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Pouvoir et contestations à Byzance (963-1210)

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Jean-Claude Cheynet

Les solidarités dans l’aristocratie byzantine

Chapitre VIII. Les grands corps de l’État

Testo integrale

Les forces armées

1Instrument privilégié de la prise du pouvoir, l’armée fut l’objet d’une surveillance fort attentive de la part des empereurs. Il s’établissait certaines solidarités naturelles entre le combattant et ses aides, entre l’officier et ses hommes, liens utiles à la cohésion de la troupe au combat, mais dangereux dès lors que les autorités sont contestées. L’influence des notables s’exerçait à deux niveaux, lorsqu’ils vivaient retirés sur leurs propriétés, au milieu d’une foule de serviteurs dont une partie était armée et lorsqu’ils accomplissaient un service actif, utilisant à des fins personnelles les soldats de l’État.

  • 1 À l’apogée des Comnènes, le sébastocrator Isaac, oncle de l’empereur Manuel, conseillait à l’higou (...)
  • 2 L’inimitié réciproque entre Romain Sklèros et Georges Maniakès dont les propriétés voisinaient dan (...)

2En dépit d’une administration plutôt solide, la paix ne régnait jamais complètement. À l’extérieur subsistait la menace de raids ennemis dans la zone acritique de la frontière arabo-byzantine ou bien face aux nomades du Nord, Petchénègues, Coumans. À l’intérieur, le brigandage sur terre, la piraterie sur mer sévissaient de manière endémique1. Enfin les rivalités entre notables dégénéraient parfois en affrontements violents2.

  • 3 Attaleiates,p. 125.

3La nécessité d’assurer sa propre défense individuelle, afin de pallier l’inefficacité chronique de l’administration impériale, justifiait l’entretien d’escortes armées puissantes. L’identification de telles forces privées s’avère parfois délicate car la terminologie ne permet pas de distinguer entre milice privée et armée d’État, λαός, s’appliquant aussi bien à l’une qu’à l’autre. Des stratèges ont repoussé l’ennemi, ou combattu l’armée impériale, avec leur oikeios stratos. Et l’expression oikeios elle aussi est ambiguë, car elle peut désigner l’armée sous les ordres du stratège ou encore sa troupe personnelle. Lorsque Crispin vint négocier avec Romain Diogénès, accompagné de quelques oikeioi stratiôtai selon Michel Attaleiatès, faut-il entendre que Crispin venait avec ses gardes du corps ou avec une partie du tagma franc qu’il commandait3 ?

  • 4 Les mots ont gardé le sens qu’on leur connaît depuis les ve et vie siècles : J. Gascou, L’utilisat (...)
  • 5 Maléïnos disposait d’atzoupadés (Markopoulos, Vaticanus, § 1, 1. 10). Deux d’entre eux assassinère (...)
  • 6 Basile le Parakoimomène arme ses 3000 familiers et serviteurs d’épées, de javelots et de boucliers (...)
  • 7 Attaleiatès, p. 96.
  • 8 Ibid., p. 297.
  • 9 Bryennios, p. 235.
  • 10 Zônaras, p. 628 ; skylitzès, p. 440.
  • 11 Conseils et Récits, p. 256.
  • 12 Bryennios, p. 197.
  • 13 Ces exemples ne se rapportent qu’à des militaires, mais les fonctionnaires civils disposaient d’es (...)

4En dépit de l’incertitude du vocabulaire, l’existence de groupes armés privés ne saurait faire de doute. Chaque puissant disposait de son escorte armée, composée de doryphoroi, d’ hypaspistai4, ou, terme plus rare, d’atzoupadés5. La demeure d’un puissant comportait, semble-t-il, sinon une armurerie, du moins une réserve de cuirasses, d’armes blanches et d’armes de jet6. Nicéphore Botaneiatès en 1067 accrut les forces du duché d’Antioche en y ajoutant ses propres gardes du corps7. Nicéphore Basilakios, préparant sa révolte contre Nicéphore III, réunit une armée considérable qui comptait entre autres troupes ses “gardes du corps personnels, fort nombreux”8. En 1075, Alexis Comnène et Kônstantios Doukas, chargés de combattre Nicéphore Bryennios et manquant de soldats pour défendre Constantinople, armèrent leurs gens9, à l’instar des sénateurs qui, en 1047, avaient ainsi contribué au salut de la capitale menacée par Léon Tornikios10. Les Slaves de Larissa n’osèrent pas se révolter sans l’accord du dynaste local, Nikoulitzas, car celui-ci disposait de ses hommes et de sa troupe personnelle (ἴδιος λαός)11. En 1073-1074, Michel Maurix, qui n’était pourtant pas d’illustre naissance, mais avait servi les empereurs, vivait à Héraclée du Pont entouré d’une foule de serviteurs expérimentés à la guerre ; il les employait occasionnellement à repousser les bandes turques qui infestaient la région12. Les notables disposaient donc d’une milice13, destinée en premier lieu à assurer leur sécurité, mais qui se révélait, le cas échéant, susceptible de peser sur le destin de leur cité sinon de leur province.

  • 14 Alexiade I, p. 57, 64.
  • 15 À propos de la querelle opposant Prousianos à Basile Sklèros, W. Seibt (Skleroi, p. 65) admet que (...)
  • 16 Le futur Basile I, très probablement d’origine paysanne, suivit cette voie avec le succès que l’on (...)

5Nous ignorons à peu près tout du mode de recrutement de ces gardes du corps. Toutefois, un certain nombre d’anciens prisonniers de guerre seraient, semble- t-il, entrés au service de leur vainqueur. Boril et Germain, fidèles de Botaneiatès, étaient d’origine scythe14. Des paysans devaient être recrutés15 dans les milices privées16, comme ils l’étaient dans l’armée, mais à la date de cet enrôlement, ils cessaient d’être paysans.

  • 17 Cela rappelle, en Occident, le groupe des dix ou vingt compagnons, instruits en même temps que le (...)
  • 18 Léon Diacre, p. 110. Il portait le titre de patrice, mais avec sa barbe naissante, il n’avait guèr (...)
  • 19 Skylitzès, p. 469.

6Le notable qui accomplissait un service militaire devenait officier et participait aux opérations accompagné de sa maison : parents, familiers et serviteurs formaient un groupe cohérent autour de leur chef naturel. Il restait sans doute entouré du même groupe d’hommes dont la mort ou la vieillesse le séparaient17. Nous connaissons mal le milieu des officiers subalternes, un peu mieux celui des officiers supérieurs, mais nous n’avons pas de raison de les croire fort différents. Or, à cette époque, et pas seulement au xiie siècle où toute la hiérarchie militaire ou peu s’en faut était issue des diverses branches de la famille Comnène, les stratèges combattaient en compagnie de leurs parents. Bardas Sklèros, face aux Scythes, fut sauvé par son frère Constantin, encore tout jeune et dont rien n’indique qu’il exerçait un commandement18. Kékauménos, entouré d’un petit nombre de syggéneis et de serviteurs, résista héroïquement, mais vainement, aux Petchénègues à Diakéné. Toutefois il dut son salut à l’amitié d’un de leurs chefs, acquise lors d’un commandement en Occident19. Les officiers expérimentés accueillaient en effet dans leur entourage des jeunes gens de leur famille pour les initier au métier des armes.

