Autobiographies souveraines
| ,L’autobiographie du roi Sverrir de Norvège
Résumé
La Sverris saga n’est pas à proprement parler une autobiographie. Sverrir est nommé à la troisième personne, mais le prologue indique qu’il est la source de la première partie de la saga, où se trouvent l’histoire de sa jeunesse aux îles Féroé comme fils d’un artisan, la révélation de sa mère le désignant comme le fils d’un roi, sa vocation divine à lutter pour le trône et ses premiers combats. D’un point de vue formel, la saga peut sembler moins autobiographique que les autres œuvres discutées dans ce volume. Mais du point de vue réel, le début de la saga est des plus autobiographiques puisqu’il décrit le développement personnel de Sverrir de son propre point de vue, ses rêves, ses doutes, les étapes de sa compréhension de son origine et de sa vocation. Cet aspect de la saga révèle une influence hagiographique. Mais il peut aussi être une expression de la personnalité de Sverrir. De la sorte, l’hagiographie se présente comme un modèle de description d’un self-made man découvrant son identité et son projet de vie : lutter pour le trône, triompher de ses ennemis et, par ses propres efforts et avec l’aide de Dieu, passer du statut de « petit homme humble d’un archipel lointain » à celui de roi de Norvège.
Texte intégral
- 1 Sverris saga, etter Cod. AM 327 4o utgjevi av Den norske historiske kildeskriftkommission, éd. par (...)
- 2 Voir les références chez Theodore M. Andersson, « Kings’ Sagas », dans Carol J. Clover et John Lin (...)
1La Saga de Sverrir (Sverris saga) n’est pas à proprement parler une autobiographie. Sverrir ne parle pas lui-même, comme Jacques d’Aragon ou Charles IV ; il est nommé à la troisième personne. Comme l’indique le prologue, la première partie du texte fut écrite en présence de Sverrir, « qui décida de ce qui devait être écrit » (en yfir sat sialfr Sverrir konungr. oc reð fyrir hvat rita skylldi1). L’identification de cette partie a donné lieu à de nombreuses discussions parmi les chercheurs, mais il est probable qu’elle comprend seulement la période allant jusqu’à 1178, c’est-à-dire le temps de la jeunesse et des premières batailles de Sverrir, s’arrêtant juste avant sa première grande victoire à Kalvskinnet, près de Trondheim, en 11792. Cependant, cette partie contient des développements sur le caractère et la psychologie de Sverrir qui peuvent être comparés à ceux d’autres autobiographies du Moyen Âge, comme celle d’Hermann le Juif, Guibert de Nogent ou Pierre Abélard.
- 3 Sverris saga, chap. 1-11 ; Sverre Bagge, From Gang Leader to the Lord’s Anointed : Kingship in Sve (...)
- 4 S. Bagge, From Gang Leader to the Lord’s Anointed, ouvr. cité, p. 20-51 et passim.
2Commençons par une esquisse de la vie de Sverrir3. Il fut élevé aux îles Féroé comme le fils d’un artisan. Son oncle, l’évêque des îles, lui fit donner une éducation cléricale. Quand il eut vingt-quatre ans, sa mère lui révéla que son père avait été roi de Norvège et Sverrir partit pour la Norvège afin de faire reconnaître son origine. Le comte (jarl) Erlingr et son fils Magnús contrôlaient le pays et il se tourna alors vers la Suède pour chercher l’aide du comte Birger, mais sans succès. Au même moment, un groupe d’hommes appartenant à la faction des Birkibeinar – comme le nom l’indique, ils portaient des chaussures d’écorce de bouleau et cela en raison de leur pauvreté –, qui avaient été vaincus par le roi Magnús à la bataille de Re (1177), s’étaient réfugiés en Suède. Sverrir devint leur chef, retourna en Norvège et se fit acclamer roi. Après deux ans de « guérilla », au cours desquels il démontra son génie militaire, il vainquit et tua Erlingr en 1179 et Magnús en 1184, et devint roi de toute la Norvège, mais il lui fallut lutter contre une série de rébellions jusqu’à sa mort en 1202. Ces événements sont décrits dans la saga, qui contient aussi le portrait fascinant d’un grand chef militaire remportant une série de victoires grâce à son génie tactique et stratégique et à son don de conduire ses hommes et de susciter leur loyauté4.
3Retournons au début de la saga et à l’histoire du jeune homme qui découvre sa véritable origine et sa vocation. Dès avant sa naissance, des signes indiquent que la personnalité de Sverrir ne correspond pas à une condition sociale modeste. Sa mère, Gunnhildr, rêve qu’elle donne naissance à une pierre incandescente. Elle en est terrifiée, comme l’est sa servante, qui fait aussi office de sage-femme ; les deux femmes couvrent la pierre monstrueuse de beaux vêtements et la cachent, mais en vain : les étincelles de cette pierre envahissent la maison entière. En grandissant, Sverrir est insatisfait de la destinée qu’on lui a réservée. Il est d’un tempérament violent, ce qui le met en difficulté et l’oblige à fuir le représentant du roi dans les îles. Plus loin, l’auteur raconte que Sverrir nourrit de nombreux et grands rêves, qui font rire beaucoup de gens (voir infra), mais qui l’incitent, lui, à concevoir à une vie différente de celle qu’il mène. Ces pensées se voient confirmées par sa mère. En effet, à l’âge de vingt-quatre ans, Sverrir apprend qu’il est le fils d’un roi. Lors d’un pèlerinage à Rome, sa mère a confessé avoir eu un fils dont le père était roi, et son confesseur, qui en a averti le pape, lui a ordonné de révéler à son fils sa véritable origine.
