Chapitre IX. Facteurs conjoncturels dans l’économie rurale byzantine
p. 445-482
Texte intégral
1L’évolution économique et sociale des campagnes byzantines que nous avons essayé de retracer met en lumière deux phénomènes fondamentaux. D’une part, un mouvement pendulaire qui profite d’abord à la petite et moyenne paysahnerie indépendante, puis conduit à la concentration des terres et de la puissance entre les mains de l’aristocratie, malgré les tentatives de réaction impériale. D’autre part, une très grande constance dans le mode d’exploitation du sol par la petite exploitation familiale. Si l’on veut pousser le raisonnement plus avant, c’est-à-dire confronter les variables à la constante, pour comprendre la logique de fonctionnement de la petite exploitation byzantine, il nous faut tenter de déterminer l’éventuelle influence des éléments extérieurs, de la conjoncture dans laquelle se meut l’agriculture byzantine.
2Nous sommes ici contraint à une très grande modestie. Les données chiffrées qui nous sont parvenues, à l’exception peut-être du phénomène important de la monnaie d’or, sont partielles, discutables, contradictoires, impossibles à comparer entre elles ; elles sont rebelles à tout outil mathématique un peu perfectionné, du moins au-delà de la règle de trois. Et encore, rares sont les sources qui nous fournissent directement des données chiffrées ; la plupart de leurs notations sont littéraires ou, si l’on veut, impressionnistes, en tout cas subjectives. Ajoutons que l’on est presque totalement privé d’un outil conjoncturel fondamental, qui, pour certains, fournit l’explication de fond de l’évolution économique et sociale1, les données d’ordre démographique. Même l’impact d’un événement aussi simple et indiscutable, reconnu par toutes les sources et tous les historiens, que la grande peste du début du règne de Justinien, pose un problème dont nous reparlerons.
3Dans ces conditions, nous chercherons à établir les faits eux-mêmes, le plus exactement possible, sans être forcément à même de mesurer, ou, plus simplement, d’estimer, leur impact sur la société rurale. Pour la commodité de l’exposé, nous étudierons séparément les événements de nature extra-économique et les facteurs de nature économique (prix, salaires, circuits économiques) ; naturellement, la séparation est artificielle : une invasion de sauterelles ou un incident climatique, qui détruit les récoltes, fait monter les prix des denrées.
I/ L’IMPACT DES ÉVÉNEMENTS EXTÉRIEURS AU SYSTÈME ÉCONOMIQUE
1/ Invasions, migrations et mouvements de population
4La paix, l’éloignement des raids ennemis et même des armées alliées sont un élément très favorable aux activités économiques en général et à celles des campagnes en particulier. La très grande prospérité connue par les provinces orientales aux ive-ve siècles, surtout si l’on compare avec la situation dans les Balkans, confirme cette évidence. Entre les novelles par lesquelles Justinien réorganise les provinces orientales en 535-536 et celles de la même époque concernant les Balkans, le contraste est saisissant. En Orient, ce qui est en cause, c’est le manque d’autorité des pouvoirs locaux, incapables d’empêcher certains puissants personnages de s’approprier par la force une plus grande part d’un gâteau appétissant. En Thrace et Illyricum, Justinien met en avant des raisons beaucoup plus économiques aux appropriations de terres par les puissants : les paysans sont obligés de mettre leurs terres en gage ; et Justinien d’ajouter que “ce n’est pas moins qu’une invasion barbare”2. Au xe siècle encore, le Traité Fiscal de la Marcienne invoque d’abord l’invasion barbare comme première cause de fuite de paysans qui met leurs voisins dans l’impossibilité de s’acquitter de l’impôt des défaillants, comme pendant aux autres catastrophes possibles3.
5À cet égard, la situation de l’Orient et celle de l’Occident byzantins sont à première vue très différentes. En Orient, si l’on met à part les zones frontières, c’est-à-dire en gros les régions contrôlées par l’Empire au-delà de l’Euphrate (Édesse, Harran, Amida), la paix, chèrement payée, règne jusqu’au règne d’Héraclius. Peut-être les ravages opérés alors par les armées perses et la reconquête byzantine eussent-ils été facilement réparés ; nous n’en savons rien, puisque, 10 à 20 ans plus tard, les provinces de Syrie, de Palestine et d’Égypte passent sous le contrôle des Arabes. Le choc des invasions touche alors l’Asie Mineure. La perte de l’Égypte produit, pour les campagnes restant dans l’Empire, un résultat indirect mais spectaculaire. En 642, c’est la fin de l’Heureux Transport. Constantinople, il est vrai en forte baisse démographique4, doit trouver ailleurs son ravitaillement ; la demande en grain auprès des autres régions agricoles de l’Empire, notamment les régions proches de Thrace et d’Asie Mineure, augmente fortement, favorisant une certaine forme d’expansion5.
a/ L’Asie Mineure
6Notre propos n’est pas de refaire, après H. Ahrweiler6, l’étude de l’impact des invasions arabes sur la démographie de l’Asie Mineure. La chose est en vérité extrêmement complexe. Si l’on peut parler, globalement, de “ruralisation” à cause du profond déclin des villes côtières et de la partie occidentale de l’Asie Mineure7, et malgré le développement des forteresses d’Asie Mineure centrale où vient se réfugier la population des campagnes8, il s’agit plutôt d’un phénomène négatif : les villes déclinent plus que les campagnes ne se peuplent. Les invasions arabes n’ont pas en soi des conséquences démographiques positives. Certes, il y eut bien quelques populations rapatriées des provinces perdues : le thème des Anatoliques, en plein centre de l’Asie Mineure, doit son nom (”les Orientaux”) à l’installation dans cette région des débris rapatriés de l’armée d’Orient ; même chose pour les Arméniaques, situés au départ dans une région dépourvue d’Arméniens. Certes, Justinien II installe bien quelques Mardaïtes rapatriés du Liban en Pamphylie9 ; mais le comportement des Arabes dans les provinces conquises ne poussait pas immédiatement à l’exil, sauf peut-être pour quelques moines. Globalement, c’est peu de chose.
7Il reste deux facteurs importants. L’un est difficile à mesurer. C’est l’impact direct des raids arabes sur les populations rurales. Les razzias provoquent des fuites momentanées pour chercher refuge dans une forteresse. Les paysans déguerpis se réinstallent-ils dès l’ennemi parti ? Sans doute oui, dans la plupart des cas. Toutefois, il peut en résulter des mouvements désordonnés, des regroupements vers des régions réputées sûres aux dépens de régions, pas forcément plus lointaines, mais réputées menacées. La seule constante, que nous retrouverons dans les Balkans, c’est que les destructions les plus importantes, les plus longues et coûteuses à réparer touchent les complexes de quelque dimension et donc plutôt les terres et domaines des grands propriétaires que les médiocres établissements des petits paysans. Ainsi, parmi les causes avancées par Nicétas pour expliquer la ruine de son grand-père Philarète à la fin du viiie siècle, les raids arabo-musulmans10. Pour ceux qui écoutaient réciter ou lire la vie de Philarète, il était vraisemblable que les raids ismaëlites causassent la ruine d’un puissant personnage. Au contraire, quand ils n’ont pas été raflés pour être vendus comme esclaves, les petits paysans peuvent se rétablir assez facilement, d’autant que le puissant voisin a déguerpi et que le percepteur mettra quelque temps à réapparaître.
8L’autre facteur, c’est la politique impériale de transfert de populations qui commencerait avec Justinien II ; à l’issue de sa campagne contre les Slaves dans la région de Thessalonique en 688-689, il en transféra une belle quantité dans la région de l’Opsikion, puisqu’il pouvait lever sur eux un contingent de 30 000 hommes11 dont le comportement militaire s’avéra quelque peu décevant face aux Arabes. En 762, Constantin Copronyme procéda au transfert de 208 000 Slaves en Bithynie12 ; s’agissait-il de se donner de nouvelles bases pour recruter des troupes et de combler les vides causés, dans cette région, elle aussi proche de Constantinople, par les razzias arabes ? Toujours est-il que le chiffre est, là encore, considérable.
9Les opérations de reconquête menées en Orient ne sont pas beaucoup plus favorables, sinon moins. L’avance arabe en Asie Mineure se caractérisait par des raids profonds, mais ponctuels et séparés par de longues périodes de trêve qui permettaient une reconstruction au moins provisoire. La progression byzantine est extrêmement lente : la même région est, durant des années, le théâtre des opérations. Un dépeuplement accentué précède et même, parfois, suit, l’avancée des armées byzantines : fuite pour échapper à la famine devant la destruction des récoltes ; déportation des populations fraîchement rechristianisées et jugées peu sûres ; expulsion des musulmans qui refusent de se convertir. Ainsi Constantin V fait peupler les places fortes de Thrace par des Syriens et Arméniens qu’il a raflés autour de Mélitène et Théodosioupolis en 75213. Succès éphémère : les Arabes reprennent aussitôt ces deux places fortes essentielles. Il faudra attendre 934 pour que les Byzantins soient définitivement maîtres de Mélitène ; pendant près de deux siècles, toute cette zone fut donc l’objet de luttes incessantes et dévastatrices. La destruction de l’État paulicien par Basile Ier aboutit également à la quasi-désertification de toute une région14. De la même façon, un peu plus tard, la reconquête de Nicéphore Phocas et Jean Tzimiskès en Cilicie et Syrie du Nord se fait par le vide : l’armée byzantine, sur instruction explicite de l’Empereur, détruit tout sur son passage, à commencer par les vergers qui faisaient la fortune de la région ; on veut faire fuir les populations existantes pour faciliter l’occupation byzantine15.
10L’effet obtenu dans les zones précédemment reconquises se retrouve concrètement dans le testament d’Eustathe Boïlas de 1059 ; les terres que celui-ci a acquises, à 10 jours de marche de la Cappadoce en direction d’Édesse16, étaient presque entièrement désertées, à un ou deux hameaux près. Dans cette région, les hostilités ont pris fin presque un siècle auparavant, mais elle n’était toujours pas repeuplée, malgré le recours aux Arméniens17. D’une façon générale, le vide créé selon un croissant qui s’étend de la région de Téphrik jusqu’à la Cilicie et à Antioche, a littéralement aspiré les populations arméniennes, partiellement chassées par les Arabes, mais sûrement aussi en expansion démographique. Byzance les installe tout le long de la frontière orientale18 ; avec leur chef Mélias, ils sont pratiquement les fondateurs du thème de Lykandos19 ; ils pénètrent aussi profondément en Cappadoce20. De la même façon, en Cilicie et Syrie du Nord reconquises, l’Empire appelle systématiquement, outre les Arméniens, des populations syriennes, même hétérodoxes21.
11On voit donc que les invasions arabes et la reconquête byzantine ont amené, en Asie Mineure et dans ses confins qui furent, durant certaines périodes intégrés à l’Empire au point d’y organiser des curatories22, de profonds mouvements démographiques. Nous avons toutefois du mal à en estimer l’impact socio-économique. Sur ce plan, on distinguera deux cas. Dans les régions qui sont toujours restées byzantines et qui, aux viie-ixe siècles, constituaient le cœur de l’Empire, les destructions sont immédiatement suivies de reconstruction par les populations réfugiées dans les forteresses ; cette incessante reconstruction est essentiellement l’œuvre des petits paysans, éventuellement des soldats, parallèlement au repli, au moins partiel, des puissants. Ceux-ci, à commencer par l’Empereur et ses maisons impériales, surveillent mal leurs terres23. Dès que la situation se raffermit grâce à la politique des Isauriens, la place est libre pour la renaissance des grands domaines : non que ces circonstances politiques en soient la cause directe et principale, mais la coïncidence permet d’y voir un facteur favorisant le mouvement. Invasions et opérations de reconquête, avec les destructions et bouleversements démographiques qui les accompagnent, apportent donc leur contribution à l’évolution économique et sociale des campagnes byzantines en Orient. Dans les régions frontières, les destructions sont plus profondes et s’accompagnent d’une désertification de plus longue durée, comme on l’a vu plus haut.
b/ Les Balkans
L’invasion
12Dans les Balkans, les invasions ont un caractère bien différent. Il s’agit ici du mouvement profond de populations parties à la recherche d’installations définitives. Autant la résistance byzantine s’est révélée globalement efficace en Asie Mineure face aux Arabes éloignés de leurs bases, autant elle n’a pu empêcher que les Balkans soient complètement submergés par les envahisseurs, sauf une étroite bande territoriale sur le littoral égéen. L’Empire d’Orient avait réussi à renvoyer vers l’Occident les différentes vagues gothiques et jusqu’aux Huns eux-mêmes. À partir du vie siècle, il n’en va plus de même. Peut-être, la politique de Justinien s’est-elle révélée funeste en préférant les coûteuses opérations de reconquête en Occident et la paix achetée à la Perse à la défense quotidienne du limes danubien, encore que l’Empereur ait doté les Balkans d’un réseau de forteresses24. Mais surtout les invasions du vie siècle atteignent une région véritablement exsangue25 ; certes, l’installation de certains barbares avait apporté du sang neuf26, mais les campagnes sont dans un piètre état socio-économique ; la petite paysannerie indépendante regroupée en villages s’est développée ici comme ailleurs, mais sans atteindre l’état de prospérité connu en Orient, sans doute à cause des charges excessives et des invasions elles-mêmes27. Dans une certaine mesure, la pression de l’État sur des paysans qui constituent son principal appui contribue à l’affaiblissement de celui-ci ; phénomène que nous retrouverons en d’autres temps28.
13Toujours est-il que, dès le milieu du vie siècle, l’invasion slave, puis avaro-slave, submerge les Balkans29. Même si nous nous limitons aux zones du sud et de l’est des Balkans, restées le plus longtemps byzantines et retournées le plus tôt dans le sein de l’Empire, l’impact conjoncturel de ce choc est difficile à évaluer. À coup sûr, les envahisseurs sont des hommes libres et occupent au moins une partie du sol. Cela va-t-il au-delà du remplacement d’une population par une autre ? L’arrivée des Slaves entraîne-t-elle une densification de l’occupation du sol ? On ne sait, mais on est frappé par la coïncidence entre l’arrivée des Slaves et les observations tirées de l’étude des terrasses alluviales d’Olympie, dans une zone complètement slavisée30. La reprise de l’alluvionnement, très sensible après les années 700, s’explique en partie par le passage à une agriculture moins savante et donc plus destructrice des sols, et surtout par l’augmentation de la charge démographique, avec installation sur les versants et notamment le développement de l’élevage sur ceux-ci. Une observation de ce type plaide pour un coup de fouet économique et démographique.
14Comme nous l’avons vu en Asie Mineure, les invasions, ce sont d’abord des destructions, qui ne sont pas sans conséquences socio-économiques. Ainsi pour cet établissement de grand propriétaire de Halieis (Porto-Héli), entouré des maisons de ses dépendants, qui évoque irrésistiblement une villa. Il est tombé sous le coup des invasions slaves vers 580 ; puis a été réoccupé durant les 30 premières années du viie siècle avant d’être définitivement abandonné, sans doute pour la même raison, la destruction violente par l’envahisseur31. Bref, un grand domaine a pu résister à un premier accident et connaître la reconstruction ; mais le second accident lui est fatal.
La reconquête
15Là aussi, la documentation est fort maigre. On prendra pour exemple la reconquête du Péloponnèse au tournant du viiie et du ixe siècle. “Un de ces stratèges (du Péloponnèse), venu de la petite Arménie, de la famille de ceux que l’on a surnommés les Sklèroi, fit la guerre au peuple sthlavène, le vainquit et l’écrasa complètement ; il permit aux habitants primitifs de se réinstaller chez eux”32. Certes, cette chronique religieuse décrit surtout comment les gens de Patras réoccupent leur ville. Mais ces gens sont réinstallés “sur le territoire primitif, ce qui désigne davantage que l’enceinte de la cité, et donc une partie du plat pays. De plus, l’installation du thème du Péloponnèse sur toute la presqu’île suppose l’existence de soldats-paysans.