  • 20 Léon VI, Taktika IV, 1.

7À ces premiers liens de dépendance simple reflet à l’armée de la société civile -, s’ajoutaient les liens qui unissaient le stratège à ses hommes. L’organisation de l’armée thématique laissait au stratège le soin de choisir les officiers et les hommes de sa troupe, dont les soldats d’élite (èpilektoi), qui restaient en permanence sous les armes20. Une solidarité régionale unissait par principe l’armée d’un thème, puisque c’était précisément l’objectif de ce type d’organisation et la condition d’une bonne cohésion des troupes au combat. La transformation progressive, au cours des xe et xie siècles, des thémata en tagmata provinciaux, ne modifia pas ce mode de recrutement, fondé sur un patriotisme régional.

  • 21 Le meilleur exemple vient d’Orient. En 1016, l’ancien émir d’Alep, Mansur ibn Lu’lu, se réfugia da (...)

8Les tagmata étrangers constituaient seulement une nuance spécifique de particularisme local. Les chefs francs commandaient des Francs, tels Ardouin, Hervé le Francopoule, Crispin ou Roussel de Bailleul. Un Varange était à la tête de la garde du même nom. La constitution de telles unités s’explique par leur mode de recrutement, car l’empereur enrôlait avec toute sa suite un prince étranger venant à Byzance21.

9Tagmata provinciaux et tagmata étrangers ne se comportèrent pas différemment. Nous n’avons pas d’exemple que des hommes aient refusé de servir leurs officiers, même lorsque ceux-ci décidaient de sortir de la légalité. Il suffisait au stratège rebelle de s’assurer la fidélité des officiers pour que la troupe suivît. Mieux encore, alors que l’aristocratie d’une province pouvait se trouver divisée sur l’attitude à suivre en pareille situation, les troupes d’une province ne s’opposaient jamais entre elles ; si elles se ralliaient au rebelle, c’était en bloc.

  • 22 Skylitzès, p. 487-488.
  • 23 Vie de Jean Le Miséricordieux, p. 203.

10Le stratège avait la tentation permanente de renforcer son autorité sur ses hommes. A plusieurs reprises, des stratèges ont voulu gagner la sympathie de leurs soldats en leur distribuant plus qu’ils n’auraient dû recevoir. Bryennios le Macédonien préparait un soulèvement contre Michel VI ; nommé stratège des Anatoliques, il décida, une fois parvenu dans le thème, d’accorder à ses soldats macédoniens des dons supérieurs à ce qui avait été ordonné pour les détacher de l’obédience impériale. Le patrice Jean Opsaras, homme de l’empereur, qui détenait l’or à répartir, s’opposa violemment à Bryennios et finalement fut emprisonné par ce dernier, jusqu’à ce que le patrice Lykanthès vînt le délivrer22. Le grand domestique Jean Comnène-Batatzès acquit sa popularité grâce aux succès qu’il avait remportés face aux Turcs, contrastant avec la défaite de Manuel Comnène, mais aussi par les distributions du butin pris aux Turcs à la population pauvre de Philadelphie, sa résidence23. Notables et gens du peuple le remercièrent par leur soutien sans faille, lorsque Batatzès devint un opposant farouche au nouvel empereur Andronic.

  • 24 Conseils et récits, p. 250.

11L’autorité sur les hommes ne suffit pas à fonder la puissance militaire, il doit s’y ajouter le contrôle du terrain. Dans ce domaine capital, la puissance publique a toujours défendu ses droits. Certes, les grands palais, notamment à Constantinople, abritant un personnel nombreux, pouvaient un temps défier les soldats impériaux et inciter les autorités à négocier la reddition d’un adversaire. En province, Kékauménos conseillait au notable, précisément en cas de révolte contre l’empereur, de lui rester fidèle, mais de prendre ses précautions : “s’enfermer avec toute sa famille, ses esclaves, ses serviteurs libres, avec les provisions nécessaires, dans la koula”, c’est-à-dire l’acropole du kastron où il résidait24.

  • 25 Cf. supra, p. 225.
  • 26 N. Oikonomidès, The donation of castles in the last quarter of the XIth century, Polychronion, Hei (...)
  • 27 Les provinces de Petite Arménie, passées à nouveau, pour un temps, sous la domination byzantine au (...)

12Il est difficile de trouver des exemples de place forte soustraite à l’autorité de l’État. Seul, Michel Bourtzès semble avoir possédé en bien propre la forteresse de ‘Imm25. Les invasions de la seconde moitié du xie siècle obligèrent l’Empire à un effort de construction de fortifications commencé dès le règne de Constantin X.26 Les finances de l’État, amoindries, ne suffisant plus à soutenir un tel effort, Michel VII autorisa la “donation de kaslra”, en précisant que la forteresse échappait au domaine public strictement pour la durée de vie du bénéficiaire. En temps normal, seuls de modestes points fortifiés restaient aux mains de particuliers, tours défendant un village, un monastère, voire un domaine, quoique nous n’en ayons pas d’exemple27. Lors de troubles, des forteresses se trouvaient arrachées au contrôle de l’État : les troupes qui les occupaient s’étaient ralliées au rebelle, ou bien les places étaient restées inoccupées, conséquence d’une longue période de tranquillité. Lorsqu’à la fin du xiie siècle, la force de l’Empire déclina, des pouvoirs locaux se développèrent qui mirent la main sur des kastra établis auparavant par l’État : Maggaphas à Philadelphie, Sgouros à Nauplie, Argos et Corinthe, Ibankos dans les Balkans...

13Les empereurs soucieux de la stabilité de leur pouvoir s’employèrent à limiter les ambitions de leurs généraux les plus capables. Ils veillèrent à ce qu’un stratège ne commandât pas dans la province où il disposait d’une influence naturelle ; le règne décisif à cet égard fut celui de Basile II ; son idée maîtresse fut de nommer à la tête des thèmes orientaux des stratèges originaires d’Occident et inversement de placer en Occident des responsables orientaux ; tel était le principe. La pratique fut plus subtile, étant donné la vaste superficie de l’Orient comme de l’Occident byzantins. Des Macédoniens ont pu commander en Italie, ou des officiers issus du thème des Arméniaques à Antioche. Pour sauvegarder toutefois les solidarités militaires, qui conditionnaient le bon comportement d’une troupe, Basile II et ses successeurs transférèrent non seulement le stratège ou le duc, mais souvent aussi le tagma de la province d’origine du stratège afin que les soldats continuent de se battre sous les ordres d’officiers dont ils étaient les parents ou les voisins.

