1Comme tous les établissements industriels et surtout comme toutes les grandes unités de production où le phénomène est plus affirmé et plus complet, les usines sidérurgiques littorales sont le point de convergence et de divergence de flux immatériels, principalement financiers et décisionnels, s'organisant en réseaux différents selon leur nature, leur mode et leur niveau d'expression. Le système de relations complexes qui en résulte, détermine l'établissement lors de sa création et au cours de son développement et marque de façon profonde ses caractéristiques structurelles et fonctionnelles. Mais en retour, ce système est lui-même sous l'influence de l'usine littorale qui, par son importance intrinsèque et relative, en est toujours un des éléments majeurs.

2Ce système peut être décomposé en deux structures principales qui s'affirment plus ou moins nettement selon le nombre, le degré d'indépendance respective et la hiérarchie des différents éléments qui les constituent :

3- La première est celle où l'établissement industriel est à considérer comme le point de destination et le lieu d'expression de flux provenant de centres de décision agissant le plus souvent de façon coordonnée et complémentaire, mais parfois aussi individuellement et distinctement. Ces principaux centres de décision sont :

• 1'entreprise qui détient la propriété et l'autorité et se trouve responsable de la gestion, éventuellement dans le cadre du groupe industriel et du groupe financier la contrôlant,

• les groupements d'intérêt professionnel qui intègrent l'entreprise dans d'autres ensembles, sectoriellement plus spécialisés mais spatialement plus étendus : comptoirs de ventes, groupes de rationalisation, chambre syndicale, association de producteurs... etc.

• les autorités publiques, en particulier les Etats, mais aussi les Régions ou les Provinces et la Communauté Economique Européenne qui interviennent de manière variée et sans cesse accentuée au nom de politiques économiques, sociales ou de développement régional.

4Directement ou indirectement par l'intermédiaire de l'entreprise, l'usine littorale est à la fois la résultante et l'instrument de stratégies qui se définissent et s'expriment à l'échelle nationale et internationale.

5- La seconde est celle où l'établissement industriel est cette fois à l'origine de flux financiers et décisionnels qui s'organisent principalement à l'échelle locale et régionale, en étant différents par leur nature, leur intensité et leur ampleur. Comme dans la structure précédente, certaines relations n'ont pas d'existence propre et ne sont que le reflet inversé de flux déterminants, par exemple les mouvements financiers occasionnés par la distribution des salaires ou par le paiement d'achat de services et de biens. D'autres relations, au contraire, ont une réalité particulière bien affirmée, par exemple : les relations informatives, décisionnelles ou financières qui s'établissent entre l'usine et les pouvoirs locaux et régionaux, les autorités administratives, les institutions publiques et parapubliques, les groupes de pression.

6L'étude du système des relations financières et décisionnelles des différentes usines littorales est d'un apport intéressant car elle permet non seulement d'expliquer la plupart des données générales et particulières mises en évidence lors de l'analyse des usines comme centres de production et centres d'emploi, mais aussi de définir et de délimiter d'autres espaces où les usines exercent leur influence.

7Cette étude cependant présente de nombreuses difficultés, tenant principalement à la faiblesse générale de 1'information dans les domaines financiers et décisionnels, particulièrement lorsqu'elle concerne l'établissement ; soit parce que l'information n'existe pas du fait de son élaboration au niveau de l'entreprise où se définit l'essentiel des politiques et où s'opèrent les principales transactions financières, soit parce que cette information n'est pas communiquée, étant trop expressive d'une réalité que l'on veut garder secrète pour des raisons techniques, économiques, sociales ou politiques. A cela s'ajoutent une très grande diversité dans les traditions et les réglementations nationales et une forte variabilité des situations sectorielles et spatiales que la nouveauté et l'importance des usines littorales contribuent à renforcer.

8Pour atténuer les effets néfastes de ces difficultés d'appréhension, la méthode la plus satisfaisante consiste d'abord à dégager les faits fondamentaux par l'analyse approfondie du cas le plus accessible et le plus significatif puis à enrichir et à nuancer leur compréhension par comparaison avec les autres cas dont le faible nombre ne permet pas ici de dresser une typologie.

I- LES RELATIONS DÉTERMINANTES DU SYSTÈME INDUSTRIEL

A- L'APPRÉHENSION GLOBALE : LE CAS DE SIDMAR-GAND

1°- L'intérêt méthodologique

9L'exemple de SIDMAR-GAND est particulièrement intéressant par la coïncidence presque parfaite qu'il présente entre l'établissement et l'entreprise : situation expressive, mais malheureusement rare dans la sidérurgie et à ce stade de concentration technique et économique, qui permet de lever en grande partie l'obstacle déjà signalé du manque d'information au niveau des différentes usines d'une même firme. La correspondance entre les deux entités est ici fonctionnelle, chronologique et spatiale.

10En effet, l'entreprise SIDMAR a été fondée pour créer l'usine littorale intégrée de Gand ; si la naissance de l'entreprise remonte à 1962, son existence normale qui se traduit par un bilan dégageant un résultat d'exploitation, date de 1969 c'est-à-dire après que la totalité des installations de production de l'usine aient été progressivement mises en marche à partir de 1967. L'usine littorale qui rassemble toutes les activités de l'entreprise et regroupe sur le même site le siège social et les ateliers de production, représente la quasi totalité des immobilisations de l'entreprise qui ne possède par ailleurs que quelques titres de participation sous forme de parts dans une société coopérative de cokéfaction (Association Coopérative Zélandaise de Carbonisation-Sluiskil-Pays-Bas) et d'actions dans une société de commercialisation de coke (NV. Cokeshandel-Sluiski-lPays-Bas).

11Cette correspondance offre l'avantage de mettre en relation directe et immédiate les résultats techniques et économiques de l'activité industrielle au niveau de l'établissement et les résultats financiers formulés normalement au niveau de l'entreprise. Aussi permet-elle, non seulement une appréciation valable de l'efficacité, c'est-à-dire de la productivité et de la rentabilité de l'usine, mais aussi la connaissance approfondie du système industriel qui détermine cette usine avant d'être à son tour influencé par elle1. La comptabilité de l'entreprise reflète le fonctionnement de l'entité établissement-entreprise et surtout son financement qui fixe la propriété, régit les pouvoirs de décision, participe à la définition des politiques et à l'application des stratégies. Son étude précise est ici pleine d'enseignements, car elle apporte en plus d'un complément descriptif des phénomènes analysés, un nombre appréciable d'éléments explicatifs fondamentaux.

2°- Le capital social et son évolution

a/ La création de l'entreprise

12C'est à la fin des années cinquante qu'apparaît l'idée de Sidmar, centre sidérurgique, intégré et spécialisé, devant être implanté sur le littoral continental de la Mer du Nord, au Sud de l'estuaire de l'Escaut. L'idée était en parfaite correspondance avec l'époque : malgré la persistance d'une conjoncture médiocre dans un marché déprimé, les sidérurgistes européens, leurs gouvernements et la Communauté Economique Européenne, sont alors tous persuadés de l'impérative nécessité de moderniser rapidement et profondément le potentiel de production de la CECA dont la capacité concurrentielle ne cesse de s'affaiblir devant les résultats des nouveaux producteurs. Que le premier objectif poursuivi soit l'accroissement de la production ou sa rationalisation, la construction en situation littorale de grandes unités entièrement nouvelles s'impose comme le moyen le plus efficace d'obtenir une amélioration sensible de la productivité et de la compétitivité de cette branche. Pour s'adapter au mieux à la mutation en cours des conditions techniques et économiques de la production sidérurgique, le développement des usines de Brême, Ijmuiden ou Cornigliano est accéléré, la construction de Dunkerque et de Tarente est engagée et les projets se multiplient, qui seront réalisés comme celui de Sidmar à Gand et celui de Solmer à Fos ou qui seront abandonnés comme celui de Rozenburg dans l'enceinte portuaire de Rotterdam ou ceux des ports français du Havre et de la Basse-Loire.

13La création de l'entreprise SIDMAR a été le fait de l'association de nombreuses sociétés, diverses par leur nationalité et par l'étendue de leurs activités : soit simples firmes sidérurgiques spécialisées, soit importants groupes industriels ou bancaires, réunis par une convergence d'intérêts techniques, économiques ou financiers. En 1959, c'est la société sidérurgique luxembourgeoise Arbed qui prit l'initiative de créer le "Syndicat International d'Etudes Sidérurgiques" rassemblant autour d'elle les entreprises sidérurgiques belges Cockerill-Ougrée et les Forges de la Providence, le groupe Schneider, la société américaine Youngstone Sheet and Tube Cy2 ainsi que les groupes financiers ayant d'importants intérêts dans la branche d'activité, la Société Générale de Belgique et Brufina-Cofinindus3. Ce syndicat avait pour objet d'étudier les avantages offerts par la création en commun d'un centre littoral doté de toutes les caractéristiques techniques lui permettant d'atteindre les meilleurs niveaux de productivité, qu'aucune entreprise, du fait des énormes investissements que cette construction supposait, n'était capable d'envisager seule. Les premiers résultats de cette recherche encouragèrent le syndicat à poursuivre l'étude du projet dans tous ses aspects, techniques, commerciaux, financiers, géographiques et politiques et à le soumettre pour acceptation à la Haute Autorité de la CECA. Limitée à la fabrication des produits plats, l'autorisation fut accordée le 25 Avril 1962. Le 10 Juillet de la même année, était créée la société de droit belge SIDMAR (Société Sidérurgique Maritime) avec un nombre accru de participants. (Figure n^o 48).

