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Recherche et développement régional

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Jeanine Cohen
, 
Douglas Hart
, 
James Simmie

Deuxième partie : L'État et le Marché : branches et firmes de haute technologie

Firmes, emploi de R&D et régions, dans la compétition : le cas d'une multinationale française

Jeanine Cohen

Texte intégral

1L'économie mondiale traverse actuellement de grandes turbulences, vécues par la plupart des personnes et des populations comme une crise longue et profonde, mais également porteuse d'importants effets de modernisation et de diffusion des innovations. Les questions des comportements des entreprises vis-à-vis des régions, de la polarisation du développement économique et de son rapport aux progrès technologiques, avec en filigrane la dualisation de la société et la nécessité d'une sortie de crise, sont posées avec force. A travers l’étude de ses emplois dans les régions, on voudrait ici dégager le rôle particulier, notamment dans le domaine de la Recherche-Développement, qu’a joué la grande entreprise dans l'évolution du développement régional en France. L’approche des nouvelles contraintes auxquelles les dynamiques actuelles d'internationalisation la confrontent sera faite par l'étude du cas d'une multinationale d'origine française intervenant dans les systèmes de communication, Alcatel NV.

Les régions françaises : développement, emplois et entreprises

La notion de « développement » régional et l'emploi

2On aimerait d'abord revenir très brièvement sur les fondements de l'utilisation quasi générale des notions de « développement » et de « régions » dans la présentation actuelle des questionnements sur le devenir des populations prises dans leur cadre géographique d'implantation, ainsi que sur les raisons de s'intéresser à l'emploi et à l'entreprise pour aborder ces questions.

3°Pour que les êtres humains et les groupes qu'ils forment puissent vivre, il leur faut disposer de ressources puisées dans le milieu environnant. Le rendement des dépenses d'énergie engagées pour ce faire sera d'autant plus élevé que l'on pourra maîtriser l'organisation du traitement et de la reproduction de ces ressources, ce qui revient à l'établissement d'un système spatialisé.

  • Toutefois cet ancrage territorial n'est jamais total ni définitif :

    • des éléments du groupe peuvent être attirés par des systèmes voisins, soit que ceux-ci conviennent mieux à leurs besoins ou aspirations et les captent (migration définitive par exemple), soit qu'ils permettent d'établir le branchement des uns aux autres (migration temporaire ou de type colonial par exemple).

    • le système existant ne peut pratiquement jamais être hermétiquement clos (ne serait-ce que parce que, fort heureusement, les individus qui le composent ne peuvent jamais être complètement privés de liberté), et d'ailleurs, ce ne serait évidemment pas souhaitable, car porteur de phénomènes de dégénérescence. Puisqu'il faut, à ce système aussi, des échanges avec le milieu environnant, il ne peut se maintenir à l'identique indéfiniment, car il est tributaire des modifications qui affectent ce milieu, auxquelles il faut bien qu’il s'adapte, faute de quoi il devient caduc.

  • De sorte que l'existence d'une population sur un lieu donné paraît bien subordonnée à sa capacité à s'adapter au changement et à la concurrence du voisinage. D’où l'utilisation générale du terme « développement » qui suggère le progrès et l'élévation des rendements et des richesses produites. Le terme n'est pas mauvais, car il est bien vrai que l'adoption par une population d'innovations permettant son adaptation à la nouvelle donne par cette augmentation de production améliore souvent son mode de vie. On ne doit toutefois pas oublier que cette adaptation n'est pas toujours voulue, mais qu'elle est, au contraire, souvent subie, et que l'examen de ses résultats est souvent contrasté.

  • C’est par le travail que l'on met en oeuvre l'énergie nécessaire à construire et à faire fonctionner un système spatialisé. Historiquement, la nécessité de coopérations et d'une certaine division du travail a amené l'organisation de ce travail au sein de l'entreprise. Dans une société où existe théoriquement la liberté d'échange, le travail s'échange lui aussi sur un marché (voir par exemple Jayet, 1993). En France, l'emploi salarié est devenu peu à peu la principale ressource d'un nombre croissant de personnes, à tel point qu'entre 1954 et 1974, l'emploi intérieur non salarié (incluant notamment l’emploi agricole) est tombé de 1/3 à l/6e de l'emploi intérieur total (Collet, 1984).