4Sverrir conçoit alors le dessein de revendiquer le trône et s’y sent encouragé par un second rêve qui le fait partir en Norvège. Mais, après une série de difficultés et de déceptions, il est obligé de rejoindre les Birkibeinar vaincus et c’est alors que débute la rébellion contre Erlingr et Magnús.
5Les initiatives de Sverrir sont grandement encouragées par ses propres rêves. Dans le premier d’entre eux, avant même d’avoir appris la vérité sur ses origines, il rêve qu’il se rend en Norvège, où il est transformé en un oiseau si grand qu’il couvre le pays entier. Un sage à qui Sverrir s’est confié suggère que ce songe prédit qu’il deviendra archevêque, mais cela paraît invraisemblable à Sverrir, car il n’est pas fait pour être prêtre. À la suite des révélations de sa mère sur ses origines, Sverrir reçoit son deuxième rêve : il se trouve en Norvège, investi d’une haute fonction, peut-être celle d’évêque, et une guerre est en cours : saint Olafr combat Magnús et Erlingr. Sverrir ne sait à quel parti s’associer, mais préfère se joindre à saint Olafr. Ce dernier le reçoit avec une grande hospitalité. Un matin, il se trouve avec le roi et quelques autres hommes, pas plus de quinze ou seize. Le roi fait ses ablutions. Lorsqu’il a fini, un des autres hommes veut se laver avec la même eau, mais saint Olafr le lui interdit, demandant à Sverrir de se laver dans cette eau. Immédiatement après, un homme annonce qu’on les attaque. Sverrir et les autres hommes se précipitent pour aller combattre l’ennemi, et saint Olafr donne à Sverrir sa bannière, lui ordonnant de toujours la porter désormais. Sverrir y consent, mais cela l’effraie. Il quitte la maison par un long couloir étroit, où il est difficile de porter la bannière suffisamment haut. Après avoir quitté la demeure, Sverrir et ses hommes se font attaquer par sept hommes armés. Mais saint Olafr les protège avec son bouclier. Arrivés en terrain dégagé, Sverrir et ses hommes soulèvent la bannière et combattent Erlingr et Magnús, qui se retirent dès que Sverrir approche. Sverrir trouve ce rêve étrange et difficile à interpréter et ne le raconte qu’à un petit nombre. Son interprétation ultérieure correspond étroitement aux événements, tels qu’ils se déroulèrent effectivement plus tard.
- 5 Sverris saga, chap. 10. Ces mots font probablement allusion à la liturgie du couronnement, voir l’ (...)
6Le troisième rêve de Sverrir surgit immédiatement après son accord à mener les derniers survivants des Birkibeinar, mais avant que ceux-ci ne le proclament roi. Dans son rêve, Sverrir se trouve à Borg (aujourd’hui Sarpsborg), à l’est du fjord d’Oslo, en même temps que Magnús et Erlingr y séjournent avec leur armée. Sverrir entend dire que le fils d’un roi se trouve dans la ville et que des hommes sont à sa recherche. Il comprend qu’il s’agit de lui-même et se cache dans une église dédiée à la Vierge. C’est alors qu’un vieillard aux longs cheveux blancs s’approche de lui et le conduit à une chapelle au nord de la porte du chœur. Sverrir prend peur et exige que l’homme révèle son identité. Celui-ci annonce finalement qu’il est le prophète Samuel. Il saisit une corne contenant un onguent avec lequel il bénit les mains de Sverrir, en proclamant : « Que ces mains soient sanctifiées et fortifiées pour haïr l’ennemi et les adversaires et pour régner sur un grand nombre d’hommes » (Helgiz oc styrkiz þesar hendr. til hatrs við uvini oc motstoðumenn sina at stiorna morgom lyðum5). Puis il embrasse Sverrir par deux fois, touche sa main droite et lui ordonne d’aller vers l’est, pour s’éloigner de ses ennemis et ainsi devenir roi.
7Ces trois rêves montrent comment Sverrir est amené, peu à peu, à prendre conscience de sa véritable destinée : devenir roi de Norvège. Chaque rêve précède de peu des événements réels. Le premier rêve suggère qu’il obtient un rang élevé en Norvège. Le deuxième conduit Sverrir dans une direction plus précise et établit un contact étroit entre lui et saint Olafr. Ce rêve montre que Sverrir ne prend pas lui-même l’initiative de créer un conflit, mais qu’il y est incité par saint Olafr. Il s’agit donc d’une interprétation religieuse de la manière dont Sverrir engage son combat contre Erlingr et Magnús. La scène des ablutions peut suggérer un baptême ou, en tout cas, une relation très intime entre Sverrir et saint Olafr. L’attaque des sept hommes peut annoncer les circonstances qui entourent la première bataille de Sverrir. Les habitants de Nidaros envoyèrent sept éclaireurs contre lui, et lors de la bataille qui s’ensuivit, Sverrir triompha d’une force à peu près sept fois supérieure à la sienne. Il ne portait pas la bannière de saint Olafr pendant cette bataille, au contraire, ses ennemis eurent l’impudence de la brandir contre lui, mais Sverrir et ses hommes s’en emparèrent. Le long couloir signifie probablement les nombreuses errances de Sverrir avant qu’il ne puisse combattre ses adversaires directement. Ainsi, ce rêve exprime l’élection de Sverrir par Dieu, qui l’a désigné comme le véritable successeur de saint Olafr et le chef de l’armée combattant pour une juste cause. Le troisième rêve marque l’ultime étape dans la révélation de la destinée de Sverrir. On peut interpréter le passage initial comme une allusion à la persécution du Christ nouveau-né par Hérode, tandis que l’onction conférée par Samuel suggère un parallèle entre Sverrir et David d’une part, et une comparaison avec l’onction royale d’autre part. Cette onction doit sans doute être interprétée comme l’équivalent de l’onction et du couronnement de Magnús en 1163. Sverrir est maintenant le véritable roi, élu par Dieu à travers son prophète Samuel, exactement comme le prototype des rois chrétiens, David. Comme l’avait prédit le rêve, Sverrir est proclamé roi par ses hommes peu de temps après.
