Chapitre I. Prépondérance et déclin relatif de l’aristocratie micrasiatique (963 1028)
p. 321-336
Texte intégral
La situation politique au milieu du xe siècle
1Lorsque le 15 août 963, Nicéphore Phocas entra dans Constantinople au milieu des acclamations de la foule de la capitale, suivi de la meilleure armée que l’Empire ait eue depuis longtemps, on pouvait croire que la promotion de Nicéphore au trône impérial était la consécration logique de la puissance de la famille Phocas et de ses alliés depuis un siècle.
2Les empereurs de la dynastie macédonienne ne manifestèrent pas l’intention de mener eux-mêmes leurs armées au combat et choisirent de laisser leurs généraux assumer les risques d’une défaite ou recueillir éventuellement la gloire des succès. Us eurent une prédilection évidente pour les Phocas, dont ils firent les principaux responsables militaires. Cette famille n’était pas la plus ancienne d’Asie Mineure1 ; les Mélissènoi, les Sklèroi pouvaient se targuer de plus antiques origines.
3L’attachement de la dynastie macédonienne à cette lignée de généraux se justifiait par leurs qualités au combat et leur remarquable fidélité. Si Bardas Phocas se montra décevant dans l’exercice de sa charge de domestique des Scholes, il avait été en revanche un remarquable stratège de thème2. Son père Nicéphore d’une part, et ses propres enfants, tout particulièrement Nicéphore et Léon, remportèrent d’exceptionnels succès face aux Arabes, tant en Italie qu’en Asie Mineure et en Crète que Nicéphore reconquit. Durant un siècle, aucun Phocas ne tenta de prendre le pouvoir aux dépens de la dynastie légitime. La révolte de Léon Phocas en 919 920 n’avait nullement été dirigée contre le jeune Constantin VII, mais provoquée par la rivalité avec Romain Lékapènos, drongaire de la flotte, afin de contrôler la régence du jeune empereur3. Cette rivalité fut à l’origine de l’exclusion des Phocas des hauts postes militaires durant le règne de Lékapènos.
4L’étude du personnel employé par Romain I qui, comme les Macédoniens, durant son long règne, ne mena personnellement aucune expédition militaire en Asie Mineure, démontre qu’il s’appuya, pour contrebalancer la puissance jusque là croissante des Phocas, sur les Kourkouas, les Argyroi et les Sklèroi.
5L’aristocratie micrasiatique ne formait donc pas un groupe uni puisqu’un clivage s’y discerne entre un groupe dominant, celui des Phocas alliés aux Maléïnoi, et face à eux, l’ensemble des autres familles, qui trouvait son unité dans une commune volonté de limiter les ambitions des premiers nommés. Cette division n’implique pas l’absence d’intérêts communs aux deux groupes, puisque tous fournirent le personnel dirigeant des armées thématiques et tagmatiques qui combattirent les Musulmans sur toutes les frontières de l’Empire, acquérant à l’occasion de ces luttes, non seulement la gloire mais aussi les honneurs et des richesses, consistant, pour l’essentiel, en propriétés données par les empereurs, récompense de leurs éminents services.
6Deux traits majeurs distinguaient ces deux factions : la région où ils préféraient combattre, les alliances qu’ils avaient choisi de nouer par-delà la frontière de l’Empire. Depuis la fin des grandes campagnes menées par le calife lui-même contre l’Empire, les émirs de Mélitène et de Tarse, renforcés certes par des contingents de volontaires et soutenus dans l’arrière-pays par les émirs de Mossoul et d’Alep, supportaient le gros du poids de la lutte contre l’Empire au nom du djihad. Les armées byzantines menaient donc contre eux la majeure partie de leurs contre attaques. Or les Phocas privilégièrent les actions contre les gens de Tarse. Nicéphore l’Ancien s’illustra à plusieurs reprises par ses victoires dans les passes qui conduisaient à cette ville, et nous avons déjà rappelé que, sous Constantin VII, Bardas et ses fils dirigeaient les thèmes des Anatoliques, de Cappadoce et de Séleucie, qui entourent cet émirat4. Cette prédilection s’expliquait largement dans la mesure où la plus grande partie des propriétés et la zone d’influence des Phocas étaient situées, comme nous l’avons vu, en Cappadoce, précisément dans la région sud, proche de la frontière. La lutte contre l’émir de Tarse leur permettait à la fois de protéger leurs biens fonciers et d’en acquérir de nouveaux, proches des anciens, à l’occasion de victoires byzantines.
7Les familles de l’autre groupe se partageaient la responsabilité de la lutte contre les émirs de Mélitène et accessoirement ceux de Qaliqala (Théodosioupolis). Les Doukai puis les Argyroi conduisirent les opérations à partir des thèmes du Charsianon et de Sébastè. Les Kourkouas, Théophile et particulièrement Jean, domestique des Scholes pendant vingt-deux ans, poursuivirent sans relâche leur action jusqu’à la chute définitive de Mélitène aux mains des Byzantins en 934. Cette obstination est d’autant plus remarquable qu’à la même époque les émirs de Tarse n’étaient pas demeurés inactifs et avaient mené de violentes attaques contre les provinces byzantines5, sans que Jean Kourkouas ait personnellement conduit les armées contre ces émirs. L’intérêt de ces diverses familles en vue d’étendre l’Empire dans la région de Mélitène s’explique, comme pour les Phocas, par leurs intérêts fonciers localisés dans les thèmes frontaliers du Charsianon ou des Arméniaques6. La région de Mar’as (Germanicée), située à la limite des deux émirats, fut l’objet d’attaques de la part des deux groupes, lors des campagnes d’Andronic Doukas au début du xe siècle ou de celles plus tardives de Bardas Phocas.
8Le comportement des grandes lignées militaires ne fut certes pas dans la réalité aussi tranché qu’il apparaît dans notre description. Des Phocas ont occasionnellement conduit des armées en Mésopotamie, tel Bardas, en 952, vers Amida et Mayyafariqin7. Mais la tendance que nous avons décelée ne nous paraît pas douteuse. Elle explique également comment ces deux groupes ont choisi leurs alliés privilégiés dans leur lutte contre les Arabes, puis au cours des guerres civiles qui les opposèrent à la fin du xe siècle. Le groupe opposé aux musulmans de Mélitène et de Qaliqala (Théodosioupolis) devait nécessairement composer avec les Arméniens, la troisième ethnie qui habitait cette région8. L’Arménie avait été soumise à la domination arabe depuis la deuxième moitié du viie siècle, mais à partir de la fin du ixe siècle et au xe siècle, les principaux archontes du pays tentaient de se libérer ou à tout le moins d’acquérir leur autonomie, en particulier Asot le Bagratide9, et ils recherchaient du côté de l’Empire des appuis contre les musulmans.
