Chapitre premier. L'influence des usines littorales sur l'économie et l'organisation spatiale de la sidérurgie
p. 701-724
Texte intégral
1Par les implications, techniques et économiques, financières et humaines, de leur grande efficacité en matière de production et de productivité, les centres sidérurgiques de Dunkerque, Gand, Ijmuiden et Brême exercent une influence considérable sur l'organisation spatiale de la sidérurgie dans chacun des pays où ils sont localisés ainsi que dans cet ensemble constituant le cœur de l'Europe industrielle qui s'inscrit de part et d'autre de l'axe rhénan en un triangle dont les sommets sont Dunkerque, Bâle et Hambourg.
2Les caractéristiques fonctionnelles de ces usines, considérées à la fois comme centres de production et centres de relations complexes, ne sont pas les seuls facteurs d'évolution de l'organisation spatiale d'une branche d'activité très anciennement et très intensément implantée dans des pays où elle fut longtemps considérée comme l'un des moteurs essentiels du développement industriel. On doit également citer à ce sujet, jouant un rôle primordial, les mutations technologiques, les profondes variations des marchés d'approvisionnement et de vente, les modifications de structures financières des unités économiques, les grandes opérations d'aménagement du territoire et les fluctuations de la conjoncture... mais, comme les usines littorales constituent la synthèse la plus satisfaisante de toutes les adaptations possibles à ces constantes transformations, elles sont les instruments privilégiés de la stratégie des entreprises et des groupes, des associations proféssionnelles et des Etats. A ces influences directes qui s'expriment au sein des systèmes de relations précédemment étudiés pour chaque usine, s'ajoute l'influence indirecte que les centres littoraux exercent, par le moyen de leur capacité concurrentielle, principalement sur les établissements livrant, sur les mêmes marchés, des produits identiques ou substituables, en particulier les lingots et les brames d'acier courant, les produits plats, de la tôle forte au fer blanc.
3L'action des usines littorales se manifeste dans les changements qui affectent à la fois les centres de production et les systèmes de relations : c'est-à-dire qu'elle intervient dans l'évolution du nombre, de la taille, de la spécialisation et de la répartition géographique des usines et qu'elle modifie les différents flux impliqués par leur fonctionnement, leur quantité, leur importance et leur direction1.
4Cette influence, générale et continue, varie en nature et en intensité dans le temps et dans l'espace ; elle est en effet fonction de la combinaison de trois facteurs principaux eux-mêmes changeants : les conditions techniques et économiques de la production dans l'usine littorale, les caractéristiques du système de relations financières et décisionnelles, les contraintes imposées par la conjoncture.
5Malgré ces fluctuations, la tendance à moyen terme s'affirme avec netteté dans le sens d'une concentration spatiale accentuée permettant d'établir une meilleure correspondance entre concentration technique, concentration économique et concentration géographique : correspondance considérée dans la production des aciers courants et la fabrication des produits plats comme une condition fondamentale d'optimisation de la productivité.
6D'un point de vue économique, les centres littoraux constituent d'incontestables facteurs de croissance par augmentation de la production et amélioration de la compétitivité des entreprises et de la branche au niveau national et communautaire.
7Mais leur rôle dans l'économie de la sidérurgie ne doit pas être apprécié à partir de leurs seuls résultats, il doit être jugé en tenant compte des influences positives et négatives que les centres littoraux exercent sur la sidérurgie traditionnelle.
8La croissance économique suscitée apparaît alors comme une croissance différenciée, déterminant l'apparition ou l'accentuation de profonds déséquilibres sectoriels et spatiaux.
I- RENFORCEMENT DES USINES LITTORALES
9La création et le développement des usines de Dunkerque, Gand, Ijmuiden et Brême participent activement au déplacement enregistré en Europe Occidentale du centre de gravité de la production des aciers courants et de la fabrication des produits plats vers les littoraux de la Mer du Nord et de la Méditerranée.
10Leur poids intrinsèque et relatif n'a pas cessé de s'accentuer durant les années 1965-1975, qu'il s'agisse des productions, des effectifs ou des investissements.
11Entre 1965 et 1975, la part des quatre usines étudiées dans la production d'acier brut des pays concernés est passée de 8,2 % en 1965 à 13,9 % en 1970 pour atteindre 15,2 % en 1975. A cette date, leur importance était encore plus marquée à la fois dans la production de fonte : 16,9 % et surtout dans l'élaboration des produits plats : 28,3 %2.
12Avec des effectifs s'élevant à 26.636 en 1965, 38.761 en 1970 et 49.379 en 1975, elles représentaient respectivement : 3,8 %, 6,4 % et 8,6 % des effectifs sidérurgiques totaux3.