16Les Empereurs mènent en effet, là aussi, une véritable politique de colonisation. Car, s’ils ont systématiquement transplanté en Asie Mineure des Slaves non encore byzantinisés, ils ont aussi installé en pays slave des populations byzantines pour quadriller le pays. Ainsi, une partie des Mardaïtes transférés en 688-689 sont installés en Thrace, en première ligne contre la menace slave sur Constantinople33. Nicéphore relève la ville de Lacédémone en y installant“une population mélangée de Kaphéroi34, Thracésiens, Arméniens et autres”35 ; gageons que, là aussi, le repeuplement, venu d’Asie Mineure, concerne également les campagnes de Laconie. Et Théophane reproche violemment à Nicéphore la généralisation de cette politique de septembre 809 à Pâques 81036 :“il envoya des chrétiens de tous les thèmes s’établir dans les Sklavinies, après avoir vendu leurs biens”37. Il ne s’agit pas seulement de ceux que l’on envoie repeupler Patras et Lacédémone ou d’autres cités, mais aussi de paysans. Cela ressort d’abord de la destination militaire de ces hommes : on va s’en servir dans une reconquête que l’armée habituelle n’a pas correctement menée et donc en faire des stratiotes38. Les biens qu’ils doivent vendre sont désignés comme ὑποστάσεις que l’on rapprochera de la stasis paysanne ; les plus humbles d’entre eux sont des pénètes, un groupe social qui nous est familier ! Toujours est-il que Nicéphore, qui mène une politique cohérente de reconquête et de christianisation, envoie, pour quadriller le pays, des paysans qui fourniront des soldats ; suivant les régions, ils surveilleront les Slaves des pays reconquis ou constitueront les troupes dont Nicéphore a le plus grand besoin pour s’opposer à Krum. Sur le second plan l’échec sera cuisant, mais sur le premier, cette politique a plutôt bien réussi : le ixe siècle marque l’assimilation de la partie méridionale des Balkans à la civilisation byzantine.
17L’assimilation n’est pas toujours et partout immédiate. Ainsi, vers 820-830, Égine, pourtant en plein centre d’une zone depuis longtemps contrôlée par les Byzantins, est-elle encore fortement peuplée de barbares (ἐθνικοί) ; Athanasia, qui veut embrasser la vie monastique, en est empêchée par un décret impérial qui enjoint aux veuves (c’est son cas) et célibataires d’épouser des ἐθνικοί39. A la fin du xe siècle, on trouve toujours des ἐθνικοί près de Lacédémone : un ancien duc, Antiochos, entreprend de s’établir dans un chôrion proche du métoque rural de Nikon le Métanoeite ; à proximité se trouvent des ἐθνικοί40. Il reste donc des Slaves qui ne sont pas vraiment soumis, ni christianisés.
18Les “chrétiens de tous les thèmes” ainsi envoyés dans les Sklavimes, et qui viennent sûrement avant tout d’Asie Mineure, sont évidemment des paysans propriétaires. Qu’en est-il des Slaves ? On en a une idée avec les événements survenus autour de Patras en 805 : les Slaves de la région, révoltés, assiègent Patras, qui serait tombée sans l’intervention miraculeuse de saint André. En foi de quoi, les Slaves de la région sont donnés à la métropole41 et deviennent des parèques42. A contrario, on en déduira que les autres Slaves ne sont pas des parèques et restent donc des paysans libres ; au reste, l’Empire leur avait concédé de garder dans une certaine mesure leur organisation. De la même façon, Basile II, après la conquête définitive de la Bulgarie, a concédé aux Bulgares de continuer à payer leur impôt en nature43 ; un certain nombre d’entre eux devaient donc être propriétaires.
19Quel est le bilan démographique global de toutes ces opérations balkaniques, invasions et reconquête ? Certes, les invasions slaves se sont accompagnées de destructions, de massacres et d’expulsions ; les sièges de Thessalonique ou de Constantinople par les Avars et, plus tard, par Krum, Syméon ou Samuel ne sont pas des promenades de santé. Mais l’apport de population apparaît finalement bénéfique pour bien des zones des Balkans sous-peuplées et mal exploitées. La reconquête a été plus pacifique que brutale ; de plus, elle s’accompagne d’un nouvel apport de population. Les zones reconquises sous Nicéphore Ier ou Basile II sont plus peuplées que celles abandonnées sous Justinien, Maurice ou Héraclius.
20L’impact socio-économique des invasions dans la partie la plus occidentale de l’Empire ne peut pas se limiter aux opérations de conquête et de reconquête. En dehors de ces grands mouvements, en effet, les opérations secondaires peuvent avoir, au moins localement, un effet considérable : en plein xe siècle, le Traité Fiscal de la Marcienne classe l’incursion barbare en tête des causes primaires de désertion. La chute de la Crète en 827 rend omniprésente la menace de raids arabes. Ainsi, dès le ixe siècle, on en mesure l’effet jusqu’à Lesbos ; les habitants d’une kômè proche de Mèthymna, où s’était réfugiée Théoktistè âgée de 18 ans, s’enfuient à l’intérieur de l’île44 ; 35 ans après, la végétation n’a pas encore repoussé dans les zones dévastées45. L’île d’Égine, qui avait déjà souffert d’attaques arabes avant même la conquête de la Crète46, est complètement mise à sac dans les années 86047.
21On ne se risquera pas à faire un recensement, même incomplet, des raids arabes, comme des incursions bulgares ou, éventuellement, hongroises. Mais quelques exemples montrent que, au moment même où l’Empire atteint l’apogée de sa puissance, des destructions violentes restent possibles. Les premiers actes de l’Athos présentent des péninsules de Chalcidique, que ce soit l’Athos48 ou Kassandra49, essentiellement composées de terres clasmatiques, servant de refuge lors d’éventuelles invasions, évidemment contre des envahisseurs terrestres, non maritimes50. Pourtant, même la reconquête de la Crète en 961 n’interrompt pas complètement les incursions maritimes arabes. Ainsi, l’île de Gymnopélagèsion, dans les Sporades du Nord, que le moine Sergios avait acquise comme klasma en 972-973 ; elle était donc désertée au moins depuis 942-943. Mais l’île subit un nouveau raid à la fin du xe siècle ; nombre des habitants qui l’avaient repeuplée sont faits prisonniers et l’île est à nouveau complètement désertée51.
22Sur le continent, la menace vient des Bulgares. Ainsi, en septembre 975, Vek prôsopou Théodore Kladôn cherche en vain 36 feux de parèques exemptés qu’un chrysobulle de Constantin VII avait concédés au monastère Léontia de Thessalonique : le monastère n’a plus sur les domaines en question que quelques pauvres non imposables (ἀτελεῖ ς τινὲς καὶ πένητες) ; les autres ont disparu à cause des invasions barbares52. Et pourtant, entre le règne de Syméon, qui s’achève en 927, et celui de Samuel, qui commence seulement en 976, l’Empire était théoriquement en paix avec les Bulgares. On comprendra mieux, à cet égard, le contenu du jugement de Nicolas, juge de Strymon, Thessalonique, et Drougoubitia, en 996. Le juge, pour arbitrer un différend entre les moines d’Ivirôn, et, précisément, le “tourmarque des Bulgares” Basile, fait appel au témoignage des paysans installés sur les terres du monastère de Polygyros ; or ceux-ci viennent des “villages d’au-delà des monts”, détruits par les Bulgares, mais où ils espèrent retourner rapidement puisqu’ils continuent à payer les impôts sur leurs terres53. On jugera ainsi de la profondeur de la pénétration bulgare : Résétènikeia, le plus éloigné des villages en question, est à 12 km au nord de Polygyros54. Les Bulgares ne sont certainement pas installés là, mais mènent des raids destructeurs : les villageois ne reprennent pas leur exploitation sur leurs anciennes terres tant que la sécurité n’est pas assurée ; en attendant, ils vivent à Polygyros ; la désertion n’est pas définitive.
c/ Bilan démographique
23Bref, la démographie exogène, c’est-à-dire l’apport de population dû aux invasions ou au contraire les dépeuplements qu’elles entraînent, pas plus que les dommages causés par les envahisseurs ou, plus simplement, les campagnes et raids ennemis, ne donne d’indication conjoncturelle claire pour les campagnes byzantines. Par exemple, les raids qui marquent la conquête arabe ont parachevé une évolution négative de l’économie urbaine, ainsi qu’une redistribution dans la hiérarchie du tissu urbain ; mais leur influence sur les campagnes est plus difficile à caractériser, du moins pour les très larges zones qui n’étaient pas directement, ni continuellement, sur le chemin de l’envahisseur. La zone frappée par la lutte acharnée que constitue la lente reconquête byzantine a été bien davantage ravagée ; mais c’est alors dans le courant général des désertions. Dès le début du ixe siècle, avant même la conquête de la Crète, les raids maritimes faisaient planer une menace permanente sur bien des îles et zones littorales de la mer Egée, contexte peu favorable à une agriculture dynamique.
24Dans les Balkans déjà exsangues auparavant, les destructions et expulsions opérées par les envahisseurs avaro-slaves, puis bulgaro-slaves, ont été certes spectaculaires, mais sans doute compensées par un apport de populations nouvelles, indépendantes et entreprenantes. De cette façon, les territoires que l’Empire reconquiert à partir de Nicéphore sont plus peuplés et sans doute plus densément cultivés qu’au moment où il les avait perdus. Ainsi, les Byzantins n’ont repris Patras qu’en 802-805 ; 60 ans plus tard, la veuve Danèlis a déjà pu constituer une fortune d’une dimension et d’une prospérité tout à fait significatives. Nous ne courrons donc pas un risque excessif en avançant que les Balkans ont, à long terme, plutôt tiré bénéfice des invasions slaves, malgré la gêne pour l’agriculture de ces régions que constitue le maintien d’États slaves belliqueux jusqu’au début du xie siècle.
25Quant aux données strictement démographiques, celles qui donneraient une indication sur le niveau de population globale de l’Empire ou même de telle ou telle région et sur son évolution, elles sont quasiment inexistantes. Elles sont toutes en relation soit avec des événements de type accidentel sur lesquels nous allons revenir, soit avec l’évolution économique générale (cf. infra, c11) : l’expansion ou la récession démographique se déduisent de l’expansion ou de la récession économique, de l’extension ou de la rétraction des espaces cultivés, de la charge en exploitations de la surface cultivée55. Bref, on déduit la situation démographique de la situation économique générale : elle ne peut donc pas servir d’indicateur pour celle-ci.
2/ Les catastrophes naturelles
26Il n’est évidemment pas question de faire un recensement, fût-il partiel, des catastrophes naturelles qui ont pu affecter l’Empire byzantin durant six siècles ; plusieurs ouvrages n’y suffiraient pas56. On recherchera plutôt, à travers quelques exemples, les modalités d’action sur la conjoncture agricole de tel ou tel type de catastrophe naturelle. Bien entendu, une telle démarche pourrait aisément se renverser : l’événement le plus sensible, c’est la famine, directement liée à la production agricole et donc à la conjoncture générale : une crise de l’économie peut facilement déboucher sur une famine ; mais celle-ci peut être due aussi à des catastrophes naturelles locales ou générales.
a/ L’interaction des facteurs : l’exemple de la région d’Édesse au tournant des ve-vie siècles
27Toute une série d’éléments nous poussent à utiliser cet exemple. Le premier, c’est l’excellente chronique dite du Pseudo Josué le Stylite, que nous avons déjà maintes fois utilisée57. Cette région n’échappe pas au courant général d’expansion économique que connaît la Syrie depuis le ive siècle58, notamment parce que la haute Djézira est un important carrefour commercial. Mais cette expansion est mise en difficulté et donc rendue fragile par la position de frontière : le triangle Édesse - Harran - Amida est un des lieux privilégiés des raids des Perses et de leurs alliés arabes. Ajoutons que le chroniqueur ne néglige nullement le territoire environnant Édesse, notamment les villages qui assurent normalement le ravitaillement de la cité : les murailles de celle-ci constituent pour ces villageois un refuge naturel et fréquent.
28En 495, une maladie apparaît sous forme de pustules et de tumeurs qui s’attaquent avant tout au visage, mais peuvent provoquer des lésions aux membres. Le mal reste bénin : l’auteur ne parle pas de mortalité, la maladie ne dure pas longtemps pour chaque individu et ne laisse pratiquement aucune trace59. En 497, le mal s’aggrave et touche les yeux60. Mais il semble avoir disparu en mars 500, quand se produit la principale catastrophe : un vol de sauterelles61. C’est la famine, d’autant que le millet semé n’a pas pris et que les sauterelles ont également dévoré le fourrage. On a vu plus haut les conséquences sur le prix des bêtes et le mouvement de désertion que la calamité entraîne62.
29Ici s’intercale une considération discutable de l’auteur. Ces fuyards, en effet, ont tenté d’échapper à la punition que Dieu réservait à leurs péchés ; mais on n’échappe pas à la vindicte divine et les voilà frappés de maladie, où qu’ils soient, même ceux qui s’étaient réfugiés à Édesse63. Cette épidémie est suspecte : elle frappe trop sélectivement ; de plus, les mêmes pauvres sont encore valides, du moins assez pour mendier, tout le reste de l’année et l’année suivante ; ils vont même quêter de la nourriture dans les villages alentour, qui ne sont donc pas totalement désertés64. D’ailleurs, on a pu y vendanger ; ceux qui y restent mangent des vesces, écrasent des pépins de raisin, sans pouvoir se rassasier.
30La véritable mortalité intervient seulement durant l’hiver 500-501 quand s’épuisent les dernières réserves. Le chroniqueur note d’abord l’amaigrissement des gens venus en ville, malgré la distribution d’une livre de pain (327 g : environ 1 200 calories) par jour et par miséreux. On meurt tout simplement de faim notamment quand il gèle, en novembre 500 et janvier 50165. L’assistance publique et privée aux nécessiteux a beau se développer, cela ne fait qu’augmenter le nombre de ceux-ci qui convergent vers la cité66. Il meurt 100 à 130 personnes par jour de novembre à mars, sans compter ceux qui meurent avant d’avoir atteint la cité67. Alors, et alors seulement, le chroniqueur parle de maladie ; en avril 501, elle gagne les citoyens de la ville68 ; cette résistance de 5 mois montre qu’il ne s’agit pas d’une véritable épidémie, mais bien de l’affaiblissement dû à la faim. Celui-ci facilite la victoire de n’importe quelle maladie intercurrente avant que le sujet ne meure à proprement parler de faim. Pourtant, certaines maladies contagieuses ont pu se propager, puisqu’il meurt des gens parmi les puissants qui n’étaient pas frappés par la famine.
31La région d’Édesse connaît alors plusieurs autres accidents climatiques : à l’automne 501, un vent froid vient dessécher les raisins en train de mûrir69.
32L’hiver qui suit est extrêmement pluvieux, ce qui, en cette zone de précipitations relativement faibles (environ 350 mm), est tout à fait favorable ; mais cette récolte, qui s’annonçait splendide, est brûlée en 3 jours de vent de khamsin au mois de mai 50270. A peine cette suite de catastrophes naturelles terminée, commence une série d’opérations militaires avec Kawadh, fils du roi de Perse ; celui-ci reçoit le renfort de Na‘aman, chef de tribu arabe, qui fait 18 500 prisonniers parmi les travailleurs des villages71. La guerre dure au moins 3 ans dans la région. Au point que “les bêtes sauvages, qui se sont habituées à manger des cadavres, pénètrent dans les villages et s’attaquent aux enfants, voire aux hommes isolés sur les chemins”72. Quant aux soldats “romains”, souvent des Goths, leur présence n’est guère préférable à celle des ennemis73.
33L’ensemble de ces calamités entraîne évidemment une crise dans la région : d’abord agricole74, la crise gagne le secteur urbain. Les agriculteurs qui ont vendu leurs animaux à vil prix finissent par vendre les choses qui ne se mangent pas, vêtements et objets artisanaux, à un prix ridicule75. Les artisans, qui n’ont déjà plus leur clientèle traditionnelle d’agriculteurs, ne peuvent survivre à une telle baisse des prix, alors qu’ils doivent se procurer le blé pour se nourrir à un prix 7 fois supérieur à ce que l’on connaissait avant la crise76.
