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Les maîtres du jeu

 | 
Clément Onimus

Première partie : Le sultan et le contrôle de l’élite

Chapitre 5. Concentration et fragmentation du pouvoir

Texte intégral

1Malgré les périodes de stabilité que connut le règne de Barqūq, l’ascension de la Maison sultanienne et des ẓāhirī-s n’aboutit jamais sur un ordre établi. La concentration de l’autorité et du patronage entre ses mains restait à l’état de processus en concurrence avec un phénomène contradictoire de fragmentation de l’élite militaire mamlouke et d’autres tentatives de concentration du patronage au profit d’émirs oligarques. Dans quelle mesure la dynamique monarchique et la propension au conflit interne suivent-elles une logique de continuité ou se contredisent-elles ?

2Dans une perspective chronologique, nous verrons tout d’abord les limites du pouvoir sultanien sous Barqūq, avec l’émergence des velléités concurrentes à l’istibdād qui se révélèrent à l’occasion de la première guerre interne et le maintien de la négociation de l’autorité tout au long de son règne. Puis nous verrons comment le milieu émiral se fragmenta à l’extrême sous le premier règne de Faraǧ, avant la reconcentration de l’autorité sous son second règne, qui se confronta toutefois à l’éclatement de la guerre en Syrie, et aboutit à sa chute.

I. Les résistances au pouvoir de Barqūq

3La guerre des trois ḫušdāšiyya est révélatrice des résistances à l’œuvre face à l’istibdād de Barqūq mais aussi des tentations concurrentes de concentration de l’autorité émirale. La recherche de la concentration du patronage n’était pas le seul fait du sultan : bien des émirs jouaient leur propre jeu qui pouvait varier de la résistance et de la construction d’un réseau concurrent à l’intégration dans le réseau sultanien. Plus fondamentale mais moins explicite et moins développée dans les sources est l’importance que conservait la négociation de l’autorité en dépit de l’istibdād sultanien imposé par Barqūq. Il faut donc s’interroger sur les limites pratiques de cet istibdād, car les notions d’absolutisme ou d’autocratie auxquelles renvoie ce vocable sont en décalage avec la structure oligarchique du milieu émiral et l’existence d’un grand nombre de pairs en compétition pour la course aux offices, l’honneur et la richesse.

A. La négociation du pouvoir sous Barqūq

4La négociation demeurait l’essence même du processus de décision car les choix sultaniens devaient être validés par le consensus des émirs.

  • 1 Je renvoie aux notices biographiques de ces individus : no 304, 548, 573. Aucun des trois émirs c (...)
  • 2 ITBN, 5, p. 395.

5Avec Barqūq, le patronage sultanien devint intégrateur et la plupart des maisons émirales furent progressivement dominées et intégrées dans le réseau du sultan, mais ce dernier ne parvint jamais à être le seul acteur politique et à avoir la totalité du pouvoir de décision entre les mains. Quinze jours avant sa mort, il devait encore supporter que le dernier des grands émirs yalbuġāwī-s, Kumušbuġā al-Ḥamawī, allié, client et néanmoins rival, fût encore en vie. La puissance de cet émir et son ralliement à Barqūq pendant la guerre interne lui imposa un traitement de faveur. Barqūq dut souffrir sa prééminence à l’audience royale avec le titre de commandant en chef de l’armée et le rang de second après le sultan (794-800/1392-1398). Il en alla de même avec Baklamiš al-‘Alā’ī, émir des armes (794-800/1392-1398), arrêté en même temps que Kumušbuġā1 ou, auparavant, avec Īnāl al-Yūsufī, dont Barqūq chercha l’alliance malgré la haine qui les opposait2, jusqu’à lui concéder les plus hautes fonctions dont le titre, lui aussi, de commandant en chef de l’armée (792-794/1390-1392).

6Même au plus fort de la puissance de Barqūq, sous son second règne, le sultan ne tenait pas un pouvoir assez absolu pour choisir qui formait le gouvernement et devait tolérer aux plus hautes fonctions des émirs qui, pour être ses alliés, n’en étaient pas moins ses rivaux. La base de l’autorité demeurait en fait le consensus des émirs dans le conseil du sultan (mašwara).

  • 3 Fischel, « Ascensus Barcoch », art. cité, p. 73.
  • 4 MaSu, 3, p. 621-623 ; ITBN, 5, p. 418-419.
  • 5 ITBN, 5, p. 487 ; MaSu, 3, p. 673.
  • 6 ITBN, 5, p. 453.
  • 7 MaSu, 3, p. 789 ; ITBN, 5, p. 553.
  • 8 MaSu, 3, p. 834-837.
  • 9 Le sultan n’a ainsi pas siégé au dār al-‘adl pendant un an et demi avant le 4 ša‘bān 797/25 mai 1 (...)

7Sous le règne de Barqūq comme sous la domination de ses rivaux pendant la guerre interne, l’ensemble des grandes décisions politiques étaient prises en conseil. L’intronisation de Barqūq, en 784/1382, avait été décidée d’un commun accord lors d’un « grand parlement général3 ». Quand al-Nāṣirī envahit Le Caire, il convoqua deux conseils, l’un militaire, destiné à décider qui serait sultan, et l’autre financier, destiné à gérer les affaires de l’État. Ce n’est que le lendemain qu’un nouveau conseil émiral opta pour la restauration du sultan Ḥāǧǧī4. Celui-ci serait proclamé majeur par une nouvelle assemblée d’émirs, réunie en ḏū l-qa‘da 791/novembre 1389, qui paradoxalement fit le vœu pieux de lui octroyer l’istibdād, c’est-à-dire le monopole de la décision politique5. Cette précision n’est pas anecdotique ; en octroyant l’istibdād au sultan, les émirs témoignaient un respect hypocrite envers l’autorité sultanienne, qui montrait leur refus de la restauration d’un istibdād émiral tel que celui qui avait mené Barqūq sur le trône, alors même qu’al-Nāṣirī imposait de fait sa propre autorité. Entre-temps, un conseil houleux avait opposé Minṭāš, favorable à la mise à mort de Barqūq, à Alṭunbuġā al-Ǧūbānī, favorable à son emprisonnement. La majorité vota pour l’opinion du second et Barqūq fut exilé à al-Karak6. Plusieurs réunions du conseil sont encore mentionnées après la fin de la guerre interne, sous le second règne de Barqūq, notamment pour autoriser le sultan de Bagdad à se rendre au Caire7, ou pour régler les problèmes financiers du couvent (ḫānqāh) Sa‘īd al-Su‘adā’8, mais ces assemblées extraordinaires étaient moins fréquentes en période de stabilité politique9 et les affaires courantes étaient expédiées dans le conseil régulier qui se tenait deux fois par semaine.

  • 10 MaSu, 3, p. 589 ; ITBN, 5, p. 395. Une seconde expédition est décidée après la même procédure à l (...)
  • 11 ITBN, 5, p. 497.

8Il n’est pas jusqu’aux décisions militaires qui ne donnaient lieu à des négociations : Barqūq eut besoin du consensus des émirs pour lancer une expédition contre Yalbuġā al-Nāṣirī après leur avoir annoncé son soulèvement10, de même qu’après sa victoire à Šaqḥab en muḥarram 792/janvier 1390, les émirs s’opposèrent au sultan et le convainquirent de ne pas poursuivre Minṭāš en Syrie mais de marcher sur Le Caire11. Barqūq ne décidait pas seul de la stratégie : les émirs, bien qu’officiers de l’armée, avaient une telle marge d’autonomie que la parole du sultan n’était jamais un ordre et se prêtait toujours à la discussion, même dans le domaine où le pluralisme et la négociation paraissent avoir le moins leur place : la guerre.

  • 12 MaSu, 3, p. 615.

9Pour éviter la fitna entre ces tentations concurrentes, les émirs avaient besoin d’établir un consensus, une parole commune qui permît une autorité stable. Quand al-Nāṣirī décida de ne pas arrêter Barqūq immédiatement et de le laisser se cacher, après la prise du Caire, c’est explicitement pour éviter le chaos, alors que « tout le monde avait sa propre opinion et disait ce qu’il voulait » : chaque émir ayant son autonomie de décision et d’action militaire, al-Nāṣirī ne pouvait garantir le sort de Barqūq tant qu’il n’avait pas réuni un conseil qui s’accordât sur la question12. La négociation était ainsi continuelle et le conseil au centre duquel siégeait le sultan et où les émirs débattaient était le reflet rituel du processus de prise de décision, l’actualisation pacifique du rapport de force entre les différentes maisons, le lieu de validation de ces décisions par la mise en scène commune de la parole sultanienne et du consensus des émirs.

  • 13 Par exemple au sujet d’Ibn Kātib Arlān : yastabidda bi-l-umūr min ġayri mušāwara (« Il dirigeait (...)

10La dialectique entre concentration du pouvoir (istibdād) et conseil (mašwara) est explicite dans les sources13. L’istibdād était redouté par les émirs qui craignaient l’injustice d’un émir tout-puissant mais la perpétuation de la compétition entre les émirs pouvait conduire à la discorde et à l’éclatement de l’autorité (iḫtilāf al-kalima) dont on craignait qu’il menât à la guerre interne (fitna).

B. Les istibdād-s concurrents sous Barqūq

11Les négociations décidaient du jeu institutionnel par lequel les émirats, les offices, les honneurs et les iqṭā‘-s étaient répartis au sein de l’élite militaire, du moins en temps de paix, quand la stabilité s’imposait sous l’égide du sultan-patron, alors qu’en temps de guerre, différentes tendances à la concentration du patronage s’opposaient. L’istibdād était en effet une crainte pour les émirs quand il s’agissait de celui des rivaux, mais c’était aussi un espoir personnel que certains d’entre eux cultivaient.

12Le processus d’istibdād sultanien avait tendance à briser la négociation du pouvoir avec les autres grandes maisons émirales et fut ainsi la cause majeure de la guerre interne de Yalbuġā al-Nāṣirī qui prévoyait la chute de ces maisons émirales. Il résista à Barqūq autant par réaction de défense des intérêts des yalbuġāwī-s que pour établir son propre istibdād – qu’il partagea avec Alṭunbuġā al-Ǧūbānī. La guerre représenta donc une période de confrontation de différents patronages, ẓāhirī pour le sultan, yalbuġāwī pour al-Nāṣirī, ašrafī pour Minṭāš. Elle fut une période de redistribution générale des offices et émirats, en fonction du succès ou de l’échec de tel ou tel patron et de sa faction, si bien qu’elle apparaît comme un moment d’instabilité pour les titulaires des charges institutionnelles. La brièveté des mandats fut ainsi de mise lors de la première guerre interne.

  • 14 Huit grands chambellans sont mentionnés mais trois cas sont douteux. Voir en annexe la liste des (...)
  • 15 Je renvoie aux listes d’officiers du sultanat en annexe.
  • 16 Ṭuġaytamur al-Qiblāwī, nommé le 2 rabī‘ I 791/1er mars 1389 (no 1065).

13Pendant les trois années les plus intenses de la guerre, de 791/1389 à 793/1391, on compte cinq commandants en chef de l’armée d’Égypte et autant d’émirs des armes, d’émirs du conseil, d’émirs de l’écurie, de capitaines du corps des émirs et de grands chambellans14, de même que six grands capitaines de la garde et sept porte-écritoire15. La valse des grands officiers de l’audience égala celle des gouverneurs de Syrie. Par exemple, dans la même période, on compte quatre gouverneurs d’al-Karak, six gouverneurs de Ḥamāh, autant à Ṣafad et à Alep, et neuf gouverneurs de Tripoli, dont certains ne purent pas occuper leurs fonctions16. Le maximum est atteint à Damas, où on compte neuf gouverneurs entre Alṭunbuġā al-Ǧūbānī, dont l’arrestation le 29 šawwāl 790/31 octobre 1388 fut une des causes directes de la guerre, et Yalbuġā al-Nāṣirī, nommé le 14 ša‘bān 792/28 juillet 1390 pour être exécuté un an plus tard.

14La guerre interne n’entraîna donc aucune discontinuité institutionnelle, mais bien au contraire une intensification du jeu institutionnel au Caire autant que dans les provinces syriennes car chaque victoire d’une des factions permettait à l’émir ou au sultan victorieux de déployer ses faveurs pour ses clients et donc de multiplier les nominations dans les différents offices et émirats. Ainsi, l’arrivée au pouvoir de Yalbuġā al-Nāṣirī du 5 ǧumādā II au 19 ša‘bān 791/1er juin-13 août 1389, puis de Minṭāš du 21 ša‘bān 791/15 août 1389 à sa défaite face à Barqūq à la bataille de Šaqḥab les 14-15 muḥarram 792/2-3 janvier 1390, représenta des moments de concentration soudaine du patronage entre les mains de ces émirs, jusqu’à la restauration de Barqūq à l’issue de cette bataille.

15La confrontation de trois tentatives de concentration du patronage fut à l’origine de cette instabilité temporaire et d’une série de renouvellements de l’élite politique, qui contraste avec la stabilité institutionnelle du reste du règne de Barqūq. En somme, le sultan mena un processus de concentration du patronage qui ne sursoyait pas à la négociation du pouvoir, structurelle dans le régime mamlouk, mais en faisait un outil de l’intégration des maisons émirales dans le réseau sultanien – car les concessions y représentaient des faveurs. Ce processus connut ses limites avec les résistances et les tendances divergentes à la concentration du patronage au sein des factions yalbuġāwiyya et ašrafiyya. Il réussit pourtant à s’imposer progressivement comme la principale évolution politique des dix-huit années du règne.

II. La fragmentation du milieu émiral sous le règne de Faraǧ

16La puissance acquise par l’institution sultanienne sous le règne de Barqūq fut toutefois remise en question après sa mort, lors de l’intronisation de son fils Faraǧ, âgé de onze ans, provoquant un changement dans la nature du régime. Le patronage du sultan ne pouvait plus s’exprimer, aussi la société émirale explosa-t-elle en une multitude de petites maisons concurrentes qui firent du conflit armé la pratique normale et constante de la politique. Les ẓāhirī-s disparurent en tant que corps constitué pour s’opposer les uns aux autres dans une course effrénée pour le patronage et le pouvoir.

A. L’échec de la régence

  • 17 MaSu, 3, p. 936 ; ITBN, 5, p. 595.
  • 18 Holt, « The Sultanate », art. cité, ici p. 530-532.
  • 19 Al-Maqrīzī dit qu’Aytamiš s’accorda avec les puissants pour « maintenir les affaires du gouvernem (...)

17Barqūq avait tâché de maintenir son régime malgré la minorité de son fils, en organisant la régence et en accordant tous ses pouvoirs à l’émir Aytamiš al-Buǧāsī, tout en désignant plusieurs exécuteurs testamentaires, sous la direction du calife, afin qu’aucun émir n’acquière l’istibdād et ne se proclame sultan17. Des conseils de régences avaient été instaurés auparavant pour al-Nāṣir Muḥammad et al-Nāṣir Ḥasan18, sans que l’on puisse établir de continuité historique entre ces institutions. Le conseil avait pour fonction de maintenir les affaires telles qu’elles étaient, aussi le régent assura-t-il qu’il ne changerait pas la situation des différents officiers et qu’il respecterait les règles (qawā‘id) qui organisaient la distribution des ressources et des pouvoirs – règles qui consistaient à préserver l’autorité des vieux émirs de Barqūq19. La politique conservatrice du régent avait pour but, d’une part, d’éviter que de puissants émirs ne soient lésés et ne se révoltent et, d’autre part, de maintenir l’influence de leurs propres maisons : éviter la fitna et préserver l’ordre établi.

  • 20 Al-‘Aynī, ‘Iqd al-Ǧumān, op. cit., fo 24 b.
  • 21 MaSu, 3, p. 963 ; ITBN, 6, p. 6.

18La fitna vint malgré ses efforts et Aytamiš chuta rapidement. Dès les premiers jours de sa régence, il dut s’opposer à l’émir de l’écurie, Sayyidī Sūdūn, qui ne voulait pas lui céder les écuries sultaniennes20. Le 21 šawwāl 801/26 juin 1399, six jours après la mort du sultan, une coterie de jeunes émirs ḫāṣṣakī-s qui détenaient des offices subalternes organisa un coup d’État, sous le prétexte que plusieurs émirs fomentaient une nouvelle restauration du sultan qalāwūnide Ḥāǧǧī. Ils arrêtèrent dix émirs dont le majordome sultanien, le grand capitaine de la garde et le grand chambellan. Le vieux régent resta confus et laissa faire21.

19Ce coup d’État marqua une rupture dans le régime barqūqide car, en amenant de jeunes émirs ḫāṣṣakī-s au pouvoir, il renversa l’ordre de préséance à l’ancienneté revendiqué par le régent. Surtout, il représenta l’éclatement définitif de la maison de Barqūq car cette nouvelle génération était composée exclusivement de ẓāhirī-s qui s’opposèrent à d’autres ẓāhirī-s : deux générations de mamlouks de Barqūq étaient ainsi entrées en conflit.

  • 22 MaSu, 3, p. 966-968.
  • 23 MaSu, 3, p. 964.

20Cette révolution amena ainsi de nouveaux émirs aux principaux offices et provoqua un vaste renouvellement du milieu des officiers, comme en témoigne la liste de promotions du 3 ḏū l-qa‘da 801/7 juillet 1399 et les nombreuses nominations qui l’entourent, notamment de nouveaux chambellans22. Il s’agit de la première étape d’un processus politique qui allait, un an plus tard, leur assurer le pouvoir. Après le coup d’État, au cours d’un conseil agité, Aytamiš exigea un serment de loyauté des ḫāṣṣakī-s à son égard et envers le sultan mais ceux-ci obtinrent un serment mutuel qui reconnaissait, en quelque sorte, la bipolarité du pouvoir23.

21La revendication de l’ancienneté annonçait le blocage de la promotion des jeunes ḫāṣṣakī-s par les ẓāhirī-s vétérans et les maîtres de la maison et du réseau de Barqūq. La nouvelle génération de ẓāhirī-s s’opposa donc à Aytamiš et à sa génération de vétérans pour assurer sa promotion par la force.

  • 24 MaSu, 3, p. 965-966 ; ITBN, 6, p. 8.

22La troisième étape de ce processus a été l’insoumission du gouverneur de Syrie. L’émir Tanam, homme de confiance de Barqūq et émir depuis onze années, ne reconnut pas l’autorité des jeunes ḫāṣṣakī-s et contesta les décisions du sultan car, affirma-t-il avec raison, elles émanaient de ces émirs putschistes. Il affirma son légitimisme en demandant, avant toute décision, d’en référer aux exécuteurs testamentaires du sultan, c’est-à-dire à lui-même24.

  • 25 ITBN, 6, p. 11.
  • 26 MaSu, 3, p. 982 ; ITBN, 6, p. 12.

23Les émirs du Caire ne réagirent pas, dans un premier temps, à la discorde soulevée par Tanam : ils ne parvinrent pas à surmonter leurs divisions, ce qui ne permit pas l’établissement d’une parole commune25. Leurs dissensions menèrent, en muḥarram 802/septembre 1399, à la cristallisation de deux factions opposées, l’une autour du vieil atābak Aytamiš, l’autre autour de la coterie de ḫāṣṣakī-s dirigés par le trésorier Yašbak al-Ša‘bānī qui forma « un parti puissant », parvenant à attirer bon nombre de leurs ḫušdāš ẓāhirī-s26.

  • 27 ITBN, 6, p. 12.

24Affaiblis par la discorde, les émirs cairotes décidèrent d’apaiser Tanam en officialisant la partition du pouvoir et sa quasi-souveraineté sur la Syrie27. Pendant une courte période, au Caire comme à l’échelle du sultanat, l’autonomie de chacun des acteurs politiques fut donc reconnue : s’ensuivit une confusion où le pouvoir était paralysé parce qu’aucune autorité n’était plus reconnue par l’unanimité des émirs et aucune parole commune n’était publiée. Seule l’identité du souverain, un enfant de onze ans, ne faisait de doute pour personne. C’est la notion même d’autorité qui, pendant plusieurs mois, n’avait plus de sens politique dans le sultanat, sans pour autant que la guerre soit déclarée.

  • 28 MaSu, 3, p. 984 ; ITBN, 6, p. 13. Ibn Taġrī Birdī se contredit sur la position du gouverneur d’Al (...)

25La confusion amena les émirs du Caire à proclamer finalement que Tanam était rebelle, sous prétexte qu’il avait libéré des prisonniers, alors même que ce droit lui avait été accordé par le conseil cairote. Le revirement des émirs cairotes n’est donc venu d’aucune infraction aux règles ou aux accords mais d’une évolution du rapport de force en Syrie où les gouverneurs de Ḥamāh et de Ḥimṣ avaient refusé de se soumettre à Tanam28. La fitna était désormais officielle mais personne ne leva encore le sabre.

  • 29 Yašbak al-Ša‘bānī et Quṭlūbuġā al-Karakī avaient, de ce fait, un accès direct au sultan et pouvai (...)
  • 30 MaSu, 3, p. 985 ; ITBN, 6, p. 13-14.

26Les ḫāṣṣakī-s avaient en effet besoin de prendre d’abord le pouvoir au Caire où les anciens émirs de Barqūq leur disputaient toujours la parole au conseil. Ils complotèrent auprès du sultan – dont deux d’entre eux étaient tuteurs (lālā)29 – et obtinrent qu’il réclame la proclamation de sa majorité, ce qui mit fin à la régence d’Aytamiš et leur permit de s’emparer légalement du pouvoir. Ils fermèrent ainsi les portes à la négociation du pouvoir au sein du conseil et ne laissèrent pas d’autre choix à leurs adversaires que le combat. « Ils ont ouvert la porte de la guerre30 », commente al-Maqrīzī.

  • 31 MaSu, 3, p. 986 ; ITBN, 6, p. 15.
  • 32 MaSu, 3, p. 1010 ; ITBN, 6, p. 33-36.

27La dernière étape de ce processus politique fut la deuxième guerre interne de la dynastie barqūqide. Fitna en trois actes dont le premier fut une « drôle de guerre » où les factions se définirent et les fidélités s’affirmèrent en Syrie. Le deuxième acte fut une courte bataille au Caire le 10 rabī‘ I 802/10 novembre 1399, qui opposa Aytamiš al-Buǧāsī et ses partisans, les principaux émirs et les mamlouks vétérans, à Yašbak al-Ša‘bānī soutenu par les jeunes émirs ḫāṣṣakī-s et les mamlouks des casernes31. La défaite d’Aytamiš et sa fuite en Syrie auprès de Tanam marquèrent le début du troisième acte où Aytamiš et Tanam s’opposèrent aux ḫāṣṣakī-s et furent tous deux vaincus à Ǧīnīn, près de Gaza, le 23 raǧab 802/20 mars 140032.

Tableau 1 — Deuxième guerre interne

Dates

Parti du sultan

Parti rebelle

21 ṣafar-5 rabī‘ II 802/23 octobre-5 décembre 1399

Yašbak al-Ša‘bānī et les émirs ḫāṣṣakī-s.

Tanam al-Ḥasanī, gouverneur de Damas.

10 rabī‘ I 802-5 rabī‘ II 802/10 novembre-5 décembre 1399

Yašbak al-Ša‘bānī et les émirs ḫāṣṣakī-s.

Aytamiš al-Buǧāsī, commandant en chef de l’armée d’Égypte.

