Introduction

1En archéologie, il est des sites qui forgent de nouveaux champs disciplinaires, qui transforment profondément notre perception des sociétés anciennes ; Gournay-sur-Aronde (Oise) fait partie de ces lieux exceptionnels, au point de devenir un paradigme de la recherche sur la religion celtique. Jusque dans les années 1970, on ignorait l’existence de véritables aménagements cultuels à l’âge du fer. Les Celtes conservaient, pour les chercheurs, des traits « primitifs » consacrant leurs cultes dans une nature encore sauvage, un paysage rythmé de pierres levées et autres fantasmes hérités du xix^e siècle.

2La fouille du sanctuaire de Gournay-sur-Aronde entre 1977 et 1980 a mis fin à cette page de l’historiographie en mettant en évidence la présence de structures organisées dédiées au dépôt de reliefs sacrificiels, associées à des aménagements architecturaux (palissades, système d’entrée, bâtiment central). Consciente du caractère pionnier de la découverte, l’équipe a dû adapter ses protocoles de fouilles et de documentation. Leur second objectif a été de développer les moyens techniques et financiers de la gestion d’un ensemble de près de 5 000 éléments archéologiques, en os et en fer principalement.

3Dès les tout débuts, un laboratoire associatif de restauration est implanté à Compiègne et consacré exclusivement au traitement du mobilier de Gournay-sur-Aronde. En parallèle, un programme de publication exhaustive du site a été lancé, dont les trois premiers volumes prévus sur cinq ont été édités à ce jour (Brunaux, Méniel, Poplin, 1985 ; Brunaux, Rapin, 1988 ; Lejars, 1994). Ainsi, de la fouille à la publication, les artefacts ont été inventoriés, nettoyés, meulés, consolidés, dessinés, photographiés, passés sous rayon X, classés, avec, pour chaque étape, un document d’archive.

4Après 1994, date de sortie de la dernière monographie par T. Lejars, le projet Gournay-sur-Aronde est peu à peu relégué au second plan, pour des raisons qui tiennent autant à l’aspect financier qu’à la dégradation des rapports au sein de l’équipe. L’activité scientifique autour du site renaît en 2015, avec la reprise d’étude entamée dans le cadre d’un master à l’École normale supérieure (Quatrelivre, 2017).

5Finalement, qu’y a-t-il d’intéressant à reprendre une découverte reconnue au niveau européen, abondamment commentée et érigée en modèle dans la recherche ? Qu’y aurait-il à en apprendre au-delà de la simple répétition des acquis ?

6En réalité, revoir ces sites fondateurs à l’aune des techniques et des connaissances récentes mène à l’actualisation de leurs données et les rend de nouveau exploitables. Les reprises d’étude apportent également un renouvellement du corpus connu et une réévaluation de la valeur scientifique de la découverte. Il s’agit aussi de documenter une page de l’historiographie, c’est-à-dire de comprendre comment tel ou tel ensemble archéologique a influencé la discipline. Enfin, c’est également une mission de préservation pour les générations futures et, par là, l’une des actions fondamentales de la recherche et de la gestion du patrimoine. D’abord physiquement, en évaluant l’état de conservation et en mettant en place des mesures particulières, mais aussi par la documentation, puisque les artefacts archéologiques (particulièrement en métal) sont voués à une lente dégradation.

7Cet article retracera donc les étapes de la production documentaire, en partant des archives de fouilles et des études antérieures à 2015 pour arriver aux travaux de récolement et aux analyses menés ensuite jusqu’en 2017. Cette présentation, à la fois exposé et traité méthodologique, aboutira à préciser le potentiel du matériel archivistique et archéologique de Gournay-sur-Aronde.

Documentation d’hier (1977-2014)

Les fouilles

8Il faut rappeler le caractère naissant de l’archéologie préventive en France à la fin des années 1970, entre archéologie professionnelle et archéologie amateure, pour comprendre la documentation issue des fouilles de Gournay-sur-Aronde. Leur hétérogénéité et leur aspect lacunaire, à nos yeux, résultent des balbutiements des réglementations et de conventions clairement établies au sein de la communauté scientifique. Les difficultés techniques et le manque de moyens expliquent la disparition ou l’absence de documents aujourd’hui considérés comme indispensables. Il faut pourtant reconnaître la justesse de certains choix documentaires et la qualité des enregistrements, qui joueront un rôle essentiel dans la reprise d’étude.