9Parmi les familles installées dans le nord-est de l’Asie Mineure, une à coup sûr, celle des Sklèroi10, et sans doute une autre, celle des Kourkouas, étaient d’origine arménienne11. Au milieu du ixe siècle, un Sklèros agissait de concert avec Amr (Omar), l’émir de Mélitène jusqu’à ce qu’il se fût rebellé contre lui12. Tout naturellement les Sklèroi et les Kourkouas entretenaient d’excellentes relations avec les Arméniens au cours du xe siècle. L’attitude du fameux Mélias, le principal chef arménien au service de l’Empire, d’abord comme cleisourarque, puis comme stratège de Likandos, est exemplaire. Il servit auprès d’Eustathe Argyros, stratège du Charsianon, puis auprès d’Andronic Doukas, ensuite de son fils Constantin avant de devenir l’auxiliaire indispensable de Jean Kourkouas dans sa conquête de Mélitène. Un demi-siècle plus tard, le petit-neveu de Jean Kourkouas, Jean Tzimiskès, nomma comme domestique des Scholes un autre Arménien, du nom de Mélias lui aussi, peut-être un descendant du stratège de Likandos13. Léon Diacre rappelle aussi que le surnom de Tzimiskès vient de la langue arménienne. Ce surnom ne saurait s’expliquer par l’origine arménienne de Tzimiskès puisqu’après trois ou quatre générations, les familles byzantines d’origine étrangère étaient largement hellénisées, comme en témoigne l’usage de prénoms typiquement grecs dans la famille Kourkouas, Théophile, Jean ou Romain14 ; il s’agit d’un indice supplémentaire des relations étroites entretenues par Tzimiskès et les troupes arméniennes au service de l’Empire ; il fut précisément stratège de Mésopotamie, un des thèmes limitrophes de l’Arménie.
10Au contraire, les Phocas n’entretinrent pas de bons rapports avec les Arméniens. Sans doute lorsque Bardas Phocas et ses fils commandèrent les armées byzantines, eurent-ils sous leurs ordres des contingents arméniens, mais ils n’avaient pas une bonne opinion de ces soldats dont ils jugeaient la fidélité douteuse, comme l’a fort bien expliqué l’auteur du Traité sur la guérilla, proche du groupe des Phocas : il rapporte que la surveillance des défilés assurée par les Arméniens doit être modifiée car ceux-ci n’assurent pas correctement leur service15. La législation de Nicéphore Phocas fut marquée par cette défiance à leur égard16. Les Phocas jugeaient les Arméniens trop proches du clan micrasiatique adverse et préféraient entretenir des relations d’amitié avec un autre peuple chrétien, rival des Arméniens, les Géorgiens ou plus précisément les Ibères17. Pourquoi ce choix ? Sans aucun doute l’hostilité commune des Ibères comme des Phocas envers les Arméniens ne pouvait qu’entraîner une sympathie mutuelle, mais davantage encore, les Phocas s’étaient apparentés à des Ibères, à une date que nous ne pouvons pas préciser18. Certains Phocas d’autre part étaient en relations, semble-t-il, avec le thème de Chaldée, voisin de l’Ibérie, puisque leurs parents, les Pleustai, étaient originaires de Trébizonde19. Michel Maléïnos et son neveu Nicéphore, le futur empereur, s’étaient liés d’une grande amitié avec Athanase, futur fondateur de Lavra, lui aussi natif de cette même ville20.
11Athanase, à la différence de bien des moines grecs du mont Athos, se montra favorable, au sein de la communauté athonite, aux moines ibères dont Tornikios qui le récompensa avec magnificence de cette attitude21. Par, ailleurs, Nicéphore confia la Chaldée à son jeune neveu Bardas22.
12Au xe siècle, l’Asie Mineure était dominée par deux groupes, celui des Phocas-Maléïnoi dont la puissance était centrée en Cappadoce et qui s’appuyait à l’extérieur sur les Ibères et, face à eux, l’ensemble des autres grandes familles micrasiatiques installées dans le Charsianon et les Arméniaques avec le soutien des Arméniens. Il s’était établi une sorte d’alternance politique : lorsqu’à Constantinople le pouvoir changeait de mains, le nouvel homme fort faisait appel à celui des deux groupes qui n’occupait pas la position dominante. Pour cette raison, Romain Lékapènos mit à la tête des armées byzantines sous son règne des Kourkouas, des Argyroi, des Sklèroi, alors que Constantin VII, ayant réussi à l’éliminer, reprit à son service les Phocas-Maléïnoi.
13Jusqu’à la mort de Romain II, l’opposition entre les deux partis n’avait pas dégénéré en guerre civile lors des troubles de succession à l’Empire. Si l’alternance était respectée pour les plus hauts postes de responsabilité qui mettaient en position de prétendre au trône, elle n’interdisait pas que des membres du groupe en disgrâce détiennent des postes encore notables mais sans influence décisive pour le contrôle de l’armée. Bardas Phocas servit ainsi au temps de Lékapènos alors qu’une attaque russe malmenait les côtes asiatiques face à Constantinople en 941. Qualifié d’ancien stratège, à la tête de cavaliers d’élite, il repoussa les Russes23. En 956, sous Constantin VII, Bardas Sklèros était sans doute patrice et stratège de Kaloudia, et de toute manière il avait déjà derrière lui une longue carrière lorsque mourut Nicéphore Phocas24. Des mariages avaient également rapproché les deux factions25. Lorsque le jeune Romain II mourut en mars 963, l’aristocratie micrasiatique connaissait une atténuation remarquable de ses divisions, et à l’occasion de la vacance effective du pouvoir que représentait toute régence à Byzance, elle pouvait facilement s’accorder sur un candidat unique.
Le règne des co-empereurs
14Plusieurs généraux avaient fait preuve d’un exceptionnel talent dans les luttes récentes contre les Arabes, Nicéphore Phocas, son frère Léon, Jean Tzimiskès. Les ambitions personnelles légitimes qu’auraient pu avoir ces derniers s’effacèrent : Léon reconnaissait probablement le droit d’aînesse de son frère et savait de plus qu’au cas où l’installation de la famille Phocas sur le trône impérial se révélerait durable, les héritiers du trône seraient alors ses propres enfants, puisque Nicéphore avait perdu son fils unique26. Quant à Jean Tzimiskès, neveu de Nicéphore, conscient de la popularité de ce dernier27, il obtenait le poste fort gratifiant de domestique des Scholes.
15Au cours des événements qui se déroulèrent entre le 15 mars, date de la mort de Romain II et le 15 août, date de l’entrée de Nicéphore dans Constantinople, le futur empereur n’eut pas à affronter d’opposition en Asie Mineure. Deux obstacles seulement se dressaient sur sa route, les armées d’Occident et la capitale elle-même. Marianos Argyros, domestique des Scholes d’Occident, secondé par les Tornikioi28, commandait les tagmata macédoniens qui formaient la majeure partie des troupes occidentales, mais il n’était pas en mesure d’attaquer en rase campagne les soldats de Nicéphore. Tout juste pouvait-il défendre la capitale derrière ses murs. La position personnelle de Marianos Argyros était difficile ; hostile à Nicéphore Phocas aucun lien matrimonial ne paraît avoir uni les deux familles -, il disposait de peu de soldats ; tout dépendait donc des habitants de la capitale ; or ceux-ci étaient partagés, mais Nicéphore bénéficia de deux atouts décisifs, l’appui de l’impératrice Théophanô et le ralliement de l’ancien parakoimomène Basile.
