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Marquer la prééminence sociale

 | 
Jean-Philippe Genet
, 
E. Igor Mineo

Partie II. L’affirmation des élites

Construire la prééminence sociale par la culture matérielle : l’exemple de la maison de Guise au xvie siècle

Marjorie Meiss-Even

Texte intégral

  • 1 Cette communication présente une synthèse des principales conclusions de ma thèse de doctorat inti (...)
  • 2 M. Godelier, L’idéel et le matériel. Pensée, économies, sociétés, Paris, Fayard, 1984.

1L’histoire de la culture matérielle1 apparaît comme un champ d’étude particulièrement en phase avec les perspectives générales du programme de recherche sur les « vecteurs de l’idéel » chers à Maurice Godelier2. Pourtant, l’archéologue Jean-Marie Pesez avait défini la culture matérielle en 1978 comme l’ensemble des réponses culturelles que l’homme oppose aux contraintes matérielles qui pèsent sur sa vie et en avait exclu

  • 3 J.-M. Pesez, « Histoire de la culture matérielle », dans J. Le Goff, R. Chartier, J. Revel (dir.), (...)

le domaine des représentations mentales, du droit, de la pensée religieuse et philosophique, de la langue et des arts, […] les structures socio-économiques, les relations sociales et les rapports de production, en somme la relation de l’homme à l’homme3.

  • 4 D. Roche, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation (xvii-xixe siècle), Paris, Fay (...)
  • 5 M. Roustan, Sous l’emprise des objets ? Culture matérielle et autonomie, Paris, L’Harmattan, 2007, (...)

2Les historiens ont cependant rapidement reconsidéré cette approche qui opposait trop strictement monde matériel et monde abstrait, en particulier Daniel Roche qui, fortement influencé par les travaux de Roger Chartier sur le « monde comme représentation », a rappelé la nécessité de replacer les relations entre l’homme et l’objet « dans des réseaux d’abstraction et de sensibilité4 ». La culture matérielle devient, dans cette optique, un observatoire privilégié de l’articulation des pratiques et de la pensée dans la production des rapports sociaux. L’anthropologue Mélanie Roustan a d’ailleurs proposé une définition très riche de la culture matérielle : « l’ensemble des phénomènes de co-construction des sujets, du social et de la culture dans le rapport aux objets matériels5 ».

3Pierre Bourdieu a montré toute la richesse d’une approche de la dynamique sociale par le biais des objets les plus banals du quotidien, pris comme un tout. Dans La distinction, il écrivait notamment :

  • 6 P. Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979, p. 193.

Le goût, propension et aptitude à l’appropriation (matérielle et/ou symbolique) d’une classe déterminée d’objets et de pratiques classés et classants, est la formule génératrice qui est au principe du style de vie, ensemble unitaire de préférences distinctives qui expriment, dans la logique spécifique de chacun des sous-espaces symboliques, mobilier, vêtement, langage ou hexis corporelle, la même intention expressive6.

  • 7 R. Goldthwaite, Wealth and the Demand for Art in Italy, 1300-1600, Baltimore/Londres, Johns Hopkin (...)

4Or c’est bien le « style de vie » de l’aristocratie renaissante que mes recherches sur la consommation de luxe dans la France du xvie siècle m’ont amenée à étudier. Ma thèse, dont je vais vous présenter aujourd’hui quelques conclusions, avait en effet pour but initial d’enquêter sur la culture de la consommation dans la France de la Renaissance, dans la lignée des travaux de Richard Goldthwaite analysant la Renaissance comme ayant été avant tout un phénomène de consommation7. Chemin faisant, mon étude s’est de plus en plus approchée des thématiques de l’histoire sociale, à mesure que l’univers matériel de la maison de Guise, que j’avais pris comme laboratoire, m’apparaissait comme un reflet de la dynamique sociale de l’aristocratie française du xvie siècle. Les archives des Guise m’ont ainsi permis d’analyser en détail les mécanismes de la distinction aristocratique dans la France des Valois.

  • 8 B. Du Haillan, Discours sur les causes de l’extresme cherté qui est aujourd’huy en France, present (...)
  • 9 F. de La Noue, « Huitième discours », dans id., Discours politiques et militaires, Bâle, Forest, 1 (...)

5Un constat de départ s’impose : les hommes de la fin du xvie siècle partageaient le sentiment que l’univers matériel aristocratique avait profondément évolué au cours des décennies précédentes. On relève en effet de nombreuses réflexions, dans les écrits du temps, sur l’accentuation du faste et sur le raffinement croissant du cadre de vie nobiliaire. Bernard Du Haillan déplorait ainsi, dans son Discours sur les causes de l’extresme cherté qui est aujourd’huy en France (1586), que les « friandises nouvelles » et les « viandes sophistiquées » eussent mis un terme à la « frugalité ancienne ». Il regrettait aussi amèrement l’évolution récente de l’architecture, tant dans la structure des bâtiments que dans l’ornementation. Il accusait ses contemporains de se vautrer dans une « abondance de vaisselle d’or et d’argent, de chaînes, bagues et joyaux, draps de soye et brodures avec les passemens d’or et d’argent », là où leurs pères savaient se contenter d’une saine simplicité. Il n’avait pas de mots assez durs pour condamner les pratiques vestimentaires alors en vigueur, car celles-ci réclamaient, à le lire, bien plus de tissu qu’auparavant et exigeaient un rythme de renouvellement effréné. Il s’en prenait aussi au goût des rois et des princes pour les pierreries et les tableaux, rappelant que « les grands princes de jadis ne s’en soucioient pas beaucoup8 ». François de La Noue, à la même époque, faisait un constat similaire dans ses Discours politiques et militaires (1587)9. Soucieux de comprendre les causes des difficultés économiques du second ordre, il pointait lui aussi du doigt les nouveautés fâcheuses qu’étaient, selon lui, le coût excessif des vêtements, accentué par la versatilité des modes, les frais d’architecture et de décoration intérieure et enfin les « superflues despences de bouche ».