34Pourtant, si on se limite à la période 499-502, celle où les difficultés proviennent exclusivement des calamités naturelles répétées77, on est frappé par l’extraordinaire résistance des campagnes. Ainsi, à l’automne 500, la chronique rapporte que les hommes ont fui au loin, tandis que le reste de la population confluait sur Édesse. La maladie a touché tout le monde ; pourtant, il reste encore des gens pour faire la vendange ! L’hiver terrible qui suit n’empêche pas que les terres des villages autour d’Édesse seront mises en culture cette saison-là. La moisson de juin-juillet 501 s’est avérée décevante, et les prix n’ont pas baissé autant qu’on l’avait espéré ; mais enfin, il y a eu une récolte, qui aurait même pu être excellente : les populations avaient au moins partiellement regagné leurs terres et celles-ci étaient, dans leur quasi-totalité, mises en culture78. De même, la vendange abondante de l’automne, qui suppose le travail assidu durant toute l’année d’hommes nombreux. L’hiver 501-502, très pluvieux mais pas très froid, se passe presque bien : le prix du grain reste élevé, mais pas dramatiquement, preuve que la récolte 501 a été presque correcte. Et la récolte 502, grâce à cet hiver pluvieux, s’annonce exceptionnelle.
35La reconstruction est alors achevée. Qu’on en juge : malgré le coup de khamsin de mai, la récolte sur les rares zones épargnées permet que le cours du blé revienne au prix encore élevé pour la région, mais raisonnable à nos yeux, de 12 modioi par sou79. On ne s’étonnera pas dans ces conditions que, fin novembre 502, Na‘aman ait pu faire 18 500 prisonniers parmi la foule occupée aux travaux des champs80. Le cycle de louage des habitants des villes venant en renfort des ruraux pour les principaux travaux des champs a repris normalement. Bref, les circonstances accidentelles ne peuvent venir à bout d’une conjoncture favorable : première indication que les aléas climatiques, les famines et les mortalités subséquentes ne sont pas l’élément fondamental de l’équilibre économique.
b/ Quelques grandes crises et leur résultat
36De toutes les catastrophes survenues à notre époque, deux ont connu un destin historiographique de grande ampleur chez les contemporains ou chez les auteurs modernes : la grande peste du règne de Justinien et la famine de 928, attribuable elle aussi à un élément naturel, un hiver exceptionnel.
La peste “justinienne”
37On notera tout d’abord que la peste de 541-542 s’inscrit dans une longue série de calamités naturelles qui provoquent des famines, et pas seulement à Edesse81. Autant ces catastrophes ont relativement épargné les ive et ve siècles, autant le vie livre un lourd bilan, peut-être exagéré pour nous par une documentation plus abondante. La sécheresse frappe la Palestine de 516 à 52182 et semble endémique jusqu’en 541-542. Antioche, gravement frappée par le tremblement de terre de 529, se voit accablée cette même année à la fois d’un hiver exceptionnellement rigoureux et d’une certaine sécheresse83. Souvent, comme à Edesse, la sécheresse attire les sauterelles : ainsi, en 516-517 autour de Jérusalem84. Immédiatement avant la peste de 541-542, 18 mois d’ensoleillement insuffisant ont empêché les fruits de mûrir85. La sécheresse se poursuit dans les années qui suivent. Théodore de Sykéôn a vu apparaître par deux fois les sauterelles : une fois, au mois de juin, au village de Mazamia, dépendant de Mnézinè86 ; une autre fois, explicitement en pleine sécheresse, dans un jardin à 6 milliaires de Pessinonte, capitale de la Galatie Seconde : les bêtes mangent les jeunes légumes obtenus par irrigation87. La Thrace était également atteinte par la sécheresse en 535, d’après Justinien88.
38Même si l’on a peu de témoignages sur des famines comme celle d’Édesse,89 il s’en est sûrement suivi une certaine difficulté de ravitaillement ; l’affaiblissement de la population dû à une alimentation plus difficile est sans doute l’un des facteurs qui expliquent les épidémies. A vrai dire, devant les sources qui nous les présentent, il faut rester d’une grande prudence ; nous avons vu les difficultés rencontrées pour Édesse s’agissant des maladies consécutives à la famine ; d’autant que le vocabulaire est toujours hésitant. Mais l’épidémie de 541-542 est une peste d’une importance exceptionnelle.
3911 n’entre pas dans notre propos d’en refaire l’histoire90. Deux problèmes principaux se posent ici, en dehors de la désorganisation toute provisoire des circuits économiques. Dans quelle mesure a-t-elle touché les campagnes autant que les villes ? Quels furent, quantitativement, les ravages, et qui en furent les principales victimes dans les campagnes ? La réponse à la première question ne souffre aucune discussion : les campagnes sont touchées autant que les villes. C’est du moins ce qu’explique la vie de Syméon Stylite le Jeune pour la région d’Antioche91. L’épidémie démarre de la ville, où elle explose plus facilement, mais se répand inexorablement dans les campagnes et sur les voies de communication. On ne s’étonnera donc pas que le jeune Théodore de Sykéôn ait contracté la maladie - seul un miracle le sauve des funestes bubons92 -, puisque Sykéôn était sur la route du drôme impérial : pourtant très exposées de par leur métier, avec en plus un malade à la maison, ni la grand-mère, ni la mère, ni la tante du saint n’ont contracté la maladie, ou du moins n’en sont mortes. Dans la région de Myra, la peste bubonique a démarré dans la métropole ; dès que la chose est connue, les paysans de la province refusent de se rendre en ville, n’apportant plus ni grain, ni farine, ni vin, ni bois : la famine s’ajoutera donc à l’épidémie93. Aussi, la rumeur court-elle que Nicolas de Sion empêche les paysans de se rendre dans la métropole ; les autorités de la ville vont faire arrêter le saint homme pour le conduire en ville94. Ici donc, les campagnes auraient tenté d’échapper à l’épidémie ; elles n’ont pas forcément pour autant été moins touchées que les villes. Du moins pour les régions que la peste a atteintes. Car, différence majeure avec la Peste Noire du xive siècle avec laquelle la comparaison est inévitable, toutes les régions de l’Empire n’ont pas été atteintes : la plus grande partie des Balkans et de l’intérieur de l’Asie Mineure, en dehors des grands axes de circulation, serait restée indemne95. Cela réduirait d’autant l’impact démographique et, partant, économique, de l’épidémie.
40Nous ne pouvons estimer la proportion des morts ; les chiffres qui fleurissent ici ou là chez les chroniqueurs de l’époque ne sont d’aucun secours. Les pertes furent évidemment considérables : la peste était oubliée du monde méditerranéen depuis des générations ; plus personne n’était immunisé. Les ravages peuvent donc utilement se comparer à ce que subit l’Europe occidentale en 1348-1350 ; toutefois, il n’est pas évident que les populations des campagnes aient alors connu le même état d’affaiblissement que dans l’Occident de la première moitié du xive siècle. Pour l’Occident, les chiffres de 1/3 de la population semblent globalement surévalués96 même si certaines régions n’en sont pas loin97. Les chiffres orientaux seraient peut-être un peu plus faibles, mais le désastre reste de grande ampleur. D’autant que la peste ne s’arrête pas en 542 : elle connaît de nombreuses récurrences ; Évagre, lorsqu’il écrit vers 593, estime que le cycle de l’épidémie est d’une quinzaine d’années ; la vie de Syméon Stylite le Jeune signale à nouveau la peste à Antioche en 56198. Malheureusement, nous sommes mal renseignés sur ces récurrences, contrairement à l’unanimité des sources pour 541-542. Est-ce simplement que les événements frappent moins parce que ce n’est plus la première fois, qu’une partie de la population est devenue résistante et que les pertes sont moins graves ?
41La peste est-elle, ou non, sélective, suivant l’âge et la condition sociale ? A la fois oui et non. Non, parce que personne, fût-il en pleine santé, exceptionnellement vigoureux et vivant, de par sa situation sociale, dans des conditions d’hygiène hors du commun, n’est à l’abri de l’épidémie. À cette époque, même les plus riches sont dévorés de puces99. Oui, parce que la maladie frappe d’abord les plus mal nourris et donc les plus pauvres ; encore que le bouleversement des circuits économiques, induit par l’épidémie de peste, soit tel que des gens habituellement très au-dessus du minimum vital, comme les artisans de Constantinople, sont en quelque temps affamés et dénutris100.
42Les historiens de l’Occident considèrent généralement que le mal touche davantage les jeunes et les personnes âgées que les adultes les plus vigoureux. Les observateurs byzantins, toutefois, insistent surtout sur la mortalité des jeunes adultes, particulièrement des hommes, ce qui entamerait gravement les possibilités de “rattrapage” démographique après l’épidémie, surtout si l’épidémie est récurrente, frappant à chaque fois une nouvelle génération d’adultes féconds. Les conséquences économiques sont également majorées en ce cas, puisque la maladie frappe d’abord les personnes économiquement les plus actives.
43Vu l’extraordinaire gravité de l’épidémie, on s’attendrait que les sources autres que les chroniqueurs donnent des indications sur l’impact de la peste sur l’économie rurale. Quand Procope prétend que le mal a emporté presque tous les paysans101, on voudrait trouver en écho de réelles désertifications dans les campagnes. On peut en effet s’interroger sur l’impact de l’épidémie sur l’évolution sociale des campagnes du vie siècle définie plus haut102. On ne s’attardera pas sur les dégâts causés parmi les grands propriétaires : quand ceux-ci ne sont pas des personnes morales qui risquent tout au plus une désorganisation momentanée de leurs services, ils appartiennent à des familles suffisamment étendues pour que le risque de déshérence totale soit assez faible.
44Mais dans les villages, toutes choses égales, ce sont les plus défavorisés qui meurent le plus et, au contraire, la moyenne paysannerie qui, globalement, résiste le moins mal. L’épidémie renforce donc relativement ou, plutôt, affaiblit moins la paysannerie indépendante dont nous avons constaté par ailleurs la lente progression. En raréfiant encore la main-d’œuvre, l’épidémie accentue la conjoncture favorable aux petits paysans indépendants, recherchés comme exploitants par des grands propriétaires en quête de locataires. Loin de perturber durablement l’évolution économique et sociale, la peste de 541-542 agirait donc comme accélérateur d’un processus enclenché de longue date. On trouvera toutefois un écho des conséquences de la peste dans la législation de Justinien : une loi du 23 mars 544 stigmatise les artisans, mais aussi les travailleurs de la terre (οή περί τήν γῆν ἐργάται), qui demandaient des prix et rémunérations (μισθοί) deux ou trois fois plus élevés que l’ancienne coutume103. Indiscutablement, la peste a renforcé une conjoncture favorable à la main-d’œuvre, donc ceux qui, à moyen terme, de par leur capacité de travail et d’investissement, seront les meilleurs vecteurs d’une reprise de l’expansion.
La famine de 928
45Beaucoup moins bien connue, la famine de 928, consécutive au grave accident météorologique d’un hiver d’une rigueur exceptionnelle104, constitue un événement radicalement différent ; pourtant, il sert aussi de révélateur et d’accélérateur à un mouvement préexistant. Plusieurs facteurs expliquent l’extrême importance d’un simple accident climatique. D’abord, il survient après environ un siècle d’affaiblissement continu de la petite paysannerie105 ; les petits paysans indépendants, surchargés d’impôts par l’État et par la défaillance de leurs voisins, n’ont plus de réserves, ni de crédit pour attendre la bonne récolte suivante pour se refaire106 ; la mauvaise récolte due à un simple accident climatique provoque des désertions en masse, avec la vente des terres pour une bouchée de pain décrite par Romain Lécapène107.
46Néanmoins, et quoi que la novelle de Romain Lécapène, prise isolément, puisse laisser croire, la fuite des petits paysans, la vente des terres par des villageois à des puissants éventuellement extérieurs à leur ressort fiscal, ne sont pas des nouveautés108. Le mouvement décrit par la loi de 934 et lié par elle à la famine de 928 est donc très largement antérieur à celle-ci. Autrement dit, la famine n’est pas créatrice d’une évolution économique de fond ; elle en est tout au plus un révélateur et un accélérateur.
c/ Les accidents localisés et leurs conséquences
47Les accidents naturels localisés ne peuvent évidemment prétendre influer sur l’évolution générale de l’économie rurale byzantine. Ils n’en ont pas moins un impact local intéressant.
48La peste, par exemple, ne cesse pas totalement ses ravages après 541-542 et les récurrences du vie siècle. Une épidémie particulièrement violente, qui venait de Sicile et de Calabre par Monemvasie, ravage tout l’Empire durant un an en 747-748 ; aux dires de Nicéphore, on doit transformer champs, vignes et jardins en cimetières109 ; Constantin Copronyme est obligé de repeupler Constantinople de gens venus des campagnes et des îles de l’Empire110. L’épidémie semble avoir connu une certaine ampleur ; mais elle a épargné les îles et l’Asie Mineure, qui restent un réservoir de population : après une épidémie telle que celle de 541-542, on n’aurait pas aussi aisément trouvé des gens pour repeupler Constantinople111. L’épidémie menace toujours au xe siècle. Ainsi, au début du siècle, sous Léon VI, André Salos et Daniel le Stylite unissent leurs prières contre la peste112. À la fin du siècle, une nouvelle épidémie frappe le Péloponnèse, venue du sud ; Nikon le Métanoeite arrête le mal aux portes de Lacédémone113. Les épidémies semblent toutefois aller en se raréfiant.
49Des épidémies peuvent également frapper les animaux. Le miracle 36 de Thècle nous montre un exemple d’épizootie au début du ve siècle en Isaurie. L’épidémie frappe l’été, quand “un intense soleil brûlait sur les têtes”, ce qui n’est pas un vain mot en cette région. Tous les animaux sont atteints : mulets, chevaux, bœufs, ânes, moutons, les porcs aussi, d’ailleurs, qui sont rangés à part, avec les chiens ; même les animaux cantonnés en ville sont touchés114. L’intervention de Thècle met fin à l’épidémie.
50Les sauterelles n’ont pas disparu avec le vie siècle. Sous Basile Ier, Constantin le Juif écarte les insectes qui attaquaient un champ ensemencé d’un village proche de Séleucie115. Les mêmes orthoptères ravagent complètement l’île de Néoi, donnée à Lavra sous Athanase, sauf le vignoble116. Les oiseaux peuvent se révéler aussi nuisibles, comme le vol de corbeaux qui, au début du ixe siècle, dévaste les villages situés sur les collines autour d’Apollonia de Lydie (Kalônoros), au nord du Caïque ; Pierre d’Atroa chasse les volatiles117. Ailleurs, ce sont les chenilles, comme dans le proasteion bithynien de Zouloupas où se trouve le monastère de Nicétas le Patrice118.
51Les calamités naturelles sont de toutes les époques119. À la fin du ixe siècle, un illustrateur des homélies de Grégoire de Nazianze représente une impressionnante chute de grêle : les grêlons qui tombent sur le blé, la vigne et les arbres, sont de bonne taille120. Le Traité Fiscal de la Marcienne prévoit l’évanescence provisoire ou définitive de la terre cultivée, “soit en raison d’un mouvement, d’une déchirure ou d’un effondrement, soit en raison d’une inondation ou d’un jaillissement d’eau saumâtre”121. Au vie siècle, Théodore de Sykéôn avait ainsi fait changer le cours du Sibéris qui minait la terre arable de son village122.
52Tous ces événements naturels, généralisés à tout l’Empire, ou étroitement localisés peuvent accélérer ou freiner, mais plutôt accélérer, une évolution tendancielle de l’économie et de la société agraires ; ils ne peuvent à eux seuls la créer, ni même la modifier profondément ni l’inverser. Ils peuvent entrer dans les éléments constitutifs d’une crise, mais comme facteurs secondaires, jamais primitifs. Bref, il faut chercher ailleurs l’explication des mouvements tendanciels.
II/ VALEUR DES PRODUCTIONS, PRIX DES INVESTISSEMENTS, VALEUR DU TRAVAIL
53Nous abordons ici un problème dont beaucoup d’éléments nous échappent.