4Si à partir de 1978, l'emploi non salarié a de nouveau très légèrement progressé, cela a été surtout dû aux contre-coups des suppressions massives d'emplois salariés opérées par les responsables d'entreprises et à l'augmentation du chômage, qui ont poussé un nombre croissant de personnes à créer elles-mêmes leur emploi. Mais ces initiatives se sont révélées très risquées, se soldant par beaucoup de défaillances, surtout parmi les plus petites créations. Elles n'ont de toutes façons pas remis en cause la forme « entreprise », au contraire elles l'ont consacrée. Enfin elles se sont portées davantage sur les services que sur l'industrie, où, malgré leur développement récent, surtout dans le Bâtiment, la grande entreprise reste dominante.

Types de capitaux des entreprises et régions

5On a vu s'affirmer encore la distinction qui s'imposait de plus en plus dans la phase de concentrations des années 1970 entre groupes et entreprises isolées, généralement de moindre taille (et pour cette raison dénommées « P.M.E. », Petites et Moyennes Entreprises). Même si les plus petites, qui sont difficiles à saisir par la statistique en raison même de leur faible visibilité et de leur forte volatilité, sont relativement plus créatives actuellement, dès que l'on dépasse un seuil modeste, le bilan est moins défavorable aux groupes. Ainsi, en ayant fusionné les données sur les liaisons financières des entreprises avec les données des enquêtes sur la structure des emplois (« E.S.E. ») dont on dispose et qui se cantonnent aux établissements de 20 salariés au minimum, on constate qu'entre 1985 et 1990, la part des groupes dans l'emploi total a légèrement augmenté : de 47,4 % à 48,6 %. Sur fond de pertes d'emplois très générales, les P.M.E. ont globalement perdu davantage d'emplois que les groupes.

6En 1990, la région où la présence des groupes se fait de loin le plus sentir est l'Ile-de-France (carte 1, en fin de chapitre). Dans son prolongement, la Haute-Normandie au nord et la Bourgogne (puis l'Auvergne, siège d'un groupe de taille mondiale) au sud restent sensiblement au-dessus de la moyenne, moins cependant que la Lorraine, mais un peu plus que le Nord. D’ailleurs, c'est tout le secteur situé au nord-est de la ligne brisée Le Havre-Clermont-Ferrand-Genève qui demeure sensiblement plus marqué par la présence des groupes que le reste de la France (et, réciproquement, moins marqué par la présence des P.M.E.). Situation qui rappelle que c'est cette partie de la France qui, historiquement, a été la première à connaître l'émergence et le triomphe de l'industrialisation.

7Mais cette relative homogénéité de la France du Nord-Est recouvre des modifications diverses (carte 5) :

  • un recul léger du poids relatif des groupes dans l'emploi régional en Haute-Normandie et en Champagne-Ardennes (dû essentiellement aux pertes du secteur public), ainsi que dans le Nord, où il est dû non seulement aux pertes du secteur public, mais également à celles des groupes privés anciennement implantés dans la région ;

  • un recul fort en Franche-Comté, dû au secteur privé ;

  • une avancée légère du poids relatif des groupes dans l'emploi régional en Lorraine, où les pertes des P.M.E. ont été plus fortes encore que celles des groupes pris dans leur ensemble.

  • une avancée plus affirmée de ce poids relatif des groupes en Ile-de-France, en Bourgogne, en Auvergne (où le poids absolu des groupes n'a lui-même pas diminué) et encore plus en Alsace, même si ce poids relatif y reste encore légèrement inférieur à la moyenne française.

8Des différences très sensibles existent en outre entre la géographie des groupes publics, privés français et étrangers. Toujours en se référant à l’indicateur du poids relatif des effectifs de ces groupes dans l'emploi total de chaque région, on peut faire les constatations suivantes à l'orée des années 90 :

  • Les groupes du secteur public (industriel et commercial) privilégient la Seine-aval (Ile-de-France, Haute-Normandie) et le Sud, mais davantage la région Rhône-Alpes que la Provence (carte 2).

