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La fabrique de la ville

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Hélène Noizet

Préface

Henri Galinié

Texte intégral

1Dans l’étude des villes en elles-mêmes, la ville classique, maintenant jusqu’à l’Antiquité tardive, et la ville moderne, maintenant dès le bas Moyen Âge, monopolisent la production scientifique des historiens. La longue période où les magistrats urbains sont absents des textes crée une aussi longue parenthèse dans l’histoire urbaine. Par la force des sources, les études sont plus thématiques, et rares sont les études monographiques récentes consacrées au Moyen Âge central.

2Si les recherches en histoire économique ou sociale s’accommodent du caractère peu urbain des sources médiévales, l’appréhension historique de l’espace des villes se révèle plus contrainte par l’absence d’intérêt manifesté des contemporains pour leur cadre de vie. Si les comparaisons d’une ville à l’autre de fragments d’espaces urbains, ceux de cités, ceux de monastères, ceux de quartiers industrieux, ceux de composantes sociales émettrices de textes, ont posé les bases d’une connaissance générale qui reste soit à l’échelle infra-urbaine soit à la surface des choses, elles soulignent la nécessité d’inverser l’appréhension de la question des relations entre espace et sociétés, donc de mettre l’espace au centre des préoccupations.

3Si l’on veut saisir les relations dialectiques qui unissaient habitants, habitat et milieux physiques ou naturels, il convient de soumettre des cas suffisamment documentés à un examen approfondi, nécessairement de type monographique. Si des règles prévalaient alors dans la production d’espace, elles ressortiront d’études détaillées comparables plutôt que de l’addition d’études thématiques sectorielles. Le présent ouvrage contribue à l’ouverture de cette voie de recherche.

4Une analyse sociospatiale, pour employer le vocabulaire de certains géographes, appliquée au passé d’une ville demande que des préconditions soient réunies, d’ordre documentaire, et qu’ensuite les sources soient examinées et critiquées dans une perspective clairement définie, distincte de celles de l’histoire économique ou sociale. En effet, comme elles peuvent être soumises à une lecture économique ou sociale, les sources peuvent être soumises à une lecture spatiale. On sait bien que la spatialisation ne se réduit pas à la localisation, qui n’est qu’un prérequis, et que nombre de références sans notation précise de lieu ont un sens spatial, d’ordre idéologique. Il y a bien là un objet de recherche en soi.

5L’introduction d’une durée pluriséculaire dans l’étude de l’espace abolit les repères de base, topographiques, dont la signification primitive est éphémère. La durée constitue donc une difficulté supplémentaire. La constitution et l’organisation des corpus, leur étude ne sauraient être justifiées par la seule localisation des institutions, des intervenants, des choses ou des faits. Un travail préalable à l’analyse qui conduit à l’élaboration d’hypothèses de travail pour cette seule phase jugée préliminaire, ce que Gaston Bachelard dénommait l’intuition rationnelle, est indispensable pour que la masse des données puisse être transformée en information.

6L’emprise urbanisée d’une ville se révèle sujette à de constantes modifications comme l’est la composition sociologique des groupes d’habitants. La ville, dans sa totalité sociale et spatiale, est donc rarement l’échelle d’analyse pertinente ; il faut la subdiviser en des sous-ensembles fonctionnels à analyser séparément mais simultanément pour saisir les forces à l’œuvre. Il faut donc imaginer des associations pertinentes et en recomposition permanente pour l’étude de chaque question, des configurations sociospatiales dont les temporalités ne sont soumises à aucune périodisation préétablie. La ville, comme entité, n’est que le lieu, et le temps dans la recherche, de la synthèse, de la généralisation, la résolution antérieure des contradictions conduisant souvent à sa typification simplificatrice.

7Une ville au sol depuis deux millénaires, on le sait, ne résulte que très partiellement de la volonté exprimée et de l’action directe des hommes. Aucun projet, aucune réalisation n’est susceptible d’affronter la durée en répondant aux exigences des sociétés qui se succèdent en son lieu. Si tel était le cas, on pourrait étudier la relation entre des sociétés et leur espace qui les refléterait fidèlement. Le fait que, pour qu’elle dépasse une temporalité qui correspond au système social qui l’a produite, toute structure bâtie ou organisée doive pouvoir se prêter à divers usages sociaux imprévus, qui en masquent le parti original, introduit la vraie question à résoudre dans toute sa complication.

8Tout élément matériel est à la fois la réponse à un besoin qu’il faut comprendre et autre chose par la suite. De plus chaque élément n’est qu’une infime partie de l’espace d’une ville. L’analyse d’une ville est soumise à cette exigence de combinaison de données spatialisées à l’origine, confrontées au cours du temps à d’autres valeurs spatiales. Il s’agit donc de comprendre la fin poursuivie par les auteurs des réalisations et celles poursuivies par les utilisateurs successifs, sachant que ni les uns ni les autres n’avaient nécessairement pour objet de produire de l’urbain, comme on dit aujourd’hui. Il faut aussi prendre en considération que l’existant est en soi un facteur qui s’oppose aux ambitions des habitants. Pour être efficace et atteindre son but, cette compréhension des fins doit être conduite en méconnaissance du résultat final, car c’est un autre objectif historique que d’expliquer le résultat observable.

9Ce rapide tour des questions énumère de façon abstraite quelques-unes des difficultés connues de tous. S’il est facile d’énoncer les problèmes, il est plus délicat de se confronter aux aspects concrets qu’ils présentent sans parler de leur résolution. Or c’est bien ce qu’a fait Hélène Noizet : embrasser les sources existantes, définir une problématique originale, constituer les outils adaptés pour soumettre ces mêmes sources au potentiel spatial caché à une lecture orientée. Au terme de l’étude, elle livre au lecteur un modèle d’analyse d’espaces aux géométries multiples et changeantes engendrés par des groupes sociaux aux compositions et aux représentations elles aussi multiples et changeantes, sans que soient négligés le poids et la dynamique propres de l’existant, tous aspects qui se résument dans l’expression de fabrique urbaine. Ce faisant, elle renouvelle la connaissance de Tours, mais aussi celle de la ville médiévale concrète, produit d’un moment particulier des sociétés en prise avec la réalité.

Auteur

Archéologue urbain, Directeur de recherche honoraire au CNRS, Membre associé au laboratoire Cités, territoires, environnement et sociétés (CITERES, UMR 7324, université François-Rabelais / CNRS)

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