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Frontières de sable, frontières de papier

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Camille Lefebvre

Troisième partie. Le moment colonial de la colonie du Niger (1922-1964)

Chapitre II. Verrouiller le territoire (1938-1956)

Texte intégral

1Comme sur tout le continent, l’onde de choc du second conflit mondial retentit dans la colonie du Niger. Les différents pays colonisateurs prennent de nouveau conscience du rôle que leur empire africain joue et surtout jouera dans leur puissance internationale, et c’est le cas entre autres pour la délaissée colonie du Niger. Depuis la conquête et une fois réalisée la fusion des différentes portions de l’empire, cette colonie n’avait plus suscité l’intérêt de la métropole et était considérée comme inutile et improductive, mais sa position stratégique au sein d’une géopolitique continentale entièrement bouleversée par le conflit change la donne pour un temps. En effet, l’organisation géographique et politique interne du continent africain explose au cours du conflit. L’Empire français se déchire en plusieurs morceaux qui s’opposent, parfois violemment, les uns aux autres. Des administrateurs et des gouverneurs coloniaux refusent d’obéir, s’opposent à leurs supérieurs hiérarchiques et même à leur gouvernement. Certaines colonies se retrouvent sans métropole, à l’image du Congo belge qui soutient l’effort de guerre allié malgré la métropole occupée. Certaines limites administratives intra-impériales entre des territoires français, comme celle entre le Niger et le Tchad, deviennent des fronts fermés entre des combattants opposés. Enfin, la Grande-Bretagne voit son influence s’étendre en Afrique et, si elle perd de nombreuses colonies asiatiques au profit du Japon, son administration militaire se déploie en Éthiopie, en Érythrée, dans la Somalie italienne, en Libye et à Madagascar à la suite des défaites des Italiens et de Vichy dans ces territoires. L’organisation géopolitique et symbolique imposée depuis le début du siècle par l’occupation coloniale est remise en cause, et si l’organisation spatiale des espaces africains colonisés se reforme quasiment à l’identique à la fin des combats, rien n’est plus comme avant.

LE NIGER ET LA DÉFENSE DU BLOC AFRICAIN FRANÇAIS

2Depuis la conquête, l’occupant français au Niger a adopté pour principe une adaptation pragmatique aux situations et aux contextes. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, aux yeux des autorités coloniales, le territoire est considéré comme pacifié, les populations sont censées avoir accepté l’occupation. La situation du territoire est bonne, malgré la faiblesse des effectifs. Mais la montée des périls change radicalement la donne et amène les autorités coloniales, civiles et surtout militaires, à repenser les principes et l’exercice de l’occupation au Niger.

Les confins sahariens, nombril de l’AOF

  • 1 Martin Kitchen, Rommel’s Desert War : Waging World War II in North Africa, 1941-1943, Cambridge, C (...)
  • 2 Christine Levisse-Touzé, L’Afrique du Nord dans la guerre, 1939-1945, Paris, Albin Michel, 1998, p (...)

3Depuis les années 1930, Français et Britanniques considèrent l’Italie comme la principale menace pour leurs colonies africaines. L’Italie entretient des contingents importants métropolitains et africains en Libye, vient de conquérir l’Éthiopie, et Mussolini ne cache pas son projet, comme à Aloisi en 1936, de lier la Libye et l’Afrique orientale de manière à se libérer de l’esclavage du canal de Suez1. Les ambitions coloniales de Mussolini en Afrique du Nord, notamment en Tunisie, s’accompagnent d’un accroissement des moyens militaires. En deux ans, les forces italiennes sont considérablement renforcées en Libye : 28 000 hommes en 1938, 60 000 au début de 1939 et 130 000 en octobre, tandis que les réservistes indigènes de Tripolitaine sont rappelés et alors que les ressortissants italiens sont déjà plus nombreux en Afrique du Nord et surtout en Tunisie que les Français2. Aux avant-postes de ce déploiement de force, la colonie du Niger apparaît désormais comme une zone stratégique.

  • 3 Maurice Abadie, La défense des colonies. Résumé historique, Paris, Charles-Lavauzelle, 1937, p. 22 (...)
  • 4 Ibid., p. 229.
  • 5 Jean Tilho, « Non ! Nous ne livrerons pas les clefs de l’empire », supplément au numéro du Temps d (...)
  • 6 Ibid., p. 4.

4En 1937, dans son ouvrage La défense des colonies, le général Maurice Abadie, qui avait été en poste au Niger, insiste sur la nécessité d’améliorer l’organisation défensive de l’AOF, qui sera, selon lui, amenée à jouer un rôle décisif dans le dispositif défensif en cas de conflit3. Il propose de repenser la défense générale de l’AOF contre un ennemi extérieur selon trois axes : la défense de Dakar, l’organisation d’un corps mobile et l’organisation complète, dès les temps de paix, de la « défense des frontières sahariennes de l’AOF4 ». Les confins sahariens sont considérés à ce moment comme l’une des clefs du dispositif militaire français en Afrique de l’Ouest. En 1938, le capitaine Tilho, devenu général, publie, dans un supplément du Temps et du Monde colonial illustré, un tract intitulé « Non ! Nous ne livrerons pas les clefs de l’empire ». Sur quatre pages, il invite à répondre « Non ! » aux « exigences coloniales allemandes5 ». Dans ce tract il envisage les conséquences que pourrait avoir la cession d’une partie du territoire camerounais à l’Allemagne. Pour ce faire, il met en regard deux cartes, l’une représentant la situation actuelle de l’Afrique française où « la pointe de l’axe Berlin-Rome [est] arrêtée aux lisières nord du Sahara », révélant un « bloc africain franco-anglais […] capable de délier toutes les attaques », et en face une carte de l’Afrique une fois la cession de territoire à l’Allemagne effectuée et dans laquelle Hitler aurait toutes les facilitées pour « ensemencer d’agents de rébellion toute notre Afrique intérieure6 ». La garantie du bloc africain français passerait donc par le maintien d’une présence dans les confins sahariens. Le souvenir des difficultés dans le Sahara pendant la Première Guerre mondiale, lors de la guerre de l’Aïr, est encore dans les mémoires, et cette inquiétude est renforcée par les prétentions italiennes et allemandes qui se rencontrent dans cette région. Dans cette perspective, il apparaît alors nécessaire d’y renforcer le dispositif militaire.

  • 7 Jean Tilho, « Non ! Nous ne livrerons pas les clefs de l’empire », art. cité, p. 2-3.

Tract « Non ! Nous ne livrerons pas les clefs de l’empire » (1)7

  • 8 Ibid., p. 3.

Tract « Non ! Nous ne livrerons pas les clefs de l’empire » (2)8

  • 9 Marc Carlier, La « drôle de guerre » au Sahara : confins nigériens, 1938-1940, Paris, Karthala, 20 (...)

5L’organisation des confins sahariens est développée dès 1930 à la suite de l’implantation italienne au Fezzan et des prétentions italiennes sur la région de Toummo. Deux postes avancés sont alors créés dans les confins libyens de la colonie du Niger, ceux de Madama et de Chirfa. La conférence de Bilma de 1930, réunissant les autorités de l’Algérie, du Niger et du Tchad, avait jeté les bases d’une collaboration des différentes autorités coloniales sur la question de la défense des confins sahariens. En février 1938, en raison de la détérioration de la situation internationale, le général Billotte établit un plan de défense des confins qui prévoit la couverture de la frontière9. Ce projet initial est repris par le général Bührer qui le remplace en mars 1938. La défense des confins libyens est désormais réalisée par un commandement unique installé à Zinder, ayant autorité sur les troupes stationnées au Niger et au Tchad. La couverture de la frontière prévoit le positionnement de troupes importantes sur les confins, et notamment le renforcement des effectifs au Kaouar par deux sections méharistes. Le dispositif consiste à consolider le poste de Madama par la construction de deux casemates, la réalisation d’une ceinture de barbelés et à implanter un poste à Dao Timni en mars 1938. Ce dernier poste est ceinturé par des barbelés, des fossés antichar aux endroits sensibles, et possède l’unique canon antichar de toute l’AOF. En mars 1939, un dernier poste est construit à Dirkou et en septembre 1939 le groupe nomade de Bilma est créé pour affermir le dispositif.

6L’objectif est de constituer une base d’opérations à partir de laquelle pourrait être menée une offensive contre les troupes italiennes de Libye. Jean Périé, qui arrive à Bilma en 1941 comme adjoint au commandant de ce cercle, décrit avec une pointe d’incrédulité ce dispositif :

  • 10 Jean Périé, Administrateur des colonies non repenti, op. cit., p. 94.

« Le cercle de Bilma assurait un rôle d’avant-poste et de base de départ d’éventuelles opérations contre les Italiens, les postes modernes de Dirkou et de Dao-Timni furent alors construits, sortes de prolongements assez surprenant de la ligne Maginot munis de bastions bétonnés et de réseaux de fils de fer barbelés10. »

  • 11 « Des effectifs qui atteindront le chiffre de 200 Européens et 800 indigènes, armements, service d (...)
  • 12 Ibid., p. 5.
  • 13 « Les visites ou inspections de personnalités de marque ne manquèrent pas à Dirkou. C’est ainsi qu (...)

7Le poste de Dirkou, considéré comme la base offensive de ce dispositif, devait rassembler en 1941 200 Européens et 800 « indigènes11 ». Selon la formule du médecin-lieutenant Robert, Dirkou est en « passe de devenir le nombril de l’AOF12 ». Plusieurs généraux s’y rendent afin d’en inspecter l’agencement13.

  • 14 SHD 5 H 215 dossier 2, Dossier de la manœuvre de Toummo, no 3339/3 CL S, lettre no 2516 GCS/ AOF. (...)

8Dans cette perspective de renforcement de la présence française dans la région, une nouvelle mission géographique est envoyée afin de reconnaître la zone frontière. En effet, aucune délimitation n’a pour l’instant été effectuée, et la situation des confins est très imprécise. Une mission d’étude dirigée par le capitaine Laroque est prescrite en août 1938 par le ministère des Colonies et commence sa tournée le 1er octobre. L’objectif est de réaliser le levé topographique de la frontière franco-libyenne dans la partie relevant de l’AOF14. Mais, le 22 juin 1939, cette mission est obligée d’abandonner ses activités en raison de la situation en Europe.

  • 15 Marc Carlier, La « drôle de guerre » au Sahara, op. cit., p. 70.
  • 16 Ibid., p. 69-72 ; Rogatien Gautier, Jacqueline Fournier, Dans le désert du Ténéré, un chemin de ré (...)

9Ce dispositif n’eut pas à faire ses preuves durant la drôle de guerre. Les activités des militaires dans la région se résumèrent à l’internement des ressortissants libyens de passage au Kaouar et à l’occupation symbolique de Toummo15. Le seul fait d’armes est réalisé par trois officiers qui, outrepassant les ordres de leur commandement jugé trop timoré, bombardent le poste italien de Mourzouk16.

Le Niger, bastion pétainiste cerné par le monde libre

  • 17 Catherine Akpo-Vaché, L’AOF et la Seconde Guerre mondiale (septembre 1939-octobre 1945), Paris, Ka (...)
  • 18 SHD 5 H 211 dossier 2, Histoire du poste de Dirkou, p. 6.

