Conclusion

1L'analyse approfondie et comparée des centres sidérurgiques littoraux situés sur les rivages continentaux de la Mer du Nord, KNHSIJMUIDEN, KLÖCKNER-BREME, USINOR-DUNKERQUE, SIDMAR-GAND, de leur création successive, de leur croissance ample et rapide puis de leurs difficultés au début de la crise qui se développe à partir de 1975, est riche d'enseignements dans différents domaines de la connaissance géographique des pays industrialisés.

2D'un point de vue général, cette recherche permet d'appréhender les principales caractéristiques des nouvelles données fondamentales de l'économie et de la géographie de la sidérurgie à l'échelle du monde, de l'Europe occidentale et des pays directement concernés. Elle montre la nature, l'importance, la portée et les limites des mesures prises par les vieux pays producteurs pour s'adapter à la mutation profonde des conditions techniques et économiques de la production d'acier. Usines intégrées de très grande capacité, spécialisées dans les productions primaires et la fabrication des produits plats, usines dont l'approvisionnement et le marché sont définis au niveau mondial mais dont le fonctionnement les attache intimement à l'espace continental, les centres sidérurgiques littoraux étudiés sont l'expression concrète à la fois d'une période d'euphorie technologique et économique où une croissance soutenue, considérée comme structurelle, permettait de mettre au point les équipements les plus exceptionnels et d'ajouter sans difficulté leurs capacités aux équipements anciens et d'une période de contraction sévère ou après une régression générale, le récent qu’ils incarnent est appelé à se substituer au traditionnel avec d'autant plus de vigueur que l'inertie industrielle avait été précédemment accentuée de façon artificielle dans tous les pays d'économie libérale.

3Cette étude permet également d'apprécier certains des effets, essentiels à toutes les échelles géographiques, des transformations bouleversant le secteur des transports, en particulier les conséquences spatiales de la révolution des transports maritimes : redistribution de la puissance économique, développement des façades littorales, industrialisation portuaire, transformation des structures internes et de la vie des ports.

4D'un point de vue régional, la recherche montre la variété de l'influence de la sidérurgie littorale dans la croissance économique récente de Dunkerque, Gand, Ijmuiden et Brême, la diversité de son rôle dans le développement régional du nord de la France, de la Flandre belge, du nord de la province de Noord-Holland et de la Basse-Weser ainsi que dans la transformation des organisations spatiales aux différents niveaux. Elle met en évidence l'action considérable et générale des impératifs techniques et économiques impliqués par la création et le fonctionnement de telles unités de production et celle beaucoup plus décisive encore des particularités du système industriel et du milieu géographique au sein desquels chaque usine est placée.

5Sur un plan méthodologique, les centres sidérurgiques littoraux, comme très grands établissements industriels par l'espace occupé, l'effectif employé, le capital investi, par la production réalisée, la masse et la valeur des matières et des produits mis en oeuvre, l'énergie consommée... etc, se sont révélés être des phénomènes géographiques de première importance ayant une nature propre, une existence spécifique, une valeur intrinsèque qui dans toute analyse géographique doivent être jugées comme telles et non pas seulement de façon abstraite, indirecte ou relative.

6Que l'objet de l'étude soit prioritairement l'espace industriel ou l'espace global, c'est-à-dire que l'optique adoptée privilégie l'approche sectorielle ou l'approche spatiale, l'usine sidérurgique littorale, et par extension toute très grande unité de production industrielle, doit être considérée en elle-même :

• comme un espace doté de sa personnalité et de son organisation, se définissant par des données statiques et fonctionnelles, sur les plans physique, technique, économique et humain,
• comme un centre de flux puissants, multiples et variés, s'inscrivant dans des espaces de relations au sein desquels s'applique l'influence que l'usine exerce et que se définissent les influences qui la déterminent.

7A ce double titre, de composante organique essentielle et de centre majeur d'interrelations, le grand établissement industriel agit de façon directe et indépendante sur l'organisation de l'espace. Ainsi caractérisée, d'une part comme centre et espace de production et comme centre d'emploi et espace de travail et d'autre part comme centre de relations techniques et économiques, financières et décisionnelles et comme centre de relations humaines, l'usine sidérurgique littorale, et par assimilation toute très grande unité de production industrielle, apparaît dotée d'une exceptionnelle potentialité d'influence externe dont on peut vérifier et apprécier la réalisation par l'étude des actions précises sur les structures techniques, économiques, humaines et spatiales et sur le fonctionnement des milieux géographiques d'insertion, particulièrement à l'échelle locale et régionale.

8En fait dans les situations réelles analysées, ce sont davantage les éléments de diversité qui l'emportent sur les éléments de similitude, révélant la spécificité de la résultante des inter "relations entre les grands établissements, les systèmes industriels et les milieux géographiques. L'étude conduit donc à nuancer la portée générale d'un certain nombre de postulats ou de règles, le plus souvent d'essence économique, sur lesquels ont été basés trop hâtivement des programmes de croissance économique et de développement régional, en particulier dans le domaine de la polarisation, de la relation industrialisation-urbanisation, de la correspondance entre croissance et développement.

9La création et l'expansion d'une très grande unité de production industrielle, en particulier d'une usine sidérurgique, sont susceptibles d'entraîner au niveau local et régional une très forte croissance économique mais elles peuvent également provoquer de graves insuffisances en matière de développement régional, principalement lorsque le milieu d'accueil ne présente pas une ampleur, une diversité et une cohérence capables de répondre aux exigences d'une activité industrielle dont les structures techniques et économiques sont sans commune mesure avec les pouvoirs locaux et régionaux. Apparaissent alors divers phénomènes de domination dont les formes d'expression les plus criantes concernent le niveau, le mode et le cadre de vie des populations intéressées. Dans tous les cas où existe une telle distorsion, la collectivité publique devrait accorder simultanément aux objectifs sociaux de l'aménagement une attention et des moyens comparables à ceux qu'elle accorde aux objectifs économiques et mettre en place une structure d'étude et de décision où tous les intérêts en présence pourraient être confrontés et éventuellement conciliés.