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Pouvoir et contestations à Byzance (963-1210)

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Jean-Claude Cheynet

Troisième partie. Interprétation des révoltes

Chapitre III. Alexis comnène : le nouvel Empire

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Une décennie pour réussir

  • 1 Face à Roussel de Bailleul, il agit par une habile diplomatie, face à Bryennios, il ne fut sauvé qu (...)
  • 2 Ibid. I, p. 155. Anne démontre involontairement l’inexpérience de son père, en rappelant que George (...)
  • 3 Ibid. II, p. 95-96. Une nouvelle fois, Alexis se serait laissé persuader par les jeunes Diogénai co (...)

1Lorsqu’Alexis Comnène accéda au trône, on aurait pu se croire de retour en 1057 puisque la même faction triomphait. Cependant Alexis se différenciait d’Isaac dans la mesure où son oncle avait exercé d’importants commandements provinciaux, alors que lui, en dehors de courtes missions dans les Arméniaques ou en Occident, résidait normalement dans la capitale. Isaac avait mené de grandes campagnes, notamment contre les Petchénègues, alors qu’Alexis n’avait pas eu vraiment l’occasion de faire preuve de ses capacités stratégiques1, son courage personnel étant indéniable. Cette insuffisance coûta à Alexis les sévères défaites de Dyrrachion en octobre 10812 et de Dristra six ans plus tard3.

  • 4 Né en 1057, il avait dix-sept ans quand il reçut, en 1074, la mission de réduire Roussel.

2En revanche, dès son plus jeune âge4, Alexis Comnène acquit de sa vie de courtisan la connaissance des principaux clans de la capitale et l’estimation de leur importance. Nicéphore Botaneiatès avait échoué à faire la synthèse des groupes d’origine géographique différente et à conduire une aristocratie unifiée autour des siens. Alexis Comnène reprit cet objectif indispensable pour gouverner durablement et repousser les adversaires extérieurs.

3En 1081, le nouvel empereur disposait déjà de solides atouts. Pour main­tenir l’indispensable alliance avec les Doukai, il osa s’opposer à sa mère qu’il respectait profondément et fit couronner et acclamer son épouse, Irène Doukaina. Michel, fils de Constantin, neveu du patriarche Cérulaire et époux d’une nièce des Comnènes, était de son parti et avec l’éparque Radènos, escorta Botaneiatès, l’empereur déchu, à son monastère de la Péribleptos. Par ses soeurs, Alexis était beau-frère de Nicéphore Mélissènos, de Michel Tarônitès et des Diogénai, en somme les représentants des grandes factions micrasiatiques. Cependant, ces alliances conclues avant qu’Alexis eût obtenu le pouvoir, n’avaient pas incité, apparemment, ses beaux-frères à l’assister et ces derniers ne s’estimèrent pas tenus par leurs liens de parenté à une complète fidélité envers celui qui avait pris la tête du clan.

4Il semble enfin qu’Alexis ait pu s’appuyer sur la génération des jeunes généraux qui supportaient mal le déclin de l’Empire et étaient prêts à soutenir son action, si elle était efficace. Parmi eux on compte aussi bien des parents, dont Georges Paléologue qui en est un peu le prototype, Michel et Jean Doukas, les beaux-frères d’Alexis Comnène, Constantin le Porphyrogénète, mais aussi de ces hommes qui n’entrèrent dans la parenté impériale qu’ultérieurement, tels Kourtikios, Katakalôn Tarchaneiôtès, ou encore Nicolas Maurokatakalôn.

5En dépit de ces atouts, la tâche d’Alexis restait délicate. Sur le plan militaire, il devait déterminer l’ennemi prioritaire, Normands ou Turcs. Il choisit de combattre d’abord Guiscard, parce que ce dernier se mêlait du choix de l’empereur sous prétexte que sa fille avait été fiancée à un héritier de l’Empire. D’autre part, lorsque Guiscard aurait fait sauter le verrou constitué par la forteresse de Dyrrachion, la traversée des Balkans n’offrirait plus d’obstacle important avant la place forte de Thessalonique, et l’ennemi risquerait de paraître devant les murailles de Constantinople avec l’appui d’une flotte, alors que les Turcs étaient nécessairement arrêtés par les Détroits, faute de pouvoir les traverser. De plus, le danger qu’ils représentaient était sous-estimé, car ils s’étaient implantés en Asie Mineure occidentale à titre d’auxiliaires au service de stratèges byzantins rivaux.

  • 5 Il avait aussi des biens en Bithynie où il séjournait en 1071, mais en 1081, c’était en Thrace qu’i (...)

6En 1081, les Comnènes et les Doukai n’étaient pas revenus au pouvoir, rappelons-le, en tant que représentants de l’aristocratie micrasiatique, ce qu’ils n’étaient plus. Le César Doukas avait en Thrace d’immenses propriétés à défendre5. Isaac Comnène, frère d’Alexis, Nicéphore Mélissènos, Grégoire Pakourianos, venaient d’acquérir des biens notables dans la péninsule balkanique. Tous ces personnages ne pouvaient que privilégier la défense de l’Europe ; mais cette préférence risquait, si elle se prolongeait, de heurter les officiers d’origine micrasiatique qui pouvaient admettre un temps que le danger normand primât tout, mais qui ne renonçaient pas à défendre leur terre natale.

  • 6 Alexis en 1081 pouvait encore mobiliser une armée considérable, même si la part des soldats autocht (...)

7La guerre nécessitait évidemment une mobilisation de tous les effectifs disponibles, troupes de la capitale, mercenaires, Francs en particulier, et ce qui restait d’armée nationale, Immortels, Chômatènes, et quelques éléments rappelés d’Asie Mineure ; mais l’ossature de l’armée était désormais constituée des tagmata occidentaux, thraces et macédoniens6. Alexis qui avait obtenu leur concours pour entrer dans Constantinople en avril 1081, devait associer leurs officiers à son pouvoir pour le fonder solidement.

  • 7 Botaneiatès avait vidé les caisses de l’État, mais, comme le remarque justement Gautier (Blachernes(...)
  • 8 L’impératrice donna tous les biens qui lui provenaient de ses père et mère, Alexiade II, p. 10.
  • 9 Les partisans de Botaneiatès comptèrent au nombre des premières victimes de ces mesures. Manuel Str (...)
  • 10 Sur cette question, V. Grumel, L’affaire de Léon de Chalcédoine, le chrysobulle d’Alexis I sur les (...)
  • 11 Il annula les décisions de son prédécesseur Botaneiatès dont, pensons-nous, celles qui accordaient (...)

8L’empereur, comme ses prédécesseurs, risquait de s’aliéner de nombreux groupes. Il devait donc immédiatement trouver de l’argent frais7, une fois épuisées les contributions volontaires8. Les impôts d’Asie Mineure ne rentrant plus, et ceux d’Europe ne pouvant être inconsidérément augmentés, surtout à la veille d’une invasion, il fallait revenir aux moyens extraordinaires, principalement deux : la confiscation des biens des adversaires politiques9, et celle des biens ecclésiastiques qui entraîna les protestations inévitables de la hiérarchie religieuse10 et par suite de la haute administration civile, composée des mêmes familles, d’autant plus qu’elles avaient supporté le pillage de la capitale, en avril 1081. En sus, leurs rogai furent diminuées11 et la fortune de nombre d’entre elles confisquée, geste provocateur au moment où Alexis distribuait à ses parents des dignités nouvellement créées, aux rogai élevées. Par prudence, le nouvel empereur se devait donc de ménager l’ancienne aristocratie micrasiatique, les Macédoniens, la haute fonction civile et le clergé.

  • 12 Jean D’antioche, Diatribes, p. 5-55. Nous citons le texte d’après la traduction de l’éditeur.
  • 13 “Car il faut présentement omettre les fautes de la foule, qu’il est impossible de connaître et d’ex (...)
  • 14 “Un basileus doit toujours agir avec réflexion à l’égard de l’élite de l’armée, du clergé et des au (...)

9Au printemps 1091, la situation difficile de l’Empire encourage les adver­saires à exprimer ouvertement leurs pensées, fait exceptionnel. Jean, ancien patriarche d’Antioche, dépassant la traditionnelle réprobation des ecclésiastiques à propos des bien d’Église spoliés, se risque à une critique plus vaste, reflet d’un secteur plus large de l’opinion12. Il adresse directement à l’empereur trois reproches principaux13 : son illégitimité, son injustice, son autoritarisme. Dix ans après son accession au trône, l’opinion publique voyait en Alexis un usurpateur, puisque depuis 1081, ce général, jadis victorieux, subissait de graves défaites. Les levées d’impôts, lourdes car pesant sur une population amoindrie, étaient d’autant plus mal supportées que les administrateurs nommés par l’empereur, juges et fonctionnaires du fisc, pillaient ceux qu’ils devaient gouverner avec équité. Enfin, le faste des parents de l’empereur insultait toutes les victimes des exactions impériales : “en vérité, basileus, ta famille s’est avérée un très grand fléau pour l’Empire et pour nous tous, du fait que chacun de ses membres, prétendant à un train de vie impérial et à l’opulence, s’est montré davantage soucieux de ses profits personnels que de l’intérêt général et a occasionné pour toi une pénurie de ressources”. Enfin Alexis Comnène a déçu, car les capacités militaires dont il avait fait preuve avant 1081 ne furent pas confirmées ensuite et il décidait sans prendre conseil14.