  • 10 « Il n’y a que trente ou quarante ans que ceste excessive et superbe façon de bastir est venue en (...)
  • 11 « Ceste coustume-ci print origine sous le Roy François premier, & s’est merveilleusement acreuë so (...)
  • 12 P. de Bourdeille, seigneur de Brantôme, Œuvres complètes, éd. par L. Lalanne, Paris, Veuve J. Reno (...)
  • 13 « Il était vrai qu’il n’y avait par fort longtemps que cette mode s’était introduite dans Paris. J (...)

6Il serait réducteur de ne considérer ces affirmations que comme les plaintes de grincheux incapables de s’adapter aux évolutions de leur époque. Deux éléments incitent à le penser. Tout d’abord, le fait que ces contempteurs du luxe ne se contentaient pas d’évoquer un avant mythique et achronique. Au contraire, ils proposaient bien souvent une chronologie relativement précise de ces transformations, en particulier pour le renouveau de l’architecture que Bernard Du Haillan comme François de La Noue situaient dans le courant du règne de François Ier et au début des années 155010. François de La Noue attribuait à la même période la croissance de l’importance du paraître vestimentaire11. Or – et c’est là le deuxième élément – ces affirmations sont largement corroborées par les écrits de contemporains moins hostiles aux évolutions en cours. Brantôme disait en effet de François Ier qu’il « commança les pompes et les grandes magnificences » ; le même fin connaisseur de la cour des Valois estimait que l’initiateur en France des raffinements de l’art culinaire avait été le maréchal de Saint-André, dont la position avait été la plus favorable sous le règne d’Henri II12. Dans ses Mémoires, Jacques-Auguste de Thou écrivait pour sa part que le premier carrosse (ou coche) était apparu dans les rues de Paris dans les dernières années du règne de François Ier13.

  • 14 L. Stone, The Crisis of the Aristocracy (1558-1641), Oxford, Clarendon Press, 1965. Cet ouvrage ay (...)
  • 15 N. Elias, La société de cour, Paris, Flammarion, 1985 [1933], chap. 2 : « Le système des dépenses  (...)

7Les décennies 1530, 1540 et 1550 furent donc considérées a posteriori comme un tournant, comme le moment où la culture matérielle des aristocrates s’était transformée rapidement. Dans mon travail de recherche, j’ai fait l’hypothèse que cette mutation de l’univers matériel était à mettre en lien avec la fameuse « crise de l’aristocratie » jadis travaillée par Lawrence Stone14, non pas seulement parce qu’elle aurait amené bon nombre de maisons au bord du gouffre financier par l’accentuation des dépenses de prestige, mais plutôt parce qu’elle aurait eu partie liée avec l’ébranlement identitaire, social et politique que le second ordre expérimenta au cours du xvie siècle. Lawrence Stone et de nombreux historiens à sa suite ont eu tendance à ne guère prêter attention au pourquoi de ces dépenses aristocratiques en fait d’objets de luxe et de paraître. Il n’est pas rare que l’explication du phénomène soit ainsi cantonnée à un « goût » immodéré des aristocrates de la première modernité pour les draps de soie, les pierreries et les objets d’art. L’affirmation n’est pas dépourvue d’un certain mépris, fréquent dans le monde académique, pour ce qui n’est souvent considéré que comme une inclination irraisonnée et frivole pour le luxe et la parure. Certes, tout le monde se souvient des analyses de Norbert Elias sur le « système des dépenses » dans la société de cour et est donc conscient que ces dépenses étaient commandées par la nécessité de tenir son rang15. Une part d’impensé reste cependant présente, permettant précisément la persistance du préjugé de frivolité : était-ce simplement le montant des dépenses qui comptait ou bien ce pour quoi l’argent était dépensé ? Et, plus encore, par quel processus était-il établi que tel ou tel type de dépenses était adapté à tel rang ? C’est donc le mécanisme de production de la norme de la consommation aristocratique qu’il faut mettre à jour et, derrière cela, le mécanisme de légitimation du positionnement social par le paraître.

  • 16 Sur ces questions, voir entre autres : D. Bitton, French Nobility in Crisis (1560-1640), Stanford, (...)
  • 17 R. Descimon, « Chercher de nouvelles voies pour interpréter les phénomènes nobiliaires dans la Fra (...)

8L’enjeu est d’autant plus important que la noblesse du xvie siècle dut faire face à une série d’évolutions qui mirent en péril sa place éminente dans la société : ouverture croissante des carrières militaires aux roturiers et affaiblissement concomitant du rôle de la cavalerie dans les batailles, montée en puissance d’une noblesse concurrente fondée sur la détention d’offices de justice et de finance, évolution des rapports de pouvoir au sein de l’élite politique, mise en place d’une culture de cour centrée sur la personne royale16. Or il convient de rappeler avec Robert Descimon que « du point de vue sociologique, la noblesse n’était pas autre chose qu’une élite sociale soumise aux aléas inhérents à la reproduction des situations de domination17 ». Un changement en profondeur du contexte social obligeait donc le second ordre à asseoir sa prééminence sur de nouvelles bases sous peine de dégringoler dans l’échelle sociale. Ce n’est pas dans la Sicile de Tomasi Di Lampedusa que je vais vous apprendre qu’il faut parfois « que tout change pour que rien ne change » !

  • 18 BNF, fr. 8181, fol. 218-302 (compte annuel de 1540) et 311-385 (compte annuel de 1542) ; fr. 22433 (...)
  • 19 A. Eurich, The Economics of Power. The Private Finances of the House of Foix-Navarre-Albret during (...)