9Aucun carnet de fouilles réalisé sur le terrain ne nous est parvenu. Toutefois, neuf rapports dactylographiés ont été déposés, en un exemplaire, à l’issue de chaque campagne. Formellement homogènes, ces documents comprennent une quinzaine de pages de texte, accompagnées d’illustrations photocopiées : des relevés en plan et en coupe du fossé d’enclos, quelques photographies en noir et blanc du site et du mobilier, ainsi que des dessins d’objets à l’encre. Sur le fond, ils présentent les méthodes de fouilles employées, relatent l’ordre chronologique des découvertes et proposent une interprétation du site. Il est à noter que l’aspect cultuel du site a été perçu dès 1977. Pour compléter les rapports, l’existence d’une couverture photographique quasi-systématique, de chaque côté de l’enclos, a été confirmée par le biais d’informations orales. Malheureusement, les pellicules ont été détruites suite à des erreurs de manipulation.

10Par chance, les archives déposées par Conservare¹ en 2013 au musée Antoine Vivenel comprenaient des relevés en plan au 1/10^e du fossé d’enclos sur 15 niveaux de profondeur, où se concentrent précisément les dépôts de mobilier ostéologique et métallique (fig. 1). Ces documents sont sous deux formes : une version à l’encre de Chine sur papier-calque, mais lacunaire, et une version presque exhaustive, mais cette fois-ci imprimée. Il ne fait aucun doute que les relevés sur calque ont précédé la version imprimée ; ils constituent donc un point zéro des relevés, qui pourra être utilisé à des fins d’évaluation de la fiabilité des informations. En revanche, on regrettera l’absence, dans cet ensemble, des originaux des relevés en coupe du fossé d’enclos et des relevés en plan de l’aire ceinte du sanctuaire, tout particulièrement des aménagements cultuels centraux. Ces documents existent uniquement sous forme publiée dans Gournay I, en petit format noir et blanc (Brunaux, Méniel, Poplin, 1985).

Fig. 1

11Les 241 feuilles d’inventaire du mobilier s’ajoutent au corpus documentaire (fig. 2), lesquelles sont conservées au musée Antoine Vivenel de Compiègne puisqu’elles ont été remises à C. Lapointe, conservateur de 1973 à 1993. Ces fiches manuscrites renseignent la localisation, la nature de l’artefact, l’orientation et le pendage, et laissent une case « remarque » à toutes fins utiles. Un encart supérieur est prévu pour l’indication du nom du site, de l’espace ou du secteur concerné, de la date de mise au jour et les noms du fouilleur et du marqueur. Pourtant, ces informations n’ont été renseignées que de façon sporadique en 1977, ce qui ne permet pas, par exemple, de suivre l’évolution de la fouille en termes de volumes de mobilier excavé ni de retracer la date précise de mise au jour de chaque artefact (ce qui peut être intéressant pour des questions de conservation-restauration). De plus, il est apparu que ces inventaires ont été dressés en post-fouilles à partir de listes réalisées sur le terrain.

Fig. 2

12De ces premières observations transparaît l’absence d’enregistrements initiaux du terrain. L’inaccessibilité des sources primaires entraîne en conséquence une perte de fiabilité des archives à notre disposition, dans la mesure où la vérification de leurs informations n’est plus envisageable. Face à ces lacunes, la possibilité d’échanger, encore aujourd’hui, avec les acteurs de la découverte et de l’étude du site est l’une des richesses majeures de ce projet². Le recours aux entretiens oraux avec les principaux protagonistes, soit huit heures d’enregistrement audio, a apporté un nouvel éclairage sur les conditions de fouilles, ainsi que sur les choix méthodologiques qui ont présidé à l’utilisation de telle ou telle technique de prélèvement et de documentation. Ces informations inédites ont cependant joué un rôle ambigu dans la reprise d’étude, dans la mesure où elles ont pu compléter les rapports, parfois éclaircir certaines incohérences, mais aussi ajouter des versions alternatives…

Les archives de restauration et de musée

13Les travaux du laboratoire de restauration dédié à Gournay-sur-Aronde, fondé dès 1977 à l’université de technologie de Compiègne (UTC), sont bien connus, notamment par le biais de deux rapports inédits. Le premier constitue le premier rapport d’activité de l’IRRAP, en 1978, sous la direction de M. Jaussaud ; il fait le point sur les méthodes et le volume d’objets traité en un an. Le second rapport, rédigé par P. Méniel et L. Uran, étudiants à l’UTC, développe en détail les méthodes d’investigation des matériaux mis en place sur les armes gauloises provenant de Gournay-sur-Aronde. Puisqu’ils retracent une à une les étapes du protocole de restauration, ces ouvrages constituent donc un outil de compréhension des artefacts actuels.