  • 15 Cf. infra, p. 392, 404.

10Les complots, qui ne dégénérèrent pas en rébellion ouverte, en raison de la présence d’Alexis au milieu de son armée, n’intervinrent pas de façon régulière, mais culminèrent en plusieurs vagues, en 1083, 1095, 1103-1104, qui coïncidaient curieusement avec des victoires remportées par l’empereur, comme si les opposants admettaient une sorte d’union sacrée autour de la personne impériale devant les périls extérieurs. L’empereur eut à faire face à trois types de rébellions, la dissidence d’une ou plusieurs provinces15, des intrigues au sein de l’armée visant à renouveler radicalement le personnel dirigeant - l’assassinat d’Alexis fut envisagé à plusieurs reprises -, et enfin une tentative d’usurpation issue du sein même de la famille Comnène, qui annonçait cependant ce que serait la compétition impériale au xiie siècle.

  • 16 Sa place exceptionnelle dans la hiérarchie ne fut pas seulement soulignée par le titre de sébastocr (...)
  • 17 Ils étaient en quelque sorte les otages de l’empereur, comme l’avaient été les fils du César auprès (...)

11Pour assurer sa sécurité, Alexis offrit tous les pouvoirs de gestion à sa mère Anne Dalassènè, reprenant en quelque sorte à son profit la tradition de mésazôn et confia la garde de sa capitale à son frère Isaac16, bien qu’à Schiza, beaucoup de militaires eussent penché pour lui. Alexis, à la tête de l’armée, emmenait avec lui des adversaires potentiels, tels Nicéphore Synadènos, Nicéphore Paléologue, partisans déclarés de l’empereur déchu, les frères Diogénai, sans leur donner de responsabilités importantes17. Tout au plus, sur l’ensemble des généraux placés à la tête de tagmata ou de corps d’armée plus conséquents, relevons-nous le nom d’Alexandre Kabasilas, ancien partisan de Botaneiatès, mis à la tête du tagma des Thessaliens. Les premiers rôles étaient tenus soit par des parents d’Alexis, Nicéphore Mélissènos ou Georges Paléologue, soit par ses complices du printemps 1081, Grégoire Pakourianos, Constantin Humbertopoulos.

  • 18 Cf. f. d. n° 114.
  • 19 Il ne faut pas, semble-t-il, assimiler les Monomachatoi aux Monomaques, comme le fait Každan, Struc (...)
  • 20 Sceau édité par Šandrovskaja, Pal. Sbornik 23, 1971, p. 36, et sceaux inédits de la collection Diam (...)
  • 21 Guillaume de fouille (p. 216) explique sobrement que Monomachatos, ayant appris la chute de Botanei (...)
  • 22 Alexiade I, p. 139.

12La première défection qu’Alexis dut affronter fut celle de Georges Monomachatos, duc de Dyrrachion nommé par Nicéphore Botaneiatès18. Le nouveau duc n’appartenait sans doute pas à une famille illustre19 et avait accompli une carrière militaire classique, vestès et catépan, proèdre et duc, enfin protoproèdre et duc de Dyrrachion20. Le duc avait refusé de s’engager aux côtés d’Alexis contre Botaneiatès et, craignant le courroux du nouvel empereur, chercha refuge auprès des Normands et des Serbes21. Sitôt rassuré sur sa sécurité, il accepta de rentrer à Byzance22. L’importante armée placée sous ses ordres n’eut pas, semble-t-il, la moindre velléité subversive, alors que trois ans plus tôt, elle avait formé le gros des troupes de Nicéphore Basilakios.

  • 23 Lavra I, acte n° 45 ; le texte de l’acte situe hiérarchiquement Pountésès au-dessus de ses complice (...)
  • 24 Nous ne connaissons pas d’autre Baasprakanitès ; sans doute s’agissait-il d’une famille du Vaspoura (...)
  • 25 Lavra, acte n° 44, chrysobulle d’Alexis Comnène confirmant une donation de Nicéphore III à Léon Kép (...)

13Plus grave fut le complot militaire de 1083, mais ni Zônaras, ni Anne Comnène ne donnent la moindre précision ni sur les participants, sinon qu’ils étaient nombreux, ni sur leurs motivations, mais la menace des pires châtiments, qui pesait sur les inculpés, laisse deviner un crime de lèse-majesté et probablement un projet d’attentat contre Alexis. Par chance, un acte des archives de l’Athos nous a conservé trois noms - qui n’étaient pas nécessairement ceux des chefs23, ceux de Pountésès, Otton et Baasprakanitès qui, à la suite d’une rébellion, virent leurs biens confisqués. Les deux derniers, un mercenaire franc et un militaire dont le nom indique une origine orientale24, avaient reçu de Botaneiatès des biens dans la région de Thessalonique, mais étaient-ce d’anciens partisans de cet empereur, en rébellion contre son successeur ? Leurs biens furent dévolus à Léon Képhalas, lui aussi ancien bénéficiaire des largesses de Botaneiatès25, mais fidèle serviteur d’Alexis. Pountésès était un comte franc qui, l’année précédente, avait déserté le camp de Bohémond pour servir Alexis. S’agissait-il de mercenaires francs jugeant insuffisantes les récompenses obtenues après les premiers succès d’Alexis contre les Normands en 1083 ? Mais pourquoi Baasprakanitès ainsi que beaucoup d’officiers, selon Anne Comnène, participèrent-ils à cette sédition ? L’interprétation de leur mouvement reste une question ouverte.

  • 26 Les Garidai, illustre famille au début du xe siècle, étaient au siècle suivant devenus fonctionnair (...)
  • 27 Alexiade I, p. 109-110 ; Anne Comnène elle-même émet quelque doute sur la vertu de ce patriarche.
  • 28 Une aulè de Métaxas est connue dans la Diataxis d’Attaleiatès. Un autre Jean Métaxas servit l’Églis (...)
  • 29 Ibid., p. 227.

14Anne Comnène laisse entendre que la manière de répartir les charges de la guerre et de distribuer les revenus fiscaux avait suscité des oppositions à Constantinople, mais en dehors de quelques personnalités ecclésiastiques, nous ignorons qui menait la résistance aux mesures économiques d’Alexis. Dans l’Église, l’empereur disposait d’un atout en la personne du patriarche Eustratios Garidas26, plus précisément créature d’Anne Dalassènè27, qu’elle avait réussi à imposer à la place de Kosmas, client des Doukai. Le champion de l’opposition fut Léon de Chalcédoine, soutenu par un certain Métaxas28, sans doute membre du clergé de Sainte-Sophie. Alexis ne put en fait sévir efficacement contre ses adversaires qui réussirent même à provoquer l’abdication d’Eustratios, accusé d’avoir trop facilement cédé aux exigences impériales. Le nouveau patriarche Nicolas, réfugié d’Asie Mineure, originaire d’Antioche de Pisidie, à la différence de ses prédécesseurs, n’était inféodé à aucun clan aristocratique et ne fut pas le serviteur aveugle de l’empereur29. Léon de Chalcédoine ne fut pas inquiété avant 1087 - à Dristra il était encore revêtu de ses habits sacerdotaux, et donc non déposé - et ne put être attaqué au sujet des biens d’Église, mais sur des questions doctrinales. Quant à Jean Métaxas, il comptait toujours parmi les archontes ecclésiastiques en 1094- 1095. Cet épisode illustre la relative faiblesse du pouvoir d’Alexis qui ne put même pas mettre au pas les opposants dans l’Église, alors qu’aucun empereur du xie siècle n’avait eu de difficultés à imposer ses volontés dans ce corps social.

  • 30 Anne Comnène dit clairement que Michel Doukas avait refusé qu’on mît en doute l’orthodoxie d’Italos (...)

15Nous devons nous demander si le procès de Michel Italos pour déviation hérétique ne constituait pas une tentative d’apaiser l’Église en soulignant la volonté du nouvel empereur de faire respecter strictement l’orthodoxie, lui qui au même moment était accusé d’avoir pillé les biens d’Église de façon abusive (τυραννικός) et contraire aux canons. De plus, en attaquant Italos, Alexis visait à semer la crainte parmi les milieux intellectuels de la capitale où se recrutaient les futurs fonctionnaires de l’administration centrale, et à s’attaquer à des proches de l’ancien basileus Michel Doukas30 pour réduire leur influence au sein de l’administration. Ce groupe ne comptait pas parmi les adversaires d’Alexis, mais ce dernier cherchait nécessairement à en limiter l’importance comme soutien potentiel à son jeune co- empereur, Constantin Doukas.

  • 31 Alexiade II, p. 39.
  • 32 Zônaras, p. 739.
  • 33 Le dernier ouvrage consacré à Italos par L. Clucas (The trial of John Italos and the crisis of inte (...)