  • Les groupes privés français ont une présence relative plus marquée qu'ailleurs dans le centre et surtout le nord de la France : Franche-Comté, Auvergne, Bretagne, Lorraine, Nord, Champagne-Ardennes, Bourgogne, Alsace, Basse-Normandie et Poitou-Charentes (carte 3).

  • Les groupes étrangers s'intéressent toujours prioritairement à Paris et à ses environs (Ile-de-France, Picardie, Haute-Normandie, Centre, Bourgogne et Champagne-Ardennes). La seule autre région qui atteint un taux de présence comparable est l'Alsace (carte 4).

9Mais, là aussi, il y a eu des changements depuis 1985 (cartes 5 à 8). L'un des plus visibles est précisément l'émergence de l'Alsace comme terre d'accueil des entreprises étrangères, ainsi que du Nord, de la Lorraine, de la Franche-Comté et de la région Rhône-Alpes (sans que ces quatre dernières régions dépassent encore la moyenne nationale de présence étrangère). L'autre changement majeur concerne les groupes publics qui s'engagent désormais davantage dans le sud-ouest et moins que par le passé dans le Nord et la Lorraine, régions minières traditionnelles en perte de vitesse pour cette activité.

Les structures régionales d'emploi des groupes et la Recherche-Développement

10Dans leur ensemble, les groupes se distinguent des P.M.E. en ce qu'ils ont proportionnellement davantage qu'elles d’emplois de cadres et de techniciens (en termes de qualifications) et davantage d'emplois affectés aux préoccupations commerciales et à la recherche-conception. Etant donné que le poids d'ensemble de la fonction de service au sein des P.M.E. occulte la spécialisation de certaines d'entre elles dans la fabrication, cette dernière fonction apparaît également comme plus fortement représentée dans les groupes. Outre la fonction de service, les P.M.E. se font remarquer par des effectifs beaucoup plus féminins, avec beaucoup plus d' « employés » que la moyenne.

11Dans le détail, ce sont les groupes publics qui se signalent par les fonctions d'administration-gestion et de recherche-conception, tandis que les groupes privés français et les étrangers se spécialisent dans le commercial et la fabrication. Seuls les groupes étrangers et publics ont plus de cadres et de techniciens que la moyenne, tandis que les groupes privés français, dont le profil de qualification est très voisin du profil moyen français, en ont un peu moins (tableau 1, en fin de texte).

12Les groupes publics, qui promeuvent ainsi l'emploi de conception en France, le localisent de manière plus concentrée qu'ailleurs en Ile-de-France, puis aux frontières sud-est, sud-ouest et dans le nord-ouest de « l'Hexagone » (cartes 9a et 9b). En Ile-de-France, ces emplois atteignent 12 % de l'effectif régional, soit un taux une fois et demie supérieur à la moyenne nationale des groupes publics, elle-même double de la moyenne générale de 4 % d'emplois réservés à la conception dans l'ensemble des entreprises en France, tous types de capitaux confondus. Régions beaucoup moins denses toutefois, Midi-Pyrénées et Aquitaine ont des taux à peine moins élevés que l'Ile-de-France. Provence-Alpes-Côte d'Azur, Rhône-Alpes, puis Franche-Comté à l'est, Normandies et Bretagne au nord-ouest suivent. On a ainsi une localisation assez bien répartie des emplois de conception du secteur public, si ce n'est les dépressions du nord-est (surtout Champagne-Ardennes et Picardie) et du centre-ouest (Auvergne, Limousin, Poitou-Charentes). Mais, si l'on trouve un peu partout des contingents rattachés aux branches des grands services publics, telles que la production-distribution d'électricité ou le transport ferroviaire, ils ne pèsent que peu face à ceux des industries électronique, aéronautique, automobile, du Bâtiment ou des services d'étude-conseil-assistance ou de recherche qui sont, eux, beaucoup plus inégalement répartis. Par exemple, après l'Ile-de-France qui a près de 11000 emplois de conception dans l'électronique, vient la Bretagne qui a cette mono-spécialisation avec moins de 1400 emplois, la région suivante, Midi-Pyrénées, tombant à 800. Dans les services d'étude-conseil-assistance, seules l'Ile-de-France (2700 emplois de conception) et Rhône-Alpes (900) semblent convenablement proportionnées, aucune autre ne dépasse les 320, ni même les 200 si l'on excepte la Provence.