13Dans le domaine des investissements, la concentration s'affirmait encore de façon plus sensible, comme le montrent les exemples de Sidmar-Gand et d'Usinor-Dunkerque4.
14A la veille de la crise, la stratégie des firmes cherchait à confirmer de façon tangible l'importance absolue et relative des usines littorales ; les travaux neufs et les rénovations d'équipements anciens visaient à mettre ces établissements en position de réaliser des productions records, puisque les capacités projetées à très court terme atteignaient pour la fabrication d'acier brut :
- 8,0 millions de tonnes pour Usinor-Dunkerque
- 7,1 millions de tonnes pour KNHS-Ijmuiden
- 3,5 millions de tonnes pour Klöckner-Brême
- 3,2 millions de tonnes pour Sidmar-Gand.
15La profondeur de la crise ne devait pas permettre la concrétisation de ces objectifs, ambitieux sur le plan économique mais réalisables sur le plan technique. La nécessité de maintenir pour des raisons sociales et politiques un minimum d'activité dans la plupart des usines des groupes industriels entraîna une baisse de production dans les usines littorales. Cependant cette baisse fut souvent moins marquée que dans les autres usines et la plupart du temps inférieure à celle qui fut enregistrée au niveau national :
161975-1974 :
- Usinor-Dunkerque : - 22,7 % Sidérurgie France : - 20,4 %
- Sidmar-Gand5 : - 7,0 % Sidérurgie Belgique : - 28,7 %
- KNHS-Ijmuiden : - 16,8 % Sidérurgie Pays-Bas : - 17,0 %
- Klöckner-Brême : - 17,4 % Sidérurgie RFA : - 24 %
17Parallèlement la légère reprise enregistrée en 1976 fut en général supérieure à la moyenne.
181976-1975 :
- Usinor-Dunkerque : + 28,3 % Sidérurgie France : + 7,9 %
- Sidmar-Gand : + 1,1 % Sidérurgie Belgique : + 4,9 %
- KNHS-Ijmuiden : + 8,2 % Sidérurgie Pays-Bas : + 7,0 %
19Les accords passés entre les entreprises de la CEE pour contingenter les productions devaient faire sentir leurs effets durant 1'année 1977 qui se caractérisa par la permanence, sinon l'approfondissement des difficultés. La reprise espérée pour 1978 ou, si celle-ci ne se produisait pas, l'obligation concernant toutes les entreprises de la CEE de prendre des décisions draconiennes, pour concentrer leurs activités sur les seules installations susceptibles de produire de manière compétitive face à la concurrence extérieure favorisera obligatoirement les usines littorales dont les installations sont de très loin les plus productives et par conséquent les plus rentables économiquement. L'ampleur de la dépression ayant épuisé sur le plan social tous les palliatifs habituels (allongement des périodes de chômage partiel, suppression des heures supplémentaires, intégrations des travaux sous-traités... etc) des mesures radicales de licenciement et d'arrêt d'équipements ou de fermeture d'usines sont appelées à se multiplier dans les localisations traditionnelles.
20Après avoir ajouté, durant les périodes de conjoncture favorable, leur production à celle des anciennes usines, les centres littoraux tendent à se substituer à elles de manière souvent définitive. Vis à vis de ce processus de substitution, particulièrement actif à l'intérieur des systèmes de relations directement concernés, tous les centres de production ne subissent pas de façon identique la domination de l'usine littorale. Certains au contraire ont bénéficié de son influence dans le choix des adaptations qui assurent, ou leur maintien ou leur développement.
II- CREATION, MAINTIEN ET DEVELOPPEMENT DES USINES TECHNIQUEMENT LIEES
21L'étude des systèmes d'approvisionnement et de vente a montré 1'importance et la complexité des relations techniques établies à partir des centres littoraux avec de nombreuses usines des régions sidérurgiques intérieures6. Si ces échanges inter-usines sont parfois dirigés vers l'établissement littoral pour améliorer le taux de marche de ses équipements majeurs, ils sont le plus souvent orientés vers certaines usines intérieures qui ont trouvé dans ces relations la possibilité d'améliorer leur productivité.
22Compte tenu des transferts de matières premières ou énergétiques et de demi-produits qu'elles entraînent, ces relations sont marquées dans leur existence et leur intensité par deux facteurs principaux : la proximité et l'appartenance au même groupe industriel. En effet ces relations ne sont intéressantes que dans la mesure où elles ne sont pas grevées par des frais de transport ou des frais commerciaux élevés : les premiers sont d'autant moins grands que la distance est courte et les moyens de transport efficaces, les seconds sont très réduits quand ils s'effectuent dans le cadre du même groupe.