10Au moment de l’armistice en juin 1940, après le choix du gouverneur Boisson de se rallier à Vichy, la position frontière de la colonie du Niger se renforce puisqu’elle devient l’une des lignes de front avec l’Empire britannique, par sa frontière sud. Lorsque le Tchad, par la voix du gouverneur général Félix Eboué, rejoint la France libre, le 27 août 1940, la colonie devient un bastion pétainiste entouré par les forces alliées. La situation est particulièrement tendue et l’effervescence politique qui touche la fédération17 se traduit par une « crise de conscience au Niger18 ».

  • 19 « Dès l’annonce de l’armistice et l’appel du général de Gaulle, les capitaines Tuttenges et Oliva, (...)
  • 20 Marc Carlier, La « drôle de guerre » au Sahara, op. cit., p. 79. Le général Massu se souvient que (...)
  • 21 Voici les termes de son télégramme : « Madama à tous. No 203/Poste de Madama rallié au général de (...)
  • 22 Condamné à deux ans de prison, il participe à la libération de Paris dans les rangs des FFI et rev (...)

11Dès l’appel du général de Gaulle, plusieurs officiers essayent de regagner le Nigeria19. Le 28 juin, le général de Gaulle renouvelle son appel et invite ses compatriotes de France et de l’empire à rejoindre le centre de résistance le plus proche. Par la voie des ondes, plusieurs militaires font eux aussi savoir leur désapprobation. Ainsi le capitaine Chapelle, alors en poste dans les confins, fait passer un message qui restera dans les mémoires des troupes présentes dans la région : « Discipline s’arrête aux limites du déshonneur et de la trahison. Lâcheté sénile de nos chefs ne peut rien sauver qui en vaille la peine. Considère vos ordres comme nuls et agirai en conséquence20. » Le chef de poste de Madama, l’administrateur Boudy, décide, lui, de se rallier ainsi que le territoire qu’il commande à la France libre et avise télégraphiquement les gouverneurs à Fort-Lamy et à Niamey de sa décision21. Selon Jean Périé qui l’avait connu à l’École coloniale, les autorités du Tchad lui répondent qu’elles n’ont pas les moyens d’occuper Madama et qu’elles ne peuvent par conséquent accepter son ralliement, mais elles l’invitent à quitter son poste et à rejoindre la dissidence. Mais Boudy refuse d’abandonner son poste et est finalement rapatrié sur Zinder22.

  • 23 Marc Carlier, La « drôle de guerre » au Sahara, op. cit., p. 86.
  • 24 Catherine Akpo-Vaché, L’AOF et la Seconde Guerre mondiale, op. cit., p. 110.

12Plusieurs militaires et administrateurs traversent les frontières soit en direction du Tchad et de la France libre soit en direction du Nigeria et des alliés23. Catherine Akpo Vaché dénombre un total de 35 départs de la colonie du Niger entre juin 1940 et novembre 1942 sur les 135 départs comptabilisés pour l’ensemble de l’AOF24.

  • 25 Marc Carlier, La « drôle de guerre » au Sahara, op. cit., p. 75-76.

13L’armistice provoque une transformation du dispositif militaire d’une logique offensive vers une logique essentiellement défensive. La zone des confins est démilitarisée et évacuée, selon les termes de la convention signée avec l’Italie le 24 juin 1940. Les troupes se replient à 200 kilomètres de la frontière. La colonie du Niger n’est autorisée à maintenir dans la zone démilitarisée qu’une section méhariste afin d’assurer la sécurité de la région25. Les troupes stationnées au Kaouar acceptent mal ce retrait sans combat, et la tension monte entre civils et militaires.

  • 26 Martin Thomas, The French Empire at War 1940-1945, Manchester/New York, Manchester University Pres (...)
  • 27 Bernard Droz (dir.), « Vichy et les colonies », Outre-Mers, 91/342-343, 2004, p. 7.
  • 28 Jean Périé, Administrateur des colonies non repenti, op. cit., p. 106.
  • 29 Pierre Gentil, Confins libyens, op. cit., p. 12-13.
  • 30 SHD 5 H 211 dossier 2, Histoire du poste de Dirkou, p. 9.

14Ayant une frontière avec le Tchad et le Nigeria, la colonie du Niger est au cœur des préoccupations de Vichy. Ainsi, en novembre 1940, le gouvernement de Vichy débat d’une reconquête possible du Tchad depuis le Niger, dans laquelle les troupes de cette colonie joueraient un rôle décisif26. Mais le projet porté par Laval est abandonné à l’issue de la révolution de palais du 13 décembre 194127. Néanmoins, la colonie reste au cœur du dispositif de sécurité et, pour s’assurer la loyauté des troupes de la colonie, un militaire, le général Falvy, est nommé gouverneur du Niger. Il cumule alors les fonctions civiles et militaires, puisqu’il est aussi commandant des troupes des confins nigéro-tchadiens et de la région militaire du Niger-Dahomey. La colonie du Niger redevient de fait un territoire militaire. L’intérêt de Vichy et du gouvernement de l’AOF pour les confins nigériens se matérialise par la visite du gouverneur général Boisson qui vient passer le réveillon de Noël à Bilma le 25 décembre 194128, et se rend ensuite à Agadez29 et à Dirkou. Ce poste reçoit aussi la visite du général Cornet, et du gouverneur du Niger, le général Falvy30.

  • 31 Vincent Joly, « Se défendre contre quiconque. L’effort militaire au Soudan français, juillet 1940- (...)
  • 32 Sophie Dulucq, « Étrangers et migrants en AOF de 1939 à 1942. L’ère du soupçon », dans Catherine C (...)
  • 33 Rogatien Gautier, Jacqueline Fournier, Dans le désert du Ténéré…, op. cit., p. 80-81.

15La défense de l’unité et de l’intégrité de l’AOF est une priorité pour Vichy qui craint de perdre d’autres régions de l’empire. Pour garantir cette intégrité et pour prévenir les menaces venues de l’extérieur et les fuites, le gouverneur général Boisson décide la fermeture des frontières. Il craint le risque que représentent ces milliers de kilomètres de contact avec les territoires ennemis31. Au Niger, les frontières avec le Nigeria et le Tchad sont fermées, pour la première et l’unique fois de la période coloniale, et tous les mouvements interdits, aussi bien pour les autochtones que pour les Français, à l’exception des migrations saisonnières de travail, des visites transfrontalières et de la nomadisation32. Les autorités coloniales du Niger promettent des récompenses aux habitants des villages frontaliers qui livreraient des Français essayant de rejoindre les territoires britanniques. Rogatien Gautier, télégraphiste colonial, est ainsi racheté par ses supérieurs à des villageois du Nigeria alors qu’il essaye de rejoindre les territoires britanniques33.

  • 34 Pierre Gentil, Confins libyens, op. cit., p. 97.
  • 35 Ibid., p. 120. Pierre Gentil est alors adjoint du commandant de cercle de Bilma.
  • 36 « Personne n’avait cherché à s’opposer au départ du lieutenant Aurelles qui avait été adjoint au c (...)
  • 37 Le colonel Parisot alors en poste à N’Guigmi se souvient que les postes tchadiens écrivaient aux p (...)
  • 38 Finn Fuglestad, A History of Niger, op. cit., p. 139.

16Le dispositif des confins sahariens est dirigé désormais contre les entreprises de la colonie dissidente du Tchad. Mais le commandement du cercle de Bilma ne dispose pour ce faire que de deux compagnies de tirailleurs faiblement motorisées et d’un groupe nomade. De plus, les troupes stationnées dans la région ne semblent pas disposées à tirer sur les gaullistes comme elles en ont reçu l’ordre. Ainsi, elles laissent faire lorsque les troupes françaises du Tchad traversent le cercle de Bilma en direction de la Libye en janvier 194234. De même, lorsque les autorités du cercle de Bilma reçoivent l’ordre de faire œuvre de propagande afin de fomenter des troubles au Tchad, elles refusent de s’exécuter35. La poursuite des résistants ne semble pas non plus avoir été mise en place, bien au contraire. Selon Jean Périé, « le respect des consciences [est alors] de règle dans les confins nigériens », personne ne cherchant à s’opposer à ceux qui souhaitent traverser la frontière du Tchad36. De l’autre côté de la frontière, les troupes de la France libre au Tchad ont aussi reçu l’ordre, à la fin 1940, de considérer les troupes de la colonie du Niger comme des ennemis, mais de la même manière cet ordre n’est pas strictement respecté37. Si, dans les postes éloignés, les administrateurs et les militaires sont relativement libres de leurs actions, la colonie est néanmoins mise en coupe réglée par le général Falvy. La frontière sud est surveillée, des détachements militaires y sont cantonnés, creusant des tranchées et surveillant les allées et venues. Le général Falvy les invite à arrêter tout Britannique qui traverserait la frontière en uniforme38. Après le débarquement de forces alliées en Afrique du Nord en novembre 1942 et le ralliement de l’AOF le 7 décembre 1942, les confins sahariens sont de nouveau au cœur des stratégies, cette fois de celles des Alliés, qui souhaitent reconquérir la Libye.

17Cet intérêt des autorités militaires pour la colonie du Niger se traduit par une orientation stratégique de la conception de l’exercice de l’autorité dans cette colonie et par un intérêt accru pour la recherche de renseignements. La question n’est plus seulement d’administrer a minima des territoires considérés comme inutiles mais d’assurer la garantie des possessions françaises par le contrôle des risques dans cette région jugée dangereuse et stratégiquement indispensable. Le regain d’intérêt des militaires français pour les confins sahariens de la colonie du Niger ne cesse pas avec le retour d’un gouverneur civil à la tête de la colonie en 1942. En effet, le gouverneur Jean Toby partage la conception géostratégique et la logique sécuritaire des militaires. Tout au long de son proconsulat, le renseignement et le contrôle des populations seront au cœur de l’action coloniale.

ACCÉLÉRATION DU CONTEXTE ET TRANSFORMATIONS DE LA GESTION TERRITORIALE

18La Seconde Guerre mondiale, en faisant apparaître l’enjeu que pouvait représenter les confins sahariens dans la défense du bloc africain français, a profondément modifié le regard porté par les militaires sur la colonie du Niger. Longtemps sous-administrée et peu investie par les autorités coloniales, cette colonie devient, à l’issue du conflit, une des clefs du dispositif stratégique des militaires français en Afrique. Les autorités coloniales administratives et militaires réinvestissent ce territoire et s’engagent plus que jamais dans le contrôle et l’administration. Mais, au moment où l’autorité coloniale a enfin les moyens de s’imposer partout, elle perd les ressources légales qui lui permettaient de s’imposer et d’exercer la coercition.

Le contrôle sans coercition

  • 39 Cette période de douze ans est entrecoupée de trois intérims : ceux de Gosselin, d’Ignace Colomban (...)
  • 40 Edmond Séré de Rivière, « Jean Toby 1900-1964 », dans Hommes et destins (dictionnaire biographique (...)
  • 41 Après le départ du gouverneur Boisson, Toby aurait demandé à être relevé de ses fonctions et à êtr (...)
  • 42 Edmond Séré de Rivière, « Jean Toby 1900-1964 », art. cité, p. 677.
  • 43 Jean Clauzel, La France d’outre-mer (1930-1960). Témoignages d’administrateurs et de magistrats, P (...)
  • 44 Finn Fuglestad, A History of Niger, op. cit., p. 123.
  • 45 Edmond Séré de Rivière, « Jean Toby 1900-1964 », art. cité, p. 678.