13Dans les groupes étrangers (cartes 10a et 10b), la part de l'emploi de conception n'a pas grande signification, étant donné la modestie de ses effectifs. On relèvera toutefois l'opposition entre la carte des effectifs en valeurs absolues, ceux-ci respectant à leur manière la trame hiérarchique habituelle (région parisienne étendue aux régions voisines, région lyonnaise et provençale, région toulousaine), et la carte des taux que ces effectifs occupés à la conception représentent dans l'effectif total des groupes étrangers : là, le Limousin (mais avec moins de 400 emplois...) et la région toulousaine « Midi-Pyrénées » arrivent en tête, suivies des régions lyonnaise « Rhône-Alpes » et bourguignonne. Ces inversions évoquent un phénomène jeune encore : ce n'est qu'après un temps d'acclimatation parisienne, établie sur une base moins qualifiée que celle des groupes français (du moins les publics), moins tournée vers la recherche-conception et plus strictement vers le commercial, que les groupes étrangers semblent avoir aperçu les potentialités de régions comme Rhône-Alpes ou Midi-Pyrénées...et pourquoi pas leurs voisines, Limousin, Provence (connue l'une des premières, à vrai dire), Bourgogne...ainsi que les voisines de l'Ile-de-France : Centre, Haute-Normandie, Picardie. Il est probable que les nouvelles possibilités d'action régionale et locale, mises en place en 1982-84 à la faveur des lois de décentralisation administrative, ont aidé à attirer ces nouveaux emplois, de même qu'à promouvoir une réelle augmentation de la qualification de la population (même si elle reste en de nombreux cas insuffisante ou mal ciblée).

14Avec des effectifs bien supérieurs en valeurs absolues, les groupes privés français n'ont, en proportion (carte 11), guère plus d'emplois de conception que les étrangers, mais, bien que très aplatie, la hiérarchie habituelle des régions est respectée, avec une Ile-de-France qui précède de peu les régions Rhône-Alpes et Midi-Pyrénées. Ces emplois sont surtout fournis par les services d'étude-conseil-assistance (rendus principalement aux entreprises), le Bâtiment et plusieurs industries : automobile, électronique, aéronautique pour l'Ile-de-France, électrique et mécanique pour Rhône-Alpes, aéronautique pour Midi-Pyrénées. En outre, deux régions de moindre envergure générale, mais comportant chacune une très grande entreprise d’implantation régionale ancienne, émergent nettement (la Franche-Comté avec Peugeot et l'Auvergne avec Michelin).

Turbulences récentes et actuelles : les défis et problèmes

15A la période euphorique des « trente glorieuses » où la grande entreprise a étendu son déploiement sur le territoire français, a succédé une période de désengagement et de restructurations, génératrices de suppressions massives d'emplois, qui a davantage mis l’accent sur les initiatives des entreprises plus petites. Mais la grande entreprise reste l’acteur dominant, dont les à-coups retentissent fortement sur tout l'environnement, et, actuellement, confrontée aux grands défis mondiaux et aux logiques commerciales et financières, elle a bien du mal à jouer son rôle dans le développement des régions.

Les contraintes de la grande entreprise internationalisée : le cas d'une firme d'origine française

Une forte implication dans la Recherche-Développement

16Comme on l'a remarqué précédemment, en termes d'emplois, le secteur public industriel français, qui est très impliqué dans la recherche, le doit en grande partie aux groupes industriels nationalisés en 1982 et pas encore privatisés en 1987. Cette implication est un des impératifs de la concurrence internationale des grandes firmes, qui se sont lancées dans la course au progrès technologique pour conquérir des parts de marché, ou du moins pour ne pas en perdre. Dans cette dynamique interactive, ces grandes firmes se trouvent confrontées à de nouvelles contraintes et doivent opérer des arbitrages dont les conséquences se font sentir dans les régions.

17On peut prendre la mesure de ces nouvelles dynamiques à travers le cas des modifications du rapport au territoire français d'un grand groupe de la téléphonie qui en est originaire, mais qui s’internationalise de plus en plus, Alcatel NV.