23Les caractéristiques de la mise en place récente des équipements de SIDMAR, l'insertion progressive de l'entreprise au sein de l'ARBED dont les principales caractéristiques de production restent la valorisation prioritaire du minerai lorrain et luxembourgeois et la spécialisation dans les produits longs, l'éloignement entre l'usine littorale et les usines luxembourgeoises du groupe qui ne sont reliées que par des voies-ferrées de capacité moyenne et surtout la crise, n'ont pas permis le développement projeté des relations d'approvisionnement au moins partiel des usines intérieures à partir du centre littoral, que ce soit en minerais riches, en charges préparées, en fonte, voire en lingots d'acier. La volonté proclamée de réaliser quoi qu'il arrive un troisième haut fourneau à Gand montre bien pourtant que la survie de certaines usines intérieures du groupe passe par une plus grande spécialisation dans les activités de transformation qui serait rendue possible par une alimentation économique en provenance du littoral.
24Cette évolution est déjà très avancée dans le cadre d'ESTEL. Engagée dès 1966 par les accords entre Hoesch et la KNHS, elle s'est trouvée amplifiée et systématisée après leur fusion. La composition des usines de Dortmund, en particulier de celle de la Westfallenhütte, son fonctionnement et sa croissance, sont liés à son alimentation substantielle en lingots, en brames et en bobines provenant d'Ijmuiden. Cette liaison fonctionnelle pourtant lointaine a permis d'une part la limitation et la restructuration des activités primaires et d'autre part 1'aggrandissement du train à bandes à chaud, la construction du train à froid et la production du fer blanc. Ces modifications allègent les tares d'une usine qui souffrait de plus en plus de ses très mauvaises conditions d'approvisionnement et de son inclusion dans un milieu urbain toujours plus exigeant quant à la qualité de son environnement ; elles valorisent en outre les atouts d'une usine située au cœur d'un marché demandeur de produits sidérurgiques très élaborés. L'intensification des liens de complémentarité oblige à une mutation dans les activités de l'usine intérieure, mais ce faisant, elle lui assure une amélioration très nette de sa rentabilité qui était une condition indispensable de son maintien dans une localisation où se sont multipliées les formes d'abandon.
25Dans le cas de Klôckner, les relations techniques sont nombreuses avec les usines relativement proches d'Osnabrück et surtout de Georgsmarienhütte. Comme dans l'exemple précédent, elles agissent dans le sens d'un renforcement de la spécialisation dans la production de haute et très haute qualité et dans les activités de dénaturation, en particulier la métallurgie fine et différenciée, voire la construction mécanique. Cette tendance n'est pas sans entraîner dans les usines intérieures un affaiblissement de la production sidérurgique proprement dite qui est couverte par des envois de métal en provenance du littoral, mais elle garantit la permanence des activités pour lesquelles ces usines ont le plus d'aptitudes. Leur complémentarité avec le centre littoral est encore renforcée par tous les travaux de réparation, d'entretien et de maintenance qu'elles ont intégrés dans leur plan de charge. Cette influence concerne également les établissements de Rosenberg, Haidhof et Salzgitter de l'ancienne Eisenwerke Gesellschaft Maximilianshütte absorbée par Klôckner à compter du 1-1-1977. L'approvisionnement en demi-produits provenant de Brême est devenu une donnée structurelle de leur fonctionnement et par là de leur existence.
26En France, l'usine de Dunkerque joue un rôle d'autant plus actif que sont nombreux les établissements sidérurgiques, ou situés à sa proximité ou appartenant au même système industriel.
27La création et la croissance de l'usine littorale ont exercé et exercent une influence bénéfique sur l'usine des Dunes de Creusot-Loire à Leffrincoucke7. La livraison régulière de fonte liquide en provenance d'Usinor-Dunkerque et l'alimentation en oxygène pur à partir des installations d'Air Liquide devaient permettre la création d'une aciérie LD. Celle-ci, associée à une aciérie Martin et à un four électrique, donne la possibilité de livrer toutes les qualités d'aciers spéciaux requises par les activités de forge, de laminage et d'usinage pour la production de matériel ferroviaire, la fabrication de masses-tiges pour forage pétrolier et l'élaboration de pièces forgées et usinées. L'exécution régulière de travaux de réparation sur les équipements d'USINOR-DUNKERQUE complète les facteurs d'influence positive du centre littoral sur une usine qui, implantée en 1912, fut revivifiée par la naissance de sa puissante voisine, par son intégration dans le groupe Creusot-Loire et par les accords avec le groupe Denain-Nord-Est, (accords passés avec Vallourec pour la livraison de ronds à tubes et accords passés avec Usinor pour associer dans le cadre d'un groupement d'intérêt économique, le G.I.E-Valdunes, les moyens de production de matériel ferroviaire d'USINOR-Valenciennes et de Creusot-Loire-Les Dunes).