16Italos avait de nombreux disciples ; le texte du synode qui le condamna au silence en cite quelques-uns, tous hommes d’Église qui acceptèrent de se rétracter, mais la plupart se recrutaient à la cour impériale parmi les mégistanés31. Anne Comnène rappelle qu’elle a pu discuter avec trois d’entre eux, Jean Salomon, un Serblias, un Iasitès. Les deux premiers nommés représentaient des grandes familles de fonctionnaires civils, tandis que les Iasitai s’étaient illustrés tant dans les affaires civiles que par leurs exploits militaires. Or Jean Solomôn fut ultérieurement mêlé au complot des Anémai, et le fils de Constantin Iasitès, qui avait pourtant épousé la fille de l’empereur, Eudocie, fut chassé du palais impérial car il avait maltraité son épouse et se querellait avec Γ Augusta Irène32. Est-ce un hasard si deux sur trois des disciples d’Italos furent impliqués dans des actions hostiles à l’empereur, ou faut-il penser qu’autour d’Italos s’était groupée une partie de l’administration civile qui manifesta ultérieurement son mécontentement33 ?

  • 34 Δήμος δπας, pour une fois, Anne Comnène (Alexiade II, p. 39) n’use pas d’un terme péjoratif à propo (...)
  • 35 Ibid., p. 174, 179.

17Enfin Anne Comnène présente Italos comme un traître lorsqu’il fut chargé de négocier avec Guiscard à Dyrrachion. Son origine latine, sur laquelle Anne Comnène insiste, soulignant sa prononciation incorrecte du grec, en faisait un bouc émissaire commode pour expliquer la perte de cette place si importante pour l’Empire et les défaites impériales, à un moment où l’opinion publique de la capi­tale s’agitait. La foule34, conditionnée par Isaac Comnène - responsable du pro­cès ? -, faillit faire un mauvais sort au philosophe35.

Les crises décisives (1094-1107)

18Alexis courut le plus grand danger au printemps 1094 lorsque Nicéphore Diogénès prétendit au pouvoir, non sans justification. Mis à part Constantin Doukas, Nicéphore avait les meilleurs droits au trône en tant que prince porphyrogénète et, après Constantin et Romain, une troisième génération de Diogénai prétendait à l’Empire. Sa personnalité attachante, sa prestance physique admirée des militaires, son intelligence hors du commun reconnue par Anne Comnène elle-même, polarisaient tous les mécontentements. Alexis, son syggambros, n’avait pas osé l’évincer, par amitié selon Anne Comnène, ce qui était fort possible car l’empereur l’avait élevé avec son frère Léon à la cour impériale, mais surtout parce que le nom de Diogénès gardait un grand pouvoir d’attraction. En 1094, Anne Comnène reconnaît sa vive popularité dans l’armée, car tous les simples soldats l’adoraient et la majorité du corps des officiers le préférait à l’empereur35.

  • 36 Angold, Empire, p. 126, considère également que les rapports de Nicéphore Diogénès avec ta Crète ét (...)

19Alexis lui avait offert de gouverner la Crète comme son bien propre ; cela implique qu’il n’était pas un simple duc mais avait le droit de nommer tous les officiers de l’île et sans doute d’en toucher les revenus fiscaux. Alexis Comnène avait en somme tenté de le désintéresser, comme Nicéphore Mélissènos quand l’empereur avait accordé à ce dernier Thessalonique et sa région. Nicéphore Diogénès ne visita probablement jamais sa province car il est toujours mentionné parmi les gardes du corps personnels de l’empereur, ce qui constituait à la fois un honneur et une mise sous surveillance. Une précision importante nous fait défaut, la date de la donation impériale, que le déroulement du récit de l’Aiexiade ne permet pas de conjecturer ; mais il y a de bonnes raisons de penser que cet avantage échut à Nicéphore quand il devint adulte, autour de 1085, autrement dit le Karykès de Crète qui se révolta en 1090 aurait été nommé par lui36.

  • 37 Les prétentions de Nicéphore étaient connues de tous, y compris des fidèles d’Alexis, Tatikios ou M (...)
  • 38 Il ne s’agit évidemment pas du Kékauménos contemporain d’Isaac Comnène, déjà retraité sous Constant (...)

20Les Diogénai étaient à la tête d’un véritable clan, si puissant que l’empereur n’osait pas réagir contre eux par la force37. De tous les complices de Diogénès, nous ne connaissons que Katakalôn Kekauménos, la basilissa Marie d’Alanie, et le panhypersébaste Michel Tarônitès. Le premier nommé se rattachait aux fameux Kékauménoi de Colonée38 ; nous verrons comment interpréter sa participation. La seconde, belle-soeur de Nicéphore, voyait son fils, co-empereur d’Alexis I, progressivement écarté au profit du fils de ce dernier. La présence de Michel Tarônitès intrigue davantage puisque son beau-frère Alexis l’avait distingué en créant pour lui la dignité unique de panhypersébaste. Mais Michel, rejeton d’une illustre famille, de surcroît syggambros de Diogénès, n’était pas nécessairement perdant en cas de changement dynastique. Il semble qu’il adopta une position personnelle, puisque son fils, le sébaste Jean, ne fut absolument pas concerné par cette affaire, car à peine quelques mois après, il participait au synode des Blachernes. Alexis fit toujours preuve, semble-t-il, d’un très grand attachement à l’égard de ses neveux.

  • 39 Cf. f. d. n° 129, n. 1.
  • 40 Sur les Pseudo-Diogénai, on consultera l’article de Marguerite Mathieu, Les faux Diogènes, Byz. 22, (...)

21La popularité du nom de Diogénès servit à deux reprises à des imposteurs, appuyés sur des troupes étrangères, pour attaquer l’Empire, en 1095 et en 1106- 1107. En 1095, le Pseudo-Léon Diogénès39 espérait trouver des complicités dans l’armée et se fit berner par Alakasseus qui l’attira dans un piège, prétextant des mauvais traitements de la part d’Alexis en raison de son ancienne amitié pour le père du Pseudo-Diogénès. En 1106-1107, le prétendant n’était qu’une marionnette aux mains de Bohémond40, mais ce dernier estimait que le nom de Diogénès avait encore un impact sur les Byzantins. Le Normand, en effet, sans être au fait de toutes les intrigues de la cour avait, séjourné à Constantinople en 1097 puis avait traversé la Cappadoce où ce nom de Diogénès était illustre, et il pensait tirer profit de son stratagème, indice du maintien durable de la popularité des Diogénai dans l’armée byzantine.

  • 41 Cf. f. d. n° 130.

22La conjuration des Anémai recruta aussi de nombreux officiers41, Antiochoi, Kastamonitai, Basilakios, Doukas, qui se concilièrent habilement pour assurer le financement de l’entreprise certains sénateurs et hauts fonctionnaires de Constantinople, au premier rang desquels figurait Jean Solomôn, l’ancien disciple d’Italos.

23La principale opposition à Alexis vint donc de l’armée, en particulier des officiers appartenant à des familles anatoliennes, Antiochoi, Kékauménoi, Sklèroi, qui avaient participé, en 1057, à l’élévation au trône de l’oncle d’Alexis. Aucune famille à laquelle nous avons attribué des attaches occidentales ne s’opposa à Alexis, à l’exception des Kourtikioi, au statut ambigu, étant aussi apparentés aux Paléologues de Phrygie, ni aucun Doukas, pas même le porphyrogénète Constantin, pourtant premier bénéficiaire éventuel.

  • 42 Alexiade II, p. 108. Sans doute Anne Comnène ne dit-elle pas expressément qu’il s’agit d’Orientaux  (...)

24Les séditions des Diogénai et des Anémai peuvent s’interpréter, nous semble- t-il, comme des manifestations hostiles aux choix stratégiques d’Alexis qui avait privilégié la défense de l’Occident aux dépens de celle de l’Orient. Les familles occidentales, au premier rang desquelles les Macédoniens, ne pouvaient qu’être satisfaites d’une politique qui assurait la défense de leurs propriétés, mais celles d’Orient voyaient leurs biens d’Asie Mineure définitivement perdus à mesure que le temps s’écoulait. Or bien des soldats étaient originaires de cette partie de l’Empire, le tagma des Immortels, recruté à Constantinople parmi les réfugiés, celui des Archontopouloi choisis parmi les fils de soldats tués à la guerre42. N’oublions pas les Chômatènes et peut-être quelques troupes revenues avec les Mélissènoi et les Bourtzai. Précisément le tagma des Immortels fut le seul tagma byzantin à se révolter contre Alexis en Chypre, en 1092 : il disparaît des sources après cet événement. Et le tagma des Archontopouloi (deux mille hommes) eut cruellement à souffrir des erreurs tactiques d’Alexis, laissant trois cents morts dans une embuscade tendue par des Petchénègues. Voilà dans quel milieu Diogénès pouvait trouver des appuis. La défection du thème de Trébizonde relève de la même défiance envers la capacité de l’empereur à assurer la défense de la région.

  • 43 Ibid. II, p. 167-168.

25Cette interprétation permet de justifier la chronologie paradoxale des séditions qui survinrent après des victoires impériales, ce qui aurait dû en principe assurer l’autorité d’Alexis. La conjuration de Diogénès éclata après la victoire du Lébounion et les combats contre Tzachas, comme si on reprochait à l’empereur de ne pas débarquer sur le continent asiatique pour commencer la reconquête, et de préférer combattre encore en Occident contre Bolkan sous l’insuffisant prétexte qu’il s’était emparé de la petite forteresse limitrophe de Lipénion43.