18En 1990, mis à part les établissements G.S.T., généralement plus petits que la moyenne, plus répartis sur le territoire national et plus occupés à la fabrication, les nombreux établissements du groupe sont à forte dominante de conception : 10 des 12 établissements C.I.T., 3 sur 6 des Télic, les 2 Alcatel-Espace, les 2 Alcatel-Transmissions par Faisceaux Hertziens et 24 des 35 établissements Opus-Alcatel ont au moins 25 % (et jusqu'à 66 %) de leurs emplois affectés à la conception.

19En 1991, Alcatel NV a consacré 9,2 % de son chiffre d'affaires à la Recherche-Développement, ce qui est très important (12 % si l'on y ajoute l'ingénierie). Le groupe a été le premier à proposer un réseau A.T.M. (Asynchronous Transfer Mode) opérationnel. Il a pu présenter en 1991 le nouveau système Alcatel 1000 qui assure la continuité des deux systèmes E10 et S12 hérités d'Alcatel et d'I.T.T. dans leur évolution vers un système unique de commutation à large bande. Ce système permet la mise en oeuvre de produits et services variés : téléphonie mais aussi visiophonie, transmission rapide de données, télévision haute définition. Le lancement de ce système « nécessite annuellement près de 4 milliards de francs de R et D sur une période de 5 ans » (Anon., Eurostaf 1992). Le groupe a devancé ses concurrents en Allemagne et en France dans la réalisation et les essais de son radiotéléphone digital portable, utilisant les centraux de la prochaine génération et le standard européen de transmission G.S.M., dont la commercialisation des services a débuté en 1992. Ce domaine de la Recherche, du Développement et de l'ingénierie ne peut s'appuyer que sur une mobilisation pluri-nationale : par exemple, pour le projet S12, il fallait 8000 ingénieurs ; on les a donc recrutés en Allemagne, en Belgique, en Espagne, en Italie... ; pour le projet P.A.B.X. (autocommutateurs privés), le recrutement s'est fait en France et en Allemagne, de même que pour le projet G.S.M., pris en charge par Alcatel Radio-Téléphone et Standard Electric Lorenz.

L'internationalisation et les contraintes actuelles du marché

20La course au développement technologique est étroitement liée à la lutte pour les marchés.

  • Opérant dans les systèmes de communication, la firme est naturellement amenée à s'orienter vers les marchés qui s'ouvrent à l'équipement ou à la modernisation, en y proposant les technologies les plus performantes, ce qui la conduit à opérer dans le monde entier : en 1991, 68 % de ses ventes ont été réalisées hors de France, principalement en Europe de l'ouest ; elle a cherché également à développer ses activités en Amérique du Nord et en Asie du Sud-Est.

  • En outre, face au ralentissement économique et notamment à la baisse des prix, l'augmentation de ses parts de marché est devenue non plus seulement un objectif souhaitable, mais véritablement un impératif vital, auquel le groupe peut satisfaire non seulement en étant le meilleur pour remporter les commandes, mais également en procédant à des acquisitions. Toutefois, si le but recherché est d'acheter des parts de marché, le résultat constaté est souvent loin d'atteindre la somme des parts précédentes des nouveaux partenaires. C'est ainsi par exemple que l'acquisition de Telettra, qui était la filiale téléphonique de FIAT et détenait 40 % des marchés italien et espagnol, n'a guère permis à Alcatel, qui en détenait respectivement 4 % et 40 %, de décoller vraiment des 40 %, ce qui suggèrerait que le public (ou tel autre acteur influent : compétiteur, Etat...) rétablit de lui-même une certaine concurrence.

21En revanche, par les acquisitions, le groupe hérite d'un nombre d'usines dont il n’a pas besoin et qu'il est obligé de diminuer, ce qui est d'ailleurs un problème général que connaissent également les firmes concurrentes. En effet, dans la période récente et actuelle, le coût de l'équipement matériel (le hardware) nécessaire à chaque produit sortant de ses usines peut être divisé par deux tous les 5 ans. Ceci résulte de deux raisons technologiques : les progrès des puces, qui quadruplent en capacité tous les deux ans, et les progrès des logiciels (le software) qui remplacent une partie du hardware. De ce fait, la compétition devient très âpre et coûteuse. Les solutions pour y résister sont soit de combiner des usines, lorsqu'elles ont une production égale ou similaire, ce qui permet de diminuer considérablement le coût de chaque unité produite, soit de les spécialiser. Chacune ne fabriquera plus alors qu'une gamme de produits, et l'on pourra diminuer de beaucoup le personnel, y compris le nombre des cadres et ingénieurs. Une usine-pilote suffira à entraîner plusieurs usines spécialisées.

