1La main-d’œuvre d'un établissement industriel comme toute population peut être caractérisée non seulement par l'importance et l'évolution de ses effectifs mais également par ses structures. Celles-ci sont constituées de différentes compositions dont les plus significatives sont les compositions par catégories professionnelles, par sexes, par âges et par nationalités.

2Ces compositions sont les éléments fondamentaux de la personnalité humaine de l'établissement industriel, des éléments qui permettent d'appréhender et de comprendre les comportements interne et externe de la main-d’œuvre et par là de l'apprécier en tant qu'agent de production économique et facteur d'influence géographique.

3Ces structures sont à la fois déterminées et voulues : elles sont en partie imposées par les exigences quantitatives et qualitatives de l'activité industrielle, ici sidérurgique, et par les réactions du milieu géographique considéré comme bassin de main-d’œuvre ou marché du travail ; elles sont en partie choisies par le service du personnel qui par l'intermédiaire de sa politique de recrutement cherche à les modifier de façon à donner à la main-d’œuvre la plus grande efficacité économique.

4Ces structures résultent donc de l’interférence de facteurs variés : elles sont à la fois communes à tous les établissements où s'exerce la même activité et spécifiques à chacun d'entre eux. La prééminence des aspects originaux sur les aspects communs est d'autant plus sensible dans les usines littorales que celles-ci ont été créées dans des cadres spatiaux très divers malgré une évidente similitude de certains de leurs traits généraux et qu'elles se sont développées dans des conditions temporelles variées malgré leur même appartenance à la dernière génération des grandes unités intégrées.

I- COMPOSITION PAR CATÉGORIES PROFESSIONNELLES

5L'étude précise et approfondie de la qualification de la main-d’œuvre est difficile particulièrement quand on cherche à comparer des usines situées dans des pays différents. Les critères d'appréciation sont en effet très variables, insistant tantôt sur le niveau de formation générale, tantôt sur le niveau de formation technique, tantôt sur le niveau de rémunération. La qualification ne peut s'apprécier précisément que par l'analyse des exigences de chaque fonction, de chaque poste de travail ; mais à ce stade les systèmes de valeur sont propres à chaque entreprise, voire à chaque établissement... surtout dans les usines récentes où les tâches nouvelles sont très nombreuses.

6Pour effectuer les comparaisons entre les différentes usines et les rendre significatives par référence aux structures d'autres branches industrielles, on doit nécessairement utiliser les catégories professionnelles classiques : cadres, employés, techniciens, ouvriers et à l'intérieur de cette catégorie les distinctions entre manœuvres, ouvriers spécialisés, ouvriers professionnels ou qualifiés. Malgré les défauts inhérents à cette nomenclature, ces catégories sont les seules à pouvoir être valablement employées. Imprécises et discutables, elles sont cependant expressives de niveaux de formation et de rémunération pour lesquels existe une certaine harmonisation, sinon officielle du moins tacite, entre les entreprises sidérurgiques de la CECA.

7Pour atténuer les erreurs dues aux différences d'interprétation dans la définition de ces catégories, il est préférable de s'en tenir aux critères généraux pour les comparaisons entre des usines situées dans des cadres nationaux ou appartenant à des branches industrielles distincts : par exemple, la proportion d'employés, de techniciens et de cadres ou la proportion d'ouvriers dans l'effectif total ; il est par contre possible d'utiliser des critères plus précis comme les différentes catégories d'ouvriers quand on reste dans le cadre homogène de l'établissement ou de l'entreprise et que les comparaisons portent par exemple sur l'état d'un même phénomène à deux stades d'une évolution.

8Malgré leur imprécision ces critères permettent d'individualiser nettement les usines littorales dans l'ensemble des usines sidérurgiques par leur structure particulière en matière de qualification. Leurs caractéristiques à cet égard sont plus proches de celles des industries de transformation que de celles des industries de base. De ce fait les problèmes de main-d’œuvre qui se posent à l'établissement ou à l'espace intéressé ne sont pas seulement quantitatifs mais aussi qualitatifs.

9Aux importantes modifications des conditions techniques et économiques de la production sidérurgique correspond une transformation des structures qualitatives de la main-d’œuvre. Cette évolution dans le sens d'une plus grande qualification du personnel est sensible par sa valeur et par son rythme. Le pourcentage des employés, techniciens et cadres par rapport à l'effectif total est en partie représentatif du phénomène : dans la sidérurgie française cette proportion est passée de 19,7 % en 1965 à 26,1 % en 1972. Le taux de 21,6 % en 1968 place la sidérurgie à un niveau supérieur à celui de l'ensemble de l'industrie nationale qui s'établit à 21,1 %, assez voisin de celui des industries de transformation : 24,1 % mais très différent du Bâtiment et Travaux publics : 14,1 % et des industries extractives : 10,4 %1.

10Si le taux de 26,1 % en 1972 est encore éloigné de celui qui caractérise les activités industrielles les plus exigeantes : 44,2 % pour la construction électrique, 58,1 % pour la construction aéronautique2, l'évolution positive que connaît la sidérurgie doit être signalée car elle est originale. Dans la plupart des branches industrielles, la construction automobile par exemple, la modernisation des techniques de fabrication se traduit souvent par une déqualification, parfois considérable, de la main-d’œuvre.

11Les usines littorales ont une composition par catégories professionnelles significative de cette situation. D'une façon générale, comme l'exprime le taux des employés-techniciens-cadres, elles s'individualisent nettement quel que soit le système de référence adopté.

