1Dans les centres sidérurgiques littoraux, le travail humain revêt certains caractères généraux que l'on retrouve dans toutes les grandes usines situées dans un cadre économique identique et à un niveau de développement technique comparable. Ces aspects communs résultent d'une part de l'application des mêmes principes fondamentaux de l'économie industrielle, surtout de la même recherche constante d'une meilleure productivité de l'homme et de la machine et d'autre part de la mise en œuvre d'accords très proches passés entre partenaires sociaux concernant la réglementation et l'organisation du travail. Cette similitude des caractères généraux du travail industriel est d'autant plus évidente qu'on les étudie dans des catégories d'établissements homogènes par leurs caractéristiques sectorielles ou spatiales. En Europe Occidentale par exemple, les législations du travail à l'échelle nationale, les conventions collectives à l'échelle locale ou régionale fixent des conditions générales très semblables dans les établissements d'une même branche d'activité ou du même ensemble spatial.

2Ces caractères généraux peuvent influencer dans une certaine mesure l'attitude de la main d'œuvre vis à vis du travail industriel au niveau de l'activité dans son ensemble mais ils n'interviennent pas ou peu dans la définition de la personnalité humaine d'une usine donnée ni dans l'influence que celle-ci exerce dans son environnement par l'intermédiaire de sa main-d’œuvre, puisqu'ils n'en déterminent ni les structures ni les comportements. Cette influence est le fait des caractéristiques spécifiques du travail dans l'unité étudiée : ceux-ci tiennent d'une part à la nature des activités exercées, à l'équipement et aux techniques utilisées et d'autre part dépendent de la politique sociale de l'entreprise et de l'état des relations industrielles internes à l'établissement.

3Dans une recherche sur la signification de l'activité industrielle au niveau de l'unité élémentaire, l'étude doit porter principalement sur les caractères spécifiques du travail dans l'usine donnée puisque ce sont eux qui fondamentalement façonnent les modes d'existence de la main-d’œuvre à l'intérieur et à l'extérieur du lieu de travail.

I- LES CONDITIONS DE TRAVAIL

4La description et l'appréciation d'ensemble des conditions de travail dans les usines littorales sont délicates en raison de la très grande diversité des activités humaines qui s'y exercent. La variété des tâches est un fait général, commun à toutes les usines sidérurgiques intégrées où le processus de fabrication est par définition long et complexe, de la préparation des charges au parachèvement des tôles. Cette multiplicité est encore renforcée dans les usines littorales par l'influence de deux facteurs, distincts par leur nature mais convergents dans leurs effets. Le premier tient aux caractères particuliers de l'organisation de ces usines qui entraînent un développement exceptionnel des secteurs de production, des services techniques et des services administratifs. La chaîne technique est non seulement complète dans la plupart des cas, mais elle peut être composite par associations d'activités liées à la première transformation du produit principal (exemple : une tuberie), à la fabrication de produits sidérurgiques autres que le produit principal (produits longs, barres ou fils), à la transformation des sous-produits (engrais, ciment) ; l'intégration des services d'entretien et de maintenance et des services auxiliaires est en général fort poussée ; les services d'administration associent souvent les services de direction d'un groupe d'usines voire de l'entreprise à ceux de l'établissement. Le second facteur tient à la nouveauté des techniques et au modernisme des équipements, qui à tous les stades de la fabrication et dans tous les services sans exception ont certes parfois supprimé quelques tâches, pas toujours subalternes d'ailleurs, mais ont souvent multiplié les créations et les modifications de postes et de fonctions.

5Cette variété des activités humaines peut être suggérée par la répartition du personnel entre services et par catégories de qualification, par exemple dans l'usine où l'organisation est la plus simple : Usinor-Dunkerque (Tableau N^o 90 elle peut être davantage encore appréhendée par l'évocation du nombre d'analyses de postes et de fonctions qui ont été réalisées dans cet établissement après sa création. Dans les usines les plus récentes, comme celle de Sidmar-Gand ou celle d'Usinor-Dunkerque qui dès leur mise en marche ont adopté de façon globale une organisation, des modes de fabrication, des équipements presque tous entièrement nouveaux, l'innovation a été telle sur le plan technique qu'elle dut être répercutée sur le plan humain. Il fut décidé pour faciliter le recrutement, pour mieux adapter les aptitudes de chaque individu aux exigences de chaque activité, pour fonder le système de rémunération sur des bases plus objectives que dans les systèmes précédents, de procéder à une étude scientifique des postes de travail pour les ouvriers horaires ou mensualisés et des fonctions pour les appointés et les mensuels. Basée sur le principe de la "job évaluation", l'étude consiste à analyser chaque activité en utilisant un certain nombre de critères permettant l'élaboration d'une grille de notation et ainsi l'évaluation de chaque activité. Pour chaque poste par exemple, on procède à une description de l'activité, du matériel utilisé, des matières travaillées, des exigences de sécurité, de l'horaire de travail et des nuisances, puis à une évaluation par la cotation séparée de douze critères principaux qui sont les suivants : formation de base, formation professionnelle et expérience, capacités mentales, effort mental, capacités physiques, effort physique, responsabilité matières, responsabilité équipement, responsabilité production, responsabilité sécurité, environnement, risques. Pour chaque fonction la description et l'évaluation sont effectuées de façon identique en utilisant les critères appropriés. Le regroupement et le classement des postes et des fonctions sont opérés ensuite par une commission associant les spécialistes de l'étude, analystes et ingénieurs de la CORT (Compagnie d'organisation du travail), des chefs de services, des syndicalistes et des membres désignés par le Comité d'établissement.