19Dans les années 1940 et 1950, l’action coloniale au Niger est marquée par l’influence du gouverneur Jean Toby qui exerce ses fonctions pendant douze ans de, 1942 à 195439. Nommé à ce poste par l’amiral Platon, ministre de l’Outre-mer et des Colonies dans le gouvernement de Pierre Laval40, il est le seul gouverneur nommé par Vichy à être resté à son poste à l’issue de l’épuration41. Né en 1900, d’origine bretonne42, Toby fait partie de la promotion 1919 de l’École coloniale43. Il commence sa carrière en 1924, au Niger dans l’équipe Brévié. Il est d’abord chef de la subdivision de Dogondoutchi, puis commandant du cercle de Tillabéri et enfin chef de cabinet du gouverneur Brévié44. Il est ensuite nommé, en 1931, au Soudan où il passe huit ans ; mobilisé en France en 1939, il revient en AOF fin octobre 1940 en tant qu’administrateur supérieur de Côte d’Ivoire45.

  • 46 Jean Périé, Administrateur des colonies non repenti, op. cit., p. 221. C’est par cette expression (...)
  • 47 Catherine Akpo-Vaché, L’AOF et la Seconde Guerre mondiale, op. cit., p. 174.
  • 48 Jean Périé, Administrateur des colonies non repenti, op. cit., p. 160. Gilbert Comte, lors de notr (...)

20C’est un « vieux colonial », un « colonial de la vieille école », selon la formule de Jean Périé qui est en 1943 son directeur des affaires politiques46. Partisan de la défense des élites traditionnelles, il préconise de s’inspirer de la politique gouvernementale de Félix Eboué qui peut être résumée en ces termes : rechercher et restaurer les chefs traditionnels authentiques et leur donner l’autorité nécessaire à l’accomplissement de leur mission47. Autour de Toby, dans les années 1940, se trouve une équipe de jeunes administrateurs, dont certains feront la majorité de leur carrière au Niger et y resteront jusqu’à l’indépendance. Parmi eux, l’administrateur Edmond Séré de Rivière, promotion de l’ENFOM 1942, Jean Périé et Pierre Brachet, promotion de 1931, arrivés tous deux au Niger en 1935. Ils forment avec quelques autres ce que l’on a appelé l’équipe Toby. En 1944, Toby représente l’AOF à la conférence de Brazzaville, il en garde le souvenir honteux d’avoir participé à engager « l’Afrique française sur une voie inconnue et pleine de dangers qui ne correspondait ni à ses structures, ni à ses traditions48 ». Il était clair pour lui que les changements introduits par la conférence ne pouvaient que transformer profondément les modalités de l’action coloniale.

21De retour dans la colonie du Niger après onze ans d’absence, Toby est atterré par son caractère archaïque. Il a, par ailleurs, une idée précise du rôle que doit jouer la colonie dans la stratégie coloniale de la France. Pour lui, ce territoire représente la garantie territoriale de la pérennité du bloc africain français, et, pour cela, il doit être unifié et maîtrisé. L’ensemble du territoire a été reconnu. Il convient désormais de faire que l’exercice de l’autorité coloniale se fasse sentir partout. Son proconsulat est caractérisé par une politique conservatrice à l’égard des sociétés africaines, mêlée à une volonté de contrôle des mouvements et des idées. Dans cette logique, il mène au Niger, entre 1942 et 1954, une politique volontariste avec des moyens toujours limités, dont l’objectif est double : affirmer la présence de l’occupant colonial sur le terrain et renforcer la sécurité.

  • 49 Ce chiffre comprend tous les Européens et assimilés : civils, militaires, femmes, enfants, métis, (...)
  • 50 « 15 ou 16 [fonctionnaires] et autant de commerçants européens », « une douzaine [de femmes] dont (...)
  • 51 Évolution de la présence civile et militaire des colonisateurs français au Niger :

22La reprise en main du territoire passe d’abord par une augmentation des effectifs. Entre 1942 et 1954, la population européenne ne cesse d’augmenter et doublera au cours de cette période. De 700 Français en 1943, les effectifs montent à 1 000 en 1947 et atteignent 1 496 en 195249. Il convient d’apporter quelques nuances à l’augmentation massive que laissent apparaître ces chiffres. Alors que, jusque dans les années 1930, le nombre de Français présents dans la colonie correspondait presque intégralement au nombre d’occupants, dans les années 1940 et 1950, ce chiffre rassemble aussi bien les administrateurs et les militaires que leurs familles, les commerçants et les conseillers techniques. Tant que le Niger était territoire militaire, les Français n’avaient pas le droit d’emmener leurs épouses mais, dans les années 1940 et 1950, beaucoup d’entre eux sont accompagnés. Environ un tiers des Français présents dans la colonie sont des femmes et des enfants. Ainsi en 1947, lorsque Jean Périé arrive à Maradi, la société coloniale de cette ville rassemble une quarantaine d’Européens, dont une trentaine d’hommes pour moitié fonctionnaires, pour moitié commerçants et une douzaine de femmes50. La société coloniale n’est plus ni uniquement masculine ni uniquement constituée par les administrateurs et les militaires. Ainsi, en 1951, sur 1 487 Français, 700 appartiennent aux effectifs de l’autorité coloniale. Parmi ceux-ci, 400 sont militaires et 300 sont fonctionnaires. Les effectifs de ces deux corps augmentent dans des proportions semblables51. L’orientation de la gestion du territoire vers une stratégie de sécurité apparaît dans l’augmentation des effectifs militaires qui, après avoir été en baisse durant les premières années de l’occupation civile, ne cessent d’augmenter à partir de 1938. En 1951, les militaires sont toujours majoritaires dans la population coloniale du Niger.

23Au-delà de cette augmentation des effectifs, l’occupant cherche à mieux répartir sa présence sur le terrain, en repensant une nouvelle fois le découpage administratif. La carte administrative de la colonie du Niger est ainsi plusieurs fois remaniée, les nouveaux découpages mis en place dans les années 1940 voient augmenter le nombre des subdivisions et donc des petites structures administratives locales. De 14 cercles et 9 subdivisions en 1936, l’organisation territoriale passe à 9 cercles et 23 subdivisions en 1950. Dans les rapports administratifs apparaît la volonté pragmatique de rendre le cadre administratif plus efficace, notamment en réorganisant l’architecture des cantons et des subdivisions.

24Mais ces efforts ne parviennent pas à résorber l’immense disparité des implantations administratives, entre des régions ouest relativement bien couvertes et des régions nord et nord-est largement délaissées. La logique de l’implantation territoriale de l’administration est liée à la densité de population. Les régions les plus peuplées nécessiteraient une présence administrative plus importante, dans la mesure où les besoins administratifs y seraient plus importants, tandis que, dans les régions « vides d’hommes », comme les désignent régulièrement les administrateurs, une implantation administrative forte n’est pas jugée nécessaire. Cette logique se retrouve dans la carte administrative du Niger publiée en 1952 par l’administrateur Séré de Rivière dans son ouvrage Le Niger.

  • 52 Dans Edmond Séré de Rivière, Niger. Pays africains, Paris, Société d’éditions géographiques, marit (...)

Carte administrative du Niger par Edmond Séré de Rivière52

  • 53 Edmond Séré De Rivière, Niger, op. cit., tome 2, p. 48.

25La taille des circonscriptions administratives y est proportionnelle au nombre d’habitants : plus les densités sont fortes, plus le découpage est serré. La logique des militaires est, elle, exactement inverse. En effet, c’est la sécurité et le contrôle du territoire qui intéressent le commandement militaire, or les régions sahariennes sont considérées comme le cœur des enjeux défensifs. Dans les années 1940, une division des tâches et des intérêts s’opère donc entre civils et militaires. L’administration civile se développe au Sud et s’oriente timidement vers la conduite du changement social avec la construction d’écoles et de dispensaires. À l’inverse, le Nord et l’Est du territoire restent des fiefs militaires où l’objectif principal est de garantir la sécurité. Les militaires sont concentrés dans les cercles d’Agadez, Bilma et N’Guigmi, toujours commandés par des officiers jusqu’en 1946. Les deux bataillons de troupes présents au Niger ont, en 1952, leurs garnisons à Agadez, N’Guigmi, Dirkou, Zinder et Mirryah53. Les représentations stratégiques élaborées au moment de la conquête, qui faisaient du Sahara une zone dangereuse, peuplée de populations hostiles, sensibles à l’attrait du fanatisme, se perpétuent et regagnent en intensité à cette période.

  • 54 Jean Périé évoque dans son récit de souvenirs l’importance des tournées aux yeux du gouverneur Tob (...)
  • 55 Il semble que, dans les années 1940, chaque cercle possède au moins une voiture, ce qui ne signifi (...)
  • 56 À propos d’une tournée dans la région du Tamesna effectuée en 1948 : « Cette liaison et surtout la (...)
  • 57 Finn Fuglestad, A History of Niger, op. cit., p. 158-160.
  • 58 Olivier Colombani, Mémoires coloniales. La fin de l’Empire français d’Afrique vue par les administ (...)

26Le premier objectif de l’autorité coloniale est de mettre toutes les parties du territoire nigérien sous son contrôle effectif. Toby est un ancien commandant de cercle et il est profondément convaincu de l’importance décisive des déplacements dans l’exercice de l’administration territoriale54. La volonté de contrôle de l’ensemble du territoire passe à ses yeux par une augmentation et une rationalisation des tournées administratives. Dans la colonie du Niger, la politique de présence sur le terrain a toujours été la base de la gestion territoriale, mais la faiblesse des effectifs et les difficultés de déplacement ont longtemps réduit le nombre réel de ces mouvements. Dans les années 1940, l’augmentation du personnel, sa stabilité et l’introduction de la voiture permettent de réaliser des déplacements plus réguliers55. La logique est que celui qui commande doit se montrer56, et la mobilité des administrateurs devient la règle57. Les tournées évoluent dans leurs objectifs, il ne s’agit plus de découvrir mais d’administrer, les tournées de reconnaissance laissent place aux tournées de recensement. La règle établie par le gouverneur Toby veut que tous les quatre ans chaque village soit recensé. Pour celui-ci, le recensement est le cœur du métier et c’est sur les rapports de recensement qu’il juge ses administrateurs58. Cette concentration des objectifs administratifs sur la question du recensement est manifeste. Le dépouillement de l’ensemble des rapports de tournée, conservés aux archives du Niger à Niamey pour la période 1947-1961, fait apparaître une écrasante majorité de 63 rapports de recensement sur les 83 rapports répertoriés. 80 % des tournées ont pour objectif le recensement.

