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Marquer la ville

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Patrick Boucheron
, 
Jean-Philippe Genet

Partie III. Mémoires des tracés, durée de la ville

La mise en défense d’Amiens contre les surprises de nuit (1465-1493)

Emmanuel de Crouy-Chanel

Texto completo

1La question de l’inscription du pouvoir dans la ville présente, dans son intitulé, une polysémie assumée par les organisateurs de ce colloque. La ville doit-elle être prise seulement comme un espace ou, en tant que commune, est-elle aussi un acteur de cette mise en scène du pouvoir ? Et le pouvoir doit-il être compris comme traduisant une puissance (économique, spirituelle, militaire) ou porte-t-il aussi avec lui l’idée de la personne qui l’incarne (pouvoir royal, pouvoir épiscopal) ? Pour notre part, nous avons tenté de circonscrire le problème en nous intéressant à l’inscription dans l’espace urbain d’un pouvoir exercé principalement, nous le verrons, par la commune. C’est donc à la fois un pouvoir dans la ville et un pouvoir de la ville qui nous intéressera ici, et plus précisément cette capacité de contrainte par excellence qu’est le pouvoir militaire.

2La démonstration n’est plus à faire que la ville est, au xve siècle, une force avec laquelle les autres puissances militaires (souverains, seigneurs) doivent compter. Les stratégies de conquête et de contrôle du territoire se construisent à partir de la prise et du contrôle des villes, dont l’image paroxystique est celle de la ville emportée d’assaut au terme d’un siège. Image, écrivons-nous, non qu’il ne s’agisse de faits avérés, mais parce que cette éventualité et les débordements auxquels elle donne droit (le pillage de la ville, par exemple) ont pesé lourdement sur l’imagination des contemporains (et déterminé par là les bien plus fréquentes redditions par composition négociée), ainsi d’ailleurs que sur celles des historiens, mesurant à cette aune la capacité défensive d’une place, au risque de la surinterprétation. L’histoire de la fortification peine, de ce point de vue, à se dégager d’un certain imaginaire romantique peuplé de bombardes tonnantes, d’échelles d’assaut fléchissant sous le poids des hommes d’armes et de tonneaux de poix brûlante.

3Il nous semble pourtant que les villes, en tout cas d’une certaine taille, ont davantage vécu dans la crainte d’un autre type d’attaque, la prise par surprise de nuit. Nous nous proposons donc d’examiner comment une grande ville, Amiens, s’est défendue de la prise par surprise de nuit durant la période des relations franco-bourguignonnes tendues allant de la guerre du Bien public en 1465 à la signature du traité de Senlis en 1493, et quels signes ont laissé dans son paysage cette mise en défense.

4Les différents exemples de prise par surprise de nuit (qu’elle ait réussi ou échoué) suivent toujours pour notre période un même déroulement. Le principe général est la prise de contrôle par surprise d’un élément clé de la défense (presque toujours, une porte de la ville), élément qui est immédiatement exploité pour la prise de la ville. La surprise se déroule donc en quatre phases bien distinctes. Dans la première phase, l’assaillant doit amener et faire stationner une troupe à proximité de la ville sans éveiller l’attention des défenseurs. Cet impératif de discrétion limite l’importance de cette troupe à quelques centaines d’hommes, quelques milliers au très grand maximum. Cette phase d’approche est évidemment facilitée par la proximité d’une base de départ, une ville alliée par exemple. Une fois la troupe dissimulée, commence la seconde phase de l’opération. Un commando d’une à deux douzaines d’hommes experts en échelade est envoyé pour s’introduire dans l’enceinte et s’emparer d’une porte, toujours sans éveiller l’attention de la défense – ce qui implique généralement l’élimination physique des gardes de la porte. La troisième phase va consister à introduire ensuite la troupe dans la ville. Une fois les assaillants regroupés, commence la dernière phase, l’« effroi ». Il s’agira, avec le maximum de rapidité et d’affolement (en poussant de grands cris et en battant le tambour), de prendre le contrôle des points clés de la ville en tuant dans l’œuf les velléités de résistance des défenseurs enfin alertés.

5La surprise, et notamment la surprise de nuit, se caractérise donc par un très haut degré d’expertise de la part des assaillants, qui doivent maintenir une parfaite coordination entre plusieurs groupes, de nuit et dans le silence. Il s’agit là d’une entreprise nécessitant des combattants professionnels aguerris et un haut niveau de préparation, notamment pour repérer les cheminements jusqu’à la ville, les lieux où il est possible de faire stationner une troupe (carrière, petit bois, bâtisse isolée), les endroits par où l’on peut pénétrer dans l’enceinte (angle mort entre deux tours, parement déchaussé, entrée d’eau non munie de grille), la hauteur des murs (pour avoir des échelles d’une longueur suffisante) ou les modes d’organisation de la défense. Des complicités dans la place sont un atout précieux. Encore faut-il avoir la certitude qu’il ne s’agit pas d’un piège destiné à se refermer sur des soldats chevronnés amenés en infériorité numérique jusqu’au pied des murs. En contrepartie, la surprise est le seul procédé permettant d’envisager la prise d’une ville de plusieurs milliers d’habitants par une troupe de quelques centaines de combattants.

6En raison de cette disproportion des forces, les défenseurs ont, à chaque phase, la possibilité de repousser l’agression. Si l’approche, l’intrusion dans l’enceinte ou la tentative de prise de contrôle d’une porte éveille l’alarme, la surprise a échoué. Même lorsque la troupe a pénétré dans la ville et tente d’exploiter son avantage, il est encore possible pour une défense organisée et coordonnée, ne cédant pas à la panique, de la repousser en dehors de la ville. La protection de la ville contre la surprise nocturne est donc assurée en premier lieu par sa vigilance, en second lieu par sa capacité de réaction « en cas d’effroi ».

  • 1 Ont subi une tentative de prise les villes suivantes : Aire, Arras, Béthune, Saint-Omer, Thérouann (...)

7Nonobstant, la surprise de nuit représente un danger bien réel pour une ville comme Amiens. Pour la période qui nous intéresse, pour les principales villes d’Artois, de Picardie (en incluant le Boulonnais) et d’Île-de-France1, nous avons relevé huit tentatives de surprises de nuit sur vingt-deux tentatives de prise de force, soit 36 % des tentatives, quatre de ces tentatives réussissant (soit un taux de réussite de 50 %). Il est probable que toutes les tentatives de surprise de nuit n’ont pas été relatées, ce qui fait baisser le taux de réussite exceptionnel d’une prise sur deux tentatives, mais augmente la part des surprises de nuit dans les tentatives de prise de ville.

