I- LE RECRUTEMENT : CARACTERES GENERAUX

1Nécessité par la croissance de l'activité et la mobilité professionnelle, par le développement et le renouvellement de l'effectif, le recrutement du nouveau personnel est pour la direction de l'établissement industriel tout aussi important que la gestion du personnel en place. De même pour le marché du travail en particulier et le milieu humain en général, le mouvement d'embauches dans l'établissement est plus significatif que l'évolution de son effectif global.

2Par leur rythme rapide de création ou de développement, par leur turnover généralement faible en pourcentage mais considérable en chiffres absolus du fait de leur taille, les centres sidérurgiques littoraux ont été durant la période étudiée de très importants centres d'embauche. (Tableau n^o 107).

3Les besoins exprimés ont été en outre fort divers à cause de la variété des postes et des fonctions offertes dans ces usines nouvelles ou constamment modernisées. Selon la réponse à ses demandes, une réponse variable dans le temps et dans ses aspects quantitatifs et qualitatifs sur le plan des compositions et des comportements de la main-d’œuvre, chaque entreprise est amenée à définir une politique de recrutement qui s'intègre dans une politique générale d'insertion locale et régionale. La politique de recrutement s'exprime par des mesures sectorielles et spatiales pour susciter les candidatures, assurer la sélection et l'acceptation des individus ; elle peut s'accompagner d'une intervention dans le domaine du transport et du logement des salariés.

4En ce qui concerne la répartition spatiale, on distingue généralement un recrutement local dans l'agglomération ou dans les communes proches de l'usine, un recrutement plus éloigné qui nécessite souvent l'organisation d'un système de ramassage et enfin un recrutement extérieur qui peut être lointain et qui implique un changement de résidence pour l'intéressé et son implantation dans l'agglomération ou la zone de ramassage. Cette répartition et son évolution c'est-à-dire l'extension et l'organisation de l'aire de recrutement et ses transformations, sont très expressives des conditions d'intégration du centre sidérurgique sur les marchés de l'emploi et du travail locaux, régionaux, voire nationaux.

5Les valeurs quantitatives concernant le recrutement (Tableau n^o 107) montrent que si les centres littoraux, anciens ou récents, ont pratiqué durant la période d'étude une embauche importante, deux types d'usine doivent être distingués : d'une part les usines pour lesquelles le recrutement devait avant tout satisfaire les besoins de remplacements causés par le turnover et d'autre part les usines pour lesquelles le recrutement visait surtout à pourvoir aux créations de nouveaux emplois. Dans chacun de ces types d'établissement, la question du recrutement ne se pose pas dans les mêmes termes. Dans le premier cas, l'usine, implantée depuis de nombreuses années, est une donnée fondamentale des marchés de l'emploi et du travail et sa pression sur ces marchés possède un caractère permanent voire traditionnel. Vis-à-vis de l'usine, des opinions et des attitudes se sont forgées, des habitudes se sont définies, des courants se sont établis : une aire de recrutement est limitée et organisée. Dans le second cas, corps étranger qui apparaît et se développe dans un milieu qui lui est d'autant plus inconnu qu'il contribue à le perturber, l'usine nouvelle rencontre des problèmes de nature et d'intensité très différentes. Chaque type de situation doit être analysé de façon distincte ; chacun sera caractérisé dans ses aspects généraux et ses mécanismes par l'étude de l'exemple le plus significatif, puis nuancé et enrichi par référence aux autres établissements étudiés.

II- LE RECRUTEMENT ORIGINEL ET LE DEVELOPPEMENT DES EFFECTIFS DANS LES USINES NOUVELLES

A- USINOR-DUNKERQUE

a/ Politique de l'entreprise, fondement et modalités

6Par le long passé de ses sociétés constituantes et par son histoire propre, l'entreprise USINOR possède dans l'industrie sidérurgique une grande expérience technique, économique et sociale. Cependant, dès la conception de l'usine de Dunkerque, la direction d'USINOR prit conscience de la nécessité de définir une nouvelle politique de recrutement, différente de celle qui fut suivie dans les autres établissements de l'entreprise. Cette volonté s'explique par l'appréhension de trois faits déterminants : d'une part le caractère exceptionnel de l'établissement qui, par sa taille, son équipement et son organisation, donne à l'homme une place particulière dans la production ; d'autre part le caractère neuf du milieu géographique où l'établissement s'implantait ; milieu qui, malgré l'existence d'activités industrielles et même la présence ancienne d'une unité sidérurgique ne présentait pas les mêmes conditions de réceptivité que les vieux bassins sidérurgiques ; enfin le caractère spectaculaire, voire dramatique de la création et du développement de l'usine qui ne pouvait pas s'accommoder de périodes de répit favorables à une adaptation progressive.

7Les caractères fondamentaux de cette politique peuvent être ainsi définis : susciter le maximum de candidatures pour pouvoir effectuer une sélection psychotechnique rigoureuse en fonction des exigences propres à chaque fonction et à chaque poste de travail ; proposer au candidat le plus apte une tâche présentée sous tous ses aspects intrinsèques : nature de l'activité, conditions de travail et de rémunération, profil de carrière et avantages sociaux et enregistrer son acceptation. C'était, semblait-il, la meilleure façon de s'assurer une main-d’œuvre bien adaptée, de haute productivité et de grande stabilité. Cette politique qui exprime une volonté de rechercher et de mettre en place la main-d’œuvre de façon scientifique sous-entend deux conditions importantes : premièrement la permanence de disponibilités quantitatives et qualitatives de main-d’œuvre nettement supérieures aux besoins, c'est-à-dire l'existence d'un marché du travail équilibré, fluide et sans tensions excessives ; deuxièmement la solution immédiate et satisfaisante de tous les problèmes concernant les conditions de vie de la main-d’œuvre en dehors du travail (logement, transport, formation, loisirs, etc...) dont l'entreprise cherchait à se détacher par refus du paternalisme traditionnel. Ces conditions n'étant pas remplies, la politique de recrutement, bien que constamment marquée par ces principes généraux, a subi des fluctuations, particulièrement aux périodes de forte embauche.

8Deux types de candidature doivent être distingués : les candidatures spontanées et les candidatures suscitées. Les candidatures spontanées sont à mettre en relation avec la notoriété de l'établissement, non seulement à l'échelle locale et régionale mais également à l'échelle nationale. Elles sont en rapport direct avec l'image que les gens se font de l'usine à partir des appréciations formulées par les personnes déjà en place et à partir des articles et des reportages dont le centre sidérurgique fut et reste encore l'objet en fonction de l'actualité technique, économique ou sociale. Ces candidatures sont très fluctuantes, elles furent particulièrement nombreuses au moment de la création de l'établissement qui détermina la formation d'un véritable mythe ! Pendant la période de fort développement l'essentiel des candidatures résulta cependant d'actions organisées et lancées par les services du personnel de l'établissement et de l'entreprise. Ces interventions dont la nature et l'importance varient avec les besoins en personnel, sont fort diverses : les principales sont les campagnes de presse, les contacts avec les services de main-d’œuvre (agences pour l'emploi, bureaux de main-d’œuvre, centres de FPA, écoles techniques de toutes spécialités), avec les entreprises en difficultés ou en cours de reconversion (Les Houillères du Nord et du Pas-de-Calais par exemple) ou les établissements USINOR en situation de sureffectif dans le cadre de la réorganisation de l'entreprise. En fonction des besoins, quantitatifs et qualitatifs, ces interventions sont modulées en intensité, en durée et en extension spatiale.

9C'est à partir de ces candidatures dont le nombre fut souvent très élevé (12494 en 1962, 19745 en 1963, 9466 en 1964) que s'opère le processus de sélection.

10Ce processus s'effectue en plusieurs étapes au cours desquelles le candidat et le service du personnel sont amenés à effectuer leur choix. Après avoir contacté l'entreprise, le candidat est invité à constituer un dossier où il présente ses antécédents scolaires et professionnels et ses préférences en matière de travail.

11Les dossiers sont classés en fonction des spécialités et soumis aux chefs de services intéressés pour faire une première sélection. Les candidats retenus sont alors convoqués à un examen technique, psychotechnique et médical qui opère une seconde sélection. Les personnes choisies se voient proposer, en fonction de leurs capacités, un emploi précisément défini qu'elles peuvent refuser ou accepter à titre temporaire ou définitif.

12Toutes les embauches à l'usine de Dunkerque ont été ainsi opérées par un service spécial de l'usine, occasionnellement aidé par des organismes spécialisés aux moments de très fort recrutement, sauf pour les ingénieurs et les cadres qui sont recrutés par le Siège Social de l'entreprise avec l'aide d'un cabinet parisien. Les rapports établis aux différents stades du processus permettent de juger les modalités et les résultats de cette sélection.