28Le même type d'influence est enregistré sur les usines de La Compagnie des Forges de Châtillon-Commentry-Biache à Isbergues (Pas de Calais) et à Biache (Nord). L'usine d'Isbergues a tiré parti de l'établissement USINOR-DUNKERQUE dans différents domaines8. Pour son approvisionnement, elle bénéficie d'une alimentation plus économique en minerais et en agglomérés et utilise les avantages offerts par le passage de l'oxyduc Denain-Dunkerque ; pour ses fabrications,elle peut employer le slabbing et le train à chaud qui transforment en bobines de tôle ses lingots d'aciers spéciaux (inoxydable, magnétique, à grain orienté) pour ses ventes elle trouve dans l'usine littorale un débouché important à sa fonderie de lingotières. Quant à l'usine de Biache, elle a pu améliorer, en utilisant les bobines à chaud de Dunkerque, l'approvisionnement de son train tandem à froid à quatre cages qui représente l'élément essentiel de son potentiel de production.
29Dans le cadre du groupe USINOR, trois usines ont leur fonctionnement étroitement lié à celui du centre littoral : Denain, Longwy et Mardyck. L'usine de Dunkerque ayant été construite pour effectuer les mêmes productions finales, la traditionnelle usine de Denain, longtemps usine majeure du groupe, fut l'objet d'une modernisation continue qui porta sur les procédés, les équipements et le système de relations techniques et économiques. Mise en parallèle avec l'usine littorale, l'usine bénéficia de la même alimentation en minerais riches, transportés à partir de Dunkerque d'abord exclusivement par trains complets en utilisant le matériel ferroviaire géré par une filiale du groupe puis en valorisant les possibilités offertes par les convois poussés sur le canal à grand gabarit Dunkerque-Denain9.
30Dotée d'une agglomération et d'ateliers de préparation des charges, elle concentra sa production de fonte sur deux hauts-fourneaux modernisés (Ø au creuset : 8,70 et 9,50 m). Une aciérie LD (4 convertisseurs de 60 T) et une aciérie Martin (6 fours de 210 T) permirent une production assez régulière, variant ces dix dernières années entre 1.800.000 et 2.500.000 T, alimentant deux slabbings et un train à larges bandes à chaud totalement remanié en 1968. Chargée, outre ses fabrications traditionnelles principalement destinées à être transformées à Montataire, d'approvisionner en métal les installations maintenues à Valenciennes (cf. Infra), l'usine de Denain, qualifiée parfois de semi-maritime10, devrait maintenir son niveau de production et ne pas subir une trop forte diminution d'effectifs, malgré la différence de productivité qui s'accentue régulièrement en faveur de l'usine littorale et qui explique la différence de comportement durant les deux années de crise 1975-1976 (Figure no 96).
31Alors que les échanges de demi-produits entre l'usine de Dunkerque et celle de Denain s'effectuent dans les deux sens pour équilibrer au mieux la marche des installations et que certaines productions peuvent être réalisées dans l'une ou l'autre usine permettant ainsi d'estomper les effets néfastes de certains arrêts dus à des causes accidentelles, techniques ou sociales, les relations entre l'usine littorale et celle de Longwy consistent essentiellement en un approvisionnement de la tôlerie forte de l'usine lorraine en brames provenant avant tout des installations de coulée continue des aciéries dunkerquoises. Cette dépendance et cette complémentarité ont été décisives dans le choix qui fut fait en 1977 de concentrer sur Longwy les intérêts lorrains d'USINOR aux dépens de Thionville abandonné11.
32La construction de l'usine de Mardyck12 est l'expression la plus marquante des aspects positifs de l'influence exercée dans le domaine sidérurgique par USINOR-DUNKERQUE. Alors que les autres centres littoraux ont été équipés dès leur origine d'un train à froid qui représentait un des éléments essentiels de leur intégration technique, l'usine de Dunkerque fut conçue, compte tenu de l'exiguïté du site et des caractéristiques du potentiel de production de la firme, comme un établissement dont le processus de fabrication s'achevait au laminage à chaud. Lorsqu'à la fin des années 1960, USINOR, dont l'usine de Montataire est proche de la saturation, décide de créer un nouveau train à froid de grande capacité et d'inscrire au programme de fabrication de l'entreprise la production du fer blanc, la localisation à Dunkerque s'impose par la convergence de nombreux facteurs favorables. Parmi eux la présence du centre littoral est naturellement la plus déterminante : la nouvelle usine est implantée sur un terrain de 240 hectares, situé à 4 km du train à chaud et relié à lui par une route et une voie ferrée privées. Bordée par le Canal à grand gabarit et le Canal de Bourbourg, jointe directement au réseau ferroviaire général, proche de l'autoroute et en liaison par tous ces moyens de transport avec les équipements portuaires, l'usine bénéficie d'excellentes possibilités d'accès à ses différents marchés, y compris à la grande exportation qu'USINOR voudrait fortement développer. Dès sa mise en marche en 1973, cette usine révèle une grande efficacité qui s'exprime par la montée rapide de ses productions et de ses effectifs (1976 : 488.000 T de tôles fines - 147.000 T de fer blanc. Effectif : 1988 salariés).