14À cette date, le capital social originel, qui s'élevait à 4,84 milliards de francs belges et qu'il était prévu d'augmenter en deux étapes successives avant la mise en marche de la totalité des équipements, était réparti entre des entreprises de droit luxembourgeois (a), belge (b), français (c) et italien (d) :

15a) - L'ARBED : Société des Aciéries Réunies de Burbach-Esch-Dudelange = 23 % et sa filiale la SALEM : société anonyme luxembourgeoise d'exploitation minière = 19 %.

16b) - La Société Cockerill-Ougrée =21 %,
- La Société des Forges de la Providence = 14,5 %,
- La Société Phénix Works = 2 %,
- La COBEPA = Compagnie belge de participations (représentant les intérêts de la Banque de Paris et des Pays-Bas = 2 %,
- La Société générale de Belgique = 2 %,
- La COFININDUS = Compagnie financière et industrielle du groupe de la Banque de Bruxelles pour la Finance et l'Industrie = 1,5 %.

17c) - Le groupe Schneider ; la société elle-même = 2 % et ses filiales : la Société Métallurgique de Knutange = 2,5 % et la Société Anonyme Droitaumont-Bruville = 1,5 %„

18d) - La Société Acciaierie Ferriere Lombard Falck de Milan = 7 %.

19Les deux étapes ultérieures de réalisation du capital originel, à 7 puis à 8,5 milliards de FB eurent lieu en novembre 1966 et en juillet 1967. La répartition du capital social est alors quelque peu modifiée, soit du fait que les sociétés constituantes ont participé de façon légèrement différente à cette réalisation ou qu'elles ont été elles-mêmes affectées par des mouvements de restructuration (par exemple : fusion de Cockerill-Ougrée et des Forges de la Providence ou encore réorganisation du groupe financier COBEPA), soit par l'arrivée d'un nouveau souscripteur : l'Union Minière qui en 1967 cesse de s'appeler l'Union Minière du Haut-Katanga après que ses biens outre-mer aient été nationalisés et qu'elle ait entrepris surtout dans le cadre de la Société Générale de Belgique, de répartir ses avoirs dans le capital de multiples sociétés industrielles dont SIDMAR. (Figure n^o 49).

20En 1967, le financement de l'investissement initial qui s'élève à 17 milliards de FB est effectué, selon les exigences de la réglementation de la CECA, pour moitié par le capital social, pour moitié par un endettement à long terme sous forme d'emprunts placés auprès des principaux organismes parastataux belges, la Société Nationale de Crédit, à l'Industrie (4 milliards de FB) et la Caisse Générale d'Epargne et de Retraite (2,5 milliards de FB) ainsi qu'auprès des banques privées intervenant déjà dans le capital social (2 milliards de FB).

21Si, comme il sera montré ultérieurement, les modalités de l'endettement sont significatives de l'intervention et du rôle de l'Etat dans le système industriel où est intégré SIDMAR, les caractéristiques de la constitution et de 1'évolution du capital social sont très expressives de l'organisation et du fonctionnement de ce système.

22Malgré leur nombre et leur apparente diversité, voire leurs oppositions de concurrence dans les domaines industriels ou sur les marchés financiers, les participants à la création de SIDMAR constituent un ensemble cohérent aux éléments multiples mais réunis par un réseau dense d'interrelations et d'interdépendances techniques, économiques et financières.

23Au niveau le plus apparent, la communauté est d'ordre technique : par SIDMAR, les sociétés sidérurgiques directement impliquées répondent à plusieurs nécessités, générales et particulières. L'essentiel de leur potentiel de production étant en situation continentale, souvent en enclavement marqué, la création du centre sidérurgique littoral leur permet d'envisager la possibilité d'une adaptation plus satisfaisante, au moins partielle, à leur dépendance extérieure qui ne cesse de s'accentuer pour leur approvisionnement comme pour leurs ventes. Toute production réalisée dans l'usine littorale, sur un équipement très moderne, est avantageuse, qu'elle s'ajoute ou se substitue aux productions effectuées en localisation traditionnelle. Cet avantage est d'autant plus fort que la production concernée est celle des produits plats, particulièrement la tôle fine destinée à l'emboutissage profond et pouvant être livrée dans une très large gamme de dimensions, surtout les plus grandes qui sont très recherchées par les principaux utilisateurs. Par SIDMAR, l'Arbed et Cockerill-Ougrée recherchaient l'élargissement qualitatif de leur production et aussi l'augmentation de leur capacité dans une catégorie de produits pour lesquels on prévoyait une forte progression de la demande. Pour La Providence et le groupe Schneider, très spécialisés dans les produits longs et les aciers marchands, SIDMAR permettait de pénétrer dans les meilleures conditions sur un marché où ils ne jouaient jusqu'alors qu'un rôle très limité. Enfin pour Phénix-Works et Falck, toutes deux spécialisées dans le relaminage et le traitement de la tôle, la participation dans SIDMAR était un excellent moyen de s'assurer une base d'alimentation économique en demi-produits.

24Toute aussi importante est la communauté d'ordre économique : à l'exception de l'entreprise italienne, toutes les autres sociétés sidérurgiques intéressées sont apparues et se sont développées à la même époque, dans les mêmes conditions, sur les mêmes gisements, pour vendre sur les mêmes marchés et sont de ce fait soudées par des liens de complémentarité et de dépendance qui sont plus ou moins formalisées, des relations personnelles les plus tenues aux participations financières et aux contrôles les plus rigoureux.

25Plus déterminante encore est la communauté de nature financière. Sidmar est surtout l'œuvre de groupes financiers puissants agissant directement et par l'intermédiaire de leurs participations dans les sociétés sidérurgiques déjà évoquées. La Société Générale de Belgique, Brufina-Cofinindus, Schneider, COBEPA, se sont associés dans la création de SIDMAR non seulement parce qu'ils y voyaient la possibilité de réaliser un placement avantageux mais surtout parce qu'ils trouvaient là le moyen d'augmenter encore la rentabilité du potentiel industriel qu'ils contrôlent à l'amont, au niveau et à l'aval de la sidérurgie, en Belgique et au Luxembourg, en France et en République Fédérale Allemande.

26Dès sa création, SIDMAR s'est trouvée intimement intégrée dans un système d'une très grande complexité mais où deux dominantes allaient s'affirmer : l'Arbed dans le secteur sidérurgique, la Société Générale de Belgique dans tous les autres domaines constituant l'environnement général, économique et financier de l'entreprise. Comme nous l'avons déjà vu, c'est ce système qui, par sa nature, son ampleur et son organisation, a déterminé la création de SIDMAR, ses caractéristiques statiques et fonctionnelles, comme centre de production et centre de relations techniques et économiques ; en retour, par ses résultats industriels et financiers, SIDMAR, établissement et entreprise, n'a pas été sans exercer une influence sensible sur l'organisation du système.

b/ Le renforcement des dominantes.

27Ce système industriel est d'abord celui de la sidérurgie belge dans son ensemble, avec ses liaisons déterminées et déterminantes dans les sidérurgies voisines, luxembourgeoise, française et allemande. SIDMAR est devenue rapidement un élément essentiel de ce système dont les structures financières n'ont pas cessé, depuis sa création, de se transformer dans le sens d'une concentration toujours plus poussée et d'une organisation toujours plus cohérente. (Figures n^o 50 et n^o 51). Le renforcement de cette cohésion ne s'exprime pas seulement par la densification ou la simplification des interrelations entre les groupes industriels et financiers mais aussi, comme nous le verrons par la suite, dans les politiques définies et appliquées par les organisations professionnelles et le gouvernement belge.

28Pour SIDMAR cette évolution s'est traduite avant tout par une insertion toujours plus étroite au sein des systèmes particuliers de l'ARBED et de la Société Générale de Belgique, parallèlement à l'accentuation de leur emprise sur son capital social. Déjà amorcée lors de la réalisation du capital originel, elle s'effectua par étapes et aboutit en 1976 à 11 appropriation par l'Arbed de 82,4 % des actions SIDMAR et au contrôle indirect par la Société Générale de Belgique de 75,5 % du capital de l'entreprise gantoise.

29En 1970, l'Arbed profite de ce que certains participants ne souscrivent pas à l'augmentation du capital de SIDMAR qui est alors porté à 9,5 milliards de FB. Il s'agit en particulier de Cockerill-Ougrée Providence qui la même année fusionne avec la "Société Métallurgique Espérance-Longdoz" pour constituer un ensemble industriel aussi uni et aussi puissant que possible à l'échelle du Bassin de Liège. Dans cette optique, la nouvelle "Société Anonyme Cockerill-Ougrée-Providence et Espérance-Longdoz", appelée d'un mot "Cockerill" est amenée à prendre le contrôle de la Société Phenix-Works dont les parts dans SIDMAR sont immédiatement rachetées par l'Arbed. En 1972, l'Arbed tire à nouveau parti de mouvements de restructuration dans lesquels sont impliquées certaines sociétés ayant contribué à la création de SIDMAR : ainsi la société luxembourgeoise achète alors les participations du groupe Schneider engagé dans une profonde mutation à la fois financière et industrielle en Belgique et en France,ainsi que celle du groupe COBEPA qui profita, pour réorganiser son patrimoine sidérurgique, des possibilités offertes par la fusion des groupes financiers Brufina-Cofinindus (groupe de Launoit) et la Société Lambert pour le Commerce et 1'Industrie (groupe Lambert de Bruxelles) dans laquelle il était lui-même impliqué comme holding de la filiale belge de la Banque de Paris et des Pays-Bas. Enfin en 1975, l'Arbed, par une de ses filiales bancaires, la "Banque Générale du Luxembourg", rachète la participation de Cockerill qui, très affecté par la première année de crise, avait besoin de capitaux pour investir et pour se garantir après la décision du groupe Schneider de vendre ses actions dans la Société financière Winterslag qui détenait une partie de son propre capital. Techniquement, Cockerill justifia cette importante cession par sa volonté de concentrer ses activités dans la région liégeoise et par la nécessité de favoriser dans ce cadre spatial le développement de sa filiale PhenixWorks agissant en partie sur le même marché que SIDMAR.