9La richesse des archives de la maison de Guise m’a permis de partir sur les traces de la culture matérielle d’une grande famille de la Renaissance française et de m’attacher à démonter les mécanismes de sa consommation. L’examen des vestiges de la comptabilité des Guise m’a ainsi permis de mettre en lumière un recul relatif des marqueurs de prééminence lié à des pratiques sociales traditionnelles au profit d’autres plus clairement liés à la possession d’objets18. On constate, entre, d’un côté, le tout début des années 1540 (1540-1542) et, de l’autre, les années 1560-1570 (1562-1563 et 1571), une baisse de la part des dépenses allouées aux manifestations les plus traditionnelles de la domination sociale, à savoir l’ampleur de la suite, la libéralité aristocratique traduite par l’hospitalité au moment des repas, la protection du puissant seigneur étendue à un grand nombre de domestiques. Le total des dépenses de ce secteur – obtenu en additionnant le montant de la dépense ordinaire (frais de bouche, de transport, de logement) et celui des gages et pensions des domestiques – est ainsi passé de 60 % environ des dépenses annuelles de la maison au début des années 1540 à 40-45 % environ dans les années 1560-1570. Dans le même temps, les dépenses liées aux achats de biens (hors biens fonciers) et à l’entretien des palais et châteaux se maintinrent autour de 30 % des dépenses totales. Cette stabilité est d’autant plus remarquable qu’explosaient à la même époque les dépenses pour des achats de terres et les frais d’un endettement croissant (de 1-5 % à 15-19 %), explosion qui devait mécaniquement faire chuter la part des autres postes de dépense. Dans leur « budget », les Guise transférèrent leurs fonds des postes de dépenses traditionnels aux postes de dépenses du foncier et de la dette, mais ils ne touchèrent pas aux dépenses en objets de luxe (draps de soie, pièces de parure, bijoux, chevaux de prix, ameublement) et en travaux d’architecture. Ceci est très significatif de la place désormais prise par les résidences et les objets de luxe dans l’apparat aristocratique. Les résultats de l’enquête d’Amanda Eurich sur les dépenses de la maison de Navarre-Albret confirment d’ailleurs l’importance croissante de ce secteur au cours du xvie siècle, puisque la dépense extraordinaire de la maison de Jeanne d’Albret se situait entre 15 et 40 % de la dépense totale (15-30 % dans les années 1560, 30-40 % dans les années 1570), là où Henri d’Albret, le grand-père de Jeanne, en 1518, ne dépensait que 10 % environ de son revenu en habits, chevaux et « extraordinaire19 ».

  • 20 Multiples références de travaux dans les AN, KK 906 et KK 908 ; AN, 300 AP II 404* ; BNF, fr. 2243 (...)
  • 21 F. Boudon, « Jardins d’eau et jardins de pente dans la France de la Renaissance », dans J. Guillau (...)
  • 22 J.-P. Babelon, Châteaux de France au siècle de la Renaissance, Paris, Picard, 1989, p. 397.

10L’étude détaillée des comptes des Guise, croisée à celle de la correspondance ducale et des marchés passés avec les fournisseurs, permet de savoir plus concrètement ce que recouvrait ce chapitre des dépenses de luxe. Je me contenterai ici d’étudier le domaine vers lequel les Guise dirigèrent l’essentiel de leur investissement au cours du xvisiècle : celui de l’habitat. Les Guise se lancèrent en effet dans une intense activité de construction et d’embellissement de leurs divers palais et châteaux. Claude de Lorraine initia le mouvement en faisant bâtir entre 1533 et 1546 le petit pavillon d’agrément appelé le « château du Grand Jardin », dans sa capitale champenoise de Joinville. Ses fils, le duc François et son frère le cardinal Charles, surpassèrent leur père au cours des années 1550 et 1560 en restructurant en profondeur le château ancestral de Joinville (1551-1557, puis 1565-1567), les châteaux d’Éclaron (1550-1562 ?), Ancerville (1554-1562 ?), Nanteuil (1556-1563 ?), Dampierre (à partir de 1551), Meudon (à partir de 1553) et enfin l’hôtel parisien de la famille (1553-1556, puis 1562-1563)20. La plupart des transformations effectuées dans ces demeures étaient très ambitieuses, d’un point de vue de modernité architecturale. Le château du Grand Jardin est en effet considéré aujourd’hui comme l’une des toutes premières manifestations de l’inspiration de Sebastiano Serlio en France et le jardin dont il était le centre fut sans doute le premier exemple en France, après Fontainebleau, de l’utilisation moderne de l’eau et des canaux21. La façade du pavillon développait une ornementation inspirée de l’Antiquité où chars de triomphe, trophées d’armes, termes canéphores et cornes d’abondance glorifiaient la vertu militaire du duc, tandis que les devises de fidélité et les chiffres unis des époux dédiaient ce monument à la félicité conjugale et au repos mérité du guerrier22. Les autres bâtiments furent quant à eux l’objet d’embellissements qui les mirent au premier rang des châteaux de France : le château de Dampierre figure parmi les Plus excellents bastimens de France de Jacques Androuet Du Cerceau, la grotte du château de Meudon fit l’admiration de tous les contemporains, l’hôtel de Guise fut réaménagé sous la direction de Primatice et le château d’Éclaron repensé à partir des prestigieux modèles des châteaux du connétable de Montmorency à Chantilly et à Écouen.

  • 23 Par son testament rédigé en 1520, Philippe de Gueldres, la mère de Claude de Lorraine, fit don à s (...)
  • 24 J. Guiffrey, « Inventaire des meubles précieux de l’hôtel de Guise en 1644 et 1688 et de l’hôtel d (...)
  • 25 Inv. OA 7314-OA 7325. Sur cette œuvre, voir S. Schneebalg-Perelman, Les Chasses de Maximilien. Les (...)
  • 26 H. Sauval, Histoire et recherche des antiquités de la ville de Paris, Paris, Moette, 1724, t. 3, p (...)
  • 27 Dans l’inventaire de 1644, les Chasses de Maximilien étaient estimées à 50 000 livres et les Signe (...)