33Les centres sidérurgiques littoraux établis sur les rivages de la Mer du Nord sont ainsi des facteurs de détermination de l'existence et de l'évolution d'usines intérieures qui ont trouvé dans la mise en place d'échanges de matières, de demi-produits ou de services, le moyen d'améliorer leurs conditions de fonctionnement. Cette détermination devrait à l'avenir encore s'accentuer, avec la concentration inéluctable dans les usines littorales des productions primaires, c'est-à-dire surtout de la fabrication des aciers courants dont la dénaturation s'effectuera en partie dans les usines intérieures techniquement liées. Mais, directement et de façon évidente au sein de leur système de relations ou indirectement et de manière moins rigoureuse dans leur réseau concurrentiel, les centres littoraux sont également responsables du déclin et de la disparition d'usines devenues par rapport à eux périphériques ou concurrentes.
III- DECLIN ET DISPARITION DES USINES PERIPHERIQUES OU CONCURRENTES
34Dans les vieux pays producteurs d'acier, la concentration de la production sur les équipements les plus rentables, l'amélioration de la qualité des aciers courants et la spécialisation dans les produits plats, sont considérés par tous les spécialistes économiques comme le meilleur moyen de résister à la concurrence des nouveaux producteurs qui ont accentué et exacerbé celle du Japon. La réalisation de ces objectifs, par le développement des usines littorales qui accaparent l'essentiel des investissements, condamne certains établissements : ceux qui à cause de leur ancienneté, des caractéristiques de leur potentiel de production, à cause de leurs conditions de fonctionnement de leur situation ou de leurs modalités d'insertion dans le milieu local, n'offrent pas de possibilités satisfaisantes d'adaptation aux principales exigences de l'évolution économique récente.
35La condamnation est toujours sans appel, même si le déclin s'effectue progressivement en respectant certaines étapes : arrêt des trains de laminoirs les plus vétustes, arrêt total des activités sidérurgiques, démembrement et disparition. La période qui sépare ces diff érents stades varie selon les caractéristiques propres à chaque usine et à chaque système de relations, selon les difficultés éprouvées à résoudre les problèmes sociaux et surtout selon l'évolution de la conjoncture.
36Toute dépression accélère d'autant plus le processus de déclin qu'il est, pendant les périodes de bonne conjoncture, volontairement retardé pour des raisons sociales et politiques et mieux accepté par les intéressés qui se résignent, au moment des crises, devant ce qui leur est présenté comme une absolue nécessité.
37Si la création récente de Sidmar et son intégration progressive dans le groupe ARBED n'ont pas encore déterminé d'évolutions aussi dramatiques mais semblent devoir le faire dans un avenir relativement proche, tous les autres systèmes industriels ont déjà connu ces phénomènes13.
38L'exemple que présente l'usine d'Hagen-Haspe est le plus significatif dans le cas du groupe Klöckner. En 1965, face à l'usine qui se développe à Brême, celle d'Hagen-Haspe apparaît antinomique : vieille usine intégrée située dans la vallée de l'Ennepe, sur la voie-ferrée qui la joint au charbon de la Ruhr et au minerai du Siegerland, elle se heurte alors à de nombreux problèmes du fait de la diversité, de la faible capacité et de la vétusté de ses équipements, du fait aussi de sa situation et de son enclavement dans un cadre naturel contraignant et un tissu urbain très dense14. L'impossibilité de procéder aux améliorations les plus indispensables accroît les écarts de rentabilité et déclenche le processus de déclin. En 1967 sont arrêtés l'aciérie Siemens et les trains à produits plats dont l'activité est transférée à Brême : l'effectif baisse de 1.550 personnes. En 1972 la production de métal est complètement arrêtée et l'effectif diminue à nouveau de 2.000 unités. L'usine est alors spécialisée dans l'étirage et le tréfilage à partir de demi-produits provenant de 1'Hamburger Stahlwerke Gmbh, de l'Eisenwerke Maximilianshütte Gmbh et de fournisseurs divers, y compris d'Australie. Intégrée dans la "Vereinigte Drahtindustrie Gmbh", filiale commune des groupes Klöckner et Krupp, l'usine voit son activité profondément altérée par les effets de la crise. La baisse de son effectif à moins de 950 personnes en 1976 semble présager la fermeture définitive de l'établissement à très court terme.