5 rabī‘ II 802-23 raǧab 802/5 décembre 1399-20 mars 1400

Yašbak al-Ša‘bānī et les émirs ḫāṣṣakī-s.

Tanam al-Ḥasanī + Aytamiš al-Buǧāsī.

28D’une façon générale, les émirs impliqués dans la fitna de Tanam étaient les partisans d’Aytamiš, outre ses propres alliés syriens. On ne compte que huit transfuges qui rejoignirent les rangs des ḫāṣṣakī-s – avec nombre d’autres émirs jusqu’alors neutres – après leur premier succès au Caire : la faction de Yašbak al-Ša‘bānī ne comptait que 23 émirs dans la deuxième phase de la guerre (contre 52 pour Aytamiš) mais 73 dans la troisième (contre 32 pour Tanam et Aytamiš). La conviction qu’une nouvelle victoire attendait les ḫāṣṣakī-s a attiré bon nombre d’alliés autour de leur parti devenu maqbūl al-kalima.

  • 33 Voir les pics à l’année 802/1400 sur les trois histogrammes en annexe.

29Cette deuxième guerre interne s’acheva par l’anéantissement des vieux émirs qui avaient partagé le pouvoir avec Barqūq sous son second règne, et le renouvellement en profondeur de l’élite militaire comme l’attestent les histogrammes de périodisation des nominations des émirs33. Seul l’émir Mubārak Šāh al-Ẓāhirī, parmi les ẓāhirī-s, resta politiquement actif pendant l’ensemble de la période étudiée, soit trente ans, avec une carrière particulièrement remplie mais mise en suspens après son éviction du vizirat le 22 šawwāl 805/15 mai 1403. Il mourut un an et demi après le sultan Faraǧ (en ramaḍān 816/décembre 1413). Notons qu’à part lui, seul Qurqmās al-Īnālī al-Rammāḥ survécut après 802/1400 parmi les premiers ẓāhirī-s – les émirs du premier règne. Cela est significatif de la chute du pouvoir des vieux émirs de Barqūq et de leur disparition après les défaites d’Aytamiš al-Buǧāsī et de Tanam al-Ḥasanī.

  • 34 MaSu, 3, p. 858.

30Les histogrammes montrent aussi que ce renouvellement avait commencé dès les derniers mois du règne de Barqūq, en 800-801/1397-1399 – un phénomène qui toucha particulièrement les émirs de 100. On peut donc émettre l’hypothèse que c’est le début de l’extinction, à la fin du second règne de Barqūq, de la classe politique du premier règne, qui a causé la promotion de nouvelles générations d’émirs ẓāhirī-s aux émirats de 40 et de 100, notamment lors de la série de nominations du 5 ǧumādā II 798/16 mars 139634. Or ces jeunes ẓāhirī-s patronnèrent et promurent leurs proches jusqu’à profiter de la mort du sultan pour entrer en conflit avec les principaux dignitaires de son règne opposés à leur promotion. La guerre vint de la libération de tensions à l’œuvre depuis les dernières années du règne de Barqūq autour de jeunes émirs et mamlouks ẓāhirī-s frustrés dans leur ascension et espérant reproduire le précédent créé par Barqūq. Il semble donc qu’une logique générationnelle soit à l’œuvre.

  • 35 Fitna de ‘Alī Bāy en 800/1398 et fitna de Nawrūz al-Ḥāfiẓī en 801/1399.
  • 36 Emprisonné par Barqūq au début de l’année 801/1399, il fut libéré par les ḫāṣṣakī-s le 20 rabī‘ I (...)
  • 37 Tous les partisans de ‘Alī Bāy furent exécutés entre 800/1398 et 803/1401, même l’émir Muḥammad i (...)

31En effet, des actions subversives dirigées par les émirs ẓāhirī-s ‘Alī Bāy et Nawrūz al-Ḥāfiẓī avaient été menées dès la fin du règne, avaient échoué et n’avaient jamais été pardonnées35. Seul Nawrūz al-Ḥāfiẓī survécut36, alors que tous les autres dissidents de ces premières tensions avaient été anéantis sans qu’aucun pardon ne fût accordé : la vengeance du groupe des ẓāhirī-s contre ces premiers fauteurs de troubles internes se perpétua jusque dix ans après les faits37 – pourtant les frustrations qui avaient causé ces troubles demeurèrent et la mort du sultan fut l’étincelle qui provoqua leur explosion.

  • 38 Yašbak al-Ša‘bānī dominait la faction, secondé par Sūdūn Ṭāz, et collaborait avec Sūdūn min Zādah (...)

32Le principe de coagulation des factions dans cette seconde guerre interne fut donc la génération parce que les émirs qui avaient établi de puissantes maisons sous l’égide de Barqūq ne souhaitaient pas partager leur pouvoir et refusèrent de poursuivre la promotion de jeunes ḫāṣṣakī-s. Ceux-ci n’étaient pas maîtres de grandes maisons mais étaient nombreux, et bénéficièrent du patronage des quelques-uns d’entre eux que le défunt sultan avait promus avant sa mort. Le réseau générationnel de ces jeunes ḫāṣṣakī-s devint donc la faction dominée par ces quelques ḫāṣṣakī-s tels que Yašbak al-Ša‘bānī et Sūdūn Ṭāz38.

  • 39 Le discours que Yašbak tint à ses hommes est explicite : « Même s’il est vrai que ce sont nos ḫuš (...)
  • 40 MaSu, 3, p. 987 ; ITBN, 6, p. 18-19.

33Chacun des protagonistes renonça à la solidarité de la ḫušdāšiyya39 et donc à l’unité de la Maison sultanienne, car la rupture générationnelle avait eu raison de sa cohésion. Aytamiš fit même l’erreur d’assimiler jeune génération et ethnie circassienne, provoquant de toutes pièces l’hostilité des Circassiens à son égard40, sans doute parce que sa grille de lecture politique n’identifiait pas la différence des générations comme une cause de conflit potentiel. La force de l’idéologie et des représentations ethniques montre ici tout ce qu’elle avait de performatif.

34En somme, c’est le succès progressif du monopole des ẓāhirī-s qui est l’origine de l’ascension d’une nouvelle génération et de cette première dissension en leur sein. Victime de son succès, la ḫušdāšiyya des mamlouks de Barqūq se divisa, et à partir de 802/1400, c’est une seconde ẓāhiriyya, jeune et fort différente de la première, qui domina la scène politique. Dès lors, le pouvoir n’était plus entre les mains d’un sultan ou d’un régent, mais d’une clique d’individus liés par un intérêt commun et par le succès de leur entreprise.

B. La dissension comme mode de gouvernement

35Les années qui suivirent la guerre virent l’émergence d’un régime radicalement différent de celui qui fut instauré par le sultan al-Ẓāhir Barqūq. Alors que le règne du Circassien était engagé dans un vaste mouvement d’expansion du patronage sultanien et d’intégration dans sa maison et son réseau d’une part considérable de l’élite militaire, le premier règne de son fils, le sultan al-Nāṣir Faraǧ, fut une période d’éclatement de cette société émirale, où la Maison sultanienne et sa faction ẓāhiriyya se disloqua en de multiples entités sociales, maisons d’émirs mineurs et factions sans lendemain.

  • 41 ITBM, 4, p. 172.
  • 42 Fischel, « A New Latin Source », art. cité, p. 212.

36La fin de cette deuxième guerre interne ne signa pas la fin de la division. Au contraire, elle l’institua comme mode de gouvernement car les vainqueurs étaient multiples au lieu d’être unifiés dans la clientèle d’un patron. Et tous avaient un accès quasi égal au sultan. Pourtant la nature de l’influence des émirs auprès du sultan avait changé. Sous Barqūq, on incitait le sultan à faire quelque chose, on attisait son inimitié contre quelqu’un ou on suscitait sa bienveillance. Sous le premier règne de Faraǧ, on prenait le contrôle physique du sultan pour l’amener à ratifier des décisions – on dit qu’il était « comme un outil auprès des émirs à cause de son bas âge41 », « gouverné par un conseil de jeunes hommes impudents42 ».

37Chaque émir agissait de façon autonome, en fonction de ses intérêts propres et en négligeant la concertation et le consensus. Ibn Taġrī Birdī décrit ainsi ce régime :

  • 43 ITBN, 6, p. 26.

Le contrôle du gouvernement tomba alors entre les mains de ces émirs et chacun faisait ce qu’il lui plaisait. Un homme pouvait être nommé à un office par l’intervention d’un individu, aller à sa maison, et être immédiatement destitué par un autre individu. Chaque homme s’attachait comme partisan de l’un ou l’autre émir et chacun aspirait à de hauts offices43.

  • 44 MaSu, 3, p. 989 ; ITBN, 6, p. 22.

38Ainsi, dès le lendemain de la défaite d’Aytamiš au Caire, deux cortèges se croisèrent au centre de la capitale, précédés chacun d’un héraut annonçant que tel émir avait été nommé préfet de la ville mais par des émirs différents44.

39Un état de confusion politique s’instaura donc, que l’on pourrait désigner par le vocable de « polyarchie », car, à la différence d’une oligarchie où un petit nombre d’individus s’entendent pour élaborer une parole commune et une autorité unique, ici, c’étaient plusieurs autorités autonomes qui se concurrençaient sans jamais parvenir à l’unisson, si bien que l’existence de l’autorité elle-même était remise en question. Chacun de ces jeunes émirs de la seconde ẓāhiriyya essayait d’étendre sa maison et son réseau d’alliés et de clients en concurrence avec ses pairs. La fragmentation de l’élite militaire fut ainsi telle que la négociation du pouvoir était mise en difficulté par un comportement monopolistique de chacun des acteurs, alors même qu’ils ne dominaient encore que des maisons de taille réduite.

  • 45 MaSu, 3, p. 968 ; ITBN, 6, p. 10.
  • 46 MaSu, 3, p. 996 ; ITBN, 6, p. 27.
  • 47 ITBN, 6, p. 27.
  • 48 Ayalon, « Studies on the Structure of the Mamluk Army », art. cité, 15/1, p. 215.

40C’est dans ce contexte que l’inflation des offices s’amplifia à nouveau après le règne du sultan Barqūq. Dès ḏū l-qa‘da 801/juillet 1399, six chambellans furent nommés, mais aussi dix capitaines de la garde (ra’s nawba), « des chiffres sans précédent45 ». Le 18 rabī‘ II 802/18 décembre 1399, un huitième chambellan fut nommé « contre la coutume », précise al-Maqrīzī qui ajoute qu’il n’y en avait que trois sous al-Nāṣir Muḥammad46. Ibn Taġrī Birdī s’insurge aussi contre cette innovation et rappelle qu’à son époque, dans la seconde moitié du ixe/xve siècle, il y avait plus de vingt chambellans dont aucun n’était même émir de 5, mais soldats (ǧundī)47. D’autres sources indiquent que le nombre de dawādār-s aussi s’éleva à quatre-vingts sous Faraǧ, alors qu’ils étaient six à l’origine, de même que le nombre de mamlouks ḫāṣṣakī-s, qui étaient quatre-vingts sous Barqūq, s’est élevé à quatre cents, voire à mille sous Faraǧ48.

41Ici, ce ne fut pas la concentration du pouvoir entre les mains d’un seul homme, souverain ou non, qui poussa à l’augmentation du nombre d’offices, contrairement à ce qui avait eu lieu sous Barqūq. En fait, c’est la multiplicité des intérêts divergents qui créa un fonctionnement fragmenté du milieu émiral dans lequel chaque émir à la tête de son propre petit réseau de clients devait être satisfait et satisfaire ses clients dans leurs revendications et leur accès aux fonctions et aux honneurs pour éviter la guerre interne. Ce système incitait au développement de nombreuses clientèles mineures, ce qui explique l’inflation des offices subalternes : chaque patron cherchait à obtenir des titres alléchants pour ses partisans. En somme, la poursuite du phénomène d’inflation des offices est due à une cause inverse de son apparition ! Ce n’est plus la concentration du pouvoir mais au contraire sa déconcentration entre de nombreux individus qui négociaient l’accès aux ressources, qui le provoqua.

  • 49 ITBN, 6, p. 26.

42Un tel fonctionnement « polyarchique » bloquait le processus de prise de décision négocié qui régentait le régime mamlouk. Avant même la fin de la guerre interne de 800/1402, alors qu’Aytamiš al-Buǧāsī vaincu avait rallié Tanam, Nawrūz al-Ḥāfiẓī parvint cependant à réunir un conseil pour préparer la guerre mais celui-ci ne prit d’autre décision que de nommer un vice-roi à titre honorifique et de distribuer des robes d’honneur49. Incertitude et impuissance définissent ce mode de gouvernement. Pourtant, les émirs parvinrent à un consensus et à la victoire contre leurs ennemis – avec l’aide de la providence. Et ce régime, où la société était fragmentée en de multiples petits réseaux et où la dissension régnait, se maintint pendant tout le premier règne du sultan Faraǧ (802-808/1400-1406).

  • 50 MaSu, 3, p. 1032.
  • 51 ITBN, 6, p. 47.
  • 52 ITBN, 6, p. 46-47 et 59 ; MaSu, 3, p. 1032 et 1044-1045.
  • 53 Broadbridge, Kingship and Ideology, op. cit., p. 191.
  • 54 Ibid., p. 188.

43L’incapacité du régime polyarchique à définir une parole commune et à prendre des décisions vitales atteint son niveau le plus extrême en 803/1400-1401, lorsque le régent de Samarcande envahit la Syrie. Le 27 muḥarram 803/17 septembre 1400, le sultan fit convoquer le calife, les juges, les émirs et les principaux administrateurs en grand conseil pour leur annoncer que Tamerlan marchait sur Alep. Le royaume mamlouk était en danger. Pourtant, aucune décision financière ne fut prise et les émirs ne parvinrent pas à s’accorder sur la mobilisation de l’armée égyptienne. Seule l’armée syrienne (3 000 cavaliers)50 fut envoyée combattre un ennemi très supérieur en nombre. Ibn Taġrī Birdī réprouve cette négligence des affaires du royaume due à « la division du pouvoir et à la diversité des opinions » des émirs51. La discorde des émirs allait leur faire négliger les alliances potentielles proposées par les seigneurs de Chypre et de Famagouste et mener le sultanat vers le désastre quand, en plein siège de Damas, une partie des émirs fomenta un complot visant à déposer le jeune sultan au profit d’un soldat appelé Šayḫ Lāǧīn. La conspiration échoua mais les partisans de Faraǧ – qui n’était qu’un enfant – lui firent quitter le camp de nuit pour rentrer précipitamment au Caire, provoquant le lendemain matin une panique parmi l’armée égyptienne et sa déroute face à Tamerlan. Avec cette débâcle, il apparut que l’objectif du régime n’était plus la défense de l’islam mais rien de plus que la distribution des richesses entre les émirs. Al-Maqrīzī et Ibn Taġrī Birdī l’affirment explicitement, et le déplorent52, et la chancellerie mamlouke elle-même ne put que justifier cette fuite en reconnaissant que la priorité avait été donnée au rebelle plutôt qu’à l’envahisseur53. La défaite représenta une crise majeure du sultanat. Elle fut d’autant plus grave qu’elle coïncida avec l’effondrement du système de patronage régional du sultan mamlouk que Barqūq avait réactivé. Face à l’approche de Tamerlan, le sultan Faraǧ échoua à soutenir les différentes dynasties du Proche-Orient54. Un an après sa propre défaite, ce fut le sultan ottoman Beyazid dont l’armée fut mise en déroute face aux Tatars, et qui mourut dans les geôles du conquérant.

  • 55 Piloti, L’Égypte au commencement, op. cit., p. 120.
  • 56 D’après Broadbridge, Kingship and Ideology, op. cit., p. 193 ; id., « Royal Authority », art. cit (...)
  • 57 Broadbridge, Kingship and Ideology, op. cit., p. 5.

44La conséquence directe de ce désastre militaire et diplomatique fut la soumission du sultanat mamlouk, qui devint un État tributaire de l’empire de Tamerlan. Cette information est totalement absente des sources mamloukes elles-mêmes, car cela aurait été reconnaître la chute de la souveraineté de leur royaume et la perte de toute la légitimité militaire sur laquel il s’était bâti un siècle et demi auparavant. Le Vénitien Emmanuel Piloti témoigne toutefois avoir vu le sultan Faraǧ capituler en 803/1401, alors que Tamerlan était à Damas, et lever les bannières du conquérant, c’est-à-dire reconnaître sa souveraineté, offrant, outre d’autres honneurs, d’immenses cadeaux à la délégation tatare55. Mais c’est de ǧumādā II 805/janvier 1403 qu’Ibn Arabšāh date la capitulation mamlouke56. Le sultanat mamlouk perdit alors sa souveraineté et fut réduit à l’état de gouvernorat qui payait tribut au sultan tatar57. Toutes ses prétentions à la défense de l’islam contre les Mongols s’effondrèrent : c’est la raison d’être du régime qui vola en éclat sous les coups de Tamerlan.

  • 58 ITBN, 6, p. 59-60.

45« La dissension monta parmi les émirs et ils retournèrent à leurs luttes concernant les offices, les concessions fiscales, et le contrôle du gouvernement, abandonnant la question de Tamerlan comme si elle n’existait pas58 », commente Ibn Taġrī Birdī. Chez lui, la condamnation de ce mode de gouvernement est radicale car elle affaiblit le gouvernement et menaça le sultanat d’anéantissement face à une invasion étrangère. Bien que tous les historiens du sultanat mamlouk aient décidé d’effacer de la mémoire collective la capitualtion, il est clair que la période polyarchique et ses conséquences remirent en question une première fois la légitimité du sultan.

  • 59 MaSu, 3, p. 969 ; ITBN, 6, p. 10. Voir aussi Walker, « Popular Responses », art. cité, ici p. 55. (...)
  • 60 ITBN, 6, p. 68.
  • 61 MaSu, 3, p. 1003.

46Étape majeure, donc, dans le processus de délégitimation du sultan, l’instauration d’un régime de cette nature consomma une rupture radicale avec le régime institué par le sultan Barqūq. Autant le régime de ce dernier supposait la restauration de la légitimité sultanienne et la concentration des ressources et des pouvoirs, autant ce régime des jeunes ẓāhirī-s supposait un éclatement sociopolitique et entraînait une crise de la dignité sultanienne. Les émirs se donnaient en effet les moyens de satisfaire l’ensemble de leur clique en contestant la confiscation des revenus fiscaux par la Maison du sultan. Un mois après la mort de Barqūq, le 17 ḏū l-qa‘da 801/21 juillet 1399, probablement sous la pression des émirs, Aytamiš al-Buǧāsī convoqua le šayḫ al-islām, les juges et les juristes pour obtenir le versement de cinq sixièmes des biens du défunt sultan au Trésor public (bayt māl al-muslimīn), n’en laissant qu’un sixième aux héritiers59. La répartition des iqṭā‘-s fut encore remise en question, lorsqu’en ǧumādā II 803/janvier-février 1401, l’émir Taġri Birdī reçut une concession fiscale du bureau privé du sultan qui n’était pas assignée60, c’est-à-dire qu’il reçut un vaste iqṭā‘ d’émir de 100 non attribué mais qui appartenait au dīwān al-sulṭānī et non au dīwān al-ǧayš, autrement dit, d’importants revenus destinés aux mamlouks sultaniens furent mis à disposition d’un émir. Ces exemples sont significatifs de la tendance, pendant cette période, à rééquilibrer la distribution des revenus fiscaux entre Maison sultanienne et émirs. Le même phénomène est à l’œuvre lorsqu’à l’heure du départ pour la Syrie et la guerre contre Tanam, l’enfant-sultan accorda le contrôle financier de l’hôpital al-Manṣūrī et des waqf-s ainsi que du couvent al-Šayḫūniyya à deux des seuls grands émirs qui soutenaient la coterie des ḫāṣṣakī-s : Baybars al-Ẓāhirī et Nawrūz al-Ḥāfiẓī61. Les premières années du règne de Faraǧ marquèrent donc une remise en question de la concentration des richesses au sein de la Maison du sultan : les émirs au pouvoir avaient besoin de ressources pour maintenir leur autorité et satisfaire les ambitions de chacun. Ces richesses leur étaient nécessaires pour développer leur patronage sur la société militaire et étendre leur autorité en concurrence avec leurs collègues.

  • 62 MaSu, 3, p. 1089 ; ITBN, 6, p. 100.
  • 63 Comme sous les derniers Qalāwūnides. Voir Van Steenbergen, Order, op. cit., p. 57.

47À cette époque éclata une forte concurrence pour le patronage. Par exemple, en ḏū l-ḥiǧǧa 804/juillet 1402, Sūdūn Ṭāz, un des meneurs de la coterie des ḫāṣṣakī-s, se vexa de la nomination de deux de ses partisans comme gouverneurs d’al-Karak et de Ḥamāh62 parce qu’une telle nomination les éloignait du Caire et affaiblissait son pouvoir. L’histoire ne dit pas quel émir avait obtenu ces nominations mais il était sans doute lié aux rivaux de Sūdūn Ṭāz de ce moment, Nawrūz al-Ḥāfiẓī et Ǧakam min ‘Iwaḍ. Le patronage donnait la clientèle qui correspondait au capital social et donc au pouvoir réel d’un de ces patrons polyarques. Le caractère informel de cette forme d’autorité induisait que les rapports de force évoluaient hors du domaine des institutions63, par l’influence sur le sultan et le regroupement d’une clientèle importante. Alors qu’il n’était que le grand porte-écritoire sultanien, en 806-807/1403-1405, l’émir Yašbak al-Ša‘bānī était le vrai chef de l’État (za‘īm al-dawla). Il avait le pouvoir de nommer et de destituer. Il était alors maqbūl al-kalima et tous cherchaient à obtenir son patronage et l’accompagnaient dans ses déplacements. Il avait donc beaucoup de partisans. L’émir de l’écurie Īnāl Bāy ibn Qaǧmās en prit ombrage. Voici comment al-Maqrīzī décrit le déclenchement de leur inimitié :

  • 64 Peut-être faut-il traduire par « parenté ». Le terme qirāba est ambigu et Īnāl Bāy était à la foi (...)
  • 65 MaSu, 3, p. 1136.

[Les nombreux partisans de Yašbak] désiraient la destitution d’Īnāl Bāy comme émir de l’écurie à cause de son intimité avec le sultan al-Malik al-Nāṣir [Faraǧ]. Cette intimité était due à la fois à leur affinité64 et à son alliance par mariage avec lui, puisqu’Īnāl Bāy avait épousé la princesse Bayram, fille du sultan al-Ẓāhir [Barqūq], et selon l’habitude de l’émir de l’écurie, il résidait aux Écuries Sultaniennes. Ainsi le sultan avait l’habitude de descendre lui rendre visite, s’arrêtant à la maison de sa sœur et buvant avec lui. Īnāl Bāy était ainsi dans une position forte, si bien que les partisans de Yašbak le craignaient et voulaient que Ǧarkas al-Qāsimī le remplaçât comme émir de l’écurie65.

48Tout se jouait dans la concurrence pour l’influence sur le sultan et la capacité à lui faire ratifier des décisions, soit par le moyen d’une clientèle qui donnait un pouvoir concret au patron, soit par la proximité du sultan, par la parenté et l’affinité. Deux formes de solidarité se concurrencent ici dans la réalisation du pouvoir des patrons, deux stratégies d’accès à l’autorité légitime.