14Il apparaît qu’une importante documentation de restauration avait été mise en place comme étape à part entière du processus de restauration, comme l’indiquent les deux rapports. Elle comprend notamment des fiches de restauration décrivant l’état de conservation et les différents traitements appliqués ; plus de 1 500 photographies complétaient ces fiches (fig. 3). Leur localisation demeure aujourd’hui inconnue. Une partie de ces documents avait été basculée dans les années 1990 en format informatisé, mais ces fichiers n’ont pas non plus été retrouvés à ce jour.

Fig. 3

15Cependant, la documentation radiographique a pu être récupérée. L’IRRAP avait très tôt mis l’accent sur l’utilisation de la radiologie pour guider les restaurations d’artefacts métalliques. En 1978, environ 400 prises de vues avaient déjà été effectuées. Ces radiographies présentent parfois plusieurs fois le même item avec des réglages différents, mettant en lumière différents détails et angles. Avec la disparition des fiches et des photographies de restauration, ces radiographies deviennent les rares témoins de l’état initial du matériel métallique de Gournay.

16Afin de suivre l’ensemble des opérations, des inventaires manuscrits ont été dressés. Au total, 146 fiches de différents formats ont été recensées. Elles associent à la nature et au numéro de l’artefact, un numéro de radiographie et un numéro de photographie. L’apport de ces archives est ambivalent dans la mesure où les lignes ont été remplies au préalable et non au fur et à mesure des interventions. Un artefact sans numéro de photographie et/ou de radiographie a pu être restauré, et documenté par la suite. Ainsi, ces enregistrements sans date ne représentent qu’un état antérieur de la documentation ; leur exploitation actuelle se limite donc aux artefacts les mieux renseignés.

17Enfin, à l’issue de la restauration, une sélection d’objets est exposée dans les vitrines du musée Antoine Vivenel dès 1982 – alors que les campagnes de fouilles sur le site d’habitat de Gournay-sur-Aronde se poursuivent jusqu’en 1984. Un inventaire propre au musée a été rédigé sur seulement quatre fiches dactylographiées, corrélé à l’inventaire de terrain et indiquant à chaque fois la nature de l’artefact et parfois son matériau (notamment lorsqu’il est en alliage cuivreux).

18Les archives liées à la restauration et à la gestion des vitrines sont indéniablement lacunaires. Pourtant, il faut se rendre compte de la quantité, de la diversité et de la qualité des enregistrements, dont plusieurs centaines d’éléments sont encore consultables. Ils attestent de la mise en place précoce d’un dispositif de production documentaire relativement exceptionnel pour le contexte des années 1970, résultant de la puissance de l’implication des acteurs du milieu archéologique autour du site.

Les études antérieures à 2015

19Divers articles ont parus dès 1978 pour présenter le site, mettant en avant les pratiques rituelles décelées dans le sanctuaire, ou s’intéressant à un type d’objet retrouvé à Gournay-sur-Aronde, comme les monnaies ou les éléments de suspension. Les traitements de restauration et les analyses métallographiques menés à l’IRRAP firent l’objet de publications distinctes. En parallèle, trois monographies ont parues, portant respectivement sur le site et le mobilier ostéologique (Brunaux, Méniel, Poplin, 1985), les lances et les boucliers (Brunaux, Rapin, 1988) et les fourreaux d’épées (Lejars, 1994). Si la littérature sur Gournay-sur-Aronde semble pléthorique, il faut encore compter sept travaux universitaires inédits, réalisés sur la collection métallique entre 1979 et 1993.