8Les épisodes contenus dans les trois rêves, annonciateurs de la suite des événements, décrivent explicitement la manière dont Sverrir finit par comprendre sa véritable destinée. Il est conscient de ne pas être fait pour être prêtre. Il réagit avec des sentiments mêlés à la révélation de ses origines par sa mère. D’un côté, il est inquiet, pensant à la difficile tâche que sera la lutte contre Erlingr et Magnús ; de l’autre, il trouve honteux de vivre comme un fils d’artisan, tout en étant fils de roi. Il médite sur ses rêves, qui enflamment son désir de venger sa parenté. Il se sent fortifié d’avoir rêvé de saint Olafr, sans comprendre exactement ce que signifiait ce rêve. Cette première partie de la saga est unique en ce sens qu’elle considère clairement les événements du point de vue de Sverrir, décrivant ses émotions, ses réactions, ses pensées. Mais il est remarquable que les premiers chapitres de la saga ne contiennent pas de discours direct, mis à part les rêves. La première fois que Sverrir parle à la première personne apparaît dans le discours relativement long qu’il tient devant les Birkibeinar, alors qu’ils lui demandent de devenir leur chef. Dans les chapitres suivants on trouve aussi plusieurs allusions aux pensées et réactions de Sverrir. Il juge sa situation très difficile : isolé dans un pays étranger, parmi des inconnus, et seul responsable de ses hommes. Il s’interroge sur le comportement de ses compagnons d’armes. Il comprend qu’il doit entreprendre un voyage très difficile vers le nord du pays, et qu’un des siens périra s’il ne monte pas à bord des navires bondés chargés de transporter ses troupes d’une rive à l’autre du lac. Ensuite, de tels procédés narratifs disparaissent, et la saga renoue avec un style habituel, émaillé de discours et de dialogues.
- 6 Ludvig Holm-Olsen, Studier i Sverris saga, Oslo, J. Dybwad, 1953, p. 91-102.
- 7 Is. 6, 1-13 et Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, introd., texte et trad. Jacques Fontaine, Pari (...)
9Dans l’ensemble, ces traits caractéristiques de la saga font fortement penser à un modèle hagiographique, ainsi que le suggère Ludvig Holm-Olsen6. L’histoire de la visite de Gunnhildr à Rome ressemble aux histoires des saints ou de leurs parents recevant un message de Dieu au cours d’un pèlerinage. Le fait que le pape ordonne à Gunnhildr de révéler à Sverrir son origine est évidemment un argument très fort en faveur de celui-ci, et on pourrait voir dans cette intervention l’un des moyens utilisés par Dieu pour adresser son message à Sverrir. Certains rêves, notamment celui de Sverrir aux côtés de saint Olafr, ainsi que celui qui survient plus tard et au cours duquel Sverrir reçoit une onction sainte de Samuel, vont dans le même sens. Enfin, la description de l’hésitation manifestée par Sverrir à accepter sa destinée correspond à un lieu commun dans les Vies de saints : leur modestie et leurs doutes excessifs quant à leur propre compétence, et l’intervention de Dieu, qui finit par triompher. Les exemples classiques de ce lieu commun sont la destinée d’Isaïe dans l’Ancien Testament et l’élection de saint Martin à l’épiscopat7. L’auteur insiste constamment sur les doutes de Sverrir quant à ses possibilités de devenir roi, et même quant à la véracité de l’information provenant de sa mère. Pour le lecteur, qui connaît la carrière ultérieure de Sverrir, ce dernier semble incroyablement lent à se rendre compte de sa véritable destinée. En fin de compte, il y est forcé par les Birkibeinar, qui le menacent de mort s’il n’accepte pas de devenir leur chef. Et même après le rêve qui voit Samuel lui donner l’onction, ses hommes doivent l’obliger à accepter le titre royal.
- 8 Ludvig Holm-Olsen, « Til diskusjonen om Sverres sagas tilblivelse », dans Bent Chr. Jacobsen et al (...)
10Que l’auteur raconte l’histoire du point de vue de Sverrir, au lieu de considérer, comme d’habitude, le protagoniste de l’extérieur, peut être dû à la présence même de Sverrir, assis devant lui, dictant l’histoire de sa vie, comme l’indique le prologue. Ce peut aussi être un exemple d’une forme de narration antérieure à la structure qui sera finalement celle de la saga classique, où l’auteur se tient à l’arrière-plan, tandis que discours et dialogues servent de commentaires et d’interprétation8. La manière qu’a notre auteur de raconter une histoire est bien plus caractéristique de l’hagiographie ou de l’historiographie cléricale que de la saga profane traditionnelle et peut constituer un argument supplémentaire en faveur de l’inspiration hagiographique de la Saga de Sverrir.
- 9 Voir par exemple Jean-Claude Schmitt, La conversion d’Hermann le Juif : autobiographie, histoire e (...)
- 10 Thomas de Celano, « “Vita prima S. Francisci” dans Legendae S. Francisci Assisiensis saeculis XIII (...)