30Tous les mouvements ayant affecté les structures financières de la sidérurgie belge ont concerné avec une intensité variable l'entreprise SIDMAR en modifiant sa situation relative dans la branche d'activité et en permettant l'affirmation de certains groupes. Cette influence a été permanente que les mouvements aient eu des origines techniques (comme la fusion Cockerill-Ougrée et Providence qui cherchait à valoriser l'association de potentiels de production complémentaires), une base géographique (comme la fusion. Cockerill-OugréeProvidence et Espérance-Longdoz qui cherchait à unifier 1'.activité sur le bassin de Liège ou les associations ultérieures visant à des buts similaires sur le Bassin de Charleroi) ou des causes simplement financières (comme ce fut le cas pour toutes les transformations ayant abouti en 1975 à une nouvelle répartition des participations financières entre les principaux groupes financiers régissant la sidérurgie belge).

31La force du contrôle de l'Arbed et de la Société Générale de Belgique apparaît dans la composition du Conseil d'Administration de SIDMAR. Les postes de président et de vice-président sont détenus par les plus hautes autorités du groupe industriel et du groupe financier et ceux de l'administration sont en grande majorité occupés par les administrateurs et les directeurs de l'un et de l'autre groupe.

32Les preuves sont multiples de cette détermination de SIDMAR, comme usine et comme entreprise, par les systèmes de relations financières et décisionnelles où elle est intégrée. Il suffit de rappeler comment l'organisation des liaisons techniques et économiques de l'usine littorale est marquée dans la plupart de ses caractéristiques par l'influence de la Société Générale de Belgique qui contrôle une part essentielle de l'activité économique nationale belge en participant directement au capital et à l'administration de plus de 76 sociétés ayant elles-mêmes plus de 200 filiales. En 1972, année du cent cinquantième anniversaire de la Société Générale de Belgique, toutes ces entreprises représentaient plus de 200.000 emplois et réalisaient un chiffre d'affaires annuel supérieur à 200 milliards de FB. Leurs actifs qui se montaient à plus de 500 milliards de FB, étaient répartis entre de multiples activités qui intervenaient alors dans la valeur estimative du "portefeuille actions" selon les proportions suivantes :

33En apportant son appui financier, comme nous le verrons précisément par l'étude de l'endettement de SIDMAR, et surtout en participant directement à la gestion de toutes ces entreprises, la Société Générale de Belgique multiplie les interrelations et les interdépendances génératrices d'économies et de profits.

34Parmi ces interdépendances doivent être soulignées celles qui sont établies entre l'Arbed et SIDMAR. Le très important groupe luxembourgeois dont le potentiel industriel englobe des activités variées dans les secteurs de la sidérurgie, de la tréfilerie et de la construction métallique, principalement réparties au Luxembourg, en Belgique et en Allemagne Fédérale, n'a pas cessé de renforcer le rôle que doit jouer SIDMAR dans la nouvelle organisation qu'il a progressivement mise en place après 1970. Cette organisation repose sur le regroupement des différentes activités industrielles au sein de sociétés dotées d'une plus grande autonomie de gestion, spécialisées chacune dans une famille de produits : TREFILARBED réunissant toutes les activités de tréfilerie, MECANARBED regroupant tous les secteurs de la construction métallique et mécanique, l'ARBED elle-même se spécialisant dans la sidérurgie proprement dite. Dans cette branche, trois pôles ont été distingués et une fonction particulière a été affectée à chacun d'entre eux : SIDMAR produisant en Belgique la tôle fine laminée à froid en larges bandes et fournissant de plus en plus les usines intérieures en demi-produits, l'Arbed effectuant au Luxembourg dans les usines d'Esch-Belval, EschSchifflange, Differdange et Düdelange, toutes les productions du cycle sidérurgique mais se spécialisant de plus en plus dans les activités terminales et de transformation ; les Stahlwerke Rôchling-Burbach Gmbh (Arbed = 50 %) faisant de même dans les usines allemandes de Vôlklingen et de Burbach.

35Une preuve évidente de la très forte inclusion de SIDMAR dans le système industriel de l'Arbed a été fournie lors de la création le 1er Juillet 1976 du Groupement Economique International, rassemblant sous le nom de DENELUX, les sidérurgies d'Allemagne Fédérale, des Pays-Bas, du Luxembourg et SIDMAR. Cette association dont le premier président était le directeur de 1'ARBED, affirmait être créée pour "harmoniser les investissements au niveau européen dans le but de planifier la production et de réglementer les prix". Accusée de "nouveau cartel de l'acier", elle fut contrainte par les nombreuses réactions des pays de la CEE non concernés et par celles de la Commission de Bruxelles, d'abandonner ou d'amender certains projets d'ententes4. L'association, même apparemment vidée de l'essentiel de sa substance par les dispositions anti-crise prises à Bruxelles, n'en demeure pas moins une réalité. Si son efficacité potentielle semble bien atténuée par la reprise en main de la Commission de la CEE et par la création d'une Fédération Européenne des Producteurs d'Acier (EUROFER) qui théoriquement l'englobe et doit assumer en grande partie la politique qu'elle prescrivait, l'association des sidérurgistes allemands, néerlandais et luxembourgeois, n'en constitue pas moins un ensemble au sein duquel seront définis plus ou moins officiellement la stratégie des entreprises et le devenir des établissements, en particulier ceux de SIDMAR-GAND.

3°- L'endettement et sa signification

36Second volet du financement de l'entreprise, l'endettement est également très expressif des flux décisionnels qui, par-delà les flux financiers, déterminent les différentes politiques de l'entreprise et les caractéristiques, à la fois statiques et fonctionnelles, de 1'établissement.

37L'endettement de l'entreprise comprend l'endettement à long terme qui concerne le marché financier et s'applique prioritairement à la création et au développement du potentiel de production et l'endettement à court terme qui concerne le marché monétaire et s'applique surtout au fonctionnement. Si traditionnellement seul l'endettement à long terme était retenu dans les études d'entreprises, il est maintenant nécessaire, tant son importance et son influence s'accroissent, d'analyser également l'endettement à court terme.

a/ L’endettement à long terme

38Comme l'exigeait la réglementation de la CECA, les dettes à long terme furent contractées à la création pour un montant équivalent à la valeur du capital social. Cet endettement vit son importance décroître lentement et assez régulièrement jusqu'en 1974 pour remonter brutalement en 1975, sous l'effet de la crise et de la nécessité de combler les pertes de l'exercice5. Rapporté au chiffre d'affaires, sa valeur peut sembler importante : 95 % en 1971, et 75 % en 1975, surtout si on le compare aux moyennes enregistrées dans la sidérurgie belge, respectivement 40 % et 34 % ; rapporté à l'immobilisé net, sa valeur apparaît d'autant moins considérable qu'on la compare à la moyenne nationale : les taux étaient en 1972 de 55 % pour SIDMAR et de 50 % pour la sidérurgie belge. (Tableau n^o 50). Malgré sa nouveauté et le rythme très rapide de sa croissance, l'entreprise, grâce à des résultats financiers qui furent très satisfaisants jusqu'en 1974, n'a pas souffert d'un endettement excessif, comparable par exemple à ceux enregistrés au Japon ou en France. Si la charge financière des emprunts n'est pas considérée comme insupportable, les sommes concernées sont cependant si importantes que leur financement exerce une action déterminante sur l'entreprise.

39. Ce financement est fondamentalement celui de l'Etat et des banques privées, secondairement celui de la CEE et de la Ville de Gand.

40. L'Etat belge est intervenu dès la création de SIDMAR par le biais de la SNCI (Société Nationale de Crédit à l'Industrie) et de la CGER (Caisse Générale d'Epargne et de Retraite) : en Belgique, les plus puissantes institutions parapubliques de financement des investissements industriels et commerciaux qui ont respectivement prêté 4 milliards et 2,5 milliards sur les 8,5 milliards de FB qui furent empruntés pour la fondation de l'entreprise. Le rôle et l'aide de l'Etat apparaissent comme essentiels non seulement par le montant des crédits accordés qui représentaient alors 10 % de la totalité des crédits attribués par ces sociétés pendant quatre ans à l'ensemble de l'industrie nationale mais surtout par les conditions dans lesquelles ces crédits furent octroyés. Les avantages étaient nombreux : remboursement en 10 annuités à partir de la 6ème année de l'octroi des prêts, bonification d'intérêt avec participation directe de l'Etat jusqu'à concurrence de 3 % durant les cinq premières années, garantie de l'Etat et nombreux dégrèvements fiscaux. Ces avantages devaient être maintenus, voire accentués pour faciliter les extensions ultérieures de l'usine, par exemple : consolidation à concurrence de 2 milliards de FB des échéances des emprunts à partir de 1972 avec étalement des remboursements sur une nouvelle période de 15 ans à partir de 1975, octroi des premières tranches d'un nouveau crédit de 4,8 milliards de FB demandé dans le cadre d'un plan de développement encore en discussion en 1976.