12Rassemblant les équipements techniquement les plus évolués et les plus productifs, les centres sidérurgiques littoraux voient diminuer les tâches de production par rapport, d'une part, aux tâches de maintenance et d'entretien et, d'autre part, aux tâches d'organisation et d'administration. Les secteurs de production dotés de matériels de plus en plus puissants et de plus en plus automatisés demandent moins de main-d’œuvre et une main-d’œuvre différente. Le personnel de simple exécution diminue avec la disparition progressive des fonctions anciennes, il est remplacé par un contingent important de personnel de conduite et de surveillance d'engins et de machines de complexité croissante. Les postes de fabrication sont moins nombreux, ils exigent moins de capacités physiques et davantage d'aptitudes intellectuelles. Parallèlement on assiste au gonflement des services techniques qui doivent assurer le contrôle et la réparation d'un matériel de plus en plus perfectionné et qui par conséquent ont besoin d'un personnel ayant davantage de connaissances, de connaissances nouvelles et polyvalentes. Il en est de même pour tous les services auxiliaires chargés de l'organisation et de l'administration de ces usines. Ce niveau supérieur de qualification apparaît dans la composition par catégories professionnelles, il est également sensible à l'intérieur de chacune de ces catégories.

13Adoptant à chaque étape de leur développement les techniques et les modes de gestion les plus avancées, les usines littorales voient leur structure qualitative s'améliorer par le renforcement des catégories "employés-techniciens-cadres" par rapport à la catégorie "ouvriers" et à l'intérieur de celle-ci par une proportion croissante d'ouvriers spécialisés et qualifiés.

14Plus les usines sont avancées dans leur processus de développement, plus les derniers investissements sont récents et importants, plus les services techniques et administratifs sont étoffés et plus elles requièrent une forte proportion d'employés, de techniciens et de cadres.

15Ces caractéristiques, statiques et dynamiques, se retrouvent dans la composition de la catégorie "ouvriers" et dans ses transformations. Des différences cependant sont à relever : d'une part l'intensité du phénomène est moins évidente, d'autre part si la proportion de main-d’œuvre sans aucune formation tend à décroître de façon spectaculaire au profit de la main-d’œuvre spécialisée et qualifiée, ce n'est pas toujours au profit des sous-catégories professionnellement les plus formées.

16La précision des renseignements obtenus auprès de l'usine française permet de rendre compte de cette donnée d'une manière satisfaisante.

17L'évolution s'effectue en deux périodes. Dans un premier temps, on assiste à une nette diminution des manœuvres et au maintien des OS et des OP, avec à l'intérieur de ces catégories une augmentation notable des OP₁ et une régression des OP₂ et OP₃.

18Dans un second temps, la diminution touche tous les OS alors que l'augmentation concerne tous les OP. La première période reflète la rapidité du développement et les difficultés rencontrées pour satisfaire les énormes besoins en main-d’œuvre qualifiée. (Cf. $ Recrutement). Malgré tout, la différence est déjà très nette entre l'usine littorale et les usines intérieures. Durant la seconde période la promotion interne et un recrutement plus satisfaisant permettent une meilleure réponse aux exigences de la production et la progression des qualifications se confirme véritablement.

19La proportion de personnel supérieur est très variable d'un centre littoral à l'autre en fonction particulièrement de l'importance des services administratifs : elle est la plus forte à Gand et à Ijmuiden où l'établissement est également le siège social de l'entreprise, elle est nettement moins élevée à Brême et à Dunkerque qui ne possèdent que la direction de l'usine ou d'un groupe réduit d'usines. En 1971, l'usine Sidmar comprenait 84 ingénieurs, 97 ingénieurs techniciens et 31 autres diplômés de l'enseignement supérieur, ce qui représentait 4,33 % de l'effectif total ; la même année l'usine de la KNHS comptait 220 ingénieurs, 25 diplômés d'université dans les disciplines scientifiques, 123 économistes et juristes, 28 médecins et psychologues et 149 diplômés d'enseignement supérieur sur un effectif total de 22.165 personnes.

20Sur le plan de la main-d’œuvre les usines littorales se caractérisent par un niveau de qualification plus élevé que celui des usines sidérurgiques intérieures et traditionnelles. Leur structure, qualitative est très proche de celle des industries de transformation particulièrement de celles des industries métallurgiques. Le concept socio-économique attaché à la notion d'industrie de base synonyme de main-d’œuvre non-qualifiée doit être rejeté. Compte tenu de l'importance de leur effectif, de leur rythme de croissance, les usines littorales ont eu durant la période de forte croissance de grands besoins en main-d’œuvre et en main-d’œuvre qualifiée également très recherchée par les industries de transformation. Cet état de fait fut riche de conséquences multiples surtout pour les établissements les plus dynamiques : de graves problèmes de recrutement et de formation se manifestèrent, et dans le milieu local concerné, on enregistra de fortes tensions sur le marché du travail, une concurrence sur le plan des salaires, un effet de domination de l'établissement sidérurgique tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif.

II- COMPOSITION PAR SEXES : LA MAIN-D’ŒUVRE FÉMININE

21Comme tous les établissements d'industrie lourde, les usines sidérurgiques emploient très peu de main-d’œuvre féminine. Dans les secteurs de production il n'existe que de très rares postes de fabrication à pouvoir être occupés par des femmes, comme par exemple les postes de manutention, de contrôle et d'emballage des produits les plus élaborés du laminage à froid. Les emplois féminins sont offerts par les services administratifs, les services généraux et éventuellement certains services techniques ; leur nombre est proportionnel à la taille de l'établissement et à l'importance relative des services par rapport aux secteurs de production.

22Les centres sidérurgiques littoraux n'échappent pas à la règle commune et la valeur, absolue et relative, de l'effectif féminin est faible, exceptée dans l'usine néerlandaise qui mérite de ce fait une analyse particulière.

