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La mémoire des coraux

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Frédéric Bessat

Préface

Pierre Pagney

Texte intégral

1Être désigné pour renouer avec une tradition bien établie ne peut être sans signification. Que Frédéric Bessat, jeune maître de conférences, ait reçu la charge de rétablir la climatologie à Paris-Sorbonne, où elle avait connu un relatif effacement après y avoir été une spécialité reconnue, ne pouvait être anodin. Il s’agissait, en effet, de choisir un universitaire capable d’allier les connaissances acquises dans le passé par plusieurs prédécesseurs, de les transmettre à de nouvelles générations, tout en proposant à ces dernières de nouvelles pistes. Pari difficile à tenir, dans la mesure où les voies les plus porteuses et les plus diverses avaient été explorées et semblaient devoir vouer durablement l’héritier à un exercice répétitif.

2Ces difficultés n’atteindront pas Frédéric Bessat. C’est que la thèse, tout en s’appuyant sur une climatologie à laquelle d’autres ont déjà fait référence, se manifeste dans son caractère innovant. La tentative de restitution des conditions climatiques de l’Holocène, et à tout le moins, de sa partie la plus proche de nous, est effectivement un thème commun à de nombreux chercheurs. Là est la continuité. Mais l’innovation est dans le choix de l’espace géographique, un morceau du Pacifique sud, axé sur les îles de la Société, en même temps que dans celui du marqueur, le corail. Comment ne pas voir là une analogie avec la recherche du CO2 prisonnier des glaces polaires, en même temps qu’une différence, dans la mesure où le corail jalonne une période chaude exigeant le soleil, la chaleur atmosphérique et océanique. Le corail devient alors, à travers sa croissance linéaire et les étapes de la calcification, un réactif de l’environnement hydro-climatique. C’est qu’il porte en lui le témoignage des phases successives de la qualité des eaux et de l’air, ainsi, il est vrai, que de ses réactions physiologiques propres. Il suffit donc de l’interroger pour en déduire révolution de l’environnement qui l’a conduit.

3À partir de là, la position « actualiste » s’impose, qui consiste à définir les facteurs de structuration du corail et de sa croissance linéaire, puis à éprouver les techniques les plus propres à cerner les effets. Une fois ces actes accomplis, il conviendra de confronter les informations « sorties » du corail pour rétablir les conditions hydro-climatiques qui en auront jalonné le développement. Une paléoclimatologie postglaciaire intéressant un coin des mers chaudes du Pacifique sud pourra ainsi être dévoilée. Elle aura l’avantage de combiner l’histoire d’un climat tropical océanique à son actualité (la croissance du récif corallien de Moorea résulterait de processus remontant à environ 8 000 BP, le niveau de la mer, après avoir été à-120 mètres (voire–150 mètres), étant alors à environ-40 mètres.

4La problématique est passionnante. La thèse permet-elle de répondre intégralement à ce qu’elle propose ? La réponse est non. L’auteur l’exprime clairement et selon une position dont l’objectivité lui fait honneur. En effet, pour Frédéric Bessat, la paléoclimatologie récente en mers chaudes n’est pas encore vraiment abordable, car le marqueur corallien n’a pas livré tous ses secrets. Constat d’échec ? Absolument pas, car l’intérêt de l’objectif poursuivi demeure ; et puis, il y a des résultats, y compris au niveau des difficultés rencontrées. Ainsi, le lecteur découvre-t-il les écueils de l’entreprise, en même temps que le certitude que l’objectif pourra être atteint.

5La difficulté initiale vient du maniement des échelles, au niveau desquelles jouent les facteurs de croissance et de densification coralliennes. Les indices hydro-climatiques tirés des coraux dépendent d’abord des écosystèmes locaux. C’est, en effet, à ce niveau préférentiel qu’interviennent les températures océaniques, les salinités, les nutriments planctoniques, la capacité, pour la lumière, de pénétrer plus ou moins profondément dans l’océan, les pollutions anthropiques, à quoi il faut ajouter les réactions vitales du corail. D’où une combinaison de facteurs et d’effets extrêmement complexes, dont le déchiffrage pose la question de savoir s’il révèle des tendances générales ou s’il ne livre pas, tout simplement, des informations stationnelles. Ce type de difficultés va de pair avec celui du degré de performance des outils d’investigation. Les résultats divergents obtenus par les chercheurs, à partir d’outils divers, montrent qu’il y a là un réel problème. Face à cette situation, Frédéric Bessat apporte une contribution de poids, avec une technique (la tomographie X) qui permet d’estimer les phases de densification corallienne, plus sûrement que par le passé. Il n’empêche que cette acquisition ne concerne qu’une technique et ne constitue pas, en elle-même, une avancée décisive dans la transcription des signaux coralliens en terme d’environnement.

6Mais la thèse de Frédéric Bessat n’en reste pas là. Deux points invitent à établir ce constat. Tout d’abord, les difficultés reconnues par l’auteur ne l’empêchent pas d’affirmer que le développement du corail est bien un marqueur utilisable dans la restitution des variations de l’hydro-climatotologie d’un espace océanique chaud. Ensuite, Frédéric Bessat montre que la croissance et la densification des tissus coralliens constituent un indicateur précis, bien qu’encore incomplètement cerné, pour la saisie des Niños. Le fait est qu’il insiste sur l’Oscillation Australe et sur le Niño corrélatif, tout en confrontant ce type d’événement au comportement du corail. Or, la relation à laquelle il aboutit peut être exploitée de façon prioritaire. Il est, en effet, de plus haut intérêt de posséder, à partir des massifs coralliens, un témoignage susceptible de restituer les Niños du passé holocène. On a là un enjeu important car l’approche actualiste nous montre que les ENSO du Pacifique imposent, non seulement dans cette région du Globe de considérables bouleversements (sécheresse en Indonésie, en Inde, dans le nord de l’Australie, déluge en façade maritime péruvienne, explosion cyclonique dans le Pacifique sud, etc.), mais aussi, du fait de l’interdépendance des circulations de Walker et de Hadley, des événements plus lointains. La panne cyclonique sur l’Atlantique tropical nord en phase Niño, suivie de la multiplication des météores avec le retour de la Niña, n’en est pas l’illustration la moins curieuse.

7Comment ne pas voir là, pour l’interrogation du passé climatique récent de notre planète, une problématique majeure prolongeant l’étude des gaz à effet de serre piégés dans les glaces polaires. Ceci, justement, au moment où les scientifiques admettent que le climat de notre Terre évolue peut-être dans le sens de la multiplication des crises. Il est clair que la recherche des secrets du climat, entreprise dans la thèse, dépasse finalement les seules forces d’un homme. On se doit donc d’imaginer Frédéric Bessat devenu l’inspirateur d’une recherche globale sur l’histoire climatique des mers chaudes, s’appuyant sur un grand nombre de stations, afin de gommer les effets locaux et de faire apparaître les signaux, convergents, de l’échelle supérieure. Pourquoi ne pas rêver d’un laboratoire ou d’un réseau de laboratoires existants, où l’auteur prendra « sa » dimension, rappelant, pour l’Holocène en milieu tropical, celle qu’ont acquise les chercheurs de Grenoble, pour les dernières glaciations.

© Éditions de la Sorbonne, 2000

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