13Le nombre des candidatures apparaît toujours considérable : ce qui souligne l'importance économique et sociale de l'établissement sur le marché du travail. L'analyse des différences entre le nombre de dossiers constitués et le nombre des convocations d'une part, le nombre de propositions et le nombre des présences aux examens, montre ce qui revient à l'entreprise en matière de choix ; l'analyse des différences entre le nombre de présences à l'examen et le nombre de convocations et entre le nombre de propositions et d'acceptations montre ce qui revient à l'individu dans la décision. Les différents rapports varient d'une année à l'autre, montrant par-là les fluctuations du marché du travail et celles de l'embauche de l'établissement. Malgré les difficultés éprouvées pour trouver la main-d'oeuvre souhaitée, c'est-à-dire une main-d’œuvre de compositions particulières (par âges, par qualifications, par origines géographiques, par origines professionnelles), le service du recrutement a tenté de maintenir à un niveau constant le nombre de candidats examinés pour réaliser une embauche ; ce nombre a évolué comme suit :

14La permanence d'un niveau assez élevé ne doit pas faire illusion, elle n'a pu être obtenue que par des mesures sectorielles et spatiales particulières par leur nombre et leur importance et qui ont évolué dans le temps.

b/ L'évolution des problèmes de recrutement

. La période de création et la délimitation d'une aire de recrutement

15Si la période de très forte embauche correspondant à la mise en marche des principaux équipements s'étend de 1962 à 1964, le recrutement du personnel de l'usine de Dunkerque commença dès 1959.

16S'effectuant à un rythme très lent, 15 personnes en 1959, 94 en 1960, 238 en 1961, l'embauche visait essentiellement à constituer le noyau technique et administratif qui organiserait le démarrage des installations. Durant ces trois ans le recrutement concerna surtout du personnel de direction et de maîtrise (40 %), des employés (23 %) et du personnel annexe (16 %).

17Si une grande partie des cadres supérieurs, des techniciens et des contremaîtres a un passé sidérurgique et provient par conséquent de l'extérieur (mutations des usines de la société, particulièrement Denain, usines sidérurgiques de Lorraine ou de la région proche : Isbergues et Leffrinckoucke), le reste du personnel provient alors essentiellement de 1'agglomération dunkerquoise et des zones les plus proches de la région du Nord.

18C'est à partir de ce groupe relativement restreint que se constitua ensuite, très rapidement, l'effectif de la nouvelle usine. La mise en marche de chaque installation et la mise en place de chaque service furent précédées par l'embauche du personnel nécessaire avec un délai différent selon la durée du stage préalable de formation, variable selon la complexité des tâches afférentes à chaque fonction et à chaque poste de travail. Ce recrutement se fit conformément à la politique générale précédemment évoquée, sans action particulière de grande envergure ni sur le plan sectoriel ni sur le plan spatial. Cette attitude se basait sur une certaine confiance en l'existence de ressources humaines quantitativement suffisantes et qualitativement satisfaisantes, sans idées préconçues quant à l'origine professionnelle ou géographique du personnel.

19Ces ressources étaient pressenties pour l'essentiel dans l'agglomération ou dans une aire spatialement peu étendue, facilement accessible par l’intermédiaire d'un réseau d'autocars organisé par l'entreprise. Les enquêtes préalables sur la situation démographique et sur l'évolution du marché du travail en milieu rural comme en milieu urbain avaient décelé l'existence de ces potentialités. En outre, si dans le Calaisis, les autorités, confiantes dans leur plan de restructuration et de développement du port et de la ville affirmaient que cette zone ne saurait pourvoir de façon substantielle aux besoins de la sidérurgie, les responsables économiques de la Flandre occidentale belge exprimaient un grand intérêt pour l'usine de Dunkerque qui pourrait éventuellement les aider à résoudre les problèmes sociaux que les travaux de l'Exposition Universelle de Bruxelles avaient momentanément estompés. De plus, la notoriété régionale et nationale du nouvel établissement sidérurgique, entretenue par tous les moyens d'information qui s'intéressaient alors beaucoup au développement de Dunkerque, permettait d'espérer en un grand nombre de candidatures extérieures qu'une campagne de presse continue cherchait à concrétiser. Pour répondre aux exigences de la future main-d’œuvre dont les origines précises étaient encore ignorées, l'entreprise chercha à se constituer un certain potentiel de logements pour accueillir les personnes de l'extérieur et établit son propre réseau d'autocars pour drainer la main-d’œuvre habitant dans l'agglomération ou ses environs proches. Ces deux actions se firent de façon plus ou moins empiriques en ce qui concerne l'importance de la première tranche de logements réservés et l'organisation du réseau et des services d'autocars.

20Le nombre de candidatures exprimées et de dossiers constitués montre que 1'attente du Service du Personnel ne fut pas déçue (Tableau n^o 108).

21Des difficultés apparurent cependant, tenant davantage aux conditions d'accueil de la main-d’œuvre extérieure qu'à la mise au travail du nouveau personnel. En ce qui concerne le recrutement proprement dit, les besoins exprimés furent rapidement pourvus même si certaines exigences en matière de qualification posaient quelques problèmes qu'on espérait résoudre facilement par le développement et l'amélioration des services de formation. L'assez forte instabilité de la main-d’œuvre recrutée ne semblait pas alarmante, compte tenu de la rapidité de la mise en place du personnel, de sa jeunesse, de sa diversité et surtout de la nouveauté du travail dans la sidérurgie. Le turnover exigeait que l'on recrute un nombre de personnes assez nettement supérieur à celui que nécessitait la seule augmentation de l'effectif. C'est le logement du personnel extérieur qui causa des difficultés notables dont on n'avait pressenti ni la nature ni l'importance. Outre le fait qu'elles entraînèrent une certaine détérioration des relations entre le personnel et la direction, elles allaient devenir une des causes essentielles des problèmes de recrutement, de modification de la politique de l'entreprise ainsi qu'un des éléments déterminants de la délimitation et de l'organisation de l'aire de recrutement.

22Il résulte de la politique de recrutement adoptée une très grande diversité dans l'origine professionnelle de la main-d’œuvre embauchée durant la période de démarrage de l'usine. Cette diversité provient du fait que le service du personnel a rarement considéré l'origine professionnelle comme un facteur d'embauche si ce n'est pour certains postes de responsabilité, d'encadrement ou d'exécution pour lesquels une expérience sidérurgique était sinon exigée du moins fortement recommandée. Cette diversité s'explique également par les caractères propres aux structures d'emploi dans les usines en cours de démarrage qui connaissent un gonflement important des activités annexes par rapport aux activités de fabrication et d'entretien. Cette diversité est avant tout l'image d'une situation du marché du travail dans l'espace géographique qui fut alors influencé par l'établissement.

23Un sondage effectué à la fin de l'année 1964 donne les indications suivantes :

24L'importance relative de l'origine sidérurgique s'explique par la volonté du service de recrutement de s'assurer le concours d'un groupe d'hommes ayant une expérience de l'activité, suffisamment nombreux pour mettre en marche de façon satisfaisante les installations mais assez limité pour que ne s'instaurent pas dans le nouvel établissement des habitudes de travail, des attitudes et des mentalités considérées comme incompatibles avec le modernisme des équipements. Ce mouvement de main-d’œuvre sidérurgique en provenance des concentrations traditionnelles du Nord et de Lorraine revêtit deux formes distinctes : l'une dirigée, au sein de l'entreprise par mutation de personnel des différentes usines continentales vers l'usine littorale, l'autre libre, qui fut le fait d'individus employés dans des centres appartenant à d'autres entreprises et tentés pour des raisons variées par l'aventure dunkerquoise.

25Les industries métallurgiques formèrent un contingent comparable qui s'explique à la fois par la place qu'elles occupent dans l'industrie locale et régionale et par la pression qu'y exerça le centre sidérurgique pour y trouver la main-d’œuvre ouvrière qualifiée, particulièrement pour les services d'entretien. Ce personnel d'ajusteurs, de mécaniciens, d'électriciens et d'électromécaniciens fut également recherché partout où il était présent, c'est-à-dire avec une intensité variable dans toutes les branches industrielles.

26Ceci explique la part importante des Houillères, de la SNCF et des "autres activités". Le Bâtiment et les Travaux Publics furent les plus grands pourvoyeurs de main-d’œuvre, qu'il s'agisse des entreprises locales ou des entreprises extérieures ayant travaillé sur les chantiers de l'usine, du port et de la ville. Le service du recrutement trouva dans le dégonflement des effectifs de cette branche industrielle la satisfaction de ses besoins en main-d’œuvre "banale".

27La faible représentation des autres secteurs et branches d'activité est sans signification si ce n'est la très grande modestie de la participation de l'agriculture flamande où le suremploi était pourtant depuis longtemps dénoncé. Bien qu'effectuant une ponction très forte dans les communes rurales, l'industrie sidérurgique n'a pas entraîné, dans un premier temps, un détachement notable de population active agricole ; cependant, elle a pu atténuer dans ce secteur la pression excessive des jeunes qui y ont trouvé leur premier emploi.

28La part revenant aux jeunes n'ayant pas encore exercé un travail n'allait pas cesser de se renforcer, parallèlement à la modification de l'origine géographique du personnel.