14Cette action, menée d’abord à l’égard des familles orientales, connut un réel succès de 989 à la fin des guerres bulgares. Alors que l’empereur fut le plus souvent absent de sa capitale, l’Asie Mineure resta remarquablement calme. Aussi, après avoir conquis la Bulgarie, Basile II appliqua-t-il la même méthode à l’égard de l’aristocratie bulgare et particulièrement envers les enfants du dernier tsar Jean Vladislav, qui obtinrent des commandements en Asie Mineure et épousèrent des filles de l’aristocratie orientale. Ici l’objectif recherché était aussi d’unifier la couche supérieure de la société.

15La liste des responsables de trois duchés importants, ceux de Thessalonique, d’Italie et d’Antioche, pour lesquels nos informations sont presque complètes illustre les principes de gestion du personnel militaire par Basile II.

Duché de Thessalonique

Duché de Thessalonique
  • 28 Toutes références au chapitre “enracinement provincial de l'aristocratie”.

Note28

  • 29 Toutes les références sont précisées dans Falkenhausen, Dominazione, p. 86-90.

Catépanat d’Italie29

Catépanat d’Italie29
  • 30 Nous ne savons rien à propos de cette famille, mais elle est manifestement issue d'un chef arabe p (...)

Note30

  • 31 Toutes références dans Laurent, Antioche, p. 229-238. Nous ne prenons pas en compte Léon Phocas mi (...)

Duché d’Antioche31

Duché d’Antioche31
  • 32 À ce dernier thème cependant, une seule famille peut être rattachée.

16Ces trois tableaux, sans valeur statistique précise, dégagent les principales tendances de la politique de Basile II pour assurer le calme dans l’Empire. Les trois membres du parti des Phocas (Kalokyros Delphinas, Léon Mélissènos et Bardas Phocas en personne) ont assumé leurs charges avant 987, date de la révolte de ce dernier ; après cette date, aucun membre de cette faction n’apparaît, alors que les Tarônitai, les Argyroi, les Kourkouas, les Bourtzai, familles sans lien avec les Phocas, sont représentées. Plusieurs “nouvelles” lignées sont recrutées, les Dalassènoi, Botaneiatai, Kabasilas, Diogénai, toutes appelées à jouer un rôle notable au xie siècle, ainsi que deux familles de ce qui n’est pas encore vraiment le “clan macédonien”, toutes deux exerçant en Italie. La prépondérance des Orientaux n’est pas douteuse, mais alors que les thèmes frontaliers, ceux de Chaldée, des Arméniaques, du Charsianon et de Cappadoce32, restent bien représentés, les régions situées plus à l’ouest, dont le thème des Anatoliques, avec les Mélissènoi, les Botaneiatai, les Bourtzai et les Kabasilai, fournissent un personnel sans doute plus nombreux qu’auparavant.

  • 33 Les motivations de Constantin Monomaque sont clairement exposées par Psellos, qui, étant bien plac (...)
  • 34 Mis en difficulté par le Normand Bohémond, Alexis réunit un conseil de guerre comprenant les génér (...)

17Au cours du xie siècle, les empereurs accentuèrent leur contrôle de l’armée en nommant aux postes de responsabilité élevée, soit des eunuques aux ambitions dynastiques par nature limitée33, soit de proches parents dont la fortune était liée à la leur propre34, méthode qui fut quasi exclusive au siècle suivant.

18Cette évolution est perceptible à travers l’analyse du haut commandement (domestique des Scholes, stratège autokratôr, stratopédarque ou équivalent) du règne de Constantin VIII à celui d’Alexis Comnène. En effet la liste des chefs de tagmata, des stratèges et des ducs de thèmes serait moins explicite, car ils étaient trop nombreux pour que des militaires de carrière aient été exclus de ces postes et d’autre part, le tagma ou le thème ne constituaient pas une base suffisante pour mener une action contre l’empereur. Nous avons toutefois fait exception pour le duché d’Antioche qui comprenait les meilleures troupes d’Orient. Nous avons divisé ces responsables d’armées en trois catégories, celle des parents de l’empereur, catégorie a priori sous-estimée, dans la mesure où un certain nombre de mariages nous sont demeurés inconnus, celle des eunuques du palais impérial à laquelle nous avons adjoint les serviteurs personnels du maître du pouvoir ; enfin, la troisième catégorie se détermine par la non-appartenance aux deux premières.

  • 35 La condition d'eunuque est déterminée par une mention explicite dans une source byzantine, ou bien (...)
  • 36 Des liens particuliers devaient unir Constantin Dalassènos et Constantin VIII, puisque ce dernier (...)
  • 37 Rappelons que Romain était, en fait, le frère de la maîtresse de Constantin IX, Marie Sklèraina.
  • 38 Skylitzès, p. 464. Constantin IX avait choisi cet ancien prêtre pour sa fidélité, car il le servai (...)
  • 39 Ibid., p. 438. D'origine sarrasine, il fut sans doute acquis par Monomaque ou sa famille lorsque c (...)
  • 40 Ibid., p. 472-473. Commandant les Varanges ( ?), lui-même d'origine étrangère, il collaborait avec (...)

Note35
Note36
Note37
Note38
Note39
Note40

  • 41 Tout commentaire sur le règne de Constantin Doukas est a priori difficile, car nous ignorons presq (...)
  • 42 Skylitzès Continué, p. 134.
  • 43 Une proche parenté unissait les empereurs Constantin Doukas et Isaac Comnène dès 1057, Attaleiatès(...)
  • 44 La nièce d'Alexis Comnène épousa le petit-fils de Nicéphore III Botaneiatès, Alexiade I, p. 75.
  • 45 Cf. f. d. n° 105.

Note41
Note42
Note43
Note44
Note45

  • 46 En accord avec son frère l’orphanotrophe Jean, il éloigna les généraux les plus en vue, même au pr (...)

19Sous les deux premiers empereurs, Constantin VIII et Romain III, prédominaient les eunuques des palais impériaux, contraste net avec le règne précédent de Basile II. Constantin VIII se méfiait en effet de l’aristocratie dont bien des membres pourtant avaient fidèlement servi son frère. Le règne de Michel IV marqua l’arrivée en force des proches parents de l’empereur au sommet de la hiérarchie militaire. En effet, ce souverain, d’extraction modeste, s’appuya sur ses plus proches parents, en dépit des défauts qu’il leur reconnaissait, faute de disposer de puissantes alliances familiales46.

20Michel IV montra l’exemple, que suivirent tous les empereurs, même les plus assurés de leur popularité, jusqu’à Alexis Comnène inclus, à l’exception peut-être de Constantin X. Lorsque les empereurs se sentaient à tort ou à raison- davantage en sécurité, ils cessaient de privilégier leurs parents dans la hiérarchie militaire. Michel V, croyant la dynastie affermie par une deuxième génération au pouvoir et par son adoption par Zôè, n’hésita pas à éloigner ses oncles. De même, le contraste est frappant entre les deux premières années du règne personnel de Michel Doukas qui, face à l’opposition d’une grande partie de l’armée d’Orient, s’appuya en priorité sur ses cousins et son oncle, et la période suivante où les périls extérieurs l’emportaient et exigeaient la nomination des généraux les plus compétents.