22Si en 1987 le groupe avait environ 140 usines, il n'en a plus que de l'ordre de 100 en 1993, et l’on devrait aller vers 80.

Le choix des localisations

23La question de la localisation des établissements relève en fait de critères dont certains sont strictement commerciaux, et d'autres davantage politiques, liés aux stratégies d'acteurs territoriaux.

24Parmi les premiers, on classera :

  • pour les productions non complexes, le coût des salaires, qui actuellement pousse à les localiser en Extrême-Orient ;

  • et pour les productions complexes : la localisation des marchés, la rentabilité et la compétence. Ainsi, pour les autocommutateurs privés P.A.B.X., on tiendra compte que 50 % de la clientèle est en France. Dans certains cas, on continuera à produire dans une usine sous-critique si l'ensemble des affaires traitées avec un Etat est bon. Enfin, dans le registre de la compétence, il arrive qu'on trouve profit à localiser à proximité l'une de l'autre la conception-ingénierie et la fabrication. Ce dernier critère joue en faveur des pays industriels.

25Parmi les seconds, c'est-à-dire les critères plus politiques, on admet que les besoins de localisation de l'entreprise ne portent pas, généralement, sur tel lieu particulier. Ils s’expriment presque dans chaque cas en un certain profil pour lequel beaucoup de lieux géographiques conviendraient. Mais le choix de l'implantation est alors souvent guidé par les sollicitations d'intérêt local que présentent les partenaires dans les négociations d'affaires. C'est ainsi par exemple que pour bénéficier des appels d'offres du C.N.E.T. (Centre National d'Etudes des Télécommunications) à la fin des années 60, Alcatel comme les autres constructeurs de la téléphonie avait été entraîné à s'installer en Bretagne, dans le Trégor, auprès du nouveau centre de recherche du C.N.E.T. installé là en appui à la nouvelle station de réception des images de télévision par satellite. Le rôle du directeur du C.N.E.T. de cette époque, Pierre Marzin, originaire de Lannion, avait été décisif dans le choix de ces deux implantations de service public, autour desquelles vinrent ainsi s'installer les industriels. Plus la firme se déploie, et plus elle doit aller au-devant de souhaits ou conseils de cet ordre : tel Ministre jouera ainsi les bienfaiteurs du territoire dont il défend plus particulièrement les couleurs (en tant que député ou maire), par exemple.

26Par ailleurs, les logiques commerciales poussent aussi à certains choix de localisation. Pour être près du client, on pourra être amenés à installer plusieurs sièges (à Paris, à Berlin...). La firme aimerait aussi installer des boutiques, mais en France il n'y a pas encore de concurrence possible avec France-Télécom qui est son client privilégié ; en Belgique, il commence à être possible de faire de la publicité.

Conclusion

27On le voit, une firme de l'envergure d'Alcatel NV, leader mondial dans les systèmes de communication, qui par surcroît intervient sur la nouvelle configuration des réseaux et les nouvelles façons de communiquer et de travailler, joue un rôle d'amont très important dans les restructurations actuelles de l'emploi. Cherchant à se déployer à l'échelle mondiale, elle a déjà consolidé une réelle présence européenne, assise sur des alliances et accords avec des entreprises ou des Etats de plusieurs pays. Cela lui impose de repenser son dispositif géographique. L'alliance avec S.E.L. (Standard Electric Lorenz) donne à l'Allemagne un poids très important, l'opération Telettra a élargi plus récemment ce dispositif à l'Italie et l'Espagne ; la Belgique, le Royaume-Uni et la Suisse comptent aussi. Dans tous ces pays, comme en France, le dispositif tend à se rationaliser en réseaux d'usines-pilotes et d'usines associées, et la concurrence se fait plutôt désormais entre régions qu’entre pays : par exemple, entre Brest, Strasbourg-Illkirch et Gunzenhausen pour Alcatel Business Systems. En outre, pour les produits simples, certains pays européens commencent à accepter qu’ils soient fabriqués ailleurs que chez eux si c’est au sein de la Communauté européenne. Alcatel NV est désormais une entreprise européenne qui intervient dans le monde. On y parle anglais, on y compte en ECU.

