1D’après la norme canonique fixée par le concile de Latran IV, la réforme de l’Église est la raison d’être des conciles provinciaux : son canon 6 impose aux évêques d’en tenir un chaque année, à la fois pour « traiter de la correction des abus et de la réforme des mœurs, principalement dans le clergé », pour faire connaître et appliquer les dispositions des conciles généraux, avec l’aide d’enquêteurs ad hoc nommés annuellement. C’est sur cet aspect que se sont surtout focalisées les présentations des conciles provinciaux tenus au xv^e siècle dans le royaume de France, en faisant de la publication de décrets dans ces assemblées le signe du zèle pastoral particulier de tel ou tel archevêque. Si cet aspect correspond souvent à une certaine réalité, cela n’est pas systématiquement le cas. Surtout, dans une période de valorisation de l’activité conciliaire et des réunions de prélats – en particulier dans la première moitié du siècle –, il me semble que l’on ne peut limiter l’analyse des enjeux et des actions de ces assemblées à la seule question de la réforme locale du clergé et du souci pastoral des évêques. Car opposer – ou même simplement dissocier – le rôle pastoral des prélats et leur action politique au service des princes et du souverain pontife n’a guère de sens pour cette période où les deux sont intimement liés, dans la mesure où ils s’inscrivent dans le cadre des débats sur les relations entre le pouvoir princier, le pouvoir pontifical et les Églises locales, la question étant avant tout – pour reprendre une formule employée dans son introduction par Jean-Philippe Genet – de trouver un nouvel équilibre entre ces trois pôles afin d’assurer au mieux la réforme de l’Église dans son ensemble et le bon gouvernement de la société chrétienne. Dans ce contexte, les attributions traditionnelles des conciles provinciaux, à savoir la diffusion sur le territoire provincial des législations générales de l’Église, ainsi que le règlement des conflits internes au clergé provincial, doivent aussi être lues au prisme des débats gallicans et des aléas de la politique royale. Autrement dit, il importe de se poser la question suivante : la tenue d’un concile provincial est-elle seulement liée à la présence sur le siège archiépiscopal d’un prélat zélé soucieux de l’affirmation de son pouvoir métropolitain et du bon ordre de son clergé ? Ou d’autres considérations liées aux politiques princières et pontificales entrent-elles en jeu ?

2Pour répondre à cette question, il est intéressant de prendre comme champ d’études plusieurs provinces, pour essayer de dépasser le cadre local qui enferme trop souvent la perspective sur ces assemblées. J’ai donc choisi de considérer ensemble les trois provinces ecclésiastiques du nord du royaume de France, celles de Sens, Reims et Rouen, qui rassemblent au total vingt-sept diocèses1. Ces espaces enjambant les frontières politiques mouvantes qui séparent alors les territoires sous gouvernement du roi capétien, du roi anglais et du duc de Bourgogne, la mainmise sur ces Églises constitue un enjeu fort pour les pouvoirs laïcs, et le haut clergé de ces provinces est non seulement largement impliqué dans les affaires du royaume mais aussi caractérisé par des tendances gallicanes assez prégnantes. Ce qui le distingue du clergé méridional, beaucoup plus papaliste, ou en tout cas défiant envers les universitaires parisiens, et dont la pratique conciliaire doit donc être analysée selon d’autres paradigmes2. Après avoir brossé un rapide tableau de l’activité conciliaire et des débats tenus à son propos, je m’attacherai plus précisément aux liens éventuels entre la tenue de ces réunions et les politiques royale et pontificale, en traitant d’abord de celles qui sont directement liées à l’application de la Pragmatique Sanction de Bourges (1438), avant de m’intéresser aux autres assemblées.