  • 59 Véronique Dimier, « Décentraliser l’Empire ? », art. cité, p. 93.
  • 60 Isabelle Merle, « Retour sur le régime de l’indigénat. Genèse et contradictions des principes répr (...)
  • 61 ANN 5 E 1. 3, Liaisons sahariennes, liaisons avec le Soudan, liaisons sahariennes 1957, sous-dossi (...)

27Parallèlement à cette visite systématique et régulière de l’espace qui vise à matérialiser l’occupation du territoire, l’autorité coloniale cherche à contrôler la vie de ses administrés. Jusque dans les années 1940, l’exercice de l’autorité coloniale est souvent caractérisé au Niger par un certain laisser-faire en raison de l’impossibilité matérielle d’exercer un contrôle strict. Les années 1940 voient une inflation réglementaire et une injonction à faire respecter les règles dans un contexte où l’usage de la contrainte est désormais limité pour les administrateurs. En effet, depuis la conférence de Brazzaville et les débats constitutionnels de 1946, le régime légal des colonies a changé. Jusqu’ici soumises au régime des décrets, elles sont désormais intégrées dans le cadre légal métropolitain59. Les indigènes deviennent citoyens, le travail forcé est interdit, les tribunaux indigènes et le régime de l’indigénat sont abolis. Il ne peut plus être question de coercition dans le cadre administratif, dans la mesure où le régime de l’indigénat ne fait plus partie des outils administratifs de l’autorité coloniale60. Une volonté de contrôle accrue s’accompagne donc de la disparition des outils répressifs légaux. Ce contrôle s’exercera donc sans coercition. Le gouverneur Toby, dans une correspondance avec le gouverneur du Soudan en 1950, alors qu’il évoque la proposition du commandant de cercle de Gao de poursuivre les « récalcitrants dans les circonscriptions voisines61 », insiste sur le fait que la coercition n’est plus d’actualité :

  • 62 ANN 5 E 1. 3, Liaisons sahariennes, liaisons avec le Soudan, liaisons sahariennes 1957, sous-dossi (...)

« Nul n’ignore que les changements intervenus dans la réglementation en vigueur ne permettent plus le recours à la contrainte que supposerait cette mesure, surtout s’appliquant à des migrations de populations62. »

28Le nouvel ordre juridique, introduit en 1946, rend caducs un certain nombre des dispositions et des règlements qui existaient jusqu’ici, et oblige les autorités coloniales à repenser leurs dispositifs d’administration.

29Les mouvements de populations, qui ont toujours été l’une des obsessions de l’administration coloniale, font l’objet dans les années 1940-1950 d’une politique volontariste visant à les réglementer. C’est particulièrement vrai dans la région frontalière des colonies du Niger et du Soudan. La localisation de la frontière dans cette région avait été déterminée en fonction des divisions politiques du groupe des Iwellemmeden. Les militaires, renseignés sur la scission politique qui avait scindé en deux ce groupe au xviie siècle, avaient constaté que chacune des deux branches vivait de part et d’autre des régions d’Anderaboukane et de Ménaka. Ils avaient choisi de reprendre cette limite et d’en faire la frontière entre Gao et le territoire militaire du Niger. Mais, si cette région représentait effectivement une limite politique, elle était en même temps une région de compétition pastorale disputée, puisqu’irriguée par plusieurs mares permanentes et des pâturages abondants, même en saison sèche. Durant la période la plus chaude de l’année, lorsque les mares d’hivernage sont à sec, c’est une région où se rencontrent l’ensemble des groupes de la région qui viennent y abreuver leurs troupeaux. Pour les populations locales au xixe siècle, il n’existait pas de contradiction entre le fait que cette région soit une limite politique entre deux groupes et qu’elle soit dans le même temps un lieu de rencontre et de compétition. Mais pour les administrateurs coloniaux, la gestion de cet espace se révèle un véritable casse-tête dans la mesure où elle est une zone de mouvements et de luttes de pouvoir pendant une grande partie de l’année.

  • 63 ANN 5 E 1. 3, Liaisons sahariennes, liaisons avec le Soudan, liaisons sahariennes 1957, sous-dossi (...)

30S’il ne peut être question de contraindre ou d’empêcher ces mouvements, il paraît nécessaire aux administrateurs de les encadrer par un contrôle étroit et de faire sentir aux administrés que ce contrôle s’exerce. Pour ce faire, l’administration produit pendant cette période une quantité importante de règlements qui se succèdent quasiment chaque année, ayant pour but de contrôler chaque type de déplacement et chaque population migrante. Les jonctions annuelles des commandants de cercle visent à former une unité de vue entre les deux colonies sur la question, en vue d’aboutir à un modus vivendi que le gouverneur Toby appelle de ses vœux. Les représentants des cercles frontaliers se réunissent régulièrement : en avril 1939, ils signent la convention de Niamey ; en novembre 1942, un règlement sur la transhumance entre le Soudan et Niger ; en juin 1944, une convention sur la transhumance entre Soudan et Niger, et de nouveau en janvier 1947 à Ménaka, puis en septembre 1947, 1948 et 1950. Les principes adoptés lors de ces liaisons visent à un encadrement très serré des mouvements de populations. Chaque individu doit prévenir son cercle de résidence avant son départ et venir se déclarer auprès d’un représentant de l’administration à son arrivée. Le problème principal est alors de savoir par qui les migrants seront recensés et où ils devront payer l’impôt. Les réglementations s’orientent durant les années 1940 vers une rigidification des contraintes administratives. Ainsi la conférence Soudan-Niger de Fillingué en 1950 pose pour principe tout d’abord qu’« aucun nomade ou sédentaire ne pourra se faire recenser en dehors de son cercle sauf cas exceptionnel et uniquement après avis du commandant de cercle intéressé63 », et ensuite que les cercles d’origine auront le droit de procéder au recensement de leurs ressortissants migrants dans les cercles voisins après accord du commandant de cercle. Ces principes sont généralisés à l’ensemble de la frontière lors de la liaison de Gao, en 1953.

31L’accumulation de rencontres, de négociations et de règlements témoigne d’une incapacité coloniale à transformer les pratiques des populations de la zone. L’évolution des propositions de règles tout comme leur simple répétition témoignent d’un monde de pratiques loin d’être abolies par l’occupation, où l’on continue d’agir selon ses propres termes en s’accommodant de l’agitation réglementaire coloniale.

L’obsession du renseignement

32Bien que la colonie soit calme, comme le répètent régulièrement les rapports, les autorités sont persuadées qu’elle pourrait être l’objet de propagandes extérieures qui risqueraient de la déstabiliser. Les militaires sont encore marqués par le souvenir de la guerre de l’Aïr, perçue comme une révolte islamiste fomentée de l’extérieur, qu’ils n’ont pas su prévoir. L’objectif des autorités est donc d’identifier tous les vecteurs de mouvements religieux, politiques et culturels qui pourraient entrer en contradiction avec les intérêts français. L’accession à l’indépendance de la Libye dès 1951, avec laquelle le Niger partage une frontière qui n’est alors ni tracée ni même délimitée, l’avènement à la tête du Royaume de Libye du chef de la confrérie sénoussie, l’évolution rapide promise dès 1951 par la Grande-Bretagne à ses colonies du Nigeria et du Ghana, et surtout le début du conflit algérien renforcent l’idée que le Niger ne doit en aucun cas choisir une mauvaise voie. Il ne peut être question pour les autorités françaises de laisser un territoire si mal entouré sortir de sa zone d’influence.

  • 64 Dans une lettre du 7 mars 1926 au commandant de cercle de Bilma, le gouverneur Brévié s’étonnait d (...)

33Dès 1942, le gouverneur Toby décide de mettre en place un service de renseignements efficace. Le renseignement avait longtemps été une des faiblesses de l’autorité coloniale au Niger, pour des raisons relativement évidentes : les effectifs dérisoires, les infrastructures inexistantes, la lenteur des déplacements et l’absence de poste à transistor et de voiture avant les années 193064. Mais, une fois un système de transmission radio largement implanté sur le territoire, les distances et la faiblesse des effectifs n’empêchent plus de transmettre rapidement une information. En avril 1945, le gouverneur Toby, dans une circulaire adressée à l’ensemble du personnel des cercles et des subdivisions, exprime clairement cette volonté :

  • 65 ANN 5 E 6. 5, Entrée et circulation en AOF des Nord-Africains, 1942-1956.

« J’ai été amené à plusieurs reprises à vous donner des instructions précises et impératives relativement à la surveillance que vous devez exercer sans relâche sur tous les éléments religieux et étrangers au pays et d’une façon plus générale sur tous les individus susceptibles par leur situation, leur caractère propre, ou leurs relations, de nuire à la tranquillité politique de la colonie65. »

34Pendant près de quinze ans, les axes de cette politique de renseignement resteront les mêmes que ceux définis, ici, par Toby : la surveillance de tout mouvement religieux, le contrôle des étrangers et des éléments subversifs et enfin l’encadrement de la vie politique. L’activité politique est autorisée depuis les réformes de 1946 mais, pour le gouverneur Toby, il est du devoir de l’administration d’entourer fermement cette nouvelle liberté offerte aux populations.

  • 66 « Au point de vue politique, le cercle d’Agadès, par sa position géographique aux confins de l’AOF (...)

35La surveillance se concentre dès le départ sur les activités politiques et religieuses dans les territoires voisins d’Algérie, de Libye, du Nigeria et du Ghana. Les objectifs des recherches de renseignements se concentrent sur les mouvements transfrontaliers d’hommes, de marchandises, de tracts et d’idées. Il est porté une attention spécifique aux mouvements de populations, aux axes de migrations locaux, transrégionaux et transfrontaliers, qu’ils soient temporaires ou définitifs. Les habitants des zones frontières sont considérés comme plus susceptibles d’être atteints par la propagande étrangère. Mais pour les administrateurs, la notion de zone frontière est très élargie et s’étend à l’ensemble des zones nord, est et nord-est de la colonie. Ainsi, Agadez fait partie de cette zone de confins qui serait plus sensible, de par sa position, aux influences extérieures66. Ces axes de migrations sont spécialement surveillés car ils concernent majoritairement des mouvements vers des colonies arabes et surtout musulmanes et anglophones. Les routes et les mouvements de populations sont considérés comme des vecteurs d’idées dangereuses.

36Chaque durcissement du contexte international a pour conséquence une réévaluation des objectifs de renseignement. Ainsi, entre 1951 et 1954, la France engage des pourparlers avec le nouvel État libyen indépendant afin d’obtenir l’octroi de bases militaires sur son sol, notamment dans la région du Fezzan. Lorsque les autorités françaises comprennent qu’elles n’obtiendront pas satisfaction, elles cessent les négociations, mais s’inquiètent des conséquences que pourrait avoir ce revers diplomatique sur le prestige de la France dans la région. Le gouverneur du Niger et le colonel commandant de la 4e brigade ordonnent mission de renseignement dans la zone. L’administrateur Jullien-Vieroz est chargé :

  • 67 ANN 5 E 8. 4, Note sur les accords provisoires franco-libyens : Situation en Libye, 1953-1957, let (...)