28Comme pour cette firme, les grandes multinationales sont en pleine transformation de leur dispositif géographique, poursuivant leur déploiement et repensant leurs rapports aux différents territoires. Ces dynamiques sont principalement impulsées par des considérations financières, qui les conduisent à mener des stratégies commerciales s’appuyant sur une intense activité de Recherche-Développement. Sur le territoire national de la France qui est pris en compte ici, ce sont surtout de grands groupes d'origine nationale qui tirent l’emploi de recherche. Mais pour plusieurs d'entre eux, leur statut certainement assez particulier de « multinationale nationalisée », ajouté aux récents retournements électoraux et gouvernementaux, amène à se poser quelques questions : jusqu’à quel point les privatisations ou re-privatisations s'étendront-elles ? seront-elles des succès, des échecs ? et surtout quels changements s'ensuivront pour l'état de santé des entreprises et de l'emploi dans les régions ? Car en effet, l'universalisation et la modernisation ne sont que le versant bénéfique de la véritable guerre économique qui caractérise cette fin de siècle, et les effets catastrophiques qu'elle engendre, particulièrement le chômage et le déclassement, mériteraient d'être traités, dans le cadre d'un nouveau type d'agrément ou de régulation qui dégagerait de réelles possibilités de développement régional, alors que dans la période actuelle ce ne sont plus les grandes entreprises qui peuvent jouer ce rôle (au contraire, souvent, puisque les principales suppressions d'emplois sont leur fait). Autrement dit, il ne faudrait pas seulement que les technopoles soient des pôles, de plus en plus sélectifs et exposés, mais que leurs capacités de diffuser l'innovation puisse s'exercer dans un cadre apaisé et élargi, grâce à l'organisation plus forte et efficace des soutiens et coopérations régionales.

TRAVAUX CITÉS :

tableau 1. Structures d'emploi des différents types d'entreprises (selon les capitaux), 31 décembre 1989.

cartes :

0.

Régions de programme.

1

Présence régionale des groupes (en % des effectifs totaux, i.e. tous groupes et P.M.E.), 31 décembre 1989.

2.

Présence régionale des groupes publics (en % des effectifs totaux, i.e. tous groupes et P.M.E.), 31 décembre 1989.

3

Présence régionale des groupes privés français (en % des effectifs totaux, i.e. tous groupes et P.M.E.), 31 décembre 1989.

4

Présence régionale des groupes étrangers (en % des effectifs totaux, i.e. tous groupes et P.M.E.), 31 décembre 1989.

5

Présence régionale des groupes (en % des effectifs totaux, i.e. tous groupes et P.M.E.), 31 mars 1985.

6

Présence régionale des groupes publics (en % des effectifs totaux, i.e. tous groupes et P.M.E.), 31 mars 1985.

7

Présence régionale des groupes privés français (en % des effectifs totaux, i.e. tous groupes et P.M.E.), 31 mars 1985.

8

Présence régionale des groupes étrangers (en % des effectifs totaux, i.e. tous groupes et P.M.E.), 31 mars 1985.

9a

Part des emplois de conception (R-D) dans les effectifs régionaux des groupes publics, 31 décembre 1989.

9b

Effectifs régionaux de conception (R-D) des groupes publics, 31 décembre 1989.

10a

Part des emplois de conception (R-D) dans les effectifs régionaux des groupes étrangers, 31 décembre 1989.

10b.

Effectifs régionaux de conception (R-D) des groupes étrangers, 31 décembre 1989.

11.