3Si l’on met de côté les assemblées de prélats convoquées par le roi, les conciles provinciaux proprement dits, c’est-à-dire les assemblées de prélats d’une province convoqués par leur métropolitain, sont rares au xv^e siècle. Cinq réunions sont attestées dans la province de Sens, trois dans celle de Reims – auxquelles il faut peut-être ajouter une quatrième réunion, vers 1459, de tenue incertaine – et quatre sont mentionnées pour la province de Rouen3. Certes, ces listes, établies essentiellement à partir des grandes collections conciliaires éditées, ne couvrent peut-être pas l’ensemble des conciles réellement tenus : Richard Kay a jadis démontré dans une étude magistrale les limites de ces recueils4. Mais les dépouillements effectués dans les fonds d’archive n’ont guère permis, pour l’instant, d’augmenter significativement la moisson. Nous sommes donc bien loin de la périodicité annuelle prônée par Latran IV. Si celle-ci n’a été que rarement atteinte au xiii^e siècle5, il est incontestable que c’est surtout à partir des années 1330 que se sont raréfiés les conciles provinciaux : à Sens, huit conciles sur les dix rassemblés au xiv^e siècle l’ont été avant cette date, à Reims la proportion est de 50 % et, à Rouen, le dernier concile attesté au xiv^e siècle date de 1342. Ces réunions sont donc devenues exceptionnelles dès le deuxième tiers du xiv^e siècle.

4Pourtant, un certain intérêt pour la tenue des conciles provinciaux se manifeste dans les assemblées réformatrices, comme l’ont souligné Josef Leinweber et Hélène Millet6. En témoigne notamment l’intérêt grandissant pour le Tractatus de modo generalis concilii celebrandi de Guillaume Durand le Jeune, lu devant le concile de Vienne en 1311 et qui appelle à une tenue fréquente de ces conciles7, thème repris par l’auteur anonyme du Liber dialogorum hierarchie subcelestis, dont nous connaissons, grâce à Hélène Millet, l’influence dans les milieux réformateurs de la fin du siècle8. En 1408, l’assemblée du clergé gallican réunie à Paris pour régler l’organisation de l’Église du royaume pendant la soustraction d’obédience consacre un long passage aux conciles provinciaux, rappelant l’obligation de les tenir annuellement et soulignant leur rôle pour la réforme et la correction du clergé9. Le rétablissement des conciles provinciaux est aussi au cœur du projet de réforme élaboré par l’université de Paris après Pise10. Enfin, la quinzième session du concile de Bâle adopte un décret sur les conciles provinciaux et diocésains prévoyant la réunion des premiers tous les trois ans au minimum11. Ce dernier décret n’est pas repris dans la Pragmatique Sanction12, mais il synthétise une partie des idées circulant les années précédentes dans les débats au sein du clergé, comme le montre une bulle analogue promulguée par Jean XXIII en 141213, ou le prologue des décrets du concile provincial de Sens de 1429, qui souligne que ces assemblées doivent être réunies tous les trois ans, reprenant ainsi un engagement imposé à l’archevêque par les chanoines avant son élection14.

5Ces conciles eux-mêmes s’intéressent à la réforme de l’Église, et pas seulement selon des paradigmes locaux. Ainsi, sur les trois corpus distincts de décrets provinciaux publiés en France du Nord après 1438, deux intègrent largement les décisions de la Pragmatique Sanction, à savoir ceux publiés en 1455 par l’archevêque de Reims Jean Jouvenel des Ursins, grand défenseur des idées gallicanes et fidèle conseiller de Charles VII, et ceux promulgués six ans plus tard par l’archevêque de Sens Louis de Melun, qui sont repris mot pour mot en 1485 par son successeur Tristan de Salazar15. Les décrets publiés en 1445 par l’archevêque de Rouen, Raoul Roussel16, se démarquent des deux autres, ce qui n’est guère étonnant dans la mesure où sa province se trouve alors hors de l’influence de Charles VII et, donc, hors du champ d’application de sa Pragmatique Sanction. La Normandie est, à cette époque, soumise au gouvernement du roi Henri VI, qui se montre hostile au concile de Bâle et prend soin de maintenir de bonnes relations avec une papauté qui conforte le contrôle royal sur les Églises locales17. Plusieurs questions se posent alors : l’assimilation des décrets de l’ordonnance royale dans le droit provincial de Reims et Sens en 1455 et 1461 est-elle le simple résultat de l’activité pastorale réformatrice des prélats locaux ou est-elle liée à un contexte politique national spécifique ? Qu’en est-il de la réforme de l’Église dans la province de Rouen : s’exprime-t-elle sous d’autres formes que celles préconisées par Bâle et est-elle liée, là encore, à un contexte plus national ? Et qu’en est-il dans les assemblées qui n’ont pas laissé de décrets ?