  • 47 Deux exceptions notables  : Philarète Brachamios et Basile Apokapès, rebelles réfugiés dans leurs (...)
  • 48 Infra, p. 350.

21Le recours aux eunuques et aux serviteurs personnels fut largement mais inégalement pratiqué par tous les empereurs. Constantin IX, Michel VI les nommèrent fréquemment à la tête des armées, alors que les empereurs issus de celles-ci les écartèrent résolument (Diogénai), ou bien minimisèrent leur rôle, traduisant le mépris traditionnel des généraux pour ces gens-là. Cependant, opposer encore sur ce plan empereurs “civils” et empereurs “militaires” serait excessif, car Michel VII ne paraît pas avoir choisi de généraux eunuques, bien que ses principaux conseillers, le métropolite Jean de Sidé, puis Nicéphoritzès, l’aient été, alors que Botaneiatès fit appel au pro to vestiaire et eunuque Jean quand Alexis Comnène refusa de faire campagne contre Mélissènos, faute d’officiers compétents auxquels il eût pu faire confiance. Plus généralement les empereurs, prenant conscience progressivement de la menace extérieure, privilégièrent la compétence au détriment de la fidélité. Les principaux généraux ayant servi Diogènès, Nicéphore Bryennios, Joseph Tarchaneiôtès, Nicéphore Basilakios, Nicéphore Botaneiatès, occupèrent le premier plan sous le règne de Michel VII Doukas, successeur de Romain IV47. Mieux encore, Michel VII les maintint en poste là où leur famille était implantée de longue date, Botaneiatès dans les Anatoliques, Bryennios en Occident, Tarchaneiôtès à Andrinople, Michel Maurix, originaire d’Héraclée du Pont, dans les Bucellaires48. La politique militaire de Michel VII ou plutôt de son ministre Nicéphoritzès fut donc plus audacieuse que ne le laisse entendre la triste réputation de cet empereur.

22Alexis Comnène cumula les pratiques précédentes pour assurer une autorité longtemps précaire. Il promut aux plus hauts postes, comme Michel IV, ses frères, beaux-frères, neveux, qu’il avait fort nombreux, pour quadriller le haut commandement et ne dédaigna pas, contrairement aux empereurs “militaires”, son oncle Isaac et Romain Diogènès, de nommer des serviteurs personnels, Tatikios, Léon Képhalas, et même des eunuques, Léon Nikéritès, Eustathe Kyminianos.

23Les empereurs du xie siècle choisirent avec circonspection le haut commandement, de manière à limiter les risques d’inévitables tentatives de coups d’État, sans jamais toutefois chercher l’abaissement systématique de ce corps social, à l’éphémère exception de Michel Stratiôtikos.

L’Église

  • 49 G. A. Rhallès M. Potlès, Σύνταγμα τών θείων και ίερών κανόνων II, Athènes 1852-1859, ρ. 108-109.
  • 50 Zépos, Jus I, ρ. 273-274.

24Nos fiches documentaires ne mentionnent que rarement des ecclésiastiques parmi les fauteurs de troubles. De fait, les canons de l’Église ordonnent la déposition du clerc qui aurait attenté (ύβρίζω) à l’autorité impériale ou à celle de ses fonctionnaires49. L’attitude légitimiste de l’Église est réaffirmée par une novelle de Constantin VIII, à valeur synodique puisqu’elle est signée par l’empereur, le patriarche et le synode, novelle qui porte l’anathème sur quiconque a osé se rebeller contre l’empereur50.

25Depuis la crise iconoclaste, les querelles religieuses ne sont plus le support d’une opposition aux autorités laïques. Le patriarche, second personnage de l’Empire, représentait le principal pouvoir susceptible de rivaliser avec celui de l’empereur. D’autre part, placé à la tête de l’Église, il avait autorité sur la hiérarchie provinciale, confortant l’image d’une Constantinople dominatrice. Car, de même que les agents du fisc symbolisaient l’avidité de la capitale, les métropolites, issus du politikon génos, étaient éventuellement considérés tout à fois comme des agents du pouvoir impérial dans les provinces et des représentants de l’orthodoxie, notamment lorsque ces provinces étaient peuplées d’hérétiques.

Le rôle effacé du patriarche

  • 51 Skylitzès, ρ. 285-286.
  • 52 Léon Diacre, p. 101-102. Sur les rapports entre l’Empire et le Sacerdoce, voir en dernier lieu, A. (...)

26Au xe siècle, le patriarche Polyeucte avait osé interdire l’entrée de Sainte- Sophie à Jean Tzimiskès, meurtrier de son oncle l’empereur Nicéphore Phocas, et avait retardé le couronnement tant que le nouvel empereur n’avait pas chassé des palais impériaux sa complice Théophanô ni fait pénitence51. À la mort de Polyeucte, Jean Tzimiskès, à l’occasion de l’élection du successeur, avait reconnu au patriarche une responsabilité égale à la sienne dans la bonne marche de la société : “dans le monde terrestre, je sais que le Démiurge a créé deux pouvoirs, le Sacerdoce et l’Empire, pour que l’un se soucie des âmes et l’autre des corps, en sorte que si l’un ou l’autre défaille, l’ensemble soit intégralement sauvé”52.

  • 53 Darrouzès, Épistoliers, p. 209.
  • 54 Ibid., p. 344-346.

27La réalité a démenti le bel équilibre prôné par ce discours : le siège patriarcal fut vacant pendant plusieurs années sous Basile II, alors qu’il était inconcevable que le trône impérial pût rester vide, preuve éclatante de l’inégalité des deux charges. L’amertume de Léon de Synada constatant que l’Église ratifiait seulement le choix du patriarche par l’empereur53, la déférence du patriarche Antoine priant humblement Basile II de l’autoriser à renoncer à sa charge reflètent bien mieux le véritable rapport de forces54.

  • 55 Alexiade I, p. 109.

28La modification du recrutement des patriarches illustre le déclin de leur position. Aucun empereur Comnène ne jugea utile de placer un parent à ce poste alors qu’au xe siècle deux fils d’empereur l’avaient occupé pour asseoir le pouvoir paternel. Les Doukai veillèrent seulement à ce qu’un de leurs clients, Kosmas, fût en charge et lorsqu’Alexis Comnène s’empara du pouvoir, il le remplaça par Eustrate Garidas, familier de sa mère Anne Dalassènè55.

  • 56 Avant même que le patriarche ait pu songer à une intervention politique, les scrupules qu’il aurai (...)