- 11 Jostein Børtnes, Visions of Glory : Studies in Early Russian Hagiography, Oslo, Solum, 1988, p. 26 (...)
11Le compte rendu de l’évolution de Sverrir dans sa saga peut être comparé à des récits médiévaux de conversion, c’est-à-dire de passage d’un état de vie à un autre, qui l’ont probablement influencé. Il fait aisément penser aux exemples du douzième siècle, telles la conversion d’Hermann le Juif ou les autobiographies de Guibert de Nogent et d’Abélard. Rêve, doute de soi et conscience d’une nouvelle réalité appartiennent tous à ces œuvres autobiographiques9. Le parallèle le plus proche dans ce domaine est peut-être la description du changement progressif de saint François, jeune homme ordinaire et mondain, devenu saint, dans la première Vie de saint François par Thomas de Celano datant des années 1230. Ce texte est aussi une description « vue de l’intérieur », montrant le mécontentement du jeune homme à l’égard de sa vie certes confortable, mais superficielle10. Il comporte également l’appel de Dieu sous forme de rêves que Sverrir commence par mal interpréter, ses doutes et sa quête d’une nouvelle vie, et enfin, sa pleine conscience de l’appel de Dieu et son acceptation de celui-ci. Ce récit montre davantage de compréhension pour une évolution psychologique que celle qu’on rencontre habituellement au Moyen Âge, du moins dans cette période. L’histoire traditionnelle d’un saint ou d’une sainte du début du Moyen Âge les décrit comme tels dès leur naissance, ou alors subitement transformés par l’intervention divine à un stade ultérieur de leur vie11. D’un point de vue psychologique, l’histoire de la destinée de Sverrir montre une compréhension subtile envers la réaction d’un homme face à la perspective d’un bouleversement de sa vie. Cela ressemble aussi beaucoup à l’histoire de la conversion de saint François. De telles descriptions sont rares dans la littérature des sagas, bien qu’on y trouve quelques exemples similaires. Une explication possible de cette description de l’évolution intérieure de Sverrir, outre l’inspiration que l’hagiographie a pu donner à l’auteur, serait la compréhension psychologique remarquable qui caractérise cette saga dans son ensemble, en particulier à travers la description de la relation entre Sverrir et ses hommes.
- 12 L. Holm-Olsen, Studier i Sverris saga, ouvr. cité, p. 100.
- 13 Ernst H. Kantorowicz, Kaiser Friedrich der Zweite, Düsseldorf, H. Kupper, 1963, vol. 1, p. 10.
- 14 L. Holm-Olsen, Studier i Sverris saga, ouvr. cité, p. 43 et suiv.
- 15 Ibid., p. 96 et suiv. ; S. Bagge, Society and Politics in Snorri Sturluson’s Heimskringla, Berkele (...)
12Cependant, ni la « modernité » ni le caractère hagiographique de l’histoire de la destinée de Sverrir ne devraient être exagérés. Il est souvent difficile de distinguer entre les traits spécifiques de la vie d’un saint et ceux de la vie d’un héros laïc. Ainsi, les histoires similaires au rêve de Gunnhildr à propos de la pierre incandescente sont aussi bien profanes que religieuses. Parmi les premières, on trouve les histoires de la naissance de Pâris et d’Alexandre le Grand, issues de l’Antiquité12. Concernant Pâris, un feu détruit la ville entière : c’est là l’annonce de la destruction de Troie. Quant à Alexandre, sa mère rêve qu’un éclair frappe son giron, ce qui suggère la terreur aussi bien que la grandeur. D’une manière analogue, l’une des histoires rapportées au sujet de la naissance de l’empereur Frédéric II raconte que sa mère avait donné naissance à une torche brûlante13. Au contraire, dans les équivalents hagiographiques, le feu est bénéfique, apportant la lumière. Ainsi, il semblerait qu’on doive chercher le modèle du rêve de la saga dans des récits profanes plutôt qu’hagiographiques. La naissance de Sverrir crée la terreur – comme le fit sa vie adulte –, même selon la version favorable de la saga. Il semblerait que cette idée soit également exprimée dans le titre de la première partie de la saga, Gryla, nom d’une sorcière bien connue14. Il dut exister un lien très fort entre ce rêve et les histoires de la jeunesse de Sverrir qui suivent immédiatement : il était d’une nature rude et violente, qui ne s’accordait pas avec une vie paisible dans la maison de l’évêque, au contraire de ce qu’on devait attendre d’un prêtre. Par ailleurs, la saga raconte que Sverrir s’est caché dans un four brûlant, fait qui semble être en relation directe avec le rêve : Sverrir a le courage et la force qui manquent à la plupart des hommes ; on le teste « par le feu » – symbole de souffrances et de difficultés à venir ? – et sa nature est apparentée au feu. Ici, l’auteur fait peut-être allusion à la doctrine médiévale des quatre tempéraments, qui correspondent aux quatre éléments, selon laquelle le tempérament colérique, qui rend les gens dominateurs, agressifs et belliqueux, est causé par un surplus de feu. Bref, les présages qui accompagnent la naissance et la jeunesse de Sverrir suggèrent des valeurs et des qualités qui diffèrent considérablement de celles qu’on s’attend à trouver chez un saint. Pour ce qui est des rêves de Sverrir, on trouve plus vraisemblablement des parallèles dans les rêves des rois et de leurs mères racontés dans la littérature des sagas que dans l’hagiographie, par exemple dans les rêves de Ragnhildr, Halfdan svarti et Sigurðr jórsalafari, où le sens est le même, bien que l’imagerie soit différente15.