49L’émir Īnāl Bāy parvint à s’emparer de la réalité du pouvoir contre Yašbak. Mais ce dernier revint à la tête de l’État un an plus tard. Puis son pouvoir déclina à nouveau, cette fois-ci face à l’émir Baybars al-Ẓāhirī, cousin du sultan, comme l’explique Ibn Taġrī Birdī :

  • 66 ITBN, 6, p. 166.

À partir de là, le pouvoir de l’ancien porte-écritoire Yašbak al-Ša‘bānī et ses compagnons commença à décliner, et celui du commandant en chef Baybars et ses amis à augmenter, si bien que Yašbak et les autres émirs montaient chez Baybars partager son repas et quand l’un d’eux avait besoin de quelque chose, il le demandait à Baybars. Avant cela, Baybars n’avait jamais eu la parole dans les affaires du gouvernement66.

50Si l’auteur ne décrit pas ici le processus de renversement du rapport de force, il montre bien ses symptômes. Encore une fois, la puissance décisionnelle se maîtrisait par le contrôle du patronage qui incitait les clients potentiels à rallier un patron et accroissait son pouvoir au sein de l’élite mamlouke. Personne n’y tenait jamais la totalité du pouvoir, si bien que l’arrivée d’un nouvel émir à la tête du gouvernement n’était désormais que rarement suivie de ces longues listes de nominations et d’arrestations qui avaient marqué les première et deuxième guerres internes, car le régime restait pluriel et évolutif et chacun promouvait ponctuellement ses clients en fonction du rapport de force de l’instant.

  • 67 ITBN, 6, p. 166.
  • 68 ITBM, 12, p. 191.

51Un tel mode de gouvernement avait tendance à faciliter l’évolution des rapports de force entre les différents émirs, aussi Ibn Taġrī Birdī poursuit-il en se plaignant du fait que l’autorité n’était pas concentrée entre les mains d’une seule personne, si bien que « le gouvernement était instable et tous s’attendaient à une explosion de violence67 ». Cette potentialité permanente d’éclatement du conflit était due à l’autonomie dont chaque émir bénéficiait dans son action politique. Ainsi, quelques années plus tard, le majordome sultanien Ǧamāl al-Dīn demanda à Taġrī Birdī de lui livrer son majordome pour le châtier et lui prendre ses biens. Taġrī Birdī refusa et c’est par hasard, en le croisant à la porte d’une madrasa, que Ǧamāl al-Dīn parvint à arrêter le majordome en question pour le torturer et lui extorquer ses propriétés68. L’anecdote n’est pas anodine. Elle montre que chaque patron se permettait de rendre une justice privée pour autant que sa puissance le lui permît, sans procès, sans en référer à une instance judiciaire ou arbitrale supérieure. Les émirs étaient autonomes dans le patronage comme dans l’hostilité.

  • 69 ITBM, 1, p. 109.

52Les hostilités étaient ainsi permanentes dans le conseil, attisées par la compétition pour le pouvoir. En ša‘bān 805/mars 1403, par exemple, une négociation entre Ibn Ġurāb et Sūdūn al-Ḥamzāwī pour la parole (kalām), c’est-à-dire le pouvoir, dans le conseil du sultan tourna à l’empoignade où les insultes fusèrent avant que tous deux ne décident de quitter l’audience69. L’inimitié éclata donc au grand jour en plein conseil et personne ne sut dissimuler ses ambitions et sa place dans la compétition pour le patronat dans le système polyarchique. Mais ces hostilités n’étaient pas seulement verbales. Elles éclatèrent parfois en conflit armé, aussi la période qui va de la fin de la deuxième au début de la troisième guerre interne (802-806/1400-1405) ne connut pas moins de vingt courtes fitna-s ou dissensions au Caire. L’égalité de tous les acteurs impliquait qu’il n’y ait aucune domination organisatrice ou arbitraire, d’où une situation hobbesienne de lutte de tous contre tous, attisée par l’inégalité des enjeux : la polyarchie était un mode de gouvernement qui rendait systématique le conflit entre pairs pour la supériorité en richesse ou en honneur.

  • 70 Voir le tableau 10 : « Les gouvernements de l’Égypte sous le sultan Faraǧ ».

53De 802 à 808 (1400-1406), aucun gouvernement ne fut stable. Le plus long d’entre eux dura deux ans où le porte-écritoire Yašbak al-Ša‘bānī tenait le pouvoir (7 muḥarram 805-7 ṣafar 807/7 août 1402-14 août 1404). Il réitéra l’exploit au début du second règne de Faraǧ (ǧumādā II 808-25 ṣafar 810/décembre 1405-30 juillet 1407). Douze autres gouvernements se succédèrent pendant ces six années70, car toute tentative de monopolisation du pouvoir était vouée à l’échec. Aucun parti n’avait les moyens financiers, politiques et militaires pour tenir seul le gouvernement sans le soutien d’alliés. Il leur fallait rassembler au prix de compromis et de négociations et donc être prêts à céder des offices et des revenus, c’est-à-dire à donner aux alliés la possibilité d’être des rivaux.

C. Deux réseaux stables

54L’étude des réseaux, comme je l’ai ébauchée pour la deuxième guerre interne, permet de regrouper différents conflits ayant une unité du point de vue des réseaux impliqués. Elle permet de nous rendre compte que les fitna-s du premier règne de Faraǧ mettent en scène la concurrence d’une multitude de petites factions, parmi lesquelles seules deux se révélèrent remarquablement stables. Ces deux factions, distinctes des autres, et qui ont leur propre histoire, sont issues des ḫāṣṣakī-s victorieux en 802/1400 et gravitant autour des maisons des émirs Yašbak al-Ša‘bānī et Ǧakam min ‘Iwaḍ.

Le réseau de Yašbak al-Ša‘bānī

  • 71 Sur les 37 émirs qui soutenaient Yašbak pendant la période polyarchique ou la troisième guerre in (...)
  • 72 Par exemple les émirs Sūdūn al-Ḥamzāwī (no 894), Bašbāy min Bākī (no 324), Timrāz al-Nāṣirī (no 1 (...)

55Yašbak al-Ša‘bānī, meneur du coup d’État des ḫāṣṣakī-s en 801/1399 et de la guerre interne de 802/1400, garda une grande partie de ses partisans, devenus ses clients puisqu’il réussit à les faire promouvoir. Rapidement, ce parti éclata, et Yašbak dut s’opposer à certains de ses ex-alliés comme Sūdūn Ṭāz et Ǧakam min ‘Iwaḍ. Il conserva malgré cela un noyau de partisans fidèles. Son échec face à Īnāl Bāy en 807/1405 lui permit de trouver, dans sa fuite, l’alliance avec le gouverneur de Syrie, Šayḫ al-Maḥmūdī, qui récupéra dans son camp une bonne partie des yašbakī-s à la mort de Yašbak en 810/1407-140871. Sans doute ne faut-il pas exagérer la stabilité de ce réseau car, comme dans les autres, les membres changeaient parfois de camp, mais certains de ses partisans lui furent systématiquement fidèles72. Surtout, la longévité de la maison de Yašbak, qui est revenue à plusieurs reprises à la tête du système patronal et parvint à imposer de temporaires istibdād-s, nous incite à supputer la pérennité des réseaux de jeunes ẓāhirī-s créés pendant la première année du règne. De plus, l’alliance entre Yašbak al-Ša‘bānī et Šayḫ al-Maḥmūdī sut créer des liens et la mort de Yašbak poussa ses clients à s’intégrer dans la clientèle de son allié.

Le réseau de Ǧakam min ‘Iwaḍ

  • 73 Ǧakam (no 397) est un des protagonistes d’une dizaine de fitna-s pendant ces cinq années. Parmi c (...)
  • 74 MaSu, 3, p. 1062 ; ITBN, 6, p. 87.
  • 75 MaD, 1, p. 574-580 ; IḤI, 6, p. 24-27 ; MaSu, 3, p. 1037 et 1057 ; ITBN, 6, p. 72.
  • 76 Autant la fitna de Šayḫ Lāǧīn avait une portée programmatique, autant son réseau politique perdit (...)

56L’autre réseau important était celui de Ǧakam min ‘Iwaḍ. L’émir Ǧakam était d’abord favorable à Yašbak, en tant que membre des ḫāṣṣakī-s, et il était son client puisqu’il devint émir de 100 au retour de la guerre contre Tanam. Il s’opposa pourtant à lui dès 803/1401, soutenu par le clan de Šayḫ Lāǧīn. En effet, des neuf émirs partisans du soldat Šayḫ Lāǧīn pendant la fitna qu’il mena en 803/1401 en pleine invasion tatare, tous se retrouvèrent dans le parti de Ǧakam lors des multiples fitna-s qu’il dirigea de 804 à 809/1401-140773. De fait, pendant la fitna de Ǧakam en 803/1401, Šayḫ Lāǧīn fut arrêté74. Son rôle durant la fitna de ce dernier n’est pas clair mais on sait qu’il resta au Caire pendant l’invasion de Tamerlan et qu’il refusa de partir avec la seconde expédition, ce qui va dans le sens d’un projet séditieux75. Peut-être était-il donc déjà lié à cette coterie, mais il n’en revendiqua jamais le programme politique ni ne l’appliqua76.

  • 77 ITBM, 4, p. 313-324 ; ITBN, 6, p. 173 ; MaD, 1, p. 574-580 ; MaSu, 4, p. 41
  • 78 MaSu, 4, p. 136.

57C’est cette faction composée des lāǧīniens et de biens d’autres clients attachés à son réseau qui permit à Ǧakam de gagner une autorité exceptionnelle sur la Syrie et de s’y faire proclamer sultan en 809/1406-140777. La crise politique qu’entraîna la conspiration de Šayḫ Lāǧīn semble donc avoir eu des répercussions au-delà de l’invasion de Tamerlan : la délégitimation du sultan Faraǧ et la contestation de son titre souverain se poursuivit sous l’égide de Ǧakam. Cette revendication n’eut pas de conséquence immédiate car Ǧakam mourut un mois après son avènement. Si celui-ci avait vraisemblablement abandonné le programme politique de Šayḫ Lāǧīn, il garda l’idée de la légitimité de l’émir victorieux et apte à gouverner, contre la légitimité dynastique de Faraǧ qui n’avait que dix-huit ans. Le bref sultanat de Ǧakam créa un précédent, aussi la crainte de la revendication du sultanat par un usurpateur potentiel se maintint-elle jusqu’à la chute du sultan. De fait, les incessantes guerres internes du règne de Faraǧ aboutirent à une nouvelle contestation de sa souveraineté : à partir de la sixième expédition du sultan en Syrie en rabī‘ I 813/juillet 1410, les émirs Šayḫ al-Maḥmūdī et Nawrūz al-Ḥāfiẓī ne reconnurent plus Faraǧ comme sultan78, et ne le reconnurent plus que formellement quelques mois encore au début de l’année 814/mi-1411, avant d’entrer à nouveau en rébellion ouverte.

  • 79 29 des 54 émirs partisans de Ǧakam soutiennent Nawrūz, dont 6 des 9 partisans de Šayḫ Lāǧīn, les (...)

58À la mort de Ǧakam en 809/1407, sa faction se retrouva largement dans les rangs de Nawrūz al-Ḥāfiẓī79, plutôt que chez Tamurbuġā al-Mašṭūb qui, pourtant, s’empara de tous les biens de Ǧakam et de sa maison. Certes, la faction de Ǧakam, comme celle de Nawrūz, évolua au gré des diverses alliances, mais un certain noyau se maintint, par contraste avec les autres factions dont aucune n’a montré une telle stabilité sur une période aussi longue.

D. Les transfuges ou la vie de Qumuš

  • 80 Tous les autres individus qui ont soutenu l’un et l’autre sont en fait restés dans leur faction i (...)
  • 81 Nawrūz eut d’abord une attitude ambiguë puis partit intercéder pour obtenir la paix auprès de Ǧak (...)

59Ces deux réseaux étaient presque incompatibles. Seuls trois émirs se distinguèrent des autres pour avoir évolué entre la faction de Yašbak et la faction de Ǧakam80, en plus de Nawrūz al-Ḥāfiẓī lui-même qui passa dans le camp de Ǧakam dès šawwāl 803/mai-juin 1401, et y resta81 : Sūdūn al-Ḥamzāwī, Yašbak al-‘Uṯmānī et Qumuš al-Ḥāfiẓī.

  • 82 MaSu, 4, p. 38 ; ITBN, 6, p. 182.
  • 83 MaSu, 3, p. 1157-1158.

60Sūdūn al-Ḥamzāwī resta membre du parti de Yašbak et changea de camp en ralliant Nawrūz (partisan de Ǧakam) parce que son patron Šayḫ (allié à Yašbak) l’avait trahi, après avoir tenté d’unifier les deux partis82. Yašbak al-‘Uṯmānī était issu du clan de Šayḫ Lāǧīn. Il soutint Ǧakam en 803-804/1400-1402. Mais on le retrouve chez Šayḫ et Yašbak en 807/1405 et c’est lui qui fut envoyé négocier l’alliance avec Ǧakam. Il demeura systématiquement partisan de Šayḫ et Nawrūz dans les fitna-s suivantes. De toute évidence, c’est son amitié pour Ǧakam qui fit de lui un négociateur inévitable. Seul émir engagé dans une interaction positive avec les deux factions en présence, il fut un médiateur privilégié pour permettre leur unification contre le sultan et Īnāl Bāy83.

61La vie de Qumuš al-Ḥāfiẓī mérite un bref développement tant elle est révélatrice du type de parcours qu’un émir pouvait tailler à travers les différentes factions. D’abord partisan de Šayḫ Lāǧīn en 803/1401, il soutint ensuite Ǧakam min ‘Iwaḍ contre Yašbak al-Ša‘bānī, et resta dans le parti de Ǧakam allié à Nawrūz contre Sūdūn Ṭāz en šawwāl 804/mai 1402. Après la mort de Ǧakam en 809/1407, il se battit pour Nawrūz contre Šayḫ al-Maḥmūdī et Faraǧ au début de l’année 810/1407 mais déserta à l’approche de l’armée de l’émir Šayḫ, représentant du sultan, au moment où Faraǧ préparait sa quatrième expédition. En 813/1411, il était partisan des émirs Šayḫ et Nawrūz contre Faraǧ, et on ignore ce qu’il advint de lui par la suite. Son parcours factionnel peut être schématisé comme suit : Šayḫ Lāǧīn => Ǧakam => Nawrūz al-Ḥāfiẓī => Šayḫ al-Maḥmūdī => Šayḫ al-Maḥmūdī et Nawrūz.

62De proche en proche, il est passé d’un réseau à un autre, issu ou allié du réseau précédent (les trois premiers et le cinquième transferts), une fois ennemi (le quatrième).

63Ces trois cas de transfuges montrent qu’entre les deux factions, l’inimitié primait. Ils montrent aussi que les cas d’opportunisme et de versatilité n’étaient pas totalement dérégulés : ils supposaient quelques principes de fonctionnement, l’alliance entre deux factions comme la proximité de deux armées ennemies étaient toujours des circonstances favorables au changement de faction, de même qu’une querelle avec son patron. Et lorsqu’un émir était engagé simultanément dans deux interactions positives avec deux patrons rivaux, il devenait alors un intermédiaire obligé et rendait possibles des négociations d’alliance entre les deux partis.

64En somme, la mort du sultan Barqūq fut une rupture dans l’histoire des Barqūqides. Alors que son règne avait été marqué par une concentration du patronage et du pouvoir dans la Maison sultanienne, le début du règne de son fils Faraǧ, qui n’était qu’un enfant, connut l’éclatement de la faction du sultan et une guerre interne aux ẓāhirī-s. Cet éclatement suivit une ligne de front générationnelle. Paradoxalement, c’est l’intention de ne pas causer de fitna qui fut la cause de ce soulèvement : les émirs vétérans, soucieux de préserver l’ordre établi et la paix intérieure, décidèrent de maintenir le statu quo et d’introniser le fils de leur maître, de façon à ne pas provoquer de heurts parmi eux. Cette décision bloquait toutefois la promotion des jeunes ḫāṣṣakī-s qui, forts du patronage de quelques-uns d’entre eux, parvinrent à renverser les vétérans après une brève guerre interne. Ils instaurèrent alors un nouveau régime sous l’égide de l’enfant-sultan, où un grand nombre de maisons et de réseaux émiraux se confrontaient sans qu’aucun ne parvînt à imposer une concentration durable du patronage. Seuls deux réseaux, autour des maisons de Yašbak al-Ša‘bānī et Ǧakam min ‘Iwaḍ, se distinguèrent pour leur longévité et leurs succès. La dissension était en effet devenue le mode de gouvernement, par lequel les émirs se partageaient les offices et à cause duquel la souveraineté du sultanat fut menacée.

III. Entre concentration et fragmentation : le second règne de Faraǧ

65Au bout de quelques années, cette fragmentation de l’élite mamlouke en de multiples maisons et réseaux fut remise en cause par l’intervention directe du sultan dans l’arène politique. Exclu jusque-là de cette arène pour son jeune âge, le souverain avait grandi et s’imposa à son tour comme un patron, le chef de la Maison sultanienne, et un acteur à part entière du jeu politique. Face à lui se dressaient plusieurs obstacles. Entre les grands administrateurs financiers de sa propre maison et la prégnance des principaux réseaux constitués pendant son enfance, Faraǧ dut faire face à différentes tendances divergentes à la concentration du patronage et à la fragmentation de la société militaire.

A. Reconcentrer le patronage

  • 84 MaSu, 3, p. 1172 ; ITBN, 6, p. 128 ; ITBM, 3, p. 217-221.
  • 85 MaSu, 3, p. 1172 ; ITBN, 6, p. 128.
  • 86 Dont son « frère » Damurdāš al-Muḥammadī et son īnī (filleul) Qarāǧā al-Baǧmaqdār.
  • 87 En effet, Bašbāy avait été sous les ordres de Baybars en 804/1402 (MaSu, 3, p. 1085), et c’est Ba (...)
  • 88 À savoir les vétérans, la maison de Taġrī Birdī qualifiée de rūmī-e et la maison de Baybars quali (...)

66On peut analyser la fin du règne de Faraǧ comme une volonté du sultan de mettre fin à ce mode de gouvernement fondé sur la dissension, de fusionner, comme l’avait fait son père, le pouvoir légitime et le pouvoir effectif. Il commença en 808/1405 par faire chuter l’émir dominant, Īnāl Bāy, qui avait été son intime84. Cet événement est essentiel car il n’était pas organisé par un de ces chefs des maisons qui dominaient la polyarchie mais par le sultan lui-même. Faraǧ avait alors dix-sept ans et cherchait à devenir non seulement un acteur politique à part entière, mais aussi la tête de la pyramide clientéliste. L’arrestation d’Īnāl Bāy provoqua un débat houleux au sein du conseil, précisément parce qu’aucun des émirs ne l’avait commanditée et qu’aucun n’en profitait directement, sinon le sultan lui-même. Il est vraisemblable que le sultan obtint l’approbation des émirs dans la négociation qui suivit, en échange de nombreuses promotions qui furent proclamées quelques jours plus tard, en ṣafar 808/août 140585, et dont profitèrent le clan de Taġrī Birdī 86, quelques vieux émirs de Barqūq (Ǧarbāš al-Šayḫī, Arisṭāy) mais aussi d’autres émirs puissants comme le grand chambellan Bašbāy min Bākī – fidèle partisan de Yašbak al-Ša‘bānī, alors en disgrâce – et Uzbak al-Ibrāhīmī dont on peut supputer qu’ils soutenaient alors la faction de Baybars al-Ẓāhirī, rival de Taġrī Birdī87. En somme, il semble qu’en échange d’émirats, le sultan ait réussi à gagner le consensus de toutes les factions pour obtenir la chute d’Īnāl Bāy88. Ce moment marque la majorité politique de Faraǧ. Il devait être suivi de nouvelles difficultés opposant, pendant cinq mois, les factions de Baybars al-Ẓāhirī, Taġrī Birdī, Yašbak al-Ša‘bānī et à nouveau Īnāl Bāy, jusqu’à la chute temporaire du sultan et sa restauration (26 rabī‘ I-5 ǧumādā II 808/21 septembre-28 novembre 1405).

  • 89 Seulement deux complots avortés en šawwāl 812/février 1410 et en raǧab 814/octobre-novembre 1411. (...)

67Le retour du sultan sur le trône mit fin à la polyarchie telle qu’elle avait existé. Baybars al-Ẓāhirī fut arrêté, Īnāl Bāy fuit et fut tué l’année suivante. Certes, différents partis persistèrent, comme celui de Yašbak pendant deux ans, et celui de Taġrī Birdī. Mais il n’y eut plus désormais aucune fitna au Caire jusqu’à la fin du règne89. Si certaines maisons se démarquaient encore dans le paysage cairote, comme celles de Taġrī Birdī et Baktamur Ǧulaq, la plupart des émirs de 100 de la fin du règne ne furent pas des acteurs politiques majeurs ; certains apparaissent rarement dans les sources, voire une seule fois. Tout se passe comme si Faraǧ avait réussi à restaurer l’ibtidād sultanien.

68L’exécution d’Īnāl Bāy ne représenta pas seulement la chute d’un régent officieux et le début du règne personnel de Faraǧ. Elle illustre aussi une étape dans la mamloukisation du régime qui, semble-t-il, a passé un nouveau seuil sous ce second règne du jeune sultan. En effet, le recensement prosopographique montre une forte diminution de la proportion des émirs awlād al-nās après la mort du sultan Barqūq. Mais l’évolution la plus marquante est l’éviction du pouvoir de ces descendants d’émirs : alors que vingt-deux d’entre eux étaient émirs de 100 sous le règne de Barqūq, seuls trois le furent sous le règne de Faraǧ. Parmi ceux-ci, le dernier survivant n’était autre que l’émir Īnāl Bāy ibn Qaǧmās. Selon toute vraisemblance, non seulement l’arrivée au pouvoir des ẓāhirī-s contribua à exclure certains lignages d’awlād al-nās, mais encore l’affirmation de l’autorité de Faraǧ l’incita à exclure les émirs trop puissants, bénéficiant de solidarités familiales qui lui échappaient – y compris au sein-même de la famille Barqūqide.

69Le second règne de Faraǧ vit donc l’ascension du sultan en tant que patron et arbitre du pouvoir au Caire. Cette ascension, toutefois, ne parvint qu’à la fin du règne à se libérer de l’égide, voire du patronage de certains émirs qui bénéficiaient en retour de la légitimité du pouvoir sultanien pour asseoir leur propre influence. Il serait plus exact, en effet, de dire que le sultan avait réussi à restaurer l’istibdād de la Maison sultanienne. Car si le souverain gardait désormais la haute main sur les affaires politiques, il cédait à ses grands majordomes le pouvoir financier qui leur donnait les moyens d’étendre leur patronage sur l’ensemble de l’élite mamlouke et de la société égyptienne.

  • 90 SḌ, 1, p. 67.
  • 91 On dit d’Ibn Ġurāb que « son pouvoir grandit tellement qu’il allait nécessairement devenir sultan (...)
  • 92 MaSu, 4, p. 90.