6La réunion, à quelques années d’intervalle, en 1455 et 1461, de deux conciles intégrant la Pragmatique Sanction dans les législations provinciales ne peut qu’attirer notre attention. Certes, ces sièges métropolitains sont alors occupés par deux prélats particulièrement soucieux du gouvernement de leur diocèse : Jean Jouvenel des Ursins, nommé en 1449, se lance aussitôt dans la visite de son diocèse, s’investit dans la célébration à Reims du jubilé de 1450 et s’occupe l’année suivante de promouvoir le culte d’un saint local18. De même, Louis de Melun s’illustre à Sens par son investissement diocésain, ses efforts pour restaurer une Église mise à mal par les guerres, ses synodes et ses visites pastorales, modèle d’ailleurs suivi par plusieurs de ses suffragants19.

7Mais il faut souligner aussi que nous sommes alors dans une période de dégradation des relations entre le roi et le pape : l’échec du cardinal d’Estouteville à obtenir un concordat lors de sa légation en 1451-1453 marque le début d’une décennie de soutien prononcé de Charles VII aux Gallicans, face aux prétentions du souverain pontife, dans un contexte d’affermissement du pouvoir royal. La réunion, dans ce contexte, du premier concile provincial tenu depuis presque un demi siècle par un archevêque de Reims, qui se trouve être à la fois un conseiller écouté du roi et un des meneurs du courant gallican, et qui a largement contribué à réfuter les arguments pontificaux lors de l’assemblée du clergé tenue à Bourges en 145220, ne saurait être une coïncidence, mais relève plutôt de la déclaration politique : il s’agit de diffuser les principes de la Pragmatique Sanction à tous les niveaux du clergé pour conforter le fonctionnement gallican de l’Église du royaume. Le concile réuni à Sens en mars 1461, par un archevêque qui est installé sur ce siège depuis près de trente ans21 mais n’a encore jamais réuni les évêques de sa province, s’inscrit lui aussi dans cette logique, à un moment où les relations entre le roi et le pape se sont encore tendues. Le projet de cette réunion date au moins de 1458, puisque l’archevêque obtient, en juin 1458, une bulle de Calixte III l’autorisant à convoquer les clercs exempts de sa juridiction pour le conseiller dans la réforme de sa province22. La lettre de convocation n’est cependant envoyée que le 22 janvier 146123. Elle suit de près l’appel à un concile général, assorti d’une défense des décrets de Bâle, prononcé au Parlement en novembre 1460 par le procureur général Jean Dauvet, probablement à l’initiative du roi, et renouvelé en février 146124. Un appel qui était lui-même une réponse à la bulle Exsecrabilis de janvier 1460, qui critiquait l’usage français d’appeler du pape au concile général et interdisait désormais cette pratique. Les contestations gallicanes du pouvoir pontifical, qui avaient déjà connu un pic lors de la levée de la décime en 1456-145725, ressurgissaient ainsi de plus belle. Or les décrets du concile sénonais de 1461 sont, pour la plupart, soit une reprise des décrets du concile précédent de 1429 – marqué par des revendications gallicanes –, soit une reprise des prescriptions de la Pragmatique Sanction. Pourtant, rien dans la convocation ou dans la carrière de Louis de Melun ne laisse entendre que cette assemblée aurait pu être commanditée par le pouvoir royal, car l’archevêque ne fait pas partie des conseillers réguliers du roi et est peu présent sur la scène politique nationale26. Le regain de tensions entre Paris et Rome, au début de l’année 1461, est ainsi l’occasion pour les évêques de revendiquer un rôle moteur dans la réforme de l’Église, dans le plus pur respect des principes gallicans : que ce soit par la réunion même du concile, ou par les décisions qui y sont publiées, les prélats font preuve de leur attachement à l’œuvre du concile de Bâle et à la Pragmatique Sanction.