23Dans les autres usines le nombre d'emplois féminins augmente régulièrement mais de façon plus lente que les emplois totaux. Ces femmes occupent principalement des emplois de bureaux : secrétaires, dactylos, standardistes, perforatrices... etc, et des emplois dans les services annexes : assistantes sociales, hôtesses, infirmières, femmes de ménage... etc. ; elles représentent environ 15 % de l'effectif des employés (1970. Klöckner-Brême : 18 %, Sidmar-Gand : 17 %, Usinor-Dunkerque : 12 %). Les ouvrières du contrôle des laminés de haute qualité représentent une exception même dans l'usine Klöckner où elles travaillent.

24Dans l'usine de la KNHS, l'emploi féminin est plus important et se renforce de façon continue. La taille de l'usine, la diversité de ses activités. La politique d'intégration poussée des services expliquent la valeur du phénomène, l'effet de domination de l'établissement sur le plan local détermine son évolution.

25Les problèmes généraux de recrutement rencontrés par l'entreprise sur le plan local et régional ont favorisé l'emploi de la main-d’œuvre féminine à des postes précédemment occupés par des hommes, en particulier conductrices de grues et de ponts roulants, ou à des tâches nouvelles qui se créent par le développement de l'automatisation et de l'informatique. Ces offres d'emplois sont d'autant plus facilement pourvues qu'elles sont rares dans la zone d'influence de l'usine sidérurgique. Principalement composée de jeunes filles dont une grande partie cessera de travailler après le mariage, cette main-d’œuvre est jeune et se renouvelle à un rythme très rapide. Il s'en suit une structure de qualifications et de rémunérations moins favorable que pour la main-d’œuvre masculine. Par sa valeur intrinsèque, par l'importance de l'embauche qu'il détermine du fait d'un très fort turnover (Cf. § Comportement), il participe de façon modeste mais cependant réelle à la diversité des emplois offerts par l'établissement ; il contribue ainsi à atténuer quelque peu les effets contraignants qu'il exerce sur le marché du travail par sa puissance et sa monovalence.

III- COMPOSITION PAR ÂGES

26La personnalité humaine d'un établissement industriel dans ses aspects économiques et sociaux et l'influence qu'il exerce par sa main-d’œuvre sur le milieu environnant dépendent pour une large part de la composition par âges de son effectif. Cette composition peut être analysée par l'utilisation de critères différents dont les plus courants sont : la moyenne d'âge, l'importance des catégories extrêmes < 30 ans et > 50 ans par exemple et surtout la pyramide des âges quand celle-ci peut être connue, soit sous sa forme complète, soit sous une forme simplifiée par tranches de 5 ou de 10 ans. Ces critères sont d'autant plus expressifs qu'ils concernent des séries annuelles permettant de saisir d'éventuelles transformations.

27La composition par âges et son évolution sont significatives des modalités d'intégration de l'établissement industriel dans le marché du travail, des exigences du service du personnel et des réponses du milieu, de la dialectique constante entre la politique de l'entreprise et la réaction du bassin de main-d’œuvre. Les caractères de cette composition influencent la psychologie collective de la main-d’œuvre et ses comportements ; comportement interne qui s'exprime en partie par le niveau d'absentéisme ou par la fragilité des relations industrielles, comportement externe qui peut s'appréhender par l'importance du turnover. Ils déterminent de façon sensible la productivité du personnel, la nécessité de sa formation et ses possibilités de promotion.

28La connaissance des particularités de la composition par âges permet de comprendre certains aspects de l'influence de l'usine dans l'aire de recrutement et dans l'aire de résidence de la main-d’œuvre, influence directe et immédiate sur le marché du travail, influence indirecte et différée sur les structures démographiques et socio-professionnelles de la population locale et régionale.

29Les compositions par âges ne permettent pas de caractériser les usines sidérurgiques par rapport aux usines où s'effectuent d'autres activités industrielles de même qu'elles ne différencient pas globalement les centres littoraux des centres traditionnels : chaque usine a ses caractères propres. Cette originalité est liée à la spécificité des interrelations, recherchées ou imposées, entre l'usine et le milieu. Seule l'ancienneté de l'établissement exerce une certaine influence. Deux types d'usines peuvent être distinguées : les usines jeunes qui sont aussi les plus récentes (celles de Gand et de Dunkerque avec des moyennes d'âges en 1970 de 32,4 et 32,5 ans), les usines au personnel plus âgé (celles plus anciennes de Brême et d'Ijmuiden avec des moyennes de 38,7 et 39,8 ans). Les premières, par l'importance des catégories < 30 ans et > 50 ans (Tableau N^o 81) et par les pyramides simplifiées (Figure N^o 67) se distinguent très nettement dans les systèmes de référence alors que les secondes ont des caractéristiques très proches des moyennes établies à l'échelle des différents pays ou de la Communauté.

a/ Les usines jeunes

30Si on le compare aux autres usines de son entreprise ou aux autres usines littorales, l'établissement dunkerquois se caractérise quel que soit le critère utilisé par l'exceptionnelle jeunesse de sa main-d’œuvre. La moyenne d'âge se maintient depuis la création de 1'usine à un niveau très bas.

31De 1964 à 1968, l'augmentation de l'effectif étant limitée et la stabilité de la main-d’œuvre se renforçant, un relatif vieillissement, faible et régulier, apparaît. À partir de 1969 avec la très forte reprise du recrutement le mouvement inverse se produit. À la fin de 1972, dix ans après la mise en marche de l'usine la moyenne d'âge était de 32 ans 5 mois pour les hommes, de 26 ans six mois pour les femmes, en 1975 elle était encore de 32 ans 9 mois. Ces caractéristiques s'expliquent par la convergence d'un certain nombre de facteurs qui maintiennent leurs effets jusqu'au moment où l'usine, ayant reçu l'ensemble de son équipement, cesse d'augmenter son effectif.