41L'ampleur de l'intervention s'explique par le fait que SIDMAR a pu bénéficier de toutes les lois de relance économique promulguées par le gouvernement belge (-lois du 17-18 Juillet 1959 - lois du 4 Juillet 1966- lois du 30 Décembre 1972), soit au nom de sa politique industrielle et particulièrement sidérurgique, soit au nom de sa politique régionale et surtout d'aide au développement de la Flandre orientale. Cette intervention fut et reste déterminante. La création de SIDMAR-GAND, proposée par le secteur privé, fut défendue par le gouvernement belge dans le cadre européen, dans le cadre national et dans le cadre régional :

• dans le cadre européen à l'encontre d'un projet comparable et concurrent à réaliser par des sociétés néerlandaises à Rozenburg dans la zone portuaire de Rotterdam.

• dans le cadre national comme moyen, sur le plan sectoriel, de favoriser et d'accélérer les transformations techniques et économiques de la sidérurgie belge de plus en plus engluée dans des structures inadaptées et, sur le plan spatial, de contribuer au développement économique de la partie flamande du pays, participant ainsi activement à l'atténuation des conflits nationaux fondamentaux.

• dans le cadre régional, en faveur de la zone industriéloportuaire de Gand, aux dépens de celles d'Anvers et de Zeebrugge, toutes deux dotées d'autres fonctions et aidées d'autres façons, que ce soit dans le domaine portuaire ou dans le domaine industriel.

42SIDMAR-GAND a été déterminée, dès sa création, par l'aide de l'Etat qui s'est exprimée à la fois par une intervention directe et décisive dans son financement et d'une manière tout aussi considérable bien qu'indirecte par la modernisation, en grande partie payée par les finances publiques, des conditions locales d'accueil industriel. (Cf. Livre III : Influence sur la croissance économique et le développement régional). SIDMAR-GAND a été également influencée lors de son développement qui s'est effectué dans le cadre du Comité de Concertation de Politique Sidérurgique, créé le 15 Avril 1967 à l'initiative du gouvernement belge. Première expérience de politique sectorielle concertée, ce Comité associe des représentants du Gouvernement (6), du Patronat (10) et des Syndicats (10) pour définir un programme général intégrant, au mieux des intérêts de toutes les parties en présence, les programmes des groupes particuliers en matière de restructuration, de rationalisation ou d'investissement susceptible d'entraîner des modifications importantes sur le plan économique et social. Un pouvoir effectif fut donné au Comité en faisant dépendre de son accord l'aide financière de l'État pour la réalisation de tout projet concernant la branche d'activité. Son fonctionnement fut assez régulier et son efficacité dans l'ensemble satisfaisante jusqu'à la fin de 1974, c'est-à-dire durant une période de conjoncture globalement favorable ayant permis une croissance, variable mais générale, des principales entreprises et des principales implantations. Toutes les extensions de SIDMAR furent autorisées et par conséquent aidées, compte tenu de leurs caractères bénéfiques sur le plan technique, économique, social et régional : SIDMAR apparaissant d'une part, comme l'un des éléments les plus actifs de la modernisation de la sidérurgie belge et donc du renforcement de sa compétitivité et d'autre part, comme un facteur décisif de création d'emplois et de développement économique dans la province de Flandre Orientale. La crise de 1975 et son accentuation durant les années 1976-1977 devaient entraîner la multiplication des blocages au sein du Comité où les représentants syndicaux n'ont pas cessé de s'opposer à des mouvements de restructuration, définis essentiellement au niveau des groupes financiers et devant se solder inéluctablement par de considérables diminutions d'emplois. Cette situation ne devait pas gêner sensiblement SIDMAR dont les projets de doublement de capacité étaient naturellement reportés sine die mais qui continua de bénéficier d'une aide financière appréciable octroyée sous forme d'avance.

43Le "Comité de Concertation de Politique Sidérurgique" est un des révélateurs de l'action de la Profession, c'est-à-dire de l'intervention du groupe de pression que constituent les producteurs nationaux rassemblés au sein de différents groupements ou associations ; par exemple : le Groupement des Hauts Fourneaux et Aciéries Belges, le Groupement des Relamineurs Belges du Fer et de l'Acier, le Comité de la Sidérurgie belge, etc. Sans que ces associations agissent financièrement et en leur nom propre, leurs membres les plus influents, présidents, administrateurs et directeurs, sont les mêmes personnes que l'on retrouve à la tête des plus grandes entreprises ou au sein des conseils d'administration des groupes industriels et financiers qui jouent un rôle dans la gestion de l'entreprise littorale par l'intermédiaire du financement de son capital social ou de son endettement.

44Dans 1'endettement à long terme interviennent les prêts accordés pour des montants limités mais à des conditions intéressantes, par la Communauté Economique Européenne et la Ville de Gand.

45A différents titres la Commission a ouvert des crédits à taux réduit, en particulier : 440 millions de FB pour la construction de la cokerie qui participait à l'atténuation du goulot d'étranglement que représentait au niveau de la CEE l'insuffisante capacité de cokéfaction, 50 millions de FB pour la construction de logements sociaux destinés aux salariés de SIDMAR, 360 millions de FB en 1975 pour aider à la résolution des problèmes nés de la crise de la sidérurgie. Ces facilités ne sont qu'un aspect mineur de l'influence qu'exercent les instances communautaires sur l'entreprise et sur l'établissement. Sans parler de la définition et de la mise en œuvre d'une politique économique générale qui s'applique indistinctement à l'ensemble de la sidérurgie européenne, il faut souligner le caractère directif des autorisations d'investissement, des accords de spécialisation ou de commercialisation, des approbations en matière d'entente ou de concentration. Ces décisions qui concernent de nombreux aspects de la vie particulière de l'entreprise finissent, à cause de leur nombre et de leur caractère obligatoire, par marquer sensiblement l'établissement lui-même.

46Bien que très limitée en matière financière et décisionnelle, l'intervention des Autorités publiques locales et régionales et leur influence dépassent largement l'octroi du prêt à long terme à des conditions avantageuses qui fut accordé à SIDMAR pour la construction de son mur de quai, c'est-à-dire de son infrastructure portuaire spécialisée dans l'enceinte du port de Gand. Là encore, toutes les actions qui s'exercent tant sur l'environnement économique que sur l'environnement social de l'usine modulent ses caractéristiques spécifiques comme centre de production et centre d'emploi, centre de relations techniques et économiques et centre de relations humaines.

47L'endettement à long terme souligne le rôle, déjà évoqué dans la constitution du capital social, des grands groupes financiers belges et luxembourgeois particulièrement de la Société Générale de Belgique et des banques associées à l'Arbed ; les exemples sont nombreux d'une intervention importante surtout à la création de l'entreprise (2 milliards de FB de crédits bancaires à long terme) et dans les périodes de dépression économique (1 milliard de FB de crédits d'investissements accordés en 1975 par un groupement de banques luxembourgeoises qui, la même année, permettaient à l'Arbed de racheter les actions que Cockerill possédait dans SIDMAR, pour un montant de 3,150 milliards de FB !). Ce rôle est d'autant plus déterminant que c'est auprès de mêmes groupes financiers que sont contractées les dettes à court terme.

b/ L'endettement à court terme

48Les dettes à court terme représentent une part croissante des capitaux utilisés par l'entreprise, passant dans les années 1967-1976 d'un niveau inférieur à 10 % à un niveau variant entre 20 et 25 %. Cette augmentation qui révèle l'importance des besoins financiers de l'entreprise rend particulièrement évidente l'emprise de la puissance bancaire qui, par cet intermédiaire, tire parti de l'augmentation du taux de l'escompte et réalise d'importants profits même lorsque les bénéfices industriels sont faibles voire inexistants.

4°- L'autofinancement

49A l'exception des années où la crise de la sidérurgie l'impose comme une impérative nécessité, l'endettement, même à court terme, a été systématiquement utilisé, étant permis par une capacité d'autofinancement suffisante pour maintenir les équilibres fondamentaux. Tous les résultats financiers montrent une rentabilité satisfaisante du capital investi, surtout si on la compare à celle obtenue dans la sidérurgie belge en général. En moins de dix ans la valeur des amortissements a dépassé 50 % de la valeur des immobilisations brutes, la valeur de 1'immobilisé net a dépassé 40 % de l’actif. (Cf. Tableau n^o 50). Les rapports Résultats bruts/Chiffres d'Affaires sont très expressifs des différences de rendement financier entre l'entreprise littorale et la sidérurgie nationale ;

50Il en est de même du rapport Cash flow/chiffre d'Affaires qui, par exemple, s'élevait pour SIDMAR en 1970 à 31,5 %, en 1972 à 18,9 % et pour la sidérurgie belge respectivement à 15,0 % et à 7,8 % ; comme du rapport Bénéfice à répartir/Fonds propres qui était pour SIDMAR de 1,6 % en 1971 et de 4,2 % en 1973, alors qu'il était respectivement de 1,1 % et 1,6 % pour la sidérurgie belge.

51Le réinvestissement a été très important comme le prouve le tableau de financement des années 1973-1974-1975, c'est-à-dire à la fois des années fastes et des années déprimées.

5°- Conclusion

52Cette importance de l'autofinancement est très expressive d'une croissance aussi rapide que possible affirmée au niveau de l'entreprise ; elle ne doit cependant pas faire illusion quant à son indépendance réelle.