29Durant la période préliminaire (1959-1961), les besoins en personnel, limités en nombre, furent couverts, à l'exception des cadres et de certains éléments de maîtrise, par les ressources du marché du travail local et régional qui fut le seul à être directement concerné par la politique du service de recrutement. Mais durant la période de forte embauche (1961-1964) c'est le marché du travail national dans son ensemble qui est visé par l'opération de recrutement.

30Le "mythe dunkerquois" s'étoffe et se précise en même temps qu'il se diffuse par l'intermédiaire des moyens d'information comme la radio et la télévision.

31Le service du personnel cherche à susciter les candidatures par une campagne de presse importante, générale, mais insistant particulièrement sur les régions les plus aptes par leur proximité ou leur spécialisation industrielle à fournir la main-d’œuvre recherchée. Des actions spécifiques auprès d'entreprises ou d'établissements ayant des problèmes de compression d'effectifs ou d'organismes spécialisés dans les questions de reconversion complétèrent les mesures prises1.

32Malgré l'ampleur des actions menées le recrutement fut principalement local et régional. (Tableau n^o 109 et Figure n^o 72).

33L'essentiel de la main-d’œuvre, pendant et au terme de la période de forte embauche, a eu pour origine géographique la Région du Nord (principalement l'agglomération dunkerquoise). Les autres départements français n'ont fourni que des contingents très réduits, même lorsqu'ils étaient très proches de la Région du Nord.

34Seuls les départements de Moselle et de Meurthe et Moselle ont envoyé des effectifs notables. Deux raisons peuvent être avancées : d'une part une raison technique tenant aux répercussions de l'appel en main-d’œuvre sidérurgique lancée par la nouvelle usine dans une région fortement marquée par cette branche d'activité, d'autre part une raison humaine tenant au fait qu'une partie significative des "lorrains" choisissant de partir pour Dunkerque étaient des gens nés dans la Région du Nord qui trouvaient dans la création de l'usine littorale l'occasion de revenir "au pays". La main-d’œuvre en provenance directe de l'étranger fut peu nombreuse ; en 1964, le taux de 2 % n'est atteint que par l'apport des ex-supplétifs musulmans ayant choisi la nationalité française après l'indépendance (Cf. § Main-d’œuvre étrangère).

35Une aire de recrutement spatialement très circonscrite, se dessina rapidement à l'intérieur même de la Région du Nord. Si l'on excepte les vallées de l'Escaut et de la Sambre qui furent les principaux pourvoyeurs de main-d’œuvre sidérurgique (cette activité y étant fortement représentée et USINOR y possédant 1'essentiel de son potentiel de production), si l'on met à part également le bassin houiller qui fut une zone diffuse de départ d'un nombre limité de personnes qualifiées, l'essentiel de la main-d’œuvre eut comme provenance l'agglomération dunkerquoise et les communes environnantes.

36Cette aire s'étend au sud et à l'ouest de Dunkerque sur une profondeur d'environ trente kilomètres ; elle est jalonnée par les villes de Calais, Ardres, Saint-Omer, Hazebrouck et Cassel. L'importance très marquée de l'agglomération s'explique par l'apport des chantiers de construction qui renforcèrent notablement les ressources strictement locales.

37La zone littorale et 1'arrière-pays rural du Calaisis et de la Flandre intérieure révélèrent une plus riche réserve de main-d’œuvre que prévue. Dans cette aire, une distinction apparut très vite entre une partie orientale et une partie occidentale. A l'est, le recrutement fut très faible : du côté belge, l'intérêt pour la nouvelle usine s'avéra insignifiant contrairement aux prévisions ; le redressement de la conjoncture économique, les succès enregistrés en matière d'industrialisation de la Flandre occidentale, l'éloignement et l'écran formé par l'Usine des Dunes et l'agglomération, empêchèrent le déclenchement de migrations significatives. Les mêmes blocages, l'attrait de la métropole lilloise jouèrent un rôle comparable en deçà de la frontière.

38Par contre, et de façon tout aussi contradictoire par rapport aux prévisions, les cantons de Bourbourg, Gravelines, Audruicq, Ardres et Calais présentèrent de notables potentialités que 1'entreprise allait utiliser intensément, en modifiant le réseau de transport qu'elle avait empiriquement constitué. (Cf. § Transport de la main-d’œuvre). Désenclavant, par ses services particuliers d'autocars, cette zone où les difficultés économiques ne cessaient de se renforcer, l'entreprise allait y exercer une influence considérable.

. La période de stabilisation - La recherche des équilibres : 1965-1968

39A la fin de 1964, les objectifs fixés pour la première étape de construction de l'usine sont atteints. Au point de vue technique commence alors une période consacrée à la recherche des meilleures conditions de fonctionnement des équipements existants et à la préparation de la seconde phase de développement (1965-1968). Au point de vue de l'emploi, améliorant la formation, organisant promotions et mutations internes, le service du personnel a poursuivi les mêmes buts de rationalisation que sur le plan technique. Le turnover diminuant, les créations de postes se faisant plus rares, les besoins numériques s'atténuent, alors qu'augmentent les exigences sur le plan de la qualification. Cette pause va permettre d'utiliser l'expérience acquise par un infléchissement de la politique générale et la mise en œuvre d'actions spécifiques.

40En cette période de rationalisation, les demandes de spécialisations et de qualifications particulières se précisent en même temps que s'affine le processus de sélection. Devant cette plus grande exigence qualitative, le milieu local va laisser apparaître certaines de ses insuffisances : d'une part il va se révéler incapable de pourvoir à certaines demandes, d'autre part il va se montrer peu attractif pour cette main-d’œuvre provenant nécessairement de l'extérieur. A ces modifications concernant l'établissement et le milieu s'ajoute la volonté de la direction de l'entreprise de résoudre les problèmes de main-d’œuvre résultant de la restructuration de l'ensemble de son potentiel de production par des déplacements de salariés des usines de l'intérieur vers le littoral. Le service du personnel va donc prendre, en matière de recrutement, des mesures plus dirigées que dans la période précédente et orienter des actions de façon plus stricte en matière d'origine professionnelle et géographique.

41Le mouvement de personnel des usines de l'intérieur vers Dunkerque, commencé dès 1961 se ralentit considérablement à partir de 1963, précisément au moment où les besoins de l'usine littorale en main-d’œuvre qualifiée s'accentuaient et où 1'entreprise commençait à se trouver confrontée avec des difficultés sociales provenant de la compression des effectifs dans ses usines traditionnelles. Avertis, par les gens en place, des problèmes relatifs au logement (Cf. § Logement du personnel), aux conditions d'accueil, aux faibles possibilités de travail féminin, au coût de la vie dans l'agglomération dunkerquoise, les salariés des usines traditionnelles ont été sensibles à la déception qui touchait les premiers arrivés dont la plupart étaient venus à Dunkerque, poussés par un grand enthousiasme. Moins motivés, d'autant plus sceptiques que la réaction des précurseurs n'était pas celle de la satisfaction, les personnes susceptibles d'être intéressées étaient moins nombreuses et surtout moins portées à accepter la mutation. Une raison particulière s'ajouta ainsi aux causes traditionnelles de l'inertie spatiale de la main-d’œuvre. Des mesures furent prises pour lever les obstacles (prime de déménagement, promotion, etc) ; elles se révélèrent inadéquates et les souhaits de la direction de l'entreprise de pourvoir aux demandes dunkerquoises pour au moins 1/3 et au plus 2/3 par des mutations ne furent satisfaits que de façon très limitée.

42Mutations des Etablissements USINOR vers l'usine de DUNKERQUE

43Le rendement de ce mode de recrutement fut extrêmement faible, même pour les usines en état de très fort sureffectif comme Saulnes et Louvroil.

44Une autre action particulière dans le domaine du recrutement fut lancée durant cette période, à des fins très précises et pour un nombre limité de personnes.

45Entreprenant la construction de sa cokerie, l'entreprise entra en relations avec les Houillères du Nord et du Pas-de-Calais qui avaient programmé l'arrêt définitif d'un certain nombre de leurs vieilles unités de cokéfaction.

46En 1968, cette action ne porta que sur des effectifs réduits mais les résultats obtenus furent tels que le bassin houiller, malgré son éloignement, allait apparaître, surtout sa partie occidentale, comme une zone où existait un réel potentiel d'embauches. Les résultats du recrutement en 1968 sont significatifs de l'ensemble de cette période.

47Le recrutement fut surtout local : l'agglomération et l'aire de ramassage fournissant plus de 80 % des nouveaux embauchés. Cependant, si l'on considère non plus les entrées mais les dossiers constitués, le déséquilibre entre l'agglomération et l'aire de ramassage d'une part, et l'extérieur (extérieur + mutations dans l'entreprise) d'autre part, le déséquilibre apparaît moins nettement.