- 16 Sverris saga, chap. 98, p. 181.
- 17 Sverris saga, chap. 6.
- 18 S. Bagge, Society and Politics in Snorri Sturluson’s Heimskringla, ouvr. cité, p. 186-190.
13En fin de compte, il semble y avoir une certaine contradiction dans la description du caractère de Sverrir par l’auteur. Le tempérament violent de Sverrir, qui ne convenait pas à un prêtre, se manifeste rarement dans la suite de la saga. Sverrir possède clairement la solidité et le courage nécessaires à un guerrier, mais ses qualités les plus caractéristiques sont la prudence, la circonspection et la maîtrise de soi. Le contraste entre Sverrir et d’autres rois, notamment son père, Sigurðr munnr (Sigurðr « Bouche »), mais également Magnús Erlingsson, est clairement montré dans la saga16. Sverrir fait la démonstration de ces qualités dès son accession au trône. Il est capable de voyager partout en Norvège, de converser avec les hommes de ses adversaires, et même avec le comte Erlingr, sans révéler son identité. Et le comte suédois Birger se voit incapable de l’ennivrer afin de lui faire révéler sa véritable origine17. Cela signifie-t-il que l’auteur a l’intention de démontrer un changement de personnalité chez Sverrir dans les premières pages de la saga ? Cela paraît improbable à considérer la saga dans sa globalité ainsi que des récits comparables dans la littérature des sagas18. La saga ne semble pas se préoccuper d’évolution personnelle. L’explication est plutôt à chercher dans l’évolution du contexte narratif. Dans les deux premiers chapitres, l’auteur se penche sur le contraste entre Sverrir et son entourage et se sert des descriptions conventionnelles du guerrier ou de la nature royale en opposition avec la nature de prêtre. Dans les passages suivants, il se préoccupe davantage des qualités spécifiques à Sverrir, par opposition à d’autres rois ou chefs de l’époque.
- 19 Sturlunga saga, éd. par Kristian Kålund, Copenhague, Gyldendalske Boghandel, 1906-1911, vol. 1, p. (...)
14Cette comparaison fait ressortir une différence plus fondamentale entre la saga de Sverrir et la littérature hagiographique. La conversion de saint François signifie que, dans un certain sens, la personne entière est transformée. Saint François rejette sa vie antérieure et commence une nouvelle vie radicalement différente. En revanche, le problème de Sverrir est que sa situation ne concorde pas avec sa vraie nature, et par conséquent doit être changée. La clef pour comprendre l’évolution de Sverrir dans cette partie de la saga réside dans sa naissance. Puisque Sverrir appartient à la dynastie royale, il n’est pas content de vivre comme un paysan ou un prêtre ; sa nature le destine à des tâches plus élevées. Selon les idées traditionnelles répandues dans les sagas, par exemple dans Heimskringla, une origine royale ne donne pas seulement droit à une revendication légitime du trône, elle signifie aussi que la personne en question possède des aptitudes particulières à gouverner. Ainsi la nature royale de Sverrir contribue à son talent extraordinaire d’homme d’État et de chef de guerre. Plusieurs descriptions similaires se trouvent dans d’autres sources en vieux norrois, par exemple, dans la Sturlunga saga, l’histoire d’une femme qui met au monde deux jumeaux hideux et les échange contre le superbe fils d’une esclave. Cependant, quand les garçons grandissent, la différence entre la nature aristocratique des uns et la nature servile de l’autre apparaît19. Le roi se doit d’être « le meilleur homme », et le sang royal est susceptible de le rendre tel, bien que cela ne soit évidemment pas toujours le cas. Certains rois sont défaillants et perdent leur trône en faveur d’autres, bien meilleurs. Bien que l’entourage de Sverrir fût humble, son origine ne l’était pas. La révélation par Gunnhildr de sa véritable origine explique alors les événements apparemment inexplicables rapportés au début de la saga : le rêve de la pierre incandescente et la nature violente de Sverrir ainsi que son insatisfaction d’être prêtre.
15Ainsi, l’idée fondamentale de la première partie de la Saga de Sverrir ne correspond ni à la biographie d’un saint, ni aux idées actuelles sur l’évolution du caractère personnel et le choix d’une carrière. L’auteur ne cherche pas à décrire la vie intérieure de Sverrir en général ni à montrer comment sa personnalité s’est développée grâce aux nouveaux défis survenus durant sa carrière de chef de faction, puis de roi. Et malgré des ressemblances claires et évidentes avec la littérature hagiographique, le portrait essentiel de Sverrir est celui d’un héros ou d’un roi, non celui d’un saint. La description de la psychologie de Sverrir fait partie d’une histoire qui raconte par quels signes Dieu le choisit pour devenir roi de Norvège, grâce au soutien surnaturel que Dieu lui a manifesté à travers des rêves et des événements advenus.
16Les spécialistes ont souvent débattu de la manière dont Sverrir légitima son droit au trône, telle que la saga la décrit : serait-ce par sa naissance, par ses aptitudes ou par l’élection divine ? À ce sujet, il faut souligner que la saga n’a pas été écrite pour justifier le droit au trône de Sverrir. La majeure partie de la saga semble avoir été rédigée après sa mort, et même le premier mouvement ne peut pas avoir été écrit avant 1185, lorsque Sverrir eut vaincu Magnús. Bien que Sverrir se battît encore contre ses rivaux, le peuple avait déjà choisi son camp, et il n’était plus besoin d’élaborer une justification particulière. La saga était plutôt destinée à être le récit des res gestae de Sverrir et à constituer un monument commémorant un grand héros et un souverain, selon la tradition du genre de la saga. Par ailleurs, un tel récit devait aussi traiter de la manière dont Sverrir assuma son destin et présenter les arguments qu’il exposa pour justifier son extraction royale.