29Le patriarche ne fut donc pas en mesure de peser de manière décisive sur les affaires, notamment au xie siècle. Pourtant les circonstances semblaient favorables puisqu’en 1025, le patriarcat fut bien plus stable que le trône : quatre patriarches se succédèrent, face à onze empereurs, d’autant plus que furent choisies de prestigieuses figures, à l’exception du premier d’entre eux, Alexis Stoudite qui, expressément désigné par Basile II sur son lit de mort, aurait été davantage préoccupé de thésaurisation qu’animé d’ambitions personnelles56. Constantin Leichoudès avait été le principal conseiller de Constantin Monomaque, Jean Xiphilin, un des proches collaborateurs de cet empereur ; Michel Cérulaire avait tenté de s’emparer du pouvoir à la faveur d’un complot rapidement mis en échec avant qu’il ne fût choisi par Monomaque pour succéder à Alexis Stoudite.

  • 57 Ibid., p. 418 ; Matthieu D’Edesse, trad. Dostourian, p. 104, affirme que le patriarche fut empriso (...)

30Certaines sources laissent entrevoir qu’en 1042, Alexis Stoudite encourut les soupçons de Michel V, car ce dernier craignait peut-être un ralliement du patriarche aux côtés de Zôè57. Michel V, après l’avoir vainement appâté par un don de quatre livres d’or, l’avait donc éloigné et songeait à l’exiler quand le patriarche put se libérer, et après la chute de Michel, Alexis couronna Théodôra.

  • 58 Psellos, MB IV, p. 322. Pour un portrait de Cérulaire, L. Bréhier, Le schisme oriental du xie sièc (...)
  • 59 Cf. f. d. n° 73.
  • 60 Psellos, Scripta Minora I, p. 284.
  • 61 Ibid., p. 314.
  • 62 Skylitzès Continué, p. 105. Tout aussi inhabituelle est l’effigie représentée sur son sceau de pat (...)
  • 63 Psellos (Chronographie II, p. 88) : “le patriarche en effet avait alors une très grande puissance. (...)

31Cérulaire fut le seul à participer activement aux intrigues politiques, jouant un rôle décisif dans le succès d’Isaac Comnène, mais à cette occasion, il apparut davantage le chef d’une faction politique plutôt que le responsable de l’Église. Le futur patriarche avait pris l’habit monastique sous le coup de la douleur à l’annonce du suicide de son frère, comme lui compromis dans un complot contre Michel IV. Michel V parvenu au pouvoir amnistia Cérulaire, qui regretta son changement d’état58, indice d’une vocation monastique quelque peu incertaine. Déjà lors de la réception des légats du pape en 1054, le patriarche avait fait pression de manière inhabituelle sur l’empereur Monomaque pour que ce dernier s’inclinât devant ses souhaits59. Mais Psellos eut beau jeu de souligner dans son acte d’accusation l’incongruité du comportement du patriarche lors de la chute de Michel VI : “Cérulaire se mit à distribuer les charges... s’attribuant à lui-même le pouvoir impérial dans sa plénitude, il ne lui manquait plus que de se faire appeler empereur”60...“Perdant toute espèce de honte, il a réuni la royauté et le sacerdoce”61. Ce patriarche estimait que le sacerdoce était d’un plus grand prix que l’Empire et n’hésita pas à porter des sandales de pourpre, prétextant que c’était là un privilège de l’ancien sacerdoce, alors qu’aux yeux des Byzantins, le port de ces sandales constituait un véritable crime d’usurpation62. Cette attitude resta exceptionnelle et la fin malheureuse du patriarcat de Cérulaire ne fut peut-être pas étrangère au rôle modeste joué par ses successeurs. En effet, la réflexion de Psellos sur l’importance du patriarche en cas d’usurpation63 lui fut inspirée avant tout par l’activité de Cérulaire en 1057 et ne se fondait pas sur une observation plus générale des successions impériales. Pourtant, à plusieurs reprises, le patriarche fut en mesure de peser sur le cours des événements, lorsqu’il eut la responsabilité d’assurer une transmission sans heurt du pouvoir impérial à des héritiers mineurs, en 1067 et en 1180. Dans les deux cas, le patriarche ne sut pas faire respecter la promesse donnée aux empereurs défunts. Bien que le patriarche Théodose eût percé très tôt les véritables ambitions d’Andronic Comnène en 1182, il n’osa contrecarrer les projets de ce dernier et fut contraint à la démission. Aux xie et xiie siècles, les patriarches, à l’exception de Cérulaire, ne se prétendirent pas les égaux de l’empereur. Au contraire, des souverains, tel Manuel Comnène, empiétèrent sur leur domaine réservé, la définition du dogme.

  • 64 Mésaritès, Palastrevolution, p. 23.

32En conséquence, les patriarches ont systématiquement refusé d’apporter leur concours aux usurpateurs qui se présentaient à Sainte-Sophie, dans l’espoir toujours déçu d’y recevoir la couronne de leurs mains. Peu enclin à la confrontation violente, le chef de l’Église évitait d’affronter publiquement les émeutiers et se réfugiait dans ses appartements en attendant le dénouement de la crise. En 1210, lorsque Jean Comnène le Gros marcha sur Sainte-Sophie, le patriarche Jean Kamatèros abandonna tous les insignes de sa fonction et s’enferma, comme dans un tombeau, dans une petite pièce dépourvue d’ouvertures64. La fidélité des patriarches aux empereurs légitimes ne les empêcha pas de toujours couronner l’usurpateur vainqueur et, fût-ce après un court délai, même lorsque le nouvel empereur était couvert du sang de son prédécesseur.

33L’inégalité des pouvoirs respectifs de l’empereur et du patriarche se traduisait par la facilité avec laquelle les empereurs déposaient les patriarches qui n’avaient pas leur sympathie, notamment lorsqu’ils avaient été choisis par un prédécesseur, depuis lors renversé. Les titulaires du patriarcat ne tirèrent donc pas profit de leur poste pour influencer les choix politiques, et l’effacement de ses chefs illustre la position en retrait de l’Église en tant qu’institution.

L’influence de l’Église en province

34Le personnel ecclésiastique était scindé en deux groupes que nous croyons distincts, d’une part les titulaires des grandes métropoles, d’autre part ceux qui détenaient les postes secondaires, obscurs évêchés ou offices des métropoles ; ces derniers étaient à coup sûr des provinciaux, car leurs charges n’avaient ni l’éclat ni les revenus susceptibles d’attirer les élites de la capitale, déjà réticentes à accepter les plus prestigieuses métropoles. Les promotions à ces dernières, aux évêchés, voire à la direction des plus célèbres monastères étaient décidées ou à tout le moins surveillées par les autorités, empereur ou patriarche. L’absence très fréquente de patronymes rend difficile l’appréciation de la politique de nomination.