48Cette particularité s'explique par deux causes principales. L'entreprise, consciente des difficultés d'intégration des nouveaux salariés dans l'agglomération et de ses répercussions sur l'état d'esprit et les comportements de l'effectif, a réservé l'appel à l'extérieur pour les qualifications que son bassin de main-d’œuvre se révélait incapable de fournir. Les personnes provenant de l'extérieur, plus exigeantes en matière de conditions d'accueil et de rémunérations, ont refusé en plus grand nombre les propositions qui leur furent faites.

49Les rendements en matière de recrutement, c'est-à-dire les rapports entre les convocations et les présences, les propositions et les entrées sont ainsi très différents. L'intervention des services du personnel a renforcé cette tendance, mais le phénomène est en lui-même fondamental. L'établissement a fait corps avec l'agglomération qu'il a marquée de son emprise, l'appartenance au milieu crée un conditionnement de l'individu favorable à l'entreprise. Avoir vécu dans l'agglomération ou à proximité facilite l'intégration. Par contre, les problèmes d'adaptation sont importants pour les personnes de l'extérieur, même pour celles qui travaillaient déjà dans l'industrie sidérurgique au sein d'un établissement moins moderne situé dans une région ne présentant pas objectivement plus d'attraits que le littoral de la Mer du Nord. Cette période de stabilisation, malgré la relative faiblesse du recrutement fut en fait, révélatrice d'un certain nombre de problèmes qui allaient se renforcer avec l'augmentation considérable de l'embauche, consécutive à la mise en marche de nouveaux équipements.

. La période de développement accéléré 1969-1975

50L'année 1969 marque le début d'une-période de développement accéléré de l'activité d'USINOR à Dunkerque. Au schéma de croissance par étapes, se substitue la volonté de mise en place rapide d'un ensemble industriel qui, par sa forte capacité de production, l'achèvement de sa gamme de fabrication, la cohérence de son organisation, atteigne en un laps de temps aussi court que possible le meilleur niveau de productivité. Pour réaliser cet objectif, deux options fondamentales furent prises, d'une part développer l'usine existante pour porter sa capacité de production annuelle à près de 8 millions de tonnes d'acier brut et avoir à ce stade un bon équilibre au niveau de l'établissement entre toutes les opérations, de la préparation des charges au laminage à chaud ; d'autre part créer une usine de laminage à froid pour parachever le cycle de fabrication et avoir dans la spécialisation — produits plats — un parfait équilibre au niveau de l'entreprise. Cet essor et cet élargissement de la production sous-entendaient un doublement de l'effectif. Tous les programmes réalisés, les prévisions d'emplois pour 1975 s'élevaient à 12.000 personnes : 10.500 pour l'usine de Dunkerque et 1.500 pour 1'usine de Mardyck. Avec un taux de rotation se maintenant à un niveau normal, l'accroissement projeté de l'effectif impliquait un recrutement annuel moyen de 2.000 à 2.500 personnes jusqu'en 1975.

51Ces exigences quantitatives considérables se doublent d'exigences qualitatives, plus difficiles encore à satisfaire pour répondre aux nouvelles données de l'activité et pallier les insuffisances en matière de qualification et les faiblesses concernant le comportement de la main-d’œuvre en place. Or, à cette exceptionnelle augmentation des besoins correspondit un tassement des ressources dans l'aire traditionnelle de ramassage. Cet affaiblissement du potentiel immédiat et proche/résultait des ponctions profondes déjà effectuées par l'établissement et d'un manque dans la pyramide des âges qui ne se résorberait qu'à partir de 1975. (Cf. § Influence sur les structures démographiques).

52Le marché du travail régional présentait les mêmes caractéristiques, avec en outre une très forte concurrence pour certaines qualifications recherchées par les industries métallurgiques et mécaniques implantées récemment dans la région et par des entreprises comme la SOLLAC pour ses usines lorraines ou SOLMER pour son usine de Fos. Cette discordance s'est traduite par des modalités particulières de recrutement, tant sur le plan sectoriel que sur le plan spatial.

53Durant les premières années de cette période de croissance rapide, le recrutement n'a pas atteint les objectifs prévus. Le retard à l'embauche exprime les difficultés rencontrées pour se procurer la main-d’œuvre souhaitée. Ce retard fut en partie voulu de façon à atténuer un recours excessif à l'extérieur, générateur de difficultés d'intégration et d'adaptation, qu'il s'agisse de main-d’œuvre nationale ou de main-d’œuvre immigrée, appelée de pays étrangers en contingents importants. Mais ce retard fut surtout subi comme l'exprime l'appel à certaines catégories de main-d’œuvre.

54La main-d’œuvre temporaire intervient en effet durant cette période pour une part croissante de l'embauche : 13,4 % en 1969, 17,5 % en 1971, alors qu'elle avait été négligeable dans les périodes précédentes. (Tableau n^o 111). Malgré les problèmes posés par la jeunesse de l'effectif, d'abord en ce qui concerne les comportements, ensuite en ce qui concerne les promotions, le rajeunissement de la main-d’œuvre s'accentua, comme le montrent l'importance des retours du service militaire et l'évolution de la moyenne d'âge. Malgré la volonté du service du personnel, la part relative de l'agglomération et de la zone de ramassage diminua par rapport à celle de la main-d’œuvre allogène qui fut embauchée non seulement pour occuper des postes et des fonctions où une certaine qualification était exigée, mais également des postes de manœuvres et d'ouvriers spécialisés. (Tableau n^o 112).

55Sur le plan spatial, le service du personnel a agi de façon différenciée selon l'éloignement par rapport au centre sidérurgique. En ce qui concerne l'aire de ramassage, l'action entreprise se traduisit par son extension et une intensification de la pression sur le marché du travail. L'extension, difficile à envisager par l'allongement des lignes d'autocars dans le cadre de l'infrastructure routière existante, fut réalisée par la création d'un service ferroviaire, par autorail direct, entre la partie occidentale du bassin houiller — Auchel-Béthune — et l'usine littorale. (Cf. § L'aire de résidence. Transport de la main-d’œuvre). Cette mesure permit à l'entreprise de désenclaver à son profit un espace neuf, considéré jusqu'alors inaccessible du fait de 1'éloignement.

56Les avantages de cette opération n'apparurent pas seulement dans la valeur numérique du potentiel de main-d’œuvre ainsi révélé, mais aussi dans les caractéristiques qualitatives de cette main-d’œuvre : une main-d’œuvre composée, certes, en partie d'éléments jeunes et sans qualification mais aussi une main-d’œuvre plus âgée, à tradition industrielle, en cours de reconversion, possédant des aptitudes techniques et des qualités de comportement ayant été appréciées dans le cadre d'opérations limitées comme celle de la cokerie au cours de la période précédente. Ces avantages furent d'autant plus appréciés que cette main-d’œuvre put être mise au travail sans transfert, sans déracinement, sans que s'ajoutent aux problèmes des conditions de travail, les problèmes des conditions de vie en général. (Cf. § L'aire de résidence : Politique du logement).

57A l'intérieur de la zone de ramassage, le service du personnel renforça sa pression pour toutes les catégories de main-d’œuvre, mais l'écrémage effectué et les faiblesses de la formation professionnelle, limitèrent la portée de cette intervention.. Il existe une véritable déqualification entre les embauches réalisées dans l'agglomération, l'aire de ramassage et à 1'extérieur ; cette déqualification est encore plus apparente lorsqu'on analyse non pas les embauches, mais les candidatures qui sont plus expressives d'un état de situation. Aux jeunes de tous les établissements scolaires techniques, publics et privés, furent proposés à la fin de chaque cycle d'enseignement une embauche immédiate, la possibilité de formation complémentaire à l'intérieur de l'établissement et l'assurance du réemploi au retour du service militaire.

58Cette recherche constante de main-d’œuvre qualifiée ou susceptible de l'être a été menée également en dehors de l'aire de ramassage, principalement dans le cadre régional : surtout dans la zone littorale, dans l'ensemble du bassin houiller et dans les villes marquées par la sidérurgie.

59Des campagnes systématiques furent menées par 1'intermédiaire des lycées techniques, des CET, des agences de l'emploi, des services du personnel des Houillères et des entreprises confrontées à des problèmes de contraction d'effectifs. Enfin, hors du cadre régional, le marché du travail national fut sollicité surtout pour les qualifications et les spécialités les plus difficiles à pourvoir ainsi que pour les postes d'encadrement. Pour attirer cette main-d’œuvre, la politique du logement de l'entreprise a été modifiée : foyers-hôtels pour travailleurs célibataires, logements locatifs réservés dans diverses zones urbaines de l'agglomération, possibilités d'accession à la propriété plus satisfaisantes que lors de la première étape de développement de l'usine. Des opérations de promotion furent lancées, non pour changer 1'image de marque du travail sidérurgique ou de l'usine littorale, mais pour valoriser celle de la région dunkerquoise.