- 20 Sverris saga, chap. 99.
17En second lieu, la question à laquelle on vient de faire allusion est mal posée. Les qualités de Sverrir sont le produit de son origine ou, en d’autres termes, elles constituent la preuve de son sang royal. L’appel de Dieu va probablement dans le même sens ; Dieu a élu Sverrir parce qu’il est le véritable héritier du trône, et c’est Dieu qui lui révèle la vérité. Cette idée est présente non seulement dans la partie « autobiographique » dont on vient de traiter, mais aussi dans certains des discours de Sverrir rapportés – ou plutôt recomposés par l’auteur – plus tard dans la saga, notamment le discours tenu après la mort de Magnús20.
18Dans ce discours, Sverrir commence par la citation d’un psaume, qu’il s’applique ensuite à lui-même. Des hommes vils l’ont opprimé toute la journée, mais Dieu l’a sauvé. Car Dieu a toujours été hostile aux orgueilleux, comme on le voit clairement dans les histoires de l’Ancien Testament, celles d’Adam, de Pharaon et de Saül. À partir de ces exemples mis en exergue, Sverrir se tourne vers le présent, c’est-à-dire vers Erlingr et Magnús, stigmatisés par l’arrogance et l’expression qu’ils ont exercées à l’encontre de ses parents. Mais voici que Dieu a élevé « un petit homme humble d’un archipel lointain » pour mettre fin à cette superbe. Ici, Sverrir se présente comme l’instrument de Dieu censé lutter contre les ennemis de celui-ci, des ennemis qui ressemblent essentiellement aux grands pécheurs de l’Ancien Testament. La guerre de Sverrir contre Erlingr et Magnús devient ainsi semblable aux grandes guerres de l’histoire sacrée. Le dernier exemple de la série, celui de Saül, est particulièrement significatif parce qu’il fait allusion à l’homme que Dieu nomma à la place de ce roi d’Israël, à savoir David, avec lequel la saga compare Sverrir dans d’autres passages également. Contrairement à saint Olafr, David n’apparaît pas à Sverrir dans ses rêves. Mais Sverrir est représenté de telle manière que n’importe quel lecteur éclairé reconnaît sa ressemblance avec David. Outre d’autres références directes dans la saga et dans d’autres sources faisant allusion à l’aspect de parenté entre Sverrir et David, y compris la citation initiale de l’un des psaumes de David, le destin entier de Sverrir suggère une telle analogie. Comme David, il était d’une origine humble, comme David il erra dans le désert avec un petit nombre d’hommes, comme David, qui vainquit le géant Goliath, il défit des ennemis bien plus importants en nombre.
- 21 Sverris saga, chap. 3, chap. 48, p. 52, chap. 58, p. 63, chap. 71, chap. 82, p. 88, chap. 95, p. 1 (...)
- 22 S. Bagge, Society and Politics in Snorri Sturluson’s Heimskringla, ouvr. cité, p. 218-224.
- 23 S. Bagge, Kings, Politics, and the Right Order of the World in German Historiography c. 950-1150, (...)
19Parvenu à ce point, on semble en présence d’une interprétation chrétienne classique de l’histoire et d’une lutte politique, qui montre le talent de Sverrir – ou de l’auteur – à utiliser la religion à des fins de propagande. Cependant, le reste de l’idéologie chrétienne, qui ferait de Sverrir un rex iustus possédant un programme pour gouverner la société et revêtu d’une forte volonté de réparer l’injustice introduite par ses prédécesseurs, brille par son absence. Au contraire, la saga admet ouvertement que Erlingr et Magnús étaient populaires auprès du peuple, tandis que les hommes de Sverrir étaient détestés, et pour cause, car ils se battaient pour s’enrichir et pillaient lorsque l’occasion se présentait21. Il faut cependant reconnaître que la saga fait aussi quelques efforts pour présenter Sverrir comme un bon souverain, qui finit par réussir à discipliner ses hommes, mais cet aspect de son règne reçoit peu d’attention. Sur cet arrière-plan, il semble approprié de faire le lien entre les interpellations que Sverrir adresse à Dieu dans la saga et l’idée traditionnelle de la « chance » du roi22. Au même titre que le talent, le succès est une qualité du sang royal, tandis que la relation entre Dieu et le roi est comparable à celle qui existe entre un protecteur et un client. Dieu avantage Sverrir, non pas comme un instaurateur de la justice sur terre, mais simplement parce qu’il l’aime bien. Ceci confère alors à Sverrir une qualité supplémentaire, qui explique ses succès. Cette idée ressemble à celle qui s’exprime dans d’autres œuvres historiques du Moyen Âge, comme la chronique de Widukind de Corvey au xe siècle23. Les idées du temps sur le patronage et la faveur possédaient un équivalent surnaturel, et les idéaux chrétiens pouvaient être exploités pour fortifier la position d’un prétendant dans le jeu politique.
- 24 Vita Heinrici Quarti imperatoris, éd. par Wilhelm Wattenbach et Wilhelm Eberhard, Hanovre, Hahn, 1 (...)