11Dans ces demeures rénovées, les Guise entreprirent de réunir une somptueuse collection d’objets et meubles précieux. Le premier duc, Claude de Lorraine, n’était que très médiocrement meublé dans les premiers temps de son mariage avec Antoinette de Bourbon (le mariage eut lieu en 1513)23. Les riches objets dont un inventaire nous apprend qu’ils ornaient l’hôtel de Guise dans la première moitié du xviie siècle nous donnent donc une idée très précise de ce qu’une grande maison de la Renaissance avait jugé nécessaire d’acquérir pour tenir son rang24. Le plus grand trésor de la maison de Guise était sa collection de tapisseries, dont le fleuron était le célèbre ensemble des Chasses de Maximilien, aussi appelé Les Belles Chasses de Guise et conservé aujourd’hui au musée du Louvre25. Les circonstances de l’entrée dans les possessions des Guise de cette tapisserie de haute lisse bruxelloise tissée pour Charles Quint au début des années 1530 sur des cartons de Bernard Van Orley demeurent aujourd’hui une énigme. Il est presque sûr en revanche que cette œuvre connue pour la complexité et le dynamisme de sa composition comme pour l’extraordinaire individualisation des personnages était accrochée à la fin du xvie siècle dans la grande salle du premier étage de l’hôtel de Guise, où elle faisait très forte impression sur les visiteurs venus rencontrer le duc26. Les thèmes des tapisseries de la collection étaient assez classiques : verdures, animaux, scènes de bergers ou de bûcherons, devises et armoiries, histoire sainte, mythologie. Toutes ces scènes tissaient autour des Guise un décor précieux mêlant goût de la nature et de ses merveilles, rappel des impératifs moraux et religieux, exaltation du lignage et de la puissance politique, sensibilité à la culture humaniste triomphante. La très grande valeur de plusieurs de ces ensembles – on dénombre cinq ensembles de tapisserie dans les quinze meubles les plus chers de l’inventaire et les deux premières places sont occupées par les Chasses de Maximilien et les Signes du Zodiaque, très loin devant les meubles suivants – atteste la qualité exceptionnelle des pièces réunies par les Guise27.

  • 28 AN, K 529 A, inventaire de 1583, fol. 13-14 ; inventaire de 1589, fol. 1, 4, 6 vo ; J. Guiffrey, « (...)
  • 29 Il faut donc nuancer des remarques comme celle-ci : « Les assemblages de couleurs témoignent de ha (...)

12Les tissus d’ameublement, destinés à recouvrir les murs, les lits, les dressoirs et les tables, constituaient une autre richesse de la maison de Guise. Les plus belles de ces pièces composaient de véritables ensembles coordonnés. L’exemple le plus significatif est celui d’un ensemble de velours vert brodé de motifs de bouquets et de paniers de fruits de fil d’or et d’argent, mentionné dans les inventaires de 1583, 1589 et 1644 : il comprenait un lit (ciel, dossier, six pentes, les soubassements, trois rideaux de brocatelle, deux fourreaux de pilier, la couverture de parade), un pavillon, les housses de six chaises, deux tabourets et deux escabelles, un tapis de table, un tapis de buffet, un dais, un grand ciel et une tapisserie de velours de onze pièces brodées d’histoires de femmes vertueuses de l’Ancien et du Nouveau Testament28. Il y avait là de quoi décorer toute une chambre et probablement aussi la salle attenante. Cela prouve que le souci de créer une harmonie décorative par les pièces de tissus fut bien antérieur au Siècle des lumières, époque à laquelle les spécialistes de la culture matérielle à l’époque moderne ont souvent tendance à le voir apparaître. Les Grands de la Renaissance aimaient certes la polychromie et osaient parfois des associations de couleurs que nous pouvons juger criardes, mais ils ne vivaient pas dans une sorte de chaos visuel29.

13L’importance grandissante accordée à la qualité du décor intérieur se retrouve dans l’apparition – à l’hôtel de Guise en tout cas, c’est-à-dire dans la vitrine du pouvoir des Guise à partir de la seconde moitié des années 1550 – de meubles n’ayant plus vocation à être déplacés de résidence en résidence. Un marché de peinture daté de 1555 nous apprend en effet que François de Guise décida de faire dorer et vernir une table, un buffet et les bancs installés autour de la grande salle de son hôtel parisien de la même façon que les lambris de la frise décorant la pièce. Il va de soi que ces meubles ne prenaient sens que dans le cadre de la salle pour laquelle ils avaient été conçus. L’intérieur des palais et châteaux tendait ainsi à prendre une cohérence décorative qui supposait une réflexion préalable sur l’effet recherché.

  • 30 Un inventaire du buffet d’or du cardinal Charles de Lorraine, oncle d’Henri de Guise à qui il légu (...)
  • 31 J. Guiffrey, « Inventaire des meubles précieux… », art. cité, p. 156-171.
  • 32 BNF, Clair. 351, fol. 124, brouillon de lettre de François de Guise à un destinataire inconnu à Ro (...)
  • 33 BNF, fr. 20512, fol. 3, lettre de Boucher au duc de Guise, Rome, 26 avril 1559 ; fr. 15872, fol. 1 (...)
  • 34 BNF, fr. 15871, fol. 203, lettre de Claude Tinard, dit Flanjol, ingénieur du roi chargé du curage (...)

14Dans ce décor très travaillé prenaient aussi place les collections de vaisselle d’apparat des Guise. La vaisselle d’or ciselée et godronnée était omniprésente, toutefois elle était de plus en plus concurrencée par une vaisselle réalisée dans d’autres matériaux qui empêchaient d’y voir une forme ostentatoire de thésaurisation de la fortune30. Le cristal, le lapis-lazuli, la nacre, la calcédoine rivalisaient de beauté dans des objets au décor très développé et souvent emprunté à la mythologie : de nombreuses figures de Bacchus, de Diane, de Neptune, de centaures ou de harpies ornaient ainsi ces très belles pièces31. Ce genre de références à la culture antique ne pouvaient que plaire à une famille qui s’évertuait à réunir statues et marbres anciens. La passion des cardinaux de Lorraine et de Guise pour les œuvres antiques est déjà bien connue, cependant le deuxième duc de Guise se révéla lui aussi être un amateur. François de Guise profita en effet de son expédition italienne de 1556-1557 pour s’approvisionner directement à la source, à Rome, puisqu’il rapporta « quatre petites caisses […] esquelles y a dix ou douze petites pieces de marbre modernes et deux ou trois antiques32 ». En 1559, il attendait de recevoir deux caisses de marbres romains en transit via Civitavecchia puis Marseille33. L’année suivante, il fut averti de la découverte de vestiges antiques près d’Orange et s’en appropria une partie34. La culture humaniste avait ainsi clairement envahi les résidences des Guise.

  • 35 P. Burke, La Renaissance européenne, Paris, Seuil, 2000, chap. 5 : « La “domestication” de la Rena (...)