70Les grands commis de la Maison du sultan, ses majordomes en particulier, parvinrent en effet à un certain istibdād, que seul Ǧamāl al-Dīn Yūsuf al-ustādār réussit à perpétuer pendant trois années avant une chute brutale (809-812/1406-1410). D’autres eurent moins de succès. Le décès d’Ibn Ġurāb (808/1406) est quelque peu troublant à ce sujet car cet administrateur réussit à s’emparer de l’essentiel du pouvoir et obtint un émirat de 100 et le titre unique de président du Conseil (ra’s mašwara) mais n’eut l’occasion de porter le sabre et le costume émiral qu’une seule fois car il tomba soudainement malade de colique biliaire90 et mourut après plusieurs mois de maladie. Oserais-je émettre l’hypothèse que son pouvoir et son ascension fulgurante étaient peu du goût des émirs et que ceux-ci l’empoisonnèrent ? Par le moyen du clientélisme, ces administrateurs financiers prenaient le dessus sur le sultan, au point que plusieurs d’entre eux étaient considérés comme les véritables souverains91 car avec le monopole du patronage, ils détenaient la réalité de l’autorité. Le sultanat ne redevint pas toutefois une institution vide de sens comme il l’avait été à la fin de l’époque qalāwūnide. Le sultan resta l’arbitre en dernière instance avec un pouvoir potentiellement arbitraire, c’est-à-dire non pas le pouvoir capricieux du tyran mais la capacité d’arbitrer seul les tensions entre les émirs. Après la chute de son majordome Ǧamāl al-Dīn Yūsuf en 812/1409, al-Maqrīzī dit ainsi de lui qu’il était parvenu à imposer une autorité « indépendante pour la direction des affaires92 ». Surtout, et quels que soient ses administrateurs financiers, le sultan conservait l’autorité sur l’armée : le souverain restait un chef de guerre, ce que les ustādār-s ne furent jamais.

  • 93 La maison de Baktamur Ǧulaq ne fut jamais à la tête d’une faction. J’en parlerai plus loin pour e (...)
  • 94 ITBM, 12, p. 119-122 ; ITBN, 6, p. 189-190 et 193 ; MaSu, 4, p. 56-57 et 60.

71Deux autres émirs dominèrent la période93. Yašbak al-Ša‘bānī, fort du réseau qu’il avait constitué pendant la période polyarchique, réussit à tenir le pouvoir, malgré quelques secousses, deux ans encore après la restauration de Faraǧ. Mais le sultan, désireux de se libérer de l’emprise d’une maison si puissante, le fit arrêter – en même temps que son allié Šayḫ al-Maḥmūdī –, ce qui mit fin à sa carrière. L’évasion des deux prisonniers aboutit en effet à la mort au combat de Yašbak un mois et demi plus tard94.

  • 95 ITBM, 12, p. 189-196 ; ITBN, 6, p. 219-220 ; MaD, 3, p. 562-567 ; MaSu, 4, p. 108-109.
  • 96 Aux sièges de Ṣarḫad en 812/1410 et d’al-Karak en 813/1411. MaSu, 4, p. 104 ; ITBN, 6, p. 211-213

72Le seul des grands émirs militaires du second règne de Faraǧ qui se maintint longtemps et dont la maison domina Le Caire, fut l’émir Taġrī Birdī. Après la restauration du sultan, Taġrī Birdī avait éliminé ses principaux rivaux (la faction de Baybars al-Ẓāhirī) et évita la confrontation avec les autres émirs. Il joua au contraire la carte du patronage généralisé, créant, comme on l’a vu, un vaste réseau d’obligés et d’alliés qui soutenaient sa position. Son action se déploya sur tous les plans : l’attachement à la dynastie, le développement du réseau familial, l’extension de la clientèle, la protection d’alliés potentiels. Sa stratégie intégratrice contraste avec les stratégies d’exclusion et de compétition que les rebelles menaient contre les autres puissants, car il ne constitua plus jamais son réseau en faction pour l’engager dans une fitna. Sans doute cherchait-il toutefois à concentrer à son tour le patronage en ses seules mains, ce pourquoi il endigua toutes les manœuvres pour constituer un istibdād concurrent, en particulier celui du majordome Ǧamāl al-Dīn dont il obtint la chute en 812/140995, mais aussi celui du sultan lui-même dont il patronna les rivaux en intercédant en leur faveur à chaque fois que Faraǧ était sur le point d’en venir à bout96.

  • 97 De 808/1405 à 814/1412 : un seul vice-roi, un seul capitaine du corps des émirs, trois émirs des (...)

73Le second règne de Faraǧ fut donc l’histoire d’une reconcentration du pouvoir au sein de la Maison du sultan. Le jeune sultan était devenu majeur et réussit, par la négociation avec les différentes factions, à s’imposer progressivement comme un patron et un acteur politique à part entière. Phénomène typiquement weberien de (re)-constitution d’un monopole souverain et de prise en charge de la violence physique, son succès politique fut marqué par une stabilisation de la situation cairote, qui n’apparaissait plus désormais comme une vaste arène politique où se confrontaient de nombreuses maisons, mais comme le lieu de l’expression du patronage sultanien et de la distribution des offices par le souverain. Comme les périodes de stabilité politique que Barqūq parvint à imposer, le second règne de Faraǧ connut une relative stabilité des offices et donc un certain équilibre du pouvoir97, signe du succès de la restauration de l’autorité sultanienne en dépit des émirs et commis qui cherchaient à en tirer profit ou à l’endiguer.

Tableau 2 — Gouvernements de l’Égypte sous le sultan Faraǧ

Émir dominant

Titre

Date de début

Date de fin

Aytamiš al-Buǧāsī

Atābak al-‘asākir

15 šawwāl 801/20 juin 1399

10 rabī‘ I 802/10 novembre 1399

Polyarchie : Yašbak al-Ša‘bānī et les émirs ḫāṣṣakī-s

Ḫāzindār

10 rabī‘ I 802/10 novembre 1399

Ša‘bān 802/Avril 1400

Yašbak al-Ša‘bānī

Dawādār

Ša‘bān 802/Avril 1400

Ǧumādā II 803/Janvier-février 1401

Yalbuġā al-Sālimī

Ustādār

Ǧumādā II 803/Janvier-février 1401

14 raǧab 803/28 février 1401

Yašbak al-Ša‘bānī

Ibn Ġurāb

Dawādār

Ustādār

14 raǧab 803/28 février 1401

19 šawwāl 803/2 juin 1401

Ǧakam min ‘Iwaḍ

Dawādār

19 šawwāl 803/2 juin 1401

Ḏū l-ḥiǧǧa 803/Juillet-août 1401

Polyarchie : Ǧakam min ‘Iwaḍ, Sūdūn Ṭāz, Sūdūn al-Ḥamzāwī, etc.

Umarā’

Muḥarram 804/Août-septembre 1401

Ramaḍān 804/Avril 1402

Sūdūn Ṭāz

Amīr āḫūr

Šawwāl 804/Mai 1402

7 muḥarram 805/7 août 1402

Yašbak al-Ša‘bānī

Dawādār

7 muḥarram 805/7 août 1402

4 raǧab 807/6 janvier 1405

Īnāl Bāy ibn Qaǧmās

Amīr āḫūr

4 raǧab 807/6 janvier 1405

6 ṣafar 808/3 août 1405

Taġrī Birdī

Baybars

Amīr mī’a

Atābak al-‘asākir

22 ṣafar 808/19 août 1405

Rabī‘ I 808/Septembre 1405

Baybars

Yašbak al-Ša‘bānī

Atābak al-‘asākir

Amīr mī’a

25 rabī‘ I 808/20 septembre 1405

5 ǧumādā II 808/28 novembre 1405

Ibn Ġurāb

Ra’s mašwara

5 ǧumādā II 808/28 novembre 1405

Ǧumādā II 808/Décembre 1405

Yašbak al-Ša‘bānī

Atābak al-‘asākir

Ǧumādā II 808/Décembre 1405

4 ša‘bān 808/25 janvier 1406

Yašbak al-Ša‘bānī

Ǧamāl al-Dīn

Atābak al-‘asākir

Ustādār

4 ša‘bān 808/25 janvier 1406

25 ṣafar 810/1er août 1407

Ǧamāl al-Dīn

Ustādār

25 ṣafar 810/1er août 1407

9 ǧumādā I 812/19 septembre 1409

Faraǧ

Taġrī Birdī

Sulṭān

Atābak al-‘asākir

9 ǧumādā I 812/19 septembre 1409

Ḏū l-ḥiǧǧa 813/Avril 1411

Faraǧ

Sulṭān

Muḥarram 814/Mai 1411

25 muḥarram 815/7 mai 1412

B. La territorialisation du conflit

  • 98 C’est le cas d’Īnāl Bāy (no 535).
  • 99 C’est le cas de Ǧakam min ‘Iwaḍ (no 397), de Sūdūn Ṭāz (no 911), de Qānī Bāy al-‘Alā’ī (no 763), (...)

74L’arrêt des fitna-s cairotes qui marqua la restauration du sultan Faraǧ en 808/1405-1406 a peut-être été la faiblesse paradoxale de la fin de son règne. L’éviction des factions de l’audience du sultan eut tendance à expulser le conflit du jeu ordinaire de la politique mamlouke, autrement dit de faire disparaître les pratiques qui intégraient le conflit pour les ressources et le pouvoir. Concrètement, le sultan expulsa en Syrie les principaux acteurs de ces conflits cairotes, les patrons et polyarques de son premier règne. Ils y portèrent leur compétition pour le pouvoir, soit dans leur fuite98, soit en s’évadant des prisons où le sultan les avait enfermés99. Certains d’entre eux y trouvèrent des alliés pour donner de nouvelles bases à leurs factions. C’est ainsi que la fitna mineure qui opposait Duqmāq al-Muḥammadī et Damurdāš al-Muḥammadī à Alep fusionna avec la fitna cairote entre Yašbak al-Ša‘bānī et Īnāl Bāy et que la troisième guerre interne éclata en Syrie. De périphérie du pouvoir sultanien restauré, la Syrie devint le centre du conflit et donc de l’arène politique.

75À partir de 806/1404, la guerre se déroula principalement en Syrie à l’exception de deux invasions de l’Égypte par les rebelles syriens qui échouèrent. Le combat changea alors de nature car le contrôle des villes et des territoires devint un enjeu majeur.

  • 100 ITBN, 6, p. 224 et 226-227 ; MaSu, 4, p. 125-128.
  • 101 Ainsi, Ḥusām al-Dīn Ḥasan (no 456) est nommé gouverneur le 27 ǧumādā II 810/29 novembre 1407 mais (...)
  • 102 MaSu, 3, p. 1001 et 1149.
  • 103 MaSu, 4, p. 174.

76Alors que le second règne de Faraǧ montre une relative stabilité politique au Caire, il n’en est rien en Syrie où la confusion régna pendant toute la troisième guerre interne (806-813/1404-1411). Le contrôle des gouvernorats changea de mains à de nombreuses reprises pendant la période, démontrant combien la domination territoriale était devenu l’enjeu majeur du conflit. À Tripoli, treize émirs se succédèrent pour gouverner la ville durant ces sept années, soit avec l’investiture du sultan, soit en s’en étant emparés par la force – parfois les deux –, certains ne tenant la ville pas plus de deux mois. Gaza, ville intermédiaire entre l’Égypte et la Syrie, était au centre des conflits : elle fut prise à de nombreuses reprises par les belligérants et compta vingt-six maîtres différents pendant cette même période. Il en va de même à Ḥamāh où dix gouverneurs sont mentionnés pendant cette période mais les informations deviennent très confuses entre 810 et 815/1407-1412 – confusion peut-être en partie due à la ruine de la ville qui a subi huit mois de siège de ǧumādā II à ḏū l-ḥiǧǧa 812/octobre 1409-avril 1410100. On compte aussi vingt-quatre gouverneurs d’Alep en sept ans. En incluant les gouverneurs intérimaires, Damas compta autant de dirigeants différents pendant cette période de 806 à 813/1403-1411 : elle eut dix gouverneurs intérimaires et fut conquise douze fois pendant la guerre interne. La situation est plus complexe encore à al-Karak où, non seulement le nombre de gouverneurs se multiplia (quinze entre 807 et 813/1404-1411, officiels ou non, tenant le pouvoir effectif ou non101), mais encore l’éclatement de fitna-s locales, qui permirent à des élites non émirales de s’emparer de la ville, déstabilisa d’autant plus la province, le sultan en venant à préférer la faire gouverner par un envoyé spécial, l’émir ‘Abd al-Raḥmān al-Mihtār, pour ne pas s’en remettre aux gouverneurs ou aux notables. Ces reprises en main furent souvent violentes et ruinèrent le territoire102. C’est sans doute la raison pour laquelle nous n’avons plus aucune mention de gouverneur de la ville, ni même de la ville après le siège du 1er ḏū l-ḥiǧǧa 813/27 mars 1411, sinon pour dire que lorsque Asanbuġā al-Zardakāš se fit livrer la citadelle le 1er muḥarram 814/25 avril 1411, il trouva la ville en ruine et peuplée d’à peine une cinquantaine d’habitants103.

  • 104 Ainsi Nawrūz al-Ḥāfiẓī (no 747), nommé gouverneur de Damas le 23 ḏū l-ḥiǧǧa 807/22 juin 1405, ne (...)
  • 105 MaSu, 4, p. 145 et ITBN, 6, p. 232.
  • 106 ITBN, 6, p. 233.

77Comme la première guerre interne, la troisième connut une intensification du jeu institutionnel. L’évolution rapide des rapports de force entre les différents belligérants entraîna l’accélération des changements de titulaires des offices territoriaux, soit parce que les faits s’imposaient d’eux-mêmes, c’est-à-dire que la conquête d’une ville entraînait de facto l’autorité sur cette ville, soit parce que le sultan lui-même nommait de jure des représentants loyaux, et au gré des changements d’alliances entre les belligérants, renommait d’autres représentants, de même que les chefs de parti nommaient leurs propres représentants, usurpant le titre officiel de nā’ib. Institutionnellement, des situations ambiguës pouvaient donc advenir, lorsque le gouverneur d’une ville ne la tenait pas, et réciproquement lorsqu’un émir tenait une ville sans le titre. Ces situations se simplifiaient lorsque le titulaire du gouvernorat s’en emparait effectivement104 ou lorsque le souverain octroyait un titre à un émir qui tenait déjà la réalité de l’autorité afférente à ce titre. Leur autorité était alors avalisée a posteriori par le sultan, comme Šayḫ al-Maḥmūdī qui prit Damas en rabī‘ II ou ǧumādā I 808/octobre-novembre 1405 mais n’obtint l’investiture officielle que le mois suivant, en ǧumādā II 808/décembre 1405. De même lorsque, fin raǧab 813/novembre 1410, le sultan Faraǧ valida le pouvoir de fait que l’émir Sūdūn al-Ǧalab avait pris sur al-Karak en ǧumādā I de la même année (septembre 1410)105. Le même émir trahit la confiance du sultan en ša‘bān, en ralliant les rebelles Šayḫ al-Maḥmūdī et Nawrūz al-Ḥāfiẓī pour envahir l’Égypte contre al-Nāṣir Faraǧ, faisant d’al-Karak une base arrière de leur révolte jusqu’au siège de ḏū l-ḥiǧǧa 813/avril 1411106. Il montra de cette façon combien il lui importait d’obtenir l’investiture du sultan, mais aussi à quel point la réalité de la situation politique et militaire primait sur le respect de cette investiture.

78Cette intensification du jeu institutionnel était due à la rapidité des changements d’alliances, des formations et des ruptures de loyautés, et en somme des rapports de force. La guerre interne transforma donc le fonctionnement institutionnel en Syrie, qui se changea en jeu instable d’intérêts réels et symboliques mouvants, dans lequel l’accès officiel à une institution n’était plus le seul moyen d’atteindre l’objectif de contrôle des ressources.

79Au Caire, le moyen d’étendre son pouvoir reposait sur l’expansion du patronage ; en Syrie, seul le contrôle effectif d’un territoire pouvait donner les ressources nécessaires pour affirmer son statut de patron. Ainsi, la fragmentation en multiples factions qu’avait connue la société militaire mamlouke pendant le premier règne de Faraǧ se porta en Syrie mais elle y devint un phénomène spatial : à la fragmentation du patronage et des factions répondait une fragmentation territoriale car chaque patron tâchait d’établir son autorité sur une ville ou une province pour en exploiter les ressources et stipendier ses partisans. Quant à l’investiture sultanienne, elle était devenue un enjeu secondaire, mais qui demeurait symboliquement puissant, car elle permettait à son titulaire un patronage honorifique envers ses clients. L’expulsion des factions rebelles vers la Syrie a bloqué leur accès au centre du pouvoir et de l’autorité mamlouke, les transformant en élites périphériques qui ont dû recréer localement leurs propres centres de pouvoir en Syrie et en Anatolie. Vue du Caire, la segmentation de ces factions localisées était cruciale pour maintenir la position de Faraǧ en tant que seul intermédiaire, au-dessus des frontières.

C. Une économie du pillage

  • 107 Les premières mentions de confiscations massives se succèdent pendant la préparation de l’expédit (...)
  • 108 Pillages de villes : Qaṭyā en 804/1402 et 813/1411 (MaSu, 3, p. 1138 ; 4, p. 151) ; Gaza en 804/1 (...)

80La permanence de la fitna, la perte du contrôle de la Syrie et la nécessité de trouver de nouvelles ressources pour financer sa politique de concentration du patronage et de restauration de l’autorité souveraine imposa au sultan Faraǧ de recourir à de nouveaux expédients pour assurer le financement de la guerre. Si le pillage des biens des vaincus faisait partie intégrante des pratiques coutumières de la guerre et n’avait aucune raison d’être remis en question pendant ces conflits, la mise à sac du pays et les confiscations imposées aux civils et aux notables n’étaient pas une constante de l’histoire guerrière mamlouke. Phénomène d’abord très ponctuel pendant la première guerre interne107, il se généralisa à la fin de la troisième et dans le courant de la quatrième guerre interne108. Surtout il devint un des principaux revenus de la Maison sultanienne sous le second règne de Faraǧ.

  • 109 MaSu, 4, p. 102 et 105 ; ITBN, 6, p. 207.
  • 110 MaSu, 4, p. 135.
  • 111 Dans un premier temps, un émir confisque l’orge, puis le sultan le lui extorque. Peu après, il mè (...)
  • 112 Il fait payer trois mois de loyer aux caravansérails (ḫān-s), bains, moulins, boutiques et jardin (...)

81Le sultan, en effet, en vint à piller son propre pays pour se donner les moyens de restaurer sa souveraineté contre les rebelles. Les premières mentions de pillages massifs ordonnés par Faraǧ lui-même datent de sa cinquième expédition en Syrie en 812/1409. En prenant Ṣarḫad, il mit à sac la ville puis tous ses alentours pour mener le siège de la forteresse109. Surtout, pour financer ses sixième et septième expéditions, le sultan organisa un pillage de plus en plus vaste de son royaume. Pour préparer la sixième expédition, en 813/1411, il fit confisquer tous les chevaux et mules des moulins du Caire110 et, une fois à Damas, il organisa la confiscation systématique de l’orge de l’oasis et des prairies qui entouraient la ville (la Ġūṭa et le Marǧ)111 avant de faire mener par ses représentants des extorsions de différentes natures contre la population de la ville112.

  • 113 MaSu, 4, p. 192 ; ITBN, 6, p. 251.
  • 114 MaSu, 4, p. 192-193 ; ITBN, 6, p. 251.

82La préparation de la septième expédition fut l’occasion d’un véritable pillage de l’Égypte par le sultan Faraǧ en šawwāl 814/janvier-février 1412. Il donna l’ordre à quelques émirs loyaux de « prendre les moutons, chevaux, dromadaires et tout ce qu’ils pourraient trouver, quel que soit le propriétaire » dans toute l’Égypte113. Il mena personnellement une expédition à Alexandrie pour confisquer les biens des Bédouins d’al-Buḥayra114. Le bilan fut la concentration dans les haras, les enclos et les entrepôts du sultan de dizaines de milliers de bêtes et de richesses immenses, prêtes à accompagner sa suite dans l’expédition qu’il prévoyait.

  • 115 Garcin, Qūṣ, op. cit., p. 465-468 et 477.

83Ce type d’expéditions se multiplia en Haute Égypte dans les années qui suivirent. Jean-Claude Garcin explique que ces « razzias fiscales » menées par les ustādār-s étaient justifiées officiellement par la ponction des arriérés du ḫarāǧ sur les régions qui étaient passées entre les mains des Bédouins Hawwāra. En reprenant l’analyse d’Ibn al-Ṣayrafī, il y voit un signe que la crise avait provoqué le renforcement de la Maison du sultan en augmentant ses responsabilités et donc ses besoins de recettes115. Il est clair que le pouvoir de mener de telles expéditions impliquait le renforcement de l’autorité sultanienne, mais Garcin, probablement parce qu’il ne parle que des expéditions qui eurent lieu entre 816/1413 et 822/1419 – et non de celles de 814/1412 –, ne perçoit pas que l’augmentation des besoins de la Maison du sultan était aussi due à la contestation de son autorité et aux difficultés de financement de guerres interminables qui avaient presque fait perdre au souverain le contrôle de la Syrie. Les pillages sultaniens de 814/1412 étaient une conséquence directe de ces problèmes d’ordre économique et politique.

  • 116 L’auteur explique que cette politique trouve ses racines dès le règne de Faraǧ. Francisco Apellan (...)

84Il ne faut pas sous-estimer l’immensité des richesses drainées par le pillage. Les chevaux, dromadaires, moutons emportés par un émir en révolte ou un sultan en colère se comptaient par milliers de têtes, les mesures d’orge, le fourrage, l’or et l’argent pillés représentaient aussi des quantités colossales, surtout dans les années 813-814/1410-1412, où de nombreuses villes furent pillées tant par les rebelles que par le sultan. En fait, il faut bien comprendre que le pillage fut intégré comme un élément essentiel de l’économie de guerre. Alors que les pillages étaient ponctuels et limités à des besoins circonstanciels sous le règne de Barqūq, ils étaient devenus un mode normal de financement de la maison des chefs de guerre dans la Syrie du second règne de Faraǧ. Les expéditions de 814/1411-1412 ne représentaient alors rien d’autre que l’extension à l’Égypte de l’économie de prédation que la Syrie connaissait depuis huit années. Élément central de la politique de restauration de la Maison sultanienne, cette nouvelle économie de la guerre fut probablement une cause supplémentaire des difficultés économiques de la Syrie, où se déroulait la guerre, et de l’Égypte, où les pillages furent les plus systématiques. À partir du règne du sultan al-Mu’ayyad Šayḫ, explique Francisco Apellaniz, d’autres expédients furent trouvés pour financer le régime, à savoir la politique de contrôle des ressources commerciales116.

D. Les factions de la troisième guerre interne (806-813/1403-1411)

  • 117 À savoir : le sultan Faraǧ (no 387), Duqmāq al-Muḥammadī (no 383), Damurdāš al-Muḥammadī (no 376) (...)

85La parcellisation de l’élite militaire fut extrême pendant cette troisième guerre interne. Seules quatre parmi les dizaines de factions de cette guerre comptaient plus de douze émirs. Une multitude de petites factions, ne comprenant parfois pas plus d’une Maison émirale, firent de la Syrie et de ses villes un vaste champ de bataille après le transfert de la conflictualité de la ville du Caire vers les provinces syriennes en 807-808/1404-1405. Au total, une trentaine de protagonistes s’opposèrent mais une douzaine d’émirs surnageaient parmi les belligérants pour leur rôle dans la guerre, grâce à l’importance de leur maison et de leur réseau117.