20De surcroît, d’autres analyses en vue de publications futures ont été entreprises sans pouvoir être achevées, comme l’attestent certaines archives inédites. Ainsi, les éléments de suspension de fourreau devaient être intégrés à la troisième monographie, aux côtés des fourreaux étudiés par T. Lejars. À cette fin, 162 dessins avaient été réalisés par A. Rapin et repris à la plume par N. Ginoux, présentant les chaînes, les anneaux et les agrafes de ceinturon. Suite à diverses difficultés financières – et propres à l’équipe –, cet aspect de l’étude n’a jamais abouti à la publication, même si une ébauche a pu être retrouvée à la DRAC des Hauts-de-France.

21En parallèle, les 300 dessins d’épées retrouvés confirment la décision initiale de publier une quatrième monographie sur les épées et leurs fourreaux. Ces documents présentent l’intérêt de retracer les différentes étapes de l’analyse de ces artefacts, avec une première version au crayon de papier, indiquant toutes les mesures prises en centimètres. Puisqu’elle conserve les dimensions antérieures des épées, elle peut pallier la détérioration et la disparition de certaines épées du corpus. La seconde version, réalisée à l’encre de Chine était destinée à la publication (fig. 4). Malheureusement la paternité de ces dessins demeure incertaine à l’heure actuelle.

Fig. 4

La documentation d’aujourd’hui

Le traitement des archives

22Rendre exploitables les archives qui nous sont parvenues jusqu’à aujourd’hui a été l’enjeu majeur de la reprise d’étude du site de Gournay-sur-Aronde. La première étape, essentielle, demeure la localisation et l’inventaire de la documentation archivistique et archéologique, produite pendant quarante ans et dispersée entre les institutions. Des campagnes de numérisation et d’informatisation ont ensuite été instaurées pour des questions de préservation du matériel documentaire et pour faciliter les analyses ultérieures.

23Les neuf rapports de fouilles échelonnés entre 1975 et 1983 ont été consultés et scannés depuis le centre de documentation de la DRAC des Hauts-de-France à Amiens. Lors de ces recherches, d’autres archives inédites ont pu être incorporées au corpus par leur numérisation : l’ébauche d’étude des éléments de suspension de fourreaux par A. Rapin, accompagnée des 162 dessins mentionnés plus haut.

24J.-L. Brunaux, inventeur du site, a eu l’amabilité de mettre à disposition du projet une partie de ses archives personnelles, notamment le mémoire de maîtrise de V. Merini et le rapport d’activité de l’IRRAP de 1978, rédigé sous la direction de M. Jaussaud. Il a aussi pu transmettre une série de 64 diapositives, dont 55 concernent quelques photographies inédites de fouilles et d’objets en cours de restauration, qui compensent la destruction des pellicules photographiques de terrain. Elles ont cependant souffert de la prolifération de champignons à la surface du film photographique sous la forme de taches violacées. Afin d’enrayer la perte inéluctable de ces documents, les diapositives ont été numérisées par le laboratoire Archéologie et philologie d’Orient et d’Occident (AOROC, UMR 8546) et ont subi une correction colorimétrique sur Photoshop, afin de diminuer l’aspect rougeâtre des images (fig. 5). Les archives physiques et les nouveaux fichiers sont disponibles depuis 2017 au musée Antoine Vivenel, par souci de centralisation de la documentation.

Fig. 5

25C’est également au musée que se trouvent, depuis les années 1970, les multiples fiches mentionnées plus haut. De plus, en 2013, une partie des archives du laboratoire Conservare ainsi que l’ensemble du mobilier métallique ont été déposés en même temps dans les réserves du musée. Toutefois, aucun état des lieux n’a pu être réalisé, rendant plus complexe la prise en main de la gestion de la collection. Les relevés en plan, sur calque et imprimés, quelques photographies argentiques, toutes les radiographies ainsi que des dessins inédits et publiés du matériel de Gournay-sur-Aronde ont été identifiés lors d’un premier inventaire sur tableur de type Excel. Il est à noter que les archives concernent également d’autres sites emblématiques de l’âge du fer en France, comme Cerny-sur-Coole ou Ribemont-sur-Ancre.