20Sur ce point, le contraste avec une œuvre quelque peu antérieure, la Vita Heinrici Quarti (env. 1106-1107)24, devient assez lumineux. Il s’agit d’une œuvre de justification en faveur de l’empereur allemand hautement controversé, Henri IV, écrite très peu de temps après sa mort et qui présente des caractéristiques fortement hagiographiques. La Vita relate en effet que sa vie personnelle ressemblait à celle d’un saint, que son règne fut voué à la justice et à la défense de l’Église, des pauvres et des impuissants. Pour justifier cette interprétation de la vie et du règne d’Henri IV – contradictoire avec nombre de portraits négatifs du souverain –, l’auteur, comme celui de la Saga de Sverrir, se tourne vers l’idée de la chance (fortuna). La partie centrale de l’œuvre, qui traite du règne d’Henri, montre une absence curieuse d’actes héroïques. Tous les succès d’Henri sont attribués, non pas à son talent personnel, ni à son courage ou à son intelligence, mais à la fortune. La raison en est que cette partie de l’œuvre veut démontrer que la seule explication de ces succès est la protection divine accordée à Henri, ce qui à son tour signifie qu’il devait être un roi juste, sans quoi Dieu ne l’aurait pas protégé.
- 25 Sverris saga, chap. 13.
- 26 Sverris saga, chap. 87-95 ; S. Bagge, From Gang Leader to the Lord’s Anointed, ouvr. cité, p. 43-4 (...)
21La Saga de Sverrir fait, elle aussi, fréquemment allusion à la fortune. Sverrir opère des miracles, par exemple quand il monte sur un radeau en train de couler et le redresse25. Certaines de ses victoires sur des ennemis bien plus nombreux sont également miraculeuses, en particulier la victoire décisive de Fimreite, lorsque Magnús est vaincu et tué. À cette occasion, la saga décrit comment Sverrir est surpris par une force ennemie largement supérieure, dans un fjord étroit, sans possibilité de s’échapper, mais qu’il l’emporte malgré ces handicaps26. Dans la plupart des cas, l’auteur donne une description détaillée de la manière dont Sverrir a gagné, insistant sur ses compétences tactiques et sur sa capacité à mener ses hommes de façon à exploiter au mieux leurs aptitudes. De cette manière, il illustre le proverbe « fortem fortuna juvat », qui semble exprimer l’idée habituelle de la relation existant entre le talent et la chance dans l’ancienne société norroise. Ce faisant, il établit aussi la synthèse entre les idéaux du sang, du mérite et de la protection divine qui servent à expliquer la vie de Sverrir, depuis sa naissance et son éducation dans des circonstances obscures, jusqu’à sa mort au terme d’une carrière longue et brillante de roi et de chef militaire.
22Comme le disent dans leur introduction les organisateurs de ce colloque, les autobiographies royales sont très rares au Moyen Âge. On ne peut pas parler d’un genre, mais il est tout de même possible de discuter des ressemblances et différences entre la Saga de Sverrir et les autobiographies de Jacques d’Aragon ou de Charles IV. Du point de vue formel, c’est-à-dire de l’usage de la troisième personne, la saga est moins autobiographique que celles-ci. La partie autobiographique ou presque autobiographique comprend seulement une petite partie de la saga connue aujourd’hui, soit, dans l’édition moderne, 33 sur 195 pages. Le reste du texte est composé après la mort de Sverrir en 1202, probablement vers 1220. En termes de contenu, la saga est la plus autobiographique de ces trois œuvres, la plus subjective et « individualiste », en décrivant le développement personnel de Sverrir de son propre point de vue, avec ses rêves, ses doutes et sa compréhension progressive de son origine et de sa vocation. En considérant l’importance de la naissance royale de Sverrir, l’absence de référence à une dynastie, si centrale dans les deux autres cas, est surprenante. Sverrir découvre qu’il est le fils d’un roi, mais la saga ne contient aucune information sur ce père, ni sur les autres ancêtres de Sverrir. Seule la deuxième partie de la saga, écrite après sa mort, compare les caractères de Sverrir et de son père, pour en souligner les différences. Malgré l’importance de sa naissance royale, Sverrir est présenté comme un self-made man.
23On peut expliquer cette différence par le fait que Sverrir n’a jamais connu son père et, contrairement aux autobiographies de Jacques d’Aragon et de Charles IV, par le fait qu’il n’a pas été élevé comme un futur roi. Mais elle peut aussi être regardée comme l’expression d’une société plus compétitive et moins hiérarchique que la société féodale européenne, suivant l’impression que donnent les sagas royales en général. Par contre, la subjectivité de la saga est très différente des sagas classiques, qui sont caractérisées par un style objectif, avec des descriptions précises des actions et des phénomènes visibles, où ni l’auteur lui-même, ni les pensées ou les sentiments des personnes ne sont mentionnés. Ce style caractérise la saga « classique », c’est-à-dire de la première moitié du xiiie siècle, alors que la première partie de la Saga de Sverrir date de la période 1185-1188 où l’influence de l’hagiographie est sensible, comme le montrent aussi plusieurs autres cas contemporains. La subjectivité de la Saga de Sverrir confirme l’influence hagiographique, à cette différence près que Sverrir n’est pas un saint. Elle peut être aussi un caractère de la personnalité de Sverrir, qui s’exprime d’une manière assez impressionnante dans l’ensemble de la saga et pas seulement dans la première partie. De cette façon, l’hagiographie sert de modèle à une description du self-made man trouvant son identité et son projet de vie : lutter pour le trône, triompher de ses ennemis et, grâce à ses efforts et à l’aide de Dieu, changer son statut de « petit homme humble d’un archipel lointain » en celui de roi de Norvège.