Grandes villes Siège Embléea Surprise de jour Surprise de nuit Total
Tentatives 10 3 1 8 22
% total 45 % 14 % 5 % 36 %
Succès 4b 1c 0 4d 9
% réussite 25 % 33 % 0 % 50 %
a) Par « emblée », nous entendons un assaut général et inopiné pour tenter de déborder des défenseurs insuffisamment prêts. L’emblée suppose d’importants effectifs et se pratique généralement à l’aube.b) Arras (ville) en mars 1477, Boulogne en mars 1477, Arras en avril 1477, Aire en juillet 1482. La campagne de 1477, bénéficiant de circonstances exceptionnelles, majore l’efficacité apparente des sièges.c) Thérouanne en juillet 1487.d) Thérouanne en juin 1486, Saint-Omer en mai 1487, Saint-Omer en février 1489, Arras en novembre 1492.
  • 2 Au début du xviiie siècle, J. Pagès comptabilisait encore 360 boulets de pierre enfoncés sur cette (...)
  • 3 A. M. Amiens, BB 11, fol. 70v (sauf mention contraire, les cotes renvoient aux archives municipale (...)
  • 4 Le 23 mai 1458, le nombre des portes était passé de 48 à 50 (BB 8, fol. 116v). Il est probable que (...)
  • 5 BB 7, fol. 164, recensement au 14 février 1454, n. st., 80 archers (du grand serment) et 40 arbalé (...)
  • 6 Estimation plausible de Commynes.
  • 7 Estimation fournie par une lettre du secrétaire Jean de Molesmes à la chambre des comptes de Dijon (...)

8A contrario, il faut relativiser sérieusement le risque que représente un siège en règle pour une ville comme Amiens. Lorsque celle-ci se livre au roi de France en janvier 1471, le duc de Bourgogne se met immédiatement en campagne et vient l’assiéger de février à avril de la même année. Bien que son artillerie ait battu la portion d’enceinte entre la porte de Noyon et l’Avre2, qu’elle y ait même fait brèche, jamais on ne devine de réelle inquiétude dans les rangs français ou de réel espoir dans les rangs bourguignons. La commune d’Amiens peut en effet aligner environ 2 000 combattants.On compte, en avril 1472, vingt-quatre connestablies de cinq dizaines chacune pour la ville seulement (soit environ 1 200 personnes), à quoi s’ajoutent quatre connestablies des faubourgs (200 personnes)3, au minimum cinquante portes de huit portiers4, et les compagnies privilégiées (au moins 180 personnes)5. Il faut joindre à ces effectifs communaux les quelques 1 400 hommes d’armes et 4 000 francs archers que le roi a logés dans la ville6. Même avec un ratio très modeste de six assaillants pour un défenseur (il est plutôt de l’ordre de huit à dix), il aurait fallu au duc de Bourgogne une armée de près de 45 000 hommes pour espérer prendre Amiens d’assaut, quand elle en comptait environ 30 0007. Le temps nécessaire à l’agresseur pour mobiliser et amener à pied d’œuvre les effectifs nécessaires laissait ainsi le temps aux Amiénois de préparer leur défense et au roi de faire entrer des renforts dans la ville. Le siège n’est donc pas à proprement parler une menace, mais une éventualité qui, si elle se réalise, laisse du temps à la ville pour se préparer à y faire face. Il en va tout autrement de la surprise de nuit qui peut à tout moment la prendre au dépourvu. Là se trouvent le réel risque et la véritable angoisse pour une ville comme Amiens.

  • 8 En raison du rachat des villes de la Somme en 1463, en application des clauses du traité d’Arras d (...)
  • 9 En raison des clauses du traité de Conflans de 1465, mais que le roi de France a dénoncées.

9Ce risque n’est cependant pas toujours le même. Il dépend d’abord de l’existence d’agresseurs potentiels. La situation d’Amiens, que revendiquent le roi de France8 et le duc de Bourgogne9, dépend de l’état de paix, de trêve ou de guerre ouverte entre les deux partis. Sa vulnérabilité dépend aussi de la proximité de ces agresseurs, et notamment du contrôle des villes voisines par l’ennemi. Après avoir été ville bourguignonne au contact des villes françaises (Beauvais, Aumale), de 1466 à 1471, puis ville française au contact des villes bourguignonnes (Abbeville, Doullens, Arras, Corbie, voire Montdidier), de 1471 à 1477, Amiens ne se tranquillise que lorsque la campagne de février-mars 1477 repousse la menace au nord de l’Artois. La reprise d’Arras en novembre 1492 par les Bourguignons a pour effet immédiat la réactivation de la défense. Ce régime de douche écossaise n’est pas sans intérêt pour l’historien, car tout renforcement ou relâchement des mesures de défense selon l’appréciation de la menace laisse des traces écrites, en particulier dans les registres des délibérations de l’échevinage.

10Ces mesures de défense sont dictées par le déroulement de la surprise de nuit et comportent deux volets, préventif et correctif. Tant que l’adversaire ne s’est pas introduit dans la ville, la disproportion des forces fait qu’il suffit à la défense d’être alertée pour faire échec à l’entreprise. Il s’agit donc pour la ville de monter bonne garde par le guet et le réveil. Quand l’ennemi est entré dans la ville, il est encore possible de le repousser moyennant une mobilisation efficace de tous les défenseurs.

La surveillance de l’enceinte : le service du guet et du réveil

11Lorsque vient le soir, les habitants d’Amiens de service de guet assis, sommés à cette fin par le sergent du guet, se rassemblent derrière le lieutenant du capitaine qui va les installer à leur poste sur l’enceinte, où ils passeront toute ou partie de la nuit. Le service du guet est ainsi à la fois une contrainte universelle, qui positionne – y compris donc dans un sens très concret – chacun des citadins, et en même temps un pouvoir qui s’inscrit dans une géographie (l’enceinte de la ville) et une temporalité (la nuit) bien particulières.

La mobilisation des habitants

  • 10 Les informations sont rares sur les effectifs du guet assis. En avril 1467, on prévoit une connest (...)
  • 11 Il y a une exception notable : les membres des compagnies privilégiées, qui sont astreints à la ga (...)
  • 12 Ce point est source de frictions avec le clergé, en particulier le chapitre cathédral. Plus exacte (...)
  • 13 Le renouvellement du rôle du guet et des portes, et sa mise par écrit, est mentionné en réunion de (...)
  • 14 « […] l’en prendera par escript les noms de ceulx qui sont venus demourer en lad. ville de la vill (...)