26À partir de cette opération d’inventaire, une partie des archives a été sélectionnée pour une campagne de numérisation en 2015. Elle concerne les 300 dessins d’épées par L. Uran ainsi que les 258 relevés en plan imprimés du fossé. Si les dessins n’ont pas encore été exploités, les scans des relevés en format .tiff ont été remontés sur Illustrator en jouant sur la fonction « Transparence » pour rendre la superposition des passes manuelles de la fouille. Malheureusement, 22 relevés manquants ont été repérés : les artefacts concernés pourront théoriquement être replacés dans le carroyage, mais leurs modalités de déposition découlant des observations de terrain sont définitivement perdues. Du fait du poids du fichier final de DAO, ce remontage n’a pu être exploité. Il donne cependant une assez bonne idée de ce vers quoi les prochaines études spatiales devront tendre (voir infra).

27En-dehors du matériel métallique et des quelques ossements présentés en vitrine au musée Antoine Vivenel, la localisation du reste de la collection posait problème. Après plusieurs recherches dans diverses institutions compiégnoises, tous les ossements et toutes les céramiques ont été retrouvés dans les caves de la mairie. Un premier comptage comprend 50 caisses de faune, deux caisses de céramique et une caisse de métal non inventorié. Les raisons qui ont poussé au stockage de ces éléments à la mairie et les conditions précises dans lesquelles ce déménagement a été effectué demeurent obscures. À nouveau, aucun état des lieux ou inventaire n’a été trouvé pour cette portion de la collection. Enfin, il faut souligner la disparition du corpus des 59 monnaies, ainsi que des 7 éléments en verre et 2 en lignite.

Le récolement : un pont entre hier et aujourd’hui

28L’ensemble des archives présenté ici a servi de support au récolement de la collection, tout particulièrement les multiples inventaires retrouvés au musée Antoine Vivenel. Les informations comprises sur ceux-ci ont été intégralement reportées sur un tableur de type Excel. À ce stade, 4 988 lignes ont été remplies sur 21 colonnes.

29Les 419 fiches d’inventaire du musée Antoine Vivenel sont réparties en 10 types : le mobilier à la fouille sur fiche imprimée et dans tableau à la main (dates inconnues, manuscrites), le mobilier en vitrine au musée (dactylographié, date inconnue), le mobilier apporté au musée le 28 décembre 1982 (dactylographié), le mobilier restauré (un format dactylographié, trois formats manuscrits différents, dates inconnues), les radiographies du mobilier (deux formats manuscrits, dates inconnues). Si ces archives paraissent relativement complètes de prime abord, plusieurs difficultés sont apparues lors de leur informatisation.

30D’abord, les problèmes liés à la numérotation, qui peut être plus ou moins continue, parfois double, parfois raturée, ainsi que les révisions d’identification des artefacts, amènent à douter de la fiabilité des informations associées, et particulièrement des données de localisation. Il convient de prendre en compte ces incertitudes lorsque des incohérences surviennent dans l’étude des relevés et les analyses spatiales. À ces difficultés s’ajoutent les disparités dans les indications de localisation ; on note ainsi l’absence complète d’indication dans le carroyage pour 374 éléments, et l’information de profondeur en mètres ne concerne que la moitié des enregistrements.

31Enfin, un certain nombre de symboles rythment les inventaires : les croix dans les colonnes « pendages » et « orientation », et les barres obliques et les étoiles dans la colonne « nature » de l’artefact. Nos interlocuteurs ont reconnu la perte inéluctable de la signification des petits symboles en mettant en avant le fait que les inventaires déposés au musée Antoine Vivenel ont été produits en post-fouilles et ont pu subir de nombreuses manipulations ultérieurement.

32La première étape du récolement consiste en la mise en regard de l’identification en post-fouille de l’objet et de sa nature actuelle. Plusieurs difficultés se sont posées à cause de la conservation des vestiges, de la perte ou de l’illisibilité des marquages, et enfin du décalage entre le descriptif des inventaires et les objets réels. Dans ce dernier cas, il a fallu chercher la cause de ces différences : est-elle due à une mauvaise interprétation de l’artefact par les fouilleurs ou à un marquage erroné ?

33Les entretiens oraux ont pu apporter une réponse alternative ; le prélèvement en motte a été appliqué sur une partie des dépôts du fossé. Ainsi certains éléments ont pu passer inaperçus au cours du premier inventaire, mais ont été distingués au moment du nettoyage et de la restauration, sans qu’il n’y ait de traces archivistiques de cette opération aujourd’hui (Quatrelivre, 2017).