60Valables les premières années, dans un marché du travail ayant certaines capacités d'adaptation et dans un milieu qui assimilait peu à peu les bouleversements qu'on lui imposait, la politique de recrutement suivie, rigoureuse dans la sélection mais spontanée, empiriste, conjoncturelle dans son principe et ses modalités d'application, s’est révélée inadéquate pour résoudre les problèmes créés par la discordance entre une demande massive et accélérée et un marché de l'emploi qui ne parvenait pas à assimiler les transformations imposées par une croissance rapide et continue. L'incapacité où l'on s'est trouvé de répondre à tous les besoins, quantitatifs et qualitatifs, de façon satisfaisante dans un délai relativement court, a convaincu le service du personnel de la nécessité de définir de nouvelles actions en matière de recrutement. Cette appréhension des problèmes a été telle que la nouvelle usine de Mardyck, techniquement et économiquement liée à l'établissement existant, fut dotée de son propre service du personnel qui a défini sa propre politique de recrutement malgré les difficultés que cette dualité sur le même marché du travail ne pouvait manquer de créer. Les problèmes de recrutement, leur existence et leur intensité, provinrent avant tout de la trop grande vitesse de croissance de l'établissement dans son milieu géographique, également du fait que l'entreprise ne s'est pas.donnée les moyens de résoudre les problèmes humains avec la même efficacité que les problèmes techniques et économiques qui ont retenu l'essentiel de son attention, et enfin de l'attitude des autorités responsables de l'urbanisme et de l'aménagement régional. L'obtention d'une réelle efficacité sur le plan du recrutement sous-entend une gestion prévisionnelle du personnel, basée sur une connaissance approfondie d'une part des besoins dans tous leurs aspects et d'autre part du personnel existant, des candidatures exprimées et des potentialités dans leur répartition spatiale. Elle sous-entend également une gestion globale du personnel qui ne dissocie pas les questions afférentes au recrutement des questions relatives aux conditions de travail, de promotion, de rémunération et aux conditions de vie en général. Dans un marché du travail local, régional et national où existent des insuffisances qualitatives et quantitatives importantes, il semble impossible de trouver une solution satisfaisante aux problèmes humains par le seul moyen du recrutement. L'entreprise fut alors contrainte d'intervenir de façon plus directe et plus approfondie qu'elle ne le désirait par principe dans la vie de son personnel à l'intérieur et à l'extérieur de l'établissement et de modifier sa politique d'insertion régionale.

61Les problèmes, posés par une croissance exceptionnellement rapide, à la fois à l'établissement et à son milieu d'insertion, s'exprimèrent avec une très forte intensité jusqu'à la fin de 1974. A cette date l'établissement est doté de tous les équipements prévus à cette étape de son développement et il possède, au moins sur le plan quantitatif, l'effectif requis pour les faire fonctionner à un rythme soutenu.

62Ces problèmes s'estompent avec le retournement conjoncturel de 1975 qui renforce la diminution des besoins : 634 embauches sont réalisées cette année-là contre 1739 en 1974, 2141 en 1973 et 2058 en 1972. (Cadres supérieurs et contrats temporaires exclus). Les tensions ont alors disparu d'autant plus rapidement que se sont résorbées les insuffisances quantitatives et qualitatives des marchés du travail et de l'emploi,-la démographie a fait apparaître des potentialités importantes, la formation a mis à disposition la main-d’œuvre depuis longtemps recherchée, le ralentissement général de l'activité économique dans les autres entreprises a révélé des disponibilités que le centre sidérurgique n'a pas pu utiliser à cause de l'arrêt de sa croissance et de la faiblesse de son rythme de production.

63En même temps qu'elle réduit son embauche, l'usine restreint alors son aire de recrutement. Alors qu'en 1973, année de très fort développement, les nouveaux embauchés proviennent pour 30,9 % des entrées de l'extérieur, pour 43,7 % de la zone de ramassage, pour 19,2 % de l'agglomération et 6,2 % sont des retours de service militaire ; en 1975, année de crise, les nouveaux embauchés proviennent pour 23,2 % de l'extérieur et 33,3 % sont des retours du service militaire.

c/ L'aire de recrutement

64En dépit des variations dans le recrutement, l'origine géographique du personnel est restée avant tout locale et régionale.

65Après 1964 le recrutement a été plus diffus et a concerné un espace plus étendu qu'à l'origine, mais la part de l'agglomération dunkerquoise et celle des départements du Nord et du Pas-de-Calais sont cependant restées fondamentales. (Tableau n^o 113, Figure n^o 72).

66Dans ce cadre régional a été constituée une aire de recrutement privilégiée sur laquelle l'usine a exercé son influence de façon pressante et continue. Cette aire de recrutement qui durant les années 1968-1972 a contribué pour 80 % de l'embauche totale, comprend 1'agglomération (27,3 %), la zone de ramassage drainée par le propre réseau d’autocars de l'usine (47,2 %) et une zone limitrophe généralement étroite mais qui s'étend plus profondément dans le Calaisis et en direction de la partie occidentale du bassin houiller (5,5 %). A l'intérieur de cette aire de recrutement, l'influence de l'usine est modulée en fonction des disponibilités offertes par le milieu selon ses caractéristiques démographiques et économiques et en fonction de la politique de l'entreprise dont les choix s'effectuent par l'intermédiaire de son réseau de ramassage et de son service de sélection à l'embauche. Durant la période de forte croissance le recrutement du centre sidérurgique a présenté, par rapport à celui des autres établissements industriels et commerciaux de l'agglomération, certaines originalités (Tableau n^o 114, Fig. 73 et 74) : moins strictement local, il a concerné principalement la zone rurale qui s'étend à l'ouest de l'usine et surtout le secteur de Calais qui a couvert une part considérable de ses besoins ainsi que le bassin houiller dans sa partie occidentale dont la valorisation a été plus tardive. Très suscitée, en particulier avec l'organisation d'une liaison par autorail direct quand les besoins furent exceptionnels, cette zone lointaine a vu ses apports fléchir rapidement avec l'abandon du service ferroviaire qui fut décidé dès que diminua la demande (1974).

67La configuration géométrique de l'espace, en particulier sa limitation par les mers du Nord et de la Manche et par la frontière belge, explique la profonde pénétration, dans un angle relativement resserré, d'un recrutement surtout local et régional : la répartition des zones de dépression ou d'équilibre économique et des zones sous l'effet d'une polarisation externe explique les très fortes disparités internes et nuance fortement le schéma théorique de diminution progressive de l'intensité du phénomène avec l'éloignement (Figure n^o 75).

68Les modalités sectorielles et spatiales du recrutement dans le cas du centre sidérurgique de Dunkerque sont très significatives des spécificités de l'établissement industriel, du milieu et de leurs interférences qui ont évolué dans le temps, modulées par la politique du personnel et par la politique d'insertion régionale de l'entreprise : une politique qui, sous l'effet d'une croissance exceptionnellement forte et rapide de l'établissement puis de son arrêt brutal, s'est profondément modifiée dans ses principes, ses applications et ses effets.

69Les données en présence dans le cas de l'usine SIDMAR-GAND étant très différentes, leur résultante est également originale.

B- SIDMAR-GAND

70Le problème général du recrutement initial s'est posé à Dunkerque et à Gand en des termes identiques : il s'est agi de constituer avec la plus grande efficacité, c'est-à-dire avec la meilleure correspondance chronologique entre l'expression des besoins et la réalisation de l'embauche et la meilleure adéquation quantitative et qualitative entre les demandes et les disponibilités, l'effectif global d'une grande unité de production, nouvelle par ses techniques et son organisation, dans un milieu neuf, industrialisé mais ignorant tout des exigences particulières de l'activité sidérurgique. A cette similitude dans les situations a correspondu une même politique d'ensemble, fondée sur la volonté de susciter le maximum de candidatures de façon à opérer une sélection aussi rigoureuse que possible et ainsi obtenir d'emblée une bonne adaptation de la main-d’œuvre.

71Des conditions particulières relatives à l'établissement, au milieu et à la politique de recrutement, permettent cependant d'individualiser l'usine belge. En ce qui concerne l'établissement, sa création et son développement ont été planifiés sur un rythme régulier et relativement lent. Cette évolution a permis d'éviter au recrutement toute précipitation génératrice de variations dans la rigueur de la sélection, ainsi que tout retard important à l'embauche, générateur de surcharge de travail pour l'effectif en place ; elle a permis également de combler, par une formation appropriée, intérieure ou extérieure, les écarts de qualification entre les offres du marché de l'emploi et les demandes spécifiques de certains postes ou de certaines fonctions. En ce qui concerne le milieu, l'usine s'est trouvée dans une situation très favorable quant aux disponibilités quantitatives et qualitatives en main-d’œuvre : la crise des industries traditionnelles, la surcharge de l'activité agricole, la très forte intensité des migrations de travail à longue distance révélèrent un potentiel local important sur lequel pouvait s'appliquer une sélection constante.

72Cette situation donna au service du personnel la possibilité d'examiner en moyenne toujours plus de trois personnes pour réaliser une seule embauche, donc d'effectuer un choix selon des critères multiples (âge, qualification, origine, etc.) et d'obtenir ainsi la plus grande probabilité d'adéquation de l'homme à son emploi.