32Durant les périodes où l'embauche est forte, les déséquilibres entre les besoins de l'usine et les ressources du marché du travail sont tels que sur le plan local une forte ponction s'opère dans les catégories les plus jeunes dont on cherche à s'assurer le concours dès avant le départ au service militaire et que le recours à 1'extérieur s'avère indispensable. Or, que les migrations soient quotidiennes ou définitives, elles sont d'abord et avant tout le fait d'une main-d’œuvre jeune.

33Durant les périodes où l'embauche est faible, la sélection est plus sévère au niveau des qualifications et surtout au niveau des qualités physiques ou des aptitudes psychomotrices, et là encore les classes les plus jeunes sont les plus concernées.

34La répartition de la main-d’œuvre de l'usine de Dunkerque apparaît très déséquilibrée en faveur des classes d'âge de 18 à 35 ans. Malgré les efforts du service du personnel qui a tenté pour des raisons diverses de favoriser le recrutement d'une main-d’œuvre plus vieille, ces déséquilibres ne sont appelés à se résorber que de façon très lente. (Figure N^o 68).

35Cette composition de la main-d’œuvre présente des avantages car elle donne à l'établissement industriel la réputation d'une usine jeune, dynamique et offrant d'intéressantes possibilités de promotion interne, ce qui est un facteur d'attraction.

36Mais elle détermine également des problèmes qui sont ou seront ressentis directement au niveau de l'établissement ou indirectement au niveau du milieu environnant. La main-d’œuvre jeune est une main-d’œuvre particulièrement exigeante dans le cadre de l'usine : elle nécessite de façon immédiate d'importants moyens de formation interne afin de pourvoir non seulement aux postes de maîtrise mais aussi aux postes spécifiques de fabrication et aux postes d'entretien qui requièrent une certaine qualification. Elle nécessite à terme une organisation rigoureuse des carrières de façon à ce que des phénomènes de blocage ne se multiplient pas lorsque le processus de vieillissement se renforce c'est-à-dire à partir du moment où cessent les créations d'emplois.

37La main-d’œuvre jeune est également exigeante par son comportement interne et externe (Cf. § Comportement) : c'est une main-d’œuvre relativement mobile, c'est surtout une main-d’œuvre revendicatrice, sensible à tous les problèmes, consciente de sa spontanéité et de la force d'exemple qu'elle représente, prompte aux mouvements de grèves, que ceux-ci soient déterminés par des situations propres à l'établissement ou à l'entreprise ou par des raisons qui leur sont totalement étrangères.

38Si la jeunesse de l'effectif est garante de haute productivité, elle est également un facteur incontestable de renforcement des conflits entre le personnel et les directions de l'usine et de l'entreprise. Cette dualité est d'autant plus ressentie dans le cadre du groupe USINOR que l'usine de Dunkerque s'individualise tout autant par sa très forte productivité que par le nombre de ses mouvements sociaux. Une corrélation directe sinon exclusive entre la jeunesse de main-d’œuvre et cette vivacité revendicatrice est très souvent établie.

39Centre littoral le plus nouveau, le centre SIDMAR de Gand comme celui de Dunkerque se caractérise par la jeunesse de son effectif. La moyenne d'âge varie entre 32 et 33 ans durant la période de croissance (en 1971 par exemple, 50 % des nouveaux embauchés avaient moins de 25 ans, 75 % moins de 35 ans). Si la moyenne d'âge des deux usines est comparable, la composition est sensiblement différente ; elle apparaît davantage équilibrée dans le cas de l'usine belge.

40Cette plus grande cohérence est le résultat d’une politique de recrutement qui a pu être définie et maintenue dans un marché du travail extrêmement favorable à l'entreprise, car offrant de nombreuses potentialités. Le service du personnel ne rencontrant que peu de difficultés pour recruter la main-d’œuvre nécessaire a pu facilement faire jouer l'âge comme critère de sélection : en faveur des jeunes ou en faveur des personnes plus âgées, pour des postes demandant par exemple une qualification particulière et une certaine expérience ou au contraire pour des postes n'offrant aucune possibilité de promotion. A cette rigueur dans la sélection correspond une moyenne d'âge relativement basse et une composition équilibrée, considérées comme facteurs essentiels d'explication d'une exceptionnelle stabilité de la main-d’œuvre. Dès lors il n'est pas étonnant que l'usine allemande, connaissant des problèmes importants sur le plan des comportements de son personnel, ait cherché à s'en inspirer.