  • 65 Théophane Continué, p. 426.
  • 66 Karpozèlos, Mauropous, p. 27-28.
  • 67 Toutes références dans Darrouzès, Tornikès, introduction p. 26-28.
  • 68 Supra, p. 262.
  • 69 Browning, Patriarcal School, p. 19.
  • 70 Lake, Manuscripts V, n° 192. La date est confirmée par la référence à l’empereur régnant, Isaac An (...)
  • 71 Cd. F. d. n° 217, n. 1.

35S’il est clair que l’obtention d’une métropole constituait la plupart du temps la récompense de belles études à Constantinople, ou une mesure d’éloignement dans certains cas, nous nous demandons si le siège épiscopal ne revenait pas à un membre de la famille la plus influente dans la province ou la région. Jean Kourkouas, originaire de Dokeia, fut éduqué par son parent Christophore, métropolite de Gangra65. Michel Radènos, métropolite d’Euchaïta, fut promu syncelle par Romain Argyros parce qu’il lui était apparenté. Jean Mauropous, né probablement en Paphlagonie, avait été élevé dans ses jeunes années par son oncle, métropolite de Claudioupolis et finit sa carrière dans un demi-exil sur le siège d’Euchaïtes66. Au xiie siècle, les exemples semblent se multiplier. Les Tornikioi et les Malakai leurs alliés habitaient l’Hellade (Thèbes et l’Eubée) ; or Euthyme Malakès devint métropolite de Néopatras, Léon Tornikios résida un temps auprès du métropolite Bourtzès à Athènes, et Georges Tornikios faillit accepter le siège de Corinthe67. Basile Chrysobergès était clerc à Smyrne où une branche de sa famille était installée68. À un niveau social à peine plus modeste, Grégoire Pardos, métropolite de Corinthe, était issu d’une lignée bien attestée dans la région69. Léon Gabalas occupait le siège épiscopal de Nymphaion, ville peu éloignée de la Rhodes familiale70, et Léon Chamarètos était, selon nous, évêque en sa cité de Lacédémone71. Ces exemples laissent entrevoir que l’aristocratie, et pas seulement celle des fonctionnaires civils, ne dédaignait pas d’asseoir son ascendant local par l’obtention de dignités ecclésiastiques.

  • 72 Le plus bel exemple est celui des Chôniatai, Michel, métropolite d’Athènes, et Nicétas, son frère (...)
  • 73 Cf. les f. d. n° 11 (Bardas Sklèros), n° 80 (Isaac Comnène), n° 103 (Philarète Bracha- mios), n° 1 (...)
  • 74 Skylitzês Continué, p. 184.

36Les hommes éduqués dans la capitale, qui peuplaient le sommet de la hiérarchie ecclésiastique, partageaient donc les valeurs de la haute fonction publique72et confondaient la prospérité de leurs églises avec la solidité de l’État. Aussi, ils furent bien plus nombreux à servir les autorités qu’à les contester. En province, seule l’Église d’Antioche se distingua pour avoir aidé des rebelles, tous orientaux, à plusieurs reprises73. En période de troubles, devant la défaillance et parfois la complicité des autorités provinciales, ils furent amenés à prendre la tête de leurs cités jusqu’au péril de leur vie. Dès le xie siècle, l’évêque de Sofia, Michel, succomba sous les coups du rebelle Lékas pour avoir maintenu sa fidélité à l’empereur74.

37Au siècle suivant, en Asie Mineure, les évêques des villes révoltées contre Andronic eurent une attitude modératrice, sauf celui de Lopadion. À Nicée le métropolite conseilla la reddition et prit lui-même la tête de la procession qui se rendait au-devant de l’empereur. En 1185, à Thessalonique, le métropolite Eustathe assista aux conseils de guerre lors du siège normand, mais il intervint davantage après la prise de la ville pour atténuer les rigueurs et les excès de l’occupation latine. Il représentait les intérêts de la population auprès du comte Alcuin, plus que l’ancien gouverneur de la ville, David Comnène, qui s’était enfui, ou plus que le prétendant qui accompagnait les Normands, Alexis Comnène.

  • 75 Nicétas Chôniatès, Histoire, p. 422.
  • 76 PG 135, col. 495 sq.
  • 77 Le métropolite avait sans doute apporté son soutien à la tentative d’Alexis Aspiétès de reconstitu (...)

38Quelques années plus tard, Nicolas métropolite de Corinthe, puis le métropolite d’Athènes Michel Chôniatès, s’opposèrent aux entreprises de Léon Sgouros. Le premier y perdit la vie, l’autre réussit à tenir éloigné l’adversaire jusqu’à l’occupation latine. Pourtant la résistance de Michel Chôniatès ne peut pas s’expliquer par la haute opinion qu’il aurait eue de l’administration de sa province sous les Anges. Il est révélateur que le gouverneur de l’Hellade et du Péloponnèse en résidence à Thèbes ne soit point, semble-t-il, intervenu face à Sgouros. Chôniatès ne comptait guère sur son action puisque le métropolite en appelait toujours directement à la capitale. En Asie Mineure, ce fut un prêtre qui mit fin à l’agression du Pseudo-Alexis originaire de Constantinople, qu’il tua. Agit-il par vengeance personnelle ? Nicétas Chôniatès a du moins tenu à préciser la qualité de clerc du meurtrier du rebelle75. En Chypre, en dehors des chroniques occidentales, le témoignage unique de l’ecclésiastique Néophyte le Reclus se montre fort hostile au maître de l’île, Isaac Comnène76. Certes, sans nécessairement réhabiliter Isaac, il faut interpréter prudemment l’image si négative qui nous est suggérée, aussi bien que la sombre description contemporaine de l’Attique par son archevêque. Même après 1204, le métropolite de Philippoupolis paya de sa vie sa résistance à Kalojean de Bulgarie77.

  • 78 Nicétas Chôniatès, Histoire, p. 289. L’évêque fut aveuglé comme rebelle il est vrai qu’il pouvait (...)
  • 79 PG 119, col. 889.

39L’Église ne se montra pas toujours unanime à soutenir l’autorité centrale. En 1182-1183, l’évêque de Lopadion, à la différence de ses collègues de Nicée et de Brousse, prit résolument parti contre Andronic et en subit les conséquences78. Des ecclésiastiques accordèrent leur soutien à des notables coupables d’exactions. Lorsqu’Alexis Kapandritès, notable de Colonée, eut enlevé de vive force et épousé une veuve, l’évêque de Déabolis accepta d’attester que le mariage avait eu lieu sans contrainte79. Il convient donc de faire une distinction entre le comportement du haut clergé éduqué à Constantinople et celui des évêques dirigeant de modestes diocèses, recrutés sur place, peut-être parmi ces familles d’archontes dont notre période voit croître l’influence.

Note

1 À l’apogée des Comnènes, le sébastocrator Isaac, oncle de l’empereur Manuel, conseillait à l’higoumène du monastère qu’il avait fondé, la Kosmosôtira, de traiter avec considération les stratiotes dépendant du couvent, de les inviter à sa table, car ils étaient capables par leur force de repousser les brigands (Kosmosôteira, p. 71).