12Parce que le service du guet est particulièrement contraignant10 (il implique généralement de passer une nuit à grelotter sur un rempart), l’échevinage considère que tous les habitants d’Amiens qui en bénéficient (comme y ayant leur corps et leurs biens) sont tenus d’y contribuer11. Cette revendication bute évidemment sur un certain nombre de résistances corporatives, ce qui peut amener, par relâchement ou par compromis, quelques accommodements avec le principe, qui n’en est pas moins posé. Ne peuvent prétendre à une exemption ni les nobles, ni les officiers du roi, ni même, en principe, les clercs12. Cette obligation se traduit par l’établissement par la commune d’un rôle du guet et des portes où sont inscrits, par dizaines ou par portes, les noms de tous les hommes astreints au service du guet et du réveil. Ce rôle est régulièrement renouvelé, annuellement semble-t-il13, ce qui est l’occasion de vérifier qu’aucun habitant n’échappe indûment à son service, par exemple les anciens habitants d’Arras venus s’installer à Amiens14.

13Si tous doivent participer au guet, il existe deux formes de service profondément différentes. Certains sont classés par portes et assurent le service de réveil. Les autres sont rangés par dizaines et assurent le guet assis.

  • 15 Voir par exemple les lettres de commission du seigneur de Crévecœur du 22 novembre 1470, chargé «  (...)
  • 16 Par exemple, « A Gille Baudart ou lieu Jehan Chiffart, sergent du guet, pour son salaire d’avoir p (...)
  • 17 « Pour ce que messeigneurs ont trouvé pluiseurs faultes en Gille Baudart, sergent du guet, lequel (...)
  • 18 Ordonné « qu’il y aura chacune nuit tant que autrement en sera ordonné sur icelle fortresse une co (...)
  • 19 Cf. BB 15, fol. 96v, échevinage du 19 juin 1487 : constatant que « ouquel guet y a eu et a puis au (...)
  • 20 BB 10, fol. 192v, échevinage du 15 mars 1468 n. st.

14Le guet assis relève de la responsabilité du capitaine de la ville, qui est nommé par le prince15. En particulier, c’est au lieutenant du capitaine qu’il incombe de réunir les guetteurs, de leur bailler le mot de la nuit et de les installer à leur poste sur le rempart. La commune s’ingère cependant dans l’accomplissement de cette mission. Non seulement elle fait établir le rôle des habitants de service de guet, mais c’est encore elle qui les fait sommer par un de ses agents, le sergent du guet, qu’elle rétribue16 et éventuellement sanctionne17. L’échevinage donne également parfois des indications sur le nombre des guetteurs que la situation lui semble exiger, même s’il réserve les droits du lieutenant en la matière18. Il utilise également sa compétence en matière de réveil pour peser sur la réglementation du service du guet19. Cette confusion des rôles de la commune et du capitaine est d’autant plus facile que le capitaine choisit volontiers des membres de l’échevinage comme lieutenant. Ainsi, en mars 1468, Jehan le Normant est à la fois maïeur et lieutenant du capitaine, et revendique d’ailleurs, en tant que maïeur, l’office de capitaine laissé vacant par le décès de son titulaire « et que par cy devant on a toudis dit que quiconques fust maieur il estoit reputé comme capitaine20 ».

  • 21 Cf. CC 50, fol. 36v : « A Jehan Dobe, commis a faire les brievetz que on baille aux sergens a mach (...)
  • 22 BB 15, fol. 157v, échevinage du 16 avril 1488 : décision prise à la requête du lieutenant du roi e (...)

15Le service du réveil est assuré par les portiers, c’est-à-dire les bourgeois en charge de la garde des portes de la ville durant la journée. Il semble être de la compétence du seul échevinage, qui fixe avec une grande précision les effectifs qui y sont affectés et fait sommer les portiers par un sergent à masse21. Ce service est ordinairement organisé par demi-nuit, avec une relève à minuit. Les portiers sont chargés de faire des rondes pour vérifier que les guetteurs sont bien vigilants à leur poste. Ils peuvent également être amenés à accueillir des voyageurs nocturnes justifiant d’une ouverture des portes, c’est-à-dire principalement les courriers du roi. Dans ce cas, la procédure implique normalement d’aller réveiller le maïeur, qui a la garde des clés des portes durant la nuit. De manière exceptionnelle, quand les courriers sont fréquents et urgents, des portiers supplémentaires peuvent être postés dans les boulevards des portes de la ville « pour incontinent quant lesd. postes venront leur ouvrir l’entree22 ».

16Le service de guet manifeste donc tout à la fois la commune soumission des Amiénois à une obligation de veiller pour la garde de la ville et une partition entre deux catégories que tout, finalement, distingue.

Service Responsable Lieu Unité de base Recrutement Sommation Responsabilité
guet assis capitaine (lieutenant) rempart dizaine petites gens sergent du guet mot de la nuit
réveil échevinage portes porte notables sergent à masse clés

17Il existe enfin une troisième catégorie de guetteurs, le ou les guetteurs de nuit au beffroi, mais dont le rôle en matière de surprise nocturne relève surtout du moment de l’effroi.

Le passage du jour à la nuit

  • 23 BB 10, fol. 62, échevinage du 14 octobre 1465 : requête des huchiers qui demandent l’autorisation (...)
  • 24 Les barques doivent d’ailleurs, à la tombée de la nuit, être rentrées dans l’enceinte de la ville. (...)
  • 25 « Il meismes est maieur et a la garde des clefz des portes, tours, pons, passages, quaines et dest (...)

18Chaque soir, une série d’actes marquent le passage du jour à la nuit et la mise en place de la défense contre la surprise nocturne. Le signal en est donné par une sonnerie spéciale de la cloche du beffroi, la « cloque de le derrainne ». Quand le risque est élevé, pour réduire au minimum les dangers du crépuscule et de l’installation du guet, l’échevinage peut décider d’avancer l’heure de la cloque de le derrainne, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’activité économique, puisqu’elle marque aussi la fin de la journée de travail23. La ville est alors close. Quatre commis de la ville (à 40 sous de gages par an) font le tour des portes pour les fermer et ouvrir les différentes tours de l’enceinte (qui serviront d’abri aux guetteurs). Les différents bras de la Somme et l’Avre, qui pourraient permettre une intrusion dans la ville24, sont fermés au moyen de barrières, herses d’eau ou chaînes. La tâche de les fermer ou de les tendre est d’abord assurée par un sergent à verge de la commune, qui reçoit pour cela des gages de 6 £ par an, puis, à une date indéterminée entre 1465 et 1468, cette fonction est assignée à deux commis. Les différentes clés sont ensuite ramenées à l’hôtel de ville et confiées au maïeur qui en aura la garde durant la nuit25.

