1La main-d’œuvre d'un établissement industriel en cours de création et de développement se définit d'abord par l'importance et le rythme de croissance de son effectif. Dans le cadre de l'étude des unités techniques de production, ces deux critères quantitatifs ont une signification qui dépasse celle que l'on tire généralement de l'appréciation numérique d'une population dans un espace donné.

2En effet dans l'étude de la main-d’œuvre industrielle, la distinction quantitative entre catégories d'établissements définis selon l'importance de leur effectif est expressive de différences non seulement d'intensité mais également de nature.

3D'une façon générale, à cause de leur taille, les grands établissements industriels possèdent une main-d’œuvre dont les caractères (les structures, les mentalités, les comportements et les problèmes qu'elle pose) ont des particularités qui ne sont pas l'extrapolation directe et linéaire des traits communs aux établissements de taille inférieure.

4D'une façon plus particulière, c'est-à-dire dans le cas d'usines appartenant à la même branche d'activité et exerçant la même spécialisation, les différences d'effectifs expriment souvent, outre des variations de capacité ou de niveau de production, des différences importantes en matière d'organisation technique, de politique économique et sociale qui ont de profondes répercussions sur les aspects sectoriels de la main-d’œuvre employée.

5Ces aspects sont fortement marqués par le rythme de croissance de l'effectif qui est un des éléments majeurs intervenant dans la détermination de la personnalité humaine de l'établissement industriel. Fixant l’importance et les modalités de recrutement, il intervient directement dans l'évolution des compositions de la main-d’œuvre, il en fixe les besoins de formation, en réglemente les possibilités de promotion et de ce fait joue un rôle décisif dans sa stabilité ou son instabilité.

6 Les effectifs indiqués dans ce paragraphe sont au 31 décembre des années de référence. Ils concernent le personnel de l'entreprise et de ses filiales éventuelles travaillant dans le cadre spatial de l'établissement. Ils comprennent, le cas échéant, du personnel n'exerçant pas d'activités sidérurgiques ; ils excluent les travailleurs de chantiers, les travailleurs employés dans l'usine même pour de longues périodes mais appartenant à des entreprises extérieures au groupe. Les situations différentes et particulières seront signalées dans le cours de l'étude.

I- IMPORTANCE ET DIVERSITE

7Employant en 1975 plus de 6.000 personnes pour les usines de Gand et de Brême, plus de 10.000 pour l'usine de Dunkerque et près de 25.000 pour l'usine d'Ijmuiden, les centres sidérurgiques littoraux appartiennent à la catégorie des très grands établissements industriels1 et comptent parmi les plus importants de leur pays respectif. (Tableau N° 64).

8L'usine KNHS-IJMUIDEN est exceptionnelle ; elle est en effet la plus grande de toutes les usines néerlandaises et la plus considérable de toutes les usines sidérurgiques européennes. L'ensemble industriel Philips à Eindhoven et les ensembles sidérurgiques Hoesch AG à Dortmund et A. Thyssen AG à Duisburg-Hamborn possèdent des effectifs légèrement supérieurs mais répartis en plusieurs établissements distincts au sein de vastes agglomérations. Par contre, les autres centres sidérurgiques littoraux étudiés n'apparaissent pas hors du commun lorsqu'on les compare à des usines sidérurgiques intégrées traditionnelles.

9Dans le cadre des entreprises ou des groupes industriels dont dépendent les centres littoraux, ceux-ci n'ont occupé la première place que progressivement. Par exemple dans le groupe Klöckner en 1970, l'usine de Brême venait devant les usines d'Hagen-Haspe (4767) et d'Osnabrück (4959) mais derrière celle de Georgsmarienhütte (6563). Il en était de même en 1971 dans le groupe Usinor, l'usine de Dunkerque dépassait celles de Thionville (4353) et de Valenciennes (4641) mais elle était devancée par celles de Longwy (8049) et de Denain (8204). La prééminence était plus nette en 1975 : Brême comptait alors 6845 salariés contre 4830 à Georgsmarienhütte et 4294 à Osnabrück ; Dunkerque 10579 contre 8220 à Denain et 7902 à Longwy. La diversité quantitative des effectifs des centres sidérurgiques littoraux résulte de l'intervention de plusieurs facteurs aux modalités d'influence très variables : ancienneté de la création et rythme de développement de l'établissement, importance de la production, nombre et taille des équipements, degré de spécialisation, intensité de l'intégration des services techniques, présence et rôle des services administratifs et commerciaux... etc. Même lorsque la résultante numérique, à savoir l'effectif global, est proche voire identique, la complexité et la multiplicité des combinaisons possibles entre ces facteurs sont tels que chaque usine est particulière sur le plan de sa composition. Cette spécificité est à la base de l'originalité de nombreux aspects sectoriels de la main-d’œuvre ; elle rend indispensable l'étude au niveau de chaque établissement.