Notes
1 Sverris saga, etter Cod. AM 327 4o utgjevi av Den norske historiske kildeskriftkommission, éd. par Gustav Indrebø, Kristiania, i kommission hos Dybwad, 1920, p. 1. Référence désignée infra : Sverris saga. Voir la traduction française récemment parue : La saga de Sverrir, roi de Norvège, composée au xiiie siècle par l’abbé Karl Jonsson du monastère de Thingeyrar en Islande, traduite, annotée et présentée par Torfi H. Tulinius, Paris, Les Belles Lettres, 2010.
2 Voir les références chez Theodore M. Andersson, « Kings’ Sagas », dans Carol J. Clover et John Lindow (dir.), Old Norse-Icelandic Literature. A Critical Guide, Ithaca, Cornell University Press, 1985, p. 223-226.
3 Sverris saga, chap. 1-11 ; Sverre Bagge, From Gang Leader to the Lord’s Anointed : Kingship in Sverris saga and Hákonar saga Hákonarsonar, Odense, Odense University Press, 1996, p. 52-61.
4 S. Bagge, From Gang Leader to the Lord’s Anointed, ouvr. cité, p. 20-51 et passim.
5 Sverris saga, chap. 10. Ces mots font probablement allusion à la liturgie du couronnement, voir l’antienne : « Que ta main gauche soit affermie et exaltée ta main droite, que la justice, le jugement, la préparation de ton trône, la miséricorde et la vérité précèdent ta face » (Firmetur manus tua et exaltetur dextera tua iustitia et iudicium preparatio sedis tue misericordia et ueritas precedant faciem tuam), « Second English Coronation Order », dans English Coronation Records, éd. par Leopold George Wickham Legg, Westminster, A. Constable & Co, 1901, p. 15.
6 Ludvig Holm-Olsen, Studier i Sverris saga, Oslo, J. Dybwad, 1953, p. 91-102.
7 Is. 6, 1-13 et Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, introd., texte et trad. Jacques Fontaine, Paris, Le Cerf, 1967-169, chap. 9, p. 270-272.
8 Ludvig Holm-Olsen, « Til diskusjonen om Sverres sagas tilblivelse », dans Bent Chr. Jacobsen et alii (dir.), Opuscula septentrionalia. Festskrift til Ole Widding, Copenhague, C. A. Reitzels Boghandel, 1977, p. 55-67, et « Forfatterinnslag i Odd Munks saga om Olav Tryggvason », dans Jan Ragnar Hagland, Jan Terje Farlund et Jarle Rønhovd (dir.), Festskrift til Alfred Jakobsen, Trondheim, Tapir, 1987, p. 79-90.
9 Voir par exemple Jean-Claude Schmitt, La conversion d’Hermann le Juif : autobiographie, histoire et fiction, Paris, Seuil, 2003, p. 89-142 sur le rêve d’Hermann le Juif.
10 Thomas de Celano, « “Vita prima S. Francisci” dans Legendae S. Francisci Assisiensis saeculis XIII et XIV conscriptae », Analecta Franciscana, vol. 10, Quaracchi, Typographia Collegii S. Bonaventurae, 1926-1941, p. 1-126, chap. 1-3.
11 Jostein Børtnes, Visions of Glory : Studies in Early Russian Hagiography, Oslo, Solum, 1988, p. 26 et suiv. avec références bibliographiques. Ainsi, les adaptations médiévales des Confessions de saint Augustin expriment un manque d’intérêt pour l’aspect psychologique de la conversion, voir Pierre Courcelle, Les Confessions de saint Augustin dans la tradition littéraire, Paris, Études augustiniennes, 1963, p. 224-278, et Sverre Bagge, « The autobiography of Abélard and Medieval individualism », Journal of Medieval history, 19, 1993, p. 327-350.
12 L. Holm-Olsen, Studier i Sverris saga, ouvr. cité, p. 100.
13 Ernst H. Kantorowicz, Kaiser Friedrich der Zweite, Düsseldorf, H. Kupper, 1963, vol. 1, p. 10.
14 L. Holm-Olsen, Studier i Sverris saga, ouvr. cité, p. 43 et suiv.
15 Ibid., p. 96 et suiv. ; S. Bagge, Society and Politics in Snorri Sturluson’s Heimskringla, Berkeley, University of California Press, 1991, p. 214 avec références bibliographiques.
16 Sverris saga, chap. 98, p. 181.
17 Sverris saga, chap. 6.
18 S. Bagge, Society and Politics in Snorri Sturluson’s Heimskringla, ouvr. cité, p. 186-190.
19 Sturlunga saga, éd. par Kristian Kålund, Copenhague, Gyldendalske Boghandel, 1906-1911, vol. 1, p. 1-3 ; voir S. Bagge, ibid., p. 126-127.
20 Sverris saga, chap. 99.
21 Sverris saga, chap. 3, chap. 48, p. 52, chap. 58, p. 63, chap. 71, chap. 82, p. 88, chap. 95, p. 103, chap. 117, p. 123, chap. 148, p. 154 ; voir S. Bagge, From Gang Leader to the Lord’s Anointed, ouvr. cité, p. 69.
22 S. Bagge, Society and Politics in Snorri Sturluson’s Heimskringla, ouvr. cité, p. 218-224.
23 S. Bagge, Kings, Politics, and the Right Order of the World in German Historiography c. 950-1150, Leiden, Brill, 2002, p. 42, 85.
24 Vita Heinrici Quarti imperatoris, éd. par Wilhelm Wattenbach et Wilhelm Eberhard, Hanovre, Hahn, 1935 ; S. Bagge, ibid., p. 328-339.
25 Sverris saga, chap. 13.
26 Sverris saga, chap. 87-95 ; S. Bagge, From Gang Leader to the Lord’s Anointed, ouvr. cité, p. 43-48.
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