  • 26 BB 15, fol. 96v, échevinage du 19 juin 1487.
  • 27 Cf. l’ordonnance de l’échevinage no 138 du Livre noir : « Ordonnance de non aller après le gait : (...)
  • 28 BB 10, fol. 170, échevinage du 21 octobre 1467.

19Le lieutenant du capitaine procède alors à l’installation du guet assis et leur communique le mot de la nuit avec une certaine discrétion. L’échevinage préconise ainsi en juin 1487 « que le mot du guet se deveroit bailler ailleurs que devant l’eglise Saint Remy ou il se baille chacun jour, et que ce se deveroit faire au kay ou a l’une des portes plus prez de lad. forteresse26 ». Les portiers du réveil vont de leur côté prendre leur poste aux portes. À compter de ce moment, il est interdit à toute autre personne que celle de service de guet ou de réveil d’accéder à l’enceinte27 et, a fortiori, de sortir, d’entrer ou de communiquer avec l’extérieur. Une habitante du faubourg Saint-Maurice, qui s’était fait remettre par une archère l’écheveau de laine dont son mari avait besoin pour terminer une pièce de drap, fut ainsi « mise prisonnier pour ce que on lui imposoit avoir passé par-dessus la forteresse de nuit28 ». Nous ne développerons pas ici les autres prohibitions liées à la nuit, comme l’obligation pour les « hostelains » de communiquer à l’échevinage le nom des hôtes qu’ils ont après la fermeture des portes, ou l’interdiction de circuler de nuit sans torche, dont les liens avec la surprise de nuit, sans être nuls, ne sont pas déterminants. Au retour du jour, le guet de nuit cesse son service, tandis que le maïeur confie les clés des portes aux portiers de garde de jour. Il s’agit d’un moment délicat, car il est difficile de coordonner les deux opérations, et l’ouverture des portes à l’aube est un moment de vulnérabilité de la ville à une prise par surprise (cette fois ci, de jour).

La définition de l’enceinte par le guet

20Le service du guet a ainsi un espace propre, constitué par l’enceinte de la ville, sur laquelle sont stationnés les guetteurs et que parcourent les portiers du réveil. Parfois, mais assez rarement, quand le risque est maximal, on envoie aussi durant la nuit des « escoutes » à l’extérieur de l’enceinte pour tendre l’oreille aux bruits que pourrait faire une troupe s’approchant de la ville.

  • 29 L’échevinage du 13 mai 1465 décide « de perchier les murs adfin d’y faire fenestres pour veoir ded (...)
  • 30 Par exemple, l’échevinage du 22 juin 1472 ordonne « que les herbes croissans es fossez de la forte (...)
  • 31 Cf. l’échevinage du 19 juin 1487 : les guetteurs s’enferment dans les tours pour dormir et refusen (...)

21Cette enceinte fait l’objet de différents aménagements pour le guet. Pour une bonne surveillance des abords, la commune fait parfois percer des ouvertures pour les guetteurs29 et fait faucher régulièrement les abords des fossés30. Elle entretient des constructions légères, les logettes, où les hommes du guet assis peuvent s’abriter du froid et de la pluie ; ils ont également accès aux tours de l’enceinte, avec parfois des abus31.

  • 32 « Messeigneurs ont apointié que les cordes des herches seront veues et les cousteaux prestz pour l (...)

22Les portiers du réveil sont logés dans les portes. Mais, alors qu’ils se tiennent en journée au niveau de la chaussée, ordinairement dans une maison des portiers, ils occupent la nuit un local au-dessus des principales portes, au niveau du chemin de ronde courant sur la terrée. Ces corps de garde comprennent une cheminée, permettant aux portiers de se chauffer entre deux rondes de réveil, et une « cloquette » pour sonner l’alarme. La disposition des portes sépare en effet les espaces pour en gêner la prise de contrôle (cf. la deuxième phase de la surprise de nuit). De leur loge, les portiers peuvent condamner la porte en coupant les cordes de la herse. À chaque regain de tension, la ville les équipe pour cela de serpes aiguisées32.

23Quand ils quittent leur loge, les portiers du réveil cheminent le long de l’enceinte, ce qui est bien moins évident qu’il le semble. La commune doit en effet constamment négocier avec les riverains de l’enceinte, notamment quand ils sont puissants, pour préserver son droit de passage. L’accès à l’enceinte est en effet source de nuisances variées (rôdeurs, jeux d’enfants, passants satisfaisant des besoins naturels) entraînant en réponse des contestations judiciaires du droit de passage ou l’érection de barrières. Les prohibitions d’accès ordonnées par l’échevinage semblent avoir été peu respectées. Au final, ces difficultés se traduisent par la multiplication des clôtures dans certains secteurs de l’enceinte, avec reconnaissance d’un droit de passage pour le guet et la garde de la ville.

24Pour compliquer encore les choses, Amiens a en 1465 non pas une, mais deux enceintes. En 1346, devant la menace des chevauchées anglaises, une nouvelle enceinte avait été tracée pour enclore les faubourgs. Avec le passage de la peste noire et l’incendie déclenché par les Navarrais en 1358, les faubourgs s’étaient dépeuplés, la population se repliant derrière l’enceinte intérieure. La surveillance de l’enceinte des faubourgs pose donc un problème particulier. La commune considère qu’elle incombe aux habitants des faubourgs, qui sont manifestement en nombre insuffisant au regard de l’étendue du circuit. En période de tension, des dizaines de la ville vont donc assister celles des faubourgs pour le guet, mais ce n’est pas pour autant que l’on relâche la surveillance de l’enceinte intérieure.

  • 33 Les demandes royales se font insistantes à partir de 1477, mais ne commencent à recevoir une exécu (...)

25Les relations entre le guet et l’enceinte sont donc très étroites. Le guet détermine en partie la nature de l’enceinte. Il impose la continuité de circulation. Il inscrit, par la pérambulation des portiers, sa trace dans le paysage mental de la ville. Mais, en retour, l’enceinte détermine l’obligation de guetter pour ceux qu’elle protège et le lieu d’exercice de cette obligation. Pour obtenir un véritable investissement des Amiénois dans la surveillance de leur enceinte extérieure, Louis XI n’aura d’autre solution que d’imposer à une commune réticente la démolition de son enceinte intérieure33.

Le cas d’effroi : les pôles du pouvoir urbain

26Si le guet est une réponse continuelle, la défense contre l’effroi est une réponse éventuelle à la surprise nocturne. Ce n’est pas pour autant qu’elle est négligée par la commune. La réaction de la ville à l’intrusion d’une troupe armée dans ses murs doit être, nous l’avons vu, rapide, massive et coordonnée, ce que les assaillants tentent, précisément, d’éviter.