15Par leur décoration et leur ameublement, les palais et châteaux des Guise participaient donc à ce que Peter Burke a appelé la « domestication » ou « quotidianisation » de la Renaissance, c’est-à-dire le passage dans le cadre de vie habituel des formes et idées nouvelles apparues pour l’essentiel au cours du xve siècle35. Peter Burke l’écrit très clairement :

  • 36 Ibid., p. 217.

Beaucoup de ces objets de luxe incarnaient les idéaux de la Renaissance et doivent être interprétés par les historiens comme autant de preuves des allégeances de leurs propriétaires, qui s’efforçaient de construire ou de reconstruire leur identité dans le style nouveau36.

  • 37 G. Guerzoni, « Liberalitas, Magnificentia, Splendor : the Classic Origins of Italian Renaissance L (...)
  • 38 B. Castiglione, Le parfait courtisan du comte Baltasar Castillonnois… de la traduction de Gabriel (...)

16Les motifs décoratifs inspirés de l’Antiquité et les références culturelles humanistes étaient en train de devenir l’environnement « normal » de l’aristocratie française, à tel point qu’il était désormais inimaginable de ne pas réaliser un véritable effort financier pour le constituer. C’était d’autant moins imaginable que nombre de penseurs – notamment italiens – avaient retravaillé la notion aristotélicienne de magnificence au cours du xve siècle en l’étendant aux possessions privées et en avaient fait un véritable critère de noblesse37. La reconnaissance de l’appartenance à l’élite sociale passait donc de plus en plus par la possession de collections d’un grand nombre d’objets rares et excellents. Le cadre de vie aristocratique, rénové et embelli selon les nouveaux canons esthétiques de la Renaissance, signifiait désormais aux yeux du visiteur que le propriétaire des lieux appartenait à la meilleure noblesse, celle qui se définissait désormais par des valeurs de culture, de beauté et de raffinement vantées par Castiglione, autant et même plus que par les vertus guerrières38.

17Le cadre de vie aristocratique n’était cependant pas qu’un « signe », compris au sens de manifestation sensible venant rendre visible une réalité sociale préexistante. Les anthropologues de la culture matérielle nous rappellent en effet que

  • 39 M.-P. Julien, J.-P. Warnier (dir.), Approches de la culture matérielle. Corps à corps avec l’objet(...)

les objets ne sont pas uniquement la matérialisation d’un sens qui serait donné a priori ou a posteriori […]. La confrontation à la matière (savoir se servir d’un instrument, ne pas se cogner, arriver à marcher avec des chaussures à talon…) et son appropriation, sont des éléments primordiaux de la construction du sujet et du groupe39.

18Par conséquent, constater l’envahissement progressif des intérieurs aristocratiques par des objets de luxe déclinant les formes mises à l’honneur par les artistes de la Renaissance et imprégnés de culture humaniste ne doit pas conduire à faire de cette évolution un simple reflet de la progressive transformation du chevalier en courtisan. L’univers matériel aristocratique a aussi été le moyen de la redéfinition identitaire du groupe en faisant incorporer peu à peu aux individus les nouvelles valeurs qui fondaient leur ordre et la place de celui-ci dans la hiérarchie sociale. Autrement dit, en termes plus bourdieusiens, les objets de luxe ont contribué à faire intégrer aux aristocrates renaissants le nouvel habitus noble et à refonder ainsi la légitimation de leur position sociale. Par conséquent, à la Renaissance, il ne s’agissait donc pas tant de marquer la prééminence sociale par le luxe que de la créer, pas tant de tenir son rang dans la société que de le définir.

19Le problème devient dès lors de chercher à comprendre par quel processus les aristocrates renaissants ont à la fois redéfini leur identité collective et rénové leur univers matériel. La lecture des archives de la maison de Guise est là encore des plus suggestives. Si les sources, et plus particulièrement la correspondance domestique, sont peu loquaces sur les phénomènes d’émulation qui purent influer sur la consommation des Guise, elles sont en revanche très riches d’informations sur la façon dont ils se constituèrent un environnement matériel susceptible d’accompagner leur transformation en courtisans accomplis. C’est ainsi une partie du mécanisme de prise de la décision en matière de consommation culturelle qui se dévoile à nos yeux.

20L’élément majeur qui s’est dégagé de l’étude de la correspondance ducale est le rôle primordial des intermédiaires intervenant à un moment ou un autre du processus de consommation. En effet, les Guise ne procédaient pas en personne à leurs achats. Plusieurs raisons s’opposaient à cela, à commencer par la dignité de ducs et pairs de France, peu compatible avec une activité aussi triviale que le « shopping » (pour parler en termes actuels) et l’éloignement des lieux d’achat, dans le cadre d’une consommation étendue aux dimensions de l’Occident. Pour se procurer les produits nécessaires à la proclamation comme à la définition de leur rang, les Guise étaient donc dans l’obligation d’avoir recours aux services d’acheteurs.

  • 40 BNF, fr. 20516, fol. 121, lettre de François Rousselet, sieur de La Part-Dieu, à François de Guise (...)

21Qui étaient ces acheteurs ? Ce pouvaient être des serviteurs domestiques (comme le maître d’hôtel François de Hangest, l’écuyer Ramassin de Bologne ou le valet de chambre Macé Leschassier), des collaborateurs réguliers de la maison (à l’instar du gentilhomme milanais Jérôme de Beaquis ou du seigneur de Belloc) ou bien encore des individus résidant dans le centre de production intéressant la maison de Guise (comme la Tourangelle Marie Gaudin, dame de La Bourdaisière, les ambassadeurs du roi de France à l’étranger, les receveurs généraux de Bourgogne et de Dauphiné Girard Sayne et Artus Prunier, etc.). Si certains de ces acheteurs étaient de véritables spécialistes en leur domaine, comme l’écuyer Ramassin ou Jérôme de Beaquis, les moins qualifiés des acheteurs faisaient fréquemment appel à des experts capables de les guider dans leur choix ou de leur donner une estimation pour un produit à négocier. Ce fut le cas notamment de deux notables lyonnais, François Rousselet et Jacques Senneton, qui eurent la charge d’acquérir des bijoux pour François de Guise, à l’été 1548. Peu au fait du marché des joyaux et pierres précieuses, ils s’adressèrent à des « personnes ad ce cognoissans » afin d’obtenir une évaluation sérieuse des bijoux leur donnant une base solide pour discuter le prix avec le marchand40. Pour finir de dessiner à grands traits les contours de ce groupe mouvant d’acheteurs et d’experts, il convient d’ajouter que leurs origines sociales étaient variées, puisque l’officier de finance y côtoyait le gentilhomme et l’artisan ; près de la moitié des individus recensés étaient en outre d’origine italienne.