b/ Les usines au personnel plus âgé

41Quand l'usine est ancienne, quand la croissance et le renouvellement de son effectif sont faibles, le vieillissement régulier du personnel est un phénomène normal. Dans le cas de KLÖCKNER-BREME, la création remontant à plus de 20 ans et le développement ayant été lent durant la décennie 1960-1970, une moyenne d'âge de 38,7 ans en 1970 n'est pas étonnante. Cependant le vieillissement qu’expriment les moyennes d'âge de la catégorie "ouvriers", en 1960 = 34,6 et en 1970 = 38,2, est exceptionnel. Ce caractère est d'autant plus singulier que durant cette décennie de très nombreuses embauches furent réalisées sinon pour augmenter 1'effectif du moins pour remplacer la main-d’œuvre quittant l'établissement. Ces embauches concernèrent une main-d’œuvre à la moyenne d'âge élevée ; et ceci pour deux raisons concordantes : la première est liée à l'attitude des jeunes qui, dans un marché du travail large et diversifié, trouvent des possibilités d'emplois plus intéressantes dans le rapport conditions de travail/conditions de rémunération ; la seconde est liée à l'attitude du service du personnel qui a pensé, en recrutant de préférence aux jeunes des personnes plus âgées, créer un nouveau climat social dans l'établissement et favoriser ainsi une plus grande stabilité de la main-d’œuvre En cherchant à rapprocher les caractéristiques de l'usine de Brême de celle des usines intérieures du groupe, on a tenté de donner à l'usine littorale une personnalité sociale identique à celle des usines traditionnelles. La jeunesse du personnel étant considérée comme le principal facteur d'explication des taux élevés de turnover et de l'absentéisme, du nombre et de la dureté des grèves, (Cf. § Comportement) le vieillissement et l'équilibre dans la répartition des catégories par âges furent systématiquement recherchés. Pour qu'elle puisse entraîner une modification des comportements, l'intervention dans la composition par âges doit être forte et d'une durée assez longue. Elle a cependant en elle-même ses propres limites, celles que déterminent les exigences de la productivité humaine et de la promotion interne du personnel.

42L'usine néerlandaise ne connaît pas de tels problèmes et de telles interventions. Usine la plus ancienne, c'est aussi l'usine à la moyenne d'âges la plus élevée et à la composition la mieux équilibrée.

43Ces caractéristiques s'expliquent par deux causes principales. La première réside dans la très grande stabilité de la main-d’œuvre ancienne qui gonfle les classes d'âges moyennes et élevées. La seconde réside dans le rôle que joue la main-d’œuvre nouvellement recrutée, particulièrement la main-d’œuvre féminine dont la moyenne d'âge est basse et la main-d’œuvre étrangère dont seule une très faible partie se fixe aux Pays-Bas et qui se renouvelle constamment par 1'arrivée régulière d'éléments jeunes, embauchés par contrat de courte durée ; cette main-d’œuvre gonfle les catégories les plus jeunes.

44L'ancienneté de l'établissement et le maintien d'un rythme de croissance soutenu combinent leurs effets pour renforcer cet équilibre.

45L'équilibre diminue les risques de conflit entre le personnel et la direction de l'entreprise en évitant les mouvements spontanés qui sont principalement le fait des groupes importants de jeunes dans l'effectif d'une usine. L'équilibre atténue les éventuelles oppositions entre les différentes classes d'Sges car il ménage des possibilités de promotion, sinon rapides du moins régulières à tous les niveaux et dans tous les domaines de l'activité. Cet équilibre facilite enfin toutes les formes d'intégration, technique et psychologique, de la main-d’œuvre nouvelle quelles que soient ses caractéristiques originelles.

46Les usines littorales ont dans l'ensemble une main-d’œuvre jeune. Cette jeunesse est fonction de l'ancienneté et du rythme de développement de l'établissement ainsi que des modalités de recrutement qui sont influencées à la fois par les caractères du marché du travail et par la politique de l'entreprise. Celle-ci vise principalement à établir un équilibre entre les différentes classes d'âges qui assure une meilleure stabilité dans les comportements internes et externes de la main-d’œuvre et par là une meilleure productivité. La réalisation de cet équilibre est difficile. Les différentes usines ont à cet égard des caractéristiques très variables qui expriment la spécificité de leurs interrelations avec le milieu géographique, c’est-à-dire les caractères originaux de leur propre influence sur l'environnement humain et de l'influence de cet environnement sur leur propre effectif.

IV- COMPOSITION PAR NATIONALITÉS

47La main-d’œuvre étrangère, par son importance et la spécificité de ses caractères par rapport à l'ensemble de l'effectif, est un élément déterminant de la personnalité d'un établissement industriel. Ce critère permet de l'individualiser de façon expressive dans un cadre sectoriel, au sein de l'entreprise ou de la branche, ou dans un cadre spatial, sur le plan local ou régional.

48A l'établissement qui emploie une forte proportion de main-d’œuvre d'origine étrangère est fréquemment attachée une appréciation péjorative qui s'étend d'ailleurs à l'entreprise dont dépend l'usine, voire à la branche d'activité qu'elle représente. Ce jugement a pour principal fondement les problèmes économiques, sociaux et raciaux que posent, parfois de manière aiguë, les travailleurs immigrés. Si ces problèmes apparaissent principalement en ce qui concerne les conditions générales de vie de cette population, ils existent également à l'intérieur de l'usine. Ils s'expriment en termes économiques : la main-d’œuvre étrangère permet de pallier les insuffisances du marché du travail local, régional ou national mais son coût social sinon salarial est élevé du moins dans les établissements qui répondent aux impératifs de la législation, ce qui est généralement le cas des grands établissements. Ces problèmes s'expriment également en termes sociaux : en période de conjoncture basse ou moyenne sur le marché du travail, le recrutement de main-d’œuvre étrangère peut être mal ressenti par les syndicats ouvriers et surtout, de façon constante, l'intégration d'étrangers dans les équipes constituées est génératrice de difficultés. Ainsi le recours à la main-d’œuvre étrangère est surtout présenté comme la réponse à une impérative nécessité résultant des manques sur le marché du travail.

49Le phénomène est donc chargé de signification au niveau de l'activité industrielle dans le cadre de l'établissement, mais il l'est encore davantage en ce qui concerne l'influence qu'exerce cet établissement sur le milieu humain qui l'environne, sur ses caractères démographiques, socio-économiques et urbains.