26En effet, l’inaction d’Alexis en Asie Mineure fut tout à fait remarquable. En 1081, la situation y était fort complexe, mais assurément la domination turque en Asie était partielle, fragile, et une vigoureuse réaction byzantine eût été possible. Mais Alexis avait mobilisé des forces considérables contre les Normands et les avait gaspillées. Tant que la ville impériale avait été menacée, l’opposition du groupe oriental s’était atténuée, mais une fois l’Occident dégagé, elle ne comprenait plus le retard de l’empereur pour agir en Asie.

  • 44 Ibid. Ill, p. 67-68.

27Cette impression est renforcée par l’étonnant préambule qu’Anne Comnène consacre au récit de la sédition des Anémai : sur le souci qu’avait Alexis de maintenir la paix, et lorsqu’elle était obtenue, de ne pas inciter l’adversaire à ouvrir les hostilités44. Cette attaque contre les généraux fauteurs de guerres, “démagogues qui ruinent l’État”, pourrait être une réponse au reproche fait à Alexis de ne pas faire campagne en Orient, le basileus affirmant, et il n’avait pas nécessairement tort, qu’après les efforts consentis contre les Normands et les Petchénègues, l’Empire avait besoin de paix.

  • 45 L’échec des frères Aarôn entraîna le déclin politique du groupe bulgare dont les membres n’occupère (...)

28En 1107, la tentative des frères Aarôn, outre une ambition personnelle, ne révèle-t-elle pas la persistance de ce malaise ? En effet, les princes bulgares mariés aux grandes familles d’Orient, Diogénès, Kourkouas, Doukas, Comnène, se comportaient comme les autres dynastes orientaux. Or, en 1107 Alexis engage une nouvelle campagne en Occident contre Bohémond45.

29Le calme relatif dont jouit l’empereur après cette date peut conforter notre hypothèse. Après 1107, les soldats originaires d’Asie Mineure avaient vieilli et quittaient les rôles militaires. Enfin Alexis mena personnellement plusieurs campagnes en Anatolie, accomplissant ce que beaucoup de Byzantins avaient souhaité qu’il fît plus tôt.

  • 46 La famille Ariébès est peu connue en dehors du général d’Alexis, Basile Ariébès, proèdre et primici (...)
  • 47 Gautier, Blachernes, p. 240.

30Constantin Humbertopoulos et l’Arménien Ariébès, surpris à comploter46après la victoire du Lébounion, ne partageaient pas nécessairement le méconten­tement des officiers précédents, encore qu’Ariébès, d’origine arménienne, pût y avoir des intérêts. Nous admettons tout simplement que les deux hommes s’estimaient insuffisamment récompensés des efforts précédemment consentis. Alexis finit peut- être par se ranger aux raisons de Constantin Elumbertopoulos, puisqu’après un court exil, celui-ci fut rappelé et était sébaste lors du synode des Blachernes47.

  • 48 Le précédent du César Doukas sous Michel VII ne peut entrer en ligne de compte, car sa candidature (...)

31À côté de ces luttes traditionnelles pour le pouvoir, typiques du xie siècle, la tentative vite avortée de Jean Comnène, duc de Dyrrachion, sébaste, fils du sébastocrator Isaac et donc neveu de l’empereur, faisait figure de nouveauté, car pour la première fois, un proche parent de l’empereur vivant visait à le remplacer48. D’après le récit d’Anne Comnène, on ne saurait imaginer d’autre mobile à l’action de Jean que l’ambition personnelle. Cependant, il faut remarquer qu’il était le fils aîné du frère aîné de l’empereur régnant, argument qui, au xiie siècle, servira à soutenir bien des prétentions au trône. La manière dont fut traitée l’accusation était elle aussi exemplaire : un conseil de famille se réunit, incluant seulement les plus proches parents de l’empereur et décida d’étouffer l’affaire.

32L’extrême agitation du règne d’Alexis I symbolise les divisions des élites byzantines, impression confirmée par la modération des châtiments imposés aux conjurés, à l’exception des meneurs tels Nicéphore Diogénès et Katakalôn Kékauménos qui furent aveuglés. Constantin Humbertopoulos impliqué en 1091 reprit son commandement des Celtes en 1095 ; les Éxazènoi compromis avec les Anémai étaient au premier rang de la lutte contre Bohémond, de même que Georges Dékanos ou Eustathe Kamytzès qui avaient favorisé la fuite de Grégoire Gabras. Alexis Comnène, s’il dut frapper les têtes des complots pour limiter les risques de rébellion, ne voulut, ni ne put se passer de l’appui de tous ceux qui avaient manifesté à un moment ou à un autre leur hostilité aux mesures impériales. Comme pour la question de l’Église, cette impuissance mesure la faiblesse du nouvel empereur.

Le succès dynastique

33Pour réussir à fonder une dynastie, ambition qu’il partageait avec ses prédécesseurs, Alexis devait atteindre un double objectif, écarter le prince porphyrogénète Doukas sans s’aliéner le plus puissant clan de l’Empire et intégrer les autres groupes aristocratiques, macédonien, cappadocien, phrygien partagé entre les Botaneiatai et les Mélissènoi. Les alliances matrimoniales furent le moyen naturel et privilégié de remplir ce programme.

  • 49 Theophylacte De Bulgarie, Opera, p. 229-231 ; commentaire, introduction, p. 57. Est-ce à cet événem (...)

34L’élimination de Constantin le Porphyrogénète fut réalisée en trois phases. En un premier temps, Alexis fiança presqu’immédiatement sa fille aînée, née en décembre 1083, à Constantin, choisissant une solution idéale pour le cas où il n’aurait pas eu de fils - situation qui dura jusqu’au 13 septembre 1087. Alexis prit l’audacieuse décision de couronner Jean aussitôt après son baptême, en dépit de la situation critique où l’avait placé sa terrible défaite de Dristra. Simultanément, Constantin Doukas dut perdre son rang impérial, comme l’a montré P. Gautier à partir de l’omission de son nom, autrement inexplicable, dans un éloge impérial de Théophylacte de Bulgarie prononcé au début de 108849. Malgré la concomittance des dates, le complot de l’automne 1087 paraît bien avoir été sans rapport avec la dégradation de Constantin Doukas.

35La victoire du Lébounion fournit à l’empereur l’occasion espérée de proclamer le jeune Jean Comnène, co-basileus. Une nouvelle fois le clan Doukas ne broncha point et Constantin lui-même garda apparemment d’excellentes relations avec Alexis, mais sa mère, l’impératrice Marie d’Alanie, entra dans la conspiration de Nicéphore Diogénès, car elle n’avait plus rien à perdre à un changement dynastique. L’échec de Diogénès et la mort du jeune Constantin en 1095 confortèrent les espérances dynastiques d’Alexis.

  • 50 Cf. supra, tableaux généalogiques p. 280, 281 et commentaire p. 282.
  • 51 Gautier, Blachernes, p. 237.

36Alexis prit soin de multiplier les unions entre les Comnènes et les Doukai en dépit des limites qu’imposaient les liens de consanguinité, au point qu’à la génération suivante, les deux familles avaient véritablement fusionné50. Du côté des Cérulaires-Makrembolitai, le représentant le plus éminent du groupe, le fils du sébaste Constantin, Michel, avait épousé avant 1081 une nièce d’Alexis et il connut une remarquable carrière, devenant avant 1094 sébaste et logothète des sékréta51.

  • 52 Pour le détail des alliances, voir supra, p. 282.

37Parmi les Phrygiens, les Mélissènoi et leurs parents Bourtzai se satisfirent d’être abondamment pourvus de biens fonciers et dès lors Nicéphore Mélissènos fut un des plus importants et fidèles lieutenants de l’empereur. Avec les Botaneia- tai, Synadènoi, Kabasilai, Straborômanoi, Goudélai, les relations se normalisèrent rapidement par des mariages qui ouvrirent aux deux premières familles nommées la dignité de sébaste52. Des donations contribuèrent sans doute à apaiser l’amertume qu’avait entraînée la perte du pouvoir. Dès octobre 1081, Alexandre Kabasilas avait suffisamment la confiance du nouveau basileus pour se voir confier le corps militaire des Thessaliens face à Guiscard. L’assimilation réussie de ce groupe se traduisit par la nomination de Botaneiatai, de Synadènoi, de Straborômanoi et de Goudélioi à des postes importants durant tout le XIIe siècle, et la pérennité de ces familles fut assurée jusqu’en 1204 et même bien souvent au-delà, par exemple pour les Kabasilai.

38L’alliance avec les Macédoniens représentait le plus gros enjeu, puisqu’ils commandaient les plus importantes formations militaires autochtones et avaient aussi, dans une certaine mesure, porté Alexis au pouvoir. Toujours établis à Andrinople, ils soutenaient la défense acharnée de l’Occident par Alexis face aux peuples du nord, Petchénègues et Coumans.

  • 53 Alexiade II, p. 83, 89, 105. Nicolas Branas garda Andrinople lorsque le grand domestique Grégoire P (...)
  • 54 Ibid., p. 89.
  • 55 Ibid., p. 97.
  • 56 Cf. supra, p. 238.