« 1o/ De procéder à une étude analytique du système actuel de renseignement. 2o/ Perfectionner dans la mesure du possible le système de transmission et du chiffre. 3o/ Choisir des informateurs à utiliser avec une prudence extrême. 4o /Orienter les recherches sur des points sensibles. 5o/ Coordonner et recouper les renseignements au cours de conférences tenues à l’échelon des cercles et réunissant les autorités civiles et militaires plus spécialement qualifiées en ce domaine. 6o/ Mettre au point – pour un temps donné – un plan de recherche détaillé67. »

  • 68 Ibid., plan de recherche de renseignement, colonel Charles commandant de la 4e brigade d’AOF.

37Après une longue tournée dans les cercles des confins, d’Agadez à Bilma en passant par N’Guigmi et Gouré, la mission Jullien-Vieroz établit, pour chaque cercle, un programme de recherche de renseignements spécifique. Pour la région de Bilma, le commandant de cercle est invité à noter les raisons des déplacements des caravanes, à recueillir les mots d’ordre religieux et politiques, à rechercher les armements possibles, à compter le nombre de passages et leur influence et à reconnaître la région de Toummo. Pour chaque cercle, sont identifiées les zones sensibles sur lesquelles les administrateurs devront porter leur attention. Pour la région de Bilma, ce sont les régions nord du cercle : notamment Chirfa où devront être surveillés l’attitude des Toubous de la palmeraie et l’apport des caravanes venant de Ghât et de Djanet, ainsi que la région du plateau de Manguéni et de Toummo où devront être surveillés les passages de ressortissant libyens68. Ce programme prévoit aussi l’échange d’informations entre les différents territoires français.

  • 69 À propos des commerçants nord-africains, Jullien-Vieroz explique dans son rapport : « Ce sont eux (...)

38Une fois le conflit algérien entamé, c’est particulièrement sur la surveillance des circulations de la presse arabe et des ressortissants nord-africains, selon la formule des administrateurs, que s’oriente le renseignement. Cette surveillance se concentre sur les mouvements d’idées. Administrateurs et les militaires s’inquiètent autant de la propagation de nouvelles concernant leurs difficultés en Libye et surtout en Algérie que de la diffusion d’idées antifrançaises, panarabes ou islamistes69.

  • 70 ANN 5 E 8. 8, Contrôle des Nord-Africains, 1956-1957, circulaire à tous les cercles et subdivision (...)
  • 71 Ibid., sous-chemise : immigration nord-africaine, lettre du commandant de cercle de Tahoua Espital (...)
  • 72 Rogatien Gautier, Jacqueline Fournier, Dans le désert du Ténéré…, op. cit., p. 37-66 ; Marcel Baud (...)

39Les administrateurs s’interrogent sur le type d’informations auxquelles ont accès leurs administrés. À partir de 1956, le contrôle exercé sur les Nord-Africains se resserre. Tous les ressortissants algériens, fezzanais, libyens, tripolitains et tunisiens sont identifiés et recensés de manière confidentielle lors de leur entrée dans la colonie70. Mais les administrateurs sont confrontés à l’absence de tout cadre légal réglementant la venue des Algériens en AOF, qui n’ont théoriquement besoin d’aucune autorisation71. Dans cette perspective, les confins sahariens sont garnis de postes qui n’ont pas pour objectif d’administrer les populations mais d’être des relais d’information vers le chef-lieu de colonie. Certains postes, à l’exemple de Chirfa, sont uniquement occupés par des sous-officiers radio dont la tâche principale est d’observer les mouvements et de communiquer trois fois par jour avec le chef-lieu72.

40L’inquiétude de l’administration coloniale à l’égard de la situation dans le Nord du Niger transparaît dans le discours du gouverneur Ramadier à la séance d’ouverture de la troisième session extraordinaire du 15 septembre 1956 :

  • 73 Jean Ramadier, Discours prononcé par le gouverneur Ramadier à la séance d’ouverture de la troisièm (...)

« Vous savez combien la propagande maraboutique, panislamique venant du Proche-Orient ou de la Libye est active dans les campements touaregs, vous savez combien le désert est maintenant traversé par des camions venant d’Algérie, colportant, en même temps que de fausses nouvelles, des mots d’ordre de révolte. Il n’y a pas là un danger grave, l’ordre, je vous en donne l’assurance, ne sera pas troublé, mais nous ne pouvons plus rester indifférents à cette déchéance73. »

41La conclusion du gouverneur Ramadier est emblématique des résultats de ce type de rapport. En effet, si les autorités coloniales sont obsédées par les dangers potentiels qui pourraient aboutir à la remise en cause de l’ordre existant dans la colonie du Niger, les administrateurs, tout comme les militaires, après avoir longuement exposé les risques potentiels, concluent quasi invariablement leurs rapports en affirmant que la situation est bonne et qu’aucun danger réel ne pèse sur la colonie. Ainsi, l’obsession du renseignement ne semble pas fondée sur un danger réel mais plutôt sur une peur panique d’une contagion extérieure qui n’existe pas.

  • 74 Jean Périé évoque la périodicité de ces conférences, « Au mois de novembre de chaque année, avait (...)
  • 75 ANN 1 E 45. 28, Renseignements divers, correspondances, territoire du Niger, la politique provinci (...)
  • 76 ANN DAPA 133. 1, Bulletin d’information du cabinet diplomatique de l’AOF à Dakar, 1953-1954 ; Mich (...)
  • 77 SHD 10 T 717 : 1959-1970, dossier no 1 : Notices et études sur la Libye 1949-1963, sousdossier, Ét (...)

42Parallèlement à cette injonction faite aux administrateurs de recueillir et de transmettre des informations sur leurs administrés, le gouverneur Toby met en place un système de transmission de renseignements venus de l’extérieur vers les différents chefs-lieux de cercles. Certaines informations intéressant un cercle en particulier sont transmises immédiatement au commandant du cercle concerné. Les informations d’ordre général, particulièrement les documents transmis par le cabinet diplomatique de l’AOF à Dakar, sont résumées et communiquées à l’ensemble des administrateurs lors des conférences de commandants de cercle qui ont lieu chaque année au mois de novembre à Niamey74. Toby transmet aussi aux commandants de cercle des extraits de journaux nigérians évoquant les risques possibles de sécession des régions nord et notamment des articles du Nigerian Citizen ou de West Africa75, ainsi que des traductions d’extraits d’articles du New York Times et notamment plusieurs articles de Michaël Clark sur l’avenir de l’AOF, sur les difficultés que pourraient rencontrer les territoires français, sur les conflits possibles en AOF et sur les progrès de l’islam76. Dans le même temps, à travers le travail du deuxième bureau, le renseignement militaire se tourne vers l’anticipation pour analyser l’avenir des différents territoires amenés, dans un avenir proche, à prendre leur indépendance. La Libye est jugée peu viable et très perméable au risque de fanatisme77. Au Niger, les militaires s’inquiètent aussi de la viabilité du pays et notamment de la possibilité pour les populations noires et blanches de vivre ensemble. Ce thème est alors classique dans les rangs des militaires.

  • 78 Jean Ramadier, Discours prononcé par le gouverneur Ramadier…, op. cit., p. 43.

43L’objectif de l’autorité coloniale à travers ce déploiement d’activité de renseignement est de garantir le statu quo, comme l’exprime le gouverneur Ramadier dans la conclusion de son discours de 1956 : « Ce qu’il faut c’est que le pays continue à vivre en paix, trop de désordres nous environnent, trop de propagandes circulent à travers notre territoire, nous devons ensemble fermer les yeux à toutes ces tentatives78. » Dans un contexte international de plus en plus tendu, l’accélération des réformes, à travers la loi cadre de 1956 et l’arrivée à la tête du conseil de gouvernement d’une équipe dont la France remet en question la loyauté, précipite la reprise en main du territoire par les autorités coloniales françaises. Plus les enjeux internationaux deviennent prégnants, plus la situation algérienne se dégrade, plus il devient clair pour les autorités françaises, métropolitaines et locales qu’il ne peut être question de se dessaisir d’un territoire possédant plus de 1 000 kilomètres de frontière avec l’Algérie.

Résoudre la question des frontières

44La configuration des structures territoriales – frontières, limites administratives, cantons, cercles ou fédérations – avait été, tout au long de la colonisation, une question ouverte. Après la Seconde Guerre mondiale, les débats se focalisent sur la pérennité du système colonial et les transformations fondamentales qu’il doit subir. À ce moment, les options politiques sont ouvertes. Les gouvernements coloniaux, les acteurs du système colonial et les élites africaines naissantes souhaitent transformer le projet colonial en l’appuyant sur un socle progressiste, et les théories et les discours du développement apparaissent comme un moyen de redynamiser le colonialisme. Dans ce cadre, la forme que pourraient prendre les territoires africains et l’organisation territoriale du continent deviennent sujet de débat. L’idée que la colonisation française en Afrique ne peut être pérenne, loin de mettre un terme au questionnement des territoires coloniaux, suscite de nombreux débats sur les structures existantes. À l’échelle fédérale et impériale, à Dakar et Paris, on s’interroge sur la capacité des dispositifs et des territoires à embrasser le changement. L’occupant colonial cherche alors une nouvelle fois à améliorer son dispositif, notamment à résoudre l’imprécision des tracés frontaliers, et un moment de renégociation s’ouvre, rapidement éteint par l’accélération du contexte.

  • 79 ANN 19. 1. 12, Projet de modification des limites territoriales Algérie-Soudan-Niger, Toby, gouver (...)
  • 80 Joseph Roger de Benoist, La balkanisation de l’AOF, op. cit., p. 119-127.
  • 81 ANN 19. 1. 12, Projet de modification des limites, Toby, Téra, 1946, p. 2.
  • 82 Ibid.
  • 83 Ibid., p. 3.

45Dès la conférence de Brazzaville en 1944, une réflexion est entamée sur une réorganisation possible de la distribution des territoires coloniaux en AOF. Le gouverneur général et la direction du Plan sollicitent les représentants de chaque colonie pour qu’ils élaborent des projets sur ce thème79. Dans les années qui suivent la conférence, plusieurs projets sont soumis au gouverneur général, divisant l’AOF en quatre, trois ou deux territoires80. Le gouverneur Toby s’engage dans ce débat et produit plusieurs rapports sur un projet de reconfiguration de l’AOF. Il propose un redécoupage complet en six colonies d’un nouveau type, réalisée par de « simples rattachements de cercles » qui, à la manière d’un puzzle, seraient échangés d’une colonie à l’autre en gardant peu ou prou leurs configurations actuelles81. La logique de sa proposition est explicitée clairement, il s’agit de créer des blocs déterminés par « les caractères du pays, son économie, la mentalité et le genre de vie des habitants », ainsi il convient, selon lui, de créer un « bloc touareg dont l’unité ethnique et la profonde originalité sont si remarquables82 ». Ses propositions recherchent comme nouvelles frontières de « véritables limites entre des groupes humains bien opposés » et préconisent que chaque groupe ethnique homogène, au genre de vie similaire, soit géré dans une même administration83.

  • 84 Jacques Larrue, Jean-Marie Payen, Jean Ramadier gouverneur de la décolonisation, Paris, Karthala, (...)
  • 85 Entretien avec Bernard Viollier, en juin 2006, qui participa à ces débats à Dakar en 1959. Pour le (...)