  • 34 « Prestement sera faite une forte atrape et ung fort plancquier pour le garde de le cloque et si y (...)
  • 35 Par exemple, « l’en mettera de nuit ancoires ung homme a la guette du beeffroy avec cellui qui y e (...)
  • 36 Échevinage du 13 mai 1465 : « Mesdis seigneurs ont ordonné que pour la seureté de le cloque du bef (...)

27Le premier défi pour la commune est de lancer l’alarme. Les petites cloches des quatre principales portes ne servent en réalité qu’à alerter le guetteur de nuit au beffroi qui sonnera la grosse cloche à l’effroi. Ce poste-ci est donc particulièrement important pour la réaction de la ville, et la commune se préoccupe de le sécuriser. Elle réalise des travaux pour isoler le poste du guetteur du reste du beffroi34 et, en période de tension, renforce le guet35 et lui donne des gardes « telement qu’ilz puissent estre maistres de le corde et de ledite cloque36 ».

  • 37 Par exemple, « fault mettre apoint les caines et estendre du traverz des rues pour les tendre en h (...)
  • 38 BB 10, fol. 33v, échevinage du 1er avril 1465.

28La commune va ensuite chercher à segmenter l’espace intérieur de la ville, de façon à contenir et retarder la progression des assaillants. Elle dispose pour cela d’un ensemble de chaînes et de barrières permettant de couper les rues et les ponts. Si les quelques mentions de localisation, principalement pour des réparations, ne permettent pas de dresser une carte significative de ces chaînes et barrières, l’importance que leur accorde la commune ne fait pas de doute. La mise en défense de la ville implique la vérification et la réparation des chaînes et barrières37, et une rare dispense de guet est accordée à un habitant « consideré qu’il gardoit la quaine qui traversoit lad. rue, et estoit le rouet encassé es posteaux de sa maison, par lequel lad. quaine passoit, et ou on le tendoit quant besoing estoit, ce que ledit supliant devoit faire a cause de sad. maison, par quoy il devoit estre franc et quicte d’aler a la porte et au guet, si qu’il disoit38 ».

  • 39 « Des 26 portes qui estoient ordonnees eulx trouver en cas d’effroy en l’ostel de la ville, il en (...)

29Pendant ce temps, la défense doit se rassembler et se coordonner, malgré le handicap de l’obscurité et de la surprise. Les préparatifs faits en novembre et décembre 1492, à la suite de la prise d’Arras par une surprise de nuit, sont à cet égard exemplaires. Deux lieux de rassemblement sont fixés au centre de la ville, l’hôtel de ville et la place du marché. Pour chacun de ces lieux, des chefs sont prévus. Pour l’hôtel de ville, le maïeur ; pour la place du marché, deux portiers qui seront choisis sur l’heure par le maïeur. Les forces qu’ils commandent sont constituées par une partie des portes et des compagnies privilégiées (dont les membres sont, pour cette raison, dispensés du guet de nuit) qui ont été désignées pour y venir en armes en cas d’effroi39. Pour remédier à l’obscurité, la commune conserve à l’hôtel de ville des stocks de falots, qu’elle remet en état et complète en période de danger.

Lieu de rassemblement Chefs Portes (de 8 portiers) Compagnies privilégiées Connestablies
hôtel de ville le maïeur 14 30 archers,10 arbalétriers,10 couleuvriniers
place du marché deux portiers choisis sur l’heure par le maïeur 12 20 archers
forteresse (enceinte) les quartiniers le reste couleuvriniers servant l’artillerie + le reste toutes
  • 40 BB 10, fol. 37, échevinage du 6 mai 1465.
  • 41 L’échevinage rappelle régulièrement où sont les limites entre les différents quartiers. Cf. les éc (...)
  • 42 CC 71, fol. 48.
  • 43 Cf. l’échevinage du 2 décembre 1492, dont l’un des points est intitulé « Pour aller en cas d’effro (...)

30Le reste des défenseurs, portiers, membres des compagnies privilégiés et les autres habitants structurés en dizaines, connestablies et quartiers, doivent immédiatement se rendre au poste qui leur a été assigné sur l’enceinte. La commune se donne beaucoup de mal pour organiser cette mobilisation. Elle établit et communique aux quartiniers « a chacun la declaracion des noms de ceulz qui doivent garder les quartierz adfin que les bonnes gens sacent en cas d’effroy ou ilz deveront aller, et le feront lesd. quartinierz savoir aux gens de leursd. quartierz incontinent40 ». La répartition des différents quartiers sur l’enceinte est clairement définie41, et la commune fait même peindre en 1492 sur la muraille les noms des connétables pour que chaque habitant sache où est son poste42. La mobilisation des habitants se fait donc au travers de rapports personnels, via le quartinier et le connétable, mais il est extrêmement probable que ces liens personnels résultent d’une localisation géographique, que le lieu de résidence dans la ville détermine l’appartenance à un quartier et le poste sur l’enceinte. Le seul indice de cette répartition spatiale est donné par la mobilisation des gens d’Église, qui échappent en temps ordinaire au service du guet et ne sont donc pas rangés en dizaines, connestablies ou quartiers. En situation de crise, il est prévu qu’eux aussi auront à se rendre en cas d’effroi sur l’enceinte43, ce qui oblige à leur prévoir des armes et à les répartir en quartiers selon leur lieu de résidence.

31La mise en défense d’Amiens contre la surprise de nuit tisse donc sur les habitants de la ville un réseau de signes, l’enceinte qui borne son horizon et où il a son poste, la grosse cloche du beffroi qui résonne, la chaîne enroulée au carrefour, même la rue qui sert de frontière au quartier. La plupart de ces signes ne sont pas univoques. Une porte, une tourelle, une cloche, une clé ne renvoient pas seulement à la défense contre les surprises nocturnes. C’est en les resituant dans un moment – la nuit – et dans une représentation – la menace de prise par surprise – que ces signes prennent un sens nouveau. Pour un bourgeois vivant dans la peur de la prise de sa ville et astreint à veiller toutes les trois ou quatre semaines, il est douteux que ce sens ait jamais été oublié.

  • 44 É. Maugis donne les détails de ces querelles d’autorité pour les années 1530-1550 (É. Maugis, Rech (...)
  • 45 Cf. par exemple l’échevinage du 30 septembre 1471, sur une demande du maréchal de Loheac de pouvoi (...)