6Dans les usines nouvelles et en développement où des équipements neufs sont constamment adjoints au potentiel existant, des postes et des fonctions apparaissent, disparaissent ou se transforment nécessitant de constantes révisions. A Usinor-Dunkerque, premières analyses et révisions ont concerné plus de 900 fonctions et plus de 1000 postes de travail différents de 1963 à 1973.

7À cette diversité des tâches correspond une très grande variété des conditions de travail qui rend difficile l'exposition et impossible toute généralisation. Cependant quelques caractères fondamentaux doivent être évoqués, concernant essentiellement le personnel de fabrication et des services techniques, c'est-à-dire le personnel dont l'activité s'exerce dans les ateliers, sur les aires de stockage ou les zones de manutention des matières et des produits, sur les réseaux et les engins de transport. Dans les centres sidérurgiques modernes, d'incontestables progrès ont été réalisés au niveau des machines et des grands équipements où les protections individuelles ont été multipliées et améliorées, au niveau des ateliers dont les installations d'éclairage, de dépoussiérage, de ventilation, etc... ont été perfectionnées, au niveau de l'usine enfin dont l'organisation a été rendue plus cohérente1. Dans une usine comme celle de la KNHS à Ijmuiden où sont juxtaposées plusieurs générations de progrès dans l'activité sidérurgique, il n'y a plus de commune mesure entre la partie ancienne de l'établissement où sont enchevêtrés les équipements traditionnels d'un archaïsme qui surprend malgré leur très relative vieillesse et les parties récentes de l'usine où se développe rationnellement une nouvelle chaîne de production dont chaque unité est non seulement un record technique mais aussi une étape marquante dans l'amélioration des conditions de travail. Malgré tout, l'environnement du travail sidérurgique reste exceptionnel : la hauteur des halles, la taille des équipements, l'ampleur et la rapidité des déplacements de masses énormes, le niveau des bruits, l'importance des émissions de poussières, de gaz, de fumées ou de vapeur, des projections de matières incandescentes entraînent la permanence d'une ambiance de travail qui exige des hommes une résistance particulière.

8Les centres sidérurgiques récents offrent certes davantage d'emplois qualifiés que les vieilles usines, mais les ingénieurs, les techniciens, les ouvriers qualifiés qu'ils soient tuyauteurs, chaudronniers, électriciens, mécaniciens ou électroniciens continueront à y trouver dans les opérations de fabrication ou d'entretien un climat de travail beaucoup plus éprouvant que dans la majorité des autres activités industrielles. Les perfectionnements techniques particulièrement l'automation, la multiplication des régulateurs pneumatiques et surtout électroniques soulagent la dépense physique mais entraînent davantage de fatigue dans la conduite et le contrôle des opérations. Il n'en reste pas moins que le plus grave problème n'est pas comme dans la plupart des activités industrielles celui de la parcellisation des tâches et celui des cadences de travail, mais celui de la sécurité. Le travail est le plus souvent intermittent et cyclique, il est rarement répétitif à rythme court, mais il est encore dur et dangereux que l'ouvrier soit : OS-accrocheur de wagons, premier fondeur au haut fourneau ou écriqueur.

II- LES QUESTIONS DE SECURITE

9La production sidérurgique exige fondamentalement des déplacements continus et sous des formes variées de quantités considérables de matières diverses, solides, liquides et gazeuses, parfois de poids exceptionnel, à températures élevées, sous de fortes pressions ; elle entraîne de nombreuses émissions et projections dangereuses, elle requiert malgré le perfectionnement des techniques une intervention humaine importante : elle détermine ainsi par ses caractères propres, et ce malgré les efforts faits en matière de prévention sur les équipements et auprès des hommes et quels que soient les progrès réalisés, des conditions propices aux accidents.

10En France, durant l'année 1970, 12,8 % des ouvriers de la sidérurgie ont été victimes d'un accident du travail2 contre 2,7 % dans la confection, 12,1 % dans la métallurgie, 17,5 % dans le bâtiment et les travaux publics. La même année cette proportion s'élevait dans l'industrie sidérurgique des différents pays de la CECA à 7,5 % aux Pays-Bas, 18,3 % en Belgique, 19,0 % au Luxembourg, 20,0 % en Allemagne et 21,5 % en Italie. Pour l'ensemble des salariés, le taux de fréquence3 des accidents du travail dans la sidérurgie a été en 1972 de :

• 44 aux Pays-Bas
• 71 en Belgique
• 75 en France
• 79 au Luxembourg
• 108 en Allemagne
• 150 en Italie

11Par rapport à ces moyennes nationales, les conditions de sécurité sont meilleures dans tous les centres littoraux : à l'usine SIDMAR par exemple, la proportion d'ouvriers victimes d'un accident du travail fut en 1970 de 9,4 % et le taux de fréquence en 1972 de 39. La comparaison dans le cadre d'un même groupe industriel permet d'aboutir à des conclusions identiques (Tableau n^o 91).

12Cependant malgré le modernisme des établissements et surtout malgré l'automatisation de plus en plus poussée, malgré les campagnes d'information et les actions menées par les comités d'hygiène et de sécurité, les accidents restent nombreux et graves dans les usines récentes4. Concernant les conditions de sécurité, l'usine SIDMAR à Gand occupe une situation médiane parmi les centres littoraux étudiés. Les améliorations depuis la mise en marche des équipements ont été sinon constantes, à cause de la particularité du phénomène, du moins très importantes dans l'ensemble (Tableau n^o 92).

13Malgré tout, en 1973 sur 4740 ouvriers que comptait alors l'usine, 1560 avaient eu 1 accident du travail

14La même année, trois accidents avaient entraîné la mort, quatorze une invalidité d'un taux supérieur à 10 %. À l'intérieur de l'usine les variations sont très grandes entre les secteurs et les services. Au niveau de la fabrication, la fréquence est très élevée et les progrès peu spectaculaires dans les activités primaires ; les résultats sont plus satisfaisants dans les secteurs de laminage, les services de transport et d'entretien dont les taux finissent par être inférieurs à la moyenne de l'établissement.