39La cité se trouva longtemps aux avant-postes de la frontière et servit à de nombreuses reprises de point de concentration pour l’armée53. Lorsqu’en 1087, Alexis tenta de repousser les Petchénègues, il était entouré de Macédoniens qui formaient le gros de ses conseillers et de ses gardes du corps ; l’ancienne génération était à ses côtés, représentée par Grégoire Maurokatakalôn qui avait une longue expérience de la guerre contre les Scythes et avait été leur prisonnier54, et par Nicéphore Bryennios l’Aveugle, qui, tous deux, déconseillèrent la bataille devant Dristra. D’un avis contraire furent les gardes du corps d’Alexis I, Nicolas Maurokatakalôn et Iôannakios (c’est-à-dire Basile Kourtikios)55. Koutzoumitès, qui gardait les bagages de l’armée, était encore un Macédonien de même que Théodore Bempétziôtès qui ouvrit les hostilités au printemps 1087, en compagnie de Nicolas Maurokatakalôn56.

40Les Batatzai, les Tornikioi sont absents, non pas que ces familles aient disparu à la fin du xie siècle, puisque dès le milieu du siècle suivant, elles comptaient parmi les plus notables de l’Empire, mais sans doute leur participation aux rébellions sous Basile II et sous Constantin Monomaque entraîna-t-elle une éclipse durable de leur influence, qui contrastait avec la pérennité des Bryennioi, pourtant mêlés aux troubles de 1056-1057 et de 1077-1078.

41Cette activité considérable des Bryennioi et des Tarchaneiôtai à Andrinople incite à s’interroger sur leur rôle exact dans cette place et en Thrace. En effet, quoiqu’aucun texte contemporain n’étaie cette hypothèse, nous nous demandons si l’empereur ne leur avait pas accordé des droits semblables à ceux qu’il avait consentis à Mélissènos à Thessalonique ou à Nicéphore Diogénès en Crète, c’est- à-dire les revenus fiscaux et la possibilité de nommer les fonctionnaires subalternes ; dans ce cas, nous aurions là un exemple supplémentaire d’un “apanage” en faveur des Macédoniens.

  • 57 La démonstration de Gautier est convaincante, Introduction à l’Histoire de Bryennios, p. 20-23.
  • 58 Nicétas Chôniatès, Histoire, p. 6. Cette première union entre les deux familles fut confirmée par u (...)
  • 59 Histoire de Chôniatès, Introduction de J. Van Dieten, Berlin 1972, p. XXII.
  • 60 P. Schreiner, La Pammakaristos, DOΡ 25, 1971, p. 221.
  • 61 Vannier, Paléologues, p. 150.
  • 62 Polemis, Doukai, p. 77.
  • 63 Alexiade III, p. 111. Cette union confirme encore la tendance aux mariages endogamiques à l’intérie (...)
  • 64 Seuls deux sceaux attestent la continuité de la famille, celui de Marie Glabaina, charisticaire du (...)

42Lorsque sa fille aînée Anne perdit son fiancé Doukas, l’empereur le remplaça fort habilement par Nicéphore Bryennios, petit-fils du révolté de 1077 et 107857, et représentant de la famille macédonienne dominante. Car c’est bien en tant que Macédonien que le jeune Bryennios fut choisi ; Alexis sur son lit de mort le considérait comme tel : “l’Empire tout entier rirait aux éclats si ... j’écartais mon propre fils au moment de me choisir un successeur et introduisais le Macédonien”58. Ces mariages avec les Bryennioi furent progressivement renforcés par des alliances avec chacune des familles notables du groupe macédonien. La fille cadette de l’empereur, Théodôra, épousa Constantin Kourtikios (fils de Basile ?), dont elle devint rapidement veuve59. Alexis Tarchaneiôtès fut uni à Eudocie, fille du fondateur du couvent de la Pammacharistos60, c’est-à-dire le grand domestique Adrien, frère de l’empereur61. Au cours du xiie siècle, les Batatzai, les Branas, les Tornikioi s’allièrent également à des princesses Comnènes. Les Maurokatakalôn ne leur furent pas rattachés directement, mais Nicolas Maurokatakalôn épousa une petite-fille du prôtostratôr Michel Doukas, beau-frère d’Alexis I62, et son fils Marianos, la soeur du César Nicéphore Bryennios63. Finalement, de tout le groupe macédonien, seuls les Glabas ne furent pas, autant que nous le sachions, liés aux Comnènes64. L’ordre chronologique des unions entre la famille impériale et les différentes familles macédoniennes semble refléter la hiérarchie de l’influence de ces dernières, en cette fin du xie siècle, car l’empereur se préoccupait de lier sa famille d’abord aux chefs de file, avant que ses successeurs ne complètent l’oeuvre commencée.

  • 65 Alexiade III, p. 105. Il est peut-être à identifier avec Pothos Alyatès, protoproèdre et catépan, S (...)

43Alexis enregistra son unique échec vis-à-vis de la faction cappadocienne, car la proche parenté depuis longtemps établie avec les Diogénai n’évita pas les conflits. Cependant les Alyatai qui avaient appuyé Romain Diogénès en 1072 furent progressivement récupérés, puisqu’un Alyatès, gouverneur de Glabinitza - poste assez modeste - tomba en 1108 face à Bohémond65, mais ils ne revinrent au plus haut niveau de l’aristocratie aulique qu’à la fin du xiie siècle et au xiiie siècle.

  • 66 À la fin du xie siècle, les Iasitai, dont l’un fut élève d’Italos et un autre (ou le même ?), Const (...)

44Nous n’avons pas rendu compte de toutes les alliances matrimoniales de la famille Comnène avec les Arbantènoi, Euphorbènoi, Katakalôn, Iasitai66, non pas que celles-ci aient eu une signification politique moindre que les précédentes, mais nous ne sommes pas capable, dans l’état actuel de nos connaissances, de les interpréter correctement. La politique matrimoniale d’Alexis connut le succès, car ses parents par alliance lui restèrent fidèles. Mais les unions conclues par sa mère Anne Dalassènè avant son arrivée au pouvoir se révélèrent plus fragiles car elles ne dissuadèrent ni Nicéphore Diogénès ni Michel Tarônitès de se dresser contre lui. L’empereur réussit ainsi la fusion des aristocraties occidentale et orientale, là où les Doukai et Nicéphore Botaneiatès avaient échoué faute de temps, même si des sous-groupes subsistèrent encore longtemps au cours du xiie siècle.

  • 67 Zônaras, p. 732 ; Jean D’antioche, Diatribes, p. 41.
  • 68 Cécile Morrisson (La logarikè ; réforme monétaire et réforme fiscale sous Alexis Comnène, TM 7, 197 (...)
  • 69 Oikonomidès, Organisation administrative, p. 140, 147, 151.

45Toute cette architecture matrimoniale subtilement réalisée par Alexis n’aurait servi de rien si la conception de l’Empire n’avait pas évolué, transformant l’État en bien patrimonial, ce dont beaucoup de contemporains eurent conscience et mirent au passif de l’empereur67. Il ne faudrait pas croire qu’Alexis, arrivant au pouvoir, ait eu un programme de transformation de la société byzantine ; son action gouvernementale fut progressive et ne se développa vraiment qu’après 1091, comme en témoignent par exemple la réforme monétaire de 109268, la création des deux grands bureaux de contrôle des finances, celle du poste de mégaduc de la flotte69. Il en alla de même pour l’implantation progressive de tous ses parents et alliés au sein des rouages de l’État.

46L’évolution de la dignité de sébaste est exemplaire pour comprendre la méthode de l’empereur. Créée sous Michel VII pour récompenser les qualités exceptionnelles de Constantin, neveu de Cérulaire, elle fut progressivement réservée aux parents de l’empereur. À une hiérarchie des fonctions fut substituée une autre, fondée sur la proximité de la parenté impériale.

  • 70 La liste des dignités croissantes portées par Humbertopoulos suggère que la dignité de sébaste fut (...)
  • 71 Nous n’avons connaissance d’aucune union entre des Comnèno-Doukai et des Maniakai.
  • 72 Ibid., p. 217.
  • 73 Voir les études de L. Stiernon, Notes de titulature et de prosopographie byzantines ; à propos de t (...)

47La liste des personnalités ayant participé au synode des Blachernes nous offre l’image la plus approchée d’un taktikon à la fin du xie siècle, en 1095. Des sébastes présents n’appartenaient probablement pas à la famille impériale, tels Marinos de Naples ou Constantin Humbertopoulos70, ni probablement Constantin Maniakès71, souvenir de l’ancienne hiérarchie, mais déjà les liens du sang prédominaient comme l’atteste la préséance de Georges Paléologue et de Jean Tarônitès, tous deux sébastes sans exercer de fonctions, sur le sébaste et logothète des sékréta Michel72. Le système ne fut définitivement mis en place qu’au xiie siècle, avec une précision aiguë au point de distinguer l’ordre chronologique des naissances, les aînés l’emportant sur les cadets et les descendants de la branche aînée sur ceux des branches cadettes ; ainsi la place d’un personnage dans les listes nous permet de déterminer son degré de parenté avec l’empereur73.