54L’importance du facteur prix est variable suivant les époques et les catégories sociales. La différence est évidente entre le grand propriétaire et le petit paysan. Le premier touche en effet une partie de ses loyers en nature123. Plus il possède de biens, plus réduite sera la part de sa rente en nature consommée par sa maisonnée, plus grande sera la part qu’il mettra sur le marché pour en obtenir les espèces monétaires qui lui permettront d’acquérir les produits de luxe nécessaires à tenir son rang social124. Son niveau de vie dépend donc à la fois du niveau des rentes, lui-même lié à la production, et du niveau des prix des produits agricoles.
55Pour le petit paysan, la situation est radicalement différente. Le terme d’autarcie prend ici toute sa valeur125. Une part très importante de sa production, est consommée pour les besoins de son exploitation126, soit sous forme de semailles, soit sous forme d’alimentation. Ceci échappe intégralement aux aléas du marché. Le paysan ne dépend du marché que sur trois plans. Il doit vendre une partie de sa production pour payer l’impôt et, éventuellement, un loyer en espèces, dépenses fixes, alors que le prix du grain, et donc la quantité de grain dont il faut se défaire pour obtenir les pièces de monnaie exigées, est variable. Il doit se procurer également des espèces pour renouveler son matériel : il dépend alors doublement du marché, puisqu’il doit vendre du grain et acheter bêtes et instruments, dont la valeur est variable et s’exprime également en monnaie. Il doit enfin avoir recours éventuellement à une main-d’œuvre d’appoint : il dépend alors du marché de la main-d’œuvre, prix de l’esclave ou niveau des salaires.
56Sur ce dernier plan d’ailleurs, une autre catégorie de paysans dépend également du niveau des prix et salaires : ceux dont la terre ne suffit pas à l’entretien. Ils sont obligés de louer leurs services sur la terre d’autrui ; le niveau des salaires est donc pour eux très important. Mais celui des prix des subsistances ne l’est pas moins, puisqu’ils doivent, par définition, acheter une partie de leur nourriture.
57A cela, nous ajouterons deux constatations. D’abord, dans une économie où l’agriculture représente une part écrasante de la production, l’ensemble des prix dépend des denrées agricoles. Michel Attaliate a bien décrit, à propos du monopoleion de Raidestos, comment la flambée des prix alimentaires entraîne les salaires des employés du secteur secondaire et tertiaire et une envolée consécutive du prix des produits artisanaux127.
58Ensuite, le prix de la terre n’est pas sans influence sur les agents économiques. Pour le petit paysan propriétaire, il a moins d’importance, du moins aussi longtemps qu’il ne veut ni en vendre pour une raison quelconque, mais qui peut être vitale (règlement d’une dette, notamment fiscale), ni en acheter pour agrandir sa tenure, par exemple pour doter des enfants plus nombreux ; dès lors que la situation n’est pas d’une totale stabilité, le prix de la terre retrouve donc, même pour lui, une certaine importance. Ce prix importe également au paysan non propriétaire : soit qu’il veuille devenir propriétaire, et donc acheter, soit qu’il persiste à verser un loyer. Or le niveau du loyer dépend de la plus ou moins grande disponibilité des terres, comme le prix de celles-ci ; le prix du droit à la terre est donc une fonction simple du prix de la terre.
1/ Le prix des productions128
a/ Céréales et légumineuses
Le marché
59Nous commencerons par ce qui constitue la base de l’alimentation, apportant aux hommes de notre époque près des 2/3 de leur ration alimentaire.
60Naturellement, nous examinerons d’abord le prix de la céréale pilote dans nos régions, le froment ; le seigle et l’avoine ne sont pratiquement pas cultivés ; le millet est une céréale de secours129 ; seule, l’orge occupe une place importante à côté du froment, mais avec une valeur constamment inférieure. Or le prix du blé dépend de plusieurs facteurs complexes et interactifs. En simplifiant à l’extrême, nous pouvons en dégager trois : le niveau de la production ou, si l’on préfère, l’offre ; le niveau de la consommation, la demande ; la façon dont les deux sont mis en relation, les circuits de distribution. Sur le premier facteur, nos renseignements restent rares, très fragmentaires et uniquement qualitatifs : la récolte est bonne, normale, mauvaise. Nous connaissons toutefois quelques éléments qui, en dehors du niveau de la production, sont susceptibles de modifier l’offre. Par exemple, en 766-777, les prix du grain sont descendus au niveau incroyablement bas de 60 modioi de blé pour un nomisma130 ; la plupart des gens ont eu l’impression d’une abondance due à une très bonne récolte. Faux semblant, que les chroniqueurs démasquent : c’est Constantin V, nouveau Midas, qui a accumulé de l’or en levant des impôts formidables ; les contribuables sont ainsi forcés de vendre une plus grande partie de la récolte et les prix s’effondrent131. Malgré leur hostilité aveugle à l’empereur iconoclaste, ces auteurs doivent reconnaître ceci : une telle baisse pouvait être raisonnablement attribuée à l’excellence de la récolte.
61Une part importante de l’offre en céréales provient de ce que les exploitants agricoles sont contraints de céder pour payer leurs impôts, comme le suggère l’exemple ci-dessus, ou leurs loyers, ou les deux. Autrement dit, plus le prélèvement sur le travail paysan est élevé, plus les quantités de grain qui arrivent sur le marché sont considérables. Nous avons vu, en étudiant certains oikoi aristocratiques, qu’une partie de leurs revenus est en nature132, et destinée au marché ; la description fébrile du marché du grain de Raidestos avant le monopoleion que fait Attaliate montre assez qu’il en était partie prenante133.
62S’agissant de la demande, les choses sont plus complexes encore134 ; compte tenu du règne généralisé de l’autosubsistance, la demande en grain vient essentiellement des villes, et principalement de Constantinople, ainsi que de l’armée135. Une estimation des variations de l’offre nécessiterait d’établir les mouvements généraux d’expansion et de récession, notamment de l’espace cultivé, donc l’état général de l’agriculture byzantine136 ; en revanche, une estimation de la consommation est, dans ses grandes lignes, possible. La capitale et les grandes villes provinciales connaissent un optimum de population sans doute avant la peste de 541-542. Comme nous l’avons déjà exposé plusieurs fois, l’on assiste dès la seconde moitié du vie siècle et surtout au viie siècle à un profond déclin de la population des villes provinciales, suivies, quelques années plus tard, par Constantinople137. Dès l’époque isaurienne en tout cas, Constantinople a connu une nouvelle croissance, continue jusqu’aux Comnènes. Les villes provinciales, dont le réseau a certes été modifié, se développent également à cette époque, et de façon marquée aux xe-xie siècles.
63L’armée est évidemment grande consommatrice de denrées sous Justinien et jusqu’aux grandes campagnes d’Héraclius ; la réorganisation qu’elle connaît avec la création des thèmes diminue fortement les besoins en ravitaillement des soldats dont le nombre et la durée annuelle de service sont notablement diminués. La grande majorité des soldats restent ravitaillés par l’autorité publique, mais une partie non négligeable se nourrit sur son oikos, donc dans le cadre de l’autosubsistance138. Des mesures comme celles qui prévoient un système de syndotai139 pour l’entretien des soldats impécunieux font rentrer cet entretien dans le cadre de l’autosubsistance. En revanche, le développement des tagmata au xe siècle, puis la multiplication des contingents de mercenaires étrangers à cette époque et surtout au xie siècle, entraînent une augmentation de la demande en grain de ce côté-là.
64On notera donc le parallélisme entre l’évolution de l’offre et celle de la demande. Nous avons vu140 en effet que, dès la seconde moitié du vie siècle, se développait la petite paysannerie indépendante, notamment par l’amélioration du sort des petits locataires et emphytéotes, anciens colons, dont le loyer diminue fortement ; comme les propriétaires, soumis seulement à l’impôt, se multiplient, la quantité de grain mise sur le marché par les petits paysans pour satisfaire à leurs obligations en matière de prélèvement tend à diminuer, au moment même où diminuent les besoins des villes et de l’armée. De la même façon, l’augmentation de ceux-ci aux ixe-xie siècles sera mise en parallèle avec une augmentation de l’impôt141 et la multiplication des paysans non propriétaires abandonnant à leur propriétaire, directement ou sous forme monétaire, une quantité accrue de céréales, ainsi mises sur un marché lui-même en expansion. Ce parallélisme approximatif semblerait exclure tensions de fond et chute durable sur le marché des subsistances pour l’époque qui nous intéresse.
65Offre et demande de subsistances peuvent être globalement équilibrées ; encore faut-il qu’elles se rencontrent. Ce sont les circuits du grain. L’un d’eux est bien connu : le blé d’Égypte nourrit Constantinople142. Au-delà de Constantinople, dès le ive siècle, l’Expositio totius Mundi note que, grâce à des rendements qu’elle estime au chiffre, peu crédible, de 100 à 120 pour 1, l’Égypte ravitaille aussi les provinces orientales et notamment l’armée en campagne. La vie de Jean l’Aumônier raconte l’épisode d’un nauclère étranger à qui le saint patriarche donne un dorkôn (navire de ligne) plein de 20 000 gomatôn (mesure inconnue par ailleurs) de grain que le nauclère va revendre pour 12 fois sa valeur en Bretagne, sans préjudice du profit sur l’étain, son fret de retour143. Ceci n’empêche pas Alexandrie de connaître la famine, notamment avec l’afflux de réfugiés devant l’avance perse en 614144.
66Toutefois, dès le ve siècle, le ravitaillement de Constantinople est loin de reposer entièrement sur l’Heureux Transport ; ce qui explique la relative facilité avec laquelle la capitale s’en passe après 642. Vers 460, Constantinople avait connu une famine que nous vivons à travers le couvent des Acémètes. La cause en est double : le Nil n’a pas débordé du tout ; on pourrait se tourner vers la Thrace, mais celle-ci, accablée par les barbares, est restée inculte. C’est cette conjonction dans la faillite des deux sources de ravitaillement qui rend la situation désespérée dans la capitale, comme dans les campagnes alentour et dans toutes les autres villes145. En 545, Procope note que l’on achète les céréales en Bithynie, Phrygie et Thrace146. Au xe siècle, la Thrace est toujours une source essentielle de ce ravitaillement ; elle procure ainsi à l’armée partie en Crète en 911 presque autant de céréales que l’Anatolie147. On a vu que, dès la fin du xe siècle, Lavra armait une véritable flotte pour vendre le grain produit par ses domaines et parèques à Thessalonique, et même à Constantinople148. Au xie siècle, l’activité de Raidestos est entièrement tournée vers l’écoulement du blé de Thrace sur le marché constantinopolitain ; Attaliate, qui possède une maison dans chacune des deux villes, qui produit du blé, mais en fait sûrement aussi commerce149, fournit un bon exemple de ce mouvement. L’installation dans cette ville du monopoleion sous Michel VII correspond à cet important courant commercial. À cette époque, du blé arrive à la capitale également depuis la Thessalie150.
67L’exemple de Constantinople montre que, au moins pour ce ravitaillement, l’Empire byzantin constitue un marché unique. Cela n’est pas sans importance, compte tenu des quantités énormes de grain nécessaires au ravitaillement de la capitale, entre 5 et 6 millions de modioi par an quand la ville compte dans les 400 000 habitants151. Le blé n’est certes pas meilleur marché dans les régions productrices, ne serait-ce que pour assurer la rémunération des transporteurs et marchands ; mais ces variations n’entraînent pas d’énormes disparités entre les régions productrices, sauf peut-être en Égypte.
68Le marché du grain est très ouvert ; on n’hésite pas à s’adresser au loin lorsque le ravitaillement local est insuffisant. Dès le ive siècle, sous l’épiscopat d’Épiphane de Chypre, lors d’une famine, un nommé Faustin spécule sur la cherté du blé et envoie 5 ou 6 navires en chercher en Calabre152. En 614, pour faire face à l’afflux de réfugiés, Jean l’Aumônier fait venir de Sicile 2 dorkôns chargés de blé153. Constantinople reste longtemps fidèle aux circuits traditionnels ; le blé des plaines d’Europe nord-orientales ne s’imposera pas avant le xie siècle154 ; le blé bulgare, celui du nord des Balkans, arrive très irrégulièrement, du moins avant les victoires décisives de Basile II qui procurèrent “l’abondance des choses nécessaires”155. Et même, le ravitaillement en blé continue de venir non de l’Égypte, mais des autres provinces perdues, et ce, en pleine guerre ; l’impératrice Théodora, en plein affrontement avec les armées califales, au grand scandale de son impérial époux, affrétait des navires pour importer des grains de Syrie156. L’indignation de Théophile nous paraît riche de sens : cela pouvait paraître un exploit de faire venir de chez l’ennemi un produit aussi nécessaire au ravitaillement de l’Empire. Avoir acheté à l’ennemi n’est pas condamnable en soi : le commerce des étoffes syriennes est parfaitement autorisé, occupe tout un corps de métier157, et des marchands syriens viennent à Constantinople apporter leurs produits. Mais l’achat de blé syrien est condamnable parce qu’on pouvait se procurer le même produit à l’intérieur de l’Empire, donc sans avoir rien à solder en or à l’extérieur. De plus, l’Impératrice et donc, indirectement, l’Empereur sont ainsi amenés à se livrer au commerce de la marchandise et à tirer profit de leurs sujets, ce que l’Empereur et le chroniqueur condamnent.
69Le marché du grain paraît donc comparativement ouvert et organisé, tout en restant dans le cadre d’un système parfaitement libéral. Bien que le grain soit un produit sensible, que la quantité des céréales et le prix de celles-ci rendues à Constantinople soit du plus haut intérêt politique, ni les quantités ni les prix des céréales livrées dans la capitale ne sont réglementés. A preuve, le statut du métier des boulangers : ils doivent régler le poids du pain servi par unité monétaire158 selon le prix du grain, dont rien ne vient apparemment limiter les variations.
70De cette liberté, l’épisode du monopoleion de Raidestos fournit un exemple, a contrario, décisif. Avant l’établissement du fameux foundax par Niképhoritzès,“des charrois nombreux amenaient le blé au kastron de Raidestos ; il y était vendu directement et librement aux établissements et maisons des monastères, de la Grande Église159 et de nombreux habitants de la cité. On achetait le blé comme on voulait, par entente avec le vendeur ; si le marché ne se faisait pas avec l’un, on allait discuter avec un autre ou encore un autre : la vente avait lieu directement aux chariots”160. L’acheteur cherchait donc librement le moins-disant. Mis à part son profit personnel, comme le dénonce vigoureusement Attaliate, quel but poursuivait Niképhoritzès en instituant le foundax ? En obligeant les vendeurs à vendre à un endroit unique, il concentrait la totalité de l’offre ; comme l’acheteur était unique, et en plus doté de l’autorité publique, il pesait sur l’offre. Cela aurait donc dû faire baisser les prix. S’il n’en a pas été ainsi, c’est peut-être par suite des spéculations de Niképhoritzès, mais c’est plutôt que les vendeurs se sont dérobés ; le blé est un produit qui se stocke. Les puissants, qui ont leurs quais (skalai) à Constantinople, en font fréquemment commerce. Ils ont attendu qu’un changement politique, l’usurpation de Nicéphore Bryennios, leur permette de ruiner le foundax et que l’on revienne au libéralisme, donc aux lois du marché161.
71Le récit tendancieux d’Attaliate sur le foundax laisse planer un soupçon de spéculation, qui n’était peut-être pas infondé. Nous n’avons certes pas beaucoup d’exemples concrets de ces spéculations, du moins à grande échelle et à l’intérieur de l’Empire byzantin. Nous avons vu ce naviculaire à qui Jean l’Aumônier donnait un dorkôn pour aller, à navigation forcée, 20 jours et 20 nuits, profiter de la disette bretonne et vendre le blé 12 fois son prix. Léon le Diacre accuse le curopalate Léon Phocas d’avoir affamé Constantinople en 966162. Attaliate accuse Niképhoritzès d’avoir fait monter le grain de 18 modioi par nomisma à 1 modios par nomisma, ce qui est, nous le reverrons, largement exagéré. Le livre de l’Éparque, traitant des boulangers163, ne prend pas de précautions directes contre l’agiotage ; mais pour d’autres métiers, il interdit de stocker la marchandise“pour faire des provisions pour les temps de disette”164.