La main-d’œuvre étrangère dans l'industrie sidérurgique

50La sidérurgie de la CECA se caractérise par l'emploi d'une quantité importante de main-d’œuvre étrangère qui s'est accrue pendant la période de croissance. Le critère "pourcentage d'étrangers dans 1'effectif ouvrier" publié dans les statistiques communautaires rend compte de cet état de fait, avec une certaine accentuation cependant, étant donné que la main-d’œuvre étrangère est pour l'essentiel dans la catégorie "ouvriers". (Tableau N^o 83). Le taux moyen est passé de 11,43 % en 1960, à 13,78 % en 1965 et à 15,81 % en 1970 ; avec une augmentation très nette des travailleurs en provenance des pays tiers c'est-à-dire des pays extérieurs à la Communauté.

51Ce taux moyen cache de grandes disparités entre les pays où sont implantées les usines littorales, en ce qui concerne l'importance du phénomène, le sens et le rythme de son évolution. C'est traditionnellement la France qui connaît le taux le plus élevé avec cependant une tendance à la baisse durant la dernière décennie et une stabilisation aux environs de 26 à 27 % d'étrangers dans l'effectif ouvrier.

52La sidérurgie belge par une évolution inverse s'est rapprochée des taux français alors que la sidérurgie allemande et néerlandaise, partant d'un niveau très bas, ont accru considérablement leur emploi de main-d’œuvre immigrée.

53Dans ce domaine les centres sidérurgiques littoraux ne se distinguent pas par un caractère commun : chacun a des particularités qui l'individualisent en ce qui concerne soit l'importance soit l'évolution du recours à la main-d’œuvre étrangère. Deux types d'usines peuvent être différenciés : celles dont la proportion de main-d’œuvre étrangère est faible et stable, celles au contraire où cette proportion a augmenté rapidement pour atteindre un niveau élevé.

Les usines à faible proportion de main-d’œuvre étrangère

54L'importance de la main-d’œuvre étrangère dans l'effectif total de l'usine SIDMAR à GAND est encore moindre que ne l'indiquent les taux de 5,1 % en 1968 et 3,9 % en 1970. En effet sur les 165 salariés d'origine étrangère que comptait l'établissement en 1968, 86 étaient des travailleurs frontaliers néerlandais qui, étant donnée la perméabilité de la frontière située à quelques kilomètres de l'usine, doivent être considérés comme des travailleurs autochtones.

55Les groupes nationaux les plus représentés étaient ensuite les luxembourgeois (24), les français (22) et les allemands (12). A cela s'ajoutaient des groupes de quelques unités et des individualités qui constituent ce que l'on appelle "la fausse main-d’œuvre étrangère" qui n'est pas significative au niveau de l'activité industrielle. Parmi les français et surtout parmi les luxembourgeois, beaucoup appartenaient à la direction de l'établissement ou occupaient des postes de responsabilité technique. En majorité, ils étaient issus des sociétés constitutrices de l'entreprise ou en étaient les représentants, particulièrement de l'ARBED dont l'influence était par là soulignée. La volonté et la possibilité de maintenir un recrutement strictement local et régional conserveront cette originalité de l'usine flamande par rapport aux autres usines sidérurgiques belges et également par rapport aux autres centres littoraux.

56Sans être aussi faible, l'emploi de la main-d’œuvre étrangère à USINOR-DUNKERQUE est d'une importance qui reste limitée, tant de façon intrinsèque (Tableau N^o 85) que par rapport à l'ensemble de la sidérurgie régionale et nationale (Tableau N^o 84).

57Constitué rapidement au moment de la création de l'usine, l'effectif étranger s'est révélé particulièrement stable pendant plusieurs années pour croître à nouveau, mais de façon relativement modérée, avec la forte reprise de l'embauche de 1969 à 1974. Après une très légère reprise, l'importance du phénomène devrait à nouveau décroître pour s'établir aux environs de 7 %. C'est la main-d’œuvre d'origine nord-africaine qui représente la part la plus forte : elle intervenait pour 54,8 % des effectifs étrangers en 1964, 55,6 % en 1966, 57,0 % en 1968, 62,2 % en 1970, 65,3 % en 1972, 70,1 % en 1975. Les algériens y compris ceux ayant opté pour la nationalité française après les Accords d'Evian, sont les plus nombreux, mais la croissance du groupe est surtout le fait des marocains et depuis peu des tunisiens. La main-d’œuvre en provenance des pays du sud de l'Europe est relativement réduite et ne connaît pas de fluctuation dans ses composantes. Le nombre de polonais ne saurait étonner dans la Région du Nord, quant à celui des belges, c'est sa faiblesse qui est remarquable. (Cf. § Recrutement).

58Il s'agit d'une main-d’œuvre essentiellement ouvrière dont la répartition par catégories, d'abord très différente de celle qui caractérise l'ensemble de l'effectif, tend peu à peu à s'en rapprocher. La majorité primitivement composée d'OS et de manœuvres est devenue une majorité d'OP, en particulier d'OP₁.

59C'est dans les secteurs de production, particulièrement dans les activités primaires, agglomération, hauts-fourneaux, aciéries, que les étrangers sont les plus nombreux.

60Durant la période de forte croissance, l'accélération du rythme de développement de l'effectif et les problèmes de recrutement qu'il suscita firent envisager l'embauche d'un contingent de plusieurs centaines d'ouvriers étrangers qui aurait permis de pallier les faiblesses momentanées du marché du travail local, régional et national. Deux possibilités existaient soit l'introduction d'un groupe important d'immigrés par l'intermédiaire de l'Office National d'immigration, soit l'embauche systématique d'ouvriers étrangers arrivés en France depuis plusieurs années, ayant acquis une expérience industrielle, et qui avaient posé leur candidature auprès du Service du recrutement.