  • 41 « Ledit Proust m’a dict que n’entendrez poinct que le fondz de voz rydeaulx fust damassé. Je ne sc (...)
  • 42 Voir les trois lettres adressées par l’écuyer au duc de Guise depuis Lyon entre le 26 septembre et (...)
  • 43 BNF, fr. 20541, fol. 120 ; Clair. 349, fol. 145 ; fr. 20517, fol. 83 ; fr. 20542, fol. 91.

22Les aspects pratiques de l’approvisionnement de la maison de Guise en produits de luxe étaient ainsi aux mains d’intermédiaires, acheteurs et experts, qui constituaient la véritable clé de voûte du système ducal de consommation. Un espace de dialogue entre le commanditaire (le duc ou la duchesse de Guise) et l’intermédiaire s’ouvrait au moyen d’une circulation de lettres, de mémoires et d’échantillons destinés à affiner progressivement le choix final du produit à faire fabriquer ou acheter. Grâce à ces documents, dont quelques-uns sont parvenus jusqu’à nous, on s’aperçoit de la réelle capacité des intermédiaires à influencer le choix de leur puissant patron. On peut ainsi lire les propos certes humbles, mais tout de même fermes, de Marie Gaudin au jeune duc François lorsque celui-ci prit une décision relative à un lit de velours que la respectable dame de La Bourdaisière jugeait peu judicieuse41. De même, on constate le refus obstiné de l’écuyer Ramassin de Bologne de recevoir des chevaux turcs pour le duc de Guise alors même que celui-ci commençait à se laisser convaincre42. L’obsession des intermédiaires, comme d’ailleurs des individus désireux de faire un cadeau au duc, était en effet de procurer au puissant Lorrain des objets dignes de lui. C’est là un véritable leitmotiv qui rythme les courriers des intermédiaires des Guise : « il n’y a riens digne de vous que le tiercelle[t] que j’avoitz baillé », « il n’a trouvé chose digne de vous […] que le cheval qu’il vous meyne », « ce ne sont pas, à mon avis, des chevaux pour Votre Excellence », « il ne s’est pas trouvé comme il appartenait à Son Excellence43 »…

23Ce souci constant des intermédiaires, joint à leur réelle influence sur les décisions ducales en matière de consommation, amène donc à conclure que les Guise n’étaient pas les seuls artisans de leur paraître ni les seuls garants de la conformité de celui-ci avec leur rang. Le corps social, par le biais des intermédiaires de la consommation ducale, participait activement à la définition de ce paraître. Roturiers et nobles de rang inférieur se faisaient une idée très précise de ce qui devait constituer l’environnement matériel de la famille d’un pair de France et ils n’entendaient pas transiger sur ce point. La distinction du groupe social dominant à la Renaissance ne doit donc pas être comprise comme un processus de classement social entièrement contrôlé de l’intérieur par ce groupe dominant : des couches sociales inférieures collaboraient à la construction de ces marques de distinction en mettant leurs compétences techniques et leurs réseaux au service de l’aristocratie. En agissant de la sorte, les membres des couches sociales inférieures reconnaissaient la légitimité de la prééminence de ceux pour qui ils travaillaient et contribuaient à la préservation d’une certaine harmonie sociale. Mais, paradoxalement pour des individus de l’époque moderne qui percevaient leur société comme une société figée, ils contribuaient au renouvellement du registre de la domination aristocratique en aidant leurs maîtres à se métamorphoser en aristocrates « nouvelle manière ».

24Au terme de l’analyse, il apparaît ainsi que la distinction du courtisan de la Renaissance, faite d’élégance, de culture et de maîtrise de soi, a trouvé son expression mais aussi son moyen dans l’évolution de la culture matérielle aristocratique. Cette évolution s’est produite grâce à la collaboration d’une part importante du corps social, au-delà en tout cas du groupe dominant concerné au premier chef, dans un jeu complexe d’interactions sociales. La redéfinition concomitante de l’environnement matériel et des fondements de la légitimité sociale et politique de l’aristocratie a donc été le fruit, si ce n’est d’un parfait consensus, au moins d’une véritable co-élaboration sociale.

25On comprend dès lors tout l’enjeu, pour les Guise et leurs semblables, de céder aux sirènes de ce qui n’était pas tant un consumérisme hédoniste qu’une nécessité s’ils voulaient continuer à correspondre à l’« essence » noble, de plus en plus faite de culture et de bon goût. Disposer d’un environnement matériel conforme à ce que le corps social tendait désormais à définir comme adéquat pour des nobles de haut rang était indispensable pour être toujours reconnus comme tels et, à terme, pour continuer à être réellement nobles. Le luxe déployé par l’aristocratie de cour fut ainsi le témoin et plus encore le moyen de l’adaptation de l’élite à sa nouvelle définition sociale.

Notes

1 Cette communication présente une synthèse des principales conclusions de ma thèse de doctorat intitulée Être ou avoir. Les ducs de Guise et leur paraître (1506-1588), dirigée par MM. G. Chaix et P. Brioist et soutenue à l’université de Tours en novembre 2010. Une version remaniée vient d’être publiée sous le titre Les Guise et leur paraître, Tours/Rennes, Presses universitaires François-Rabelais/Presses universitaires de Rennes (coll. « Renaissance »), 2013.

2 M. Godelier, L’idéel et le matériel. Pensée, économies, sociétés, Paris, Fayard, 1984.

3 J.-M. Pesez, « Histoire de la culture matérielle », dans J. Le Goff, R. Chartier, J. Revel (dir.), La nouvelle histoire, Paris, CEPL, 1978, p. 101-102.