  • 118 Dont le sultan ‘Abd al-‘Azīz, un enfant, qui ne saurait être compté parmi les protagonistes réels

86On peut schématiser l’évolution chronologique des factions pendant ce conflit en prenant en compte le rôle de chacun de ces douze chefs de guerre dans le tableau d’une guerre en quinze actes se jouant sur deux scènes avec treize protagonistes118.

87Parmi ces protagonistes, outre les deux grands réseaux du premier règne de Faraǧ qui subsistaient au début de la troisième guerre interne (Ǧakam min ‘Iwaḍ et Yašbak al-Ša‘bānī), seules les factions de Šayḫ al-Maḥmūdī et Nawrūz al-Ḥāfiẓī, qui en étaient issues, comptaient plusieurs dizaines d’émirs. Les petits condottieri de ce conflit étaient souvent des partisans de ces factions, passant parfois d’un camp à l’autre, grossissant leurs rangs ou les abandonnant, si bien qu’aucune faction n’était vraiment stable.

  • 119 L’étude des factions mamloukes a donné lieu à différentes recherches dont la dernière en date est (...)

88Ces deux phénomènes, la petitesse de la plupart des factions en lice d’une part et d’autre part l’instabilité des grandes factions, rendent infructueuse l’analyse en termes de réseaux (network analysis). Si la construction de puissantes maisons émirales ou la cohésion des factions des deux premières guerres internes pouvaient se comprendre en ces termes, l’inconstance des liens personnels de fidélité ou d’alliance dans la troisième guerre ne permet pas une schématisation qui ne se présenterait pas de façon chronologique. À vrai dire, si l’existence des factions est un fait incontestable, l’existence de réseaux qui seraient l’essence de ces factions doit, quant à elle, être interrogée. C’est donc l’histoire des deux principales factions de ce temps que nous allons présenter ici119.

Tableau 3 — Schéma simplifié de la troisième guerre interne

Dates hégiriennes

Syrie

Égypte

Parti rebelle

Parti sultanien

Parti rebelle

Parti sultanien

Rabī‘ II 806-ṣafar 807/octobre 1403-août 1404

Duqmāq al-Muḥammadī

Damurdāš al-Muḥammadī

Ṣafar-raǧab 807/août-décembre 1404

Ǧakam min ‘Iwaḍ

Damurdāš al-Muḥammadī

Yašbak al-Ša‘bānī

Īnāl Bāy ibn Qaǧmās

Ramaḍān-ḏū l-ḥiǧǧa 807/mars-mai 1405

Expédition d’al-Sa‘īdiyya

Yašbak al-Ša‘bānī, Šayḫ al-Maḥmūdī, Ǧakam min ‘Iwaḍ

Īnāl Bāy ibn Qaǧmās

Ṣafar 808/août 1405

Īnāl Bāy

Sultan Faraǧ

Rabī‘ I 808/eptembre 1405

Baybars

Taġrī Birdī al-Bašbuġāwī, Damurdāš al-Muḥammadī, Arġūn al-Bašbuġāwī

Rabī‘ I 807-ǧumādā I 808/septembre 1404-

octobre 1405

Šayḫ, Ǧakam

Nawrūz, Baktamur Ǧulaq, Duqmāq (meurt)

Baybars, Īnāl Bāy

Yašbak

Ǧumādā II 808/novembre 1405

Sultan ‘Abd al-‘Azīz, Baybars al-Ẓāhirī (meurt)

Sultan Faraǧ

Ḏū l-ḥiǧǧa 808-ḏū l-ḥiǧǧa 809/mai 1406-mai 1407

3e expédition

Nawrūz, Ǧakam (meurt), Īnāl Bāy (meurt)

Faraǧ, Šayḫ, Damurdāš al-Muḥammadī

Muḥarram-rabī‘ I 810/juin-août 1407

4e expédition

Nawrūz

Faraǧ, Šayḫ, Yašbak

Rabī‘ I-rabī‘ II 810/août-septembre 1407

Šayḫ, Yašbak (meurt)

Nawrūz, Faraǧ

Raǧab-ḏū l-ḥiǧǧa 810/décembre 1407-avril 1408

Šayḫ, Nawrūz

Baktamur Ǧulaq

Rabī‘ I-raǧab 811/août-novembre 1408

Nawrūz

Šayḫ, Baktamur Ǧulaq

Ḏū l-qa‘da 811-rabī‘ I 812/avril-juillet 1409

5e expédition

Šayḫ, Nawrūz

Faraǧ

Ǧumādā I-ḏū l-ḥiǧǧa 812/septembre 1409-avril 1410

Šayḫ

Nawrūz, Baktamur Ǧulaq

Ḏū l-ḥiǧǧa 812-ḏū l-ḥiǧǧa 813/avril 1410-mars 1411

6e expédition

Šayḫ, Nawrūz

Faraǧ, Baktamur Ǧulaq, Damurdāš al-Muḥammadī, Taġrī Birdī

24 ḏū l-ḥiǧǧa 813/19 avril 1411

Paix d’al-Karak

La šayḫiyya

  • 120 Irwin, « Factions in Medieval Egypt », art. cité.
  • 121 Ibid., p. 231.

89Robert Irwin a consacré un article pionnier à l’étude de la šayḫiyya120, faction qui commença sous le règne du sultan Faraǧ, pendant lequel Šayḫ al-Maḥmūdī recruta ses partisans. Pendant cette période de formation de la šayḫiyya, quatre composantes se distinguent : les mamlouks que Šayḫ al-Maḥmūdī importa, les mamlouks agités et sans chef, dont Irwin affirme qu’ils étaient nombreux en Syrie à cette époque, les émirs ralliés en tant qu’égaux (attirés parce qu’ils étaient ses ḫušdāš ou parce qu’ils escomptaient son succès et son sultanat), et enfin des civils et administrateurs financiers. La deuxième phase de l’histoire de la šayḫiyya correspondit au règne de son patron, après la mort de Faraǧ. Mais le nouveau sultan ne favorisa pas à l’excès ses partisans, au contraire, nous dit Irwin, « al-Mu’ayyad Šayḫ a régné comme le représentant des pairs de sa génération, non des partisans qu’il a acquis121 ». Lors de l’intronisation de Ṭaṭar, en 824/1421, les mu’ayyadī-s furent chassés en Syrie. Et al-Ašraf Barsbāy (825-840/1422-1437) les déconsidéra. Ce n’est que sous le sultan Ǧaqmaq (841-857/1438-1453) qu’ils furent rappelés pour contrebalancer le pouvoir des ašrafī-s, mamlouks de Barsbāy. En 865/1461, quarante ans après la mort de leur maître, ces mamlouks, avec l’aide des mamlouks de Ǧaqmaq, parvinrent à faire monter l’un d’eux sur le trône, le sultan Ḫušqadam al-Mu’ayyadī (865-871/1461-1467). Ce fut l’été indien de cette faction, commente Irwin. Un autre mu’ayyadī, Yalbāy, lui succéda, mais il était sénile et fut rapidement remplacé par Tamurbuġā puis Qaytbāy, sonnant le glas de la faction de Šayḫ al-Maḥmūdī.

  • 122 ITBM, 1, p. 104-112 ; ITBN, 6, p. 91-92 ; MaD, 1, p. 92-100.
  • 123 ITBN, 6, p. 219-220.
  • 124 ITBM, 7, p. 314-318 ; MaD, 2, p. 304-311.

90Seule la phase de formation nous intéresse pour cette étude. Dans notre recensement, 100 individus prirent parti pour Šayḫ lors des neuf fitna-s qu’il mena, sur les seize fitna-s auxquelles il participa. Parmi eux, 84 sont dits émirs, et 16 sont peut-être des civils, ce qui confirme l’importance du recrutement parmi la clientèle civile, qui s’illustre par ailleurs par la présence de plusieurs des hauts dignitaires financiers dans son parti, à un moment ou à un autre de son histoire, notamment le majordome Ibn Ġurāb, qui se rangea du côté de Yašbak al-Ša‘bānī allié à Šayḫ al-Maḥmūdī contre Ǧakam et Sūdūn Ṭāz en 803/1401122, le majordome Ǧamāl al-Dīn qui joua double-jeu en exhibant son soutien au sultan tout en prenant secrètement parti pour Šayḫ en 812/1410123, ou encore le majordome ‘Abd al-Ġanī ibn Abī l-Faraǧ qui rallia Šayḫ et devint son client lors de la défaite du sultan Faraǧ124. Son ralliement à Šayḫ fut la garantie pour lui, comme pour d’autres administrateurs civils, du succès de ses ambitions professionnelles et familiales qui mena à la fondation de ces grandes dynasties d’administrateurs du ixe/xve siècle.

  • 125 ITBN, 6, p. 195.
  • 126 MaSu, 4, p. 139-140.

91Parmi les autres partisans de Šayḫ que l’on peut distinguer, on trouve peu de ses propres mamlouks (seulement trois, dont son porte-écritoire Šāhīn), sans doute parce que les multiples rébellions de leur ustāḏ avaient incité le sultan à ne pas les promouvoir au rang d’émir. Aux moments les plus difficiles de sa carrière de seigneur de la guerre, l’émir Šayḫ al-Maḥmūdī avait été abandonné par ses propres mamlouks. Ils furent toutefois les premiers à revenir vers lui, lorsque le vent commença à tourner fin 810/début 1408, et qu’il se réconcilia avec son rival Nawrūz al-Ḥāfiẓī qui fit acte de patronage à son égard en lui octroyant – sans consulter le sultan – le gouvernorat de Tripoli125. Le premier cercle de la clientèle de Šayḫ pouvait l’abandonner, il n’en était pas moins le plus loyal et le plus prompt à se rallier à sa bonne fortune. Au début de l’année 813/1411 encore, lors de négociations avec le sultan, il prétendit qu’il n’avait pour partisans que ses propres mamlouks, achetés avec son argent, précise-t-il pour montrer que ce n’étaient pas des mamlouks qu’il avait récupérés d’autres émirs et qu’il ne pouvait pas s’en séparer126. Sans doute Šayḫ, alors en déroute en Anatolie orientale, exagéra-t-il à peine sa situation désastreuse mais sa remarque nous inspire deux commentaires : premièrement, les mamlouks faisaient bien partie des plus loyaux de ses clients ; deuxièmement, il est implicitement fait allusion à des mamlouks récupérés à d’autres émirs ou au sultan.

  • 127 Yašbak al-Aytamišī, mentionné dans le parti de Šayḫ dans MaSu, 4, p. 122.
  • 128 Ǧānibak dawādār al-Ḥamzāwī. Voir MaSu, 4, p. 119. Sūdūn al-Ḥamzāwī (no 894) a été exécuté en 810/ (...)
  • 129 MaSu, 4, p. 21 et 125-127.
  • 130 MaSu, 4, p. 125-127.

92De fait, se trouvent parmi les šayḫiyya des émirs issus du ṭulb d’émirs décédés, par exemple un aytamišī127, ou le porte-écritoire de Sūdūn al-Ḥamzāwī, que l’on voit client de Šayḫ deux ans après la mort de son précédent patron128. La multiplicité des rébellions, dans lesquelles de nombreux patrons étaient décédés, laissa sans doute sur les routes nombre de ces soldats de fortune à la recherche d’un patron, d’un repas et d’un combat. Il faut y ajouter les chefs des tribus turcomanes ou arabes, qui entraient parfois dans la faction de Šayḫ al-Maḥmūdī, comme le fils de Nu‘ayr, al-‘Iǧl Yūsuf, émir des Arabes Āl Faḍl et partisan de Šayḫ en 808/1405-1406 et 812/1409-1410129, ou Aḥmad ibn Ramaḍān, émir des Turcomans Buzuqiyya, qui, lui aussi, soutint Šayḫ en 812/1409-1410130. Ils étaient peu nombreux mais commandaient des centaines de cavaliers expérimentés qui pouvaient faire tourner le cours de la guerre.

  • 131 Voir les notices no 486 et 941 de la prosopographie sur Halshs : https://halshs.archives-ouvertes (...)

93Mais ce que notre prosopographie met en avant, ce sont surtout les nombreux émirs de toutes origines et de tous profils qui rallièrent Šayḫ à un moment ou à un autre de sa carrière. Tous ces hommes étaient les pairs de cet émir mais avaient besoin de l’aura et de l’ambition d’un chef de guerre pour se coaliser autour de sa maison, du premier cercle de sa clientèle. D’une façon générale, la description de la formation de la šayḫiyya par Irwin se vérifie mais demeure statique, montrant une šayḫiyya qui se forme, se maintient puis décline, alors qu’elle a beaucoup évolué avant la victoire de 815/1412 et l’intronisation du patron. La plupart des partisans de Šayḫ soutinrent aussi d’autres émirs, parfois de façon simultanée lorsque deux grandes factions s’alliaient, comme la sienne avec celle de Nawrūz al-Ḥāfiẓī contre Faraǧ à partir de 812/1410. Rares sont les émirs que l’on retrouve immanquablement, de fitna en fitna, dans le camp de Šayḫ, comme c’est le cas de son porte-écritoire Šāhīn ou de Ḫalīl al-Ǧašārī131.

  • 132 MaSu, 4, p. 101-102 ; ITBN, 6, p. 206.
  • 133 ṢN, 2, p. 296-297 ; MaSu, 4, p. 95-96 et 148 ; ITBN, 6, p. 203 et 232-233.

94C’étaient ces émirs qui formaient le gros les troupes de Šayḫ dans les guerres internes du règne de Faraǧ mais leur fidélité était instable et dépendait des circonstances, de l’espoir de succès que le charisme et les victoires de Šayḫ leur inspiraient. Celui-ci organisait son armée en fonction de ces loyautés, regroupant autour de lui ses fidèles – à savoir 500 hommes – lors de la bataille de Ṣarḫad (7-8 rabī‘ I 812/20-21 juillet 1409), et confiant les multiples déserteurs au commandement d’un allié d’occasion, l’ex-vice-roi Timrāz al-Nāṣirī, car Šayḫ ne leur faisait pas confiance132 – non sans raison : Timrāz avait trahi Faraǧ en ṣafar 812/juin-juillet 1409 pendant la cinquième expédition du sultan, sans raison apparente, avant de refaire acte d’obédience au sultan dès ša‘bān 813/décembre 1410133. La loyauté ne concernait qu’une partie des clients. Elle était exigée des mamlouks mais n’était pas attendue des pairs, des émirs, dont l’autonomie était reconnue.

  • 134 ITBM, 6, p. 263-312.

95L’absence de loyalisme est due au fait que le principal facteur d’unité des cercles secondaires de la faction était l’appât du gain, des offices, des honneurs et des revenus. Comme le précise Irwin, la faction n’a ni idéologie ni endoctrinement et la fidélité au maître s’arrêtait quand le maître n’avait plus les moyens de l’acheter. La šayḫiyya ne s’inventa que tardivement, après la chute de Faraǧ, comme une ḫušdāšiyya constituée, appelée alors mu’ayyadiyya, qui pourtant n’allait pas hésiter à s’allier aux mamlouks de son pire ennemi, al-Nāṣir Faraǧ. Et jamais elle ne se définit ethniquement, bien au contraire, Šayḫ était connu pour ne pas faire de distinction entre les différentes ethnies134. Aucune identité collective ne la caractérisait. La šayḫiyya demeurait une alliance hétéroclite sans autre objectif que le partage du royaume et de ses ressources, jusqu’à son triomphe.

La nawrūziyya

96La šayḫiyya a intéressé Irwin parce que c’était un parti victorieux. Mais les vaincus méritent aussi leur histoire. Il serait trop long d’étudier chacun de ces partis, mais nous présenterons l’un d’eux, la nawrūziyya, qui faillit triompher. Nawrūz participa à vingt et une fitna-s, dont douze qu’il mena, parfois allié à un autre leader. Quatre-vingt-treize de nos émirs soutinrent Nawrūz, soit dans sa faction, soit lorsqu’il était allié à un autre émir.

  • 135 Uzbak al-Ẓāhirī al-Dawādār (no 1097) et Birdbak al-Sayfī Nawrūz (no 352).
  • 136 ITBN, 6, p. 96.
  • 137 MaSu, 3, p. 1099.

97Les traces de clientélisme et de patronage antérieures aux fitna-s sont rares. Seuls deux émirs sont explicitement clients directs de Nawrūz : son porte-écritoire (qui était un mamlouk de Barqūq) et le capitaine de sa garde (un de ses propres mamlouks)135. Comme pour Šayḫ al-Maḥmūdī, et sans doute pour la même raison, les mamlouks de Nawrūz apparaissent à peine dans les émirs de son parti : un seul d’entre eux est parvenu à ce grade. Les mamlouks de Barqūq, en revanche, sont plus présents : trente-cinq des émirs partisans de Nawrūz étaient des ẓāhirī-s (37,6 %) – et la composition de la šayḫiyya est comparable de ce point de vue (42 %) –, ce qui illustre une fois de plus combien les ẓāhirī-s dominaient cette période et les conflits qu’elle connut. Face à eux, Nawrūz était un pair, un ḫušdāš, avec qui on contractait une alliance plutôt qu’on ne faisait allégeance, bien que l’alliance dissimulât souvent un lien clientéliste. Aux émirs ẓāhirī-s s’ajoutaient les mamlouks sultaniens de Barqūq qui constituaient une force nécessaire dans toutes les fitna-s, prenant parti pour l’un ou l’autre des belligérants. On en trouve par exemple deux mille dans le parti de Nawrūz et Ǧakam contre Sūdūn Ṭāz en 804/1401-1402136, et d’autres dans le parti de ce dernier en 805/1402-1403137. Les mamlouks ẓāhirī-s représentaient probablement une part essentielle de chacune de ces factions.

  • 138 Asanbāy al-Turkumānī (no 249), Ǧaqmaq al-Ṣafawī (no 415), Īnāl Bāy ibn Qaǧmās (no 535), Sūdūn al- (...)

98D’une façon générale, les sources n’évoquent pas de trace de clientélisme entre les autres émirs de 100 de son parti et Nawrūz, hors des situations guerrières où ils s’acquittaient de leur ḫidma. Ces émirs étaient ses alliés et non ses dépendants. Il octroyait sa ni‘ma en les nourrissant, en leur octroyant des iqṭā‘-s, et parfois en leur accordant un office. C’est le cas de six de ses émirs qui obtinrent des postes locaux correspondant au pouvoir circonstancié de Nawrūz, au gré des rapports de force et du sort de la guerre138. À chaque fois, sa ni‘ma intervenait après la ḫidma militaire, c’est-à-dire que le choix de la faction correspondait à un espoir, une rétribution escomptée par le partisan et non à un dû en échange de l’intégration dans la clientèle du patron.

  • 139 Par exemple Muqbil al-Rūmī al-Ẓāhirī (no 726) ou Damurdāš al-Muḥammadī (no 376).

99Parmi ces émirs de 100 se dressent différents profils. Certains étaient totalement légalistes, et ne se retrouvèrent dans le parti de Nawrūz que lorsque celui-ci défendait l’autorité sultanienne, c’est-à-dire lorsqu’il se battait sous les bannières du sultanat139. Mais ils étaient une petite minorité : la plupart des partisans de Nawrūz étaient soit issus de la faction de Ǧakam, soit des opportunistes.

  • 140 Sur les 37 émirs qui soutinrent Yašbak pendant la période polyarchique ou la troisième guerre int (...)

100Le cœur de la faction de Nawrūz al-Ḥāfiẓī était en fait un réseau hérité de la faction de Ǧakam min ‘Iwaḍ, de même que la faction de Šayḫ al-Maḥmūdī était héritée de la faction de Yašbak al-Ša‘bānī, du fait de l’alliance entre les deux protagonistes de chacun de ces réseaux et de la mort de Ǧakam en 809/1406-1407 et de Yašbak en 810/1407-1408. À l’exception de quelques membres de sa maison, les partisans fidèles de Nawrūz étaient issus des rangs des partisans de Ǧakam. Plus de la moitié des émirs de ce dernier se retrouvèrent en effet dans la nawrūziyya (29 sur 54). Et une remarque similaire peut être faite concernant les factions de Yašbak et de Šayḫ140. Or, à trois exceptions près, les partisans des factions de Yašbak et de Ǧakam ne désertèrent jamais de l’une à l’autre faction. Bien qu’elles s’alliassent parfois, ces deux factions semblent incompatibles, de même que leurs épigones commandés par Šayḫ et Nawrūz, comme si, plus que l’amitié, c’est l’inimitié qui guidait le choix du camp et cristallisait les solidarités en partis opposés.

101Certes, les partis de Šayḫ et Nawrūz s’étendirent par la suite bien au-delà de ceux de Yašbak et de Ǧakam. Toutefois, il semble que ces deux derniers constituèrent des noyaux de solidarité autour desquels s’agrégèrent des émirs plus ou moins puissants et leurs maisons, en fonction des intérêts individuels et des opportunités circonstancielles. Même si le noyau de ces deux réseaux n’est pas resté stable, il fut la base de la cristallisation de factions étendues et ramifiées par différentes alliances entre Nawrūz, Šayḫ et leurs pairs.

  • 141 Notamment les émirs Ǧumaq (no 450), Qumuš al-Ḥāfiẓī (no 820), Qurmuš al-Ẓāhirī (no 811).
  • 142 MaSu, 4, p. 75 ; ITBN, 6, p. 199.

102Mais on compte surtout beaucoup d’opportunistes, en particulier parmi les émirs de 100 dont la promotion dépendait moins du patronage d’un autre émir parce qu’ils pouvaient plus facilement avoir accès au sultan. Une défaite ou l’approche d’une armée supérieure en nombre entraînait ainsi des désertions parce que ces événements rendaient le patron non maqbūl al-kalima. Par exemple lorsque, début 810/1407, l’armée de Šayḫ al-Maḥmūdī approcha de Damas et provoqua la fuite de Nawrūz al-Ḥāfiẓī, plusieurs partisans de ce dernier allèrent faire allégeance à Šayḫ avant même son entrée dans la ville141. De même, l’année suivante, en ǧumādā I 811/octobre 1408, les émirs Aḥmad ibn Ramaḍān, Sūdūn Talī, et Sūdūn al-Yūsufī et d’autres de ses partisans quittèrent le camp de Nawrūz en fuite vers Antioche pour rallier Šayḫ142. La perte de l’espoir d’une ni‘ma entraîna la désertion de nombreux émirs, en particulier des principaux membres de la faction.

  • 143 MaSu, 4, p. 57 ; ITBN, 6, p. 190.
  • 144 Par exemple, quand l’émir Šayḫ al-Sulaymānī, gouverneur de Tripoli, apprit que le sultan avait no (...)

103Nawrūz lui-même ne faisait pas grand cas de ses propres partisans. Sans scrupule, il n’hésitait pas à abandonner certains de ses adhérents voire à les arrêter afin de rentrer en grâce. En rabī‘ I 810/août 1407, pour être pardonné, il livra au sultan sept des émirs qui avaient fui Damas en sa compagnie143. L’opportunisme était donc tout autant le fait du patron que des clients. La trahison existait dans les deux sens. Dans l’opportunisme de certains, le légalisme jouait un rôle crucial : l’investiture officielle pouvait renverser bien des alliances. Le légalisme permettait de rentrer en grâce et donnait accès aux offices de l’audience que seuls le sultan et ses majordomes contrôlaient sous son second règne. Il existait donc une interaction complexe entre les intérêts des individus et leur ambition institutionnelle : se saisir des offices par légalisme ou par force, dans le rapport de force ou la soumission au sultan, induisait des stratégies divergentes. Le légalisme était donc intéressé, sauf exceptions, d’autant plus qu’il arrivait que la perte de l’investiture sultanienne d’un patron provoquât l’autodissolution de sa faction144.