39L'usine de Georgsmarienhütte15 connut également en 1972 un affaiblissement sensible de son activité qui se solda alors par l'arrêt d'un haut-fourneau, d'une aciérie Siemens-Martin, d'un four électrique et d'une ligne de laminage. Une diminution de l'effectif de plus de 2000 personnes fut le prix d'une adaptation apparemment réussie, à l'influence du centre littoral qui, comme nous l'avons vu précédemment, est devenu •une donnée fonctionnelle importante de l'établissement.
40Aux Pays-Bas, l'influence de l'usine littorale se fit principalement sentir sur l'entreprise Kôninklijke Demka Staalfabrieken NV dont le principal établissement était situé à Utrecht. L'entreprise qui à partir d'une aciérie Siemens et d'un four électrique avait une gamme de fabrication très largement étendue, connut après 1960 des difficultés croissantes, particulièrement dans le secteur des aciers ordinaires où elle rencontrait la concurrence des produits réalisés dans 1'usine littorale. Progressivement intégrée sur le plan financier, puis totalement absorbée par la KNHS, elle dut en 1966 arrêter complètement sa production d'aciers ordinaires et licencier plus de 1.100 personnes. Périclitant même dans le secteur des aciers spéciaux, elle fut démembrée en 1970 : la division acier moulé servit d'apport à la création d'une entreprise fondée conjointement avec la société française Sambre et Meuse, la NV Staalgietwerk, et la division ronds à béton et fils machine fut rattachée à Ijmuiden avec un effectif réduit à environ 250 personnes.
41Ainsi à côté de l'usine littorale ne subsiste plus aux Pays-Bas, dans le domaine strictement sidérurgique, que l'établissement d'Ablasserdam de la NV Nederlandsche Kabel Fabrieken (N.K.F.), filiale de l'entreprise Philipps qui trouve là sa principale base d'approvisionnement en produits sidérurgiques demandés par ses multiples activités métallurgiques.
42Mais l'influence de la KNHS dépasse les frontières nationales et se fait également sentir en Allemagne, principalement sur les usines du groupe ESTEL qui procèdent encore à l'élaboration du métal. La profondeur de la crise devrait accentuer la pression exercée par l'usine littorale sur les usines intérieures : une substitution que l'on cherche d'autant plus à cacher que les problèmes se posent dans le cadre d'un groupe multinational qui est encore en période d'organisation et qui voudrait éviter que des déséquilibres n'apparaissent de part et d'autre de la frontière germano-hollandaise et suscitent des réactions d'opposition au niveau national.
43En France, le même phénomène a exercé les mêmes effets : à la croissance de l'usine littorale correspond le déclin et la condamnation irrémédiables des établissements souffrant d'une ou plusieurs insuffisances par rapport aux établissements les plus productifs : approvisionnement en minerais phosphoreux à basse teneur à partir de mines non intégrées géographiquement, aciérie Thomas, déséquilibre interne entre les capacités des différents équipements, spécialisation dans les produits longs, difficultés de modernisation par contraintes urbaines ou naturelles, éloignement du centre de gravité du groupe.
44L'usine de Louvroil16 (fut la première touchée et connut un déclin qui devait aboutir en 10 ans à sa disparition totale : en 1967 sont arrêtés les laminoirs à ronds (-300 emplois), en 1968 le HF no 1 est éteint (-500 emplois), en 1969 c'est au tour du HF no 2, de l'aciérie et des trains dégrossisseurs (-720 emplois), en 1977 le plan de restructuration de l'entreprise décide l'arrêt définitif des dernières installations (-800 emplois). Tout est alors terminé pour cette usine créée en 1858 qui s'était développée en valorisant à la fois son implantation sur la Sambre et sur l'axe ferroviaire Paris-Bruxelles et sa situation entre le charbon de la Région du Nord et le minerai de fer lorrain ; une usine qui avait assumé un grand nombre de restructurations économiques et avait même servi de centre de réorganisation de la sidérurgie dans la vallée de la Sambre.