15La différence que l'on peut enregistrer entre les usines littorales résulte avant tout de cet état de fait, c'est-à-dire de l'importance respective des personnels employés dans le3 secteurs de fabrication par rapport aux services, dans les activités primaires par rapport aux activités terminales, dans les services techniques par rapport aux services administratifs. L'usine d'Ijmuiden qui est à cet égard la plus complète et la plus équilibrée est aussi l'usine où la sécurité est la plus grande. La proportion de salariés victimes d'accidents du travail tend à décroître sensiblement en relation avec l'augmentation, la diversification et la modernisation du potentiel productif : 1950 : 13,8 % - 1955 : 8,0 % - 1960 : 6,4 % - 1965 : 6,8 % - 1970 : 4,4 % - 1975 : 3,3 %. L'évolution a été contraire dans l'établissement d'USINOR-DUNKERQUE : le taux de fréquence des accidents qui était de 32,1 en 1969 est passé à 34,5 en 1970, 38,0 en 1971, 40,6 en 1972, 51,8 en 1973, 56,9 en 1975, en corrélation avec le renforcement accéléré des secteurs de fabrication, particulièrement dans les activités primaires. L'emploi d'une part croissante de main-d’œuvre nouvellement embauchée, le recrutement d'une main-d’œuvre très jeune et moins rigoureusement sélectionnée, l'extension rapide du système horaire à feux continus ont été des facteurs actifs mais complémentaires de détérioration d'une situation originellement satisfaisante par comparaison aux usines sidérurgiques du même type. Le ralentissement du rythme de croissance de la production et l'affaiblissement du recrutement limité principalement aux nécessités du remplacement devraient permettre une amélioration de la sécurité et le retour à des taux de fréquence et de gravité qui quelques années auparavant classaient l'usine dunkerquoise parmi les plus sûres de la sidérurgie européenne. En 1976, son taux de fréquence était revenu à 42,7.

16Quoi qu'il en soit, les efforts dans ce domaine ne seront jamais suffisants et le travail dans les usines sidérurgiques, principalement au niveau des activités primaires restera un travail dangereux. Dans l'usine néerlandaise, exceptionnelle par ses résultats favorables, on a enregistré, en 1968, 6.114 accidents dont 1.014 ont entraîné un arrêt de travail, parmi eux 229 accidents dont 27 graves étaient des accidents de circulation à l'intérieur de l'usine. Si cette même année aucun mort n'était à déplorer, en 1970 les accidents mortels étaient au nombre de 7. En 1974 un accident mortel au dernier haut-fourneau d'USINOR-DUNKERQUE, l'un des plus modernes et des plus puissants du monde devait entraîner une longue grève des fondeurs, un conflit social très grave à l'intérieur de l'établissement et avoir des répercussions à l'échelle nationale.

17A l'intérieur des ateliers voire des usines, des manifestations de cette nature ne sont pas rares ; elles montrent la sensibilité des hommes à la gravité du problème. Celui-ci caractérise le travail dans la sidérurgie même dans ses formes les plus neuves, il intervient dans l'appréciation que les travailleurs formulent à l'égard de leur usine ; il peut influencer leur comportement tout comme il peut infléchir la décision des personnes à qui sont faites des propositions d'embauche.

III- LES REGIMES HORAIRES DE TRAVAIL

18Les régimes horaires comptent parmi les conditions de travail particulières significatives qu'impose l'activité dans les centres sidérurgiques littoraux. A l'intérieur de chaque usine ces régimes horaires sont de types variés et chacun de ces types peut être à son tour nuancé par des modalités propres aux différents services et secteurs de fabrication. Les distinctions les plus importantes sont à faire d'une part entre le "travail de jour" et le "travail par postes" et d'autre part, dans cette dernière catégorie, entre le travail semicontinu à deux ou trois équipes et le travail dit à "feux continus". Le tableau "modèles de régimes horaires" montre des schémas théoriques d'organisation que l'on retrouve dans chaque usine sidérurgique, amendés de façon variable en fonction des conventions collectives, des accords d'entreprise ou d'établissement et aussi des habitudes nationales. Les contraintes se renforcent du "travail de jour" où l'horaire quotidien est placé de façon régulière dans la journée, où l'horaire hebdomadaire est réparti de façon constante en cinq jours et demi et où sont laissés libres les dimanches et les jours fériés au "travail à feux continus" qui impose l'alternance du travail du matin, de 1'après midi et de la nuit sans interruption les dimanches et les jours fériés.

19Dans les centres sidérurgiques littoraux, comme dans toutes les usines à cycle intégral, le haut-fourneau, qui ne saurait être éteint durant sa campagne de production, impose le fonctionnement continu des secteurs amont et des secteurs aval qui lui sont directement liés, de la préparation des charges à la fin du cycle de l'aciérie. Dans ces établissements comme dans toutes les usines modernes où le potentiel de production est à haute technicité et à grande capacité, les soucis de rentabilité maximale généralisent le fonctionnement continu de presque tous les secteurs de production et de la plus grande part des services, surtout des services techniques. Ainsi le régime du travail par postes est plus important que le régime de jour : en 1972, il concernait 55,3 % de l'effectif de l'usine d'Ijmuiden et 68,2 % de celui d'Usinor-Dunkerque ; le régime à feux continus est, dans le régime par postes, le système le plus représenté : en 1972, dans les mêmes usines, la répartition s'effectuait comme suit :

20Le régime horaire à feux continus intéresse un pourcentage de l'effectif d'autant plus considérable que sont plus importants les secteurs de production par rapport aux services, les services techniques par rapport aux services administratifs, les activités sidérurgiques par rapport aux activités annexes.