46Le gouvernement à Paris s’interroge de son côté sur l’opportunité d’un redécoupage de l’AOF à partir des ports84. Trois entités seraient créées : la première rassemblerait le Sénégal, la Mauritanie et la Guinée ; la deuxième, la Haute-Volta et la Côte d’Ivoire ; la troisième, le Dahomey, le Togo et le Niger. En 1959, à Dakar, une commission est créée pour discuter la forme que devront prendre dans un avenir proche les différents territoires après l’indépendance : transformer les espaces existants en fédérations, créer des pays ou des structures fédérales plus petits85.

  • 86 Camille Lefebvre, « La décolonisation d’un lieu commun. L’artificialité des frontières africaines, (...)

47Ces débats s’inscrivent dans un contexte intellectuel de questionnement sur l’avenir territorial du continent africain86. Le thème des risques représentés par la balkanisation du continent est, dans les années 1950, le nouveau paradigme d’analyse des questions territoriales en Afrique et s’appuie sur un consensus largement partagé sur l’artificialité des configurations territoriales existant en Afrique, frontières, colonies, fédération. Il est alors un fait admis que les frontières africaines sont de pures créations artificielles réalisées par l’occupant au hasard de ses actes de domination, ce sujet faisant converger des personnalités aux points de vue pourtant résolument opposés, de Jean Suret Canale à Robert Cornevin ou Hubert Deschamps, en passant par Frantz Fanon, Cheikh Anta Diop, Léopold Sedar Senghor ou Gabriel d’Arboussier, des intellectuels marxistes aux anciens administrateurs reconvertis dans les sciences sociales, en passant par les militants anticolonialistes ou panafricains et les leaders politiques. Cette critique s’appuie alors sur l’idée que les organisations territoriales africaines n’ont aucune profondeur historique, sont avant tout des réalisations européennes, mais aussi sur l’idée que les sociétés traditionnelles africaines sont étrangères aux formes modernes d’organisation politique. Ces discours, en cherchant à réinventer un regard sur l’Afrique au prisme du développement et de la modernité, reprennent ainsi sans le vouloir certains aspects des discours coloniaux, leur donnant un jour acceptable tout en les dénonçant avec vigueur.

  • 87 MAE-CADN, Fonds Niamey Ambassade, carton no 4 bis : 1958-1960, dossier 4 : Vie politique avant l’i (...)

48On retrouve ces doutes, à l’échelle de la colonie, ainsi en 1958, dans une synthèse politique mensuelle sur le territoire du Niger, le constat est sans appel : « Il est évident que le Niger dans son cadre actuel, tel qu’il résulte de frontières artificiellement tracées, ne peut guère prétendre s’organiser et se développer87. » Ce discours est sous-tendu par une vision du monde dans laquelle l’homme est déterminé par le milieu. On retrouve ainsi souvent, dans les rapports, l’idée que la politique et l’histoire d’un peuple sont inscrites dans sa géographie. À l’aune de cette analyse, le Niger n’aurait donc aucun avenir.

  • 88 « La limite entre le Niger et le Soudan coupe en deux le Tamesna un peu à l’est du 4e méridien, pu (...)

49À l’échelle coloniale, d’autres questions se posent. L’imprécision des frontières et des limites administratives n’avait jamais été un problème pour le colonisateur qui les considérait comme des conventions temporaires susceptibles d’évoluer selon les situations et les enjeux. Mais cette période où la colonisation commence à s’interroger sur sa pérennité change la perspective des colonisateurs. Plusieurs administrateurs évoquent ainsi clairement, dans leurs rapports, la question de l’avenir de ces frontières. Dès 1956, dans un de ses rapports, le commandant Chapelle s’interroge sur la limite qui traverse le Tamesna, entre Niger et Soudan. Selon lui, si celle-ci peut avoir un sens dans le cadre d’une administration réalisée par une même autorité, elle devient incohérente au cas où elle partagerait des territoires différents s’administrant chacun indépendamment88. La question qui se pose en effet pour les administrateurs est celle du changement de sens profond qui risque d’advenir rapidement. Ces frontières ont été conçues à l’origine comme des limites administratives et il n’a jamais été question pour le colonisateur de créer de futurs États et, a fortiori, de concevoir de futures frontières d’États. Cette dernière génération d’administrateurs, qui perçoit qu’une évolution du fait colonial est inévitable, s’interroge sur l’adéquation entre les configurations existantes et les évolutions historiques.

50Cette acuité du sentiment d’un avenir en marche amène les autorités coloniales, à toutes les échelles du pouvoir – gouverneur général, gouverneurs, militaires et administrateurs –, à tenter d’améliorer le dispositif. Dans la colonie du Niger, l’administration coloniale souhaite clarifier la situation des frontières extérieures du territoire. Administrateurs et militaires s’attachent ainsi à identifier quelles pourraient être les difficultés liées au territoire et aux frontières que serait amenée à rencontrer une future entité autonome.

  • 89 ANN 5. E. 7. 4, Campagnes sahariennes, liaisons militaires, opérations de police, 1945-1947, sous- (...)
  • 90 Dans un texte qui analyse les dangers possibles résultant de l’indépendance de la Libye, sont évoq (...)

51Lorsque la question de l’avenir de la Libye et particulièrement du Fezzan est mise en débat à l’ONU, les autorités de la colonie du Niger, par la voix du gouverneur Toby, plaident en faveur du rattachement d’une partie du territoire libyen à la France et de son attribution à la colonie du Niger. Dans une lettre de 1948, destinée au gouverneur général de l’AOF, il argumente sur la nécessité d’une souveraineté française sur le Sud-Ouest libyen, indispensable aux intérêts permanents de l’Union française et aux intérêts défensifs du bloc africain français89. L’Assemblée générale des Nations unies vote, le 21 novembre 1949, la résolution 289 qui recommande la constitution d’un État indépendant et souverain en Libye. Les autorités militaires françaises s’inquiètent alors qu’aucune des frontières entre la Libye et les territoires français ne soit ni démarquée ni même clairement délimitée. Plusieurs rapports du deuxième bureau évoquent ce problème90. La France entame donc des négociations avec la Libye indépendante dès janvier 1955. Le traité de Tripoli, signé le 10 août, statue que la frontière est définie par les différents textes de 1898, 1899, 1919. Il est indiqué que les deux gouvernements s’engagent à désigner des experts qui seront chargés de l’abornement sur le terrain. Mais les opérations d’abornement n’auront jamais lieu, une fois encore interrompues par les circonstances historiques, et notamment la rupture entre la France et le Royaume de Libye.

  • 91 Une commission mixte de délimitation de frontière se réunit à Gaya, le 29 juin 1961, ANN 1 E 45. 3 (...)

52De même, la frontière avec la colonie du Dahomey n’avait jamais clairement été délimitée. Des négociations sont entamées à la veille des indépendances et se poursuivent au-delà de l’indépendance formelle. En 1961, c’est l’ancien commandant de cercle, Edmond Séré de Rivière, qui représente la République du Niger lors de négociations bilatérales avec l’État indépendant du Dahomey visant à préciser le tracé de la frontière91. L’intense questionnement sur la configuration future des territoires durant la période est guidé par la volonté de conférer à ces espaces une structure viable, ce qui n’avait jamais été, jusque-là, une préoccupation pour le colonisateur. Mais ces tentatives des dernières années de la colonisation, entamées dans un contexte où l’occupant français est occupé ailleurs, restent largement inopérantes.

CONCLUSION

53La Seconde Guerre mondiale transforme profondément le regard des autorités coloniales sur cette région dont la colonisation avait longtemps été perçue comme un mal nécessaire. La colonie du Niger est désormais au cœur de la stratégie défensive des militaires français, face à l’augmentation des dangers, réels ou fantasmés, dans la sous-région, en Libye puis en Algérie. Le personnel colonial, désormais plus nombreux et mieux outillé, est théoriquement à même de s’imposer sur l’ensemble du territoire. L’autorité coloniale cherche alors à couvrir par son action toute sa surface et à atteindre toutes ses populations. L’occupation coloniale au Niger de 1938 à 1956 contraste fortement avec la version primitive du pouvoir colonial. Cette période est marquée par une volonté de contrôle effectif du territoire, par le développement d’une logique sécuritaire liée à des circonstances exceptionnelles. Mais l’autorité coloniale de la colonie du Niger a peu à cœur de légitimer sa présence par des discours spécifiques. Si, comme partout ailleurs, les colonisateurs souhaitent diriger et orienter le changement social, le faible investissement colonial dans l’éducation, la formation ou la santé témoigne de la distorsion entre discours et réalité. Le nouveau style administratif se concentre sur la mise en place d’une structure efficace d’encadrement et de commandement, et si la colonie du Niger connaît une inflation institutionnelle, c’est dans le domaine de la sécurité qu’elle se réalise. Alors qu’on observe une décrue des activités répressives, on remarque dans le même temps, paradoxalement, la construction d’un appareil sécuritaire concentré avec force et constance sur des menaces inexistantes. Les agents chargés de le mettre en œuvre ont beau affirmer l’absence de menace, il se perpétue et se renforce, construisant une doxa sécuritaire sur les dangers religieux dans le Sahara qui connaît une longue postérité.

Notes

1 Martin Kitchen, Rommel’s Desert War : Waging World War II in North Africa, 1941-1943, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 143.

2 Christine Levisse-Touzé, L’Afrique du Nord dans la guerre, 1939-1945, Paris, Albin Michel, 1998, p. 16-18.

3 Maurice Abadie, La défense des colonies. Résumé historique, Paris, Charles-Lavauzelle, 1937, p. 226-229.

4 Ibid., p. 229.

5 Jean Tilho, « Non ! Nous ne livrerons pas les clefs de l’empire », supplément au numéro du Temps du 25 décembre 1938, p. 4.

6 Ibid., p. 4.

7 Jean Tilho, « Non ! Nous ne livrerons pas les clefs de l’empire », art. cité, p. 2-3.

8 Ibid., p. 3.

9 Marc Carlier, La « drôle de guerre » au Sahara : confins nigériens, 1938-1940, Paris, Karthala, 2006, p. 19-20, 26-36 et 40-41.

10 Jean Périé, Administrateur des colonies non repenti, op. cit., p. 94.

11 « Des effectifs qui atteindront le chiffre de 200 Européens et 800 indigènes, armements, service d’artillerie, ateliers auto et avion, stocks de munitions, d’essence, huile, pétrole, matériaux de construction, ravitaillement d’intendance, matériel sanitaire… Tout ce monde et le stockage de tout ce matériel qui arrive à flot transforment en peu de temps ce coin du Kaouar jusqu’alors si calme », SHD 5 H 211 dossier 2, Histoire du poste de Dirkou, p. 2.

12 Ibid., p. 5.

13 « Les visites ou inspections de personnalités de marque ne manquèrent pas à Dirkou. C’est ainsi que l’on vit, en octobre 1939, le général commandant supérieur Debuisson, puis le 24 mai 1940 son successeur le général Barrau, qui se souvient sans doute encore d’une sieste avec le vent de sable et une température de 51° 5 dans la paillotte. Le colonel Aubert commandant le cercle des confins nigéro-tchadiens et le colonel Pelletier d’Oisy vinrent au Kaouar à plusieurs reprises », ibid., p. 6.