16La position de l’impératrice Théophanô se comprend aisément. Les précédentes impératrices régentes, Théodôra, veuve de Théophile, Zôè Karbonopsina, veuve de Léon VI, n’avaient pu régner seules durablement. Le choix d’un Phocas présentait plusieurs avantages : l’armée ne menaçait pas de se révolter, tant le prestige de la lignée était grand après ses victoires sur les Arabes. D’autre part les Phocas, nous l’avons vu, s’étaient montrés constamment fidèles à la dynastie macédonienne : Nicéphore pas plus que Léon n’avaient été tentés de menacer le pouvoir de Romain II en dépit de leur popularité. Ainsi, pour Théophanô, sa veuve, confier le pouvoir à Nicéphore semblait la solution la mieux adaptée pour sauvegarder les droits de ses fils que personne ne contestait alors29. Basile Lékapènos, un eunuque, ne pouvait prétendre lui-même à l’Empire, mais il défendait naturellement les intérêts des porphyrogénètes, ses petits-neveux30. En outre, ambitieux et avide de richesses, il avait été évincé du poste lucratif de parakoimomène et cherchait sa revanche. Le soutien de la puissante armée d’Orient et de deux personnages de première importance à Constantinople ouvrit donc le chemin, presque sans combat, à Nicéphore Phocas, sans compter sa réputation fameuse auprès d’une large partie de la population.
La rivalité des Phocas et des Sklèroi
17Nicéphore Phocas ne connut pas d’opposition interne sérieuse et se consacra à la lutte victorieuse contre les Hamdanides, la rébellion de Kalokyros relevant plus de l’aventure personnelle31 que d’une tentative sérieuse pour saisir le pouvoir impérial. Mais sa politique fiscale lui aliéna les habitants de la capitale32, mécontentement qu’aggravèrent la cupidité de son frère Léon33 et le sévère traitement infligé aux Constantinopolitains coupables d’une rixe avec les Arméniens. Mais Nicéphore Phocas avait à juste titre jugé peu dangereuse pour son pouvoir l’émeute de l’Ascension 967 ; tout au plus avait-il fortifié le palais impérial pour le tenir à l’abri d’un coup de main des émeutiers.
18Comment expliquer alors le succès du complot de décembre 969 ? Il réside dans la rencontre des ambitions de trois personnalités, Jean Tzimiskès, l’impératrice Théophanô, le parakoimomène Basile, avec le mécontentement d’un groupe d’officers supérieurs de l’armée d’Orient. Jean Tzimiskès qui avait bénéficié à l’avènement de Nicéphore de la promotion au domesticat des Scholes d’Orient, perdit ce poste pour des raisons qui nous demeurent obscures34. Sans doute l’empereur favorisa-t-il les membres de sa proche famille, fussent-ils médiocres comme son cousin germain, Manuel Phocas, qui se fit battre lamentablement en Sicile. Jean Tzimiskès était bien un neveu de l’empereur par sa mère, mais ce dernier ne jugea pas cette parenté suffisante pour garantir sa fidélité, se rappelant que les Kourkouas n’avaient pas, dans le passé, favorisé les Phocas. Les ambitions du brillant général furent déçues au moment même où Théophanô manifestait une inquiétude croissante à l’égard de son époux Nicéphore, de plus en plus proche de son frère Léon, le curopalate35. Sous l’influence de ce dernier, l’empereur pensait sans doute pérenniser le pouvoir dans sa famille, en le confiant à ses neveux, les fils de Léon. Tzimiskès se trouvait dépourvu de descendance et même de frère vivant. Sans doute des raisons personnelles jouèrent en sus, telle l’inclination de Théophanô envers Tzimiskès, mais les motifs politiques restaient primordiaux. Basile Lékapènos se joignit à eux car Nicéphore Phocas n’avait pu s’accorder durablement avec l’ambitieux parakoimomène ; aussi ce dernier, tout d’abord honoré de la dignité de proèdre, spécialement créée pour lui36, fut-il progressivement mis à l’écart. Or une amitié particulièrement forte le liait à Jean Tzimiskès, depuis qu’ensemble ils avaient combattu en Mésopotamie37 ; en 958, les deux généraux byzantins avaient totalement vaincu Sayf ad-Dawla et pris Samosate38. Nous avons par ailleurs insisté sur le poids des solidarités militaires. Basile, fort attaché à son petit-neveu Basile le Porphyrogénète, s’inquiétait, comme Théophanô, de le voir dépossédé trop longtemps du pouvoir effectif39.
19Les troupes byzantines bénéficiaient ordinairement de leurs victoires par la distribution du butin abondant fait sur l’ennemi40, mais les officiers qui avaient participé à la prise d’Antioche sur les Hamdanides s’estimèrent lésés, car leurs mérites ne furent pas reconnus. Des trois principaux acteurs de cette immense victoire, Michel Bourtzès, Isaac Brachamios, Eustathe Maléïnos, seul ce dernier, en raison de sa parenté avec l’empereur, avait obtenu une récompense à la hauteur de l’exploit, celle du gouvernement d’Antioche41. Ainsi la liste des participants au complot de 969 contre l’empereur se justifie parfaitement : l’impératrice Théophanô, le parakoimomène Basile, Jean Tzimiskès, auxquels s’ajoutèrent Michel Bourtzès et Isaac Brachamios. Ce dernier de surcroît était arménien, ethnie qui n’était pas en faveur auprès des Phocas. Se joignirent à eux Léon Abalantès, militaire et proche parent de Tzimiskès42, Atzypothéodôros, un fidèle de Tzimiskès qui suivit son maître selon les principes de la solidarité entre oikeiôtatoi et authentès que nous avons décrits plus haut. Seule la présence de Léon Pédiasimos peut donner lieu à des conjectures. Il n’est pas abusif de voir en lui, comme tous ses compagnons, un militaire ayant servi sous Jean Tzimiskès43.
20Les opposants à Nicéphore Phocas choisirent la forme du complot, parce qu’une révolte ouverte n’était pas réaliste. Jean Tzimiskès en effet aurait sans doute pu rallier sur son nom de nombreux bataillons, mais l’empereur aurait conservé le contrôle d’une partie égale de l’armée d’Orient avec l’avantage considérable d’occuper la capitale. Seul le complot laissait quelque chance de réussite, puisqu’après l’assassinat de l’empereur, les conjurés espéraient rallier la garde, car Théophanô représentait la légitimité et la population de Constantinople était lasse des Phocas. Il en advint ainsi, et le frère de l’empereur défunt, Léon, se trouva placé dans la situation de Tzimiskès avant le succès de sa tentative : il pouvait lui aussi rallier une grande partie, mais non la totalité de l’armée d’Orient, et désormais il était exclu de la capitale. Il hésita, perdit toute chance et se rendit. L’assassinat de Nicéphore Phocas marque une date essentielle dans l’histoire de l’aristocratie micrasiatique, en rouvrant, entre les deux groupes définis plus haut, la ligne de fracture que des mariages et les victoires des Phocas avaient refermée. Dès lors, les sentiments de rivalité s’exacerbèrent jusqu’à la haine.