21Il découle de ces relations que la part de l'effectif travaillant sous le régime des feux continus est beaucoup plus forte pour les ouvriers que pour les employés, pour les employés occupant des fonctions subalternes que pour le personnel se trouvant à un niveau plus élevé.

22Dans toutes les usines, durant la période de croissance, la tendance a été à la stabilisation du régime de jour et au renforcement du régime à feux continus (Tableau n^o 97).

23Cette augmentation s'explique alors par le développement régulier de l'appareil de production, par l'amélioration consécutive sur le plan de la productivité du rapport entre personnel de fabrication et personnel des services, par l'atténuation progressive des déséquilibres existant entre les capacités des différents équipements.

24La diminution de la production et le faible taux d'utilisation des capacités dus à la crise ont ralenti l'évolution générale et l'ont parfois même inversée momentanément. Cependant quelles que soient les conditions, une part importante du personnel des usines littorales est touchée par les exigences du régime horaire des feux continus. Ces contraintes ne concernent pas seulement l'homme au travail mais également l'homme dans son existence quotidienne hors de l'établissement industriel : elles lui imposent ainsi qu'à sa famille un rythme et un mode de vie très particuliers. Ces contraintes forment en elles-mêmes un des éléments déterminants de la dureté particulière du travail sidérurgique et constituent en outre un facteur qui renforce les autres aspects négatifs de ce travail. Pour les atténuer, des compensations sont accordées, avec un certain décalage entre les différentes usines selon l'évolution des conventions collectives ou des accords d'entreprise ou d'établissement, sous forme de paiement de primes spéciales, de réduction de la durée hebdomadaire du travail, d'octroi de jours de congé supplémentaires. Cependant le régime horaire à feux continus reste une cause importante de refus du travail sidérurgique au recrutement et une cause non moins significative d'inadaptation à ce travail après l'embauche.

IV- LES REMUNERATIONS

Caractères généraux

25Quels que soient les critères utilisés pour caractériser les rémunérations du personnel des centres sidérurgiques, critères de recettes pour les salariés (salaire moyen ou gain brut moyen), critère de dépense pour les entreprises (coût salarial et coût social), le niveau de rémunération est dans les usines sidérurgiques littorales plus élevé que dans les usines traditionnelles intérieures et de façon générale plus élevé que le niveau moyen de rémunération dans les établissements industriels de l'agglomération et de la région où le centre sidérurgique est implanté.

26Cette appréciation doit être nuancée sur le plan de 1'activité et sur le plan local. Dans la même entreprise, le salaire moyen de l'ensemble des ouvriers ou de certaines catégories de qualification professionnelle peut être supérieur dans une usine intérieure à ce qu'il est dans une usine côtière. C'est le cas, dans le groupe Klöckner, de 1'usine d'Osnabrück : placée dans une région où pourtant le niveau général des salaires est plus bas que dans l'agglomération de Brême, l'usine emploie une main-d’œuvre plus qualifiée du fait de son orientation vers une production d'une gamme plus diversifiée et d'une qualité plus élaborée ; les besoins sont tels dans ce domaine que la concurrence a déterminé, à qualification égale, une base horaire de rémunération plus élevée pour certaines catégories d'ouvriers que dans l'usine brêmoise. Il en est de même dans le groupe Usinor : placée en région parisienne, l'usine de Montataire, spécialisée dans le laminage à froid, offre un salaire moyen plus élevé à cause de la composition par qualification de son effectif et surtout à cause d'une échelle établie en fonction de la proximité de Paris et qui se trouve nettement décalée vers le haut par rapport à la région du Nord. Il en est de même sur le plan local, de façon générale ou au niveau de chaque qualification, le niveau moyen des salaires est plus élevé dans les raffineries de pétrole, BP à Dunkerque, Texaco à Gand, Mobil à Brême, que dans les centres sidérurgiques Usinor, Sidmar et Klöckner. Les centres sidérurgiques littoraux ne bouleversent dans aucun cas la hiérarchie des salaires enregistrés traditionnellement entre les différentes branches d'activité industrielle.

27Dans les situations de domination et en période de forte embauche, la pression exercée sur le marché du travail peut entraîner une surenchère, principalement pour certaines qualifications, qui peut se révéler préjudiciable aux établissements traditionnels manquant de possibilités de résistance (Cf. infra § Influence sur la transformation des conditions économiques générales).

28En outre, si le niveau moyen des salaires dans les usines littorales est toujours supérieur à celui de la branche à l'échelle nationale et à celui du secteur d'activité à l'échelle locale et régionale, l'écart est rarement important. Le niveau des salaires n'est jamais fixé en fonction des progrès techniques ou de l'efficacité économique au stade de l'établissement, mais par l'application d'un système complexe de références locales, régionales, nationales, voire internationales. Même si la productivité humaine dans l'usine de Dunkerque est sans commune mesure avec celle obtenue dans les usines anciennes, le niveau et l'évolution des salaires de cette usine dépendent avant tout des conventions collectives signées à l'échelle nationale dans le cadre de l'Union des Industries Métallurgiques et Minières et de la Chambre Syndicale de la Sidérurgie Française, même si des avenants sont ensuite apportés à l'échelle régionale dans le cadre de la Chambre Syndicale de la Sidérurgie du Nord de la France, puis dans le cadre des Conventions Collectives d'entreprise et d'établissement. Cette procédure, appliquée par la direction de l'entreprise, présente pour elle l'intérêt d'éviter des déséquilibres que les syndicats exploitent pour tenter, de proche en proche, de faire augmenter les salaires dans toutes les usines de la Société. Cette volonté d'uniformisation est sensible dans l'agglomération où les responsables d'établissement se concertent pour éviter des écarts trop importants, générateurs de revendications et de conflits. Il en est de même pour l'usine de Brême qui est placée dans une organisation d'entreprise comparable. La situation est différente dans les cas néerlandais et belge. Jusqu'à la création d'ESTEL l'entreprise occupant sur le plan sectoriel et sur le plan spatial une position de domination quasi exclusive, la KNHS a mené une politique salariale très indépendante, originale et par la structure et par le niveau de rémunération. (Cf. Infra - Aspects spécifiques).