8Le concile tenu à Sens en juillet 1485, qui réitère les décrets du concile de 1461, s’explique également bien plus par le contexte national que par la conjoncture provinciale. Nous sommes alors en période de régence de fait, sinon de droit. Les Beaujeu gouvernent le pays au nom de Charles VIII, mais ils sont confrontés à plusieurs menaces : d’une part, les ambitions de Louis d’Orléans, cousin et héritier du jeune roi, qui souhaiterait prendre la tête du conseil royal et qui a tenté un soulèvement armé au début de l’année 1485 ; d’autre part, l’agitation des Bretons, divisés sur la question de la soumission au roi27. La situation politique durant l’été 1485 est donc tendue et le pouvoir royal apparaît fragilisé. Concernant les affaires ecclésiastiques, les états généraux de Tours, tenus de janvier à mars 1484, avaient été marqués par de fortes aspirations gallicanes, que les Beaujeu n’avaient réussi à neutraliser que grâce aux manœuvres de couloir du groupe de ceux que l’on appelait les « évêques de Louis XI28 ». Le conseil royal poursuit en effet alors la politique de louvoiement initiée par le roi défunt, entre une alliance pontificale profitable et la menace de restauration des libertés de l’Église de France. Mais l’ajournement des réponses royales aux demandes des députés sur le chapitre de l’Église n’a évidemment pas réglé la question : l’application de la Pragmatique Sanction demeure dans les mois suivants un sujet brûlant, comme en témoignent les difficultés du cardinal Balue (inspirateur de la révocation de la Pragmatique en 1467), à exercer sa légation en France à l’été 1484 : malgré l’autorisation donnée par le conseil royal à son ambassade, il fut contraint de rentrer de nuit dans Paris le 5 août 1484 pour éviter un accueil hostile et dut quitter la capitale en catimini moins de quinze jours plus tard face au mécontentement de la population, non sans s’être vu refuser au préalable par le Parlement le bénéfice de ses bulles de légat29. Or, la lettre de convocation révèle que le concile est réuni par l’archevêque à la demande du roi, pour débattre de lettres de l’université de Paris, qui réclame l’application des dispositions de la Pragmatique Sanction concernant les bénéfices réservés aux universitaires30. L’alma mater ayant fait acte de fidélité envers les Beaujeu au mois de janvier31, ceux-ci font en retour un geste à son égard, en montrant qu’ils prêtent attention à ses requêtes32.

9Le choix du concile provincial de Sens pour traiter de ce sujet, qui relèverait pourtant plutôt d’une assemblée nationale vu sa nature, apparaît ici comme un moyen pour le pouvoir royal de préserver ses intérêts. En effet, en choisissant de confier l’examen de ce dossier à un archevêque ouvertement gallican, Tristan de Salazar33, le conseil royal coupe court par avance à toute velléité de contestation et d’appel à un concile national, dont l’éventualité est au cœur des rumeurs bruissant à Paris en ce mois de juillet 1485 mais dont la réunion serait potentiellement explosive pour les Beaujeu et le pape dans ce contexte de réaction gallicane34. Le concile provincial de Sens ne doit donc pas être lu comme un signe du souci de réforme de son archevêque, ainsi que le dit l’historiographie traditionnelle, mais bien comme un élément à part entière du jeu politique complexe entre le pouvoir royal, le pape et les courants gallicans. Ce qui ne l’empêche pas d’être aussi une assemblée provinciale assumant pleinement son rôle traditionnel, en discutant des problèmes constatés au sein du clergé local, sous la houlette d’un prélat qui, bien que prélat de cour, fut soucieux sa vie durant du bon ordre de son diocèse35. Ainsi, outre sa décision de publier à nouveau les décrets du concile provincial de 1461, repris in extenso, l’assemblée manifeste sa spécificité par l’envoi au roi, en même temps que sa réponse sur les privilèges universitaires, de plaintes concernant les empiètements sur la juridiction ecclésiastique, le logement des gens d’armes chez les clercs, les dîmes et les jeux satiriques moquant les gens d’Église36.