21Jean Tzimiskès devenu empereur prit soin de changer tout le personnel fidèle au basileus assassiné : il élimina des postes de responsabilité, durant tout son règne, les Phocas et les Maléïnoi et assigna à résidence les plus dangereux d’entre eux. Léon, frère de Nicéphore, fut exilé à Méthymne dans l’île de Lesbos44, et son fils Bardas, alors duc de Chaldée, à Amasée45 dans le thème des Arméniaques, zone d’influence traditionnelle des Kourkouas, ce qui garantissait à Tzimiskès que Bardas Phocas ne trouverait aucun concours auprès de la population locale. Durant son bref règne de six ans, Tzimiskès dut faire face à l’hostilité des Phocas qui, aidés de leurs parents, tentèrent à deux reprises de le renverser. La seule alerte sérieuse fut la mise à profit par Bardas Phocas, en 970, de la mobilisation des armées face aux Russes de Svjatoslav dans les Balkans ; il avait regagné la Cappadoce, zone d’influence des Phocas et réuni une armée à Césarée. L’empereur Tzimiskès lui opposa un Sklèros, issu justement du groupe des opposants habituels aux Phocas, en utilisant pour plus de sûreté l’appât traditionnel des titres et des dignités avec l’intention de détacher les partisans du rebelle ; il rencontra un plein succès puisque même des parents, comme son neveu Adralestos, abandonnèrent Phocas.
22Tzimiskès compta parmi ses généraux les Kourkouas, ses propres parents, les Sklèroi, Michel Bourtzès qui l’avait aidé à prendre le pouvoir, ses fidèles, tel Mélias, nommé domestique des Scholes d’Orient46, et même un membre de l’ancienne dynastie des Lékapènoi, Romain47.
23En 976, à la mort de l’empereur, le parakoimomène Basile gouverna l’Empire pour le compte des Porphyrogénètes bien que ceux-ci eussent largement atteint l’âge de régner effectivement48. La disparition du co-empereur laissait le champ libre aux ambitions : le groupe des Phocas n’avait pas oublié qu’un des leurs était monté sur le trône et considérait dès lors que ce règne fondait pour la lignée des droits à une nouvelle accession. Mais l’autre partie de l’aristocratie micrasiatique avait acquis la même ambition, ayant pour chef le meilleur stratège du groupe, Basile Sklèros qui déjà, sous Tzimiskès, avait sans doute manifesté quelque ambition personnelle. Ce dernier entreprit le premier la conquête du pouvoir car il était libre, même si le parakoimomène, méfiant, avait amoindri son autorité en le nommant duc de Mésopotamie, alors que Bardas Phocas, chef de l’autre famille, vivait exilé à Chio, sous une étroite surveillance49.
Les grandes rébellions
24Bardas Sklèros se révolta au printemps 976 avec l’appui traditionnel de son clan, en tout premier lieu les Arméniens qui, à plusieurs titres, jouèrent un rôle très important dans sa rébellion. Ils lui fournirent des troupes nombreuses et également des chefs ; parmi les participants de la révolte50, nous relevons les noms de plusieurs grandes lignées d’origine arménienne, Romain Tarônitès, Michel Kourtikios et Isaac Brachamios. Hors des frontières de l’Empire, deux princes également arméniens, ceux du Tarôn et de Mokq, furent favorables à Sklèros. Enfin la partie arménienne de la population d’Antioche le soutenait également51. Ultérieurement, lorsque Michel Bourtzès se rallia à Sklèros, il amena avec lui les troupes du duché qui comptaient de nombreuses garnisons arméniennes ; elle se firent précisément massacrer lors de la défaite qu’il enregistra à Oxylithos52. Parmi les autres noms des révoltés, on relève celui des Doux-Doukai, qui se rangèrent toujours dans le camp opposé aux Phocas, et celui des Hagiozacharitai. L’un d’eux, Théodore, avait exercé ou exerçait la fonction de stratège à Lèmnia, thème dont la situation n’est pas parfaitement fixée, mais qu’on localise entre la Mésopotamie et Antioche53. Le lieu où prit naissance la rébellion la région de Harput, Mélitè ne était le berceau de la famille Sklèros et largement peuplé d’Arméniens.
25Le mouvement qui éclata en 976 fut donc fort différent de celui de 963. La lutte extraordinaire que se livrèrent Sklèroi et Phocas au cours de la seconde moitié du xe siècle a fait croire que les deux familles étaient d’importance égale. Il n’en était rien. Au printemps 976, Sklèros ne contrôlait que quelques petits thèmes frontaliers, disposant d’un nombre modeste de tagmata de l’armée byzantine. Seul son génie militaire permit au mouvement dont il avait pris l’initiative de durer. Alors que Nicéphore Phocas avait accompli sa marche sans obstacle, Sklèros dut combattre sans cesse pour avancer vers Constantinople ; dans un premier temps le parakoimomène Basile fit appel, en sus des troupes d’Occident54, à celles d’Asie Mineure demeurées fidèles et à leurs généraux parmi lesquels nous comptons plusieurs noms du clan Phocas, Eustathe Maléïnos, les frères Parsakountènoi, Pierre, l’ancien serviteur de Phocas, et aucun qui soit rattachable à l’autre clan. Lorsque Bardas Sklèros, ayant pris Nicée, marcha vers Constantinople, le parakoimomène se résolut à faire revenir d’exil Bardas Phocas lui-même puisque ses lieutenants n’avaient pas su arrêter l’avance de Sklèros55. Aussitôt tout le centre de l’Asie Mineure fut assuré aux impériaux, sans combat, preuve que Sklèros avait évité la Cappadoce, préférant laisser Césarée aux mains d’Eustathe Maléïnos plutôt que de prendre le risque de le combattre.
26L’arrivée de Bardas Phocas permit de faire jouer l’alliance traditionnelle de la famille avec les Ibères. Le principal négociateur fut, semble-t-il, Tornikios, fondateur du monastère d’Iviron. La Vie de Jean et Euthyme rapporte ces événements : Tornikios ne voulait pas quitter son monastère, mais on lui fit comprendre qu’en cette période trouble son monastère risquerait de pâtir d’une désobéissance aux empereurs56. Tornikios intervint alors, avec succès, auprès du curopalate David d’Ibérie, puisqu’une armée de douze mille hommes lui fut confiée, qui remporta des victoires décisives sur Sklèros, que les sources grecques attribuent davantage à Bardas Phocas. Peu importe qui vainquit Sklèros, le fait important est cette alliance renouvelée des Phocas avec les Ibères. Le récit embarrassé de la Vie de Jean et d’Euthyme pourrait cacher le fait que Tornikios ne s’engagea en faveur des empereurs qu’après la nomination de Bardas Phocas au poste de domestique des Seholes, obéissant davantage à ce dernier qu’aux empereurs.
27Cette révolte de Sklèros avait permis de souligner à nouveau l’influence du clan des Phocas, sans lequel les empereurs de Constantinople n’auraient pu sauvegarder leur pouvoir. Basile II accueillait à sa cour le curopalate Léon qui rassemblait une coterie vivement opposée au parakoimomène Basile et à Nicéphore Ouranos, intime du basileus57. Toutes les positions personnelles des généraux que nous pouvons interpréter s’expliquent par leur relation avec l’un des deux groupes que nous avons définis et non par rapport au pouvoir central. Un siècle d’absence impériale sur le sol d’Asie Mineure de la part des empereurs macédoniens avait laissé le champ libre à l’aristocratie micrasiatique et à ses alliés arméniens ou ibères.