72Cette ouverture du marché du blé a ses limites. Par exemple, dans le cas longuement étudié de la famine à Édesse au tournant des ve-vie siècles, les autorités municipales, promptes à demander des allégements fiscaux et à faire pour cela le long voyage de Constantinople165, ne font à aucun moment venir du blé de l’extérieur. En 500, les autres régions avaient aussi été ravagées par les sauterelles, mais ce n’est plus vrai les années suivantes. D’ailleurs, Édesse ne manque pas totalement de céréales ; les autorités municipales, comme les personnes privées, possèdent des réserves ; dès lors qu’on a décidé des distributions aux pauvres, la matière ne semble pas réellement manquer ; mais, comme ces réserves ne sont pas commercialisées massivement, le prix du grain monte. Le gouverneur autorise les non-boulangers à vendre du pain : il y a donc de quoi en faire. Bref, à Édesse, la circulation du grain n’est pas parfaite, même à l’intérieur de la cité.
Le prix des grains
73Les données que nous avons sur ce point sont d’autant plus délicates à manier que, si l’unité monétaire citée par nos sources, le nomisma, est d’une grande stabilité jusqu’au milieu du xie siècle, les unités de mesure de capacité sont extrêmement difficiles à cerner166. Examinons d’abord nos données brutes.
74Nous commencerons à la fin du ive siècle. En 361-362, le blé valait à Antioche 15 modioi par sou ; il monta jusqu’à 10 modioi167. Pendant l’épiscopat d’Épiphane de Chypre, la famine porta le prix du blé jusqu’à 3 modioi par nomisma avant que des navires de Calabre ne viennent casser les cours. Un siècle plus tard, nous arrivons à la série d’Edesse, rapportée par le Pseudo Josué le Stylite168 :
75Dans l’Égypte des papyrus (ve-viiie siècle) le prix varie à Alexandrie de 8 à 20 artabes par nomisma, soit 13 2/3 à 34 1/6 modioi par nomisma169, le prix moyen semblant se situer autour de 12 à 13 artabes (20 1/2 à 22 1/6 modioi) par nomisma. Le prix du blé en Égypte est plus bas qu’ailleurs, à cause de la prodigieuse concentration de grain sur Alexandrie. Nessana ne nous a livré qu’une seule série de documents à peu près clairs sur ce plan ; dans les années 674-681170, le prix du grain se situe à 15 modioi par nomisma avec une remarquable constance à travers trois documents.
76La convergence est ici quasiment absolue ; si l’on met de côté l’Égypte, où les prix seraient de 1/3 inférieurs, les provinces d’Orient connaissaient le blé au prix moyen normal de 15 modioi par nomisma, avec une fixité comparable à celle de la monnaie d’or. On se rappelle que toutes ces provinces étaient fortement exportatrices de blé, au profit de la capitale ; on ne peut donc exclure que le prix y soit moins élevé que dans la capitale ; le raisonnement est d’ailleurs valable pour toutes les régions qui, comme la Thrace, sont fortement excédentaires.
77Nous n’avons plus d’indications d’aussi bonne qualité avant le viiie siècle. Lors de la baisse des prix de 766-767, le blé se vend 60 modioi par nomisma, soit le quart ou le cinquième de sa valeur ; les prix du grain, qui pouvaient décupler, pouvaient chuter dans des proportions certes moindres, mais tout de même importantes. Sous Basile Ier, le prix normal du grain, d’après Skylitzès, était de 12 modioi par nomisma, mais était monté, durant une famine, à 2 modioi ; l’Empereur avait vendu du blé d’Etat pour faire retomber les cours à 12 modioi ; Nicéphore Phocas, à la suite d’un vent brûlant en mai 969, pratique de façon identique devant le même prix de famine171. En 960, durant une famine, le grain se vend 4 modioi, mais revient rapidement à 8 modioi, ce qui restait somme toute modique172. A la fin du xe siècle, la Tactique de Nicéphore Ouranos nous montre des Syriens assiégés proposer aux Byzantins de la frontière de leur payer 1 nomisma pour 2 ou 3 modioi, voire pour un seul modios173. Ce prix de crise est destiné à tenter, par son énormité même, les intéressés, pour qu’ils livrent à l’ennemi cette marchandise alors éminemment stratégique. Le typikon d’Andronic Doukas donne 12 modioi par nomisma comme prix normal du blé en 1073, ce que la plupart des auteurs considèrent comme le prix ordinaire174.
78Nous sommes alors sous le règne de Michel VII, qui doit son surnom de “Parapinasse” justement aux variations du prix du grain. Au début de son règne, la médimne de blé, soit 18 modioi, aurait valu 1 nomisma. Or la médimne, c’est aussi 4 pinakia ; durant son règne, on aurait obtenu, pour un nomisma, un pinakion (παρὰ πινάκιον) de moins, soit 13 1/3 modioi par nomisma175. Attaliate, utilisant, lui, le thalassios modios176, affiche, avant l’invention du foundax de Raidestos, ce même prix de 18 modioi par nomisma, parfaitement raisonnable ; et, si l’on compare avec les indications données plus haut, un prix de crise de 1 modios par nomisma n’est pas invraisemblable dans l’absolu177. Mais cette donnée est contredite par Attaliate lui-même : à l’automne 1078, dans une véritable situation de famine, la médimne (18 modioi) de grain se payait 3 nomismata, soit 6 modioi le nomisma, ce qui, compte tenu de la dévaluation du nomisma, n’est pas très éloigné du prix de 960178 ; on voit que la haine à l’égard de Niképhoritzès avait entraîné Attaliate un peu loin.
79Au début du règne de Michel VII, nous voici confronté à deux prix différents du blé. L’un, cohérent avec la situation des siècles précédents, est de 12 modioi par nomisnia. Il a l’avantage de provenir, en 1073 encore, d’un document de la pratique, valable au moins pour les campagnes ; et on ne voit pas que l’auteur du praktikon aurait eu intérêt à surévaluer le prix du grain. Mais l’autre, le prix bas, ressort d’une concordance entre des chroniqueurs qui sont, dans l’ensemble, sérieux ; certes, Attaliate pouvait être soupçonné d’avoir forcé dans le sens de son raisonnement, car il est lui-même producteur et commerçant en grain, mais Zonaras vient à son secours.
80Pour compliquer encore le problème, nous sommes bien obligé d’ajouter que le nomisma de Michel VII n’est pas, tant s’en faut, celui de Basile Ier ou de Romain II. Les deux émissions connues de nomismata histaména de son règne affichent un titre respectif de 65 % et de 55 % d’or ; le tétartèron de type 3 descend même jusqu’à 40 % alors que les pièces d’or de Romain II titraient 95 % ; le nomisma a donc perdu entre un peu moins du tiers et plus de la moitié de sa valeur179. A partir d’un prix de 12 modioi par nomisma, si le prix était resté constant, compte tenu de la valeur intrinsèque de la pièce d’or, le prix nominal du blé aurait dû se situer entre 8 1/4 et 5 modioi par nomisma, à peu près 3 fois le prix avancé par Attaliate et Zonaras. Les indications du règne de Michel VII montrent donc une formidable baisse des prix du grain, si toutefois nous pouvons suivre nos sources ; le prix de disette avancé par Attaliate pour 1078 est au contraire le seul prix raisonnable. Ce qui va à rencontre des suppositions habituelles d’une hausse, même nominale, des prix à cette époque180. On notera d’ailleurs que la hausse qui vaut son nom à Michel VII correspond uniquement à la dévaluation de la monnaie durant son règne. Preuve que le prix de départ, ainsi modifié suite aux manipulations monétaires, était bien un prix réel, et faible.
81Ces indications ne permettent pas de définir exactement le prix du produit qui constitue plus de la moitié des ressources alimentaires des Byzantins. Pour la haute époque, le prix du blé semble avoir tourné autour de 15 modioi par nomisma ; à l’époque mésobyzantine, il se situerait aux environs de 12 modioi par nomisma ; comme le nomisma conserve sa valeur, on peut en inférer une hausse du prix du blé d’environ un cinquième, ce qui n’est pas énorme. Mais on ne peut pas dire quand elle se situe exactement ; notamment, à l’époque de Constantin V, nous ne possédons qu’un prix exceptionnellement faible et considéré comme tel, sans que l’on puisse savoir s’il est le quart ou le cinquième du prix “normal”. Nous inclinons à penser que cette hausse légère du prix du grain accompagne la période des transformations sociales des vie-viie siècles.
82Si l’on tient compte de la dévaluation monétaire, le prix du grain aurait diminué des 2/3 dans la seconde moitié du xie siècle. Même avec la hausse nominale connue sous Michel VII, la baisse réelle reste encore supérieure à 50 %.
83Faute de pouvoir véritablement expliquer un tel mouvement, on peut en reconstituer sans trop de peine les conséquences sociales. Les producteurs de grain qui, en dehors de l’autosubsistance, doivent solder la plupart de leurs dépenses (impôt, loyer, équipement) en espèces, sont gravement handicapés, à commencer par les petits propriétaires. Les propriétaires fonciers rentiers du sol qui touchent des redevances en nature voient fondre la valeur réelle de leur rente, tout comme ceux qui touchent des rentes fixes en monnaie dévaluée. Les petits tenanciers qui versent leur pakton en nature et ne sont pas directement redevables de l’impôt sont comparativement avantagés. Mais globalement, quelle formidable perte de richesse pour les campagnes, ceux qui y travaillent, comme ceux qui en profitent, qu’une baisse des prix aussi considérable, si bien sûr elle est exacte !
84Or, aucun facteur externe ne permet d’expliquer cette chute du prix du grain. Les marchands occidentaux, amalfitains et vénitiens surtout, qui commencent à affluer à Constantinople, sont bien plus acheteurs que vendeurs. De plus, l’Occident n’est pas, à notre connaissance, exportateur de blé à cette époque, pas plus que le monde arabo-musulman. Un excédent “mondial” de l’offre de grain est peut-être l’explication de cet effondrement, mais nous n’avons pas le plus petit début d’indication à ce sujet. Et comme la population de l’Empire, donc la demande intérieure, ne semble pas avoir connu de net fléchissement, l’explication ne saurait venir de là ; au reste, la population du plus gros consommateur non producteur, Constantinople, continue de s’accroître à cette époque et, vraisemblablement, jusqu’en 1204.
85Eu égard à ce mouvement général, on peut faire quelques observations sur les variations ponctuelles, sur les crises frumentaires. Elles sont extrêmement brutales. À Édesse, en 499, en quelques jours, le prix du blé a été multiplié par 7,5 ; il reste situé entre 7,5 et 5 fois son cours normal - avec une pointe à 15 fois et une accalmie à 2,5 fois - durant au moins 5 ou 6 ans ! Et ce n’est pas une exception si rare : l’exemple d’Épiphane de Chypre montrait une multiplication par 5 ; celui des confins syriens à la fin du xe siècle, une multiplication par 4, 6 ou même 12. Seul, Attaliate reste vraiment déraisonnable en essayant de nous faire croire à une multiplication par 18 du seul fait du foundax. L’effondrement en sens inverse sous Constantin V, peut-être amplifié par des chroniqueurs hostiles, paraît donc tout à fait cohérent. Il est à peine plus important que la baisse tendancielle, profonde et durable du xie siècle.
b/ Autres produits alimentaires
86Toutes les sources qui nous en parlent montrent que l’orge suit le cours du blé, avec un rapport globalement fixe et variable dans le détail. Ainsi, le Pseudo Josué le Stylite donne presque toujours à la fois le prix de l’orge et celui du blé181. Les rapports (arrondis) sont : 60 %, 2/3, 70 %, 2/3, 55 %, 2/3, 60 %. La normale, c’est donc l’orge valant les 2/3 ou les 3/5 du froment, moins à cause d’un rendement meilleur, qui ne se vérifie pas sous nos latitudes, que par une qualité jugée seconde ; le pain d’orge n’est unanimement apprécié que par les ascètes ! Notons que, en 766-767, l’orge se vend 70 modioi le nomisma ; le blé (60 modioi par nomisma) est devenu tellement abondant que sa surcote par rapport à l’orge a diminué des deux tiers.
87Les prix des autres produits alimentaires, moins importants, sont encore plus mal connus. Il serait par exemple intéressant de connaître le prix des légumineuses qui représentent souvent jusqu’au cinquième de la consommation de blé, avec une qualité nutritive meilleure. Les lentilles valaient, en Égypte, à peu près 50 % de plus que le blé pour un même volume ; comme les lentilles ont une densité supérieure au blé, le prix est donc comparable, à valeur nutritive égale, alors que l’Édit de Dioclétien les mettait au rang de l’orge182. Au moment où commence la famine à Édesse en 499, alors que le blé est déjà à 4 modioi le nomisma, les lentilles se vendent 360 nummi le kabos (environ 1 litre), ce qui représente un peu plus d’un modios par nomisma ; les fèves se vendent 400 nummi le kabos, soit pratiquement un modios au nomisma ; les pois, 500 nummi le kabos, soit un peu moins d’un modios par nomisma ; les légumineuses sont donc ici 3 à 4 fois plus chères que le blé183 Les légumes frais étaient encore plus chers ; au xe siècle, André Salos achète pour 1 follis de légume et 1 follis de lupin, sans que la vie nous donne aucune idée du poids ou du volume184. Un marchand d’Alexandrie dépensait, pour sa maisonnée, 5 folleis de légumes par jour185.
88Les produits de l’arboriculture sont plus prisés encore. Rappelons l’exemple de ce pauvre homme qui rassasia Michel Maléïnos d’une poire et qui aurait tiré tous ses moyens d’existence d’un seul poirier186. Quant au vin, il se vend à Édesse, en octobre 500, où il était sûrement très cher, 6 mesures par sou187, à comparer avec les prix égyptiens de 50 setiers par nomisma (setier de 0,547 1)188. Avec un tel prix, un modios de terre, s’il rend 400 litres189, fournit un revenu net d’environ 15 nomismata, alors qu’un modios cultivé en blé rapporte, semence déduite, 1/6 de nomisma, soit 90 fois moins ! Même si nous surestimons le rendement du vignoble byzantin et si bien des piquettes locales ne valaient de loin pas ce prix, cela montre tout l’intérêt de la viticulture.
89Un autre produit du sol atteint des prix élevés de par sa rareté : le fourrage. Il devait même être particulièrement coûteux en Égypte où nous en connaissons un peu le prix, car cette province lui consacre évidemment peu de parcelles, quand le blé fournit des rendements fabuleux. Le fourrage y vaut 2 à 4 fois plus cher à l’artabe que le froment190. Surtout, l’on doit mettre en rapport le haut prix du fourrage avec le prix, également élevé, des animaux, dont il faut assurer la nourriture toute l’année.
c/ Prix des animaux
90On distinguera ici le petit bétail, qui sert uniquement pour ses productions, et le gros bétail, qui sert également pour le trait. Dans l’Égypte de la fin du viie siècle et du début du viiie siècle, le mouton vaut à peu près 1/2 nomisma191. Le prix du porc varie entre 1/3 et 2/3 de nomisma192. Un ovin et un porc sont donc à peu près équivalents ; mais un traité d’arpentage datant sans doute de Michel IV estime la petite brebis au 1/10e de nomisma et la grande à 1/6e193. Nos sources n’indiquent rien sur une évolution que l’on pourrait comparer à celle des céréales. Le prix de ce petit bétail revêtait une importance plus grande pour les propriétaires qui, tels Philarète, Jean Xénos ou Pakourianos, chacun à son échelle, pratiquaient un élevage spéculatif de ces animaux. Les petits paysans, eux, en achètent et en vendent relativement rarement.
91Il n’en va pas de même pour les bêtes pouvant servir d’animaux de trait. On se rappelle le père de 9 enfants que secourt Philarète ; il avait emprunté pour acheter l’un de ses bœufs194. La plupart des paysans ne sont pas vraiment à même d’obtenir dans leur exploitation la reproduction de leur troupeau. Le prix de la bête a donc une grande importance.