104Certains émirs étaient particulièrement opportunistes et se distinguaient des autres par une forte mobilité, sans doute liée à une grande habileté politique. L’émir Baktamur Ǧulaq avait fait partie des vaincus pendant la seconde guerre interne en 802/1400, on le trouve pourtant adhérent au parti du vainqueur, Yašbak al-Ša‘bānī, contre Īnāl Bāy en 807/1404-1405. Puis, la même année, il fut dans le camp du sultan, pour rallier à nouveau la faction de Yašbak allié à Šayḫ al-Maḥmūdī, en échangeant des serments qui ne devaient pas être tenus. Il était en effet favorable à Nawrūz al-Ḥāfiẓī contre Šayḫ al-Maḥmūdī en ǧumādā I 808/novembre 1405. Il continua à le soutenir dans le camp de Ǧakam min ‘Iwaḍ pendant la guerre de 809-810/1406-1408 mais rallia le sultan contre Nawrūz à la fin de cette année. Avec la mort de Ǧakam, Īnāl Bāy et Yašbak, il acquit un rôle central dans le parti du sultan qui lui donna, en 812/1409-1410, la main de sa fille Sutayta. Sentant la fortune tourner, il n’hésita pourtant pas à le trahir en 814/1412, annonçant la chute du règne. Baktamur Ǧulaq ne mena jamais sa propre fitna. Protagoniste des guerres internes du règne de Faraǧ, il était un chef de guerre qui ne dirigea jamais de faction, sinon les armées du sultan dans les années 813-814/1411-1412. Il se ralliait systématiquement au camp qui lui paraissait convenir le mieux à ses intérêts et eut l’habileté de faire oublier ainsi les vieilles inimitiés : il fut ennemi puis allié de Yašbak, allié puis ennemi de Šayḫ et à nouveau son allié, et il en va de même dans sa relation à la nawrūziyya, à laquelle il adhéra une première fois en 808/1406 pour l’abandonner en 810/1408 et y revenir en 814/1412. Quant au parti du sultan, dont il devint le lieutenant, il y fut d’abord hostile puis allié, puis à nouveau ennemi, puis à nouveau allié, et enfin ennemi. Une telle versatilité ferait douter a priori de la solidité de la nawrūziyya comme des autres factions et de son unité dans le temps.

  • 145 MaSu, 4, p. 75 ; ITBN, 6, p. 199.
  • 146 ITBM, 6, p. 118-121.
  • 147 Voir la notice biographique no 310 dans ma prosopographie sur Halshs : https://halshs.archives-ou (...)

105Baktamur Ǧulaq joua habilement des différentes alliances mais l’opportunisme ne paie pas toujours. Sūdūn Talī, qui n’hésita jamais à déserter la nawrūziyya145 ou la šayḫiyya146, évolua entre les postes les plus élevés et les prisons les plus sombres. Son ralliement à Šayḫ al-Maḥmūdī lors de la victoire de ce dernier lui permit d’obtenir un émirat de 100 qu’il ne garda que quelques mois avant d’être arrêté par son patron devenu sultan, et exécuté trois ans plus tard147. Les chefs de guerre profitaient de ces clients versatiles quand le sort de la guerre tournait en leur faveur mais ils n’avaient aucune confiance en eux, et s’en défaisaient sans scrupule quand l’occasion se présentait. Baktamur Ǧulaq comme Sūdūn Talī firent tous deux partie de la nawrūziyya, pourtant aucun des deux n’y resta longtemps. Leur attachement à Nawrūz et aux autres chefs de partis ne fut jamais que circonstanciel.

  • 148 C’est le cas des émirs qui désertèrent Nawrūz pour Šayḫ à Damas en 810/1408 : c’est moins l’armée (...)
  • 149 MaSu, 4, p. 54-55 ; ITBN, 6, p. 188.
  • 150 MaSu, 4, p. 75 ; ITBN, 6, p. 199.
  • 151 MaSu, 4, p. 95-96 ; ITBN, 6, p. 203.
  • 152 ITBN, 6, p. 224.
  • 153 MaSu, 4, p. 152-155 ; ITBN, 6, p. 233-238.
  • 154 MaSu, 4, p. 163-164 ; ITBN, 6, p. 241-242.
  • 155 ITBN, 6, p. 259.

106Ces retournements d’alliance étaient fréquents, souvent liés à un événement particulier. Les expéditions sultaniennes – ou seulement leur annonce – incitaient à prendre parti pour le sultan car son armée était infiniment supérieure en nombre aux factions des émirs en Syrie148. Dans l’histoire de la nawrūziyya, quelques événements provoquèrent de tels retournements : la prise de Damas par Šayḫ en 810/1407-1408149, la fuite de Nawrūz vers Antioche en ǧumādā I 811/octobre 1408150, la trahison de Baysān en 812/1409-1410151, l’investiture officielle à Damas en 812/1409-1410152, la bataille du Caire en 813/1410-1411153, la défaite lors du siège d’al-Karak en 813/1411154, la désertion de l’avant-garde de l’armée sultanienne et la bataille d’al-Laǧǧūn en 815/1412155. Chacun de ces événements fut l’occasion d’une forte recomposition des alliances : plusieurs émirs influents choisissant à ces occasions de prendre le parti de Nawrūz ou de le déserter, renversant le rapport de force, parfois bien avant la bataille, parfois sans même que les armées ne se rencontrent. La seule rumeur ou la prévision d’un potentiel renversement du rapport de force tendait à le renverser effectivement car, même en temps de guerre, les principes du système clientéliste mamlouk prévalaient, où l’essentiel n’était pas la loyauté au chef mais sa capacité à garantir sa parole, à assurer que ses promesses seraient tenues et que son parti s’emparerait du pouvoir.

  • 156 MaSu, 4, p. 73 ; ITBN, 6, p. 198.
  • 157 ITBN, 6, p. 224.

107D’une façon générale, les chefs de guerre acceptaient le soutien des émirs qui les avaient lâchés auparavant. On en a vu plusieurs exemples. Tamurbuġā al-Mašṭūb fut longtemps l’égal de Nawrūz dans le parti de Ǧakam et l’a soutenu après la mort de ce dernier. En ǧumādā I 811/octobre 1408, il décida toutefois de se soumettre au sultan, ce qui provoqua la fuite de Nawrūz156. Un an plus tard, en ǧumādā I 812/septembre-octobre 1409, il faisait partie des émirs qui désertèrent la faction de Šayḫ al-Maḥmūdī pour l’émir Nawrūz en apprenant qu’il était rentré en grâce et avait obtenu l’investiture officielle pour le gouvernorat de Damas157. Nawrūz l’accepta sans broncher. Cette tolérance était due au besoin d’alliés dont chaque chef de guerre témoignait car aucun ne parvenait à réunir assez d’hommes pour s’emparer du pouvoir seul : les factions de la polyarchie et de la troisième guerre interne étaient plus petites que celles des deux premières guerres internes et ne pouvaient espérer le succès sans coalition. Mais une telle tolérance était aussi due à la conscience qu’avait chacun des acteurs politiques qu’ils pratiquaient le même jeu opportuniste : en principe, un retournement d’alliance était accepté comme normal si la situation était difficile.

  • 158 Les factions de Yašbak-Šayḫ et Ǧakam-Nawrūz étaient les deux plus grandes, mais il en existait bi (...)
  • 159 Les textes arabes donnent l’expression ra’s al-fitna ou, plus souvent au pluriel, ru’ūs al-ḥurūb (...)
  • 160 Au total, 126 émirs ont déserté leur camp au cours d’une fitna, sur 687 émirs ayant participé à d (...)
  • 161 MaD, 3, p. 534.
  • 162 ITBM, 12, p. 130-131.

108Sur les quatre-vingt-treize partisans de Nawrūz, le tiers (trente, soit 32,5 %) changea de camp au cours d’une de ses fitna-s158, et bien plus encore changèrent de parti entre deux fitna-s ou pendant des fitna-s menées par d’autres condottieri159. Le réseau de Nawrūz n’a donc rien de figé, bien au contraire, la proportion d’émirs ayant changé de camp pendant une fitna est particulièrement élevée160. Il était composé d’émirs assez mouvants et de peu d’obédience. L’instabilité était sans doute sa force (et non sa faiblesse) : sa capacité à attirer les émirs indépendants. On lui trouve peu de fidèles, et même Yašbak al-Sāqī, un des rares émirs à l’avoir systématiquement soutenu, finit par rallier le sultan al-Mu’ayyad Šayḫ lorsqu’en 816/1413, celui-ci assiégeait Nawrūz dans la citadelle de Damas, provoquant la stupéfaction de son patron161, alors qu’un autre de ses loyaux clients, Yašbak ibn Azdamur combattit jusqu’à la fin et fut exécuté avec lui162.

  • 163 MaSu, 4, p. 127.
  • 164 ITBM, 8, p. 68-70.
  • 165 ITBN, 6, p. 233.

109Selon les circonstances, des hommes pouvaient ponctuellement lui être fidèles dans l’adversité en dépit des hostilités qu’ils avaient connues par le passé – et qu’ils devaient connaître dans l’avenir. Ce fut le cas du Turcoman ‘Alī Bak ibn Dulġādir, un des seuls officiers du sultanat à ne pas l’abandonner pendant le siège de Ḥamāh par Šayḫ al-Maḥmūdī en 812/1409-1410163, alors que Nawrūz avait brisé le siège que ‘Alī Bak avait posé autour d’Alep deux ans plus tôt164 et que ce dernier devait le vaincre à Abulustayn l’année suivante en ša‘bān 813/décembre 1410165. Une telle loyauté n’était pas due à une affection réciproque mais à la conscience que l’ennemi commun était trop dangereux pour les deux et que la défaite de l’un allait entraîner la ruine de l’autre. Nawrūz savait donc attirer des alliés soit en leur faisant miroiter un commun espoir, soit quand la nécessité les opposait à un ennemi commun. Il faut dire qu’avec trente-deux partisans qui atteignirent l’émirat de 100 avant la mort de Faraǧ, on ne saurait négliger l’attraction que sa faction exerçait envers les hommes puissants et ambitieux.

110La nawrūziyya fut donc fortement instable pendant les guerres internes. Si, de toute évidence, les mamlouks de Nawrūz et quelques clients loyaux en constituaient le cœur, la maison, la plupart de ses adhérents n’étaient pas attachés à Nawrūz par un lien indéfectible. Outre les partisans de ses alliés et les clients de l’émir Ǧakam min ‘Iwaḍ qui rallièrent massivement Nawrūz après sa mort, la nawrūziyya était donc principalement composée d’émirs attirés par les espoirs suscités par le sort de la guerre ou ce qu’ils croyaient en savoir. L’opportunisme était de règle, parmi les alliés comme parmi le chef de la faction, il était intégré dans les pratiques clientélistes comme dans les pratiques guerrières qui semblaient calquées sur les premières. Il était accepté par tous comme une norme comportementale, une pratique normale dans l’habitus émiral, non seulement parce que chaque émir s’y reconnaissait comme un pair dans l’arène politique et reconnaissait donc l’autonomie de chacun des acteurs dans ce jeu plural, mais encore parce que la constitution de coalitions était nécessaire, au regard de la petitesse des factions de cette période, et qu’il fallait donc tolérer que ces coalitions entre égaux évoluassent au gré des rapports de force. La force d’une faction comme la nawrūziyya n’était donc pas sa stabilité, ni son extension dans l’absolu, mais sa capacité d’attraction parmi le milieu des émirs, le charisme personnel du chef et son audace y jouant probablement un grand rôle, la fermeté de ses ambitions sûrement.

E. La question du financement des factions

111Cette capacité d’attraction reposait aussi sur la puissance financière d’un émir. Chaque émir possédait des biens et des trésors qu’il cachait soigneusement et grâce auxquels il rémunérait ses partisans. Mais, dans un contexte d’exacerbation et de persistance des conflits, les besoins financiers augmentèrent. La territorialisation de la fitna offrit de nouvelles ressources pécuniaires aux émirs belligérants.

  • 166 MaSu, 4, p. 57, 59 ; ITBN, 6, p. 190-191.
  • 167 MaSu, 4, p. 72, 118 et 136.
  • 168 MaSu, 3, p. 1160.
  • 169 MaSu, 4, p. 72. Šayḫ al-Maḥmūdī venait alors de s’emparer de la ville de Damas contre Nawrūz al-Ḥ (...)
  • 170 MaSu, 4, p. 91-92 et 108.
  • 171 MaSu, 4, p. 139-140.
  • 172 MaD, p. 513-518.
  • 173 ITBN, 6, p. 183 ; MaSu, 4, p. 38-39. Il était alors opposé à l’émir Šayḫ al-Maḥmūdī qui était maî (...)
  • 174 ITBM, 12, p. 34-38.

112Les rebelles n’hésitaient pas à extorquer les biens des populations civiles. Pendant leur fitna de 810/1408, Šayḫ al-Maḥmūdī et Yašbak al-Ša‘bānī extorquèrent des biens à la population de Ḥimṣ166 et de Damas. Après la mort de Yašbak, de 811/1409 à 813/1411, Šayḫ ne cessa d’imposer aux Damascènes ou aux Bédouins de Syrie toutes sortes de taxes et d’extorsions pour financer ses rébellions167. La domination temporaire d’une ville amenait le chef de guerre à en tirer le plus de profit possible en forçant ses notables à lui céder leurs biens. De plus, avec l’éclatement de la troisième guerre interne (806-813/1406-1411), la main sur les waqf-s passa localement à certains émirs rebelles. Les riches fondations pieuses de Damas étaient l’objet de toutes les convoitises et déterminaient sans doute en partie la centralité de cette ville dans les conflits successifs : pendant tout le second règne de Faraǧ, Damas fut le cœur de la fitna. À la fin du mois de ḏū l-qa‘da 807/mai 1405, l’émir Šayḫ al-Maḥmūdī et ses alliés préparèrent une expédition vers Le Caire contre le sultan, et levèrent des taxes sur tous les villages damascènes, y compris ceux constitués en fondation pieuse. Les juges de la ville rachetèrent ces taxes contre 2 000 dinars168. Le procédé fut répété par le même émir Šayḫ quatre ans plus tard, le 1er rabī‘ II 811/24 août 1408169. Le 2 muḥarram 812/17 mai 1409, face à la cinquième expédition du sultan Faraǧ en Syrie, il eut l’intention de transformer des waqf-s de Damas en iqṭā‘-s pour ses partisans. Les juges ne les lui cédèrent pas et n’acceptèrent finalement de lui laisser qu’un tiers des revenus de ces biens. En somme, le projet de conversion des waqf-s fit place à une taxation exceptionnelle, signifiant l’échec partiel de l’action du rebelle. L’affaire n’en resta pas là. Après la défaite de Šayḫ al-Maḥmūdī à Ṣarḫad, Baktamur Ǧulaq gouverna Damas pour le compte du sultan et répondit positivement aux plaintes des juges en leur restituant ce qui avait été taxé sur les villages en waqf-s170. L’année suivante, alors que Šayḫ al-Maḥmūdī était à nouveau en rébellion contre le sultan Faraǧ, la question de la taxation illégale et de la confiscation des waqf-s de Damas demeurait un des principaux griefs légaux que le sultan reprocha à l’émir. Celui-ci répondit que les waqf-s confisqués étaient ruinés, que le culte n’y était plus pratiqué et que les ayants-droit n’en étaient pas dignes, ce qui faisait de la confiscation une opération légale – il est possible que ce discours attribué à Šayḫ al-Maḥmūdī fût, en fait, celui d’al-Maqrīzī, destiné à légitimer les confiscations opérées par le rebelle. Dans cette réponse, Šayḫ ajouta qu’il ne faisait cela que parce qu’il était pauvre et impuissant, prouvant s’il était besoin que l’objectif de l’opération consistait bien en son enrichissement propre et en une incitation au ralliement de ses partisans171. De son côté, Nawrūz al-Ḥāfiẓī n’était pas en reste. À vrai dire, avant même l’émir Šayḫ, il ordonna la conversion arbitraire de waqf-s en iqṭā‘-s – reprenant ainsi un projet évoqué par le sultan Barqūq des décennies auparavant. Ainsi, en raǧab 809/décembre 1406, l’émir Nawrūz al-Ḥāfiẓī, alors maître de Damas et décidé à reconstruire la citadelle ruinée depuis l’invasion de Tamerlan172, réquisitionna les populations et collecta des fonds par tous les moyens, notamment sur les revenus des waqf-s. Il profita de l’occasion pour confisquer ces waqf-s et les transformer en iqṭā‘-s pour ses partisans, ainsi que certaines propriétés privées173. C’est vraisemblablement grâce à ce procédé que les revenus des iqṭā‘-s de Nawrūz atteignirent des niveaux extrêmement élevés, à savoir entre 240 000 et 360 000 dinars par an174.

113La conversion des terres inaliénables en terres usufruitières montre que le système de l’iqṭā‘ restait le modèle de financement de l’armée : ni Šayḫ ni Nawrūz ne se contentèrent de distribuer de l’argent à leurs partisans ; ni l’un ni l’autre ne donnèrent simplement en propriété privée les waqf-s à leurs partisans. Le système de l’iqṭā‘, dont ils avaient pris le contrôle localement, leur laissait en effet la haute main sur les ressources car ils pouvaient éventuellement récupérer l’usufruit sur ces terres légalement – c’est-à-dire sans confisquer des propriétés privées. C’était un moyen de fidéliser les partisans. Ceux-ci n’étaient pas seulement attachés à leur patron par un bienfait passé leur laissant la liberté de déserter sans perdre le bénéfice d’un don ou d’une nafqa, mais ils étaient maintenus dans la dépendance du chef de la faction, qui gardait le contrôle de leurs revenus. La loyauté n’était pas une question éthique ni une question d’honneur. Principe fondamental de l’économie politique du sultanat, le système de l’iqṭā‘ était aussi le meilleur moyen de préserver la dépendance des clients envers le patron et donc de maintenir les solidarités verticales.

F. La fin de la guerre

  • 175 Voir ITBN, 6, p. 198 : « Il rendait l’un maître de l’autre » (sallaṭa ba‘ḍa-hum ‘alā ba‘ḍ).

114Pendant une partie de la troisième guerre interne, Faraǧ utilisa l’un contre l’autre Šayḫ et Nawrūz175, ne s’ingérant dans le conflit que pour décerner diplômes et robes d’investiture à l’un ou à l’autre, son seul espoir étant que le camp qui le représentait fût victorieux. L’arme du sultan était donc sa légitimité et son autorité symbolique. Comme le sort des armes changea souvent pendant cette période, il envoya de nouveaux diplômes à chaque changement du rapport de force, de façon à faire en sorte, non que son représentant soit le vainqueur mais que le vainqueur soit son représentant. En agissant de la sorte, il avait certes évincé les factions de son audience mais il les percevait encore comme des acteurs acceptables dans l’arène syrienne.

  • 176 MaSu, 4, p. 10-12 ; ITBN, 6, p. 173-174.
  • 177 Par exemple Šāhīn al-Zardakāš (no 945) ou l’eunuque Kāfūr al-Zimām (no 555).
  • 178 Il avait participé à trois expéditions lors de son premier règne : la première jusqu’à Damas avec (...)

115Ce n’est qu’en 809/1406-1407, trois ans après le début de la guerre syrienne, après une vaine tentative de mettre fin à la guerre par la négociation et l’attribution d’offices à tous les belligérants176, que la position du sultan se radicalisa : il tolérait de moins en moins l’insubordination. D’arbitre jouant du légalisme comme d’un instrument en faveur de son pouvoir, le sultan était devenu un chef de faction, dans laquelle il avait ses fidèles177, mais où il devait craindre aussi les défections des partisans opportunistes. Il n’était plus le garant des institutions mais un des compétiteurs pour le pouvoir, misant sur la destruction des autres au lieu d’organiser la scène politique. En somme, en récusant le fonctionnement négocié et la pluralité des factions, Faraǧ transforma le sultanat en une faction qui œuvrait à l’établissement de son propre istibdād, à l’exclusion des autres. Il rencontra un succès militaire certain lors des cinq expéditions qu’il mena en Syrie pendant son second règne178 :

  • du 12 rabī‘ I au 11 raǧab 809/27 août-22 décembre 1406, du Caire à Alep, contre Ǧakam min ‘Iwaḍ, Nawrūz al-Ḥāfiẓī et Īnāl Bāy ;

    • 179 Pour être précis, toutes ces fitna-s connurent des retournements d’alliance. Pour plus de détails (...)

    du 28 muḥarram au 7 rabī‘ II 810/5 juillet-11 septembre 1407, du Caire à Damas, contre Nawrūz al-Ḥāfiẓī (mais avec un retournement d’alliance179) ;

  • du 4 muḥarram au 18 rabī‘ II 812/19 mai-30 août 1409, du Caire à Ṣarḫad (en passant par Damas), contre Šayḫ al-Maḥmūdī ;

  • du 22 ṣafar 813/26 juin 1410 au 12 muḥarram 814/6 mai 1411, du Caire à al-Karak, après être allé jusqu’à Abulustayn et Qal‘at al-Rūm, contre Šayḫ al-Maḥmūdī et Nawrūz al-Ḥāfiẓī ;

  • du 14 ḏū l-qa‘da 814 au 12 ṣafar 815/27 février-24 mai 1412, du Caire à Damas, contre Šayḫ al-Maḥmūdī et Nawrūz al-Ḥāfiẓī.

  • 180 Nawrūz à Tripoli, Šayḫ à Alep.

116Mais la résistance des émirs, notamment de Taġrī Birdī, contre la reconcentration de l’autorité au sein de la Maison sultanienne provoqua un échec diplomatique à l’issue duquel Faraǧ dut accepter de réintégrer les rebelles. Le 24 ḏū l-qa‘da 813/20 mars 1411, la paix fut donc contractée à al-Karak, les rebelles obtinrent des gouvernorats180 avec l’interdiction d’octroyer offices et émirats sans en référer au sultan, et la guerre s’éteignit.

  • 181 Karen Barkey, Empire of Difference : The Ottomans in Comparative Perspective, Cambridge, Cambridg (...)

117En conclusion, le second règne de Faraǧ fut une période ambiguë. Le sultan réussit à reconcentrer le patronage au sein de sa maison au Caire, au bénéfice notamment de ses propres administrateurs financiers. À l’image de l’analyse de Karen Barkey sur l’Empire ottoman comme intégration des élites locales par des réseaux verticaux centrés sur le sultan et segmentation des réseaux horizontaux181, la maison souveraine imposait une autorité centralisant les réseaux de solidarité et de fidélité. Mais la structure plurielle de l’élite mamlouke entrait en concurrence avec ce processus de formation de l’État, aussi la fragmentation sociale du milieu émiral en une multitude de petites maisons et de factions se déporta-t-elle de ce fait en Syrie et se mua en fragmentation spatiale. L’expulsion du centre fit de la périphérie le cœur de l’arène politique. Le moyen principal de la force de la faction ne fut plus seulement le contrôle social sur un réseau mais aussi le contrôle territorial sur des villes, des fortifications et des terres arables.