73En ce qui concerne le politique de recrutement, elle se caractérisa par la préférence accordée à la main-d’œuvre locale sur la main-d’œuvre extérieure, même sur celle ayant une origine sidérurgique. (Tableau n^o 115).

74La main-d’œuvre locale a été systématiquement choisie : le recrutement ne modifiant que très peu le cadre et le mode de vie des nouveaux embauchés et de leur famille, les problèmes d'adaptation se limitaient à ceux de l'homme au travail et la responsabilité sociale de l'entreprise se restreignait à ce seul domaine. La faiblesse de la main-d’œuvre d'origine sidérurgique (1 % des ouvriers et 8 % des employés) s'explique par l'attitude de l'entreprise qui a considéré, d'une part que la nouveauté des équipements était telle qu'il était préférable de former une main-d’œuvre sans aucune expérience plutôt que de chercher à adapter une main-d’œuvre qualifiée mais très marquée par les techniques traditionnelles et d'autre part que les conceptions et les attitudes des syndicats de la sidérurgie wallonne que de forts contingents de main-d’œuvre en provenance des bassins de Liège et de Charleroi auraient apportées, étaient antinomiques avec les principes de la nouvelle politique sociale qu'on cherchait à définir dans l'usine littorale. À cet égard les problèmes posés par les relations entre les communautés wallonnes et flamandes suffisaient pour empêcher le développement d'un notable mouvement de main-d’œuvre.

75C'est d'ailleurs du Luxembourg que provient la majorité des employés ayant une origine sidérurgique : ceux-ci sont autant l'expression des faibles relations humaines entre sidérurgie wallonne et sidérurgie flamande que celle du rôle essentiel que joue l'ARBED dans la direction de l'entreprise.

76L'origine professionnelle de la main-d’œuvre en 1968 montre la précise exécution de cette politique. Les faits dominants expriment certaines exigences spécifiques de l'activité, mais ils reflètent surtout les caractères fondamentaux du marché de l'emploi et du marché du travail, sur le plan local, dans leurs principales données structurelles et conjoncturelles. (Tableau n^o 115). Excepté le rôle des industries métallurgiques qui s’expliquent avant tout par les besoins en personnel qualifié pour les tâches d'encadrement et les activités d'entretien, tous les autres aspects soulignent le caractère strictement local de l'embauche. Les chantiers de l'usine, mais aussi ceux des grands travaux d'infrastructure dans l'arrondissement de Gand ont fourni des contingents appréciables d'ouvriers sans qualification dont l'usine a contribué à la fixation au fur et à mesure de la réalisation des principaux équipements. Les industries gantoises, traditionnelles dans leur nature et vieillies dans leurs structures — les industries textiles et alimentaires, les industries de la chimie minérale de base — ont été pourvoyeuses de main-d’œuvre au prorata de leur importance et en relation directe avec l'ampleur de leurs difficultés et le niveau de leur reconversion.

77Les activités existantes, la plupart en surnombre relatif, offraient de considérables ressources potentielles qui se révélaient peu à peu et qui s'ajoutaient à celle bien réelles du chômage et de la jeunesse en quête d'un premier emploi.

78En 1968, 7 % des salariés et 10 % des ouvriers du centre sidérurgique étaient chômeurs au moment de leur embauche : 5 % des salariés et 12 % des employés y avaient trouvé leur premier travail. L'existence de ces exceptionnelles possibilités ont poussé la direction de l'entreprise à définir une politique de désengagement en matière de responsabilité sociale concernant les problèmes rencontrés par son personnel en dehors de l'usine. Laissant aux autorités locales et régionales le soin de pourvoir aux besoins de ses salariés en logements, en infrastructures de circulation et en services de transport, l'entreprise s'est contentée d'adapter son embauche à l'évolution des conditions offertes par le milieu local et régional. Dans un premier temps, le recrutement a surtout concerné les communes proches de l'usine et de l'agglomération ; il s'est ensuite peu à peu étendu à des communes plus éloignées, au fur et à mesure que les besoins de l'usine augmentaient et que s'amélioraient les relations de circulation entre le milieu et l'établissement. (Cf. § Transport du personnel).

79Ainsi, une aire de recrutement a été progressivement définie, limitée et organisée, à l'intérieur de laquelle le service du personnel a modulé ses campagnes d'embauche en fonction des profils de personnel recherchés. Cette aire de recrutement qui correspond presque exactement à l'aire de résidence de la main-d’œuvre est moins étendue et plus équilibrée que celle d'Usinor-Dunkerque. La situation semi-continentale de l'usine, l'amélioration des voies de communications et surtout les passages sur le canal Gand-Terneuzen ont permis de la développer dans toutes les directions. (Figure n“75).

80La frontière belgo-néerlandaise, sans la bloquer, exerce cependant un effet d'atténuation et en limite l'extension vers le nord, l'agglomération gantoise jouant un rôle comparable vers le sud.

81Aussi au-delà d'une zone proche concernée de façon homogène et permanente, les deux axes est et ouest sont davantage sollicités particulièrement par l'aménagement d'un système de transport du personnel et permettant de définir des zones où l'influence de l'usine se fait sentir de façon plus sensible.

82Après la mise en place de l'effectif originel qui s'est effectué de façon plus calme que dans le cas de l'usine française, les besoins en personnel déterminés par une croissance continue mais relativement lente et un turnover exceptionnellement faible, ont pu être satisfaits sans difficultés majeures, ni sur le plan quantitatif ni sur le plan qualitatif.

83L'usine nouvelle s'est peu à peu intégrée dans son milieu local et régional en résolvant davantage de problèmes d'emploi qu'elle n'en suscitait, contrairement à ce que l'on a pu constater dans le cas de l'usine de Dunkerque et surtout dans le cas des usines anciennes où, pour des raisons diverses, les déséquilibres entre les demandes et les offres d'emploi ont créé de grandes difficultés d'embauche et ont donné des caractères particuliers aux aires de recrutement.

III- LE RECRUTEMENT DANS LES USINES ANCIENNES

84Le temps, facteur d'adaptation et d'accoutumance réciproque entre l'établissement industriel et le milieu géographique, ne fait pas disparaître les problèmes de recrutement dans les usines anciennes mais contribue seulement à les poser en termes différents. Si l'embauche, contrairement à ce qui se passe durant la période de création accélérée des usines nouvelles, n'implique qu'un mouvement limité de personnel par rapport à la main-d’œuvre en place, elle peut concerner, dans l'absolu, des effectifs très importants. (Tableau n^o 116). Durant la période d'étude, c'est près de 1500 personnes qui ont été annuellement recrutées pour assurer le renouvellement et la croissance du personnel de l'usine KLÖCKNER-BREME et plus de 3000 personnes pour l'usine KNHSIJMUIDEN.

85Pour ces unités de production, les difficultés résident moins dans la recherche de main-d’œuvre qualifiée que dans l'embauche de la main-d’œuvre de fabrication appelée main-d’œuvre banale. Dans les usines anciennes les besoins en personnel qualifié sont en effet relativement moins importants : les créations de postes sont moins nombreuses pour ces catégories de personnel car le développement d'une usine existante concerne davantage les secteurs de production que les services qui s'y rattachent et les renouvellements sont moins nombreux car le turnover de ces catégories est structurellement plus faible. En outre ces besoins sont plus aisément pourvus par l'intermédiaire d'un système de promotion interne que l'âge de l'établissement a souvent permis d'organiser de façon cohérente.

86Par contre et pour les mêmes raisons, les nécessités sont grandes en main-d’œuvre de fabrication et en personnel d'exécution. Or pendant la période de forte croissance, il s'est avéré difficile de recruter ce personnel sur le plan local et régional, d'une part à cause de la ponction permanente effectuée à cette échelle depuis de nombreuses années par l'établissement industriel lui-même ; d'autre part à cause de l'attitude d'une partie de la population vis-à-vis du travail sidérurgique dont les contraintes spécifiques sont d'autant moins acceptées qu'existent d'autres possibilités d'emploi. Très souvent les difficultés sont grandes également de procéder à ce recrutement à une échelle spatiale plus étendue, avec changement obligatoire de résidence ; la mobilité géographique dans le cadre national étant inversement proportionnelle à la qualification et au niveau des ressources.

87Le recours à la main-d’œuvre immigrée est alors considéré comme indispensable et organisé comme tel. La communauté d'aspects aux deux usines, néerlandaise et allemande, se limite à cette similitude dans la situation générale et dans les grandes options prises pour trouver une solution au problème du recrutement. A cause de la diversité des milieux et de la personnalité humaine de chaque unité industrielle, l'expression spatiale de la même politique a revêtu des aspects différents.