10La situation semble plus prosaïque au premier abord pour ce qui concerne le concile de la province de Sens réuni à Paris en mars 1429. Celui-ci s’inscrit en effet dans la suite d’une assemblée du clergé tenue l’année précédente à Paris, sur convocation du duc de Bedford, régent du royaume pour Henri VI, afin de lever un subside exceptionnel sur le clergé37. Or l’assemblée de 1428 s’était distinguée par deux éléments : une très faible fréquentation, qui avait permis aux prélats de se défausser face aux demandes du duc, en prétextant l’insuffisance de leur représentativité, et un appel insistant au respect des privilèges et libertés de l’Église gallicane définis par le concile national de 1406, qui visait surtout à soutenir le refus des taxations. La question financière est encore au cœur de la réunion de 1429. La lettre de convocation du concile indique ainsi comme premier motif de la réunion la guerre contre les Hussites et les mesures à prendre à ce propos et n’évoque qu’en second la réforme du clergé provincial38. Or le pape avait ordonné peu auparavant la levée dans toute la Chrétienté d’une décime sur le clergé pour financer la croisade contre les Hussites39. Il n’est pas étonnant, dans ce contexte, de constater que la réunion conciliaire tourne rapidement à l’affirmation des libertés ecclésiastiques, essentiellement en matière fiscale, tant vis-à-vis du pape que du roi. Une situation visiblement souhaitée par l’archevêque Jean de Nanton, qui avait convié, fait exceptionnel, les universitaires parisiens à se joindre à l’assemblée40. Il avait également pris soin de venir annoncer en personne au Parlement la tenue du concile, en requérant le « conseil, confort et aide » de ses membres41. Or ces deux institutions, l’université et le Parlement, étaient les deux plus virulents foyers de gallicanisme du royaume. L’influence des universitaires fut d’autant plus prégnante que beaucoup de participants traditionnels du concile eurent des difficultés à rallier la capitale. La province de Sens était en effet traversée alors par la ligne de front entre les territoires dominés par Charles VII et ceux tenus par les Anglo-Bourguignons et les opérations militaires battaient leur plein depuis que les Anglais avaient repris l’offensive, à l’automne 142842. Ainsi, l’évêque d’Orléans, dont la cité était assiégée par les Anglais depuis le mois d’octobre précédent, fut excusé, de même que les évêques de Nevers et Auxerre et, parmi les personnes convoquées, seules 39 furent effectivement présentes, contre 192 en 146143. Il n’est donc pas étonnant de voir l’assemblée débattre aussi de tout un argumentaire à présenter au roi et au duc de Bourgogne pour soutenir le refus des taxes, et du fait que cet argumentaire émane largement de l’université44. Mais le concile ne se distingue pas que par son gallicanisme d’opportunité, il est marqué également par un intérêt soutenu pour la réforme du clergé. Dès avant la réunion, l’archevêque de Sens insiste sur cet aspect lorsqu’il sollicite du pape l’autorisation de pouvoir convoquer les exempts : il allègue la nécessité d’être soutenu par leurs conseils pour faire la réforme45. Et le concile, qui dure plusieurs semaines, consacre effectivement une bonne partie de ses efforts à la réforme du clergé provincial, publie une longue série de nouveaux décrets à ce sujet et désigne des « témoins synodaux » dans chaque diocèse, chargés d’enquêter sur les défaillances du clergé et de faire leur rapport au concile suivant46. Une partie des 41 décrets publiés sont, bien sûr, des reprises de prescriptions traditionnelles (interdiction aux juges laïques de capturer des clercs, interdiction du concubinage pour les prêtres, respect des prescriptions concernant les mœurs des clercs, etc.). Mais d’autres sont plus novateurs et même précurseurs des décisions publiées à Bâle quelques années plus tard (réforme du clergé cathédral, interdiction des danses et spectacles dans les églises, etc.). Ils témoignent ainsi du fait que le débat sur la réforme ecclésiale ne se limite pas aux grandes assemblées nationales ou générales, mais se développe à tous les niveaux de l’Église et que les conciles provinciaux, si limités soient-ils, s’inscrivent pleinement dans la pratique de réforme en assemblée du xv^e siècle.