34Une autre difficulté a été de permettre la séparation d’éléments distincts soudés par la corrosion, ou bien le remontage, de plusieurs fragments appartenant au même artefact, mais disséminés dans le fossé d’enclos du sanctuaire. Si ces interventions, particulièrement visibles sur les fourreaux, se justifient pour l’étude typologique, elles suppriment les informations d’origine sur les modalités de fragmentation et de dispersion sur le site.

35Il a ainsi donc fallu mettre en place un système d’attribution de numéros d’inventaire complémentaires qui rende compte de plusieurs phénomènes : éléments retrouvés au même endroit, car soudés par la corrosion ; éléments retrouvés au même endroit du fait du prélèvement en motte ; éléments retrouvés à différents endroits, mais remontés pour une même unité de récolement ; éléments au marquage perdu, ou au numéro inexistant dans les inventaires (qui est également un cas de figure fréquent). Ainsi, la nouvelle numérotation a été instaurée à partir de GSA 10 000 de façon à la distinguer des numéros donnés par les fouilleurs, qui s’arrêtent à GSA 5104. Puis, les relations entre les unités de récolement ont été créées manuellement dans un champ spécifique du tableur de façon à garantir la traçabilité des informations.

36Une fois la question du numéro réglée, se pose le problème de l’identification, toujours tributaire de l’état de conservation. De plus, la pluralité des expressions employées pour désigner le même item dans les inventaires de fouilles a exigé, par la suite, une standardisation des appellations, notamment pour les traitements statistiques. Chaque élément est donc d’abord décrit librement, puis suit l’attribution à un type d’objet et à une catégorie fonctionnelle (armement, outillage, parure et éléments vestimentaires, demi-produits entre autres).

37Passée l’épreuve de l’identification, le récolement suit un protocole normalisé d’enregistrement, de documentation et de conditionnement, en accord avec les pratiques muséales actuelles. L’évaluation de l’état de conservation permet de signaler les éléments instables d’un point de vue physico-chimique, et de repérer les interventions de restauration-conservation lorsque celles-ci sont évidentes. Dans le cas de la collection de Gournay-sur-Aronde, principalement constituée de fer, cette étape est incontournable pour la mise en place de mesures de conservation préventives adaptées (fig. 6). Ce constat est accompagné d’un comptage de fragments et d’une mesure du poids du lot. Une documentation photographique systématique a ensuite été mise en place, avant de passer au reconditionnement. Le mobilier a ainsi pu quitter les sacs plastiques de supermarchés, les plastiques et autres polystyrènes pour des emballages neutres (sachets mini-grip et boîtes de type MIFLEX) avec un contrôle hygrométrique à l’aide de sachets de gel de silice.

Fig. 6

38Au final, 2 224 unités de récolement ont été enregistrées en trois jours de travail (soit environ 200 heures de travail). Le bilan s’est avéré très positif avec seulement 5 % de perte des informations sur les objets (numéro et localisation) et 8 % d’indéterminés. Suite au dépouillement des catalogues des monographies et travaux universitaires, il a ensuite été possible de démontrer que seulement 30 % de la collection métallique de Gournay-sur-Aronde avait fait l’objet d’une étude typologique (Quatrelivre, 2017).

Les études menées entre 2016 et 2017

39La reprise d’étude a été segmentée de façon à favoriser l’apport de données inédites, tout en respectant le délai d’une année (2016-2017). Ainsi, deux catégories d’objets ont été sélectionnées pour des analyses typo-chronologiques et spatiales : les fibules et les éléments de suspension de fourreau. L’ensemble du corpus représente 491 entrées dans le catalogue final ; pourtant, seulement 216 éléments ont effectivement été retrouvés pendant le récolement de l’année précédente.

40Pour faire face à la disparition des artefacts, ou du moins pour pallier l’ignorance de leur localisation, les archives ont été d’une aide précieuse. Le retour aux radiographies réalisées par l’IRRAP et aux dessins inédits d’A. Rapin et N. Ginoux a rendu possible l’analyse morphologique de 168 éléments supplémentaires grâce aux indications de mesures (fig. 7). Puis, 90 items ont été ajoutés au catalogue par le biais des inventaires dressés en post-fouilles ; l’absence de documentation graphique a cependant empêché d’aller plus loin dans leur étude. En fin de compte, 41 % de l’ensemble total a pu être intégré en s’appuyant exclusivement sur les archives (Quatrelivre, 2017).