  • 74 Gautier, Pantocrator, p. 115-125. La date du texte, 1136, est tardive, mais Jean et sa femme étaien (...)
  • 75 Ibid., p. 115. Ce Tornikios peut être soit Léon, vaincu en 1047, soit plus vraisemblablement un com (...)
  • 76 Ibid., p. 117.
  • 77 Ibid., p. 119.

48La participation de l’aristocratie civile aux attaques menées contre Alexis Comnène apparaît modeste, mais Anne Comnène a pu sous-estimer le méconten­tement des civils contre Alexis, dans la mesure où elle privilégie le récit des conspirations militaires qui représentaient pour son père un danger immédiat. Nous pouvons peut-être partiellement combler cette lacune documentaire, en utilisant la liste des biens offerts par Jean II et son épouse Irène au monastère du Pantokratôr telle qu’elle est conservée dans le typikon du couvent74. Une partie de leurs terres provenait sans doute des nombreuses confiscations opérées sous Alexis Comnène. En effet, le rédacteur du typikon prend soin de distinguer entre les biens achetés ou obtenus par échanges et donations, des autres possessions. Or nombre de domaines portent les noms de leur ancien propriétaire ; nous apprenons ainsi que Monomachatos, que nous identifions au révolté de 1081, possédait un bien à Daonion, et un autre, ancienne propriété d’un Tornikios75. Le chorion de l’éparque évoque l’éparque Xèros impliqué dans la conjuration des Anémai76 ; le palais d’Humbertopoulos aura été acquis lors de la confiscation de ses biens en 1091. La présence sur la liste de toute la fortune d’Alousianos, sise à Madytos, incite à s’interroger sur une éventuelle participation de ce descendant des Bulgares au complot des frères Aarôn, ses lointains cousins77. De la même manière, nous nous demandons si Alakasseus, efficace pour arrêter le Pseudo-Diogénès en 1095, n’avait pas pris part au complot des Anémai.

  • 78 Il s’agit de Syméon Seth dont l’identité n’est pas clairement établie ; il avait pour second nom de (...)
  • 79 Les biens cités étaient sis presque tous dans la banlieue de Constantinople.

49Nous relevons plusieurs noms de l’aristocratie civile, ceux de Seth, Radènos, Ergodotès, Triakontaphyllos, Anthèmios, Kôstomyrès. La mention du domaine de Seth à Raidestos nous confirme dans l’idée qu’une confiscation a fait entrer les biens de ces gens dans ceux du fisc ou de la famille Comnène. Anne Comnène en effet parle de Seth78 comme d’un astrologue remarquable, mais qui, accusé de corrompre la jeunesse, fut exilé par l’empereur, précisément à Raidestos. Les autres personnages ont probablement été eux aussi impliqués - à tort ou à raison - dans des complots, preuve que l’hostilité des civils de Constantinople79 fut plus vive que la lecture de l’Aiexiade ne le laisse entendre.

  • 80 Nous excluons les lettres aux dirigeants de l’Empire, empereurs et mésazôntés.

50Cependant cette période n’a point apporté de bouleversement dans le personnel des bureaux de la capitale. Il est évidemment impossible de suivre le destin particulier des familles qui fournirent des administrateurs, de Basile II à Nicéphore III ; nous conduisons néanmoins un test sur un échantillon constitué par la liste des correspondants de Psellos, qui représentaient largement l’élite de l’administration civile de son temps80, en vérifiant si leurs familles sont encore attestées par les sources sous Alexis I et au xiie siècle.

  • 81 En fait le sceau de Kyritzès (LAURENT, Vatican, n° 183, daté par son éditeur du xie siècle), appart (...)

Note81

  • 82 Alexiade I, p. 122.
  • 83 Každan (Structure de la Classe dominante, p. 172 sq.) a étudié ce mouvement qui a poussé les famill (...)

51Ainsi la stabilité a prédominé : Alexis, ou plutôt sa mère Anne Dalassènè, assistée de son secrétaire Génésios et de ses logothètes des sékréta successifs, chargés de la nomination des fonctionnaires82, n’ont pratiqué aucune proscription à l’égard du personnel politique en place. Certes les avantages de plus en plus exclusifs offerts à la famille impériale réduisirent le prestige de ceux qui ne l’avaient pas intégrée, qu’ils aient appartenu au stratiôtikon ou au politikon. Mais il convient de bien distinguer entre la période du milieu du xie siècle, où le passage du premier au second s’effectuait par attraction vers des fonctions prestigieuses et enrichissantes, et la fin du xie siècle, où cette reconversion était le signe d’un échec à maintenir un statut de premier plan83.

  • 84 Le sceau d’Andronic Comnène, fils d’Eudocie, fille cadette de Jean II, fournit un riche exemple de (...)

52Le long règne d’Alexis Comnène marquait donc une étape fort importante dans l’évolution de la société byzantine. Au xie siècle, au-delà des oppositions des clans familiaux, les serviteurs de l’État se divisaient en civils ou en militaires. Désormais l’appartenance ou non à la famille impériale était déterminante ; peu importait la nature des fonctions exercées, encore que les responsabilités militaires fussent plus recherchées. Rien ne souligne mieux cette évolution que la sigillographie, où les notations de parenté apparaissent en nombre croissant au cours du xiie siècle84.

  • 85 Sous Alexis I, leurs biens confisqués formèrent peut-être un oikos impérial, si la lecture du sceau (...)

53La société byzantine se figea progressivement, mais de nouveau il ne faut pas trop opposer la période des Comnènes à celle qui la précédait. Nous avons en effet constaté, au xie siècle, en dépit des célèbres affirmations de Psellos, un renouvellement très réduit des élites, la mobilité affectant davantage les traditions familiales, civiles ou militaires. Or sous les Comnènes, de nouveaux noms continuent d’apparaître, en nombre modeste certes. Sous Alexis, des étrangers qui n’étaient pas tous d’illustre naissance, s’intégrèrent fréquemment à l’aristocratie militaire, parfois à la famille impériale, les Rogérioi, Rallai, Pétraliphai, Kamytzai, Tatikioi, Axouchoi. Les familles hostiles, un temps, à Alexis ne perdirent pas toutes leur rang. Sans doute les Diogénai, Basilakioi, Sklèroi, Xèroi, Antiochoi furent-ils éliminés des postes de commandement, mais ils se maintinrent dans l’aristocratie aulique, gardant des chances de revenir au premier plan en cas de changement de régime, tandis que les Gabras, Kamytzai, Humbertopouloi ne connurent qu’une courte disgrâce. Mieux encore, les Anémai85 entrèrent ultérieurement dans la famille impériale et Manuel Anémas compta parmi les généraux les plus renommés sous Manuel Comnène. Ces possibilités d’accès, même limitées, aux couches supérieures de l’aristocratie, ajoutées à la politique d’intégration du plus grand nombre de clans possible - sans exclusive, même en cas de rébellion - ont à coup sûr contribué à atténuer les tensions.

54La catégorie la plus touchée sous Alexis I fut celle qui, sans accéder aux responsabilités politiques, avait profité des largesses des Doukai et des Botaneiatai, que nous connaissons par de nombreux sceaux de personnages aux patronymes inconnus jusqu’alors, sceaux contemporains du règne d’Alexis. Or ces noms, à peine apparus, disparurent dans leur immense majorité au cours du xiie siècle. Parmi eux Alexis aurait pu trouver de farouches adversaires, mais de quels moyens auraient-ils usé contre l’empereur, ne disposant ni de la force militaire - or Constantinople, à plusieurs reprises menacée de siège, était de nouveau abondamment pourvue de troupes - ni du réseau de relations qu’entretenaient les responsables des grands bureaux de la capitale.

55Alexis n’était point le premier empereur à placer des parents aux postes stratégiques pour éviter d’être renversé puisque Nicéphore Phocas et Michel IV l’avaient précédé. Considérer l’Empire comme un bien privé n’était pas non plus une innovation complète, comme en témoigne l’affaire du testament de Constantin X, qui avait placé ses sentiments privés au-dessus des intérêts de l’État, ou encore le comportement du César Doukas sous Romain Diogénès. Mais Alexis, le premier, régna assez longtemps, trente-sept ans durant, pour que ses conceptions s’imposent et qu’une nouvelle génération parvienne aux postes de commandement sans avoir connu d’autre système de promotion.

  • 86 Nous ignorons tout de l’origine de cette famille, dont les premiers représentants apparaissent sous (...)

56L’ultime décennie du xie siècle fut décisive pour l’affermissement du pouvoir des Comnènes, par les importantes réformes administratives et les victoires sur les ennemis extérieurs et l’opposition interne. À sa mort, Alexis laissa une société où étaient parvenues au premier plan les familles qui dominèrent l’aristocratie de l’Empire jusqu’à sa chute finale, les Comnèno-Doukai, les Anges, les Paléologues, les Cantacuzènes86. Ces lignées demeurèrent au sommet de l’élite, non pas en raison de leurs alliances avec les Comnènes, mais davantage en raison de leur puissance antérieure qui, justement, avait incité l’empereur à les faire entrer dans sa propre famille puisqu’Alexis Comnène se présenta lontemps en solliciteur - rappelons encore l’exemple de Gabras -, situation inconcevable pour ses descendants et héritiers.