29La fusion avec la Société Hoesch A.G. entraîne la création d'un comité d'harmonisation avec l'entreprise allemande et place ainsi l'établissement néerlandais dans un système comparable à celui des groupes allemand et français. Cette situation nouvelle n'a pas manqué d'avoir des conséquences graves sur le plan des relations industrielles internes ; même si la seule grève importante qu'ait connu l'usine ne fut pas directement déterminée par un problème résultant de la fusion, la crainte des ouvriers, sinon de perdre les avantages acquis du moins de ne plus en acquérir de nouveaux à un rythme comparable, a sans doute joué un rôle important dans le renforcement de l'intensité du mouvement social (Cf. § Les comportements internes - Les conflits).

30Flamande par sa situation géographique, par l'origine de la majorité de ses ouvriers et par ses organisations syndicales, l'usine SIDMAR a été placée par l'entreprise en dehors des conventions collectives de la Sidérurgie wallonne. Les accords salariaux sont passés entre direction et syndicats dans le cadre de l'entreprise, donc de l'établissement. Cependant, malgré cette indépendance théorique, l'évolution des salaires des sidérurgistes gantois est dans la réalité parallèle à celle que connaît l'ensemble des sidérurgistes belges, les partenaires sociaux étant soucieux, soit de maintenir, soit de ne pas dépasser selon le cas l'écart initial existant entre sidérurgie flamande et sidérurgie wallonne.

31En matière de rémunération, il est difficile de confronter les différentes usines sidérurgiques littorales de manière plus approfondie et plus nuancée ainsi que de les comparer à d'autres établissements sur leur lieu d'implantation : les sources d'information sont insuffisantes. S'il est en général possible de connaître le salaire moyen ou le coût salarial total moyen de la catégorie "ouvrier horaire", être renseigné précisément sur la grille des salaires selon la qualification et les postes, et surtout sur les appointements des mensuels, qu'ils soient ouvriers, employés, techniciens et, à plus forte raison, agents de maîtrise et cadres, s'avère souvent impossible. Les sources donnent rarement des informations à l'échelle de l'entreprise, encore moins au stade de l'établissement. À ce niveau et dans ce domaine, les renseignements obtenus par l'intermédiaire des services de la main-d’œuvre et des syndicats ne permettent pas d'établir des séries significatives.

32En outre et particulièrement dans la sidérurgie, le salaire n'est qu'un élément de la rémunération ; pour appréhender le gain mensuel il faut ajouter les majorations et primes qu'entraînent les particularités du travail sidérurgique, comme les régimes horaires et les conditions de travail (Cf. Infra - Les modalités de rémunération). De grandes disparités existent entre les usines en fonction des législations sociales qui restent distinctes même à l'intérieur de la CECA ; par exemple : les situations relatives à la durée hebdomadaire du travail, au régime des heures supplémentaires et des congés payés et à tous les autres aspects de la réglementation du travail. Ces disparités existent même à l'intérieur de chaque usine, compte tenu des modalités de rémunération du personnel.

Les modalités de rémunération

33Dans les centres de Dunkerque, de Gand et de Brême, le système de rémunération traditionnel de la sidérurgie a été dans l'ensemble conservé. Une nette distinction existe entre le personnel mensuel et le personnel horaire ou mensualisé. Le salaire de l'ouvrier est directement déterminé par le poste qu'il occupe : à la grille des postes correspond linéairement une grille salariale et à la cotation de poste correspond ainsi une cotation de salaire. A USINOR-Dunkerque par exemple, 30 classes ou échelons de salaires horaires ont été distingués. Au salaire de base doivent être ajoutées, d'une part les majorations relatives au régime horaire de travail, particulièrement pour le travail continu : primes de feux continus, primes de durée hebdomadaire exceptionnelle, prime spéciale de travail du dimanche et des jours fériés ; d'autre part les majorations conventionnelles pour heures supplémentaires et exceptionnelles, les primes de sécurité et primes diverses (par exemple la prime de départ en vacances, l'allocation de résidence, la prime spéciale pour certains postes particulièrement durs) et enfin, les indemnités considérées ici comme un remboursement de frais professionnels, par exemple : l'indemnité de panier. En 1969, à USINOR-DUNKERQUE, le salaire horaire fixe moyen des ouvriers était de 4,725 Frs, le gain horaire moyen incluant majorations, primes et indemnités s'élevait à 6,308 Frs, soit 33,50 % de plus que le salaire moyen. Il n'existe pas, dans les usines nouvelles, de prime de rendement individuel, mais une prime collective de fin d'année, appelée : prime d'objectif ou prime de bonne marche. A USINOR-DUNKERQUE, l'intégration de cette prime rendait le gain moyen total de l'ouvrier supérieur d'environ 37 à 38 % du salaire fixe moyen. La rémunération du personnel mensuel, des employés, techniciens, agents de maîtrise et cadres, dépend non seulement de la cotation de la fonction mais aussi des qualités personnelles de l'individu. Pour chaque catégorie de personnel barèmisé, établie en rapport avec la fonction et la qualification, est fixée une fourchette de salaire dans laquelle est "située" la personne intéressée en fonction de l'appréciation de ses qualités propres. Cette personnalisation du salaire est encore accentuée par le paiement d'une prime d'ancienneté que viennent compléter, comme pour les ouvriers, les majorations, primes et indemnités. La personnalisation du salaire est de plus en plus réclamée par les ouvriers des centres sidérurgiques littoraux et il semble que cette harmonisation des structures de rémunération doive peu à peu se réaliser.