53Par les modalités de son financement et de son administration, SIDMAR est déterminée par la résultante des forces qui sous-tendent les flux financiers et décisionnels. Les groupes industriels et financiers directement impliqués, individuellement ou dans le cadre de leurs associations, l'Etat et la Communauté Economique Européenne, par leurs interventions spécifiques ou par leurs législations ou réglementations générales, sont autant de centres de décision et de systèmes de relations qui sont intervenus, d'une part dans la création de l'entreprise et d'autre part dans la localisation, les caractéristiques du potentiel de production et le fonctionnement de l'établissement sidérurgique.

54L'idée de créer un nouveau centre, pour profiter au mieux des avantages offerts par une adaptation précise et constante à l'évolution des conditions techniques, économiques et géographiques de la production sidérurgique, a été le fait d'un ensemble d'entreprises industrielles et de sociétés financières pour la plupart déjà très unies par un réseau dense d'interrelations et d'interdépendances techniques et économiques, financières et décisionnelles.

55Les principales firmes sidérurgiques et les principales banques d'affaires belges et luxembourgeoises ont participé à la définition d'un projet dont la localisation littorale s'imposait comme seule susceptible de répondre au mieux à toutes les exigences structurelles et fonctionnelles, d'un centre de production moderne et de grande capacité.

56La décision d'exécution du projet devait entraîner une modification des systèmes de relations. Cette transformation résulta, d'une part d'un mouvement de concentration qui, d'origine interne et externe, aboutit au renforcement de la domination des groupes majeurs, et d'autre part de l'intervention de nouveaux participants, en particulier des représentants de la Profession dans ses organisations collectives, de la Communauté Economique Européenne et surtout de l'Etat belge.

57La localisation précise dans la zone industrielo-portuaire de Gand fut déterminée par un grand nombre de pressions, de nature et d'intensité variables, provenant soit des autorités publiques, soit des intervenants privés et poursuivant des objectifs différents. L'implantation se fit sur un terrain dont l'ARBED possédait une large part depuis de nombreuses années, dans une agglomération qu'elle connaissait pour y avoir créé et développé une tréfilerie.Dans cette même région, la Société Générale de Belgique contrôlait un important potentiel industriel et envisageait de réaliser de considérables investissements. Enfin Gand était un lieu bien défini dans la stratégie d'aménagement du gouvernement belge d'équilibre entre les régions, entre les provinces, et entre les ports, à la fois pour susciter le développement d'une région économiquement et socialement en crise et pour soutenir la croissance d'un port dont on cherchait à rentabiliser au plus vite la coûteuse modernisation.

58L'équipement originel de l'usine, son évolution ainsi que son fonctionnement reflètent les influences multiples des différents composants du système de relations, qu'il s'agisse de la spécialisation dans certains produits plats, des écarts de capacité entre les équipements de l'intégration ou non de certaines activités, de l'organisation enfin des flux d'approvisionnement ou de vente.

59Mais l'usine littorale n'est pas seulement un point passif des systèmes de relations financières et décisionnelles qui la détermine, elle en est également un élément actif. Par son existence et par ses résultats, elle influence les politiques et les stratégies, à la fois sur le plan sectoriel et sur le plan spatial, des centres de décision et l'organisation des sytèmes de relations.

60Dans tous les autres cas étudiés, la dissociation entre l'établissement et l'entreprise ne permet pas d'appréhender avec autant de précision les caractéristiques des réseaux de relations financières et décisionnelles. Il est cependant intéressant de tenter l'approche même approximative des modalités d'insertion de chaque établissement dans son propre système pour comprendre l'originalité, déjà mise en évidence, de son équipement ou de son fonctionnement et surtout de prendre connaissance des limites du domaine où s'exercent certaines de ses influences les plus sensibles.

B- Un système domine par le groupe industriel : le cas klöckner.

61Le système dans lequel est intégrée l'usine KLÖCKNER-BREME présente une plus grande simplicité. Si les éléments de ce système sont identiques à ceux analysés précédemment par leur nature et par leur nombre, leur importance relative est très différente : le groupe industriel affirme une nette prédominance et une grande indépendance par rapport aux autres facteurs dont l'intervention, qu'il s'agisse de la sidérurgie dans ses organisations professionnelles, des banques d'affaires ou de l'Etat, apparaît fort limitée. La puissance et l'autonomie du groupe industriel est une donnée traditionnelle et qui reste fondamentale dans l'industrie allemande, particulièrement dans la sidérurgie. Le groupe Klöckner Werke AG est très représentatif de ce type d'organisation : il constitue une entité dotée d'une forte cohésion, à l'intérieur de laquelle se développent de façon prioritaire les relations financières et décisionnelles déterminant l'usine littorale.

1°- Les structures du groupe

62Avec en 1975 un chiffre d'affaires de 3,386 milliards de DM, un effectif de 24.954 personnes, une production d'acier brut de 3,288 millions de tonnes, le groupe Klôckner Werke AG se classait au 4ème rang des des groupes sidérurgiques allemands. Son organigramme distingue deux secteurs principaux et un secteur annexe : l'un associant les activités liées à la production sidérurgique, le second toutes les activités de transformation, le troisième, de moindre importance, étant chargé de la gestion d'un patrimoine divers de valeurs mobilières et immobilières.

63Le domaine sidérurgique qui réalise environ 60 % du chiffre d'affaires du groupe consolidé comprend alors principalement :

64- des entreprises de production sidérurgique :

• La Klôckner Werke AG - Hütte Bremen - spécialisée dans les produits plats et responsable de l'usine littorale.

• La Klôckner Werke AG - Georgsmarienhütte, Osnabrück - spécialisée dans les produits longs et responsable des usines de Georgmarienhütte et de Hagen-Haspe.

• La Hamburger Stahlwerke GmbH (contrôlée à 49 % par l'intermédiaire d'une participation à 50 % dans la Ferrocontor Beteiligungsgesellschaft) spécialisée dans la production des fils et ronds à béton à partir d'une installation de réduction directe implantée dans la zone portuaire de Hambourg.

65- des entreprises intéressées à la production, au transport ou à la manutention des matières premières, en particulier :

• La Weserport Umschlaggesellschaft mbH - Bremerhaven (filiale à 50 %) chargée de la gestion du port minéralier de Weserport.

• La Erzkontor Ruhr GmbH - Essen (participation : 16,7 %) qui intervient dans l'approvisionnement de la sidérurgie allemande par la constitution et la gestion d'un portefeuille de participations dans des sociétés minières (particulièrement outre-mer), par le regroupement des commandes et par l'organisation du transport.

66- des entreprises spécialisées dans la technologie et la fabrication du matériel de production sidérurgique, surtout :

67- La Korf Engineering GmbH (participation : 26 %) spécialisée dans la conception, la construction et la maintenance d'installations sidérurgiques, en particulier des aciéries électriques et des installations de réduction directe par le procédé Midrex.

68Le domaine "transformation" qui réalise 40 % du chiffre d'affaires, regroupe des entreprises aux activités diverses mais très liées dans les secteurs de la métallurgie, des matériaux de construction, des matières plastiques, de l'énergie électrique et du commerce des produits à usage industriel.

69La métallurgie est représentée principalement par :

• La Klôckner Werke AG - Werk Osnabrück aux spécialités multiples : fonderie et forge de grosses pièces en aciers spéciaux, matériel ferroviaire, chaudronnerie industrielle pour les usages particuliers des industries chimiques et nucléaires, constructions métalliques, etc...

• La Klôckner Werke AG - Mannstaedt, Troisdorf principalement orientée vers la fabrication d'une très grande gamme de profils en métal, pleins ou creux, ou en matières plastiques, la production de pièces métalliques pressées ou estampées, l'élaboration d'objets de fonderie dont les lingotières à usage sidérurgique.

• La Vereinigte Drahtindustrie GmbH - Hamm (filiale commune de la Klöckner Werke AG et de la Fried.Krupp Hüttenwerke AG) qui, directement ou par l'intermédiaire de ses filiales propres, réalisent un grand nombre de produits dans le domaine des fils et des étirés d'acier, recouverts ou non, fils machine, ronds à béton, cables.... etc.

• La Klôckner Ferromatik GmbH - Castrop - Rauxel fabriquant, d'une part, le gros appareillage hydraulique utilisé principalement dans l'extraction minière, le traitement mécanique des métaux, la construction des équipements de manutention lourde et, d'autre part, des machines de façonnage des matières plastiques par pression, extrusion ou soufflage.

• La Klôckner Ferroform-Duisburg produisant toutes les pièces métalliques utilisées comme matériaux de construction par les industries du bâtiment et des travaux publics sous forme d'éléments simples ou de compositions complexes pouvant aller jusqu'à la livraison clefs en main de bâtiments importants à usage d'habitation ou d'activité économique.

• La Klôckner Steadman Container - Duisburg (50 %) intégrant toutes les activités relatives à la fabrication non seulement des conteneurs mais aussi des équipements de manutention, des véhicules de transport et des installations de stockage de ces conteneurs.

• La Klôckner lonon GmbH - Köln (49 %) spécialisée à la fois dans le traitement de surface des métaux par le procédé de ionisation et dans la production des matériels employés pour la mise en oeuvre de ce procédé.

• Des participations minoritaires dans de nombreuses sociétés allemandes ou étrangères de métallurgie lourde ou différenciée.