28Or Basile II adopta un comportement inédit dans la dynastie, depuis le règne de son ancêtre Basile I. Il décida de gouverner par lui-même et de prendre la tête des armées byzantines pour attaquer les Bulgares sur le front européen. Ici encore il s’agit d’un renversement de la politique défensive menée depuis trois quarts de siècle face aux Bulgares. Tzimiskès lui-même, une fois réglé le problème russe, avait immédiatement repris le chemin de l’Orient sans chercher à ramener la frontière byzantine sur le Danube ni à absorber le royaume bulgare pourtant très affaibli* Cette activité de Basile II suscita l’ultime rébellion du parakoimomène pour tenter de sauvegarder son pouvoir et l’immense fortune qu’il avait su préserver durant les révolutions de 963 et de 969. Cette agitation fut vaine et eut pour effet d’alerter l’empereur sur le comportement de l’armée d’Orient, lorsqu’il apprit qu’à l’annonce du complot du parakoimomène, Léon Mélissènos avait levé le siège de Balanias en Syrie58. Il jugea préférable d’abaisser l’autorité de Bardas Phocas en lui retirant la charge de domestique des Seholes tout en lui laissant la responsabilité de la frontière orientale. Il est intéressant de remarquer que cette décision de grande portée inaugura le gouvernement personnel de Basile II. Sa volonté de mener campagne contre les Bulgares en 986 relève du même état d’esprit d’affirmer l’autorité impériale dans un domaine qui lui était depuis longtemps étranger.
29Bardas Phocas ne pouvait accepter cette situation qui réduisait le rôle de l’aristocratie micrasiatique et il fut suivi sans difficulté par les siens lorsqu’il décida de s’y opposer. Dès lors le choix du lieu pour sa proclamation, le palais d’Eustathe Maléïnos à Césarée de Cappadoce, est logique. Parmi les noms des partisans de Bardas Phocas, figurent ceux de sa propre famille et des Maléïnoi, des Ibères59qui avaient précisément combattu contre Sklèros pour le compte de Basile II, mais nous voyons ici clairement qu’en fait ils avaient davantage obéi à Phocas qu’à l’empereur et que leur fidélité au premier l’emportait sur celle qu’ils devaient au second. S’ajoutaient aux conjurés les Mélissènoi et les Mésanyktai, indice que pour la première fois des familles dont l’assise territoriale était éloignée de la frontière arabo-byzantine60 participaient à la lutte pour le pouvoir.
30À la différence de Sklèros quelques années plus tôt, Bardas Phocas se rendit immédiatement maître de la majeure partie de l’Asie Mineure et sans combat notable il put envoyer ses armées en face de Constantinople61. La libération de Bardas Sklèros par le calife abbasside de Bagdad compliquait en apparence la situation. D’un côté le clan Phocas était assuré de la Cappadoce et d’une partie du thème de Chaldée, appuyé sur les Maléïnoi et allié aux Ibères du curopalate David. D’autre part, Sklèros s’établit de nouveau dans la région de Mélitène, soutenu par ses Arméniens et ses Arabes qui lui avaient déjà apporté leur concours lors de sa première rébellion. Comme nous l’avons dit, le rapport de forces entre les deux groupes était éminemment favorable aux Phocas ; aussi Sklèros accepta-t-il de traiter. L’accord conclu reflétait les rapports de forces en Asie Mineure, et, encore que l’idée d’un partage de cette région de l’Empire soit curieuse, Sklèros obtenait de commander la province où il exerçait son influence habituelle62, la Mésopotamie, à laquelle était ajouté le duché d’Antioche, ville où il était populaire parmi l’élément arménien, et province où stationnaient, rappelons-le, des troupes arméniennes. La nature du pouvoir qui aurait été confié à Sklèros n’est pas claire. Le texte de Yahya d’Antioche parle d’un véritable partage de l’Empire, le récit de Skylitzès donne à Phocas l’archè de Constantinople, qui désigne évidemment le pouvoir impérial, et à Sklèros l’archè sur Antioche et les régions voisines, ce qui n’implique pas, nous semble-t-il, que ce dernier se voit vu accorder le titre de basileus. Le commandement laissé à Sklèros correspond précisément à celui que Bardas Phocas venait d’exercer en 986-987 lorsqu’il avait perdu sa charge de domestique des Scholes et avait été nommé duc d’Orient, gouverneur d’Antioche et des provinces d’Orient63. Or, comme par une tradition, déjà Nicéphore, l’oncle de Bardas, avait abandonné en 963 le commandement qu’il exerçait à celui qui aurait pu être son rival, Jean Tzimiskès.
31Sklèros, dans une position manifeste d’infériorité, accepta sans illusion cet accord et laissa ceux de son groupe choisir leur camp entre Phocas et Basile II, lui-même ayant la prudence d’attendre et d’envoyer son fils Romain vers l’empereur. Deux raisons paraissent avoir poussé Phocas à négocier avec Sklèros ; il lui était difficile de laisser derrière ses lignes de communication une armée, fût-elle plutôt modeste, que l’empereur pût rallier et qui aurait menacé la Cappadoce en inquiétant les soldats de Phocas sur le sort de leurs familles et de leurs biens. De plus, en négociant avec les hommes de Sklèros, Phocas pouvait tout de même espérer en attirer une partie, même après avoir emprisonné Sklèros, dans la mesure où sa victoire était probable et où il valait mieux se trouver aux côtés du vainqueur afin d’éviter les confiscations et, mieux encore, participer à la distribution des nouvelles charges.
32L’empereur, face à Bardas Phocas, disposait comme à l’habitude des troupes d’Occident, sans que cela constituât un atout suffisant. Il ne pouvait plus pratiquer le même jeu de bascule que ses prédécesseurs, encore qu’une partie du clan Sklèros l’eût rallié, Romain Sklèros en tête, nous l’avons vu, mais aussi Grégoire Tarônitès. Basile II fit donc appel avec succès à une force d’appoint extérieure, celle des Russes. Comme ses coffres étaient vides, il offrit son bien le plus précieux, sa soeur Anne, une princesse porphyrogénète. Il prenait cependant le risque de s’aliéner l’opinion de la capitale, encore traumatisée par la menace russe au temps de Tzimiskès. Après la défaite de Bardas Phocas, Basile II rallia facilement Sklèros qui avait occupé pour la dernière fois la région de Larissa, dans le thème de Sébastè, largement peuplée d’Arméniens. Sklèros qui n’avait aucune chance de l’emporter, se rendit contre la promesse non seulement de l’amnistie mais de la plus haute dignité que l’empereur pouvait lui conférer, celle de curopalate.
Les conséquences des rébellions micrasiatiques sur la politique de Basile II
33Basile, vainqueur de Bardas Phocas au printemps 989, liquida dès l’automne les séquelles de la rébellion à Antioche, et au printemps 990 lorsque les derniers chefs ibères rebelles furent tués, l’empereur dut donc définir son attitude envers l’aristocratie d’Asie Mineure. Avec un remarquable sens politique, il distingua très nettement les deux grands groupes de cette aristocratie et s’il poursuivit avec obstination l’affaiblissement du clan Phocas-Maléïnos et de ses alliés ibères, il pardonna largement au groupe des Sklèroi et à leurs alliés arméniens et arabes.