45La restructuration de l'usine de Trith Saint Léger dans le Valenciennois fut annoncée en 1972 pour le début du VIIème Plan17 (Etablie de part et d'autre de l'Escaut, longée par la voie-ferrée Valenciennes-Thionville qui fut l'axe de reconstruction de la sidérurgie française après la seconde guerre mondiale, l'usine a vieilli dans toutes les caractéristiques techniques de son activité proprement sidérurgique, au point de devenir anachronique et marginale par rapport à celle de Denain et encore plus à celle de Dunkerque. Les contraintes de la localisation qui interdisaient un changement économique d'approvisionnement une éventuelle modernisation et une lutte efficace contre la pollution, se révélèrent trop fortes pour que soit maintenue la production de métal. En 1976 sont arrêtés les hauts-fourneaux, les services annexes et les trains de laminoirs pour aciers marchands. L'aciérie modernisée en 1970 par adoption du procédé OBM est alors alimentée en fonte par l'usine de Denain et passe en service discontinu avant de cesser toute activité à moyen terme. Les effectifs diminuent en deux ans de près de 2.000 emplois. Trith Saint Léger devient une usine froide qui pourrait être rapidement démembrée avec d'une part le secteur matériel ferroviaire déjà intégré dans le GIE Valdunes et d'autre part le laminoir à grosses poutrelles qui serait rattaché à la Société Métallurgique de l'Escaut, filiale d'Usinor à 85 % qui développe à Valenciennes sa capacité de production de laminés marchands et spéciaux.
46Avec l'usine de Thionville c'est la vallée de la Moselle qui subit, accentuée par la crise, l'influence négative de l'usine littorale18. Malgré les qualités intrinsèques de sa localisation et de certains de ses équipements, l'usine lorraine souffre dans le groupe USINOR de sa spécialisation et de son excentricité. Sa stratégie l'amenant à réduire ses fabrications de produits longs (fermeture de Louvroil - restructuration de Trith Saint-Léger - cession du train à fil d'Anzin à la Compagnie de la Chiers) et à cesser la production d'acier correspondante, l'entreprise décida en 1977 d'arrêter comme dans l'usine de Trith, les trains de laminoirs, l'aciérie Thomas et le haut-fourneau pourtant considéré comme le plus productif des équipements approvisionnés en minerais lorrains et de ne maintenir sur place que l'aciérie électrique, la forge et la fonderie dont une des principales fabrications, les cylindres de laminoirs, a comme débouché significatif les trains de Dunkerque et de Mardyck. Plus de 3.000 emplois devraient être supprimés sur une période de deux ans. La réaction de la population et des Pouvoirs publics a donné un sursis à la division fonte qui ne sera durablement maintenue que si des débouchés sont trouvés auprès de Sacilor et de Dilling ; elle n'empêchera sans doute pas le démembrement de l'usine dont les activités de laminage ont cessé en 1977 et dont les activités de forge et de fonderie seront rattachées à l'usine de Sedan qui travaille à des fabrications identiques ou complémentaires.
47Les modalités de résolution des problèmes sociaux proposées par 1 entreprise sont significatives des mécanismes du transfert sectoriel spatial que 1 ampleur de la crise l'oblige et l'autorise à accélérer : pour réduire les licenciements, outre les mesures générales de retraite et de pré-retraite, USINOR propose à chaque salarié menacé de perdre son emploi des postes de travail dans les usines appelées "usines d'accueil" : Longwy, Montataire, Fos, Mardyck et Dunkerque, des usines qui concentrent, dans le secteur des produits plats, et les productions et les investissements.
CONCLUSION
48De façon générale, les usines sidérurgiques de Dunkerque, Gand, Ijmuiden et Brême répondent aux objectifs généraux "acier" qu'avait définis la Commission des Communautés Européennes pour le maintien et le développement de la sidérurgie communautaire dans un environnement économique mondial s'avérant de plus en plus difficile19.
49Elles ont participé activement à la croissance de la production des aciers LD dont la qualité s'est constamment améliorée et à l'augmentation de la fabrication des produits plats de plus en plus diversifiés dans leurs formes et leurs propriétés d'emploi. Elles y sont parvenues avec une augmentation régulière de leur productivité grâce à l'accroissement de la taille, du modernisme et de l'équilibre de leurs installations, à partir de l'approvisionnement le plus économique malgré l'envolée des prix des matières premières et énergétiques, dans le cadre d'ensembles économiques ayant acquis une importance leur assurant une meilleure capacité de réaction à la concurrence étrangère.
50Ce faisant, et l'intensité de la crise économique accentuant le phénomène, elles ont rendu indispensable le retrait des capacités excédentaires dans des spécialités très contestées, offertes par des équipements obsolètes. Par là également elles sont intervenues dans le sens d'un assainissement de l'économie de la branche à 1 échelle communautaire.
51Le double aspect de cette évolution divergente a entraîné une modification des flux de matières premières, de demi-produits et de produits. Eléments dynamiques d'une nouvelle économie et d'une nouvelle organisation spatiale de la sidérurgie, elles ont suscité des changements profonds dans les conditions d'existence et de fonctionnement des unités urbaines ou des ensembles régionaux directement concernés, qu'il s'agisse des lieux ou des espaces qu'elles vivifient ou qu'il s'agisse des gisements houillers, des mines de fer, des vieux bassins sidérurgiques qu'elles ont contribué à condamner.