14 SHD 5 H 215 dossier 2, Dossier de la manœuvre de Toummo, no 3339/3 CL S, lettre no 2516 GCS/ AOF. 2, à monsieur le haut-commissaire de la République française, gouverneur général de l’AOF, cabinet militaire à Dakar, objet occupation de Tummo, de Garbay, 24 mai 1955, p. 1.

15 Marc Carlier, La « drôle de guerre » au Sahara, op. cit., p. 70.

16 Ibid., p. 69-72 ; Rogatien Gautier, Jacqueline Fournier, Dans le désert du Ténéré, un chemin de résistance, Paris, Opéra, 2005, p. 66.

17 Catherine Akpo-Vaché, L’AOF et la Seconde Guerre mondiale (septembre 1939-octobre 1945), Paris, Karthala, 1996, p. 37.

18 SHD 5 H 211 dossier 2, Histoire du poste de Dirkou, p. 6.

19 « Dès l’annonce de l’armistice et l’appel du général de Gaulle, les capitaines Tuttenges et Oliva, les lieutenants Pol, Quiliquini et Fougerat étaient partis en Nigeria pour s’engager dans l’armée anglaise, le colonel Marguet était allé lui-même les rechercher et avait réussi à les ramener », Jean Périé, Administrateur des colonies non repenti, op. cit., p. 86.

20 Marc Carlier, La « drôle de guerre » au Sahara, op. cit., p. 79. Le général Massu se souvient que les échos de ce message émis à Agadez en direction de Zinder ont fait le tour des confins nigéro-tchadien, Jacques Massu, Sept ans avec Leclerc, Monaco, Éditions du Rocher, 1997, p. 12.

21 Voici les termes de son télégramme : « Madama à tous. No 203/Poste de Madama rallié au général de Gaulle attend en vain réponse Niger à télégramme de l’AEF/ Souhaite ardemment que tous les commandants de poste et d’unité ayant sens de l’honneur et amour de la patrie prennent position et fassent honte à nos chefs qui abritent la passivité derrière le grand mot de discipline/ signé Boudy », ANOM, carton 634 dossier 8 rapport 39. Voir sur ce point : Catherine Akpo-Vaché, L’AOF et la Seconde Guerre mondiale, op. cit., p. 37 ; Marc Carlier, La « drôle de guerre » au Sahara, op. cit., p. 87-98 ; Marc Carlier, Les ralliements à la France libre : Niger-est, 1940-1942, Paris, Mémoires d’hommes, 2006, p. 42-43.

22 Condamné à deux ans de prison, il participe à la libération de Paris dans les rangs des FFI et revient ensuite au Niger, Jean Périé, Administrateur des colonies non repenti, op. cit., p. 88-89.

23 Marc Carlier, La « drôle de guerre » au Sahara, op. cit., p. 86.

24 Catherine Akpo-Vaché, L’AOF et la Seconde Guerre mondiale, op. cit., p. 110.

25 Marc Carlier, La « drôle de guerre » au Sahara, op. cit., p. 75-76.

26 Martin Thomas, The French Empire at War 1940-1945, Manchester/New York, Manchester University Press, 1998, p. 81-82 ; Vincent Joly, Le Soudan français de 1939 à 1945, une colonie dans la guerre, Paris, Karthala, 2006, p. 368.

27 Bernard Droz (dir.), « Vichy et les colonies », Outre-Mers, 91/342-343, 2004, p. 7.

28 Jean Périé, Administrateur des colonies non repenti, op. cit., p. 106.

29 Pierre Gentil, Confins libyens, op. cit., p. 12-13.

30 SHD 5 H 211 dossier 2, Histoire du poste de Dirkou, p. 9.

31 Vincent Joly, « Se défendre contre quiconque. L’effort militaire au Soudan français, juillet 1940-novembre 1942 », dans Bernard Droz (dir.), « Vichy et les colonies », op. cit., p. 92-93.

32 Sophie Dulucq, « Étrangers et migrants en AOF de 1939 à 1942. L’ère du soupçon », dans Catherine Coquery-Vidrovitch, Odile Goerg, Issiaka Mande, Faranirina Rajaonah, Être étranger et migrant…, op. cit., p. 356.

33 Rogatien Gautier, Jacqueline Fournier, Dans le désert du Ténéré…, op. cit., p. 80-81.

34 Pierre Gentil, Confins libyens, op. cit., p. 97.

35 Ibid., p. 120. Pierre Gentil est alors adjoint du commandant de cercle de Bilma.

36 « Personne n’avait cherché à s’opposer au départ du lieutenant Aurelles qui avait été adjoint au commandant de cercle de Bilma avant mon arrivée. Après avoir remis au médecin Le Drézen les clés du coffre contenant la caisse et le “chiffre”, il était parti à chameau avec le meilleur guide du cercle, le brigadier-chef Mardakry, lequel avait ramené les chameaux à Bilma. On n’a pas cherché à poursuivre, quelques mois plus tard, plusieurs sous-officiers partis de Dirkou pour Zouar avec un camion militaire qui, lui, ne fut pas retourné. Peu après, un officier du Maroc le commandant Lanusse qui avait traversé le Sahara en diagonale avec sa voiture pour rejoindre le Tchad fut intercepté par une patrouille du groupe nomade de Bilma dans le Nord du cercle tout près de la frontière. Le lieutenant Aune, commandant le GN, le laissa continuer sa route après qu’il se fut reposé car c’eût été dommage de faire échouer un si beau raid saharien si près du but », Jean Périé, Administrateur des colonies non repenti, op. cit., p. 105. Massu évoque l’arrivée du commandant Lanusse au Zouar après son périple, Jacques Massu, Avec de Gaulle, du Tchad 1941 à Baden 1968, Monaco, Éditions du Rocher, 1998, p. 24-25.

37 Le colonel Parisot alors en poste à N’Guigmi se souvient que les postes tchadiens écrivaient aux postes d’en face au Niger de les rejoindre. Ces derniers refusaient, ne voulant pas, selon lui, abandonner les populations. L’entraide n’était pas coupée et les postes du Niger proposaient du ravitaillement aux postes tchadiens. Entretien avec le colonel Parisot à la fédération des anciens combattants d’outre-mer à Rueil-Malmaison, en juin 2006. Pour les détails concernant cet entretien, infra, p. 492. Dans son récit de souvenirs Massu déclare : « Je suis également heurté par la prescription qui nous est faite de durcir notre attitude vis-à-vis de officiers, nos voisins d’AOF, non encore ralliés. Il est nécessaire de considérer comme des ennemis vos ex-camarades si leurs yeux ne se dessillent pas. Or, tout en étant très ferme dans ma position de fervent de de Gaulle, j’avais maintenu des contacts avec le Niger. À Zinder commandait le général Cornet sous les ordres duquel j’avais servi au Maroc. À Bilma c’était le commandant Nicloux qui avait été mon capitaine jadis à Saintes et à Puttelange », Jacques Massu, Sept ans avec Leclerc, op. cit., p. 12.

38 Finn Fuglestad, A History of Niger, op. cit., p. 139.

39 Cette période de douze ans est entrecoupée de trois intérims : ceux de Gosselin, d’Ignace Colombani en 1949 et de Casimir en mars 1952.

40 Edmond Séré de Rivière, « Jean Toby 1900-1964 », dans Hommes et destins (dictionnaire biographique d’outre-mer), Paris, Académie des sciences d’outre-mer, 1981, tome 4, p. 681.

41 Après le départ du gouverneur Boisson, Toby aurait demandé à être relevé de ses fonctions et à être versé dans l’armée. Mais le gouverneur Boisson l’aurait prié de ne rien en faire et d’attendre qu’on lui demanda de partir, ce qui n’arriva pas, Catherine Akpo-Vaché, L’AOF et la Seconde Guerre mondiale, op. cit., p. 174. Sa position par rapport à Vichy n’est pas claire, il a souvent été qualifié de pétainiste en raison de sa nomination par le gouvernement de Vichy, mais rien ne l’atteste clairement dans les archives. Il semble même qu’il ait été unanimement rejeté par les colons de Côte d’Ivoire en 1942 en raison de ses connections gaullistes, Nancy Lawler, « Reform and Repression under the Free French : Economic and Political Transformation in the Côte d’Ivoire, 1942-45 », Africa : Journal of the International African Institute, 60/1, 1990, p. 91.

42 Edmond Séré de Rivière, « Jean Toby 1900-1964 », art. cité, p. 677.

43 Jean Clauzel, La France d’outre-mer (1930-1960). Témoignages d’administrateurs et de magistrats, Paris, Karthala, 2003, p. 619.

44 Finn Fuglestad, A History of Niger, op. cit., p. 123.

45 Edmond Séré de Rivière, « Jean Toby 1900-1964 », art. cité, p. 678.

46 Jean Périé, Administrateur des colonies non repenti, op. cit., p. 221. C’est par cette expression qu’il est désigné par la plupart des administrateurs ayant servi au Niger que j’ai pu interroger.

47 Catherine Akpo-Vaché, L’AOF et la Seconde Guerre mondiale, op. cit., p. 174.

48 Jean Périé, Administrateur des colonies non repenti, op. cit., p. 160. Gilbert Comte, lors de notre entretien, a aussi évoqué la honte que ressentait le gouverneur Toby d’avoir participé à la conférence de Brazzaville. Pour les détails concernant cet entretien, voir infra, p. 493-494.

49 Ce chiffre comprend tous les Européens et assimilés : civils, militaires, femmes, enfants, métis, citoyens français, étrangers assimilés.

50 « 15 ou 16 [fonctionnaires] et autant de commerçants européens », « une douzaine [de femmes] dont plusieurs avaient de jeunes enfants », Jean Périé, Administrateur des colonies non repenti, op. cit., p. 194.

51 Évolution de la présence civile et militaire des colonisateurs français au Niger :

Années

Fonctionnaires

Militaires

1946

110

211

1951

275

398

Augmentation

40 %

53 %

52 Dans Edmond Séré de Rivière, Niger. Pays africains, Paris, Société d’éditions géographiques, maritimes et coloniales, 1952, tome 2, p. 50.

53 Edmond Séré De Rivière, Niger, op. cit., tome 2, p. 48.

54 Jean Périé évoque dans son récit de souvenirs l’importance des tournées aux yeux du gouverneur Toby : « On considérait alors que les tournées en brousse constituaient la partie la plus importante du rôle de l’administrateur et on avait bien raison car elles étaient l’occasion de contacts directs et familiers avec toutes les catégories de population, le seul moyen de connaître vraiment les problèmes du cercle et les gens. Le gouverneur Toby traduisait cela par une de ses formules imagées : “Votre cercle, messieurs, il faut l’avoir dans le cul”, indiquant par là qu’il fallait l’avoir parcouru village par village à cheval ou à chameau », Jean Périé, Administrateur des colonies non repenti, op. cit., p. 176.

55 Il semble que, dans les années 1940, chaque cercle possède au moins une voiture, ce qui ne signifie pas qu’elle soit utilisée systématiquement pour réaliser les tournées. Les administrateurs semblent préférer, pour franchir de petites distances, le cheval ou le chameau.