70- Le secteur des matériaux de construction regroupe principalement :

• La Klöckner-Durilit GmbH - Osnabrück, importante société qui, avec ses filiales, est l'un des principaux producteurs allemands de matériaux de construction, (matériaux d'empierrement, ciment, béton... etc.) d'éléments de construction en béton simple et armé (tuyaux, façades) de constructions complètes préfabriquées (garages, écoles, constructions diverses... etc.).

• La Dolomit Werk Salzhemmendorf GmbH (87,6 %) spécialisée dans la livraison des fondants à usage sidérurgique et métal lurgique.

71- Le secteur des matières plastiques et du verre textile comprend :

• La Klöckner - Pentaplast GmbH - Heiligenroth fabriquant des produits à base de polychlorure de vinyle.

• La Klôckner Schott Gevetex Textilglas GmbH-Dortmund (25 %) produisant la laine de verre sous de multiples formes.

72- Le secteur de l'énergie est principalement le fait de :

73- La Klöckner-Werke AG Grosskraftwerk Rauxel qui possède et gère une puissante centrale thermique dans la Ruhr.

74- Le secteur du commerce englobe :

• La Westholz(Westfälische Holzgesellschaft mbH)-CastropRauxel qui commercialise les bois de toutes les origines, sur toutes les formes y compris sous celles d'objets préfabriqués utilisés par les industries de la construction.

• La Klôckner Dowly GmbH - Castrop-Rauxel (50 %).

• La Klôckner - Stahl GmbH - Essen (50 %) spécialisée dans le négoce des produits sidérurgiques et métallurgiques.

75- Le groupe Klôckner est enfin associé à l'activité d'un très grand nombre d'entreprises dont il possède une part variable du capital, soit essentielle, soit très minoritaire. Dans le premier cas, il s'agit essentiellement :

• de sociétés financières comme la Klôckner Finanz SA Luxembourg, société de portefeuille qui gère l'ensemble des participations étrangères possédées par le groupe,

• de sociétés immobilières assurant la gestion du patrimoine que constituent les logements que l'entreprise fit construire près de ses usines traditionnelles, comme :
  - La Domus Verwaltungsgesellschaft mbH - Castrop-Rauxel.
  - La Siedlunggesellschaf mbH - Castrop-Rauxel.
  - La Wohnungsbau GmbH - Troisdorf.
  - La Siedlungs-und Wohnungsbau GmbH Unna Königsborn - Castrop-Rauxel.
  - La Klôckner - Georgsmarienwerk Wohnbau GmbH Osnabrück... etc.

76Dans le second cas, il s'agit d'entreprises dont les productions sont, sur le plan technique, plus ou moins directement liées aux diverses activités, anciennes ou actuelles, du groupe Klôckner. En fonction des mouvements de restructuration organisés de l'intérieur ou de l'extérieur du groupe, les caractéristiques principales de ces participations peuvent être rapidement modifiées. Parmi les plus importantes et les plus stables on peut citer :

• La Ruhrkohle AG - Essen (4,7 %)

• La Steag AG - Essen (5,7 %)

• La Didier Werke AG - Wiesbaden (3,1 %)

• L'Aktiensgemeinschaft - Deutsche Steinkohlenreviere GmbH Düsseldorf (1,6 %).

77Le groupe Klöckner-Werke AG se caractérise non seulement par sa puissance qui le classe parmi les premiers ensembles industriels allemands mais surtout par la diversité et la complémentarité de ses multiples activités. Telle qu'elle apparaît en 1975 son organisation est l'aboutissement d'une politique systématiquement poursuivie :

• de rationalisation de la production sidérurgique,

• d'intégration principalement vers l'aval en vue d'une valorisation progressive par la transformation métallurgique,

• de diversification orientée surtout vers les industries des matières plastiques et les industries de la construction où sont utilisés une multitude de produits provenant des activités majeures ou secondes de la société mère et de ses principales filiales. (Tableau n^o 52).

78À l'amont de la production sidérurgique, le groupe a des intérêts dans la mise en oeuvre des matières premières, particulièrement en ce qui concerne l'achat et le transport du minerai de fer et le traitement des matières minérales – castine, chaux, dolomie – utilisées à différentes étapes du processus de fabrication. Jusqu'à la création de la Ruhrkohle AG qui procéda à la restructuration de 1'ensemble des charbonnages de la Ruhr, l'emprise s'étendait au domaine charbonnier sous la forme de possession de mines, de cokeries et d'usines carbochimiques.

79- Au niveau de la production sidérurgique, les activités du groupe englobent la fabrication de la fonte et de l'acier, dans la plupart des nuances courantes et spéciales et leur livraison sous la majorité des multiples aspects que peuvent revêtir les demi-produits et les produits sidérurgiques, longs et plats.

80- A l'aval de la production sidérurgique, les activités de transformation se sont ramifiées dans les secteurs de la fonderie, de la forge, des traitements de surface des métaux, de la chaudronnerie industrielle, de la construction métallique et surtout de la mécanique avec deux spécialités : l'appareillage hydraulique et la fabrication des machines de façonnage des matières plastiques.

81- À côté de la production sidérurgique, le groupe a diversifié ses activités dans la transformation des matières plastiques et des fibres de verre qui apparaissent soit comme des produits de substitution de l'acier soit comme des compléments intéressants utilisés en association (tôles et profilés revêtus) ou en assemblage (surtout dans le bâtiment).

82- Enfin ont été développées, ce qui apparaît comme le dénominateur commun de la majorité des activités du groupe, les industries de la construction qui permettent de valoriser produits et sous-produits issus des secteurs précédemment évoqués : matériaux d'empierrement, ciment, verre, céramique et produits réfractaires, béton frais, béton armé, éléments et ensembles préfabriqués, tuyaux, parois, façades, portes, fenêtres, garages, constructions modulaires, etc...

83Parmi les 40.000 actionnaires de la Klöckner-Werke AG se distinguent deux principaux groupes de pression : le plus fort par le nombre d'actions détenues (plus de 25 % mais sans minorité de blocage) estreprésenté par 1'"Internationale Industrielle Belegging Maatschappij Amsterdam NV", société financière résultant de l'appropriation par le gouvernement néerlandais, au titre des dommages de guerre, des participations que détenait avant 1939 la société Klöckner & Co dans sa holding hollandaise la NV Montan ; le plus influent est constitué par la famille des héritiers de Peter Klôckner, fondateur en 1906 du groupe originel. Celle-ci est assez puissante pour imposer à la présidence un de ses membres6 qui, par des relations personnelles, entretient d'étroites relations avec d'autres sociétés industrielles ou financières dont la plus importante est la Klöckner & Co.

84En 1970, contrôlant 120 sociétés dont 90 entraient dans la consolidation de son bilan et réalisant un chiffre d'affaires de 7,3 milliards de DM, la Klöckner & Co apparaissait, entre autres, comme la première société de commerce allemande de produits industriels. Bien que soit maintenue la distinction établie à la fin des hostilités entre la Klöckner Werke AG et la Klôckner & Co, des liens évidents existent entre les deux groupes dont les sièges sociaux, les directions générales et les organes centraux sont implantés dans le même immeuble, la Klôcknerhaus, au centre de Duisburg. Ces interrelations, sur lesquelles il n'existe aucune information précise, semblent particulièrement développées dans le domaine commercial mais assez lâches sur le plan de la gestion pour laisser une réelle autonomie à chacun des groupes. Sans nier l'effective solidarité et son inéluctable influence, on peut cependant affirmer que c'est prioritairement à l'intérieur de chacun des groupes que s'établissent les relations décisionnelles les plus déterminantes.

85"Cheval de parade" et élément fondamental du groupe Klôckner Werke AG en effectuant, en 1975, 72 % de sa production d'acier brut, réalisant 41 % de son chiffre d'affaires (sans les participations) et employant 33 % de son effectif, l'usine de Brême a été autant marquée par les caractéristiques de son groupe qu'elle en a été le facteur de détermination le plus actif.

2°- Analyse chronologique des interdépendances

86Lorsqu'il prend, en 1954, la décision de construire à Brême un centre sidérurgique littoral intégré et spécialisé, le groupe Klöckner Werke AG vient de réaliser le rassemblement d'une part notable de son ancien potentiel de production industrielle un moment dispersé, en profitant au mieux de la politique économique hésitante menée après la guerre par les Alliés occidentaux. Deux principaux objectifs sont alors fixés : d'une part développer la capacité de production d'acier brut et rationaliser la fabrication des différents produits sidérurgiques, d'autre part reconstituer à partir des éléments regroupés, nombreux et importants mais disparates tant sur le plan sectoriel que sur le plan spatial, un ensemble industriel puissant et diversifié tout en maintenant une véritable autonomie et une réelle indépendance par rapport aux autres groupes industriels et par rapport aux banques.

87Les exigences,différentes et parfois contradictoires d'un projet de croissance ample et rapide et d'une volonté de préserver son individualité, devaient exercer des effets sensibles sur les caractéristiques statiques et fonctionnelles de l'usine littorale et sur l'évolution du groupe industriel lui-même dont les capacités financières n'ont pas toujours été à la mesure de ses ambitions.