Fig. 7

41À l’issue des analyses typo-chronologiques, un essai de restitution de la distribution spatiale et stratigraphique a été mis en œuvre de façon à mettre en lumière des tendances dans l’organisation des dépôts des fibules et des éléments de suspension dans le fossé du sanctuaire. Cette approche a été conçue à partir d’un système d’information géographique (SIG) sur ArcGIS, de façon à interroger automatiquement l’ensemble des données disponibles.

42Sa mise en place s’est révélée particulièrement ardue en raison de la nature de la documentation. La localisation du mobilier s’est effectuée dans un grand carroyage dont les valeurs peuvent être positives ou négatives, et figurées par des lettres minuscules ou majuscules : « A1 » sera donc différent de « a1 », mais aussi de « A-1 » et « a-1 ». Ces détails ont pu rendre la reconnaissance des carrés difficiles pour le logiciel de SIG. En second lieu, mais cela tient compte de l’époque de la fouille, le site n’a pas été géoréférencé. Dans les rapports de fouilles, un ensemble de coordonnées en Lambert I indiquent seulement la localisation de la commune et non du sanctuaire. Par manque de temps, le carroyage n’a pas été replacé par rapport aux parcelles indiquées dans les rapports.

43Sur les conseils d’O. Buchsenschutz et de C. Batardy, un carroyage « neuf » a été créé dans un espace sans projection. Chaque carré est représenté en son centre par un point fixé par des coordonnées x et y fictives, de 50 en 50. Chaque point porte un nom de carré (« A1 » par exemple), qui n’a plus de valeur propre de localisation. À cet ensemble de points est associée une « grille vecteur », qui permet de visualiser le carroyage d’un mètre par un mètre (fig. 8). Cette méthode, quoiqu’efficace dans un premier temps, présente l’inconvénient de regrouper tous les artefacts au centre de leur carré de localisation et n’est donc pas adaptée à l’étude de leurs modalités de déposition (Quatrelivre, 2017).

Fig. 8

44Si le recours à un SIG mène à une automatisation des tâches et facilite la visualisation des données par rapport aux analyses spatiales présentées entre 1988 et 1994, la méthode reste à perfectionner. En effet, les divers biais liés aux incertitudes et aux pertes d’information ont fortement limité l’approche développée en 2017 ; là réside l’enjeu de l’adaptation de données anciennes à des méthodes d’analyse actuelles.

Documentation de demain : perspectives

Vers la dématérialisation et au-delà

45La poursuite du projet Gournay s’inscrit dans la tendance générale de la dématérialisation. Cette digitalisation produit une transformation des supports et permet la mise en pratique d’outils informatiques. À ce titre, elle entraîne une évolution des méthodes d’étude et démultiplie les potentialités du matériel documentaire et archéologique.

46Le traitement manuel des données est resté incontournable dans les précédentes études du site (1985-1994) du fait du développement seulement naissant et marginal des moyens informatiques en archéologie. L’absence d’opérations automatisées est synonyme de longues phases préparatoires des données, pour un résultat plus ou moins fiable. La visibilité des relations existant entre les objets est également demeurée difficilement perceptible. Avec la reprise 21 ans plus tard, le basculement vers le numérique s’est alors imposé comme une évidence.

47Lors du récolement, la restitution documentaire des artefacts s’est construite grâce aux photographies systématiques dont le format numérique assure un rôle de sauvegarde des informations morphologiques et d’état de conservation de ces items. Cette étape est particulièrement précieuse dans la mesure où la majorité de la collection est constituée de fer, un métal instable et donc prompt à se dégrader.

48Pour répondre au délai imparti d’un master, seuls les fibules et les éléments de suspension ont fait l’objet d’une documentation plus poussée dans un second temps (Quatrelivre, 2017). Le recours au dessin assisté par ordinateur (DAO) pour les objets permet l’application de conventions graphiques instaurées en archéologie ces dernières années. En règle générale, la normalisation de la documentation augmente sa lisibilité et favorise les échanges d’informations et les comparaisons au sein de la communauté scientifique. C’est également un gain de temps considérable pour la publication, par exemple pour l’étape de mise à l’échelle qui passait auparavant par une succession de reproductions à la photocopieuse. Les travaux à venir mettront donc l’accent sur la prolongation de la restitution documentaire de la collection, avec en premier lieu la vectorisation des 300 dessins d’épées numérisés.