34Au cours de son règne, Basile II ne confia plus aucun poste de responsabilité, ni ne réserva de place notable à la cour impériale aux derniers Phocas survivants, pas plus qu’aux derniers Maléïnoi dont il confisqua l’immense fortune. Il ne put qu’être conforté dans sa politique lors de la révolte de Nicéphore au Col-Tors, fils de Bardas Phocas en 1022. Pour la dernière fois en effet, nous retrouvons le schéma classique d’un Phocas jouant de l’influence de sa famille en Cappadoce et allié à des Ibères, à l’intérieur de l’Empire avec Phersès comme à l’extérieur avec Georges d’Abasgie. Il est tout à fait remarquable que Nicéphore Xiphias qui pourtant commandait la prestigieuse troupe des Anatoliques ait été relégué au second plan. Tous ceux qui s’y rallièrent le firent en raison de la présence de Nicéphore au Col-Tors, et celui-ci mort, la rébellion se défit d’elle-même sans combat. Constantin, frère de Basile II, poursuivit la politique d’anéantissement des Phocas en impliquant dans un complot le dernier rejeton encore vivant, Bardas, petit-fils du domestique des Scholes64. Les Maléïnoi connurent un sort plus favorable puisqu’ils ne subirent pas d’élimination physique ; plusieurs Maléïnoi, en effet, portèrent des dignités importantes au cours du xie siècle, mais comme les Phocas, ils ne jouèrent aucun rôle dans les luttes politiques de cette période65. La sanction infligée par Basile II et Constantin VIII fut donc proportionnée aux responsabilités encourues. La famille dirigeante fut anéantie, la plus proche ruinée économiquement et politiquement et toutes deux partagèrent le déshonneur d’être citées dans la novelle de Basile II qui critiquait les puissants66. Les autres familles liées aux Phocas furent épargnées ; les Parsakountènoi, qui en la personne de Bardas avaient jadis rendu un service considérable à l’empereur en détruisant la flotte de Sklèros et n’avaient pas joué, semble-t-il, de rôle important dans la seconde révolte de leur cousin Bardas Phocas, retrouvèrent, dès la première moitié du xie siècle, des positions de premier plan. Constantin fut catépan de Mésopotamie dans les années 1020-103067. De même les Mélissènoi, dont l’un au moins, Léon, avait montré du respect pour la dignité impériale68, restèrent au premier rang de l’aristocratie au cours du xie siècle, quoique sous Basile II, aucun d’eux ne semble avoir atteint un rang élevé. Le premier Mélissènos exerçant un commandement militaire fut le catépan du district de Bagh’in au temps de Théodôra en 1055-105669.
35Les Sklèroi et leurs alliés obtinrent au contraire un traitement très favorable. Bardas Sklèros, devenu inoffensif compte tenu de son âge et de son infirmité, obtint la dignité de curopalate, nous l’avons dit, la plus haute après celle de basileus et de César (mais Basile II ne pouvait lui octroyer cette dernière dignité qui impliquait que son détenteur fût héritier de l’Empire). Romain, fils de Bardas, avait la dignité de magistre, fort importante encore en ce temps, et commandait dès 992-993 une armée capable de repousser une troupe fa timide dans le duché d’Antioche70. Sous Constantin VIII, Basile, fils de Romain, avait rang de patrice et la fonction de stratège des Bucellaires et il était également beau-frère de Romain Argyros qui devint empereur à la mort de Constantin. Les Sklèroi n’ont donc connu aucune éclipse de faveur auprès de Basile II et de ses successeurs, car ils n’avaient jamais représenté un péril aussi redoutable que celui des Phocas. C’est pourquoi un Sklèros, Romain, était, au milieu du xie siècle, en position de participer de façon décisive à la lutte pour le pouvoir suprême. Parmi les lieutenants des Sklèroi, un Hagiozacharitès jouissait vers 997-998 d’une haute situation puisque Léon de Synada, dans une lettre contemporaine, au cours de son ambassade en Italie, le qualifie d’ύπέρλαμπρος και θαυμάσιος άνθρωπος et marque sa hâte de “se prosterner" (προσκυνεΐν) devant lui71. Au début du xie siècle, un autre lieutenant de Sklèros, Pègasios, combattait avec succès les Arabes sous les ordres de Nicéphore Ouranos72.
36Basile II n’a donc absolument pas mené une politique hostile à l’aristocratie d’Asie Mineure qui fournissait les cadres d’une armée dont il avait besoin pour mener à bien ses projets contre les Bulgares. Les Argyroi, les Doukai et les Kourkouas, à un degré moindre, furent donc en mesure de jouer les premiers rôles au xie siècle73. Sans doute des familles nouvelles, ou qui nous apparaissent telles, faute de bien connaître l’histoire de leurs origines, arrivèrent pour la première fois au sommet de l’aristocratie, celles des Dalassènoi, Comnènes ou Xiphias.
37L’empereur pratiqua également une discrimination, quoique à un moindre degré, envers les anciens alliés des deux clans, marquant une certaine hostilité aux Ibères et une relative sympathie envers les Arméniens. Les Ibères servant l’Empire, qui avaient trahi, comme Phersès, furent exécutés et aucun Ibère n’accéda à des postes très élevés durant le règne de Basile II. L’empereur consacra la plus grande partie de ses efforts en Asie Mineure contre les Ibères extérieurs encore indépendants, alors que face aux Arméniens ou aux Arabes, il n’intervint que pour sauvegarder les frontières existantes de l’Empire ; il n’hésita pas à mener plusieurs campagnes difficiles contre David, curopalate d’Ibérie, et Georges, roi des Abasges, pour absorber les États du premier. Toutefois Basile II enrôla un certain nombre d’Ibères déportés, jadis au service du curopalate David, et leur confia des commandements. Pakourianos, frère de Phersès74, fut stratège de Samos75, Grégoire (Kékauménos) fut stratège de Larissa et de Macédoine76. Les Apokapai entrèrent à la même période au service de l’Empire77. Tous les témoignages concordent pour affirmer que l’empereur se comporta avec la plus grande rigueur envers les populations du Tayk78, l’Ibère et l’Abasge figurant parmi les peuples sur lesquels Basile II jugea utile de rappeler ses victoires79. Le séjour de l’empereur à Trébizonde s’explique aussi par le désir de manifester l’autorité impériale dans une province divisée et sensible à l’influence de ses voisins ibères80.