10Usine la plus ancienne, l'usine KNHS-IJMUIDEN est la seule à rassembler dans une même enceinte, associée aux activités sidérurgiques, des activités annexes importantes qui représentent 8 à 9 % de l'effectif total employé dans l'établissement. L'usine néerlandaise possède en outre le potentiel de production le plus puissant et le plus complet. Alors qu'en Europe occidentale toutes les usines, anciennes ou nouvelles, ont eu tendance à renforcer leur spécialisation, elle est la seule où a été développé un secteur de laminage de produits longs (ronds et fils) à côté d'un secteur très étendu de laminage de produits plats, à chaud et à froid (tôles fortes, tôles moyennes, tôles fines, fer blanc). Se dotant d'un atelier de tubes soudés, elle s'est également ouverte aux premières transformations de l'acier. (Cf. § Equipement. Production). Avant de s'associer à Hoesch au sein d'ESTEL, la KNHS réalisait ainsi dans le cadre d'un établissement ce qui s'effectue, toute proportion gardée, dans le cadre économique et géographique beaucoup plus large des groupes industriels et financiers auxquels sont rattachées les autres entreprises responsables des centres sidérurgiques littoraux.

11Les secteurs de production (Tableau N° 66, rubriques 1 à 5) ne représentent que 35 % de l'effectif sidérurgique ; ce qui est particulièrement faible par rapport aux autres services : services techniques (rubriques 6 à 11) = 44 % et services administratifs (rubriques 12 à 13) = 21 %. L'importance des services techniques s'explique par la très forte intégration que pratique l'entreprise dans le domaine des travaux de maintenance et d'entretien, d'ingénierie et de construction. Cette politique est déterminée par la position dominante sinon exclusive qu'occupe l'entreprise dans la sidérurgie à l'échelle nationale et par l'absence d'entreprises de services industriels spécialisées dans la maintenance et l'entretien d'équipements sidérurgiques à l'échelle régionale. Le gonflement des services administratifs et autres services généraux est dû au rassemblement à Ijmuiden des services de direction de l'usine et de l'entreprise sidérurgique, du groupe industriel et du groupe financier. La fusion avec la Société Hoesch et l'implantation à Nimègue des services supérieurs de coordination de la NV ESTEL ne devrait que très faiblement atténuer cette concentration. (252 personnes détachées en 1975).

12La différence d'effectif avec les autres usines ne s'explique donc pas seulement pour des raisons techniques au niveau de l'établissement et des raisons économiques au niveau du groupe, mais également pour des raisons de politique industrielle : dans le cas néerlandais, la politique d'intégration s'est imposée dans tous les domaines du fait de son unicité et de sa particularité à l'échelle régionale et nationale, du fait également des modalités historiques de sa création et de son développement. La date de construction des autres établissements, leur conception et leur direction par des groupes industriels possédant déjà un potentiel sidérurgique important, dans des cadres régionaux et nationaux très marqués par cette activité, ont décidé les entreprises à adopter une attitude opposée qui se reflète dans la faible importance relative des services de toute nature par rapport aux secteurs de production.