32Ces signes sont d’abord ceux d’un pouvoir de la ville sur ses habitants. Ils révèlent une contrainte, ils assignent une place, sociale et spatiale. Pouvoir de la ville, et plus précisément pouvoir de la commune. Certes, les sources essentiellement municipales forcent un peu la perspective, mais elles ne la faussent pas. Le capitaine est souvent absent ; son lieutenant dépend de la commune pour l’organisation du guet (ce qui ne veut pas dire qu’il ne luttera pas à l’occasion pour le contrôle des clés, dont il exige un double, ou le mot de la nuit, qu’il refuse de communiquer44) ; l’Église, la noblesse n’ont pas de compétence en ce domaine. La seule véritable concurrence, finalement, vient des troupes que le roi a stationnées à Amiens et qui revendiquent d’en assurer, pour partie, la garde nocturne. La commune refusera constamment de leur confier une porte de la ville45 et demandera, dès que possible, leur départ. Elle l’obtiendra, notamment parce qu’elle aura fait la démonstration de sa capacité à assurer elle-même sa défense contre la surprise.

33Ainsi, la contrainte qu’exerce la commune sur les habitants est aussi la condition de son pouvoir militaire, de son indépendance politique, de son prestige, et, finalement, de sa fierté. Faut-il s’étonner que les marqueurs de la défense contre la surprise de nuit, les portes, les chaînes, les clés, le beffroi, la cloche, soient aussi les symboles du pouvoir municipal et fièrement exposés à ce titre ? Signes de peur de l’extérieur, signes de soumission aux autorités pour l’habitant astreint au guet, peut-être, mais aussi, et sans doute davantage encore, signes de puissance et de fierté pour l’Amiénois. Ils racontent une histoire, celle d’une communauté capable de se défendre seule, d’une ville « pucelle » qui n’a jamais été prise de force, qui s’est donnée librement au roi et a ainsi justifié les privilèges qu’il lui a reconnus. Un discours civique auquel font écho, finalement, les deux licornes qui portent les armes de la ville.

Notas

1 Ont subi une tentative de prise les villes suivantes : Aire, Arras, Béthune, Saint-Omer, Thérouanne, Amiens, Boulogne, Saint-Quentin, Beauvais, Paris.

2 Au début du xviiie siècle, J. Pagès comptabilisait encore 360 boulets de pierre enfoncés sur cette portion de mur. Cf. L. Douchet (éd.), Manuscrits de Pagès, marchand d’Amiens, Amiens, A. Caron, 1858, t. 3, p. 470.

3 A. M. Amiens, BB 11, fol. 70v (sauf mention contraire, les cotes renvoient aux archives municipales d’Amiens. AA : actes de la ville ; BB : délibérations ; CC : documents comptables).

4 Le 23 mai 1458, le nombre des portes était passé de 48 à 50 (BB 8, fol. 116v). Il est probable que ce nombre a été augmenté par la suite, car les listes de portiers sont actualisées.

5 BB 7, fol. 164, recensement au 14 février 1454, n. st., 80 archers (du grand serment) et 40 arbalétriers. Ceux-ci sont 50 en 1471 (É. Maugis, Recherches sur les transformations du régime politique et social de la ville d’Amiens, Paris, A. Picard et fils, 1906, p. 246, qui subodore que l’effectif a été majoré en 1464), et c’est à ce nombre qu’est fixé l’effectif de la compagnie des couleuvriniers à sa création en 1473 (cf. É. Maugis, Recherches sur les transformations…, op. cit., p. 249).

6 Estimation plausible de Commynes.

7 Estimation fournie par une lettre du secrétaire Jean de Molesmes à la chambre des comptes de Dijon du camp devant Amiens le 25 mars 1471 : « Monseigneur et sa compaignie, au nombre de bien xxx mille combattants… » ; dans A. Barante, Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois, Bruxelles, Société typographique belge, 1838, t. 2, p. 371 (avec notes de L.-P. Gachard).

8 En raison du rachat des villes de la Somme en 1463, en application des clauses du traité d’Arras de 1435.

9 En raison des clauses du traité de Conflans de 1465, mais que le roi de France a dénoncées.

10 Les informations sont rares sur les effectifs du guet assis. En avril 1467, on prévoit une connestablie de la ville et une dizaine des faubourgs par nuit (BB 10, fol. 15v), soit une charge environ d’une nuit de garde toutes les vingt-quatre nuits pour les habitants de la ville, et toutes les vingt nuits pour ceux des faubourgs. En février 1466, le guet descend à deux dizaines pour la ville et une dizaine pour les faubourgs. En février 1489, on prévoit une connestablie par nuit (BB 16, fol. 16v), soit une charge d’une nuit de garde toutes les vingt-six nuits. Les portiers, qui doivent également assurer la garde des portes durant la journée, ont un service assez lourd. Le service de base semble être d’une porte par nuit servant par demi-nuit, soit une demi-nuit tous les cinquante jours. Mais il peut s’élever en période de tension jusqu’à quatre portes servant par demi-nuit (échevinages des 13 mai 1465 [BB 10, fol. 38v], 23 septembre 1465 [BB 10, fol. 61v], 4 novembre 1471 [BB 11, fol. 44]), soit une demi-nuit tous les douze jours. Le lendemain de la prise d’Arras, il est même prévu un guet de nuit de quatre portes pour la nuit, soit une nuit complète tous les douze jours (BB 16, fol. 209, échevinage du 6 novembre 1492). Pour alléger cette charge, la commune a parfois recours à des personnes soldées (échevinage du 25 août 1473, en raison du départ de la ville de nombreux portiers pour cause de peste [BB 11, fol. 131v] ; échevinage du 8 novembre 1480 [BB 13, fol. 159v], avec renouvellement le 26 juin 1483 [BB 14, fol. 96v]).

11 Il y a une exception notable : les membres des compagnies privilégiées, qui sont astreints à la garde des portes le jour, échappent au guet sur l’enceinte la nuit. Il est vrai qu’ils ont un rôle clé à jouer dans la ville en cas d’effroi.