52Ainsi posent-elles des problèmes d'aménagement du territoire très complexes par les faits de croissance et de récession qu'elles déterminent simultanément. L'acuité et la gravité de ces questions sont d'autant plus affirmées que le centre littoral a acquis rapidement une grande puissance dans un système industriel comportant de nombreuses unités de production réunies dans un espace relativement restreint : tel est le cas d'USINOR-DUNKERQUE qui est sans nul doute un puissant facteur de croissance, que celle-ci soit appréciée en termes d'économie de la sidérurgie ou en termes d'économie globale, mais qui est aussi, dans une optique régionale, à l'origine de problèmes de développement et d'aménagement.
Notes de bas de page
1 Cf. Livre 1 § Les potentiels techniques - Localisation. § Flux et réseaux techniques et économiques. § Flux et réseaux financiers et décisionnels.
2 Cf. Livre 1 § Production et Productivité.
3 Cf. Livre 2 § Les effectifs.
4 Cf. Livre 1 § Flux et réseaux financiers et décisionnels.
5 - 17,6 % par rapport à 1973 meilleure année de référence pour SIDMAR-GAND. 1974 avait été marquée par l'arrêt prolongé des hauts-fourneaux pour des raisons techniques.
6 Cf. Livre 1 § Flux et réseaux techniques et économiques.
7 Usine des Dunes : 1 aciérie Martin - 1 aciérie à l'oxygène - 1 four électrique - 1 blooming - 3 trains de laminage pour barres et gros ronds d'aciers spéciaux - 1 atelier de forge - 1 atelier d'usinage pour matériel ferroviaire : roues et essieux montés.
8 Usine d'Isbergues : 2 hauts-fourneaux - 1 aciérie Martin (2 x 70 T) - 1 aciérie électrique (2 x 30 T) - 1 coulée continue pour brames - 4 trains à froid sendzimir - Ateliers de traitement - 1 fonderie de lingotières.
9 Cf. § Flux et réseaux techniques et économiques.
10 C. GACHELIN, La localisation des industries, opus cité, p. 36-37.
11 Usine de Longwy - 1976 : 1 cokerie - 1 agglomération - 4 hauts fourneaux - 5 convertisseurs Thomas x 33 T - 2 convertisseurs OBM x 40 T - 1 tôlerie forte - 2 bloomings - 1 train universel à poutrelles - 1 train à fil - Effectif : 8033.
12 Usine de Mardyck - 1976 : 1 décapage chlorhydrique - 1 train à froid tandem 5 cages, 2 skin-pass - 1 ligne d'étamage électrolytique - Effectif : 1988.
13 J. MALEZIEUX, "La crise de la sidérurgie : aspects géographiques". Annales de Géographie, 1977, p. 408-424.
14 Usine d'Hagen-Haspe 1965 : 2 ateliers d'agglomération - 4 hauts-fourneaux - 1 aciérie Thomas - 1 aciérie Siemens - 1 aciérie électrique - Laminoirs à tôles - Laminoirs à profilés, surtout trains à barres et fils. Production : 963.000 T d'acier brut. 762.000 T de laminés. Effectifs : 583
15 Usine de Georgsmarienhûtte : 1965 : 1 atelier d'agglomération - 3 hauts-fourneaux - 2 aciéries Siemens-Martin - 1 aciérie électrique - 1 ensemble de laminoirs à profilés - Production : 715.000 T d'acier brut - 540.000 T de laminés. Effectifs : 6864. Effectifs 1976 : 4850.
16 Usine de Louvroil 1960, 3 HF dont un au diamètre de 6 m, modernisé et automatisé en 1961 - 1 aciérie Thomas - 1 blooming - 1 ensemble de trains finisseurs pour aciers marchands - 1 atelier de ronds Tor. Effectifs 1960 : 2785 ; 1976 : 814.
17 Usine de Trith Saint Léger 1960 : 1 atelier d'agglomération 4 HF - 1 aciérie Thomas - 1 aciérie Martin - 1 blooming - 1 ensemble de laminoirs pour poutrelles et laminés marchands - 1 atelier de forge et d'usinage de matériel ferroviaire : roues et essieux. Production d'acier brut : 1960 : 629.000 T ; 1976 : 361.000 T. Effectifs 1960 : 5152 ; 1976 : 3828.
18 Usine de Thionville. 1970 : 1 agglomération - 1 HF modernisé et automatisé - 1 aciérie Thomas - 1 aciérie Martin - 1 aciérie électrique - 1 blooming et 3 trains finisseurs - 1 fonderie - 1 atelier d'usinage. Effectifs : 1970 : 4242 ; 1975 : 4067.
19 Mémorandum sur les objectifs généraux de la sidérurgie de la Communauté pour les années 1975-1980. Bruxelles 1971, opus cité.
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