Notes

1 Face à Roussel de Bailleul, il agit par une habile diplomatie, face à Bryennios, il ne fut sauvé que par l’arrivée inopinée de renforts turcs (Bryennios, p. 265-281 ; Alexiade I, p. 17-28).

2 Ibid. I, p. 155. Anne démontre involontairement l’inexpérience de son père, en rappelant que Georges Paléologue tenait pour une faute très grave l’ordre formel d’Alexis de sortir de Dyrrachion, et elle reporte la responsabilité d’avoir livré bataille sur le corps des jeunes officiers, parmi lesquels les fils porphyrogénètes de Romain Diogénès, dont l’aîné avait treize ans au plus !

3 Ibid. II, p. 95-96. Une nouvelle fois, Alexis se serait laissé persuader par les jeunes Diogénai contre l’avis de Georges Paléologue et des officiers expérimentés.

4 Né en 1057, il avait dix-sept ans quand il reçut, en 1074, la mission de réduire Roussel.

5 Il avait aussi des biens en Bithynie où il séjournait en 1071, mais en 1081, c’était en Thrace qu’il résidait, là où les Comnènes l’avaient rejoint. Ces biens bithyniens avaient-ils été confisqués après sa malheureuse équipée en compagnie de Roussel de Bailleul ? Nous ignorons également le sort de la donation offerte à son fils Andronic en 1073 par Michel VII dans le thème des Thracésiens.

6 Alexis en 1081 pouvait encore mobiliser une armée considérable, même si la part des soldats autochtones y était peut-être devenue minoritaire. A la suite des défaites successives d’Alexis I jusqu’à la bataille du Lébounion, la proportion des Byzantins continua de diminuer.

7 Botaneiatès avait vidé les caisses de l’État, mais, comme le remarque justement Gautier (Blachernes, p. 213), ce furent sûrement bien davantage les défaites d’Alexis, entraînant le pillage de son camp et de nouvelles levées de mercenaires, qui ruinèrent complètement les finances publiques.

8 L’impératrice donna tous les biens qui lui provenaient de ses père et mère, Alexiade II, p. 10.

9 Les partisans de Botaneiatès comptèrent au nombre des premières victimes de ces mesures. Manuel Straborômanos, fils probable du grand hétéreiarque de Botaneiatès, fait allusion à la confiscation de la fortune paternelle par le fisc (Gautier, Straboromanos, p. 183).

10 Sur cette question, V. Grumel, L’affaire de Léon de Chalcédoine, le chrysobulle d’Alexis I sur les objets sacrés, Études Byzantines 2, 1944, p. 126-133 ; Jean D’antioche, Diatribes, p. 8.

11 Il annula les décisions de son prédécesseur Botaneiatès dont, pensons-nous, celles qui accordaient des promotions de plusieurs rangs à des milliers de personnes de la capitale. Zônaras (p. 731, 733) qualifie ces annulations de “tyranniques”

12 Jean D’antioche, Diatribes, p. 5-55. Nous citons le texte d’après la traduction de l’éditeur.

13 “Car il faut présentement omettre les fautes de la foule, qu’il est impossible de connaître et d’examiner une à une, et je dois m’adresser à toi, la tête du corps de l’État”.

14 “Un basileus doit toujours agir avec réflexion à l’égard de l’élite de l’armée, du clergé et des autres hommes, exposant publiquement ses projets, surtout quand il faut délibérer de quelque affaire essentielle et ne pas se fier à soi-même dans la solitude... Le salut réside dans le grand nombre des conseillers". Anne Comnène fait écho à ces reproches en rapportant que son père fut blâmé pour avoir immédiatement affronté Robert Guiscard, au lieu de le harceler pour l’affaiblir (Alexiade II, p. 174, 179). Mais l’historienne prend soin de montrer son père présidant les conseils de guerre avant chaque grande bataille (Dyrrachion, Dristra), même s’il préfère chaque fois le mauvais avis.

15 Cf. infra, p. 392, 404.

16 Sa place exceptionnelle dans la hiérarchie ne fut pas seulement soulignée par le titre de sébastocrator, créé pour lui, mais il était aussi célébré dans le synodikon à l’égal des empereurs (GOUILLARD, Synodikon, p. 97). L’empereur Alexis craignait des troubles dans la capitale et voulait “couper court aux mauvaises nouvelles que les gens hostiles ont l’habitude de répandre” (Alexiade I, p. 150-151).

17 Ils étaient en quelque sorte les otages de l’empereur, comme l’avaient été les fils du César auprès de Romain Diogénès.

18 Cf. f. d. n° 114.

19 Il ne faut pas, semble-t-il, assimiler les Monomachatoi aux Monomaques, comme le fait Každan, Structure de la classe dominante, index, p. 284. On ne connaît pas actuellement d’autres Monomachatoi.

20 Sceau édité par Šandrovskaja, Pal. Sbornik 23, 1971, p. 36, et sceaux inédits de la collection Diamanti n° 44 et DO 58 106 4698.

21 Guillaume de fouille (p. 216) explique sobrement que Monomachatos, ayant appris la chute de Botaneiatès, avait incité les Normands à débarquer au plus vite.

22 Alexiade I, p. 139.

23 Lavra I, acte n° 45 ; le texte de l’acte situe hiérarchiquement Pountésès au-dessus de ses complices.

24 Nous ne connaissons pas d’autre Baasprakanitès ; sans doute s’agissait-il d’une famille du Vaspourakan réfugiée à Constantinople lors de l’avance turque.

25 Lavra, acte n° 44, chrysobulle d’Alexis Comnène confirmant une donation de Nicéphore III à Léon Képhalas.

26 Les Garidai, illustre famille au début du xe siècle, étaient au siècle suivant devenus fonctionnaires civils : toutes références dans Laurent, Administration, n° 1198. Un Garidas s’illustra sous Constantin IX, ce qui confirme les liens privilégiés entre le personnel politique en place sous Monomaque et celui qui entourait les Comnèno-Doukai.

27 Alexiade I, p. 109-110 ; Anne Comnène elle-même émet quelque doute sur la vertu de ce patriarche.

28 Une aulè de Métaxas est connue dans la Diataxis d’Attaleiatès. Un autre Jean Métaxas servit l’Église, au milieu ou à la fin du xiie siècle, comme diacre de la Grande Église, chartulaire et notaire patriarcal (Gautier, Blachernes, p. 275-276).

29 Ibid., p. 227.

30 Anne Comnène dit clairement que Michel Doukas avait refusé qu’on mît en doute l’orthodoxie d’Italos, Alexiade II, p. 34 ; voir aussi le commentaire de J. Gouillard, Synodikon, p. 201-202. B. Skoulatos a bien noté la rivalité perceptible entre les Doukai et les Comnènes au début du règne d’Alexis : Les premières réactions hostiles à Alexis I Comnène (1081-1083), Byz. 49, 1979, p. 385-395.

31 Alexiade II, p. 39.

32 Zônaras, p. 739.

33 Le dernier ouvrage consacré à Italos par L. Clucas (The trial of John Italos and the crisis of intellectual values in Byzantium in the Eleventh Century, Munich 1981) n’apporte rien de nouveau à l’interprétation politique des événements. Jean Gouillard (Le procès officiel de Jean l’Italien. Les actes et leurs sous-entendus, TM 9, 1985 p. 133-174) évoque (p. 169) différentes hypothèses sur l’origine de ce procès.

34 Δήμος δπας, pour une fois, Anne Comnène (Alexiade II, p. 39) n’use pas d’un terme péjoratif à propos de la foule.

35 Ibid., p. 174, 179.

36 Angold, Empire, p. 126, considère également que les rapports de Nicéphore Diogénès avec ta Crète étaient du même ordre que ceux de Mélissènos avec Thessalonique.

37 Les prétentions de Nicéphore étaient connues de tous, y compris des fidèles d’Alexis, Tatikios ou Manuel Philokalès (Alexiade II, p. 170-171), mais l’empereur n’intervint pas, car les partisans du prétendant n’auraient pas toléré son arrestation : “il (Alexis) reconnaissait qu’un danger imminent menaçait sa vie” (ibid., p. 175). Même lorsqu’il se décida à aveugler Nicéphore Diogénès, Alexis n’osa pas le faire ouvertement, d’où le récit confus d’Anne Comnène qui prétend ne pas pouvoir décider si son père avait ou non donné l’ordre de l’aveuglement (ibid. II, p. 183-184).

38 Il ne s’agit évidemment pas du Kékauménos contemporain d’Isaac Comnène, déjà retraité sous Constantin X, contrairement à ce que précise Leib, éditeur de l’Alexiade II, p. 180 η. 1.

39 Cf. f. d. n° 129, n. 1.

40 Sur les Pseudo-Diogénai, on consultera l’article de Marguerite Mathieu, Les faux Diogènes, Byz. 22, 1952, p. 133-148 où l’auteur s’intéresse aussi à la descendance russe des prétendus Diogénai.

41 Cf. f. d. n° 130.

42 Alexiade II, p. 108. Sans doute Anne Comnène ne dit-elle pas expressément qu’il s’agit d’Orientaux ; mais les soldats recrutés en Europe trouvaient naturellement leur place dans les tagmata thraces et macédoniens toujours intacts.