12 Ce point est source de frictions avec le clergé, en particulier le chapitre cathédral. Plus exactement, la commune peut utiliser ce pouvoir d’astreinte au guet comme un élément de pression sur le chapitre pour d’autres conflits (contribution aux travaux de la forteresse, exonération fiscale des vins vendus en terre d’église, régime des eaux pour les fossés et les moulins, entre autres). Au début de la guerre du Bien public, la commune réunie en assemblée profite de la situation (elle vient de réaffirmer sa fidélité au roi) et de la présence du chancelier pour lui demander « qu’il feist telement que les gens d’eglise qui avoient leurs corps et leurs biens en lad. ville alessent au guet et contribuessent aux affaires de la ville comme les autres ; a quoy il respondi que ainsi l’entendoit il et que n’en y aroit nulz exemps gens d’eglise ne autres qui ne fussent tenus de contribuer a tous les affaires de la ville autant les uns comme les autres a la garde, tuicion et defence d’icelle » (BB 10, fol. 45v). À la suite de quoi, l’échevinage nomma quatre personnes pour aller « deverz les doien, chaplens et gens d’eglise de la ville adfin qu’ilz baillent les noms de entre eulz et qu’ilz voisent a la porte et au guet, et contribuent aux affaires de la ville, veu la guerre, comme les autres habitans d’icelle, et raporterons ce qu’ilz aront trouvé desd. gens d’eglise » (BB 10, fol. 47). L’affaire s’envenime, l’évêque vient en personne à l’échevinage pour proposer une transaction qui est rejetée (échevinages des 9 et 15 juillet). Une nouvelle plainte des gens d’Église sommés d’aller au guet est rejetée le 30 juillet. L’affaire ira jusqu’à l’ajournement d’un chantre à venir au guet, auquel il est procédé par un sergent à masse de la ville dans le chœur même de la cathédrale (cf. l’échevinage du 5 mai 1466, BB 10, fol. 96v, pour la plainte du chapitre, et AA 8, fol. 49, pour une transaction du 30 mai 1480 mettant fin à différents litiges entre l’évêque et la ville).

13 Le renouvellement du rôle du guet et des portes, et sa mise par écrit, est mentionné en réunion de l’échevinage en mars 1474 n. st. (BB 11, fol. 158v), octobre 1475 (BB 12, fol. 29), et l’on note en novembre 1480 : « en renouvellant pour l’annee presente les portes et guet de lad. ville ainsy qu’il est acoustumé faire chacun an […] » (BB 13, fol. 159v).

14 « […] l’en prendera par escript les noms de ceulx qui sont venus demourer en lad. ville de la ville de Franchise et d’ailleurs affin de les mectre es portes et au guet comme les autres d’icelle ville, attendu et consideré que despiecha ilz ont esté en lad. ville sans aler ne envoier a guet ne a porte » (BB 13, fol. 159v, échevinage du 8 novembre 1480).

15 Voir par exemple les lettres de commission du seigneur de Crévecœur du 22 novembre 1470, chargé « de faire et faire faire bien et songneusement bon guet et garde en nostred. ville d’Amiens de jour et de nuit selon que le temps le requerra tellement que inconvenient n’y adviengne, de constraindre ou faire constraindre a aler faire lesdiz guet et garde tous ceulx qu’il appartenra par toutes voyes deues et requises en tel cas, et generalement de faire et faire faire par icellui seigneur de Crevecoeur toutes et singulieres les choses que bon et loyal cappitaine de nostredite ville d’Amiens puet et est tenu de faire » (AA 6, fol. 164).

16 Par exemple, « A Gille Baudart ou lieu Jehan Chiffart, sergent du guet, pour son salaire d’avoir par chacun jour de l’an de ce compte adiourné de par messeigneurs les connestables et dizaines de lad. ville a faire le guet de nuit sur le fortresche en la maniere acoustumee, aux gaiges de 4 £ 16 solz par an, a payer de quatre mois en quatre mois, 32 solz » (compte pour 1468-1469, CC 50, fol. 36v).

17 « Pour ce que messeigneurs ont trouvé pluiseurs faultes en Gille Baudart, sergent du guet, lequel prenoit de l’argent des dixeniers et de ceulz qui faisoient le guet de nuit sur la forteresse et les renvoioit en leurs maisons sans faire guet moiennant led. argent qu’il en prenoit et sont messeigneurs de ce bien informez, par quoy la forteresse demouroit en pluiseurs lieux sans guet dont grans inconveniens porroient avenir, mesdis seigneurs ont ordonné que led. Gille sera pugny de prison car il n’est pas digne de plus se meiler dudit office et en son lieu y en commeteront ung autre » (échevinage du 19 octobre 1473, BB 11, fol. 138).

18 Ordonné « qu’il y aura chacune nuit tant que autrement en sera ordonné sur icelle fortresse une connestablie entiere pour le garde de lad. ville et que l’en parlera de ceste matiere a l’ostel de la ville a sire Jehan le Normant, lieutenant de monsgr le cappitaine » (échevinage du 26 février 1489 n. st., BB 16, fol. 16v-17). Cf. également l’échevinage du 6 novembre 1492 : « Ordonné […] que led. guet sera par le lieutenant de monseigneur le capitaine renforchié et mis chacune nuit sur led. fortresse » (BB 16, fol. 209). BB 10, fol. 151v, échevinage du 13 avril 1467 : « Une connestablie yra chacune nuit au guet de nuit, de laquele connestablie y aura 2 dizaines qui yront veillier es faubours de nuit et si veillera une des dizaines des faubours avec lesd. 2 dizaines. »

19 Cf. BB 15, fol. 96v, échevinage du 19 juin 1487 : constatant que « ouquel guet y a eu et a puis aucun temps comme l’en dit mauvais guet en pluiseurs manieres, tant par ce qu’ilz sont dormans en leurs tours ou ilz sont ordonnez, comme aussy qu’ilz tiennent les huis desd. tours fremez et ne les voeullent ouvrir pour parler aux portiers qui sont du resveil pour la nuit, maismes que les dizaines ne sont pas entieres et que en divers lieux souventeffois il en y a point de guet sur icelle fortresse, que pour le bien du roy et seureté de la ville et habitans, l’en remonstrera a sire Jehan le Normant, lieutenant de monsgr le capitaine, les choses dessusd. et que pour y pourveoir mesd. sgrs ont advisé de faire ce qui s’enssuit […] ». Cf. également AA 12, fol. 28v, pour une ordonnance de l’échevinage relative au service du guet, mais prise « de par messire de Terchant, en garde de la ville ».

20 BB 10, fol. 192v, échevinage du 15 mars 1468 n. st.

21 Cf. CC 50, fol. 36v : « A Jehan Dobe, commis a faire les brievetz que on baille aux sergens a mache pour adiourner ceulx qui gardent les portes par jour et font le resveil de nuit » ; ou CC 52, fol. 37v.