13Les usines de Brême, de Gand et de Dunkerque ne possèdent que des services administratifs et des services généraux limités : les sièges sociaux, les services commerciaux sont pour USINOR principalement à Paris et dans une moindre mesure à Valenciennes, pour KL0CKNER à Duisburg ainsi qu'à Osnabrück, pour SIDMAR malgré l'apparente identité entreprise-établissement, ils sont en grande partie à Luxembourg et à Bruxelles, c'est-à-dire dans les villes où sont situés les sièges sociaux des groupes industriels et financiers qui interviennent dans la direction de la nouvelle entreprise. Trois raisons principales déterminent une situation comparable pour les services techniques. La première est la faible distance relative entre le centre littoral et les autres usines du groupe dont certaines possèdent des ateliers spécialisés dans l'entretien et la réparation des grands équipements sidérurgiques, susceptibles de répondre aux besoins de l'ensemble du potentiel de production de l'entreprise la seconde est l'implantation du centre littoral dans une agglomération ou une région bien équipée en industries mécaniques et électromécaniques ou en services industriels ; la troisième réside dans le fait que l'ingénierie de ces usines, particulièrement des plus récentes, a été confiée à des sociétés qui continuent à assurer la maintenance ou le gros entretien de certains matériels.

14Naturellement les différences de capacités et de gammes de production contribuent à expliquer les écarts entre les effectifs de chaque usine.

15À cet égard, les usines de Gand et de Brême sont proches l'une de l'autre et se distinguent de celle de Dunkerque dont la chaîne technique est très courte. Privée du laminage à froid dont le coefficient d'emploi est très élevé, l'usine française a un effectif important principalement déterminé par la puissance de ses capacités de production de fonte, d'acier et de demi-produits. La répartition de l'effectif par secteurs de production serait plus proche de celle des autres usines si l'on adjoignait au personnel de l'usine de Dunkerque celui de l'usine de Mardyck que l'on a voulu distincte dans tous les domaines, particulièrement dans celui de la main-d’œuvre. (Cf. § Organisation technique. Structures de la main-d’œuvre).

16Malgré leurs nombreuses ressemblances sur le plan technique et économique, les usines littorales se caractérisent par des effectifs différents sur le plan quantitatif parce que très divers dans leur répartition entre secteurs de production, services techniques, services administratifs généraux. La connaissance de ces distinctions est fondamentale dans 1'étude sectorielle et dans 1'étude spatiale ; leur prise en compte est indispensable pour l'élaboration des ratios de productivité faisant intervenir le travail des hommes, pour la compréhension des structures et des comportements de la main-d’œuvre, pour l'appréhension de l'influence exercée par l'établissement sur le marché du travail et le marché de l'emploi.

II- RYTHME ET CROISSANCE2

17Jusqu'en 1975 où sous l'effet de la crise tous les effectifs fléchissent les centres sidérurgiques littoraux se caractérisent de façon générale par un rythme de croissance soutenu et continu (Tableau N° 70 et N° 71 - Figure N°62). Cette évolution est en rapport avec le calendrier de réalisation des investissements et de développement de la production ; mais cette relation n'est ni directe, ni exclusive. Des situations de sous-effectif ou de sur-effectif relatif et temporaire ne sont pas rares, compte-tenu d'inéluctables décalages pour des raisons techniques ou sociales, soit lors de la mise en marche progressive des équipements neufs dans tous les centres, soit lors de l'arrêt d'équipements obsolescents dans les usines les plus anciennes.

18En matière de croissance, l'usine de Brême s'individualise par un comportement original par rapport aux autres usines littorales : un comportement très proche de celui des usines sidérurgiques traditionnelles. Comme celles-ci l'usine de la Weser a connu une mise en marche échelonnée de ses installations et une augmentation très progressive de ses cadences de production. Aussi après sa période de constitution, l'effectif a-t-il progressé de façon lente et modérée. La réalisation de l'important programme d'investissements de la fin des années 60 et du début des années 70 ne s'est même pas traduite par une accélération sensible de la croissance du personnel, car aux nouveaux équipements a correspondu la fermeture d'ateliers à faible productivité, en particulier celle de l'aciérie Siemens-Martin. C'est seulement le dernier développement du secteur des laminoirs, surtout la mise en marche progressive du nouveau train à bandes à chaud, après celui des secteurs des activités primaires proportionnellement peu exigeantes en quantité de main-d’œuvre, qui devait donner à cette usine, au moins pour quelques années, un rythme de croissance proche de celui des autres centres. Après un début d'accélération, l'évolution fut inversée par la crise.