38Les Arméniens furent laissés en paix et seule une menace extérieure incita Sénachérim du Vaspourakan à remettre son territoire à l’Empire en échange de biens plus assurés. L’empereur fit accéder de nombreux Arméniens à des postes de responsabilité notables, y compris ceux qui auparavant avaient soutenu Sklèros. Sur les trois familles d’ascendance arménienne qui combattirent aux côtés de Sklèros en 976, deux ont fourni des chefs militaires à l’époque de Basile II. Elpidios Brachamios fut taxiarque en Occident81, Grégoire Tarônitès, magistre et duc de Thessalonique, tomba en 995 face à Samuel82. Un autre Arménien, Théodôrokanos, accompagna l’empereur dans ses nombreuses campagnes contre les Bulgares jusqu’à ce que la vieillesse le fit remplacer par Xiphias au poste de duc de Philippoupolis83. Basile ne paraît pas s’être efforcé de ramener à l’orthodoxie les Arméniens hérétiques, ce que ses successeurs, Romain III en particulier, crurent nécessaire pour assurer l’homogénéité de leur Empire. Au contraire, selon Matthieu d’Édesse, lors d’une controverse religieuse à Constantinople, Basile II aurait renvoyé avec beaucoup d’honneurs le docteur arménien Samuel qui avait triomphé de ses opposants orthodoxes84. Il rétablit aussi la liberté du culte, à la demande des prêtres arméniens à Mélitène, contre l’avis du métropolite chalcédonien85.
39Ainsi, pour atténuer sinon éliminer le risque de rébellion dans la partie orientale de l’Empire, Basile II en abaissa le groupe le plus puissant et ses alliés, tandis que l’Occident pesait d’un poids croissant par l’absorption de la Bulgarie et que l’empereur prenait soin de nommer les stratèges hors de la zone d’influence de leurs familles, renversant la politique traditionnelle suivie par ses prédécesseurs au xe siècle.
40L’empereur entama donc une politique expansionniste exclusivement en direction de l’Occident. Si le temps lui avait été laissé, Basile II, victorieux de la Bulgarie, aurait parachevé son oeuvre de rééquilibrage par la reprise de la Sicile. L’empereur évita que la manifestation d’autonomie menée par Mélès en Italie du Sud ne s’y développât86. Ce choix ne faisait pas l’unanimité, puisque Basile fut confronté à la trahison d’un grand nombre de notables occidentaux, Malakènos dans le Péloponnèse, Bôbos à Thessalonique, alors que la lutte avec Samuel restait indécise ; à Andrinople, plusieurs stratèges, opposés en 995-996 aux armées de Samuel pendant que Basile II était en Orient, choisirent apparemment de négocier avec le vainqueur du moment, plutôt que de risquer la perte de leurs biens. Il convient de ne pas accorder de signification politique profonde à ces événements qui traduisent seulement la propension des puissants byzantins à négocier avec les ennemis de l’Empire lorsque tout espoir de secours semble perdu. Nous retrouverons une telle attitude face aux Turcs.
Notes de bas de page
1 Sur les Phocas, voir supra, p. 272.
2 Skylitzès, p. 241.
3 Skylitzès, p. 205, semble d’un avis différent, mais il n’est pas sûr que l’interprétation de la révolte par cet auteur soit bien exacte : rien ne dit en effet que Léon Phocas ait à cette date considéré l’Empire comme un bien héréditaire.
4 Sans doute Mélitène était-elle devenue à cette date byzantine et ne représentait-elle plus de danger. Mais il est remarquable que Bardas Phocas, distribuant à ses fils les thèmes, ne leur ait pas attribué les thèmes si importants de Likandos, du Charsianon ou de Mésopotamie.
5 Par exemple en 927-928, l’émir Tamal mena un raid victorieux et, en 931, il prit Amorion (Vasiliev-Canard i, p. 263 et p. 266).
6 Supra, p. 215-216.
7 Vasiliev-Canard I, p. 347.
8 Les Pauliciens avaient été dispersés depuis que Basile I avait mis fin à leur État en 878 (P. Lemerle, L’histoire des Pauliciens d’Asie Mineure d’après les sources grecques, TM 5, 1973, p. 108). Du reste, parmi ces Pauliciens on comptait des gens d’origine arménienne (ibid., p. 53-56) même si cette hérésie n’avait pas de racine arménienne.
9 Laurent, Arménie, p. 310-324.
10 Seibt, Sklèroi, p. 15.
11 Každan, Arméniens, p. 13-14.
12 Théophane Continué, p. 166 ; skylitzès, p. 93.
13 Mleh étant un prénom arménien assez fréquent, plusieurs Arméniens, sans rapport de parenté entre eux, l’avaient sans doute porté. Mélias peut-aussi être devenu le patronyme des descendants du stratège de Likandos ; mais en l’absence du prénom du domestique, nous ne pouvons trancher cette difficulté.
14 Léon Diacre, p. 92.
15 Traité sur la guérilla, p. 39-41.
16 Zépos, Jus I, p. 247 ; Charanis, Armenians, p. 34.
17 Les Ibères étaient une branche des Géorgiens, établie à l’est du thème de Chaldée, dans la partie occidentale de la Géorgie.
18 Attaleiatès, p. 222. Il semble bien que les Phocas ne doivent absolument pas être comptés au nombre des Byzantins d’origine arménienne, en dépit de l’opinion contraire de Kazdan, Arméniens, p. 71-72.
19 Cf. supra, p. 222.
20 Lavra I, Introduction p. 30, p. 43-45 ; Iviron I, p. 19-21 ; Jean l’Ibère qui fréquenta les empereurs de Constantinople, rendit visite tout particulièrement à Nicéphore, ibid., p. 138 et Introduction p. 20 note 6.
21 Vie de Jean et d’Euthyme § 7-8. Sur les rapports d’Athanase et de Tornikios, cf. Iviron I, introd. p. 19-24.
22 leon diacre,p. 96.
23 Skylitzes, p. 229 ; Theophane Continue (p. 424) ; l’appelation “ancien stratège” signifie que Bardas Phocas est à cette date privé de toute responsabilité sur une province de l’Empire.
24 Seibt, Skleroi, p. 30.
25 Constantin Sklèros, frère de Bardas, avait épousé Sophie Phôkaina, nièce de l’empereur Nicéphore et soeur de Bardas Phocas. Jean Tzimiskès, issu du mariage d’un Kourkouas et d’une Phocas, avait lui-même épousé en premières noces Marie Sklèraina, soeur de Bardas et Constantin. Pour le détail des alliances entre les différents groupes, supra, p. 268.
26 Bardas, fils de Nicéphore, avait été tué accidentellement par Pleustès, un jeune parent (Skylitzès, p. 260 ; Léon Diacre, p. 40-41).
27 Léon Diacre, p. 44, les soldats l’aimaient à la folie (δαιμονίως).
28 Ils n’étaient pas parents du fondateur d’Iviron.
29 Dès avril 963, Théophanô avait ordonné (κέλευσις της δεσποίνης), contre l’avis de Bringas, que Nicéphore Phocas entrât à Constantinople (Skylitzès, p. 254).
30 Ils étaient les petits-fils de sa demi-soeur Hélène Lékapènè.
31 Infra, p. 394.
32 Skylitzès, p. 273-274.
33 Léon Diacre (p. 64), pourtant si favorable aux Phocas, ne peut cacher que les ἀ-στικοί de Constantinople l’avaient pris en aversion pour avoir tiré un immense profit d’une spéculation sur le blé fors d’une famine (en 966). Cette date paraît marquer un tournant pour l’opinion publique de la capitale. L’année précédente, Nicéphore y avait obtenu un triomphe magnifique pour ses campagnes victorieuses en Cilicie (Léon Diacre, p. 61).