22 BB 15, fol. 157v, échevinage du 16 avril 1488 : décision prise à la requête du lieutenant du roi en Picardie.

23 BB 10, fol. 62, échevinage du 14 octobre 1465 : requête des huchiers qui demandent l’autorisation de travailler de cinq heures du matin à neuf heures du soir, alors que la cloche sonne à six heures et huit heures à cause du guet (« comme au moien du guet et garde que on faisoit en lad. ville pour la seureté d’icelle on eust acoustumé sonner la cloque du jour a 6 heures que l’en souloit sonner a 5 heures du matin, et pareillement l’on sonnoit la cloque de le derrainne a 8 heures qui par avant souloit sonner a 9 heures en la nuit, par quoy lesd. ouvrierz pour doubte de mesprendre n’osoient ouvrer comme ilz avoient acoustumé, est assavoir depuis lad. heure de 5 heures du matin jusques a lad. heure de 9 heures du vespre en la nuit »).

24 Les barques doivent d’ailleurs, à la tombée de la nuit, être rentrées dans l’enceinte de la ville. Cf. les ordonnances de l’échevinage du Livre noir no 32 (« Ordenance de non passer l’eaue de nuit a navel ») et no 33 (« Ordenance de mettre les naveaux chescune nuit en le forteresce ») (AA 12, fol. 10).

25 « Il meismes est maieur et a la garde des clefz des portes, tours, pons, passages, quaines et destrois de lad. ville » (BB 10, fol. 192v).

26 BB 15, fol. 96v, échevinage du 19 juin 1487.

27 Cf. l’ordonnance de l’échevinage no 138 du Livre noir : « Ordonnance de non aller après le gait : Que nulz quelconquez tant de le ville d’Amiens comme de dehors ne soit si hardiz que depuis que le gait du vespre sera assiz voist sur les forteresches par dedans le ville ne par dehors, excepté ceulx qui pour le mur seront ordonnez a faire le gait, et s’aucuns estoit trouvez faisant le contraire ou qu’il ne sceust nommer le signe du gait pour le nuit il yroit ou peril de son corps, et est commandé que incontinent par ceulx qui le trouveront soit prins et menez ou beffroy pour estre pugnis comme anemiz du roy nostre sire et de le ville et a paine d’estre gettez par-dessus les crestiaulx es fossez de le ville » (AA 12, fol. 34).

28 BB 10, fol. 170, échevinage du 21 octobre 1467.

29 L’échevinage du 13 mai 1465 décide « de perchier les murs adfin d’y faire fenestres pour veoir dedens les fossez au dehors de lad. ville pour doubte des inconveniens » (BB 10, fol. 38v).

30 Par exemple, l’échevinage du 22 juin 1472 ordonne « que les herbes croissans es fossez de la forteresse de la ville seront coppees tost et hastivement pour ce que par le moyen desdites herbes qui sont grosses, grandes et espesses pluiseurs inconveniens porroient avenir a ladite ville » (BB 11, fol. 72v).

31 Cf. l’échevinage du 19 juin 1487 : les guetteurs s’enferment dans les tours pour dormir et refusent d’ouvrir aux portiers du réveil. L’échevinage demande au lieutenant d’ordonner que « les 2 ou les 3 de chacune dizaine soient tenus aller et venir sur lad. forteresse de dizaine a autre et que l’un d’eulx se tiengne tour a tour a l’un des creneaux sur le fossé d’icelle fosse [sic, sans doute pour forteresse] pour regarder oud. fossé » (BB 15, fol. 96v).

32 « Messeigneurs ont apointié que les cordes des herches seront veues et les cousteaux prestz pour les coper se mestier est » (échevinage du 22 juin 1467, BB 10, fol. 164).

33 Les demandes royales se font insistantes à partir de 1477, mais ne commencent à recevoir une exécution sérieuse qu’à partir de 1479.

34 « Prestement sera faite une forte atrape et ung fort plancquier pour le garde de le cloque et si y seront mis deux sergens de nuit pour la garder seurement chacune nuit » (échevinage du 22 juin 1467, BB 10, fol. 164).

35 Par exemple, « l’en mettera de nuit ancoires ung homme a la guette du beeffroy avec cellui qui y est chacune nuit affin de soy tenir sceur de la grosse cloche a l’effroy et des autres cloches, dont pour la nuit ilz porront tirer les cordes amont au prez de eulx, et au matin aprez qu’ilz seront deschendus de leur guet les avaller embas » (échevinage du 6 novembre 1492, BB 16, fol. 209v).

36 Échevinage du 13 mai 1465 : « Mesdis seigneurs ont ordonné que pour la seureté de le cloque du beffroy veilleront chacune nuit oudit beffroy ung sergent de nuit et 2 hommes du guet de la nuit de lad. ville prins es dizaines avec celuy qui a acoustumé de y veillier, lesquelz se enfermeront hault et garderont seurement telement qu’ilz puissent estre maistres de le corde et de ledite cloque » (BB 10, fol. 38).

37 Par exemple, « fault mettre apoint les caines et estendre du traverz des rues pour les tendre en haste se besoing estoit » (BB 10, fol. 164).

38 BB 10, fol. 33v, échevinage du 1er avril 1465.

39 « Des 26 portes qui estoient ordonnees eulx trouver en cas d’effroy en l’ostel de la ville, il en y aura les 12 qui se trouveront au marchié armez et embastonnez avec eulx 20 archiers des 50, tant de ceulx de le cincquantaine que des attendans, de ceulx qui aussy estoient ordonnez oud. hostel, ausquelz portiers et archiers oud. marchié seront commis et baillé pour chiefz deux telz personnages desd. portiers qu’il sera advisé par monsgr le maieur quant il se trouvera oud. cas d’effroy oud. hostel de la ville » (échevinage du 2 décembre 1492, BB 16, fol. 212v).

40 BB 10, fol. 37, échevinage du 6 mai 1465.

41 L’échevinage rappelle régulièrement où sont les limites entre les différents quartiers. Cf. les échevinages du 18 novembre 1471 (BB 11, fol. 46), 27 juin 1486 (BB 15, fol. 44) et 6 novembre 1492 (BB 16, fol. 210).

42 CC 71, fol. 48.

43 Cf. l’échevinage du 2 décembre 1492, dont l’un des points est intitulé « Pour aller en cas d’effroy par les gens d’eglise sur le fortresse de la ville » (BB 16, fol. 213).

44 É. Maugis donne les détails de ces querelles d’autorité pour les années 1530-1550 (É. Maugis, Recherches sur les transformations…, op. cit., p. 273-277).

45 Cf. par exemple l’échevinage du 30 septembre 1471, sur une demande du maréchal de Loheac de pouvoir loger ses gens d’armes dans une des tours de la porte de Montrescu (BB 11, fol. 39v). La commune cède par contre le 9 novembre 1471 sur la garde de la porte de Paris, qui est une porte de l’enceinte des faubourgs (BB 11, fol. 45).

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