43 Ibid. II, p. 167-168.

44 Ibid. Ill, p. 67-68.

45 L’échec des frères Aarôn entraîna le déclin politique du groupe bulgare dont les membres n’occupèrent plus, au xiie siècle, que des postes subalternes ; Michel Alousianos était seulement grammatikos d’Hagiothéodôritès, épi tou kanikleiou (Markianos 524, n° 42, p. 17) ; Isaac Aarôn fut akolouthos et interprète (f. d. n° 149).

46 La famille Ariébès est peu connue en dehors du général d’Alexis, Basile Ariébès, proèdre et primicier, qui témoignait en Crète en 1118, MM VI, p. 96. Les Ariébai auraient-ils été établis en Crète ? Et peut-être le furent-ils par l’intermédiaire de Nicéphore Diogénès, administrateur de l’île ? Son père Romain avait en effet compté sur l’amitié fidèle de nombreux Arméniens.

47 Gautier, Blachernes, p. 240.

48 Le précédent du César Doukas sous Michel VII ne peut entrer en ligne de compte, car sa candidature avait été présentée par un tiers, Roussel de Bailleul. Toutefois l’acceptation du César traduisait des progrès dans la conception patrimoniale de l’Empire chez les Doukai.

49 Theophylacte De Bulgarie, Opera, p. 229-231 ; commentaire, introduction, p. 57. Est-ce à cet événement qu’il faut lier le complot révélé par le même discours et qui ne correspond à aucun de ceux connus par Anne Comnène ou Zônaras ? L’instigateur de cette tentative d’assassinat de l’empereur se prétendait de sang impérial. L’allusion à Adônias, quatrième fils de David qui se révolta du vivant de son père, inciterait à chercher du côté des Comnènes, mais la façon dont plus tard Alexis réprima la tentative de son neveu Jean interdit de penser qu’il ait pu ordonner un simulacre d’empalement envers un membre de sa proche famille, ce qui exclut également Nicéphore Diogénès et les Doukai qui, de plus, n’apparaissent jamais parmi les adversaires d’Alexis. Nous verrons qu’Alexis se concilia rapidement le groupe des Botaneiatai. Nous déduisons, seule hypothèse plausible, que l’auteur fait allusion à la première tentative du Pseudo-Diogénès, qu’ Anne Comnène suggère lorsqu’elle rappelle comment ce dernier a conclu, en 1095, une alliance avec les Coumans (Alexiade II, p. 190-191). Le Pseudo-Diogénès, après avoir une première fois parcouru les rues de la capitale en se prétendant fils de Romain IV, avait été incarcéré à Cherson, d’où il s’était évadé avec l’aide des Coumans. Ces événements ne précédèrent pas nécessairement de peu la campagne de 1095 car Anne Comnène précise que le Pseudo-Diogénès vécut longtemps chez les Coumans. Ainsi s’expliquerait l’allusion de Théophylacte aux prétentions infondées d’avoir du sang impérial dans les veines.

50 Cf. supra, tableaux généalogiques p. 280, 281 et commentaire p. 282.

51 Gautier, Blachernes, p. 237.

52 Pour le détail des alliances, voir supra, p. 282.

53 Alexiade II, p. 83, 89, 105. Nicolas Branas garda Andrinople lorsque le grand domestique Grégoire Pakourianos rejoignit Alexis devant Dyrrachion (ibid. I, p. 151). Le même, accompagné des troupes de cette ville, participa à la malheureuse campagne contre les Petchénègues qui se termina par la défaite de Béliatoba (ibid. I, p. 82-83). En 1095, lorsqu’Andrinople fut assiégée par les Coumans, les chefs de la résistance s’appelaient Nicéphore Bryennios (l’Aveugle) et Katakalôn Tarchaneiôtès (ibid. II, p. 194).

54 Ibid., p. 89.

55 Ibid., p. 97.

56 Cf. supra, p. 238.

57 La démonstration de Gautier est convaincante, Introduction à l’Histoire de Bryennios, p. 20-23.

58 Nicétas Chôniatès, Histoire, p. 6. Cette première union entre les deux familles fut confirmée par une seconde lorsqu’une petite-fille d’Alexis Comnène épousa Joseph Bryennios (Barzos, Généalogie I, p. 487).

59 Histoire de Chôniatès, Introduction de J. Van Dieten, Berlin 1972, p. XXII.

60 P. Schreiner, La Pammakaristos, DOΡ 25, 1971, p. 221.

61 Vannier, Paléologues, p. 150.

62 Polemis, Doukai, p. 77.

63 Alexiade III, p. 111. Cette union confirme encore la tendance aux mariages endogamiques à l’intérieur des anciens grands clans provinciaux, ici celui d’Andrinople, qui ne se dissolvaient pas au sein de l’immense famille des Comnènes, comme nous l’avons déjà noté.

64 Seuls deux sceaux attestent la continuité de la famille, celui de Marie Glabaina, charisticaire du temps d’Alexis (Laurent, Église, n° 1336) et celui du sébaste Jean Glabas qui vivait sous les Anges (Laurent, Vatican, n° 67).

65 Alexiade III, p. 105. Il est peut-être à identifier avec Pothos Alyatès, protoproèdre et catépan, Seibt, Bleisiegel I, p. 281.

66 À la fin du xie siècle, les Iasitai, dont l’un fut élève d’Italos et un autre (ou le même ?), Constantin, épousa la petite-nièce du patriarche Cérulaire, peuvent être considérés comme des constantinopolitains. L’alliance des Comnènes et des Iasitai ne constituerait qu’un renforcement des liens avec le puissant clan de la capitale regroupé autour des descendants des neveux du patriarche Cérulaire.

67 Zônaras, p. 732 ; Jean D’antioche, Diatribes, p. 41.

68 Cécile Morrisson (La logarikè ; réforme monétaire et réforme fiscale sous Alexis Comnène, TM 7, 1979, p. 448-449) accepte la date traditionnelle proposée par HENDY (Coinage, p. 39-49).

69 Oikonomidès, Organisation administrative, p. 140, 147, 151.

70 La liste des dignités croissantes portées par Humbertopoulos suggère que la dignité de sébaste fut pour lui la récompense d’une longue carrière, comme elle l’avait été pour Pakourianos (Gautier, Blachernes, p. 240).

71 Nous n’avons connaissance d’aucune union entre des Comnèno-Doukai et des Maniakai.

72 Ibid., p. 217.

73 Voir les études de L. Stiernon, Notes de titulature et de prosopographie byzantines ; à propos de trois membres de la famille Rogerios, REB 22, 1964, p. 184-198.

74 Gautier, Pantocrator, p. 115-125. La date du texte, 1136, est tardive, mais Jean et sa femme étaient entrés en possession de leurs biens longtemps avant cette année et d’autre part nous sommes assuré qu’Irène, fille du roi de Hongrie, n’avait pas de biens patrimoniaux et que toutes ses propriétés furent acquises par des donations, à l’occasion soit de ses fiançailles, vers 1095, soit de son mariage vers 1104-1105 ou ultérieurement.

75 Ibid., p. 115. Ce Tornikios peut être soit Léon, vaincu en 1047, soit plus vraisemblablement un compagnon de Bryennios en 1077-1078.

76 Ibid., p. 117.

77 Ibid., p. 119.

78 Il s’agit de Syméon Seth dont l’identité n’est pas clairement établie ; il avait pour second nom de famille Antiochitès, Antiocheus ou Antiochos. Si ce dernier patronyme était le sien, il serait alors raisonnable de considérer que Syméon Seth avait été lui aussi compromis dans la conjuration d’Anémas en même temps que d’autres Antiochoi, Seibt, Bleisiegel I, p. 233.

79 Les biens cités étaient sis presque tous dans la banlieue de Constantinople.

80 Nous excluons les lettres aux dirigeants de l’Empire, empereurs et mésazôntés.

81 En fait le sceau de Kyritzès (LAURENT, Vatican, n° 183, daté par son éditeur du xie siècle), appartient à la fin de ce siècle. La famille est ensuite attestée au xiiie siècle, Laurent, Église, n° 105.

82 Alexiade I, p. 122.

83 Každan (Structure de la Classe dominante, p. 172 sq.) a étudié ce mouvement qui a poussé les familles de tradition militaire vers les fonctions civiles, il n’est donc pas nécessaire d’y revenir.

84 Le sceau d’Andronic Comnène, fils d’Eudocie, fille cadette de Jean II, fournit un riche exemple de la nouvelle mode, ZACOS-VEGLERY, sceau n° 2730 :
Κομνηνός ’Ανδρόνικος ξ Ευδοκίας
πορφυροφυοΰς έκφυείς βίζης
άνεψιός δ Μανουήλ βασιλέως
υιός Βατάτζου δεσπότου Θεοδώρου
μ προΐστη και λόγων και πραγμάτων

85 Sous Alexis I, leurs biens confisqués formèrent peut-être un oikos impérial, si la lecture du sceau n° 117, édité par Pančenko (Katalog Molivdovulov, IRAIΚ 8, 1903), est recevable, qui cite Athanase, juge et notaire de l’oikos d’Ané<mas>.

86 Nous ignorons tout de l’origine de cette famille, dont les premiers représentants apparaissent sous Alexis, à un haut niveau.

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