34Certaines catégories d'ouvriers qualifiés ont obtenu à Dunkerque et à Gand un tel statut qui permet de faire jouer les lois de la concurrence, de la qualité individuelle et de la rareté, mais qui remet en question un principe traditionnel de la lutte syndicale : "À travail égal, salaire égal".

35La fusion des statuts a été réalisée dès 1966 dans l'usine d'Ijmuiden. Toute distinction entre horaires et mensuels étant abolie, les salaires ont été répartis selon les fonctions en vingt groupes de fonctions qui sont autant de groupes de salaires ; chacun de ces groupes de salaires est divisé en classes selon les années d'ancienneté dans le groupe de fonctions. Les classes d'ancienneté sont d'autant plus nombreuses que le groupe de fonctions est situé plus haut dans la hiérarchie. L'appréciation des qualités personnelles entre en ligne de compte dans le rythme d'avancement de chaque individu à l'intérieur de son groupe de fonction. Au salaire viennent ensuite s'ajouter comme dans les autres usines les majorations, primes, indemnités, prenant en compte la spécificité des horaires et des conditions de travail.

36La précocité de la mise en œuvre d'une structure unique et de la personnalisation du salaire a placé l'usine néerlandaise, en matière de rémunération, en situation avancée dans l'ensemble de la sidérurgie européenne. Cette particularité apparaît également en ce qui concerne les rémunérations. La sidérurgie néerlandaise, essentiellement constituée par la KNHS, se caractérise dans la CECA par le coût salarial total par ouvrier le plus élevé5 : en 1972, l'écart était avec la Belgique de 4,9 %, l'Allemagne de 5,5 %, le Luxembourg de 6,6 %, l'Italie de 21,5 %, la France de 43,3 %6. (Les comparaisons suivantes sont significatives, même si, par précaution, à cause des disparités inéluctables dans la nature et l'échelle des données, on ne retient que la valeur relative et non absolue du phénomène).

37En 1971, le coût salarial total par travailleur à la KNHS était supérieur de 22,2 % à la moyenne nationale.

38En 1972, ce coût se décomposait ainsi :7

39Le coût social par salarié s'élevait ainsi à 23837 Florins. Cette même année 1972, le personnel de l'établissement se répartissait comme suit en fonction du gain brut (salaires, majorations et primes, participation) :

40A la variété des tâches et des qualifications, à celle des horaires et des conditions de travail, de sécurité et d'environnement, s'ajoute la diversité des gains. Dans l'usine hollandaise où l'échelle des rémunérations est, comme dans l'ensemble de l'industrie aux Pays-Bas, relativement resserrée par comparaison avec ce que l'on peut enregistrer dans les autres pays de la Communauté Européenne, les catégories extrêmes de gain brut s'établissent dans le rapport de 1 à 5. Cette disparité des gains est une donnée de base caractéristique des centres sidérurgiques, particulièrement des usines littorales les plus complètes.

41Ce fait important sur le plan social a de nombreuses conséquences sur l'influence qu'exerce l'usine sur les structures sociales, économiques et spatiales de la zone de domination. A Ijmuiden, il fut à l'origine du seul mouvement de grève marquant qu'ait connu l'usine depuis 1945 : le conflit parut d'autant plus exceptionnel que l'entreprise comptait parmi les entreprises néerlandaises ayant une politique sociale très avancée. En fait, dans l'ensemble des usines, le problème des salaires apparaît très rarement comme facteur direct et déterminant de conflit de grande ampleur (Cf. § Les comportements internes - Les relations industrielles) ou comme raison significative de départ des salariés (Cf. § Les comportements externes). Ceux-ci sont davantage sensibles aux conditions de travail, à la nature des tâches, à l'environnement des postes, à la sécurité, à la durée et aux horaires de travail qu'aux conditions de rémunération. Mais faute de pouvoir améliorer les premières de façon décisive, la solution aux difficultés sociales est recherché dans l'amélioration des secondes. Cette ambiguïté n'est pas toujours levée dans les propositions qui sont faites en réponse aux cahiers de revendications présentés par les délégués et représentants du personnel dans les comités et commissions prévus par les conventions collectives. En fait, c'est souvent au sein d'un service, d'un secteur de fabrication, d'un atelier qui, dans ces vastes usines, sont dotés d'une individualité spatiale, d'un environnement particulier, d'une personnalité et d'une organisation que se définissent les comportements individuels et collectifs. Il s'en suit des conflits exprimés en termes de rémunération, mais qui souvent sont limités à une catégorie de personnel dans un seul service. Généralement ces conflits sont assez vite résolus, mais il peut arriver, compte tenu de la très forte interdépendance des activités, qu'ils entraînent, par l'arrêt de proche en proche des ateliers ou par la mise en chômage technique, des grèves plus spectaculaires.

V- PROMOTION ET FORMATION

42Si le problème des promotions, promotions de poste ou de salaire ne se reflète pas dans les structures de la main-d’œuvre, il influence au même titre que le niveau de la rémunération, la décision de l'individu au moment de son recrutement et son comportement après l'embauche. Cette question s'est posée en termes particuliers dans les usines littorales, non seulement à cause de l'activité sidérurgique, mais surtout à cause de leur nouveauté et de leur rythme de développement. Le nombre, la diversité et la spécificité des tâches sont des éléments favorables à la création d'opportunités de promotion qui ont été multipliées dans le cas d'usines en croissance rapide. Cette possibilité d'ascension dans la hiérarchie de la responsabilité et de la rémunération, davantage sensible pour le personnel ouvrier jusqu'au stade d'agent de maîtrise que pour le personnel employé en deçà du grade d'ingénieur a caractérisé tous les centres sidérurgiques littoraux durant la période étudiée.