19Les usines de Dunkerque et de Gand ont été réalisées et se sont développées selon un schéma et un calendrier très différents. L'importante transformation des conditions techniques et économiques lors de leur conception exigea, dans un souci d'efficacité optimale, la mise en place rapide et continue d'une gamme très complète d'équipements de très grande capacité dès la première étape de la construction. Le démarrage de l'ensemble des installations se fit sur une période d'une année pour USINOR-DUNKERQUE, de deux ans pour SIDMAR-GAND dont l'activité était plus riche d'un secteur de laminage à froid. Le profil de la constitution du personnel ne fut pas de ce fait identique. (Fig. N° 63).

20La réalisation de l'effectif originel d'USINOR-DUNKERQUE s'effectua de manière accélérée ; elle fut suivie par une courte période de stabilisation relative. Celle de SIDMAR-GAND fut plus précoce, moins tendue et plus régulière. Ces caractères distincts se retrouvent dans les étapes ultérieures du développement des deux usines : étapes qui se succèdent précipitamment dans le cas de l'usine française, beaucoup plus lentement dans le cas de l'usine belge. Cette nuance aux conséquences très nombreuses sur le plan qualitatif ne saurait cependant pas masquer le niveau très élevé de la moyenne annuelle des créations d'emplois et le caractère exceptionnel par l'importance et la répétition de certaines pointes ; par exemple pour SIDMAR : 1966 = + 1373, 1967 = + 969, pour USINOR : 1962 = + 1135, 1963 = + 1730, 1969 = + 1258, 1972 = + 1440, 1973 = + 1178.

21Dans l'absolu, la croissance de l'usine d'Ijmuiden est encore plus spectaculaire (Figure N° 64). A la succession ininterrompue de plans de développement, à la création continue de l'ensemble industriel, à la progression et à la diversification de la production, correspond un accroissement de l'effectif extraordinaire par son importance et sa permanence. De très courtes et rares périodes de stabilisation (1962-1963, 1966-1967) rythment une croissance qui ne s'est pas démentie de 1945 à 1975. Ici également les pointes exceptionnelles sont nombreuses, par exemple : 1961 = + 1178, 1964 = + 1283, 1965 = + 1007, 1967 = + 1416, 1974 = + 1286. Comme à KLÖCKNER-BREME, l'arrêt d'installations anciennes particulièrement dans le secteur des activités primaires et leur remplacement par l'augmentation de capacité des équipements neufs, ont certaines années, quelque peu atténué les besoins en main-d’œuvre nouvelle.

22Jusqu'en 1975, l'accroissement de l'effectif des usines littorales s'effectue avec un rythme différent selon les usines et variable selon les périodes mais dans l'ensemble très rapide. La création d'emplois y apparaît considérable surtout si l'on se réfère à l'évolution des effectifs pendant la même période au niveau de la branche d'activité ou des entreprises concernées. (Figure N° 65 et Figure N° 66).

23Cette importance est plus évidente encore si le système de comparaison adopté est non plus sectoriel mais spatial. Au niveau local le rythme moyen de création d'emplois dans ces usines correspond alors à la mise en marche chaque année d'un établissement industriel de taille respectable : les pointes équivalent à la taille de très grands établissements.

24En 1975, la crise se traduit dans toutes les usines par une légère diminution des effectifs que l'espoir d'une reprise inversera d'ailleurs l'année suivante. En 1977 l'aggravation générale des difficultés de la sidérurgie européenne entraîne une nouvelle baisse qui reste encore limitée mais qui, faute d'une nette reprise, pourrait s’accentuer et aboutir à des pertes sensibles surtout dans les usines les plus anciennes et les plus complexes où les mesures de rationalisation s'imposent davantage et peuvent être prises plus rapidement que dans les usines nouvelles. La diminution pourrait atteindre 500 emplois à Brême, 1500 à Ijmuiden, elle devrait être plus faible à Gand et à Dunkerque où le maintien des effectifs est recherché par l'intégration d'une part croissante des travaux donnés en sous-traitance. A plus long terme, dans toutes les usines où était prévu un important programme d'investissement qui se révèlera peu à peu indispensable, en particulier à Gand et à Ijmuiden, le redressement de la conjoncture ou la réussite des mesures de restructuration envisagées au sein des groupes devrait alors provoquer une reprise de la progression.