11Il convient pour finir de revenir sur les assemblées dont les convocations ne sont pas directement liées à une volonté d’affirmation des idées gallicanes. Quelques-unes sont très ponctuelles : les conciles réunis à Orléans en 1407 et 1411 traitent uniquement de l’excommunication du duc de Bourgogne conséquente au meurtre de Louis d’Orléans47. Il est difficile de se prononcer à propos du concile tenu en 1402 à Senlis pour traiter de la question du schisme car il n’a laissé aucune trace48. Il en va de même pour les réunions rouennaises de 1401 (pour financer l’union de l’Église) et 1403 (pour la réforme de l’Église)49. Le concile réuni à Rouen en avril 1438, centré également sur une seule question, s’inscrit cependant pleinement dans les débats généraux, au-delà du cadre provincial : il s’agit de déterminer si le clergé anglo-normand va rallier le camp papal ou celui des conciliaristes50. Les deux dernières assemblées sont de nature différente.

12La première est celle de Reims, réunie en 1408 par l’archevêque Guy de Roye et restée célèbre par le sermon sur le bon pasteur qu’y prononça Gerson51. Par l’importance qu’elle accorda au rôle pastoral des évêques, elle pourrait sembler être l’archétype du concile provincial entièrement consacré aux affaires locales. Mais Vincent Tabbagh a souligné, dans son étude sur Guy de Roye, que son effort pour ressusciter la pratique du concile provincial, s’il s’inscrit dans la logique de son affirmation du pouvoir métropolitain52, est lié aussi à un contexte national très précis : pour cet évêque opposé aux orientations gallicanes du clergé et du conseil royal, le concile provincial constitue « un moyen de s’opposer aux assemblées de prélats qui se multiplient à son époque dans l’Église de France, réunions sans chefs, aux fondements juridiques douteux, sous influence de la cour royale53 », en bref, des réunions dont ce prélat papaliste récuse la légitimité et auxquelles il oppose ainsi la seule assemblée définie par le droit canonique en-dessous des conciles généraux. La réunion même du concile provincial prend alors la forme d’un manifeste ecclésiologique, dont le résultat répond d’ailleurs paradoxalement aux vœux de ces mêmes assemblées du clergé gallican, qui appelèrent à la restauration de l’institution provinciale.

13Au final, le seul concile provincial du xv^e siècle qui apparaisse de portée seulement locale, sans lien direct avec le jeu politique national est celui réuni à Rouen en 1445 par l’archevêque Raoul Roussel, à l’incitation du roi Henri VI54. Ce prélat manifeste durant les huit années de son épiscopat une forte activité pastorale et les décrets de 1445 présentent quelques originalités par rapport aux textes des provinces voisines, comme par exemple une attention particulière portée à la surveillance des traités des arts magiques et divinatoires, ou l’interdiction de donner des noms particuliers aux statues, en particulier à celles de la Vierge, pour éviter les pratiques superstitieuses. Très peu de sources subsistant sur ce concile, il est difficile de déterminer précisément les raisons et les circonstances de sa tenue. Tout au plus peut-on supposer que l’archevêque a sans doute mis à profit les trêves récemment proclamées pour quatre ans pour tenter de restaurer un clergé rural bien éprouvé par les conflits et soulèvements ruraux des années précédentes, tandis que le roi voulait peut-être se voir accorder un subside55. Paradoxalement, le concile provincial de portée seulement locale est devenu au xv^e siècle l’exception, au lieu d’être la règle.

14Il importe donc, pour conclure, de souligner que les conciles provinciaux, certes rares à la fin du Moyen Âge, ne doivent pas pour autant être négligés ou relégués à la seule problématique de la réforme locale du clergé, mais qu’il convient, pour le xv^e siècle, de les intégrer pleinement dans l’histoire du gallicanisme car, bien que de composition différente, ils se rapprochent généralement dans leurs raisons d’être et leurs objets des assemblées du clergé convoquées à l’initiative du roi et ils constituent bien souvent un des vecteurs du positionnement des prélats sur l’échiquier politique du royaume. Ils sont en effet une des formes d’expression des débats ecclésiologiques du temps, à travers la question des relations entre le pouvoir princier, le pouvoir pontifical et les Églises locales. En associant cette problématique à celle de l’action des évêques dans leurs diocèses, ces assemblées témoignent du fait que les actions politiques et pastorales des prélats ne sont pas conçues de façon indépendante mais ne sont que deux faces d’une seule et même pièce : le gouvernement de la communauté des Chrétiens.