56 À propos d’une tournée dans la région du Tamesna effectuée en 1948 : « Cette liaison et surtout la randonnée qui l’a suivie dans le Tamesna s’imposaient. Le passage de sept voitures au milieu de leurs campements a fait sentir la réalité de notre présence à des nomades, qui, les Hoggars en particulier, ont un peu tendance à l’oublier », ANN 5 E 1. 3, Liaisons sahariennes, liaisons avec le Soudan, liaisons sahariennes 1957, sous-dossier : Liaison avec le Soudan à In Aridal en février 1948, rapport du commandant Delon, hors cadre, en service à Tahoua à monsieur l’administrateur commandant de cercle de Tahoua.

57 Finn Fuglestad, A History of Niger, op. cit., p. 158-160.

58 Olivier Colombani, Mémoires coloniales. La fin de l’Empire français d’Afrique vue par les administrateurs coloniaux, Paris, La Découverte, 1991, p. 81.

59 Véronique Dimier, « Décentraliser l’Empire ? », art. cité, p. 93.

60 Isabelle Merle, « Retour sur le régime de l’indigénat. Genèse et contradictions des principes répressifs dans l’empire français », French Politics, Culture & Society, 20/2, 2002, p. 77-97.

61 ANN 5 E 1. 3, Liaisons sahariennes, liaisons avec le Soudan, liaisons sahariennes 1957, sous-dossier : Liaison de Fillingué décembre 1950, lettre 129/APA du gouverneur du Niger au gouverneur du Soudan le 28 octobre 1950, confidentiel, p. 2.

62 ANN 5 E 1. 3, Liaisons sahariennes, liaisons avec le Soudan, liaisons sahariennes 1957, sous-dossier : Liaison de Fillingué décembre 1950, lettre 129/APA du gouverneur du Niger au gouverneur du Soudan le 28 octobre 1950, confidentiel, p. 3.

63 ANN 5 E 1. 3, Liaisons sahariennes, liaisons avec le Soudan, liaisons sahariennes 1957, sous-dossier : Liaison de Fillingué, décembre 1950, procès-verbal du 5 décembre 1950, p. 1.

64 Dans une lettre du 7 mars 1926 au commandant de cercle de Bilma, le gouverneur Brévié s’étonnait de recevoir des informations sur Mourzouk et sur le Tibesti par le Tchad plutôt que par Bilma : « La région en question étant limitrophe de votre cercle, je suis surpris de n’être renseigné sur elle que par les soins de la colonie voisine qui en est beaucoup plus éloignée », ANN 5 E 8. 3, Territoire du Niger relation avec le Fezzan, 1953-1954.

65 ANN 5 E 6. 5, Entrée et circulation en AOF des Nord-Africains, 1942-1956.

66 « Au point de vue politique, le cercle d’Agadès, par sa position géographique aux confins de l’AOF, par l’étendue et la perméabilité de ses frontières, par l’importance des pistes qui le relient au monde musulman actuellement en pleine évolution, présente une importance particulière : il constitue la porte d’entrée possible de toutes les propagandes politiques et religieuses subversives », ANN 2. 1. 19, L’Aïr et les confins, sans auteur, cercle d’Agadez, sans date, après 1952, p. 7-8.

67 ANN 5 E 8. 4, Note sur les accords provisoires franco-libyens : Situation en Libye, 1953-1957, lettre no 651/APA adressée au commandant de cercle de Gouré, N’Guigmi et Tahoua, signée Raynier.

68 Ibid., plan de recherche de renseignement, colonel Charles commandant de la 4e brigade d’AOF.

69 À propos des commerçants nord-africains, Jullien-Vieroz explique dans son rapport : « Ce sont eux qui ont diffusé à Tamanrasset et Djanet les détails sur les incidents de Tunisie, du Maroc et de l’Aurès ; plus récemment, certains connaissaient les raisons de la tension franco-libyenne. Il n’est pas dit que des informateurs bénévoles n’aient pas déjà répandu la nouvelles sur les marchés du Niger […]. Les minorités arabophones détiennent à leur domicile des postes radio (11 à Tamanrasset, une trentaine à Agadez). Sur les grands axes Nord-Sud, l’auteur de ces lignes, dépassant un camion en panne, en pleine brousse, n’était pas surpris de voir sa cargaison humaine écoutant la “voix des Arabes” autour d’un poste à piles sèches. Questionné, le transporteur répondit qu’il écoutait la musique en attendant le dépannage. À l’image de ce qui a été constaté au Tchad, la presse arabe doit logiquement pénétrer un jour ou l’autre dans les centres urbains par cette voie », ANN 5 E 8. 4, Note sur les accords provisoires franco-libyens : Situation en Libye, 1953-1957, mission Jullien-Vieroz, Intérêts du Niger pour les commençants et transporteurs nord-africains, février 1955.

70 ANN 5 E 8. 8, Contrôle des Nord-Africains, 1956-1957, circulaire à tous les cercles et subdivisions, de Raynier, le 31 mai 1956, très confidentiel.

71 Ibid., sous-chemise : immigration nord-africaine, lettre du commandant de cercle de Tahoua Espitalier du 13 mars 1957.

72 Rogatien Gautier, Jacqueline Fournier, Dans le désert du Ténéré…, op. cit., p. 37-66 ; Marcel Baudin, Les derniers méharistes. Carnets de route, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 290.

73 Jean Ramadier, Discours prononcé par le gouverneur Ramadier à la séance d’ouverture de la troisième session extraordinaire 1956 de l’assemblée territoriale du Niger, Niamey, le 15 septembre 1956, Porto-Novo, Imprimerie du gouvernement, 1956, p. 41.

74 Jean Périé évoque la périodicité de ces conférences, « Au mois de novembre de chaque année, avait lieu à Niamey la conférence des commandants de cercle, une réunion de travail et d’amitié qui démontrait l’existence autour du gouverneur Toby d’une véritable équipe entièrement consacrée aux intérêts réels des populations du territoire du Niger », Jean Périé, Administrateur des colonies non repenti, op. cit., p. 266.

75 ANN 1 E 45. 28, Renseignements divers, correspondances, territoire du Niger, la politique provinciale du Nord de la Nigéria, 1957.

76 ANN DAPA 133. 1, Bulletin d’information du cabinet diplomatique de l’AOF à Dakar, 1953-1954 ; Michaël Clarck, « Gêne politique en perspective dans l’Afrique occidentale », New York Times, 14/11/1953 ; Id., « Conflit politique possible en Afrique occidentale. Les encouragements britanniques à l’autonomie de leurs territoires sont à l’opposé de l’intégration française », New York Times, 14/11/1953 ; Id., « Progrès de l’islam en Afrique occidentale », New York Times, 16/11/1953.

77 SHD 10 T 717 : 1959-1970, dossier no 1 : Notices et études sur la Libye 1949-1963, sousdossier, Étude sur la Libye, commandement supérieur des forces armées de la zone de défense AOF-Togo, 1954-56, Études et synthèses, La Libye, 8 juillet 1954. L’expression deuxième bureau désigne le service de renseignements de l’armée française, en référence au deuxième bureau de l’état-major général dont il était une composante.

78 Jean Ramadier, Discours prononcé par le gouverneur Ramadier…, op. cit., p. 43.

79 ANN 19. 1. 12, Projet de modification des limites territoriales Algérie-Soudan-Niger, Toby, gouverneur du Niger, Téra, 1946, p. 1.

80 Joseph Roger de Benoist, La balkanisation de l’AOF, op. cit., p. 119-127.

81 ANN 19. 1. 12, Projet de modification des limites, Toby, Téra, 1946, p. 2.

82 Ibid.

83 Ibid., p. 3.

84 Jacques Larrue, Jean-Marie Payen, Jean Ramadier gouverneur de la décolonisation, Paris, Karthala, 2000, p. 75.

85 Entretien avec Bernard Viollier, en juin 2006, qui participa à ces débats à Dakar en 1959. Pour les détails concernant cet entretien, voir infra, p. 492.

86 Camille Lefebvre, « La décolonisation d’un lieu commun. L’artificialité des frontières africaines, un legs intellectuel colonial devenu étendard de l’anticolonialisme », Revue d’histoire des sciences humaines, 24/1, 2011, p. 77-104.

87 MAE-CADN, Fonds Niamey Ambassade, carton no 4 bis : 1958-1960, dossier 4 : Vie politique avant l’indépendance, sous-dossier Synthèse politique, territoire du Niger, janvier-février-mars 1958.

88 « La limite entre le Niger et le Soudan coupe en deux le Tamesna un peu à l’est du 4e méridien, puis s’incurve pour devenir une limite horizontale à hauteur du 15e parallèle. Elle serait acceptable à la rigueur comme limite entre deux circonscriptions et pour séparer les gens de l’Adrar des Ifoghas et ceux des plaines à l’occident de l’Aïr, pour séparer les Oullimiden de l’ouest des Oullimiden de l’est, dans la mesure où il est nécessaire de les faire administrer dans de bonnes conditions de deux chefs-lieux différents. Mais cette limite est inacceptable lorsqu’il s’agit de mettre les uns à l’Est et les autres à l’Ouest dans deux territoires différents, chacun de ces territoires ayant une vocation à s’administrer lui-même et donc à imposer, à chacune des minorités touareg qui dépendent de lui, des régimes différents dans des domaines essentiels pour les populations », SHD, série 10 T, deuxième bureau, 717 : 1959-1972, dossier no 1 : Notices de la ZOM no 1 sur le Niger, sous-dossier : Notice sur le Niger 1956, citation du rapport du lieutenant-colonel Chapelle, Le pays Touareg, Hoggar, Niger, Soudan, diffusion restreinte, non paginé.

89 ANN 5. E. 7. 4, Campagnes sahariennes, liaisons militaires, opérations de police, 1945-1947, sous-dossier campagnes sahariennes et opérations de police, 1947-1949, lettre du gouverneur Toby au gouverneur général de l’AOF du 23 mars 1948.

90 Dans un texte qui analyse les dangers possibles résultant de l’indépendance de la Libye, sont évoqués les « litiges possibles aux frontières de la Libye avec l’Algérie, l’AOF et l’AEF, ces frontières n’ayant jamais été définies avec précision », SHD 10 T 717 : 1959-1970, dossier no 1 : Notices et études sur la Libye 1949-1963, sous-dossier, Notice, La Libye, Secret, no 25/150, commandement supérieur des forces armées de la zone de défense AOF-Togo, 2e bureau, archive de campagne, mise à jour deuxième trimestre 1955, prochaine mise à jour 1956.

91 Une commission mixte de délimitation de frontière se réunit à Gaya, le 29 juin 1961, ANN 1 E 45. 33, Rapport sur la réunion tenue à Gaya le 29 juin 1961 de la commission mixte Dahomey Niger chargée d’étudier l’appartenance de l’île de Lété, 1961, 5 p. dactyl.

Table des illustrations

Légende Tract « Non ! Nous ne livrerons pas les clefs de l’empire » (1)7
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Fichier image/jpeg, 204k
Légende Tract « Non ! Nous ne livrerons pas les clefs de l’empire » (2)8
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/36570/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 215k
Légende Carte administrative du Niger par Edmond Séré de Rivière52
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/36570/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 223k

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