4 D. Roche, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation (xvii-xixe siècle), Paris, Fayard, 1997, p. 10-11 ; R. Chartier, « Le monde comme représentation », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 44/6, 1989, p. 1505-1520.

5 M. Roustan, Sous l’emprise des objets ? Culture matérielle et autonomie, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 29.

6 P. Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979, p. 193.

7 R. Goldthwaite, Wealth and the Demand for Art in Italy, 1300-1600, Baltimore/Londres, Johns Hopkins University Press, 1993.

8 B. Du Haillan, Discours sur les causes de l’extresme cherté qui est aujourd’huy en France, presenté à la mère du roy par un sien fidelle serviteur, Bordeaux, 1586, p. 160-161, 163-165, 166-169 et 188.

9 F. de La Noue, « Huitième discours », dans id., Discours politiques et militaires, Bâle, Forest, 1587, p. 157-177.

10 « Il n’y a que trente ou quarante ans que ceste excessive et superbe façon de bastir est venue en France » (B. Du Haillan, Discours sur les causes de l’extresme cherté…, op. cit., p. 163) ; « Je pense qu’il n’y a gueres plus de soixante ans que l’architecture a esté restablie en France, & auparavant on se logeoit assez grossierement » (F. de La Noue, « Huitième discours », art. cité, p. 165).

11 « Ceste coustume-ci print origine sous le Roy François premier, & s’est merveilleusement acreuë sous le Roy Henri second. Mais depuis la depravation a esté telle, qu’on a fait porter aux pages & aux laquais la toile d’argent. Nos ancestres estoyent, sans comparaison, plus moderez […] » (ibid., p. 162).

12 P. de Bourdeille, seigneur de Brantôme, Œuvres complètes, éd. par L. Lalanne, Paris, Veuve J. Renouard, 1864-1882, t. 2, p. 212, et t. 5, p. 30.

13 « Il était vrai qu’il n’y avait par fort longtemps que cette mode s’était introduite dans Paris. Jean de Laval-Boisdauphin, homme de qualité, a été le premier, sur la fin du règne de François Ier, qui se soit servi d’un carrosse […] » (Jacques-Auguste de Thou, Mémoires, dans J.-F. Michaud et J.-J.-F. Poujoulat [éd.], Nouvelle collection des mémoires pour servir à l’histoire de France depuis le xiiie siècle jusqu’à la fin du xviiie siècle, Paris, Guyot frères, 1851, t. 11, p. 331-332).

14 L. Stone, The Crisis of the Aristocracy (1558-1641), Oxford, Clarendon Press, 1965. Cet ouvrage ayant suscité de nombreux travaux partout en Europe, on lira avec profit la synthèse de F. Billacois, « La crise de la noblesse européenne, 1550-1650 : une mise au point », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 23/2, 1976, p. 258-277.

15 N. Elias, La société de cour, Paris, Flammarion, 1985 [1933], chap. 2 : « Le système des dépenses », p. 47-61.

16 Sur ces questions, voir entre autres : D. Bitton, French Nobility in Crisis (1560-1640), Stanford, Stanford University Press, 1969 ; E. Schalk, L’épée et le sang. Une histoire du concept de noblesse (vers 1500-vers 1650), Seyssel, Champ Vallon, 1996 [1986] ; A. Jouanna, Le devoir de révolte. La noblesse française et la gestation de l’État moderne (1559-1661), Paris, Fayard, 1989.

17 R. Descimon, « Chercher de nouvelles voies pour interpréter les phénomènes nobiliaires dans la France moderne. La noblesse, “essence” ou rapport social ? », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 46/1, 1999, p. 14.

18 BNF, fr. 8181, fol. 218-302 (compte annuel de 1540) et 311-385 (compte annuel de 1542) ; fr. 22433, fol. 31-118 (compte annuel de 1563) et 119-177 (compte annuel de 1562). Arch. château de Chantilly, 1-A-14, état récapitulatif des dépenses et recettes pour l’année 1571.

19 A. Eurich, The Economics of Power. The Private Finances of the House of Foix-Navarre-Albret during the Religious Wars, Kirksville, Sixteenth Century Journal, 1994, p. 167-168.

20 Multiples références de travaux dans les AN, KK 906 et KK 908 ; AN, 300 AP II 404* ; BNF, fr. 22433 ; arch. château de Chantilly, 1-A-14 et 1-CB-2. Des références plus ponctuelles en : BNF, fr. 3118, fol. 44 ; BNF, fr. 20467, fol. 153 ; BNF, fr. 20468, fol. 301-303 ; BNF, fr. 20513, fol. 23 ; BNF, fr. 20517, fol. 144 ; BNF, fr. 20522, fol. 39 ; BNF, fr. 20537, fol. 30 ; BNF, fr. 20543, fol. 137 ; BNF, fr. 20554, fol. 13, 61, 127 ; BNF, Clair. 347, fol. 295 ; BNF, Clair. 348, fol. 20 ; BNF, Clair. 349, fol. 128, 164, 196 ; AN, MC, étude XLIX, liasse 101, 5 novembre 1554 et 14 mars 1555 ; AN, MC, étude XC, liasse 121, 5 novembre 1572.

21 F. Boudon, « Jardins d’eau et jardins de pente dans la France de la Renaissance », dans J. Guillaume (éd.), Architecture, jardin, paysage. L’environnement du château et de la villa aux xve et xvie siècles, Paris, Picard, 1999, p. 140.

22 J.-P. Babelon, Châteaux de France au siècle de la Renaissance, Paris, Picard, 1989, p. 397.

23 Par son testament rédigé en 1520, Philippe de Gueldres, la mère de Claude de Lorraine, fit don à son fils de l’essentiel de ses meubles et ce au détriment de ses autres enfants. Elle justifiait ainsi sa décision : « Et pour ce qu’il a femme et enfans, jeune mesnaigier, et leur maison mal fournie et mal meublée de toutes choses, nous luy donnons tout le reste et surplus de nos meubles » (AN, 300 AP II 404*, fol. 378-379).