34 Il était encore domestique en 965 lors de la prise de Tarse (ibid., p. 59) ; mais dès 966, il n’est plus mentionné pendant la campagne de Syrie (M. Canard, Histoire de la dynastie des H’amdanides de Jazira et de Syrie, Paris 1953, p. 795).
35 Le bruit infondé qu’il songeait à rendre les jeunes porphyrogénètes eunuques courut en Orient : Yahya I, p. 827.
36 Oikonomidès, Listes de préséance, p. 240, 241.
37 Skylitzès, p. 284.
38 Sur cette campagne, Vasiliev-Canard II, p. 363-364.
39 Psellos (Chronographie I, p. 3) a noté cette affection du parakoimomène pour le prince porphyrogénète.
40 Léon Diacre, p. 61. Après la prise de Tarse, l’armée, à sa grande satisfaction, disposait d’un abondant butin.
41 Eustathe, anthypatos, patrice, fut promu stratège d’Antioche et de Likandos : W. B. R. Saunders, The Aachen reliquary of Eustathios Maléïnos, DOP 36, 1982, p. 211-219
42 Supra, p. 270.
43 Léon est le premier membre connu de cette lignée.
44 Léon Diacre, p. 96. C’était un lieu d’exil traditionnel, Etienne Lékapènos y fut enfermé, Skylitzès, p. 255.
45 Il n’est pas clairement établi si Bardas Phocas était accompagné dans son exil par les frères Parsakountènoi ses cousins, ou bien si ces derniers vinrent l’y rejoindre pour l’aider à s’évader.
46 Yahya II, p. 353 ; il était ghoulam de Tzimiskès, c’est-à-dire son oikeios.
47 Petit-fils du basileus Romain, patrice, il combattit les Russes à Dristra, Skylitzès, p. 308.
48 Basile était dans sa dix-huitième année.
49 Léon Diacre, p. 126 ; Skylitzes, p. 294.
50 Pour les références à tous les personnages cités au cours de ces événements, nous renvoyons à la f. d. n° 11.
51 Le reste de la population était favorable aux impériaux, sans qu’on puisse préciser s’ils l’étaient par obéissance envers Basile II ou par amitié envers les Phocas (Yahya II, p. 377 378).
52 skylitzes,p. 321.
53 Oikonomidès, Listes de préséance, p. 361.
54 Nous ignorons tout de leurs chefs et de leur comportement face aux troupes de Sklèros ; sans doute servirent-elles de corps d’armée initial pour Bardas Phocas lorsqu’il passa en Asie Mineure en battant Romain Sklèros.
55 Psellos (Chronographie I, p. 5) explique quelles craintes la cour de Constantinople éprouvait à son égard, parce qu’il était de sang impérial, et quelles précautions furent prises avant de le nommer domestique des Scholes.
56 Vie de Jean et d’Euthyme, p. 20 § 9 et 10.
57 Amedroz Margoliouth, Eclipse VI, p. 28. Le récit de l’envoyé du calife rend bien compte de cette atmosphère d’intrigues.
58 Yahya II, p. 417.
59 Kalokyros Delphinas avait peut-être du sang ibère. Un Delphinas du xie siècle était parent des Kékaumènoi, eux-mêmes partiellement au moins d’origine ibère (P. Lemerle, Prolégomènes, p. 55).
60 Supra, p. 217.
61 La façade égéenne semble lui avoir échappé, là où précisément les Doukai, partisans de Sklèros, avaient mené, quelques années auparavant, leur ultime résistance. La rapidité de la marche des troupes de Phocas est illustrée par le fait que son lieutenant Kalokyros Delphinas s’établit à Chrysopolis à la fin de l’année 987, quelques mois après la proclamation de Bardas Phocas par les siens le 15 août 987.
62 Seibt (Skleroi, p. 52-53) a bien noté ce point.
63 Yahya II, p. 417.
64 Skylitzès (p. 372) souligne l’arbitraire impérial.
65 La sigillographie nous fait connaître Constantin Maléïnos patrice, Nicétas Maléïnos hypatos et stratège, Nicéphore Maléïnos proèdre, Michel Maléïnos patrice. Tous leurs sceaux datent de la seconde moitié du xie siècle ; rien ne subsiste pour la première moitié. Ce n’est sans doute pas le seul fait du hasard, mais peut s’interpréter comme le signe d’un abaissement complet de la famille durant une période très difficile. Toutes références à ces plombs dans Seibt, Bleisiegel I, n° 142.
66 Zépos, Jus I, p. 264.
67 Seibt, Bleisiegel I, p. 260.
68 Lorsque Bardas Phocas affronta les forces impériales à Abydos, Léon, un de ses principaux stratèges, s’était opposé à son propre frère Théognoste, coupable d’avoir publiquement injurié les basileis au point que, pour faire taire Théognoste, Léon n’avait pas hésité à le frapper, affirmant qu’on doit toujours le respect à ses maîtres (Skylitzès, p. 338).
69 Matthieu D’Edesse, p. 103. Bagh’in était une forteresse située dans le Taurus (ibid. p. 178 η. 4). Le prénom du catépan reste inconnu ; il n’est pas exclu que ce fût l’un des premiers postes détenus par Nicéphore Mélissènos, plus tard prétendant à l’Empire, mais Théognoste Mélissènos, catépan de Mésopotamie (BZ 78, 1985, p. 363-364), doit aussi être pris en considération.
70 Sur cette campagne, cf. Seibt, Sklèroi, p. 62-64. À la différence de l’auteur, nous ne pensons pas que Romain ait nécessairement été nommé duc d’Antioche à cette occasion.
71 Darrouzès, Épistoliers, p. 167.
72 Yahya II, p. 466 ; Pègasios, patrice, fut victorieux de l’aventurier arabe al-Hamali.
73 Kazdan, Structure de la classe dominante, p. 116.
74 Ce lien de parenté n’est pas assuré et repose sur l’interprétation contestée d’un passage de Skylitzès (p.339) : cf. Iviron I p. 19 et n. 3.
75 B. Montfaucon, Paleographia Graeca sive de Ortu et Progressu Literarum Grae carum..., Paris 1708, p. 46.
76 Sur l’identification de ce personnage : Lemerle, Prolégomènes, p. 32-36.
77 Idem, Cinq études, p. 49-50.
78 Aristakès De Lastivert, p. 13-14. L’empereur n’épargna ni les femmes ni les enfants de ce pays chrétien et même chalcédonien.
79 M. Mercati, Sull’epitafio di Basilio II Bulgaroctonos, Bessarione 25, 1921, p. 137-142.
80 Le séjour eut lieu au cours de l’hiver 1022-1023 (Papadopoulos Kerameus, Fontes, p. 85). La ville de Trébizonde même était restée fidèle à l’empereur lorsque les Ibères Pankratios et Tzourbanélès s’étaient présentés devant ses murs pour le compte du basileus Phocas. Saint Eugène, protecteur de la ville, avait fait peur à Pancrace en lui faisant remarquer que Phocas n’était pas le vrai basileus.
81 BCH, 1912, p. 569.
82 Skylitzès, p. 341.
83 Ibid., p. 343, 345.
84 Matthieu D’édesse, p. 39.
85 Asolik De Taron, p. 163.
86 Sur Mélès infra, p. 386.
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