88L'agglomération de Brême présentant un marché de l'emploi diversifié et un marché du travail le plus souvent tendu a offert à l'usine Klöckner des conditions défavorables pour le recrutement d'une main-d’œuvre locale, fortement sollicitée par ailleurs et d'autant moins tentée par l'établissement sidérurgique que son image de marque fut localement altérée par la dureté des mouvements sociaux. Malgré ces difficultés, l'entreprise a maintenu une politique de désengagement total en matière de logement et de transport de ses salariés. Cette neutralité de l'entreprise laisse apparaître nettement les particularités du milieu : l'embauche est plus forte en zone rurale que dans le cadre de l'agglomération, elle s'effectue surtout au nord de l'usine, c'est-à-dire dans l'espace le moins touché du fait de l'éloignement par l'influence des autres activités du centre urbain ; elle concerne essentiellement la rive droite de la Weser à cause de l'obstacle que représente l'estuaire du fleuve, particulièrement le long de la voie ferrée qui joint Brême à Bremerhaven : le transport ferroviaire étant le seul moyen de transport collectif susceptible d'offrir, sur de longues distances, le maximum de rapidité et de sécurité. Malgré l'éloignement, cet espace dont l'angle d'ouverture est relativement restreint, n'a pas révélé un potentiel suffisant et surtout satisfaisant pour répondre aux besoins de l'usine. La main-d’œuvre qui en est originaire trouve dans son embauche le moyen d'assurer son passage d'une activité et d'un genre de vie à dominante agricole et rurale à une activité et à un genre de vie à dominante urbaine et industrielle.

89Dans ce nouveau cadre, la main-d’œuvre allemande trouve alors des possibilités d'emploi plus satisfaisant et qui sont à la base de sa mobilité professionnelle. Pour s'assurer le complément indispensable et aussi pour agir sur le comportement du personnel, l'appel à la main-d’œuvre étrangère a été accentué tant que la conjoncture a été favorable.

90En matière de recrutement, le cas de l'usine de la KNHS à Ijmuiden est intéressant par ses particularités et aussi par la richesse de sa signification générale. Possédant par son origine précoce des caractères propres aux usines anciennes et par l'ampleur de son dynamisme, certaines des spécificités propres aux usines récentes, l'établissement néerlandais se présente comme l'archétype des centres littoraux et prend ainsi valeur de modèle.

91Pour assurer le renouvellement d'un effectif supérieur à 20.000 salariés depuis 1969 et sa croissance, à un taux annuel moyen supérieur à 5 % entre 1962 et 1972, les besoins en main-d’œuvre furent extrêmement grands : entre 2.000 et 4.000 personnes à recruter chaque année durant cette décennie. (Tableau n^o 116 Le nombre d'entrées atteignit même 5.053 en 1974 ; il devait avec la crise baisser à 1774 en 1975. Cette importance a eu de nombreuses implications sur le plan sectoriel comme sur le plan spatial.

92En premier lieu, la difficulté de ménager une réponse satisfaisante, quantitativement et qualitativement, à des besoins aussi considérables, pendant les périodes de croissance a conduit le service responsable à employer un personnel très varié par son statut. (Tableau n^o 117).

93Au recrutement normal qui fait l'objet d'une procédure de sélection et de la signature d'un contrat d'une durée indéterminée, mais a priori longue, s'ajoute l'embauche de personnel de complément ou de remplacement pour de courtes périodes.

94Ce personnel comprend des catégories fort diverses : des écoliers, surtout enfants de salariés pour des tâches administratives, des étudiants pour remplir des tâches dans les services mais aussi dans les secteurs de fabrication durant 3 à 4 semaines pendant les vacances scolaires, des personnes employées à temps partiel, un ou deux jours par semaine, des salariés d'entreprises tiers intervenant dans la construction ou l'entretien des équipements sidérurgiques et qui sont maintenus quelques temps dans l'usine, du personnel temporaire enfin, recruté directement ou par l'intermédiaire de sociétés spécialisées pour des durées inférieures à six mois2. Les difficultés ont rendu nécessaires l'abaissement de l'âge moyen à l'embauche et l'emploi d'une proportion croissante de main-d’œuvre féminine deux facteurs d'instabilité qui ont différé momentanément les besoins pressants mais qui les ont accentués à terme. Les problèmes n'ont fait que se renforcer car le rendement du recrutement aux Pays-Bas a été faible et n'a pas cessé de décroître : en 1969, les 11.637 contacts pris entre les intéressés et le service du personnel aboutirent à 5.593 examens de sélection et à 1.378 embauches effectives ; en 1972, les 8.573 contacts aboutirent à 5.105 examens et à 827 embauches. Le rendement calculé par les rapports embauches/contacts et embauches/examens a été, respectivement, pour 1969, de 11,8 % et de 24,6 % et pour 1972, de 9,6 % et 16,2 %3. Ces valeurs sont d'autant plus modestes que la sélection de la part de l'entreprise fut par obligation fort peu sévère ; les principales causes de refus ont été les graves insuffisances physiques, les condamnations de droit commun et aussi un militantisme politique notoirement affirmé.

95Cette faiblesse du rendement pendant la période de développement a caractérisé non seulement les opérations générales de recrutement menées à travers une campagne de presse permanente dans les journaux locaux, régionaux et nationaux, mais aussi les opérations spécifiques menées dans les zones de chômage structurel et de reconversion ou auprès d'entreprises en difficultés. Par exemple, les accords passés pour le reclassement des mineurs du bassin du Limbourg, c'est-à-dire 1'embauche avec prise en compte de 1'ancienneté et des avantages acquis n'ont guère été suivis d'effets comme ce fut le cas en 1966, après l'absorption par la KNHS de la Société DEMKA à Utrecht : sur les 1.200 personnes menacées de licenciement, seules 100 personnes acceptèrent l'emploi, correspondant à leur ancienne situation, qu'on leur proposait à Ijmuiden.

96Les difficultés concernant principalement le recrutement du personnel des secteurs de fabrication sont devenues telles dans les années 1970 que le recours à la main-d’œuvre étrangère dut alors être considérablement accru. (Figure n^o 76). En 1971, pour la première fois dans l'histoire de l'établissement, les étrangers ont été plus nombreux à être recrutés en embauche normale que les néerlandais, la proportion dépassant même 60 % dans les secteurs de fabrication. En 1974 la proportion était encore de 55 %, en 1975 elle dépassait à peine 5 % !. Les difficultés furent moindres pour répondre aux besoins des services d'entretien qui tirèrent parti de l'existence d'une école d'entreprise et d'une organisation importante en matière de formation professionnelle à l'intérieur de l'établissement.

97Les disparités croissantes jusqu'en 1974 entre les besoins en main-d’œuvre de l'usine sidérurgique et les disponibilités humaines du marché du travail à l'échelle nationale ont déterminé une extension considérable de l'aire de recrutement et son organisation particulière. Celle-ci comporte deux parties distinctes : l'une néerlandaise qui intervient au début des années 1970 pour près de 60 % du recrutement normal, l'autre étrangère, plus précisément espagnole, dont l'apport n'a cessé de croître de 1960 jusqu'à la crise avec quelques fluctuations dues à l'évolution de la conjoncture économique et à ses répercussions sociales aux Pays-Bas. (Figure n“76).

98Sur le plan national, trois ensembles d'importance comparable sont à individualiser : l'Ijmond, c'est-à-dire l'agglomération, l'aire de ramassage drainée par le service de transport de la K N H S, le reste du pays (Figure n^o 77).

99Malgré l'affaiblissement progressif de leur participation relative, les communes de 1'Ijmond pourvoient à environ 30 % des embauches normales et à la majeure partie des embauches complémentaires4. Dans cette agglomération, dominée au plein sens du terme par l'établissement sidérurgique, le recrutement y revêt des caractères particuliers ; il concerne une main-d’œuvre jeune (58 % < 25 ans, 4 %> 45 ans) dont la majorité trouve dans l'usine son premier emploi ; son rendement est nettement plus élevé que la moyenne générale :

100Plus de 50 % des besoins furent couverts par les ressources de la zone de ramassage dont l'exploitation fut de plus en plus intensive. Les caractères du recrutement à l'intérieur de cet espace, particulièrement étendu dans le sens Nord-Sud, ne sont pas homogènes ; ils varient en fonction de l'éloignement et en fonction des situations spécifiques, structurelles et conjoncturelles, des marchés de l'emploi et du travail locaux. Aire où l'influence de l'usine se fait sans cesse plus pressante dans tous les domaines, le Noord-Kennemerland qui s'étend vers le nord jusqu'au-delà d'Alkmaar, a révélé comme l'Ijmond mais avec une intensité moindre une main-d’œuvre nombreuse, encore jeune (47 % < 25 ans-7 % > 45 ans) et sensible aux sollicitations de l'usine sidérurgique (R₁ 1966/1968 = 31 % - R₂ (1972) = 16,2 %).