61La rigueur des critères de sélection, particulièrement en matière de scolarisation, maintenue à la demande expresse des chefs de service malgré l'insistance des responsables du recrutement, s'opposa à un mouvement de grande ampleur.

Les usines à forte proportion de main-d’œuvre étrangère

62Le recours important et continu à la main-d’œuvre étrangère est une caractéristique des usines les plus anciennes, mais qui n'est pas liée de façon directe et exclusive à l'âge des établissements. Dans le cas des usines néerlandaise et allemande le phénomène fut relativement tardif ; il correspondit à l'apparition d'un déséquilibre entre les besoins de l'établissement et les disponibilités du marché du travail : ce déséquilibre étant déterminé par une modification quantitative, forte et continue, de la demande ou par une inadaptation qualitative progressive de l'offre aux exigences de la sidérurgie.

63Pendant de nombreuses années, l'emploi de travailleurs étrangers est resté très faible dans l'usine de la KNHS à Ijmuiden. Ne dépassant pas 1 % de l'effectif total, il était le fait de personnes de nationalités fort diverses, souvent installées aux Pays-Bas depuis longtemps et embauchées par l'entreprise au même titre et dans les mêmes conditions que les salariés néerlandais. C'est à partir de 1955 que commence l'appel régulier à l'immigration, de 1960 qu'il prend une réelle importance, de 1970 qu'il entraîne des problèmes dans le cadre de l'usine. L'apparition et l'évolution du phénomène correspondent à la mise en œuvre des plans de développement de l'usine qui se sont succédés à un rythme si rapide que le recrutement dans le cadre national s'est avéré insuffisant. Les besoins en main-d’œuvre n'ont pu être satisfaits que par l'embauche contractuelle de salariés étrangers : une embauche rendue possible par des accords passés au niveau gouvernemental entre les Pays-Bas et l'Italie en 1956, et l'Espagne en 1960. Dans le premier cas il s'agissait d'une application particulière du traité sur la libre circulation des travailleurs dans le cadre de la Communauté Economique Européenne ; dans le second cas il s'est agi d'une réglementation spécifique aux deux pays fixant les modalités d'introduction aux Pays-Bas de contingents annuels de travailleurs espagnols. La convergence chronologique d'une impérative nécessité et la mise en place d'un moyen de réponse, allaient faire passer le pourcentage de main-d’œuvre étrangère dans l'effectif total de moins de 2 % en 1960 à près de 13 % en 1974. . La diminution des effectifs consécutive à la crise devrait se répercuter nettement sur la main-d’œuvre étrangère, embauchée pour une large part sous contrat de durée limitée.

64Les travailleurs italiens ont été les premiers à être recrutés par l'intermédiaire du Service National de l'Immigration et du Travail, mais leur nombre s'est rapidement stabilisé entre 300 et 400 personnes. L'offre n'étant pas à la mesure de ses besoins, l'entreprise néerlandaise n'a pas maintenu dans ce pays ses demandes officielles, elle a seulement continué à accepter l'embauche des candidats individuels qui suffisent à remplacer les partants. Par contre elle a préféré établir un courant d'immigration, important et croissant, en provenance d'Espagne. Cette quasi-exclusivité dans le recrutement est systématiquement renforcée par le service du personnel qui y trouve de très grands avantages, en matière d'efficacité au moment de la prospection et de l'embauche dans le pays d'origine et pendant le séjour des intéressés en matière d'adaptation aux conditions de travail dans l'établissement et aux conditions de vie aux Pays-Bas. (Cf. Infra § Recrutement. Caractères du travail sidérurgique. Comportement. Logement). L'essentiel de la croissance du nombre des étrangers est le fait des travailleurs espagnols qui en 1971 furent aussi nombreux à entrer en fonction dans l'usine que les travailleurs néerlandais. Les autres nationalités, près de quinze, ne sont représentées que par des groupes peu nombreux ou des individus dont l'importance globale croît au même rythme que l'effectif général de l'usine.

65L'essentiel de la main-d’œuvre étrangère occupe les fonctions inférieures, plus de 89 % des étrangers sont dans les fonctions de 1 à 5 contre 38 % des néerlandais ; 10 % dans les fonctions de 6 à 10 contre 40 % ; moins de 1 % sont dans des postes plus élevés. En théorie les possibilités de promotion sont les mêmes pour tous, mais en réalité, peu ou pas qualifiés à l'embauche, la plupart des travailleurs étrangers, particulièrement les Espagnols ne restent dans l'entreprise qu'un laps de temps trop court pour pouvoir accéder ne serait ce qu'aux catégories moyennes. Ils sont principalement employés dans les secteurs de production où la proportion qu'ils représentent par rapport à l'effectif total est parfois considérable, en 1970 celle-ci était de 18,2 % au niveau de la préparation des charges et des hauts-fourneaux, 14,9 % aux aciéries, 22 % à la tôlerie forte, 23,1 % aux trains de laminage à froid. Par contre elle était le plus souvent inférieure à 2 % dans les services techniques et administratifs. Dans le cadre de l'établissement, les pourcentages enregistrés dans les secteurs de production sont considérés comme des maxima dont le dépassement serait à l'origine de difficultés internes, tant au point de vue économique qu'au point de vue humain. Plus encore que les problèmes externes d'intégration dans le milieu local de cette population particulière par l'âge et le mode de vie, ce sont ces prévisions de difficultés qui déterminèrent une tentative de limitation du recours à la main-d’œuvre étrangère. Le ralentissement de l'activité économique devait être un facteur plus efficace : le nombre de travailleurs étrangers baisse plus rapidement que l'effectif total, son importance étant fonction de la réponse quantitative du bassin de main-d’œuvre régional et national aux demandes de l'usine sidérurgique. Il n'en va pas de même à Brême où le fondement est davantage une inadaptation qualitative de l'offre à la demande.