2 L’inimitié réciproque entre Romain Sklèros et Georges Maniakès dont les propriétés voisinaient dans le thème des Anatoliques, conduisit le premier à ravager la terre du second et à outrager sa femme (Skylitzês, p. 427). L’archonte de Colonée, Alexis Kapandritès, désireux d’épouser la soeur du sébaste Constantin Boïôannès, l’enleva de force, accompagné d’un λαός ένοπλος ούκ όλίγος (PG 119, col. 892).

3 Attaleiates,p. 125.

4 Les mots ont gardé le sens qu’on leur connaît depuis les ve et vie siècles : J. Gascou, L’utilisation des Bucellaires, IFAO 76, p. 143-156.

5 Maléïnos disposait d’atzoupadés (Markopoulos, Vaticanus, § 1, 1. 10). Deux d’entre eux assassinèrent le stratège Diogénès. Sur le sens du mot, N. B. Tomadakis, Προβλήματα της έν Κρήτη άραβοκρατίας (826-961), EEBS 30, 1960/1961, ρ. 7 note 1. Il est probable que le patronyme ’Aτζυποθεόδωρος (du compagnon de Jean Tzimiskès) dérive de atzoupas.

6 Basile le Parakoimomène arme ses 3000 familiers et serviteurs d’épées, de javelots et de boucliers avant de les lancer contre Joseph Bringas (Léon Diacre, p. 46).

7 Attaleiatès, p. 96.

8 Ibid., p. 297.

9 Bryennios, p. 235.

10 Zônaras, p. 628 ; skylitzès, p. 440.

11 Conseils et Récits, p. 256.

12 Bryennios, p. 197.

13 Ces exemples ne se rapportent qu’à des militaires, mais les fonctionnaires civils disposaient d’escortes semblables  : Jean l’Orphanotrophe, en désaccord avec la politique suivie par son neveu Michel V, quitta la capitale accompagné de son οίκεία δορυφορία (Psellos, Chronographie I p. 93).

14 Alexiade I, p. 57, 64.

15 À propos de la querelle opposant Prousianos à Basile Sklèros, W. Seibt (Skleroi, p. 65) admet que des parèques étaient intégrés à la suite des grands propriétaires fonciers. En fait aucun texte ne confirme cette hypothèse.

16 Le futur Basile I, très probablement d’origine paysanne, suivit cette voie avec le succès que l’on sait.

17 Cela rappelle, en Occident, le groupe des dix ou vingt compagnons, instruits en même temps que le guerrier, qui l’accompagnaient ensuite, formant un conroi homogène (Fossier, Enfance de l’Europe, p. 427). Peut-être le groupe byzantin était-il plus divers, par l’âge et le niveau social, puisque les syntrophoi du maître côtoyaient de vieux serviteurs, et les fils de famille, d’anciens esclaves ou prisonniers de guerre (Tatikios, Axouch).

18 Léon Diacre, p. 110. Il portait le titre de patrice, mais avec sa barbe naissante, il n’avait guère plus de seize ans.

19 Skylitzès, p. 469.

20 Léon VI, Taktika IV, 1.

21 Le meilleur exemple vient d’Orient. En 1016, l’ancien émir d’Alep, Mansur ibn Lu’lu, se réfugia dans le duché d’Antioche. Basile II ordonna au catépan d’inscrire sur les rôles militaires, l’émir, ses parents, ainsi que tous ceux de ses ghoulams, compagnons et autres hommes de troupes, qui le voudraient. Furent inscrits sept cents ghoulams, cavaliers et fantassins. Le catépan leur fit toucher des soldes et appointements mensuels sur le trésor de l’empereur. Le procédé est clair : Mansur et ses hommes formèrent désormais une unité de l’armée byzantine (Yahya III, p. 214).

22 Skylitzès, p. 487-488.

23 Vie de Jean Le Miséricordieux, p. 203.

24 Conseils et récits, p. 250.

25 Cf. supra, p. 225.

26 N. Oikonomidès, The donation of castles in the last quarter of the XIth century, Polychronion, Heidelberg 1966, p. 413-417 = Documents et études sur les institutions de Byzance, Variorum reprints, Londres 1976, n° XIV. Le typikon de Pakourianos cite des forteresses soit construites par le grand domestique, soit données par l'empereur (Typikon de Pakourianos, p. 35, 37, 39).

27 Les provinces de Petite Arménie, passées à nouveau, pour un temps, sous la domination byzantine au cours des règnes de Jean II et Manuel Comnène, constituent une exception dans la mesure où, comme en Occident, les villages semblent souvent contrôlés par la forteresse du détenteur de l'autorité locale.

28 Toutes références au chapitre “enracinement provincial de l'aristocratie”.

29 Toutes les références sont précisées dans Falkenhausen, Dominazione, p. 86-90.

30 Nous ne savons rien à propos de cette famille, mais elle est manifestement issue d'un chef arabe passé dans l'Empire.

31 Toutes références dans Laurent, Antioche, p. 229-238. Nous ne prenons pas en compte Léon Phocas mis en place par son père Bardas révolté, car il ne reçut point l'investiture impériale. D'autre part, nous pensons que les gouvernements de Constantin Bourtzès et de Théophylacte Dalassènos furent probablement postérieurs à 1025.

32 À ce dernier thème cependant, une seule famille peut être rattachée.

33 Les motivations de Constantin Monomaque sont clairement exposées par Psellos, qui, étant bien placé pour les connaître, rapporte que l’empereur, après avoir réuni une armée nombreuse contre Maniakès révolté, craignit que “celui qui devait commander cette armée ne vînt, après avoir mis en déroute Maniakès, à utiliser son succès contre lui (l’empereur)...et à s’ériger en rebelle plus redoutable encore que le premier puisqu’il aurait sous ses ordres une armée considérable et qu’il serait du premier coup vainqueur de celui contre qui il avait été envoyé ; l’empereur donna comme chef aux troupes non pas un des guerriers les plus valeureux mais un homme qui lui était tout dévoué, un eunuque qui n’était arrogant absolument avec personne” (Psellos, Chronographie II, p. 4).

34 Mis en difficulté par le Normand Bohémond, Alexis réunit un conseil de guerre comprenant les généraux et ses parents : “l’empereur exposa son plan : celui-ci était de confier l’ensemble des tagmata à ses parents” (Alexiade II, p. 26).

35 La condition d'eunuque est déterminée par une mention explicite dans une source byzantine, ou bien par les charges et dignités réservées aux eunuques, au moins jusqu'à la fin du xie siècle, celles de parakoimomène, koitonite, préposite...

36 Des liens particuliers devaient unir Constantin Dalassènos et Constantin VIII, puisque ce dernier songea à lui laisser l'Empire. Était-ce une parenté méconnue, ou une amitié personnelle, une oikeiôsis ?