92Les papyrus égyptiens indiquent en général un prix de 3 nomismata par bœuf195. Ce prix est confirmé par un passage du De Cœrimoniis et par un document de Saint-Paul du Latros de 987196. Un peu plus tard, le traité de métrologie évoqué plus haut attribue uniformément le prix de 4 nomismata aux bœufs, buffles et juments197. On en déduirait une tendance à l’augmentation au tournant des xe et xie siècles198, si l’indication de l’époque de Michel IV était une donnée objective d’un prix, et non un calcul à partir de l’impôt. En tout cas, le prix des bovins ne baisse sûrement pas.
93S’agissant des équidés, nous tirons quelque enseignement des papyrus d’Égypte et de Nessana. Laissons de côté le chameau, beaucoup plus coûteux (une femelle coûte jusqu’à 7 nomismata). À Nessana, un âne coûte de 2 1/3 nomismata (mais il s’agit d’une bête de mauvaise qualité qui meurt rapidement) à 5 1/3 nomismata pour une ânesse (prix excessif : s’agit-il d’une bête pleine ?)199 ; c’est toutefois cohérent avec les données tirées de la vie de Gérasime, écrite au vie siècle, où l’âne vaut 3 nomismata200 ; le prix de l’âne pourrait donc tourner autour de 2 nomismata. Aux ve-viie siècles, le cheval coûte 3 nomismata aussi bien en Égypte201 qu’à Nessana202. Dans le traité de métrologie de l’époque de Michel IV203, la jument vaut 4 nomismata, comme le buffle ou le bœuf. Le prix du cheval est toutefois très variable : un animal destiné à l’armée atteint couramment 12 nomismata pour une jument et 15 nomismata pour un mulet (plus résistant)204. La qualité du cheval que le stratiote amène à l’armée est d’ailleurs variable : la bête d’un pauvre hère comme le Mousoulios de la vie de Philarète ne devait pas avoir grande valeur ; mais certains stratiotes que nous décrit Constantin VII, avec plusieurs valets, pouvaient fort bien posséder des animaux de grand prix.
94Quoi qu’il en soit, on est frappé par le prix extrêmement élevé des animaux - et des esclaves - nécessaires à la mise en valeur de la terre et on ne s’étonnera pas du luxe de protection dont le Code Rural les entoure. L’équipement de base d’une exploitation, une paire de bœufs et un âne, coûte de 8 à 11 nomismata, alors que l’on nourrira un homme durant une année avec 2 ou 3 nomismata et que le salaire d’un ouvrier agricole ne dépasse pas 5 à 6 nomismata par an. Bref, dans le monde byzantin, tandis que le grain est relativement bon marché, les moyens de travail, animaux et main-d’œuvre, sont chers. L’évolution semble plutôt renforcer ce contraste. En regard, que vaut la terre ?
2/ Le prix de la terre
95Sur ce sujet, les documents des xe-xie siècles sont un peu plus diserts ; il faut toutefois les manier avec la plus extrême prudence, car ils proviennent pour la plupart d’achats par des monastères205, à des prix peut-être sous-évalués. Pour mieux apprécier toutefois les indications des actes de la pratique, nous disposons d’une référence ; un traité d’arpentage que son éditeur place sous Michel IV donne le prix théorique des terres“d’après les décrets impériaux et les habitudes des lieux”206 :
- terre de 1e catégorie : 1 modios par nomisma
- terre de 2e catégorie : 2 modioi par nomisma
- terre de 3e catégorie : 3 modioi par nomisma
- prairie de fauche : 1 modios pour 3 nomismata
- vigne hors classe207 : 1 modios pour 40 nomismata
- vigne moyenne : 1 modios pour 7 nomismata
- vigne médiocre : 1 modios pour 5 nomismata
- vigne très médiocre 1 modios pour 3 nomismata
96Pour le vignoble, nous n’avons qu’une seule donnée sûre : en janvier 985, Ivirôn donne à la communauté athonite une vigne de 30 plinthia achetée 5 livres ; le plinthion ou plèthre vaut 3 modioi208. Ivirôn avait donc acheté 90 modioi de vignoble209 pour 360 nomismata, soit une valeur de 1 modios pour 4 nomismata : une bonne affaire ou une vigne médiocre, en tout cas un prix cohérent avec le traité d’arpentage.
97Une dizaine de prix, dont 9 regroupés entre 897 et 1056, permettent de dresser le tableau suivant :
98On remarquera tout d’abord la cohérence avec le traité d’arpentage. Bien entendu, celui-ci est réducteur de la diversité en donnant une échelle d’unité en unité ; il ne tient pas compte de l’état du marché de la terre, ici et à telle époque, et aurait plutôt tendance à surévaluer les terres. Mis à part l’exemple, très discutable, de Théophane, les valeurs hautes s’expliquent par des circonstances particulières. La valeur moyenne de 2 modioi par nomisma peut utilement s’utiliser pour l’élaboration des modèles d’équilibre économique, mais elle est constamment menacée, par le bas.
99Une constatation s’impose : le prix de la terre est relativement bas à Byzance, du moins à l’époque qui nous intéresse. Dans l’exemple n° 9, la veuve Kalida vend sa tenure, petite il est vrai, pour 15 nomismata : c’est le prix d’un cheval de guerre. La seule production céréalière d’une tenure de 100 modioi, qui vaut au mieux 50 nomismata, 175 modioi de grain, représente déjà environ 15 nomismata au xe siècle, soit 30 % du capital fixe. Sans même parler de la valeur des instruments, le seul cheptel de gros bétail qu’on y trouve coûte de 8 à 11 nomismata ; si l’on ajoute un esclave (10 à 20 nomismata), la force de travail disponible vaut presque autant que le bien-fonds.
100Le droit au bail (εἰσδεκτικόν) que les Hiérissotes ont versé à Kolobou (100 nomismata pour 2 000 modioi de terre, soit environ le 1/10e de la valeur de la terre à 2 modioi par nomisma) est cohérent avec le prix de la terre que nous venons d’examiner. Celui-ci entraîne à son tour des loyers fort modestes. Le canon emphytéotique était très faible219. Le loyer du métayer est de 1/10e des grains ; le pakton du parèque, qui inclut l’impôt, n’est pas beaucoup plus élevé, le 1/6e de la production220 ; l’extraordinaire faiblesse de la rente découle de la très faible valeur du capital foncier. On s’explique alors aisément avec quelle facilité les fonctionnaires et dignitaires impériaux ont pu se constituer des domaines importants grâce aux seules rémunérations de leurs talents, comme Attaliate ou, à un niveau moins bien connu mais sans doute plus élevé, Michel Psellos221.
101Le rapport entre le prix (faible) de la terre et celui, au moins comparativement élevé, de la force de travail s’explique aisément. La terre est abondante, avec une tendance marquée à la désertion. Ainsi, en Chalcidique dans les années 940, la désertion continue des terres depuis au moins le milieu du ixe siècle a complètement déprimé le marché ; non seulement les klasmata sont nombreux, mais le prix des transactions sur les terres non désertées est tombé jusqu’à la moitié de sa valeur primitive ; et les terres clasmatiques, qui sont indexées sur le marché libre, sont encore meilleur marché ; quand l’État en vend, comme en 941, cela fait encore baisser le prix normal de la terre. Quinze ans après, le bureau du génikon peut même s’offrir une réévaluation des terres clasmatiques vendues sans soulever apparemment de trop vives protestations ; même doublé, le prix des terres clasmatiques reste ridiculement bas : en 941, Nicolas, fils d’Agathôn, acquiert 100 modioi de terre, l’exploitation type byzantine, pour 2 nomismata, soit le prix d’un âne222 !
102Les données que nous avons rassemblées ne permettent pas de faire ressortir d’évolution du prix de la terre, mis à part une baisse provisoire en Chalcidique dans les années 850-950. La donnée fondamentale reste la faible valeur de la terre en soi. Comme Nicéphore Phocas le montre avec une telle acuité dans sa novelle de 964, des terres fort étendues ne servent à rien si elles ne sont pas convenablement exploitées et leurs immenses possessions ne préservent pas maints monastères de la décrépitude et de la ruine223.
3/ Le prix de la main-d’œuvre
103Comparé à cela, le prix de l’équipement et de la main-d’œuvre est exorbitant. L’esclave coûte certes peu cher d’entretien, mais vaut presque une tenure (20 nomismata). Le salarié est hors de prix : il faut en effet lui fournir, en gros, de quoi nourrir une famille. À la haute époque, le salaire quotidien était d’environ 1 kération224, ce qui correspond au salaire d’Eulogios le Carrier225 ou d’un tailleur de pierre226. Certes, il s’agit d’ouvriers qualifiés, et l’on peut imaginer que le salaire de l’ouvrier agricole était inférieur, surtout si son jardin l’entretenait en partie ; il pourrait alors nourrir sa famille avec environ 60 modioi de grain (5 nomismata) ; avec les dépenses annexes, un salaire de 1/2 kération paraît le minimum indispensable ; un ouvrier agricole du bas de l’échelle toucherait donc, jours fériés et basse saison déduits, quelque chose comme 6 ou 7 nomismata par an227, le prix d’une bonne paire de bœufs. À ce rythme-là, l’esclave, qui n’a pas de jardin, est entièrement nourri et vêtu par le maître et qui coûte 3 ou 4 nomismata d’entretien par an, est amorti en 5 ou 6 ans !
104De cette primauté de la main-d’œuvre dans la mise en valeur des domaines, un document de Lavra nous fournit un exemple convaincant228. Jugeant son proasteion de Barzachanion trop éloigné, Lavra obtient de l’Empereur de l’échanger contre deux proasteia impériaux proches de Thessalonique, Asmalou et Lôrotomou. Barzachanion possède beaucoup de terre de première qualité mais autant, ou presque, de terre de montagne. Les paysans qui y résident, qui, théoriquement, devraient être 80, ne sont que 15, mais très prospères : 4 dizeugitai et 11 zeugaratoi (donc l’équivalent de 19 zeugaratoi). Les terres que reçoit Lavra ont, au départ, deux infériorités : 601 modioi de terres de première qualité de moins ; seulement 18 zeugaratoi, mais 10 boïdatoi et 7 aktémones de plus, donc un gain d’environ 5 équivalents-zeugaratoi. Premier gain en main-d’œuvre. Mais ceci est secondaire au départ : Lavra s’apprête à augmenter ses revenus par une exploitation rationnelle du sol.
105Dans les deux cas, on est loin d’une exploitation optimale ; à Barzachanion, cela fait 186 3/4 modioi de terre arable par zeugaratos (et donc 373 1/2 par dizeugitès), ce qui est beaucoup. La superficie exploitée à Asmalou et Lôrotomou est, selon les mêmes critères229, du même ordre : comme il y a environ 5 zeugaria de plus, l’occupation du sol est meilleure et donc la production sur laquelle s’exercera la prélèvement de la rente plus élevée. D’où l’intérêt de l’échange.
106Ce qui distingue les deux domaines, c’est moins la superficie ou la qualité de la terre que le nombre d’exploitants. En recevant environ 30 % d’exploitants en plus, Lavra peut tabler sur une augmentation de la rente du même ordre. C’est la richesse en hommes qui fait la valeur d’une terre : l’Empereur ne s’y trompe pas et insiste sur les 10 zeugaratoi dont il fait cadeau à Lavra.
107Toujours dans le même sens, autant que l’étendue et la qualité de la terre, on note soigneusement le nombre et la qualité des exploitants existants et le nombre que Lavra a le droit d’installer : 80 à Barzachanion, mais 90 (les fameux 10 de plus) à Asmalou et Lôrotomou, tout en conservant le bénéfice de l’exemption. L’objectif de 90 exploitants est lointain et même utopique, car il ferait tomber le zeugarion au-dessous de son optimum ; mais le but poursuivi par Lavra, c’est moins une grande quantité de terre que le droit d’y installer des hommes pour l’exploiter. Ceci dit, la perspective, même utopique, de passer de 23 zeugaratoi à 90 montre assez la sous-exploitation du sol byzantin.
CONCLUSION
108L’étude des facteurs conjoncturels ne suffit pas, faute de sources, à dégager des lignes de force qui éclaireraient assez les structures de l’économie agraire byzantine et leur évolution, elle permet néanmoins de faire ressortir un point important qui n’est ni une nouveauté, ni vraiment une surprise.
109Face aux aléas de la conjoncture, c’est la petite exploitation qui est le mieux armée pour résister. C’est elle qui se reconstruira le plus vite après un raid ennemi ou une catastrophe naturelle, grâce à la faiblesse de son capital d’exploitation immobilisé et donc sujet à destruction. Surtout, compte tenu du faible prix de la terre et du droit à la terre, et du coût élevé de la main-d’œuvre, toujours trop rare, c’est la petite exploitation familiale qui offre le rapport production-rémunération du travail le plus élevé. Bien entendu, les éléments conjoncturels que nous avons brièvement décrits influent sur la forme que revêt cette petite exploitation familiale. Un État byzantin sur la défensive, aux exigences limitées, un cours élevé des céréales favorisent la petite propriété ; une baisse du prix du grain, une hausse du coût de la main-d’œuvre d’appoint et de certains équipements pèsent au contraire sur le petit propriétaire mais favorisent, dans l’absolu ou relativement, l’exploitant non propriétaire. La plupart des puissants ont conscience, explicitement ou intuitivement, que la mise en valeur du sol, et, partant, la rentabilité de leur domaine, sera meilleure s’ils la confient à de petits exploitants indépendants. Pour l’essentiel, les données conjoncturelles renforcent ce noyau central de l’agriculture byzantine à toutes les époques : la petite exploitation familiale. Celle-ci assure une part écrasante de la production agricole. Nous devons donc nous pencher sur ses contours, sa logique et son fonctionnement.
Notes de bas de page
1 Dans sa récente thèse sur les villages du Massif Calcaire de Syrie du Nord aux ive-viie siècles, G. Tate établit un lien très fort entre expansion économique et expansion démographique ; cf., du même. Les campagnes de la Syrie du Nord à l’époque protobyzatine, Hommes et richesses I, p. 63-77.
2 Nov. 32, pr., p. 240 = nov. 34, pr., p. 241 ; cf. Velkov, Les campagnes et la population rurale, p. 62-63.
3 T. F., p. 116 (“à la suite d’une incursion barbare ou en raison de quelque autre désastre”) ; p. 119 (“à cause d’une incursion barbare peut-être ou à la suite d’une autre catastrophe”).
4 Chute indubitable, même si l’on doit prendre avec prudence les chiffres et arguments avancés par Mango, Développement urbain, p. 53-62.
5 Même s’il ne reste que 150 000 habitants à Constantinople, chiffre le plus bas que nous puissions accepter, il faut trouver une quinzaine de modioi par habitant chaque année, c’est-à-dire ce que doit vendre une exploitation de 100 modioi pour payer ses impôts (cf. infra. c. 10, p. 502). 150 000 exploitations sont ainsi mobilisées, environ 750 000 personnes : au bout du compte, ce n’est pas beaucoup !
6 Ahrweiler, Asie Mineure, principalement p. 15-19 et 29-31.
7 Cf. par exemple Foss, Ephesus, p. 96-116 ; Id., Sardis, p. 39-64, cité dont le déclin est plus tardif.
8 Ahrweiler, Asie Mineure, p. 28-29 ; Charanis, The Iransfer of population, p. 104 ; DAI, p. 94 ; De Car., CSHB, p. 657.
9 Nicéphore, De Boor, p. 36 ; Théophane, De Boor, p. 364 ; Ahrweiler, Asie Mineure, p. 6 et n. 3.
10 Vie de Philarète, BHG 1511 z, p. 115.
11 Nicéphore, De Boor, p. 36 ; Théophane, De Boor, p. 364-366. Passage abondamment commenté par la suite : cf. Ostrogorsky, Geschichte, p. 110 ; Ahrweiler, Asie Mineure, p. 17 ; Id., Administration, p. 32. ; Charanis, The transfer of population, p. 143.