43Cependant, le phénomène y a revêtu une intensité variable en fonction de quatre principaux facteurs différents : l'ancienneté de l'usine, la rapidité de sa croissance, l'efficacité du recrutement et la politique de l'entreprise.

44En ce qui concerne l'usine Klöckner, son âge et son faible développement durant les années soixante n'ont pas permis d'accorder au personnel, quelle que soit sa qualification, de nombreuses possibilités en matière de promotion de poste ou de fonction. Ce fut là une raison supplémentaire d'augmentation de la mobilité à tous les niveaux. Pour atténuer les effets de cette situation à double titre peu satisfaisante, la direction de l'établissement devait favoriser le recrutement d'hommes plus âgés et dont les exigences sont aussi moins grandes (Cf. § Composition par âges - Comportement externe).

45La réalisation, dans les années soixante-dix, d'importants équipements dans tous les secteurs de fabrication et leur répercussion sur tous les services devait faire disparaître les blocages en rendant plus facile la progression des ouvriers et des employés. Cette ouverture a été permanente dans l'usine hollandaise dont la croissance fut remarquable de régularité à partir de 1945.

46L'augmentation continue du potentiel de production permit, tout en reclassant le personnel menacé par la fermeture de certaines installations vétustes comme l'aciérie Siemens-Martin ou par la réorganisation des services administratifs, consécutive à la fusion avec la Société HOESCH A.G., de donner satisfaction aux exigences de l'effectif en place, sans pour autant ralentir l'appel de personnel qualifié à tous les niveaux sur le marché du travail régional et national. L'abolition de la distinction ouvrier/employé, l'application du système des fonctions et d'un régime de promotion de salaire basé sur l'ancienneté devaient faciliter la résolution du problème pour les salariés dont les aptitudes personnelles limitaient les possibilités de promotion de postes.

47Très différentes sont les situations dans les usines nouvelles : la question se pose en général moins en termes d'existence d'opportunités de promotion pour le personnel en place, qu'en termes de possibilité quantitative et de capacité qualitative de ce personnel pour occuper des fonctions et des postes supérieurs.

48Dans le cas de l'usine SIDMAR, le rythme de croissance ayant été soutenu mais constant, le passage du travail à une, à deux puis à trois équipes, se fit de façon régulière dans les secteurs de fabrication et les services techniques non tenus au régime des feux continus. Aussi, une situation d'équilibre s'établit-elle entre les demandes et les offres. Le développement fut tel que les disponibilités de postes furent suffisamment importantes et qualitativement bien réparties pour répondre aux besoins de la promotion interne et ne furent pas trop nombreux ou particuliers pour ne pas pouvoir être satisfaits quand les besoins s'en sont fait sentir par les ressources d'un marché local assez riche. La stabilisation des effectifs entraînée par le ralentissement de l'activité pourrait faire apparaître des situations de blocage. La nouvelle organisation du travail par intégration des travaux de maintenance et d'entretien permet cependant d'atténuer le problème et de maintenir l'équilibre enregistré dans l'étude des structures.

49A Dunkerque, par contre, la croissance fut extraordinairement rapide ; non seulement tous les équipements de la première génération passèrent très vite au régime des trois équipes, voire à celui des feux continus, mais une seconde puis une troisième génération d'équipements se développèrent de manière accélérée.

50La promotion interne fut très ouverte et certaines carrières purent se dérouler dans des conditions très exceptionnelles dans tous les secteurs et tous les services de l'usine. Malgré tout, les besoins s'exprimèrent avec une telle rapidité et une telle intensité, que le personnel en place ne put les satisfaire quantitativement et qualitativement, non plus que les ressources des marchés du travail local, régional et national. A cette période délicate pour l'entreprise, par manque de main-d’œuvre adaptée à certaines tâches d'exécution ou de commandement, mais satisfaisante pour le personnel en place, succèdera une période difficile pour les partenaires sociaux. En effet, le ralentissement et l'arrêt de la croissance diminuent très fortement les disponibilités à tous les niveaux en cessant les créations nouvelles. Ces disponibilités sont également limitées par l'existence d'un renouvellement naturel très faible du fait de la jeunesse et de la stabilité du personnel actuel ; or ce personnel, en fonction de 1'augmentation de son ancienneté, verra ses besoins de promotions de poste se multiplier.

51Pour éviter de trop nombreux blocages, différents moyens sont utilisés ou envisagés : d'une part la généralisation et l'amélioration d'un système de promotion de salaires basé sur l'ancienneté, d'autre part l'organisation pour les grades élevés d'un système de promotion de fonctions, non plus dans le cadre de l'usine mais dans celui de l'entreprise et enfin la permanence de la formation professionnelle.

52Toutes les usines sidérurgiques littorales sont des centres de formation de main-d'oeuvre, mais cette fonction commune est variable d'un établissement à l'autre selon la nature et l'importance des catégories professionnelles auxquelles ces formations s'adressent. Cette variété résulte de la spécificité de chaque usine en ce qui concerne le rythme de croissance de son effectif, de chaque milieu local dont les potentialités en matière de main-d’œuvre disponible sont très différentes, de chaque entreprise dans le domaine de la politique sociale.