88Cette distorsion a joué un rôle dans le choix même de la localisation de l'usine littorale. Le site de Brême a été retenu, malgré ses défauts d'accessibilité qui, sans être aussi criants qu'après la révolution du transport minéralier par la voie maritime, n'en étaient pas moins déjà évidents, pour une large part à cause des économies d'installations qu'il permettait. Quand le groupe Klöckner-Werke AG acquiert, par l'achat des actions détenues par Fried-Krupp. Essen, la majorité dans la Norddeutsche Hütte Bremen-Oslebshausen, il prend possession d'un site qui n'offre pas seulement l'avantage d'être très étendu mais surtout d'avoir déjà été aménagé et utilisé pour la production sidérurgique. Créé en 1908 par H. Wiegand, Directeur de la Norddeutsche Lloyd, la Norddeutsche Hütte avait développé là leur unité de production comportant principalement une cokerie et trois hauts fourneaux qui seront démontés et expédiés au titre de la réparation des dommages de la seconde guerre mondiale. La mise à disposition d'un terrain, intéressant par son extension et sa configuration, relativement peu coûteux du fait de son aménagement préalable et du maintien de certains équipements (cokerie, cimenterie), devait être un facteur décisif en faveur de la localisation portuaire, aux dépens des autres localisations envisagées dans la Ruhr et le long du Rhin.

89Les particularités relevées dans l'évolution de l'usine7, principalement la lenteur de sa croissance globale, le maintien durable d'équipements périmés, le retard apporté à l'adoption de techniques nouvelles, l'existence et la permanence de déséquilibres entre les capacités des différents stades de la production, s'expliquent par la faiblesse relative des moyens financiers d'un groupe industriel qui simultanément tentait d'accroître et de moderniser son potentiel sidérurgique, cherchait à étendre et à diversifier son champ d'action, essayait de ne pas faire appel à des capitaux extérieurs qui auraient pu le placer dans un quelconque état de dépendance.

90Dans le domaine sidérurgique, la stratégie de restructuration a été définie prioritairement à partir de critères techniques et économiques et non pas financiers. Ces mouvements de concentration ont été envisagés :

• pour valoriser le potentiel existant dans les usines du groupe (par exemple : 1'augmentation du taux de marche, donc l'amélioration de la productivité d'un équipement majeur),

• pour accélérer la réalisation d'un investissement important mais difficile à financer et à assimiler de façon satisfaisante dans le cadre des dimensions relativement restreintes du groupe (par exemple : la création et la mise en fonctionnement d'un train de laminage continu à larges bandes à chaud),

• pour réorganiser un secteur de production devenu déficitaire (par exemple : le changement complet d'alimentation en métal d'une unité de laminage).

91La primauté des objectifs techniques a placé chacune des usines du groupe au centre d'un projet de réorganisation structurelle ; en contrepartie, l'exécution de chaque fusion et de chaque accord de coopération a toujours eu des conséquences sensibles sur chacune de ces usines. Ainsi, dans la traditionnelle usine d'Hagen-Haspe, l'abandon total en 1972 de la fabrication du métal, par arrêt des ateliers d'agglomération, des hauts-fourneaux et de l'aciérie Thomas, est-il en relation étroite avec les prises de participations massives dans les entreprises du groupe Korf, en particulier dans la Hamburger Stahlwerke GmbH qui devenait une base essentielle d'approvisionnement en demi-produits de l'usine intérieure. Il en fut de même des usines de la division tréfilerie à Düsseldorf, Göppingen, Kehl et Ründeroth dont le fonctionnement fut profondément transformé, d'abord par l'association en 1970 de Klöckner Werke AG et de Hoesch AG au sein de la Vereinigten Drahtseilwerke-Dortmund, puis en 1972 par le regroupement dans une filiale commune, la Vereinigte Drahtindustrie GmbH - Hamm und Düsseldorf - de tout le potentiel tréfilerie des groupes KlöcknerWerke AG et Fried-Krupp Hüttenwerke AG qui fit apport de sa filiale, la Westfâlische Drahtindustrie.

92L'usine littorale a été concernée par de nombreux projets de restructuration : l'ampleur des exigences financières requises par son développement et son indispensable modernisation continue, l'importance des implications techniques et économiques déterminées par la croissance de sa production suscitant bien des tentatives de concentration. Les premières aboutirent à des échecs :

93- En 1967, après de longues négociations, fut abandonné le projet d'absorption de la Société Hüttenwerk Oberhausen AG8 qui devait quelque temps plus tard passer sous le contrôle de 1'Aug-Thyssen Hütte AG : d'un côté le coût des transports entre l'usine littorale, et les usines d'Oberhausen et de Gelsenkïrschen fut proclamé prohibitif et de l'autre les prétentions de la Klöckner Werke AG furent jugées excessives.

94- En 1968-1969, il en fut de même du projet "Nordstahl" qui visait à associer les firmes Klôckner Werke AG, Ilseder Hütte AG et Salzgitter Hüttenwerke AG. Malgré les avantages certains offerts par la proximité et la complémentarité des unités de production, la fusion n'eut pas lieu à cause du trop fort endettement de la Salzgitter Hüttenwerke AG, de l'attitude du gouvernement fédéral qui en avait le contrôle et à nouveau des exigences de la Klôckner Werke AG.

95Ces échecs successifs et répétés retardèrent la définition des programmes d'extension et de modernisation, en limitèrent l'importance et surtout en ralentirent le rythme de réalisation. La décision prise en 1970 de doubler la capacité de l'usine littorale en optant pour les solutions les plus radicales, mais aussi les plus coûteuses (– haut fourneau aux grandes dimensions, installation de coulée continue et train à larges bandes à chaud le plus puissant du monde –) fut liée à des mouvements de structure dont les plus importants consistèrent en la cession de tout le patrimoine minier du groupe à la Ruhrkohle AG et en la passation d'accords financiers et commerciaux avec le groupe Flick et plus précisément avec sa filiale la Eisenwerk-Gesellschaft Maximilianshütte mbH. Ces transformations se révélèrent insuffisantes pour permettre au groupe Klôckner Werke AG d'assimiler sans difficulté des investissements dont le montant dépassait 1,1 milliard de DM soit presque l'équivalent de ce qui avait été jusqu'alors investi dans l'usine littorale depuis sa création (1,2 milliard de DM). Les problèmes furent encore renforcés par le retard que connut la mise en fonctionnement des nouveaux équipements à un rythme satisfaisant, d'abord pour des raisons techniques, ensuite et surtout pour des raisons économiques liées à la crise de la sidérurgie européenne.

96Aussi la décision, arrêtée dans le courant de l'année 1976 de prendre le contrôle, à compter du 1er janvier 1977, de l'Eisenwerk-Gesellschaft Maximilianshütte mbH (en abrégé la Maxhütte) fut elle saluée comme une victoire permettant enfin à la Klöckner Werke AG d'adapter sa taille d'entreprise aux caractéristiques de son potentiel de production, en particulier de son usine littorale. Pour une dépense de 137 millions de DM qui lui assure 51 % des actions et lui donner une option jusqu'au 1er janvier 1979 pour l'achat du reste du capital social, le groupe Klôckner ne fait pas qu'ajouter à son potentiel de production celui du plus grand producteur d'acier d'Allemagne du Sud, enrichir sa gamme de fabrication d'aciers par l'introduction du procédé OBM et élargir sa palette de produits finis, il s'élève au rang de 3ème producteur sidérurgique allemand avec une capacité de laminage d'environ 7 millions de tonnes, couvrant plus de 11 % du marché national, employant plus de 30.000 personnes et susceptible de réaliser en année de conjoncture normale une valeur de vente dépassant 6 milliards de DM.

97C'est donc dans le cadre d'un groupe renforcé sur le plan technique, économique et financier et élargi géographiquement à l'échelle de la RFA toute entière que se développent les relations déterminantes du centre littoral et qu'en contre-partie s'exerceront les influences directes de cette usine sur l'organisation de la sidérurgie intérieure. (Cf. Infra IIIème Partie, § 1).

3° - La faiblesse des interventions extérieures

98Dans ce système où le groupe industriel joue le rôle essentiel sinon unique, les interventions extérieures s'appliquant de façon directe à l'usine littorale se révêlent très limitées. L'action de la Chambre syndicale de la sidérurgie allemande, la Wirtschaftsvereinigung Eisen und Stahlindustrie, et celle du Ministère de l'Industrie s'exercent sur un autre plan et à un autre niveau, ceux de l'économie des entreprises à l'échelle nationale et internationale.

99Ayant pour objectif principal de créer ou de maintenir un environnement économique général favorable à la branche d'activité dans son ensemble, ces organismes ont été cependant amenés à proposer et à appliquer des mesures dont les effets se sont immédiatement exercés sur certaines unités de production dont l'usine littorale de Brême.

100À cet égard est significative la création par la Wirtschaftsvereinigung Eisen-und Stahlindustrie, des comptoirs de vente puis des groupes de rationalisation et enfin de ce qui fut appelé le "Cartel de l'Acier". Si toutes ces mesures ont été prises au nom d'une politique générale de restructuration de la sidérurgie allemande, dont certaines modalités d'application ont d'ailleurs été jugées incompatibles avec les règlements du Traité de la CECA, elles ont été souvent définies au niveau des entreprises, voire des usines et dans un cadre géographique strictement circonscrit.

101Ainsi les Comptoirs de Vente (1967-1971), dont l'objectif le plus apparent était d'organiser la commercialisation et donc la production des laminés et l'objectif le plus réel d'harmoniser les investissements et de préparer les fusions, avaient-ils été créés sur une base régionale : le comptoir Westphalie, le comptoir Ouest, le comptoir Sud et le comptoir Nord qui associa les entreprises Klôckner werke AG, Hüttenwerk Oberhausen AG, Salzgitter Hüttenwerk AG et Ilseder Hütte entre lesquelles se développèrent les projets de concentration impliquant l'usine littorale.