12 Nicéphore, De Boor, p. 68 ; cf. Charanis, The Slavic Element, p. 76-78 ; Id., The transfer of population, p. 144.
13 Théophane, De Boor, p. 419 ; Nicéphore, De Boor, p. 66 ; Ahrweiler, Asie Mineure, p. 17 ; cf. Oikonomidès, Frontière orientale, p. 295-297.
14 Sur la destruction de l’Etat paulicien, cf. Lemerle, Histoire des Pauliciens, p. 95-110.
15 Cf. Dagron, L’immigration syrienne, p. 179-182.
16 Cf. supra, c. 7, p. 334, sur la localisation, d’ailleurs impossible à déterminer avec exactitude.
17 Testament de Boïlas, p. 22.
18 De Car, CSHB, p. 652 et 656.
19 DAI, c. 50, p. 238-240 et De Them., c. 12, p. 75-76 ; cf. Dédéyan, Mleh le Grand, p. 87-101.
20 ID., Les Arméniens en Cappadoce, p. 75-83.
21 Cf. Dagron, L’immigration syrienne, p. 186-214.
22 Cf. supra, c. 7, p. 316-317.
23 Cf. supra, c. 7, p. 313-314.
24 Procope, De AEd„ IV, 4, p. 116-124 ; IV, 11, p. 142-145 ; cf. Velkov, Les campagnes et la population rurale, p. 64 ; Ostrogorsky, Geschichte, p. 60-61.
25 Cf. le témoignage des novelles de Justinien citées supra, n. 2.
26 Velkov, Les campagnes et la population rurale, p. 54-55.
27 Ibid., p. 58 et 65. La remarquable étude de Velkov est toutefois, en maints endroits, gênée par la volonté de démontrer le progressif asservissement des masses rurales au patronat latifundiaire. Or la paysannerie libre s’est maintenue, renforcée par les éléments barbares ; elle a notamment bien résisté à la vague hunnique de 441, et le colonat ne s’est développé en Thrace que tardivement et imparfaitement : cf. Id., ibid., p. 65.
28 Cf. infra, c. 11, p. 546-548.
29 La bibliographie sur cette question est abondante au plan ethnique plus que démographique. On trouvera l’essentiel de la matière dans les ouvrages de Lemerle, Invasions et migrations, Monemvasie, Miracles de Saint Démétrius, t. 2 ; et de Charanis, Ethnie changes, Monemvasia, Greece during the early Middle Ages.
30 Dufaure, Terrasse d’Olympie, p. 89-92.
31 Rudolph, Porto Cheli, p. 303-305 ; cf. Kontè, Argolide, p. 174 ; cf. supra, c. 4, p. 146.
32 Chronique de Monemvasie, p. 10.
33 Cf. supra, n. 9.
34 Sur les Kaphéroi, cf. Lemerle, Monemvasie, p. 20 n. 28.
35 Chronique de Monemvasie, p. 10.
36 Théophane, De Boor, p. 486. C’est la première “vexation”. Dans une phrase pour nous mystérieuse, l’auteur reproche à Nicéphore de faire cela “visant à humilier par tous les moyens l’armée”. Cela confirme que la reconquête se traduit par l’implantation du système thématique et l’installation de paysans grecs soumis au service militaire.
37 Ibid., p. 486.
38 Cf. supra, p. 448.
39 Vie d’Athanasia d’Égine, BHG 180, c. 4, p. 212.
40 Vie de Nikon le Métanoeite, BHG 1366, c. 59, p. 190.
41 DAI, c. 49, p. 230-232.
42 ’Eναπογραϕόμενοι τῷ μρτρογροπολίτρ ; la locution du Porphyrogénète (cf. note précédente) est lourde de sens. On y note d’abord une allusion au statut des colons adscrits, disparu depuis longtemps (cf. supra, c. 4, p. 160-161). Ensuite, les Slaves sont ainsi “inscrits” dans les titres de propriété de la métropole, sans doute avec leurs terres. L’ensemble désigne donc des paysans non propriétaires inscrits dans les registres sous le nom de leur maître : ce sont des parèques non imposés (cf. supra, c. 6, p. 264-265).
43 Ostrogorsky, Geschichte, p. 257-258.
44 Vie de Théoktistè de Lesbos, BHG 1723, c. 17, p. 11.
45 Ibid., c. 18, p. 12.
46 Le premier mari d’Athanasia d’Égine y avait trouvé la mort ; cf. supra, n. 40.
47 Carras, Life of Athanasia, p. 205.
48 Prôtaton n° 1 (883), p. 180 ; n° 2 (908), p. 184-185.
49 Lavra n° 2 et 3 (941), p. 94-95 et 96-97.
50 On a évidemment beaucoup incriminé le raid de Léon de Tripoli de 904. En réalité, celui-ci ne saurait être tenu pour responsable de désertions commencées bien avant lui (cf. supra, c. 8, p. 389-390). Mais surtout, il est illogique de faire des péninsules de Chalcidique un refuge contre les raids arabes, qui viennent de la mer, alors que ces presqu’îles, aisément défendables contre une attaque terrestre (les Bulgares), ne le sont pas contre une flotte. Les actes de l’Athos mentionnent d’ailleurs uniquement les Bulgares.
51 Lavra n° 10 (993) (vente de l’île à Athanase de Lavra), p. 124-125 et Lavra n° 11 (994), p. 129-130.
52 Ivirôn n° 2 (975), p. 112-113. On notera au passage que les pauvres hères, ceux qui n’avaient rien à perdre, sont restés, alors que les paysans de plein exercice, qui avaient bâtiments, matériel, bêtes, jardins, arbres fruitiers, ont déguerpi.
53 Ivirôn n° 10 (996), p. 169-172.
54 Lefort, Villages I, p. 36-37 (Batoneia) et p. 35 (Résétènikeia) ; on ne peut même pas soutenir que ces villages soient vraiment “au-delà des monts”.
55 Cf. par exemple les considérations de Harvey, Economic expansion, p. 24-27.
56 Le sujet exigerait une recherche tout à fait spécifique ; cf., par exemple, pour les ive-viie siècles, les pages qu’y consacre Patlagean, Pauvreté, p. 74-92.
57 Et qui a donné matière à l’excellent article de Leclainche, Crises économiques, lui aussi cité plus haut en de nombreuses occasions.
58 En attendant la publication de la thèse de G. Tate, cf. Sodini, Tate et al., Déhès I-III, p. 295-300. Sur les conditions économiques générales à Édesse, cf. Leclainche, Crises économiques, p. 91-92.
59 PS. Josué Le Stylite, p. 253 (trad., p. 187).
60 Ibid., p. 255 (trad., p. 188).
61 Ibid., p. 264 (trad., p. 194) ; cf. supra, c. 8, p. 381. En mai 499, ces sauterelles n’avaient rien mangé, simplement pondu.
62 Cf. supra, c. 8, p. 380-381.
63 Ps. Josué le stylite, p. 265 (trad., p. 195-196).
64 Ibid., p. 266-267 (trad., p. 196-197).
65 Ibid., p. 268 (trad., p. 197).
66 Ibid., p. 269 (trad., p. 198).
67 Ibid, p. 269-270 (trad., p. 199).
68 Ibid., p. 270 (trad., p. 199).
69 On remarquera une nouvelle fois le caractère extrêmement tardif de la vendange à Édesse ; déjà, en 500, c’était après le début de l’année (ère séleucide, donc le 1er octobre) ; ici, ce vent froid semble s’être produit avant la vendange, en octobre-novembre !
70 Ibid., p. 271-272 (trad., p. 200).
71 Ibid., p. 278 (trad., p. 204-205).
72 Ibid., p. 306 (trad., p. 225).
73 Ibid, p. 313 (trad., p. 230).
74 Cf. infra, p. 471 pour les mouvements des prix des céréales.
75 Ps. Josué le stylite, p. 266 (trad., p. 196).
76 Leclainche, Crises économiques, p. 95-96.
77 La chronique se termine juste à la fin d’une phase de la guerre perse, en 506-507, sans que l’on puisse par conséquent ni faire le bilan des dégâts ni juger d’une éventuelle reconstruction.
78 Ps. Josué le stylite, p. 270 (trad., p. 199).
79 Md., p. 272 (trad., p. 201).
80 Cf. supra, n. 71.
81 Patlagean, Pauvreté, p. 75-77.
82 Vie de Sabas, BHG 1608, p. 167-168.
83 Théophane, De Boor, p. 171 ; cf. Georges Le Moine, CSHB, p. 539.
84 Cf. supra, n. 61.
85 Patlagean, Pauvreté, p. 76. Serait-ce dû au passage d’un nuage résultant d’une éruption volcanique ?
86 Vie de Théodore de Sykéôn, BHG 1748, c. 36, p. 32. Mazamia se trouve à une dizaine de km à l’est d’Anastasioupolis : TIB 4, p. 203 et 224.
87 Vie de Théodore de Sykéôn, BHG 1748, c. 101, p. 80.
88 Nov. 32 (535), p. 240 = Nov. 34 (535), p. 241.
89 Famine à Jérusalem en 516-521 ; cf. supra, p. 456 et n. 61.
90 Patlagean, Pauvreté, p. 85-91, résume de façon analytique les différentes études antérieures en les confrontant avec les sources, dont on trouvera une recension, abondante mais pas exhaustive, dans Stein, Bas-Empire, t. 2, p. 758-760 et dans Biraben, Les hommes et la peste, p. 27-28. Ce dernier ouvrage reprend et approfondit Biraben-Le Goff, La peste du Haut Moyen-Age, p. 1494. La dernière étude de Allen, Plague, n’ajoute pas grand chose à Stein. Les études les plus complètes sur la peste de 541-542 sont donc celles d’E. Patlagean et de J.-N. Biraben. Les cartes dressées par cet auteur (p. 34-37) montrent que la diffusion de l’épidémie n’est pas générale. Les récents articles de J. Durliat, La peste du vie siècle. Pour un nouvel examen des sources byzantines, et de J.-N Biraben, La peste du vie siècle dans l’empire byzantin, parus dans Hommes et richesses I respectivement p. 107-120 et 121-125, après la rédaction de ce passage, ne nous conduisent pas à le modifier.
91 Vie de Syméon Stylite le Jeune, BHG 1689, c. 69, p. 59.
92 Vie de Théodore de Sykéôn, BHG 1748, c. 8, p. 7.
93 Vie de Nicolas de Sion, BHG 1347, c. 52, p. 82-84.
94 Ibid., c. 53, p. 84.
95 Biraben, Les hommes et la peste, p. 34 et 43, avec les réserves qu’impose, par exemple, l’histoire de Théodore de Sykéôn.
96 Cf. par exemple Fourquin, Histoire économique, p. 322-323.
97 Bois, Crise du féodalisme, p. 260.
98 Vie de Syméon Stylite le Jeune, BHG 1689, c. 126, p. 112-116.
99 Biraben, Les hommes et la peste, p. 332-347, a montré que le vecteur essentiel du mal est la puce de l’homme.
100 Cf. la démonstration de Patlagean, Pauvreté, p. 90.
101 Procope, Anecdota, XXIII, 20, p. 144.
102 Cf. supra, c. 4.
103 Nov. 122, pr. et c. 1, p. 592-593 (qui figurait dans B. 55, 14, 4, perdu) ; cf. Patlagean, Pauvreté, p. 90.
104 Cf. supra, c. 8, p. 421-422, la place de cette famine dans la conjoncture qui suscite la politique des Macédoniens. On a pu contester que l’hiver terrible décrit par les chroniqueurs fût celui de 927-928. Toutefois, nul ne peut nier la famine de 928. Or une famine de cette ampleur suppose une grave insuffisance des récoltes due à quelque catastrophe naturelle. L’accident climatique est le plus simple, le plus courant et celui dont les effets peuvent s’étendre de la façon la plus universelle. Nos connaissances climatiques indiquent dès lors trois possibilités : un hiver trop rude, des pluies trop abondantes ou une sécheresse trop précoce.
Par les destructions durables qu’il provoque, notamment dans l’économie d’appoint hortico-arboricole, c’est l’hiver qui est le plus redoutable. Même si ce n’est pas celui des chroniqueurs, l’hiver 927-928 ou, à défaut, l’hiver 926-927, a bien été terrible. Que nous remontions éventuellement jusqu’à 926-927 s’explique ainsi : une mauvaise récolte à l’été 927, provoquée par cet hiver, se transforme en famine lorsque les maigres récoltes de cette année-là sont épuisées, donc à la soudure 928, en pleine “indiction 1” (1er septembre 927 - 31 août 928). Mais une récolte vraiment catastrophique provoque la famine par spéculation avant même la récolte : la famine de l’indiction 1 peut être due à l’hiver de la même indiction. On comparera utilement avec T. Bianquis, Une crise frumentaire dans l’Égypte fatimide, JESHO, 23, 1980, p. 67-101.
105 Cf. supra, c. 8, p. 389-391.
106 Cf. infra, c. 10, p. 500-512, l’extrême modicité des excédents éventuellement dégagés et donc mis en réserve par les petites exploitations, même aux époques les plus favorables.
107 Romain Lécapène, nov. III. 5 (934), c. 1, p. 209-210.
108 Cf. supra, c. 8, p. 408-414, les politiques de Basile Ier et Léon VI à cet égard.
109 Nicéphore, De Boor, p. 62-64 ; Théophane, De Boor, p. 422-424.
110 Nicéphore, De Boor, p. 64.
111 Pour Théophane, il s’agit bien de peste bubonique, mais la maladie a mis 6 ans à passer de la Sicile à Constantinople, ce qui paraît beaucoup, même pour une population relativement plus résistante.
112 Vie d’André Salos, BHG 117, c. 18-19, col. 741 B-744 B.
113 Ce qui montre une épidémie peu virulente : Vie de Nikon le Métanoeite, BHG 1366, c. 33, p. 110-112. Nikon en profite pour expulser les Juifs qui, pour lui, sont le vecteur de la peste.
114 Miracles de Thècle, BHG 1718, p. 386-388.
115 Vie de Constantin, Juif converti, BHG 370, c. 39, p. 639.
116 Vie d’Athanase l’Athonite, (Vie A), BHG 187, c. 208, p. 99-100 ; Vie B, BHG 188, c. 57, p. 193.
117 Vie de Pierre d’Atroa, BHG 2364, c. 22, p. 117.
118 Vie de Nicétas le Patrice, BHG 1342 b, c. 11, p. 335.
119 La loi C. J. IV, 65, 8 (231), p. 189, rend le locataire irresponsable pour les mauvaises récoltes dues aux caprices du ciel. La loi est reprise dans B. 20, 1, 70 (p. 996) et les scholiastes précisent ces circonstances : neige, grêle, air démesurément chaud (sch. 3, p. 1211) ; grues, geais mangeant les grains (sch. 4 et 5, p. 1212).
120 Par. Gr. 510 (880-886), fol. 78 r°.
121 T. F., p. 120-121.
122 Vie de Théodore de Svkéôn, BHG 1748, c. 45, p. 40.
123 Cf. supra, c. 7, p. 357, l’exemple d’Attaliate.
124 Ainsi, pour Kékauménos, la rente sert d’abord à l’entretien de la table (“voilà qui procurera l’abondance à ta table”) ; mais tout ceci doit être fourni en surabondance, afin de dégager des surplus commerçables (Kékauménos, Stratégikon, c. 86, p. 36 ; cf. Lemerle, Prolégomènes, p. 96).
125 Cf. infra, c. 10, p. 493-496 sur l’autarcie.
126 Cf. infra, c. 10, p. 496-500 sur la répartition du produit paysan entre les différents postes de consommation.
127 Attaliate, Histoire, CSHB, p. 204.
128 Sur l’ensemble de ces questions, nos connaissances n’ont pas tellement évolué depuis Ostrogorsky, Löhne und Preise, et Antoniadis-Bibicou, Démographie, salaires et prix ; l’article, pourtant récent, de Irmscher, Preise und Lôhne, n’apporte que des nouveautés de détail. Patlagean, Pauvreté, p. 401-408, exploite les indications de Nessana. Pour la période postérieure, les documents que nous avons utilisés nous fournissent peu d’indications supplémentaires. Nous ne prétendons donc pas apporter, sur le fond, grande nouveauté. Mais nous tenterons d’examiner ces données, si minces, du point de vue de la mise en valeur du sol.