53La spécificité du travail sidérurgique et la particularité des usines littorales dans leur milieu local imposent l'existence d'un service intérieur de formation dans chaque établissement. De nombreuses activités exigent, en effet, des capacités, des connaissances et des tours de mains très particuliers qui ne peuvent être donnés dans le système scolaire normal. Les métiers de la sidérurgie, comme par exemple ceux de fondeur de haut fourneau, de technicien de coulée à l'aciérie, de lamineur ou de chauffeur de four, s'acquièrent sur le plan technique essentiellement dans les ateliers. D'autres activités, sans être aussi particulières, ont une importance accrue dans la sidérurgie par rapport à celle qu'elles peuvent avoir dans d'autres activités industrielles, et la formation qui les concerne doit être intégrée ; par exemple, les métiers de cariste, de pontonnier, de conducteur de grue et de portique. Pour d'autres métiers enfin, le problème à résoudre dans l'usine n'est pas celui de la formation qui peut être extérieure mais celui de l'adaptation aux équipements et matériels propres à l'établissement ; il s'agit par exemple, des électriciens, des électromécaniciens, employés dans les services d'entretien. Présentes également dans toutes les usines, les formations relatives aux fonctions d'agent de maîtrise ou d'agent de sécurité au niveau de l'initiation ou du perfectionnement.

54Certains établissements limitent leur intervention dans le domaine de la formation à ces aspects spécifiques, il s'agit des usines de Brême et de Gand. Ces usines sont celles dont l'implantation est au cœur ou à proximité immédiate d'une agglomération importante où existe un équipement scolaire, technique et universitaire très développé ; ce sont également les usines dont le rythme de croissance a été le moins fort et dont les besoins ont été par conséquent les moins marqués ; les usines enfin dont la direction d'entreprise est la moins favorable à l'intégration des services sociaux et à la participation directe dans ce domaine. Les établissements qui, à ces différents points de vue, sont dans des situations opposées ont développé un système de formation beaucoup plus étendu, de la formation générale élémentaire aux formations techniques et scientifiques supérieures. Il s'agit des usines d'Ijmuiden et de Dunkerque.

55L'usine néerlandaise apparaît encore exceptionnelle par l'ampleur des formations données ainsi que par leur totale intégration à l'intérieur de l'établissement ; cette importance apparaît dans les données suivantes concernant l'année 1972 :

349 inscrits à l'école d'apprentis de la KNHS.
967 participants aux cours d'initiation et de perfectionnement aux fonctions d'encadrement.
1907 participants aux cours du soir (formation générale, formation scientifique à tous les niveaux).
2046 participants aux cours du jour (formation technique)
- secteur de fabrication : 319
- services techniques : 844
- - de transport : 209
généraux : 425
- - informatique : 249

56A Dunkerque, le phénomène a une intensité comparable, mais l'intégration est beaucoup moins poussée : les formations données à l'intérieur de l'établissement ne représentaient en 1972 que 17,6 % du total des heures passées en formation par le personnel,-les autres formations étaient faites pour 47,1 % du total dans le cadre d'organismes professionnels créés sur le plan local sous l'impulsion d'Usinor et de la Chambre de Commerce et pour le reste, soit 35,3 % sur le plan local et régional dans le cadre de l'Education Nationale, de la Formation Professionnelle pour Adultes, de l'entreprise et de divers organismes privés.

57Ces formations revêtent une importance considérable qui varie en étroite relation avec la mise en marche de nouveaux équipements, l'extension des services et le développement du régime horaire des feux continus, (Tableau n^o 98. Ayant augmenté de 31 % en 1973, elles ont diminué de 9 % en 1974 et de 7,6 % en 1975 après que les effectifs aient atteint leur niveau d'équilibre et surtout que la crise ait entraîné le ralentissement de la production.

58Ces formations intéressent toutes les catégories de salariés, principalement les ouvriers dans une proportion variant entre 72,8 % en 1970 et 68,2 % en 1972,-elles concernent surtout les métiers et les services très fortement déficitaires ; en l'occurrence, et ceci est valable pour toutes les usines sidérurgiques, surtout les professionnels d'entretien des services électromécaniques. A USINOR-Dunkerque, ces services bénéficiaient en 1970 de 45 %, en 1972 de 35 %, en 1975 de 55 %, de l'ensemble des formations données. Alors que les accords de 1970 et 1971 sur la Formation Professionnelle prévoyaient une participation des entreprises variant de 0,80 % à 1 % de la masse salariale, la dépense engagée à l'usine de Dunkerque représentait en 1971 : 2,72 %, en 1972 : 4,54 %, en 1975 : 3,81 % de la masse salariale.

59Les possibilités et les facilités de formation et de promotion sont, au même titre que les conditions de travail, de sécurité et de rémunération, des éléments importants d'appréciation du travail dans les établissements sidérurgiques. Elles sont indispensables à connaître pour nuancer les conclusions de l'étude sur les compositions par catégories professionnelles, pour appréhender les raisons de certains comportements, comprendre certaines influences qu'exercent ces usines sur leur environnement par l'intermédiaire de leur main-d’œuvre.

CONCLUSION

60L'étude du travail dans les centres sidérurgiques littoraux conduit à dégager certains aspects marquants permettant d'individualiser aisément ces usines, soit par rapport aux usines sidérurgiques traditionnelles, soit par rapport à des usines de taille comparable mais exerçant une activité différente dans la catégorie des industries lourdes ou des industries de base. Ces aspects particuliers concernant les conditions de travail dans leur ensemble ainsi que les conditions de rémunération, de formation et de promotion, sont à la fois commune à tous les centres étudiés et propres à chacune des usines.

61Comme celle des structures, l'analyse des caractères du travail aboutit à la mise en évidence de l'originalité humaine, de la personnalité de chaque unité de production.

62Ces établissements possèdent, comme toutes les grandes usines métallurgiques de leur génération, un personnel syndicalement très organisé et très actif bénéficiant de toutes les mesures sociales dès leur définition au niveau de la réglementation de la branche ou au niveau de la législation nationale, et pourtant les comportements individuels et collectifs se caractérisent moins par les traits communs à tous les centres que par les traits propres à chacun d'eux.