24 J. Guiffrey, « Inventaire des meubles précieux de l’hôtel de Guise en 1644 et 1688 et de l’hôtel de Soubise en 1787 », Nouvelles archives de l’art français. Revue de l’art ancien et moderne, 3e série, 12, 1896, p. 156-171. Les armoiries, signes et devises figurant sur bon nombre d’objets permettent d’en faire remonter la possession aux ducs du xvie siècle, tout comme le croisement de cet inventaire avec des inventaires plus partiels datés des années 1570-1580 (AN, KK 529A : inventaires des meubles laissés au château de Joinville [1583 et 1589] ; BNF, fr. 22441, fol. 49-54 : inventaire du buffet d’or et d’argent du cardinal de Lorraine, sans date).

25 Inv. OA 7314-OA 7325. Sur cette œuvre, voir S. Schneebalg-Perelman, Les Chasses de Maximilien. Les énigmes d’un chef-d’œuvre de la tapisserie, Bruxelles, Chabassol, 1982 ; G. Delmarcel, « Les tapisseries des Chasses de Maximilien : rêve et réalité », Revue belge d’archéologie et d’histoire de l’art, 53, 1984, p. 119-128 ; A. Balis et al., Les Chasses de Maximilien, Paris, Réunion des musées nationaux, 1993.

26 H. Sauval, Histoire et recherche des antiquités de la ville de Paris, Paris, Moette, 1724, t. 3, p. 10.

27 Dans l’inventaire de 1644, les Chasses de Maximilien étaient estimées à 50 000 livres et les Signes du Zodiaque à 35 000. Le troisième article le plus cher, un dais dit « du Jugement de Pâris », n’était prisé « que » 17 000 livres (J. Guiffrey, « Inventaire des meubles précieux… », art. cité, p. 171).

28 AN, K 529 A, inventaire de 1583, fol. 13-14 ; inventaire de 1589, fol. 1, 4, 6 vo ; J. Guiffrey, « Inventaire des meubles précieux… », art. cité, p. 173.

29 Il faut donc nuancer des remarques comme celle-ci : « Les assemblages de couleurs témoignent de hardiesse : noir et orangé – violet, cramoisi, orangé et noir – blanc et rouge – rouge, blanc et jaune – jaune doré et violet. On pourrait multiplier les exemples à la lecture des anciens inventaires […]. Seules les tapisseries de lisse et les broderies au petit point, dont d’assez nombreux spécimens se sont conservés, peuvent donner une idée, malgré leurs couleurs passées, des harmonies bigarrées, sinon bariolées, qui s’étalaient sur les murs et sur les meubles, surtout dans les plus riches demeures » (P. Verlet [dir.], Styles, meubles, décors du Moyen Âge à nos jours, Paris, Larousse, 1972, p. 39).

30 Un inventaire du buffet d’or du cardinal Charles de Lorraine, oncle d’Henri de Guise à qui il légua tous ses biens à sa mort en 1574, énumère les pièces dont le poids total monte à environ 1 300 marcs, soit 318 kg d’or (BNF, fr. 22441, fol. 49-54) !

31 J. Guiffrey, « Inventaire des meubles précieux… », art. cité, p. 156-171.

32 BNF, Clair. 351, fol. 124, brouillon de lettre de François de Guise à un destinataire inconnu à Rome, Saint-Germain-en-Laye, octobre 1557.

33 BNF, fr. 20512, fol. 3, lettre de Boucher au duc de Guise, Rome, 26 avril 1559 ; fr. 15872, fol. 149, lettre du sieur de Boistaillé au cardinal de Lorraine, Marseille, 8 août 1559.

34 BNF, fr. 15871, fol. 203, lettre de Claude Tinard, dit Flanjol, ingénieur du roi chargé du curage du port de Marseille, au duc de Guise, Grenoble, 16 février 1560 ; fol. 150-151, lettre de Claude Tinard, dit Flanjol, au duc de Guise, Marseille, 2 septembre 1560.

35 P. Burke, La Renaissance européenne, Paris, Seuil, 2000, chap. 5 : « La “domestication” de la Renaissance », p. 205-287.

36 Ibid., p. 217.

37 G. Guerzoni, « Liberalitas, Magnificentia, Splendor : the Classic Origins of Italian Renaissance Lifestyles », History of Political Economy, 31, 1999, p. 332-378 ; E. Welch, « Public Magnificence and Private Display. Giovanni Pontano’s De Splendore (1498) and the Domestic Arts », Journal of Design History, 15/4, 2002, p. 211-227 ; Q. Skinner, « Thomas More’s Utopia and the Virtue of True Nobility », dans id., Visions of Politics, t. 2 : Renaissance Virtues, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 213-244.

38 B. Castiglione, Le parfait courtisan du comte Baltasar Castillonnois… de la traduction de Gabriel Chapuis, Tourangeau, Lyon, 1580 [1528].

39 M.-P. Julien, J.-P. Warnier (dir.), Approches de la culture matérielle. Corps à corps avec l’objet, Paris, L’Harmattan, 1999, « Avant-propos », p. 11-12.

40 BNF, fr. 20516, fol. 121, lettre de François Rousselet, sieur de La Part-Dieu, à François de Guise, Lyon, 11 août 1548.

41 « Ledit Proust m’a dict que n’entendrez poinct que le fondz de voz rydeaulx fust damassé. Je ne scay monseigneur s’il sera beau que les penthes soient damassées et les rydeaulx non ; madame votre mère vous en pourra dire son advis qui se y congnoist myeux que moy mais il me semble monseigneur qu’il seroit plus beau tout d’une pareure. Vous me commanderez monseigneur ce qu’il vous plaira et je mectray peine de vous obeyr et y faire faire la plus grande dilligence qu’on pourra car l’ouvrier ne bessoignera poinct que je n’aye votre responce affin de n’y faire chose qui ne soit selon votre commandement » (BNF, fr. 20469, fol. 101-103, lettre de Marie Gaudin à François de Guise, La Bourdaisière, 1er décembre 1548).

42 Voir les trois lettres adressées par l’écuyer au duc de Guise depuis Lyon entre le 26 septembre et le 12 octobre 1551 (BNF, fr. 20513, fol. 3, 47 et 61).

43 BNF, fr. 20541, fol. 120 ; Clair. 349, fol. 145 ; fr. 20517, fol. 83 ; fr. 20542, fol. 91.

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