Part des emplois de conception (R-D) dans les effectifs régionaux des groupes privés français, 31 décembre 1989.

tableau 1. Structures d'emploi des différents types d'entreprises (selon les capitaux)

tableau 1. Structures d'emploi des différents types d'entreprises (selon les capitaux)

carte 0. Régions de programme

carte 0. Régions de programme

carte 1. Présence régionale des groupes, décembre 1989

carte 1. Présence régionale des groupes, décembre 1989

carte 2. Présence régionale des groupes publics, décembre 1989

carte 2. Présence régionale des groupes publics, décembre 1989

carte 3. Présence régionale des groupes privés français, décembre 1989

carte 3. Présence régionale des groupes privés français, décembre 1989

carte 4. Présence régionale des groupes étrangers, décembre 1989

carte 4. Présence régionale des groupes étrangers, décembre 1989

carte 5. Présence régionale des groupes, mars 1985

carte 5. Présence régionale des groupes, mars 1985

carte 6. Présence régionale des groupes publics, mars 1985

carte 6. Présence régionale des groupes publics, mars 1985

carte 7. Présence régionale des groupes privés français, mars 1985

carte 7. Présence régionale des groupes privés français, mars 1985

carte 8. Présence régionale des groupes étrangers, mars 1985

carte 8. Présence régionale des groupes étrangers, mars 1985

carte 11. Part des emplois de conception (R-D) dans les effectifs répionaux des groupes privés français, décembre 1989

carte 11. Part des emplois de conception (R-D) dans les effectifs répionaux des groupes privés français, décembre 1989

carte 9a. Part des emplois de conception (R-D) dans les effectifs régionaux des groupes publics, décembre 1989

carte 9a. Part des emplois de conception (R-D) dans les effectifs régionaux des groupes publics, décembre 1989

carte 9b. Effectifs régionaux de conception (R-D) des groupes publics. décembre 1989

carte 9b. Effectifs régionaux de conception (R-D) des groupes publics. décembre 1989

carte 10a. Part des emplois de conception (R-D) dans les effectifs régionaux des groupes étrangers, décembre 1989

carte 10a. Part des emplois de conception (R-D) dans les effectifs régionaux des groupes étrangers, décembre 1989

carte 10b. Effectifs régionaux de conception (R-D) des groupes étrangers, décembre 1989

carte 10b. Effectifs régionaux de conception (R-D) des groupes étrangers, décembre 1989

Bibliographie

Anon., 1992, Alcatel NV, Eurostaf, Collection Analyses de Groupes.

Collet J-Y., 1984, Un facteur de production : le travail, Paris, INSEE, Collections, C-119.

Jayet H., 1993, territoires et concurrence territoriale, Revue d'Economie Régionale et Urbaine 1-1993 pp. 55-75.

TABLEAU ET CARTES :

Source : E.S.E.
j.cohen - C.N.R.S. UP1 G.S.P.-STRATES.

INSEE

Table des illustrations

Titre tableau 1. Structures d'emploi des différents types d'entreprises (selon les capitaux)
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Titre carte 0. Régions de programme
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Titre carte 1. Présence régionale des groupes, décembre 1989
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Titre carte 2. Présence régionale des groupes publics, décembre 1989
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Titre carte 3. Présence régionale des groupes privés français, décembre 1989
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Titre carte 4. Présence régionale des groupes étrangers, décembre 1989
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/37098/img-6.jpg
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Titre carte 5. Présence régionale des groupes, mars 1985
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/37098/img-7.jpg
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Titre carte 6. Présence régionale des groupes publics, mars 1985
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Titre carte 7. Présence régionale des groupes privés français, mars 1985
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Titre carte 8. Présence régionale des groupes étrangers, mars 1985
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Titre carte 11. Part des emplois de conception (R-D) dans les effectifs répionaux des groupes privés français, décembre 1989
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/37098/img-11.jpg
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Titre carte 9a. Part des emplois de conception (R-D) dans les effectifs régionaux des groupes publics, décembre 1989
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/37098/img-12.jpg
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Titre carte 9b. Effectifs régionaux de conception (R-D) des groupes publics. décembre 1989
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/37098/img-13.jpg
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Titre carte 10a. Part des emplois de conception (R-D) dans les effectifs régionaux des groupes étrangers, décembre 1989
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/37098/img-14.jpg
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Titre carte 10b. Effectifs régionaux de conception (R-D) des groupes étrangers, décembre 1989
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/37098/img-15.jpg
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Auteur

C.N.R.S.-Université Paris-I, Laboratoire Strates.

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