37 Rappelons que Romain était, en fait, le frère de la maîtresse de Constantin IX, Marie Sklèraina.

38 Skylitzès, p. 464. Constantin IX avait choisi cet ancien prêtre pour sa fidélité, car il le servait déjà lorsque Monomaque était simple particulier.

39 Ibid., p. 438. D'origine sarrasine, il fut sans doute acquis par Monomaque ou sa famille lorsque ce dernier résidait à Antioche. Il lui témoigna une parfaite fidélité.

40 Ibid., p. 472-473. Commandant les Varanges ( ?), lui-même d'origine étrangère, il collaborait avec Bryennios contre les Petchénègues, car l'empereur ne voulait pas confier toutes les armées au général macédonien.

41 Tout commentaire sur le règne de Constantin Doukas est a priori difficile, car nous ignorons presque complètement quels furent les chefs militaires durant ses sept années de règne, en dehors de quelques stratèges ou ducs de thèmes comptant au nombre des meilleurs généraux de l'époque, Basile Apokapès, Théodore Dalassènos, Pankratios... Peut-être Romain Sklèros futil domestique des Scholes d'Occident sous son règne.

42 Skylitzès Continué, p. 134.

43 Une proche parenté unissait les empereurs Constantin Doukas et Isaac Comnène dès 1057, Attaleiatès, p. 56.

44 La nièce d'Alexis Comnène épousa le petit-fils de Nicéphore III Botaneiatès, Alexiade I, p. 75.

45 Cf. f. d. n° 105.

46 En accord avec son frère l’orphanotrophe Jean, il éloigna les généraux les plus en vue, même au prix de l’efficacité militaire. Georges Maniakès, pourtant surveillé par le beau-frère de Michel IV, fut rappelé de Sicile, en dépit ou à cause de ses victoires, pour être emprisonné à Constantinople en compagnie de Basile Théodôrokanos, le futur vainqueur des Russes en 1043 (Skylitzès, p. 406). Basile Synadènos, sur un simple soupçon, fut rappelé de Dyrrachion et enfermé à Thessalonique (ibid., p. 410). Les Dalassènoi furent eux aussi détenus dans la capitale (ibid., p. 396).

47 Deux exceptions notables  : Philarète Brachamios et Basile Apokapès, rebelles réfugiés dans leurs montagnes du Taurus.

48 Infra, p. 350.

49 G. A. Rhallès M. Potlès, Σύνταγμα τών θείων και ίερών κανόνων II, Athènes 1852-1859, ρ. 108-109.

50 Zépos, Jus I, ρ. 273-274.

51 Skylitzès, ρ. 285-286.

52 Léon Diacre, p. 101-102. Sur les rapports entre l’Empire et le Sacerdoce, voir en dernier lieu, A. Schminck, “Rota tu Volubilis”. Kaisermacht und Patriarchenmacht in Mosa’iken, Cupido Legum, Francfort 1985, p.- 211-234.

53 Darrouzès, Épistoliers, p. 209.

54 Ibid., p. 344-346.

55 Alexiade I, p. 109.

56 Avant même que le patriarche ait pu songer à une intervention politique, les scrupules qu’il aurait éprouvés à couronner Michel IV, meurtrier de Romain III, furent étouffés par le versement de cinquante livres d’or : Skylitzès, p. 391.

57 Ibid., p. 418 ; Matthieu D’Edesse, trad. Dostourian, p. 104, affirme que le patriarche fut emprisonné. Un écho de cette tradition se retrouve dans Ibn Al-Athir, (cité par Vryonis, Guilds, p. 306), qui ajoute que le patriarche, une fois libéré, mena le peuple contre Michel V fait que les sources byzantines ne confirment pas. Au contraire, une Chronique brève (Kleinchroniken, n° 16 § 12) affirme qu’au cours du soulèvement contre Michel V, la foule hua le patriarche et le menaça de mort s’il ne consentait pas à couronner Théodôra, ce qu’il fit.

58 Psellos, MB IV, p. 322. Pour un portrait de Cérulaire, L. Bréhier, Le schisme oriental du xie siècle, Paris 1899, p. 52-80.

59 Cf. f. d. n° 73.

60 Psellos, Scripta Minora I, p. 284.

61 Ibid., p. 314.

62 Skylitzès Continué, p. 105. Tout aussi inhabituelle est l’effigie représentée sur son sceau de patriarche, postérieur à 1054. Au lieu de la Vierge, Cérulaire fit frapper au droit du sceau saint Michel revêtu d’une cotte de maille, type iconographique fort rare  : Laurent, Église, n° 16. Cette accusation de Psellos n’est pas seulement polémique, car Attaleiatès (p. 58) partageait son avis.

63 Psellos (Chronographie II, p. 88) : “le patriarche en effet avait alors une très grande puissance... et il donnerait aux usurpateurs (τυραννεύσαντες) une aide formidable, si l’empereur ne commençait par se l’attacher de la façon la plus étroite”.

64 Mésaritès, Palastrevolution, p. 23.

65 Théophane Continué, p. 426.

66 Karpozèlos, Mauropous, p. 27-28.

67 Toutes références dans Darrouzès, Tornikès, introduction p. 26-28.

68 Supra, p. 262.

69 Browning, Patriarcal School, p. 19.

70 Lake, Manuscripts V, n° 192. La date est confirmée par la référence à l’empereur régnant, Isaac Ange.

71 Cd. F. d. n° 217, n. 1.

72 Le plus bel exemple est celui des Chôniatai, Michel, métropolite d’Athènes, et Nicétas, son frère le chroniqueur, brillant administrateur impérial durant vingt ans.

73 Cf. les f. d. n° 11 (Bardas Sklèros), n° 80 (Isaac Comnène), n° 103 (Philarète Bracha- mios), n° 105 (Nicéphore Botaneiatès).

74 Skylitzês Continué, p. 184.

75 Nicétas Chôniatès, Histoire, p. 422.

76 PG 135, col. 495 sq.

77 Le métropolite avait sans doute apporté son soutien à la tentative d’Alexis Aspiétès de reconstituer en Thrace un État byzantin.

78 Nicétas Chôniatès, Histoire, p. 289. L’évêque fut aveuglé comme rebelle il est vrai qu’il pouvait se prévaloir de défendre les droits d’Alexis II, supérieurs à ceux d’Andronic I.

79 PG 119, col. 889.

Indice delle illustrazioni

Titolo Duché de Thessalonique
Legenda Note28
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/3856/img-1.jpg
File image/jpeg, 230k
Titolo Catépanat d’Italie29
Legenda Note30
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/3856/img-2.jpg
File image/jpeg, 198k
Titolo Duché d’Antioche31
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/3856/img-3.jpg
File image/jpeg, 193k
Legenda Note35Note36Note37Note38Note39Note40
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/3856/img-4.jpg
File image/jpeg, 567k
Legenda Note41Note42Note43Note44Note45
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/3856/img-5.jpg
File image/jpeg, 448k

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