, manuscrit commandé par Louis de Bruges (Bruges, entre 1470 et 1479).
52 Journal d’un bourgeois de Paris, op. cit., p. 196.
53 De même, lors de la messe de requiem, il alla seul à l’offrande comme premier parent du grand deuil, « Cérémonial de l’inhumation de Charles VI », art. cité, p. 302.
54 Enguerrand de Monstrelet, Chronique, op. cit., t. 4, p. 122. Chronique anonyme du règne de Charles VI, op. cit., p. 326.
55 « Priez pour l’âme de très excellent prince Charles VI de ce nom très glorieux et victorieux et bien servy lequel debouta et expulsa à l’aide de Dieu omnipotent les Anglois », version francisée publiée par le vicomte de Guiton, Revue anglo-française, 2/2, 1841, p. 301.
56 Y. Grandeau, « La mort… », art. cité, p. 173.
57 Y. Grandeau, « La mort… », art. cité, p. 174. Ils furent loués du 23 octobre au 10 novembre.
58 Expression de Y. Potin, « Le roi trésorier. Identité, légitimité et fonction des trésors du roi (France, xiiie-xive siècle) », dans L. Burkart et al. (dir.), Le Trésor au Moyen Âge. Questions et perspectives de recherche, Neuchâtel, Institut d’histoire de l’art et de muséologie, 2005, p. 110-135.
59 L. Burkart et al., « Introduction », art. cité, p. 3.
60 AN, J 404 B, no 40, publié par G. Bessé, Recueil de diverses pièces…, op. cit., p. 345. Il s’agit alors d’accomplir ses legs pieux et de financer les dépenses mortuaires.
61 Lettre donnée sous le signet de la chambre du Parlement le 23 octobre et autorisant la mise en vente ; elle fut ensuite ratifiée au nom du nouveau roi, Henri VI, par le régent de France, Jean de Bedford, le 23 mars 1423, Y. Grandeau, « La mort… », art. cité, p. 159-161.
62 Ibid., p. 160.
63 Inventaire du trésor, BNF, ms. fr. 7855, copie xviie siècle, fol. 557.
64 Ibid., fol. 557-616 et BNF, ms. Clairambault 834, p. 1285-1412. Selon P. Henwood, la vente de ces pièces ne suffit pas à payer tous les frais des funérailles : la remise d’une partie des livres de la librairie du Louvre au régent de Bedford, ainsi que des tapisseries, compléta l’ensemble, P. Henwood (éd.), Les collections du trésor royal sous le règne de Charles VI (1380- 1422). L’inventaire de 1400, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 2004, p. 50. Sur le trésor du duc de Bedford, J. Stratford (éd.), The Bedford Inventories. The Worldly Goods of John, Duke of Bedford, Regent of France (1389-1435), Londres, The Society of Antiquaries of London, 1993.
65 Certaines pièces décrites dans l’inventaire de 1422 se trouvaient déjà dans le trésor de Charles V en 1380, cf. le tableau de concordance proposé par P. Henwood (éd.), Les collections du trésor royal…, op. cit., p. 423-485.
66 À la différence des trésors étudiés par M. Barbot dans ce même colloque.
67 P. Henwood (éd.), Les collections du trésor royal…, op. cit., p. 37-47.
68 Sur les livres royaux : L. Douët d’Arcq, Inventaire de la bibliothèque du Roi Charles VI…, op. cit.
69 Cf. en 1501, lors de la réception à Blois de Philippe le Beau et Jeanne de Castille, leurs hôtes, Charles VIII et Anne de Bretagne, firent venir du château de Nantes les plus belles pièces du trésor de la reine, M. Chatenet, P.-G. Girault, Fastes de cour. Les enjeux d’un voyage princier à Blois en 1501, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 89.
70 J. Hirschbiegel, Étrennes. Untersuchungen zum höfischen Geschenkverkehr im spätmittelalterlichen Frankreich der Zeit König Karls VI (1380-1422), Munich, Oldenbourg, 2003 ; id., « Le commerce des étrennes dans les cours françaises au temps de la querelle entre Armagnacs et Bourguignons », dans É. Taburet-Delahaye (dir.), La Création artistique en France autour de 1400. Actes du colloque international École du Louvre – Musée des Beaux-Arts de Dijon – Université de Bourgogne, 7-10 juillet 2004, Paris, École du Louvre, 2006, p. 193-206.
71 Y. Potin, « Le roi trésorier… », art. cité, p. 110.
72 BNF, ms. fr. 7855, p. 607.
73 Ibid., p. 613.
74 Sur l’inventaire des biens du duc de Bedford, J. Stratford (éd.), The Bedford Inventories…, op. cit. On ne sait s’il les acheta. Certaines pièces lui furent délivrées par « mandement du roi » (la croix et la nef). Habituellement, le trésor revient au successeur, ici Henri VI et son représentant, le duc de Bedford.
75 Y. Potin, « Introduction », dans L. Burkart et al. (dir.), Le Trésor au Moyen Âge. Questions et perspectives…, op. cit., p. 5.
76 G. Bessé, Recueil de diverses pièces…, op. cit., p. 355.
77 Décédé au Plessis-lès-Tours, son corps fut embaumé puis acheminé à Saint-Martin-de-Tours où il fut veillé pendant plusieurs jours par les chanoines, avant d’être accompagné, sans faste, jusqu’à Cléry, Jean de Roye, Chronique scandaleuse, éd. par B. de Mandrot, Paris, Société de l’histoire de France, 1894 et 1896, t. 2, p. 137 et 398.
78 M. Gaude-Ferragu, D’or et de cendres. La mort et les funérailles des princes dans le royaume de France au bas Moyen Âge, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2005, p. 272-273.
79 N. Covini, « Tra Visconti e Sforza : note sulle ceremonie funebri dei duchi di Milano nel XV secolo », dans M. Chatenet, M. Gaude-Ferragu, G. Sabatier (dir.), Les funérailles en Europe…, op. cit.
Auteur
Université Paris 13 Sorbonne-Paris-Cité, Institut universitaire de France
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