129 Cf. les tentatives des paysans d’Édesse durant l’été 499 : ps. Josué le stylite, p. 264 (trad. p. 195). ; cf. supra, p. 456.
130 Et de 70 modioi d’orge pour un nomisma.
131 Nicéphore, De Boor, p. 76 ; Théophane, De Boor, p. 443, va dans le même sens, mais reste nettement plus laconique. Cf. Ostrogorsky, Löhne und Preise, p. 320 n. 3 ; Ahrweiler, Asie Mineure, p. 24. Teall, Grain Suppiy, p. 114 n. 142, n’accorde que quelques lignes d’une note de bas de page à cet important passage.
132 Cf. supra, c. 7.
133 Attaliate, Histoire, CSHB, p. 202-205.
134 Étude, cette fois-ci détaillée, par Teall, Grain Suppiy, p. 98-117.
135 La demande militaire varie suivant le système d’entretien des soldats ; cf. supra, c. 6, p. 239-240.
136 Ce que nous tentons de faire dans le c. 11, infra, p. 524-540.
137 Cf. Foss, Ephesus, p. 96-116 ; Id., Sardis, p. 39-66 ; Id., Ankara, p. 68-71 ; l’auteur attribue un grand rôle aux raids perses de 610-617 ; cf. Id., Persians in Asia Minor. Pour Constantinople, cf. Mango, Développement urbain, p. 53-62 ; cf. nos observations supra, n. 4.
138 Cf. supra, c. 6, p. 238-241.
139 Cf. supra, c. 6, p. 248-249.
140 Cf. supra, c. 4, p. 176-177 et p. 179-180.
141 Cf. supra, c. 8, p. 389-391 et infra, c. 11, p. 546-548.
142 Teall, Grain Supply,, p. 91-92 et p. 135.
143 Vie de Jean l’Aumônier, BHG 886, c. 8, p. 353-354.
144 Ibid., c. 11, p. 357-359.
145 Vie de Marcel l’Acémète, BHG 1027 z, c. 26, p. 308.
146 Procope, Anecdota, XXII, 14-19, p. 136-137 ; cf., pour la Thrace, Velkov, Les campagnes et la population rurale, p. 61.
147 De Car., CSHB, p. 658-659 ; cf. Nesbitt, Agricultural Production, p. 22-23.
148 Cf. supra, c. 7, p. 304-306.
149 Attaliate, Diataxis, passim et supra, c. 7, p. 336-337.
150 Skylitzês, CFHB, p. 400 (en 1038) ; Nesbitt, Agricultural Production, p. 24.
151 Environ 15 modioi par personne et par an, soit une ration quotidienne de 500 g, qui paraît modeste, mais qui s’accompagne d’une alimentation de complément plus variée ici qu’ailleurs (cf. l’importance du corps de métier des jardiniers).
152 Vie d’Epiphane de Chypre, BHG 596, c. 53-54, col. 89 C - 92 D.
153 Vie de Jean l’Aumônier, BHG 886, c. 11, p. 357-359.
154 Teall, Grain Supply, p. 118-119. La possession de Cherson, en Crimée, au débouché des plaines russes sur la mer Noire, transformée en thème par Théophile (Oikonomidès,
155 Attaliate, Histoire, CSHB, p. 234 ; cf. Teall, Grain Supply, p. 117-118.
156 Théophane cont., CSHB, p. 88-89 ; Génésios, CSHB, p. 75-76.
157 Livre de l’Éparque, c. 5, p. 29-32.
158 Au lieu de faire varier le prix de l’unité de poids de pain, on fait varier la quantité de pain fourni contre telle ou telle pièce de monnaie : c’est la manière de procéder que l’on trouve à travers tout le Moyen-Age ; on pourrait utilement comparer, par exemple, avec le Livre des Métiers d’Etienne Boileau, prévôt de Paris à l’époque de Louis IX.
159 Pour ravitailler son clergé pléthorique, mais on ne peut exclure que le patriarche se livre au fructueux commerce du grain. Listes, p. 353), n’est pas destinée au commerce du grain. Le ravitaillement y fait souvent défaut (cf. DAI, c. 53, p. 286).
160 Attaliate, Histoire, CSHB, p. 202-204.
161 Sur l’épisode du foundax, cf. Bratianu, Approvisionnement, p. 141-157 ; cf. quelques réflexions de Svoronos, Structures économiques, p. 65. La question mériterait d’êlre reprise.
162 Léon Le Diacre, Histoires, IV, 6, CSHB, p. 64.
163 Livre de l’Éparque, c. 18, p. 53-55.
164 Cf., par exemple, sur les cérulaires, ibid., c. 11, p. 43-45.
165 Le métropolite Pierre, puis le gouverneur se rendent ainsi (vainement) à Constantinople à l’été 500 : Ps. Josué le Stylite, p. 266 (trad. p. 196).
166 Schilbach, Metrologie, p. 94-112, a essayé d’approcher au plus près la définition des mesures de capacité byzantines, pour les volumes de céréales. Il ne peut évidemment rien contre les variations locales ; par exemple, pour Leclainche, Crise économique, p. 93, le modios d’Édesse vaut 8.75 1, alors que le modios “ordinaire”, sur lequel nous reviendrons, est d’un peu plus de 17 1.
167 Cf. Patlagean, Pauvreté, p. 404.
168 Ps. Josué le Stylite. p. 253 (trad. p. 187) - p. 309 (trad. p. 227).
169 Irmscher, Preise und Lôhne, p. 26-27 ; l’auteur estime l’artabe à 29,16 1 (contre 17,084 pour le modios) ; Schilbach, Metrologie, estime l’artabe à 2 modioi, d’où un prix de 16 à 40 modioi par nomisma.
170 Nessana, Papyri, n° 64 (676), p. 189 ; n° 65 (675-676), p. 192 ; n° 69 (680-681), p. 200. La conquête arabe n’a pas encore bouleversé le marché.
171 Skylitzès, CFHB, p. 277-278 et Ostrogorsky, Löhne und Preise, p. 320 n. 3 (p. 321).
172 Ps. Syméon magistros, CSHB, p. 759 ; cf. Ostrogorsky, Lôhne und Preise, p. 321.
173 Nicéphore Ouranos, Inédits, p. 296-297.
174 MM, t. 6, p. 15. C’est ce prix courant qu’utilise par exemple Svoronos, Société et organisation intérieure et Structures économiques.
175 Skylitzès Cont., p. 162 ; Zonaras, CSHB, t. 3, p. 712 ; cf. Schilbach, Métrologie, p. 97.
176 Ibid., p. 95-98.
177 Attaliate, Histoire, CSHB, p. 203. L’hypothèse de Karagiannopoulos, Prix du blé, p. 106-109 que Attaliate veut dire “10 ou 8 modioi par nomisma” nous paraît inutile.
178 Attaliate, Histoire, CSHB, p. 258 ; cf. Morrisson, Dévaluation, p. 21 n. 74. On attribuera toute sa valeur à l’usage par Attaliate, connaisseur en grains, de modios dans un passage et de médimne dans l’autre. Même avec un nomisma dévalué de 50 %, on a peine à croire en effet que le modios de 17 1 se soit payé 3 nomismata dans une situation certes de crise, mais pas la pire que l’on ait connue.
179 Morrisson, Dévaluation, p. 32 et 39-40. On trouvera expliquée dans cet article la différence entre le nomisma de plein poids (histaménon) et le nomisma plus léger (tétartèron) frappé à partir de Nicéphore Phocas.
180 Ibid., p. 21.
181 Les références sont donc celles que nous citions supra, n. 168.
182 Ostrogorsky, Löhne und Preise, p. 325.
183 Ps. Josué le Stylite, p. 265 (trad., p. 196).
184 Vie d’André Salos, BHG 117, c. 23, col. 656 B ; cf. Irmscher, Preise und Löhne, p. 27-28.
185 Vie de Jean l’Aumônier, BHG 886, c. 40, p. 392.
186 Cf. supra, c. 2, p. 36.
187 Ps. Josué le stylite, p. 267 (trad., p. 197). Cela doit être cohérent avec le prix du raisin-fruit (24 litres au sou).
188 Ostrogorsky, Löhne und Preise, p. 324.
189 C’est le rendement actuel des vins de Bordeaux. Les techniques culturales sont évidemment beaucoup plus élaborées de nos jours, mais le climat bordelais est moins favorable et surtout le règlement des A.O.C. implique une stricte limitation des rendements à la surface.
190 Ostrogorsky. Löhne und Preise, p. 325.
191 Ibid., p. 332-333. Philarète possédait donc un capital de 6.000 nomismata en brebis, soit plus de 80 livres.
192 Ibid., p. 332 : Irmscher, Preise und Löhne, p. 25-26.
193 Schilbach, Quellen, p. 59-60.
194 Vie de Philarète, BHG 1511 z, p. 117-119.
195 Ostrogorsky, Löhne und Preise, p. 330-331 ; Irmscher, Preise und Löhne, p. 25.
196 De Cur., CSHB, p. 697 : il s’agit de deux bœufs d’attelage. Au Latros, il s’agit d’un buffle : MM. t. 4 ; p. 310. Le Typikon de Pakourianos, p. 125, classe lui aussi à part le buffle à traire (Pakourianos en a 4). Le traité de métrologie de l’époque de Michel IV (cf. infra) les met sur le même plan, avec les juments.
197 Schilbach, Quellen, p. 60 ; voir le calcul du prix dans Id., Metrologie, p. 263.
198 Cf. Ostrogorsky, Löhne und Preise, p. 331 ; mais l’auteur force ici une tendance selon nous modérée.
199 Nessana, Papyri, n° 89 (vie-viie siècles), p. 255-257.
200 Vie de Gérasime, BHG 693, p. 182.
201 Ostrogorsk.Y, Löhne und Preise, p. 329-330 : Irmscher, Preise und Löhne, p. 25.
202 Loc. cit., supra, n. 199. Le poulain vaut moins cher : 1 nomisma à Nessana, 1 5/6 à Aphrodito.
203 Schilbach, Quellen, p. 60.
204 De Cær., CSHB, p. 458-459.
205 Au xie siècle, les monastères achètent de moins en moins : la donation pure et simple prend la place de la vente de la part des laïcs.
206 Schilbach, Quellen, p. 59 et 66 (vigne). On notera que l’écart extrême entre prix de la terre arable et le prix de la vigne est de 1 à 60 alors que (cf. supra, p. 475), l’écart des revenus est plus proche de 1 à 90, et encore, pour des terres et vignes normales. Cf. Id., Metrologie, p. 249-250.
207 Vignes “impériales” (αὐγουστιάτικον), dont le vin mérite d’aboutir sur la table impériale.
208 Schilbach, Quellen, p. 114 ; ID., Metrologie, p. 81-82.
209 En retenant la valeur de 888 m2 pour le modios (Ibid, p. 72), cela fait une vigne de 8 ha, ce qui est considérable : Ivirôn n° 7, p. 148-151.
210 Vie de Théophane, BHG 1787 z, c. 24, p. 17. Théophane achète le lieu-dit (τόπος) qui donnera le nom de son monastère (’Αγρός), un bien-fonds, pour 2,5 livres (empruntées) ; il l’achète à un paysan. Il s’agit donc d’une exploitation agricole, payée 180 nomismata ; on admettra qu’elle ne devait pas dépasser les 200 modioi ; le prix de ce bien-fonds d’ailleurs très bien placé devait se situer aux alentours de 1 modios par nomisma, ce qui est cher, mais pas invraisemblable.
211 Lavra n° 1 (897). Nous ne connaissons pas la superficie de la tenure vendue par la famille de la veuve Geòrgia à Saint-André de Péristérai pour 68 nomismata. Mais Geôrgia avait encore sur sa tenure 4 fils adultes et un esclave ; c’est donc une grande exploitation familiale ; elle dépasse largement la taille moyenne de 100 modioi pour atteindre quelque chose qui pourrait aller jusqu’au double, d’autant que, avant la vente, elle a détaché le légaton de l’esclave. Un prix de 3 modioi par nomisma est sans doute raisonnable, voire un peu sous-évalué ; cette famille appartiendrait à la catégorie des dizeugitai (environ 200 modioi).
212 Lavra n° 2 (941). p. 94-95 et n° 3, p. 96-97. Vente de terres clasmatiques de Pallène à 50 modioi par nomisma. La vente par libellos se faisant au 1/12e de la valeur réelle, ces terres valent donc 4 1/6 modioi par nomisma.
213 4 et 5 : Xèropotamou n° 1 (956), p. 39-40 ; cf. Lemerle, Agrarian History, p. 163 n. 2. Sur ordre impérial, le grand chartulaire du logothèsion général procède à la réévaluation de la terre clasmatique de la région de Hiérissos, celle qui a été vendue par les actes ci-dessus de 941. C’est un doublement. La terre avait donc été vendue 50 modioi par nomisma en 941 et Xèropotamou doit payer la différence : le prix “clasmatique” est porté à 25 modioi par nomisma et le prix normal correspondant est 2 1/12 modioi par nomisma. On retrouve ainsi un prix tout à fait courant.
214 Ivirôn n° 3 (982), p. 116. Le moine Georges Chélandaris vend à Ivirôn pour 100 nomismata son agridion, voisin de la laure, qu’il avait acquis à peu près désert, mais qu’il a mis en valeur de ses mains. Cela représente ce qu’un homme seul (et sans araire) peut mettre en valeur : on ne saurait dépasser 100 modioi (c’est même beaucoup trop) et le prix est donc élevé ; mais Ivirôn convoitait ce terrain tout proche de la laure, ce qui en fait la valeur.
215 Ivirôn n° 4 (982), p. 123-129 : les habitants sussignés (74) de Hiérissos avaient acheté à Kolobou 1.000 modioi pour 300 nomismata, ce qui est bon marché, car la terre est sous les murs de la cité.
216 Ivirôn n° 13 (1007), p. 181-182 : vente entre particuliers de 12 modioi pour 6 nomismata, prix ordinaire, bien que l’acte évoque la possibilité d’y planter des vignes.
217 Ivirôn n° 16, p. 191-192 : la veuve Kalida vend à Ivirôn 50 modioi avec 7 noyers pour 15 nomismata ; le prix est faible, mais Kalida est pressée par la nécessité de racheter son fils prisonnier.
218 Dionysiou n° 1 (1056) : Constantin Phasoulas cède à l’higoumène du monastère Saint-Pantéléèmôntou-Sphrenzi des Thessaloniciens 8 modioi de terre à Kassandra pour 10 nomismata de bonne monnaie (c’est-à-dire de nomismata d’avant la dévaluation de 25 % de la pièce d’or sous Monomaque). Ce prix est très élevé pour deux raisons : c’est de la terre militaire, incessible, et vendue sans la strateia ; l’impôt est reporté, lui aussi, sur les autres 8 modioi que garde Phasoulas ; sinon, on serait sans doute retombé sur un prix “normal” aux environs de 2 modioi par nomisma.
219 Cf. supra, c. 4, p. 167.
220 Cf. supra, c. 8, p. 358.
221 Le niveau économique atteint par Psellos se révèle à travers sa position de charisticaire : Kaplan, Monastères, p. 80. Cf. infra, c. 11, p. 566.
222 Lavra n° 3 (941), p. 96-97.
223 Nicéphore Phocas, nov. III. 19, p. 249-252 ; cf. Kaplan, Monastères, p. 73-76.
224 Ostrogorsky, Löhne und Preise, p. 288.
225 Vie d’Eulogios le Carrier, BHG 618, p. 256.
226 Vie de Symcon Stylite le Jeune, BHG 1689, c. 180, p. 159.
227 Sur les salariés dans le village, cf. supra, c. 6, p. 273-275 et notre étude de ce problème des salaires dans Kaplan, Économie paysane, p. 213-214.
228 Lavra n° 56 (1104), p. 282-296.
229 C’est-à-dire en réduisant à une même “qualité” les terres de différentes qualités.
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