101Les zones rurales de la partie septentrionale de la Province de Noord-Holland (Kop van Noord-Holland-West Friesland) et, dans une moindre mesure les zones rurales du Sud-Ouest de la Province de NoordHolland et du Nord-Ouest de la Province de Zuid-Holland (HaarlemmermeerBollestreck-environs de Katwijck) ont participé à l'embauche par des contingents d'une main-d’œuvre plus âgée que la moyenne, ayant souvent occupé d'autres emplois surtout dans le secteur agricole et qui trouve dans l'industrie sidérurgique l'ultime moyen d'effectuer une reconversion partielle ou totale de leur activité. Relativement élevé dans les campagnes, le rendement est par opposition assez faible dans les zones urbaines, proches comme Haarlem (R 1972 = 9,4 %) et le Zaanstreek (R₂ 1972 = 5,2 %), ou plus éloignées comme Amsterdam (R₂ 1972 = 4,8 %) ou Leiden qui offrent une main-d’œuvre, dans l'ensemble assez âgée, ayant pour la plus grande part travaillé dans les industries métallurgiques.

102Les provinces de Groningue, de Frise, de Gueldre et du Limbourg représentent les meilleurs territoires de recrutement dans l'espace national en dehors des Provinces du Noord et du Zuid-Holland où se ramifie le réseau de transport de la KNHS. Ces provinces sont celles qui ont connu dans les années 1960 les problèmes économiques les plus graves et les taux de chômage les plus élevés.

103Des provinces du Nord où le secteur primaire occupe encore une part notable dans la structure économique proviennent en majorité des hommes jeunes ne trouvant pas sur place des emplois en nombre suffisant ou satisfaisants par leur nature ou leurs conditions de rémunération.

104Du Limbourg provient en général une main-d’œuvre plus âgée, cherchant à valoriser l'expérience industrielle acquise dans les activités houillères ou les branches liées, en pleine récession. Dans les régions éloignées du centre sidérurgique, le recrutement qui sous-entend un changement obligatoire de résidence et une implantation dans 1'agglomération ou dans la zone de ramassage, est d'un rendement très limité, même dans les lieux où le chômage est resté tenace malgré les investissements réalisés dans le cadre de la politique d'industrialisation régionale ; le niveau est si faible que l'entreprise préfère pour son personnel de fabrication multiplier ses campagnes de recrutement en Espagne que d'accentuer sa pression sur le marché du travail national.

105A partir de 1961 les régions sud de l'Espagne ont été peu à peu incluses dans l'aire de recrutement régulier de l'établissement KNHS d'Ijmuiden. Si les instances gouvernementales, néerlandaise et espagnole, ont fixé les règles générales régissant les mouvements de main-d’œuvre entre les deux pays et en contrôlent l'évolution, c'est la KNHS qui intervient directement dans les modalités pratiques du processus d'embauche. Les demandes fixées en fonction de la réaction du marché du travail national et discutées avec les syndicats sont transmises par l'intermédiaire des services de l'emploi local et provincial au Directeur général du Travail qui, après en avoir délibéré avec la Commission des Travailleurs Etrangers du Ministère des Affaires Sociales, en informe son correspondant et homologue à Madrid.

106Le Service d'Emigration espagnole prévient directement l'entreprise et lui donne les autorisations nécessaires pour procéder au recrutement proprement dit qui reste le fait d'une équipe spécialisée du Service du Personnel.

107Cette embauche s'effectue sous forme de contrat de travail d'une durée d'un an ou deux ; au terme de cette période initiale, l'embauche peut être transformée en embauche normale, le salarié espagnol ayant alors les mêmes droits et bénéficiant de tous les avantages des salariés néerlandais.

108La prospection est facilitée dans les provinces du sud de l'Espagne où les demandes de la KNHS sont considérées comme une donnée permanente des marchés du travail locaux.

109Les appels de l'entreprise sont d'autant plus nombreux qu'ils sont renouvelés par un taux de rotation assez élevé, mais ils sont aisément couverts grâce à la connaissance précise que peuvent avoir les candidats des conditions de travail et de vie qui les attendent aux Pays-Bas. (Cf. § Les compositions. La main-d’œuvre étrangère).

110Les autres étrangers ne sont pas recrutés d'une façon aussi systématique : en fonction de l'atténuation générale de l'émigration italienne et de la modification de la politique de la KNHS, l'embauche de travailleurs italiens n'est plus que la continuation d'un mouvement ancien qui décroît de façon régulière ; celle des travailleurs de nationalités diverses ne correspond à aucune option particulière sur le plan spatial puisqu'elle résulte d'un recrutement normal sur le marché du travail national.

111Ces aspects originaux, sectoriels et spatiaux, sont les résultats d'une évolution historique où interfèrent les transformations concernant, à la fois les exigences de l'usine et les réponses du marché du travail.

112Jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale, l'établissement dont la taille reste modeste et le rythme de croissance modéré, voit ses besoins facilement couverts par les ressources du milieu local. La prospection plus forte sur la rive Sud du Noordzeekanaal avant 1939, s'intensifie davantage sur la rive Nord mais toujours sur de courtes distances pendant et après les hostilités.

113En 1950, à l'exceptionnel développement de l'établissement vont correspondre des tensions sur le marché du travail local et une extension progressive de l'aire de recrutement d'abord à l'échelle provinciale, particulièrement dans sa partie septentrionale puis à l'échelle nationale. Les zones rurales du nord de la Province et du nord du Pays où le chômage est sans cesse nourri par l'antinomie : stagnation économique - croissance démographique et la transformation profonde de l'agriculture, vont se révéler être d'intéressants réservoirs de main-d’œuvre et la base de départ de migrations importantes. Cependant, de façon progressive, alors que les besoins s'accroissent, les mouvements de population diminuent d'intensité. La politique d'industrialisation du gouvernement néerlandais qui s'applique de plus en plus aux zones critiques ou en difficulté, tend à mobiliser sur place les forces de travail qui vont peu à peu se détourner des emplois sidérurgiques. Ceux-ci, outre leur spécificité souvent peu attirante, impliquent un déplacement vers l'Ijmond qui, inclus dans l'ouest industrialisé et urbanisé, se voit dans une certaine mesure discrédité comme milieu d'activité et de vie.

114Avec les années soixante apparaissent alors des difficultés de recrutement toujours plus sensibles ; la croissance économique et le développement de la formation générale et technique détourne la main-d’œuvre néerlandaise des secteurs de production industrielle, particulièrement dans les branches où les conditions de travail sont pénibles, au profit des activités moins contraignantes et surtout des fonctions dans le secteur tertiaire.

115Pour le personnel de fabrication, le recours à l'immigration étrangère va s'avérer indispensable. Après quelques années d'hésitation, l'appel se précise, s'accentue et inclut dans l'aire de recrutement de l'usine néerlandaise le sud de l'Espagne. Cette région, située à près de 2.000 kilomètres du centre d'emploi, représente avec l'agglomération et la zone de ramassage l'espace où peuvent être recrutés dans les meilleures conditions de rendement les hommes qui doivent assurer les tâches de production.

116Croissant jusqu'en 1974, le recours à la main-d’œuvre étrangère s'infléchit notablement dès le début de la crise. En 1975 le recrutement direct à l'étranger est complètement arrêté. Mais les besoins en travailleurs étrangers étant devenus structurels au niveau de la fabrication, ce blocage total ne devrait pas se prolonger.

CONCLUSION

117Les besoins en main-d’œuvre des centres sidérurgiques étudiés se sont caractérisés jusqu'à la crise par leur grande importance ; celle-ci étant liée à la taille des établissements qui implique des embauches nombreuses pour le renouvellement des effectifs même si le turnover est faible en général et à leur rythme de croissance qui s'est avéré très rapide dans tous les cas où l'établissement littoral a concentré l'essentiel des investissements de groupes industriels et financiers en expansion. Cette importance a été génératrice de déséquilibres quantitatifs et qualitatifs d'autant plus graves que sur le plan local le marché du travail était tendu et le marché de 1'emploi diversifié. Les difficultés ont été proportionnelles à la taille, au rythme de croissance et au niveau de concurrence sur les marchés du travail et de l'emploi.

118Pour résoudre les problèmes qui en résultèrent les services du personnel furent amenés à élargir progressivement l'aire de recrutement des usines, puis à les organiser de façon toujours plus rigoureuse. Des dimensions plus ou moins restreintes de 1'agglomération, on passe ainsi à celles de l'aire d'extension maximale des migrations alternantes quotidiennes qui peut être drainée par un réseau de transport dont on accroît l'intensité, puis à celles du cadre national qui entraînent un nécessaire changement de résidence et posent alors des problèmes d'intégration.

119L'appel à la main-d’œuvre étrangère, qui accentue et complique encore l'insertion régionale de l'établissement, n'est opéré systématiquement qu'en dernier recours.

120Complément indispensable celui-ci est apparu également comme un volant de sécurité permettant d'atténuer quelque peu les méfaits du retournement de la conjoncture. Le recours systématique décidé, l'entreprise a rétracté sa pression dans le cadre national sur une aire plus restreinte, l'aire de résidence de son personnel. Cette zone qui se développe entre l'échelle locale et l'échelle nationale est la zone d'influence privilégiée de l'établissement, quelles que soient son ancienneté et sa taille, mais c'est une zone que chaque établissement structure de façon particulière en fonction des politiques suivies en matière de logement, de transport et d'insertion régionale.