66En 1970, KLÖCKNER-BREME est l'usine littorale dont la proportion de main-d’œuvre étrangère est la plus élevée : 10,3 % de l'effectif total et 13,2 % de l'effectif ouvrier.

67Si ces taux ne sont pas exceptionnels par comparaison avec ceux qu'on enregistrait à la même époque dans l'ensemble des établissements sidérurgiques de l'entreprise (11,3 % de l'effectif total) ou dans l'ensemble de la sidérurgie allemande (10,9 % de l'effectif ouvrier), ils sont d'autant plus remarquables que d'une part le phénomène était dix ans plus tôt pratiquement inconnu dans cette usine et que d'autre part en 1970 malgré sa tendance à l'augmentation les travailleurs étrangers n'occupaient encore que 5,5 % des emplois de l'industrie dans le Land de Brême. Fait original, cette rapide croissance du personnel étranger s'est effectuée dans une période de faible développement des effectifs globaux. Elle correspond à une option de la direction de l'usine pour pallier à la très grande instabilité du personnel (Cf. § Mobilité) et à la difficulté de trouver sur un marché de l'emploi local et régional, diversifié et en général tendu, une main-d’œuvre autochtone acceptant les conditions de travail et de rémunération des secteurs de fabrication de l'établissement sidérurgique. (Cf. § Recrutement).

68En 1970, la répartition des travailleurs étrangers par nationalité était la suivante :

69Pour atténuer les problèmes d'intégration interne, le service du personnel a choisi de ne constituer qu'une communauté étrangère importante, celle des Turcs qui représente 81 % des étrangers de l'usine, soit un pourcentage nettement supérieur à celui qu'on pouvait constater la même année dans la sidérurgie allemande : 44 % et dans le Land de Brême : 53 %. Politiquement moins influençables que les italiens, les grecs ou les yougoslaves, les turcs ont été préférés même s'ils éprouvent, en dehors de l'usine, davantage de difficultés d'insertion sociale.

70Le taux de main-d’œuvre étrangère ne permet pas d'individualiser les usines littorales par rapport aux usines intérieures car le phénomène présente une très grande diversité temporelle ou spatiale : les pourcentages varient de façon considérable d'un établissement à l'autre et à l'intérieur d'un même établissement dans un laps de temps assez court. Le taux n'est pas lié exclusivement à l'activité dans sa nature d'industrie lourde et d'industrie de base, aux caractères traditionnels ou modernes de ses techniques de production, aux situations économiques ou sociales appréhendées au niveau des différents pays considérés ; il est expressif d'un état d'équilibre ou de déséquilibre entre les besoins quantitatifs ou qualitatifs de l'établissement et les disponibilités en main-d’œuvre autochtone ; il est significatif des modalités d'intégration de l'usine sidérurgique dans le milieu humain qui l'environne que celui-ci soit saisi en terme de marché du travail ou du bassin de main-d'oeuvre. Compte tenu des charges qu'il entraîne et des problèmes qu'il suscite, le recours massif à la main-d’œuvre étrangère est toujours présenté comme un palliatif ou le résultat d'une absolue nécessité du moins par les responsables du personnel qui ont la charge de répondre aux demandes formulées par les chefs des différents services et secteurs de production. Ceux-ci et le reste du personnel n'y sont pas toujours favorables pour des raisons variées, dans le domaine de la production (difficultés d'adaptation aux contraintes industrielles), des relations humaines (difficultés de communication) ou de la tactique syndicale (difficulté de participation).

CONCLUSION

71D'une façon générale les usines littorales emploient comme tous les établissements d'industrie lourde une main-d’œuvre presque essentiellement masculine et comme tous les établissements d'industrie de base une main-d’œuvre où les proportions d'ouvriers et d'ouvriers ayant une qualification moyenne sont importantes. Elles se distinguent cependant par rapport aux centres sidérurgiques traditionnels par des traits communs qui leur sont propres : les emplois y sont beaucoup plus diversifiés et une grande partie d'entre eux requiert un personnel ayant reçu une formation générale et technique plus longue et plus approfondie. Ce personnel a une moyenne d'âge nettement plus basse et les ouvriers étrangers y occupent une place moins grande.

72Cette similitude des caractères généraux est peu significative au stade de l'établissement, sur le plan sectoriel comme sur le plan spatial. A ce niveau d'étude, c'est la diversité des structures qui est frappante, une diversité due au nombre des facteurs qui déterminent les compositions et à la multiplicité de leurs combinaisons. Ces structures sont d'autant plus variées qu'elles sont changeantes : elles sont l'expression momentanée de la réponse du marché du travail par nature fluctuant, aux demandes variables de l'activité industrielle ; une réponse qu'une politique d'entreprise, voire d'établissement cherche continuellement à modifier, en profondeur ou en nuance, pour améliorer la productivité de la main-d’œuvre, tout comme elle cherche dans le même but quand la nécessité s'en fait sentir, à transformer les conditions particulières de travail et les conditions générales de vie du personnel.

73Les aspects généraux et spécifiques, fondamentaux et évolutifs des structures, sont indispensables à connaître pour comprendre la personnalité humaine de chaque établissement industriel qui s'exprime également par les comportements de la main-d’œuvre, les caractères de son recrutement et de ses conditions d'existence.