49Dans le cas des radiographies utilisées pour cette étude, l’application numérique facilite leur manipulation, sans pour autant abîmer ces archives irremplaçables. De plus, leur passage sur Photoshop ou autre logiciel de traitement d’images, rend possible l’accentuation des contrastes, révélant certains détails remarquables. C’est le cas notamment des spires ou des déformations des fibules, qui ont pu être documentées avec précision malgré la disparition ou la dégradation des artefacts.

Traitement informatique des relevés : un potentiel inexploité

50Si la transition digitale est bien entamée pour l’étude des objets, il reste encore à exploiter la documentation graphique du terrain. Ainsi, les 258 relevés en plan du fossé numérisés seront vectorisés par un logiciel de DAO pour ensuite être injectés sur un SIG. Par le procédé de recalage d’après des photographies aériennes IGN et des plans publiés dans Gournay I (Brunaux, Méniel, Poplin, 1985), il sera possible de replacer le sanctuaire dans l’espace géographique. De là, plusieurs types d’analyse sont envisageables, centrés sur le fossé d’enclos, la structure la plus caractéristique du site, et sur l’environnement du lieu de culte.

51Idéalement, le contour de chaque objet individualisé dans les relevés en plan sera associé aux informations relatives à cet artefact issues du récolement, mais aussi des études typologiques en cours, par le biais de la table attributaire. Il sera alors possible de croiser les analyses de distribution du matériel en fonction des matériaux, des catégories fonctionnelles, mais aussi des types reconnus et des datations proposées (sélection d’attributs) et de générer automatiquement leurs représentations graphiques.

52Ensuite, l’exploitation du corpus en termes de faciès d’assemblages mobiliers pourra être mise en œuvre par le biais de géostatistiques. Les occurrences permettront de mettre en évidence un phasage et peut-être même de regrouper des ensembles spatiaux. Il sera alors possible de s’affranchir de la documentation construite en passes artificielles de 10 cm de profondeur et de retrouver une stratigraphie conforme aux logiques sédimentaires d’un remplissage de fossé.

53Enfin, l’étude des modalités de déposition demeure envisageable en s’appuyant particulièrement sur les concentrations de l’entrée du sanctuaire. L’observation de la disposition précise des éléments et leurs points de contacts sera à même de déterminer l’existence de véritables modalités de déposition ou au contraire d’infirmer cette théorie, en faveur de l’hypothèse de la structure de rejet. De cette analyse dépend le renouvellement de l’interprétation du site et de son fonctionnement comme lieu de culte.

Conclusion

54La reprise d’étude du sanctuaire gaulois de Gournay-sur-Aronde, site emblématique s’il en est pour la protohistoire européenne récente, a permis de mettre en lumière le potentiel inexploité des archives archéologiques, sommeillant parfois plusieurs décennies dans les réserves des institutions. Il faut certes garder en tête les limites que posent ce type de documentation lacunaire et disparate. Dans le cas de Gournay-sur-Aronde, c’est sa diversité et sa quantité qui permettent de compenser ces défauts, à condition de mettre en place des étapes d’homogénéisation et une analyse critique du matériel documentaire.

55Les perspectives pour la suite du projet Gournay mettent en exergue le chemin parcouru en archéologie depuis les années 1970, en termes de méthodes d’enregistrement et de manipulation des données. Tout traitement – ou presque – étant manuel, les données étaient perçues en petites unités réduisant ou ralentissant la visibilité des relations entre les objets. Les outils informatiques adoptés depuis rendent intelligible une complexité relationnelle de façon plus rapide et fiable, ce qui est avantageux dans le cas d’une collection de plusieurs milliers d’artefacts. Cette transition digitale libère les recherches des contraintes liées aux quantités de données à traiter, et entraîne un renouvellement de l’étude des archives de Gournay. Pourtant, les recherches à venir devront se confronter à de nouvelles problématiques, liées notamment à la durabilité des supports informatiques et au coût énergétique de leur maintien.