  • 182 On en voit un exemple dans l’interaction instable entre Ǧakam min ‘Iwaḍ (no 397) et Ibn ṣāḥib Alb (...)
  • 183 Premièrement Baybars (no 328) et les Circassiens alliés à Īnāl Bāy (no 535). Deuxièmement Yašbak (...)
  • 184 Cette tendance « visqueuse » à éviter à tout prix la monopolisation du pouvoir a été identifiée p (...)

118La plupart des factions en lice étaient peu importantes, d’où la nécessité de développer les réseaux d’alliance avec d’autres émirs : de nombreuses petites maisons s’opposaient et s’alliaient, au lieu qu’on ait quelques grandes ḫušdāšīyya-s dominantes. Aucune de ces maisons n’était comparable à la puissance du souverain, aucune ne la concurrençait. Comme à l’époque polyarchique, chaque chef de parti menait sa propre fitna. Chaque acteur était un pair sur une scène politique plurielle et tous lui reconnaissaient l’autonomie dans ses décisions – et l’opportunisme y jouait un rôle crucial. Parfois deux chefs s’alliaient, alors, en quelque sorte, leurs fitna-s fusionnaient mais ils pouvaient se séparer par la suite182. Il arrivait que plusieurs factions se retrouvassent simultanément dans l’arène. Cela fut le cas, par exemple, en rabī‘ I 808/septembre 1405, quand la fitna de Baybars al-Ẓāhirī contre Faraǧ opposa en fait quatre factions différentes183. Mais ce qui est remarquable sur l’ensemble de la période, c’est l’équilibre entre les factions opposées, qui est significatif de la « viscosité » du système184 : on choisit son camp soit en espérant être intégré dans la clientèle du chef de guerre, soit à l’inverse pour éviter le monopole d’un émir ou d’un sultan qui atteindrait l’istibdād. L’appât du gain autant que la lutte acharnée pour la survie sociale orientaient les stratégies opportunistes. La force d’un réseau consistait donc moins dans sa stabilité que dans sa capacité d’attraction.

119Bien que deux vastes factions, celles de Yašbak-Šayḫ et de Ǧakam-Nawrūz, réussirent à se maintenir dans le temps et à cristalliser les principaux antagonismes de cette guerre, cela n’empêcha pas nombre d’émirs d’évoluer d’une alliance à l’autre. Dans ces recompositions, la continuité (le croisement de réseaux, la proximité géographique) était la condition de possibilité de la discontinuité, c’est-à-dire du changement de réseau ou de renversement des alliances. Une fois l’action conflictuelle passée, les cartes étaient remises sur table pour une nouvelle donne. Mais cette table n’était jamais rase : elle avait son histoire et ses réseaux, si bien que certaines cartes tombaient du même côté, et que d’autres étaient perdues.

IV. La quatrième guerre interne et la fusion des factions

  • 185 Sūdūn Ṭāz est mort en 805/1403 (no 911), Qānī Bāy al-‘Alā’ī (no 763) et Duqmāq al-Muḥammadī (no 3 (...)

120Alors que la plupart des protagonistes de la troisième guerre interne avaient été tués, que l’élite politique du premier règne de Faraǧ avait été totalement renouvelée pendant le courant de la troisième guerre interne185, et que la paix était acceptée par tous, la guerre éclata à nouveau. Cette fois-ci, le sultan tâcha d’imposer son monopole sur l’autorité et entraîna une réaction presque générale de la part des émirs. Alors que Faraǧ cherchait à promouvoir sa maison propre contre celle de son père, les mamlouks de Barqūq se réunifièrent pour provoquer sa chute. L’effort de reconcentration de l’autorité et du patronage échoua donc face aux ẓāhirī-s.

A. L’opposition de Faraǧ et des ẓāhirī-s

  • 186 Al-Maqrīzī assimile à nouveau les ẓāhirī-s à l’ethnie circassienne, ce qui est contesté par Ibn T (...)
  • 187 MaSu, 4, p. 95.

121Les sources présentent la quatrième guerre interne en termes de ḫušdāšiyya, voire, plus rarement, en termes ethniques186. La ẓāhiriyya, que les sources n’avaient plus mentionnée depuis le règne de Barqūq, réapparaît. À l’instar des ašrafī-s des années 784-786/1382-1384, les ẓāhirī-s apparaissent comme les victimes de l’agressivité du sultan. À partir de 812/1410, les ẓāhirī-s s’éloignèrent de Faraǧ et menacèrent de s’insurger, parce qu’il favorisait trop les mamlouks qu’il avait lui-même importés, se rapprochait d’eux et leur faisait de nombreux cadeaux187. Comme les ẓāhirī-s, sous l’égide de Barqūq, cherchaient à remplacer les ašrafī-s, c’étaient désormais les nāṣirī-s, les mamlouks d’al-Nāṣir Faraǧ, qui menaçaient les ẓāhirī-s.

  • 188 Āqbuġā min Māmiš al-Nāṣirī (no 23), Alṭunbuġā al-Šarīfī al-Nāṣirī al-Baǧmaqdār (no 203), Īnāl al- (...)

122Toutefois, les nāṣirī-s n’apparaissent jamais dans les sources en tant que ḫušdāšiyya constituée car le sultan Faraǧ n’eut pas le temps de les promouvoir : on ne trouve que cinq émirs issus des rangs des mamlouks du sultan Faraǧ avant 815/1412188. Ce n’est d’ailleurs pas la tentative de promotion des mamlouks de Faraǧ qui provoqua la guerre car celle-ci avait éclaté dès 806/1404. Au contraire, c’est probablement dans l’objectif de mettre fin aux querelles intestines et interminables des émirs ẓāhirī-s que Faraǧ décida de construire sa propre maison et de favoriser une nouvelle génération de mamlouks fidèles à son autorité. En somme, la perte de sens de la ḫušdāšiyya ẓāhiriyya dans son hégémonie entraîna la possibilité des querelles internes. Et ces querelles provoquèrent la vaine tentative de promotion des nāṣirī-s. Face à la potentialité d’un nouveau danger issu de l’apparition attendue – mais irréelle – d’une nouvelle ḫušdāšiyya concurrente, les ẓāhirī-s se seraient donc reconstitués en ḫušdāšiyya solidaire contre le sultan.

B. La guerre contre l’istibdād sultanien

  • 189 On ne trouve toutefois que six émirs ẓāhirī-s qui soutinrent (explicitement dans les sources) le (...)
  • 190 ITBN, 6, p. 267.

123Une nouvelle guerre interne éclata quelques mois après la paix d’al-Karak, à la suite de l’irrespect du traité par les rebelles : ils distribuèrent des iqṭā‘-s et des offices à leurs partisans, ce que le traité avait interdit. Le sultan se convainquit que cette félonie n’avait pu avoir lieu qu’à cause du soutien des mamlouks ẓāhirī-s envers les traîtres Šayḫ et Nawrūz, aussi entreprit-il une vaste persécution des ẓāhirī-s qui mena à la reconstitution de la solidarité de cette ḫušdāšiyya pendant le courant de cette nouvelle guerre interne. Le phénomène ne fut pas immédiat : la plupart des ẓāhirī-s continuèrent à soutenir le sultan après 812/1410 et certains restèrent dans son camp tout au long de cette guerre interne (814-815/1412)189. Au moment d’être exécuté par les ennemis de Faraǧ, Bulāṭ amīr ‘alam s’exclama : « Ô ẓāhiriyya protectrice, je suis votre camarade (anā ḫušdāšu-kum). » Ils lui répondirent : « Maintenant tu es notre camarade, mais au moment d’exécuter, tu étais notre ennemi »190. L’esprit de corps était en question : les ẓāhirī-s étaient divisés et l’invocation de la ḫušdāšiyya comme idéal de solidarité ne suffisait pas à faire oublier l’inimitié qui avait opposé ses membres. Bulāṭ fut pourfendu par l’émir Šayḫ al-Maḥmūdī ce 24 muḥarram 815/6 mai 1412.

  • 191 ITBM, 3, p. 403-408 ; MaSu, 4, p. 199 ; ITBN, 6, p. 259.

124La lutte de Faraǧ contre les ẓāhirī-s dans les années 814-815/1412 fut donc réelle, mais elle n’était pas un facteur explicatif de la guerre, seulement un élément de cristallisation des partis. Sur les vingt-deux émirs ẓāhirī-s qui participèrent à cette fitna, la majorité (douze) était favorable au sultan au début du conflit mais la moitié d’entre ceux-ci (six) changea de parti au cours de l’expédition sultanienne. L’unification des ẓāhirī-s n’intervint en fait que tardivement dans le conflit – et ne fut jamais complète – en particulier lorsque l’avant-garde de son armée déserta dans le camp de ses ennemis, en ḏū l-ḥiǧǧa 814/mars-avril 1412191. La guerre de 814-815/1412 était donc une guerre qui commença entre Faraǧ et des gouverneurs syriens qui s’emparèrent des prérogatives sultaniennes, et s’acheva en opposant le sultan et une grande partie de la seconde ẓāhiriyya.

125Ni les émirs, ni les ẓāhirī-s, ni les Circassiens n’étaient unanimes pendant cette fitna car cette guerre, comme les autres, était d’abord une question d’intérêts personnels, où chaque émir évaluait le profit qu’il pouvait tirer en ralliant les rebelles, comparé au risque qu’il prenait en s’opposant au sultan et donc en perdant l’accès aux offices centraux et à l’investiture officielle. Si cette fitna rassembla davantage d’émirs que les précédentes dans les rangs des rebelles, c’est parce qu’ils percevaient la lutte que le sultan menait contre les mamlouks de son père comme une tentative de s’emparer de l’istibdād et donc de ne plus leur laisser voix au chapitre dans la négociation du pouvoir.

C. Concentration de l’autorité sultanienne et réactions émirales

  • 192 MaSu, 4, p. 158.
  • 193 Première guerre interne : 210 pour Barqūq, 169 pour Minṭāš, 86 pour Yalbuġā al-Nāṣirī. Deuxième g (...)

126Toutes les alliances entre Šayḫ al-Maḥmūdī et Nawrūz al-Ḥāfiẓī suivirent cette même logique. En 810-811/1407-1409, les deux émirs s’allièrent contre toute attente au moment où le sultan se lança dans une quatrième expédition syrienne. Il en alla de même en muḥarram 812/mai-juin 1409, à l’annonce de la cinquième expédition du sultan, puis en ḏū l-ḥiǧǧa 812/avril 1410, à l’annonce de la sixième expédition. Lors de chacune de ces fitna-s, et déjà auparavant en 807/1405, seule la fusion des factions de Yašbak-Šayḫ et de Ǧakam-Nawrūz permit aux émirs de résister au sultan. Les deux factions rivales se fédéraient lorsque la toute-puissance du souverain mettait en péril leur jeu syrien. Les alliances entre Šayḫ al-Maḥmūdī et Nawrūz al-Ḥāfiẓī visaient à empêcher le sultan de gagner le monopole du pouvoir sur leur scène politique, à savoir la Syrie. Ils bénéficiaient à ce titre du soutien secret des émirs du Caire qui étaient bien conscients que la perpétuation de la guerre syrienne était le seul moyen d’interdire au souverain de restaurer l’autorité de son père. C’est pourquoi Baktamur Ǧulaq laissa fuir les rebelles vaincus en ramaḍān 813/janvier 1411192, et c’est pourquoi Taġrī Birdī plaida en leur faveur après les sièges de Ṣarḫad et d’al-Karak. Tous les émirs avaient intérêt à la fitna pour le maintien de leur position dans le jeu pluriel du pouvoir, et pour la perpétuation même de ce jeu. Cette stratégie « visqueuse » induisait une poussée inverse à chaque mouvement politique d’ampleur de la part du sultan comme de chaque émir revendiquant le monopole du pouvoir, si bien que les factions opposées pendant chaque guerre interne étaient du même ordre de grandeur du point de vue du nombre d’émirs qui y adhéraient193. Un certain équilibre se dessine dans chacune des fitna-s, d’une part parce qu’aucun leader n’entreprenait une aventure conflictuelle sans avoir l’assurance de regrouper un parti au moins équivalent à son adversaire, d’autre part parce que la viscosité de l’arène politique entraînait autant d’émirs dans la résistance à l’istibdād que dans le soutien à celui-ci. La septième expédition de Faraǧ remit alors en question la segmentation territoriale de la Syrie et le système dans son ensemble s’effondra.

V. Conclusion

127L’œuvre majeure du sultanat de Barqūq fut la restauration de la « haute Demeure », non point par l’imposition d’un pouvoir autocratique mais par la concentration du patronage entre les mains du sultan, ce qui lui permit d’étendre son réseau et son contrôle social sur l’essentiel de l’élite militaire et de la population civile. Face aux anciennes maisons et ḫušdāšiyya, il sut cristalliser une faction puissante autour de ses émirs et mamlouks ẓāhirī-s, et obtint la victoire par le sabre. Il stabilisa son autorité autour de ces ẓāhirī-s – plus qu’autour de l’identité circassienne – qui s’imposèrent comme seuls maîtres des offices, rendant caduque le concept même de ḫušdāšiyya car il ne permettait plus de discriminer personne.

128Pourtant, la concentration du patronage fut toujours confrontée à des tendances à la fragmentation sociale de l’élite militaire, du fait du caractère pluraliste du régime mamlouk, du fait de ses structures fiscales et politico-militaires.

129L’istibdād n’était jamais acquis, il ne définissait jamais un ordre établi mais un processus confronté à des résistances de différentes natures. Premièrement, des résistances internes minèrent l’autorité souveraine car des maisons secondaires d’administrateurs financiers usèrent des ressources nouvelles acquises par le sultanat pour détourner le centre du patronage vers leurs propres maisons, si bien que ces clients de la Maison du sultan émergèrent comme des patrons concurrents du sultan lui-même. Deuxièmement, des forces centrifuges eurent tendance à déconcentrer le patronage : volonté d’établir des istibdād-s concurrents ou résistance à la perte du statut de patron par l’inclusion dans le réseau dominant – en somme, confrontation et viscosité politiques.

130Le règne de Faraǧ connut toutes ces formes de contestation de l’autorité de la Maison sultanienne, révélatrice de cette résilience du pluralisme émiral où chaque acteur était potentiellement autonome, si bien que la société émirale se fragmenta en un grand nombre de petites factions concurrentes. La dissension était devenue le mode de gouvernement, jusqu’à la majorité politique du sultan qui chercha alors à reconstruire sa maison, à développer son réseau et à restaurer l’istibdād sultanien, en excluant les patrons de son premier règne. Il n’y parvint qu’en partie. Le Caire finit par connaître la paix, mais la fragmentation sociale se porta en Syrie pour devenir spatiale. Une longue guerre interne divisa la province où apparurent de nouvelles formes de factions et de nouveaux modes de combat. Confrontés à la raréfaction des ressources, les émirs luttèrent les uns contre les autres pendant tout le règne, selon des stratégies pragmatiques et opportunistes où chaque émir était reconnu comme un acteur politique autonome. Outre le réseau sultanien du Caire, seuls deux réseaux stables surnagèrent de la multitude de petites factions. Ils étaient organisés autour des maisons des émirs Yašbak et Šayḫ d’une part, et d’autre part des émirs Ǧakam et Nawrūz. Ces deux factions étaient les seules qui parvinrent à s’opposer avec fermeté à l’armée sultanienne pour briser la politique monopolistique de Faraǧ, voire à la vaincre et à provoquer la chute du sultan et de sa dynastie.

131La dialectique entre concentration et fragmentation de l’élite militaire, un des moteurs de l’histoire du sultanat mamlouk, se soldait inévitablement par l’échec du premier car les résistances étaient trop prégnantes, et par l’apparition de nouveaux processus d’istibdād-s qui devaient toujours rester inachevés car dépendants des structures pluralistes et négociées de l’autorité dans le régime mamlouk.

Notes

1 Je renvoie aux notices biographiques de ces individus : no 304, 548, 573. Aucun des trois émirs cités n’étaient des mamlouks de Barqūq et Baklamiš fut accusé d’inciter à la sédition.

2 ITBN, 5, p. 395.

3 Fischel, « Ascensus Barcoch », art. cité, p. 73.

4 MaSu, 3, p. 621-623 ; ITBN, 5, p. 418-419.

5 ITBN, 5, p. 487 ; MaSu, 3, p. 673.

6 ITBN, 5, p. 453.

7 MaSu, 3, p. 789 ; ITBN, 5, p. 553.

8 MaSu, 3, p. 834-837.

9 Le sultan n’a ainsi pas siégé au dār al-‘adl pendant un an et demi avant le 4 ša‘bān 797/25 mai 1395. MaSu, 3, p. 834-837.

10 MaSu, 3, p. 589 ; ITBN, 5, p. 395. Une seconde expédition est décidée après la même procédure à la suite de la défaite de Ḫān Lāǧīn quelques mois plus tard. MaSu, 3, p. 600 ; ITBN, 5, p. 402.

11 ITBN, 5, p. 497.

12 MaSu, 3, p. 615.

13 Par exemple au sujet d’Ibn Kātib Arlān : yastabidda bi-l-umūr min ġayri mušāwara (« Il dirigeait seul les affaires, sans délibération »). MaSu, 3, p. 486. Voir aussi le discours de Minṭāš qui formule l’opposition entre istibdād et ittifāq. ITBN, 5, p. 463 ; MaSu, 3, p. 644.

14 Huit grands chambellans sont mentionnés mais trois cas sont douteux. Voir en annexe la liste des officiers du sultanat.

15 Je renvoie aux listes d’officiers du sultanat en annexe.

16 Ṭuġaytamur al-Qiblāwī, nommé le 2 rabī‘ I 791/1er mars 1389 (no 1065).

17 MaSu, 3, p. 936 ; ITBN, 5, p. 595.

18 Holt, « The Sultanate », art. cité, ici p. 530-532.

19 Al-Maqrīzī dit qu’Aytamiš s’accorda avec les puissants pour « maintenir les affaires du gouvernement comme elles étaient » (MaSu, 3, p. 961), et al-‘Aynī confirme qu’il nomma tous les émirs aux postes qu’ils tenaient sous le règne de Barqūq et ne soutenait pas ceux qui voudraient changer les règles (Al-‘Aynī, ‘Iqd al-Ǧumān, op. cit., fo 24 a).

20 Al-‘Aynī, ‘Iqd al-Ǧumān, op. cit., fo 24 b.

21 MaSu, 3, p. 963 ; ITBN, 6, p. 6.

22 MaSu, 3, p. 966-968.

23 MaSu, 3, p. 964.

24 MaSu, 3, p. 965-966 ; ITBN, 6, p. 8.

25 ITBN, 6, p. 11.

26 MaSu, 3, p. 982 ; ITBN, 6, p. 12.

27 ITBN, 6, p. 12.

28 MaSu, 3, p. 984 ; ITBN, 6, p. 13. Ibn Taġrī Birdī se contredit sur la position du gouverneur d’Alep.

29 Yašbak al-Ša‘bānī et Quṭlūbuġā al-Karakī avaient, de ce fait, un accès direct au sultan et pouvaient le manipuler.

30 MaSu, 3, p. 985 ; ITBN, 6, p. 13-14.

31 MaSu, 3, p. 986 ; ITBN, 6, p. 15.

32 MaSu, 3, p. 1010 ; ITBN, 6, p. 33-36.

33 Voir les pics à l’année 802/1400 sur les trois histogrammes en annexe.

34 MaSu, 3, p. 858.

35 Fitna de ‘Alī Bāy en 800/1398 et fitna de Nawrūz al-Ḥāfiẓī en 801/1399.

36 Emprisonné par Barqūq au début de l’année 801/1399, il fut libéré par les ḫāṣṣakī-s le 20 rabī‘ I 802/20 novembre 1399 après la défaite d’Aytamiš. MaD, 3, p. 513-518 ; ITBM, 12, p. 34-38 ; MaSu, 3, p. 919, 992 ; ITBN, 5, p. 587, 589 ; 6, p. 23.

37 Tous les partisans de ‘Alī Bāy furent exécutés entre 800/1398 et 803/1401, même l’émir Muḥammad ibn Maḥmūd al-ustādār est exécuté en 810/1408 après s’être caché pendant dix ans à Damas. ITBN, 6, p. 286-287.

38 Yašbak al-Ša‘bānī dominait la faction, secondé par Sūdūn Ṭāz, et collaborait avec Sūdūn min Zādah, Ǧarkas al-Qāsimī al-Muṣāri‘, Āqbāy min Ḥasan Šāh, Bašbāy. MaSu, 3, p. 982 ; ITBN, 6, p. 12.

39 Le discours que Yašbak tint à ses hommes est explicite : « Même s’il est vrai que ce sont nos ḫušdāš, ils sont maintenant devenus des étrangers » (ITBN, 6, p. 18).

40 MaSu, 3, p. 987 ; ITBN, 6, p. 18-19.

41 ITBM, 4, p. 172.

42 Fischel, « A New Latin Source », art. cité, p. 212.

43 ITBN, 6, p. 26.

44 MaSu, 3, p. 989 ; ITBN, 6, p. 22.

45 MaSu, 3, p. 968 ; ITBN, 6, p. 10.

46 MaSu, 3, p. 996 ; ITBN, 6, p. 27.

47 ITBN, 6, p. 27.

48 Ayalon, « Studies on the Structure of the Mamluk Army », art. cité, 15/1, p. 215.

49 ITBN, 6, p. 26.

50 MaSu, 3, p. 1032.

51 ITBN, 6, p. 47.

52 ITBN, 6, p. 46-47 et 59 ; MaSu, 3, p. 1032 et 1044-1045.

53 Broadbridge, Kingship and Ideology, op. cit., p. 191.

54 Ibid., p. 188.

55 Piloti, L’Égypte au commencement, op. cit., p. 120.

56 D’après Broadbridge, Kingship and Ideology, op. cit., p. 193 ; id., « Royal Authority », art. cité, p. 236.

57 Broadbridge, Kingship and Ideology, op. cit., p. 5.

58 ITBN, 6, p. 59-60.

59 MaSu, 3, p. 969 ; ITBN, 6, p. 10. Voir aussi Walker, « Popular Responses », art. cité, ici p. 55. Elle cite Ibn Qāḍī Šuhba qui ajoute que les grands émirs et les ḫāṣṣakī-s participaient à cette assemblée et qu’ils décidèrent que cet argent devait « être dépensé pour le bénéfice des musulmans », non sans hypocrisie. Voir IQŠ, 4, p. 25-26.

60 ITBN, 6, p. 68.

61 MaSu, 3, p. 1003.

62 MaSu, 3, p. 1089 ; ITBN, 6, p. 100.

63 Comme sous les derniers Qalāwūnides. Voir Van Steenbergen, Order, op. cit., p. 57.

64 Peut-être faut-il traduire par « parenté ». Le terme qirāba est ambigu et Īnāl Bāy était à la fois cousin au deuxième degré et beau-frère de Faraǧ. Voir en annexe l’arbre généalogique no 5, « Famille Ānaṣide (arbre simplifié) ».

65 MaSu, 3, p. 1136.

66 ITBN, 6, p. 166.

67 ITBN, 6, p. 166.

68 ITBM, 12, p. 191.

69 ITBM, 1, p. 109.

70 Voir le tableau 10 : « Les gouvernements de l’Égypte sous le sultan Faraǧ ».

71 Sur les 37 émirs qui soutenaient Yašbak pendant la période polyarchique ou la troisième guerre interne, 30 se retrouvèrent, à un moment, partisans de Šayḫ al-Maḥmūdī. Voir les notices no 29, 104, 172, 197, 206, 249, 268, 310, 412, 429, 450, 486, 491, 498, 539, 617, 735, 848, 891, 894, 909, 916, 918, 949, 1025, 1070, 1114, 1126, 1130, 1131.

72 Par exemple les émirs Sūdūn al-Ḥamzāwī (no 894), Bašbāy min Bākī (no 324), Timrāz al-Nāṣirī (no 1025), Ǧārkas al-Qāsimī al-Muṣāri‘ (no 429), etc.

73 Ǧakam (no 397) est un des protagonistes d’une dizaine de fitna-s pendant ces cinq années. Parmi ces neuf émirs, un cas incertain : Alṭunbuġā min Sayyidī (no 199).

74 MaSu, 3, p. 1062 ; ITBN, 6, p. 87.

75 MaD, 1, p. 574-580 ; IḤI, 6, p. 24-27 ; MaSu, 3, p. 1037 et 1057 ; ITBN, 6, p. 72.

76 Autant la fitna de Šayḫ Lāǧīn avait une portée programmatique, autant son réseau politique perdit ses ambitions réformistes pour devenir une simple faction destinée à mener Ǧakam puis Nawrūz au pouvoir. Le seul aspect lāǧīnien que conserva cette faction était l’ambition du sultanat qu’atteignit Ǧakam en 809/1407 et que convoita Nawrūz. Mais rien ne prouve que Ǧakam ait mis en pratique le programme de Šayḫ Lāǧīn. Les sources disent seulement qu’il gouverna avec justice, ce qui semble indiquer qu’il n’a pas suivi le programme – tant critiqué par les chroniqueurs – pour lequel il s’était battu six ans plus tôt. Voir ITBM, 4, p. 313-324 ; MaD, 1, p. 574-580 ; IḤI, 6, p. 24-27.

77 ITBM, 4, p. 313-324 ; ITBN, 6, p. 173 ; MaD, 1, p. 574-580 ; MaSu, 4, p. 41

78 MaSu, 4, p. 136.

79 29 des 54 émirs partisans de Ǧakam soutiennent Nawrūz, dont 6 des 9 partisans de Šayḫ Lāǧīn, les trois autres étant Šayḫ Lāǧīn lui-même (no 584), qui meurt dès 803/1401, Alṭunbuġā min Sayyidī (no 199) que les sources ne mentionnent qu’une seule fois à l’occasion de son exil après la fitna de Šayḫ Lāǧīn, et Sūdūn al-Ṭayyār (no 910) qui soutient Ǧakam en 803/1401 et en 807/1405, mais se range ensuite systématiquement dans le camp du sultan Faraǧ jusqu’à sa mort en 810/1408. Les 29 partisans de Ǧakam puis de Nawrūz sont indexés aux notices no 58, 169, 184, 208, 224, 249, 321, 350, 405, 450, 539, 747, 752, 763, 809, 820, 829, 893, 894, 916, 917, 949, 1001, 1025, 1040, 1097, 1126, 1128, 1131.

80 Tous les autres individus qui ont soutenu l’un et l’autre sont en fait restés dans leur faction initiale et n’ont soutenu le second que lors d’alliances entre les deux factions.

81 Nawrūz eut d’abord une attitude ambiguë puis partit intercéder pour obtenir la paix auprès de Ǧakam mais resta dans son camp et participa à la victoire. Voir ITBN, 6, p. 86-89.

82 MaSu, 4, p. 38 ; ITBN, 6, p. 182.

83 MaSu, 3, p. 1157-1158.

84 MaSu, 3, p. 1172 ; ITBN, 6, p. 128 ; ITBM, 3, p. 217-221.

85 MaSu, 3, p. 1172 ; ITBN, 6, p. 128.

86 Dont son « frère » Damurdāš al-Muḥammadī et son īnī (filleul) Qarāǧā al-Baǧmaqdār.

87 En effet, Bašbāy avait été sous les ordres de Baybars en 804/1402 (MaSu, 3, p. 1085), et c’est Baybars qui obtint le retour en grâce de son fidèle allié, Yašbak al-Ša‘bānī, quelques semaines plus tard (MaSu, 3, p. 1174 ; ITBN, 6, p. 130), ce qui donne l’impression d’un jeu ternaire de soutien mutuel. Quant à Uzbak al-Ibrāhīmī, il est soupçonné d’avoir fomenté un attentat contre Faraǧ en pleine fitna de Baybars, un mois plus tard, le 25 rabī‘ I 808/20 septembre 1405, ce qui peut laisser supposer qu’ils étaient alliés (ITBN, 6, p. 133).

88 À savoir les vétérans, la maison de Taġrī Birdī qualifiée de rūmī-e et la maison de Baybars qualifiée de circassienne.

89 Seulement deux complots avortés en šawwāl 812/février 1410 et en raǧab 814/octobre-novembre 1411. L’attaque du Caire par les rebelles syriens les 8-9 ramaḍān 813/5-6 janvier 1411 ne relève pas de la même logique de conflit interne aux émirs cairotes.

90 SḌ, 1, p. 67.

91 On dit d’Ibn Ġurāb que « son pouvoir grandit tellement qu’il allait nécessairement devenir sultan » (SḌ, 1, p. 67) et de Ǧamāl al-Dīn qu’il « ne lui manquait du sultanat que le nom » et qu’« on faisait parfois son panégyrique avec le titre de roi, sans qu’il le fasse corriger, ni ne le reniait » (IḤI, 6, p. 198-202).

92 MaSu, 4, p. 90.

93 La maison de Baktamur Ǧulaq ne fut jamais à la tête d’une faction. J’en parlerai plus loin pour expliquer les guerres syriennes pendant ce règne.

94 ITBM, 12, p. 119-122 ; ITBN, 6, p. 189-190 et 193 ; MaSu, 4, p. 56-57 et 60.

95 ITBM, 12, p. 189-196 ; ITBN, 6, p. 219-220 ; MaD, 3, p. 562-567 ; MaSu, 4, p. 108-109.

96 Aux sièges de Ṣarḫad en 812/1410 et d’al-Karak en 813/1411. MaSu, 4, p. 104 ; ITBN, 6, p. 211-213.

97 De 808/1405 à 814/1412 : un seul vice-roi, un seul capitaine du corps des émirs, trois émirs des armes, trois émirs du conseil, trois grands chambellans, quatre commandants en chef, quatre émirs de l’écurie, quatre porte-écritoire, mais six grands capitaines de la garde : voir en annexe les listes d’officiers.

98 C’est le cas d’Īnāl Bāy (no 535).

99 C’est le cas de Ǧakam min ‘Iwaḍ (no 397), de Sūdūn Ṭāz (no 911), de Qānī Bāy al-‘Alā’ī (no 763), de Yašbak al-Ša‘bānī (no 1130), de Nawrūz al-Ḥāfiẓī (no 747).

100 ITBN, 6, p. 224 et 226-227 ; MaSu, 4, p. 125-128.

101 Ainsi, Ḥusām al-Dīn Ḥasan (no 456) est nommé gouverneur le 27 ǧumādā II 810/29 novembre 1407 mais il n’est pas certain qu’il ait tenu la ville. Quant à Muḥammad al-Turkumānī (no 708), il a été investi deux fois du gouvernorat d’al-Karak sans pouvoir y entrer.

102 MaSu, 3, p. 1001 et 1149.

103 MaSu, 4, p. 174.

104 Ainsi Nawrūz al-Ḥāfiẓī (no 747), nommé gouverneur de Damas le 23 ḏū l-ḥiǧǧa 807/22 juin 1405, ne la prit que le 22 ṣafar 808/19 août 1405, deux ou trois mois avant de la perdre. De même, Sūdūn al-Ǧalab (no 893), investi par l’émir Nawrūz al-Ḥāfiẓī du gouvernorat d’al-Karak le 24 ša‘bān 809/3 février 1407, ne s’en empara que le 22 ǧumādā I 810/25 octobre 1407, sans toutefois parvenir à prendre la citadelle. Il fut destitué par le sultan en ḏū l-qa‘da 811/mars 1409 mais ne céda pas la ville à son successeur désigné.

105 MaSu, 4, p. 145 et ITBN, 6, p. 232.

106 ITBN, 6, p. 233.

107 Les premières mentions de confiscations massives se succèdent pendant la préparation de l’expédition de Minṭāš contre Barqūq, pendant la première guerre interne. Minṭāš avait pris le contrôle du Caire, mais Barqūq avait repris la guerre en Syrie, et le premier dut organiser une expédition pour vaincre le second. Toutefois, il manquait de chevaux et organisa plusieurs confiscations des chevaux des dignitaires religieux et civils d’abord, puis des émirs et awlād al-nās, voire des Bédouins à la fin de l’année 791/1389 (MaSu, 3, p. 677-678, 679, 681 et 690 ; ITBN, 5, p. 486 et 489). De toute évidence, le double conflit qui avait précédé (entre Barqūq et Yalbuġā al-Nāṣirī puis entre Minṭāš et Yalbuġā al-Nāṣirī) avait ruiné Minṭāš. Cet événement a probablement marqué les élites cairotes, mais il était ponctuel, et on ne compte pas d’autres confiscations massives pendant cette guerre, sinon des biens des ennemis vaincus.

108 Pillages de villes : Qaṭyā en 804/1402 et 813/1411 (MaSu, 3, p. 1138 ; 4, p. 151) ; Gaza en 804/1402, 807/1405 et 813/1411 (MaSu, 3, p. 990-991 ; ITBN, 6, p. 22) ; Ba‘labakk en 812/1410 (MaSu, 4, p. 120) ; Suez et Naḫl en 813/1411 (MaSu, 4, p. 155 ; ITBN, 6, p. 238).

109 MaSu, 4, p. 102 et 105 ; ITBN, 6, p. 207.

110 MaSu, 4, p. 135.

111 Dans un premier temps, un émir confisque l’orge, puis le sultan le lui extorque. Peu après, il mène lui-même les extorsions, mais rend de l’orge aux paysans pour qu’ils cultivent le fourrage pour ses chevaux. Voir MaSu, 4, p. 138 et 141.

112 Il fait payer trois mois de loyer aux caravansérails (ḫān-s), bains, moulins, boutiques et jardins. Puis il fait confisquer les héritages des Damascènes, puis confisque la production de leurs jardins. Baktamur Ǧulaq, son représentant, impose aux juges et marchands de fournir des cottes de maille. Voir MaSu, 4, p. 156, 159, 162 et 185. Notons que pendant la même expédition, le sultan met à sac la ville de ‘Aqrabā dans le Golan. Voir MaSu, 4, p. 159.

113 MaSu, 4, p. 192 ; ITBN, 6, p. 251.

114 MaSu, 4, p. 192-193 ; ITBN, 6, p. 251.

115 Garcin, Qūṣ, op. cit., p. 465-468 et 477.

116 L’auteur explique que cette politique trouve ses racines dès le règne de Faraǧ. Francisco Apellaniz, Pouvoir et finance en Méditerranée pré-moderne. Le deuxième État mamelouk et le commerce des épices (1382-1517), Barcelone, CSIC, 2009, p. 58-59 et 269.

117 À savoir : le sultan Faraǧ (no 387), Duqmāq al-Muḥammadī (no 383), Damurdāš al-Muḥammadī (no 376), Yašbak al-Ša‘bānī (no 1130), Īnāl Bāy ibn Qaǧmās (no 535), Šayḫ al-Maḥmūdī (no 949), Ǧakam min ‘Iwaḍ (no 397), Baybars al-Ẓāhirī (no 328), Taġrī Birdī al-Bašbuġāwī (no 976), Arġūn Šāh al-Bašbuġāwī (no 227), Nawrūz al-Ḥāfiẓī (no 747), Baktamur Ǧulaq (no 310).

118 Dont le sultan ‘Abd al-‘Azīz, un enfant, qui ne saurait être compté parmi les protagonistes réels.

119 L’étude des factions mamloukes a donné lieu à différentes recherches dont la dernière en date est probablement la thèse de doctorat d’Amir Mazor, consacrée à la Manṣūriyya, les mamlouks du sultan al-Manṣūr Qalāwūn (678-689/1279-1290). Mazor, The Rise and Fall, op. cit.

120 Irwin, « Factions in Medieval Egypt », art. cité.

121 Ibid., p. 231.

122 ITBM, 1, p. 104-112 ; ITBN, 6, p. 91-92 ; MaD, 1, p. 92-100.

123 ITBN, 6, p. 219-220.

124 ITBM, 7, p. 314-318 ; MaD, 2, p. 304-311.

125 ITBN, 6, p. 195.

126 MaSu, 4, p. 139-140.

127 Yašbak al-Aytamišī, mentionné dans le parti de Šayḫ dans MaSu, 4, p. 122.

128 Ǧānibak dawādār al-Ḥamzāwī. Voir MaSu, 4, p. 119. Sūdūn al-Ḥamzāwī (no 894) a été exécuté en 810/1408 après avoir participé à plusieurs factions différentes (dont celle de Šayḫ al-Maḥmūdī) et avoir dirigé lui-même, en 804/1402, son propre parti.

129 MaSu, 4, p. 21 et 125-127.

130 MaSu, 4, p. 125-127.

131 Voir les notices no 486 et 941 de la prosopographie sur Halshs : https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-01884133

132 MaSu, 4, p. 101-102 ; ITBN, 6, p. 206.

133 ṢN, 2, p. 296-297 ; MaSu, 4, p. 95-96 et 148 ; ITBN, 6, p. 203 et 232-233.

134 ITBM, 6, p. 263-312.

135 Uzbak al-Ẓāhirī al-Dawādār (no 1097) et Birdbak al-Sayfī Nawrūz (no 352).

136 ITBN, 6, p. 96.

137 MaSu, 3, p. 1099.

138 Asanbāy al-Turkumānī (no 249), Ǧaqmaq al-Ṣafawī (no 415), Īnāl Bāy ibn Qaǧmās (no 535), Sūdūn al-Ǧalab (no 893), ‘Umar ibn al-Ṭaḥḥān (no 1091), Sawanǧ ṣihr Tanam (no 874). Voir les notices biographiques de ces émirs dans ma prosopographie sur Halshs : https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-01884133

139 Par exemple Muqbil al-Rūmī al-Ẓāhirī (no 726) ou Damurdāš al-Muḥammadī (no 376).

140 Sur les 37 émirs qui soutinrent Yašbak pendant la période polyarchique ou la troisième guerre interne, 31 se retrouvèrent, à un moment, partisans de Šayḫ al-Maḥmūdī.

141 Notamment les émirs Ǧumaq (no 450), Qumuš al-Ḥāfiẓī (no 820), Qurmuš al-Ẓāhirī (no 811).

142 MaSu, 4, p. 75 ; ITBN, 6, p. 199.

143 MaSu, 4, p. 57 ; ITBN, 6, p. 190.

144 Par exemple, quand l’émir Šayḫ al-Sulaymānī, gouverneur de Tripoli, apprit que le sultan avait nommé un autre émir à son poste, ses partisans se dispersèrent. MaSu, 3, p. 1158.

145 MaSu, 4, p. 75 ; ITBN, 6, p. 199.

146 ITBM, 6, p. 118-121.

147 Voir la notice biographique no 310 dans ma prosopographie sur Halshs : https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-01884133

148 C’est le cas des émirs qui désertèrent Nawrūz pour Šayḫ à Damas en 810/1408 : c’est moins l’armée de Šayḫ qui les inquiétait que l’armée sultanienne qui le suivait (4e expédition). D’autres émirs désertèrent vers le sultan pendant des expéditions sultaniennes comme Sūdūn Buqǧa (no 891) pendant la 3e expédition (ITBM, 6, p. 156-159), Sūdūn al-Yūsufī (no 916) pendant la 5e expédition (MaSu, 4, p. 101) ou Timrāz al-Nāṣirī (no 1025) pendant la 6e expédition (MaSu, 4, p. 148 ; ITBN, 6, p. 232-233).

149 MaSu, 4, p. 54-55 ; ITBN, 6, p. 188.

150 MaSu, 4, p. 75 ; ITBN, 6, p. 199.

151 MaSu, 4, p. 95-96 ; ITBN, 6, p. 203.

152 ITBN, 6, p. 224.

153 MaSu, 4, p. 152-155 ; ITBN, 6, p. 233-238.

154 MaSu, 4, p. 163-164 ; ITBN, 6, p. 241-242.

155 ITBN, 6, p. 259.

156 MaSu, 4, p. 73 ; ITBN, 6, p. 198.

157 ITBN, 6, p. 224.

158 Les factions de Yašbak-Šayḫ et Ǧakam-Nawrūz étaient les deux plus grandes, mais il en existait bien d’autres, aussi, de nombreuses désertions et changements de camp eurent lieu entre la nawrūziyya et d’autres factions plus petites, voire le parti du sultan.

159 Les textes arabes donnent l’expression ra’s al-fitna ou, plus souvent au pluriel, ru’ūs al-ḥurūb wa l-fitan.

160 Au total, 126 émirs ont déserté leur camp au cours d’une fitna, sur 687 émirs ayant participé à des fitna-s, soit 18,3 %.

161 MaD, 3, p. 534.

162 ITBM, 12, p. 130-131.

163 MaSu, 4, p. 127.

164 ITBM, 8, p. 68-70.

165 ITBN, 6, p. 233.

166 MaSu, 4, p. 57, 59 ; ITBN, 6, p. 190-191.

167 MaSu, 4, p. 72, 118 et 136.

168 MaSu, 3, p. 1160.

169 MaSu, 4, p. 72. Šayḫ al-Maḥmūdī venait alors de s’emparer de la ville de Damas contre Nawrūz al-Ḥāfiẓī, vaincu à la bataille de Sa‘sa‘. Il avait l’investiture du sultan pour être gouverneur de la ville.

170 MaSu, 4, p. 91-92 et 108.

171 MaSu, 4, p. 139-140.

172 MaD, p. 513-518.

173 ITBN, 6, p. 183 ; MaSu, 4, p. 38-39. Il était alors opposé à l’émir Šayḫ al-Maḥmūdī qui était maître de Ṣafad.

174 ITBM, 12, p. 34-38.

175 Voir ITBN, 6, p. 198 : « Il rendait l’un maître de l’autre » (sallaṭa ba‘ḍa-hum ‘alā ba‘ḍ).

176 MaSu, 4, p. 10-12 ; ITBN, 6, p. 173-174.

177 Par exemple Šāhīn al-Zardakāš (no 945) ou l’eunuque Kāfūr al-Zimām (no 555).

178 Il avait participé à trois expéditions lors de son premier règne : la première jusqu’à Damas avec les jeunes émirs ḫāṣṣakī-s pendant la deuxième guerre interne en 802/1400 ; la deuxième jusqu’à Damas pour s’opposer à l’invasion de Tamerlan en 803/1401 ; la troisième s’arrêta à al-Sa‘īdiyya en ḏū l-ḥiǧǧa 807/juin 1405 en Égypte où son armée fut vaincue par les rebelles Ǧakam min ‘Iwaḍ, Yašbak al-Ša‘bānī et Šayḫ al-Maḥmūdī, avant d’être victorieuse au Caire quelques jours plus tard (MaSu, 3, p. 1163).

179 Pour être précis, toutes ces fitna-s connurent des retournements d’alliance. Pour plus de détails, je renvoie à la liste des fitna-s en annexe.

180 Nawrūz à Tripoli, Šayḫ à Alep.

181 Karen Barkey, Empire of Difference : The Ottomans in Comparative Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 2008.

182 On en voit un exemple dans l’interaction instable entre Ǧakam min ‘Iwaḍ (no 397) et Ibn ṣāḥib Albāz.

183 Premièrement Baybars (no 328) et les Circassiens alliés à Īnāl Bāy (no 535). Deuxièmement Yašbak al-Ša‘bānī (no 1130) et les ex-partisans de la fitna qu’il avait mené avec Šayḫ al-Maḥmūdī (no 949) et Ǧakam min ‘Iwaḍ (no 397) en 807/1405. Troisièmement, Taġrī Birdī (no 976) et les Rūmī-s. Quatrièmement, Faraǧ et quelques émirs fidèles comme Sūdūn Talī (no 909).

184 Cette tendance « visqueuse » à éviter à tout prix la monopolisation du pouvoir a été identifiée par Dominique Barthélemy dans les conflits qui émaillèrent l’histoire des premiers Capétiens en France. Voir Dominique Barthélemy, Nouvelle histoire des Capétiens (987-1214), Paris, Seuil, 2012.

185 Sūdūn Ṭāz est mort en 805/1403 (no 911), Qānī Bāy al-‘Alā’ī (no 763) et Duqmāq al-Muḥammadī (no 383) en 808/1406, Īnāl Bāy (no 535) et Ǧakam min ‘Iwaḍ (no 397) en 809/1407, Yašbak al-Ša‘bānī (no 1130), Sūdūn min Zādah (no 917), Ǧārkas al-Qāsimī al-Muṣāri‘ (no 429), Sūdūn al-Ḥamzāwī (no 894) sont tous les quatre tués en 810/1408, etc. Lors de l’arrivée au pouvoir de la seconde ẓāhiriyya en 802/1400, Šayḫ al-Maḥmūdī (no 949) était un personnage secondaire et Nawrūz al-Ḥāfiẓī (no 747) un acteur central mais en prison au moment du coup d’État.

186 Al-Maqrīzī assimile à nouveau les ẓāhirī-s à l’ethnie circassienne, ce qui est contesté par Ibn Taġrī Birdī, sans doute parce qu’encore une fois, ce dernier n’a pas la même conception du qualificatif ethnique, qu’il perçoit en termes raciaux, alors qu’al-Maqrīzī le détermine politiquement. Ce qu’al-Maqrīzī qualifie de « circassien », ce sont les mamlouks ẓāhirī-s de Barqūq. Comparer MaSu, 4, p. 228 ; ITBN, 6, p. 273.

187 MaSu, 4, p. 95.

188 Āqbuġā min Māmiš al-Nāṣirī (no 23), Alṭunbuġā al-Šarīfī al-Nāṣirī al-Baǧmaqdār (no 203), Īnāl al-Šašmānī al-Nāṣirī (no 546), Taġrī Birdī al-Maḥmūdī al-Nāṣirī (no 979), Asanbuġā al-Zardakāš (no 261).

189 On ne trouve toutefois que six émirs ẓāhirī-s qui soutinrent (explicitement dans les sources) le sultan Faraǧ pendant la guerre de 814-815/1412 sans qu’ils ne désertent vers ses ennemis : Arġūn min Bašbuġā (no 227), Damurdāš al-Muḥammadī (no 376), Sūdūn al-Ašqar (no 885), Kumušbuġā al-Ǧamālī (no 571), Muqbil al-Rūmī (no 726), Alṭunbuġā al-‘Uṯmānī (no 206).

190 ITBN, 6, p. 267.

191 ITBM, 3, p. 403-408 ; MaSu, 4, p. 199 ; ITBN, 6, p. 259.

192 MaSu, 4, p. 158.

193 Première guerre interne : 210 pour Barqūq, 169 pour Minṭāš, 86 pour Yalbuġā al-Nāṣirī. Deuxième guerre interne : 52 pour Aytamiš puis 32 pour Tanam face à 23 puis 73 pour les ḫāṣṣakī-s. Polyarchie : 54 pour Ǧakam min ‘Iwaḍ, 36 pour Yašbak al-Ša‘bānī. Troisième et quatrième guerres internes : 100 pour Šayḫ al-Maḥmūdī, 93 pour Nawrūz al-Ḥāfiẓī.

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