102Il en fut de même des quatre Groupes de Rationalisation qui succédèrent aux Comptoirs de Vente en tenant compte des mouvements de restructuration précédemment opérés : le groupe Nord rassembla la Stahlwerke Peine-Salzgitter AG, la Klôckner Werke AG et surtout l'Eisenwerk Gesellschaft Maximilianshütte mbH dont le rapprochement et la fusion, si importants pour l'usine de Brême, étaient ainsi préparés.

103Actif en matière de politique économique générale, veillant à défendre la sidérurgie nationale en soutenant les choix économiques faits par la profession, le gouvernement fédéral n'intervient pas directement dans la vie des entreprises et encore moins dans celle des établissements, dans leur équipement et dans leur fonctionnement. Les seules autorités publiques susceptibles d'agir à ce niveau sont celles du Land qui assument une part importante des responsabilités dans l'aménagement régional et celles des grands services publics qui, par exemple, gèrent le secteur des transports. Leur influence à Brême fut très faible et ne dépassa guère leur participation dans la création de la centrale thermique, utilisant comme combustible le gaz de haut fourneau de l'usine littorale.

104Le système de relations financières et décisionnelles se limite aux dimensions d'un groupe industriel qui, par un endettement raisonnable, a su maintenir une indépendance certaine par rapport aux banques d'affaires. L'autonomie a été préservée au prix d'une croissance globale très lente et grâce à la réussite de la politique de rationalisation, d'intégration, de diversification et de coopération internationale. De plus en plus en effet, le groupe a cherché à enrichir ses gammes de productions et à dépasser le cadre national par l'extension de son réseau commercial propre ou représenté (Klöckner & Co), par sa participation à un système de répartition de travaux et d'échange de demi-produits, par la diffusion de matériels et de techniques. C'est dans les spécificités de ce système de relations financières et décisionnelles que réside l'explication essentielle des particularités de l'usine littorale allemande qui en est l'émanation.

C- L'USINE DE DUNKERQUE : ELÉMENT MOTEUR D'UN SYSTÈME AUX COMPOSANTES MULTIPLES INTERVENANT PRINCIPALEMENT DANS LE CADRE NATIONAL

105Autant l'usine de Dunkerque est différente de l'usine de Brême par ses composantes techniques, les modalités de son développement et les caractéristiques de son fonctionnement, autant sont différents les systèmes Industriels français et allemands qui en sont responsables. De même que l'usine de Brême est le reflet d'un système dirigé par une entreprise et un groupe industriels qui ont recherché davantage une diversification poussée de leurs activités qu'une augmentation accélérée de leur production sidérurgique, qui ont gardé volontairement ou non une indépendance certaine par rapport aux pouvoirs incarnés par les organisations corporatives, les banques et l'Etat et qui, enfin, ont éprouvé des difficultés pour réaliser leur expansion et leur restructuration par voie de concentration ; de même l'usine de Dunkerque est le reflet évocateur d'un système où l'entreprise USINOR et le groupe Denain-Nord-Est-Longwy (D.N.E.L) qui la sous-tend, se sont imposés en réussissant, dans la sidérurgie et dans les branches d'activité industrielles proches, une croissance spectaculaire par son ampleur et sa rapidité qui leur ont permis, par leur poids technique, économique, financier et social, d'influencer et d'orienter à leur profit la politique et 1'intervention de la Chambre Syndicale de la Sidérurgie Française et surtout celles de l'Etat.

106Les correspondances sont nombreuses entre, d'une part l'usine de Dunkerque, devenue en moins de quinze ans l'une des plus modernes et des plus puissantes usines sidérurgiques d'Europe et d'autre part, Usinor et Denain-Nord-Est-Longwy qui, de façon parallèle et simultanée, se sont également affirmés, chacun dans son domaine respectif, industriel et financier, aux premiers rangs par leur taille et leur dynamisme.

1°- Les données de base

107Lorsqu'elle est créé en 1956 pour concevoir et réaliser une usine littorale, la Société Dunkerquoise de Sidérurgie est le fait d'une association d'entreprises industrielles et financières, ayant d'importants intérêts dans la Région du Nord. Le capital de cette nouvelle société sidérurgique se répartit alors entre USINOR : 43 %, Firmigny : 34 % (principalement par son apport de l'usine des Dunes de Leffrincoucke), Châtillon-Commentry : 18 % et la Banque de Paris et des Pays-Bas : 5 %.

108En 1960, quand le projet se concrétise, la Société Dunkerquoise de Sidérurgie est absorbée par USINOR qui s'approprie la totalité du capital social en accordant des contreparties techniques ou financières à ses anciens partenaires ; par exemple, des engagements à long terme de fourniture de métal à l'usine des Dunes ou des actions USINOR à Châtillon Commentry et à la Banque de Paris et des Pays-Bas.

109Entre temps le projet a changé de dimensions ; les capacités initialement prévues : 500.000 T en première étape
- 1.000.000 T en seconde étape
- 4.000.000 T à la saturation du site envisagée sur une période de 20 ans, sont passées respectivement à :
1.500.000 T
- 3.000.000 T
- 6.000.000 T à atteindre dans des délais beaucoup plus brefs. Si l'évolution des conditions techniques et économiques est en partie responsable de ce changement d'échelle et de rythme, l'intégration totale de l'usine littorale dans le plan de développement de l'entreprise et du groupe a également joué un rôle primordial.

110Emanation de la Chambre Syndicale de la Sidérurgie Française, de la Sidérurgie de la Région du Nord et plus particulièrement d'USINOR, où d'ailleurs l'on retrouve partout les mêmes fortes personnalités aux postes-clés de la décision, l'idée d'une usine sidérurgique littorale à_ Dunkerque est devenue, lors de sa réalisation, prioritairement l'affaire de l'entreprise USINOR et de ses holdings. Mais pour financer les énormes investissements que l'usine représentait, ces sociétés allaient tout devoir se lancer dans une politique ambitieuse de croissance accélérée. De même que la commande et l'installation en France des premiers trains continus de laminage à chaud (Denain) et à froid (Montataire) avaient entraîné en 1948 la création de l'Union Sidérurgique du Nord de la France (USINOR) par fusion partielle des avoirs de la "Société des Forges et Aciéries du Nord et de l'Est" et de la "Société des Rauts-Fourneaux, Forges et Aciéries de Denain Anzin", la construction du centre littoral allait susciter toute une série d'opérations financières, augmentations de capital, prises de participation, fusions par absorption, restructurations internes, aboutissant à la formation d'un système économique puissant et complexe.

111Bien qu'en 1960 USINOR se place à la tête des entreprises sidérurgiques françaises, ses dimensions propres, comme celles de son groupe, apparaissent encore relativement modestes.

112Si la production d'acier brut est passée de 998.000 T en 1950 à 2.844.700 T en 1960, elle ne représente encore que 16,5 % de la production nationale. Les installations industrielles sont classées en deux groupes, selon leurs principales orientations :

• le groupe A qui comprennent les usines de Denain et de Montataire est spécialisé dans la fabrication des produits plats de toutes catégories. Cette orientation que renforce la construction de l'usine de Dunkerque représente alors un choix technique fondamental qui assurera sur le plan économique le dynamisme de la firme.

• le groupe B auquel sont rattachées les usines de Valenciennes, Anzin, Louvroil-Hautmont est essentiellement producteur de barres, de profilés et de pièces forgées. (Tableau n” 52).

113Les livraisons, concernant en 1960 2.081.000 T de demi-produits et de produits sidérurgiques, sont effectuées pour 84 % sur le marché métropolitain, 10 % dans les pays de la CECA, 4 % à la grande exportation et 2 % dans les territoires d'Outre-Mer.

114Les activités de l'entreprise qui s'opèrent principalement dans un cadre régional et national, se prolongent quelque peu par celles de ses filiales qui, sur le plan sectoriel, sont toutes directement liées à la production sidérurgique et, sur le plan spatial, dépassent parfois les limites de l'hexagone. (Tableau n^o 53).

115Les participations les plus significatives sont d'une part, l'expression d'une politique, traditionnelle dans sa nature mais faible dans son intensité, d'intégration technique à l'amont et à l'aval de l'activité principale et d'autre part,1'expression d'une nouvelle stratégie, imposée ou facilitée par la création de l'usine littorale, qui s'étend en dehors du cadre national, qu'il s'agisse du contrôle d'une partie de l'approvisionnement ou de la valorisation de l'acquis technologique.

116L'envergure et l'importance de l'entreprise sont élargies par l'ampleur des liaisons et la puissance financière de ses deux sociétés mères qui, sociétés holdings, gèrent des actifs beaucoup plus importants mais dans des secteurs économiques et des limites géographiques qui restent très semblables :

117- Denain-Anzin exerce alors une activité industrielle directe dans les domaines de la cokéfaction (cokerie de Monchecourt), de l'exploitation minière (mines de fer en Lorraine, dans l'Ouest et en Mauritanie, mine de spath-fluor dans les Pyrénées) et de la production des réfractaires ; elle intervient également par des participations importantes dans la sidérurgie (Société Métallurgique de Knutange — Fonderies, Laminoirs et Cimenteries de Biache St Vaast) et dans la métallurgie (Vallourec et Ressorts du Nord).

118- Nord-Est exploite directement la mine de fer de Piennes et agit indirectement par ses intérêts dans les activités minières, dans la sidérurgie (Forges et Aciéries de Nord et Lorraine) la transformation et le commerce des produits sidérurgiques, dans l'immobilier.

119- Elles possèdent ensemble un important parc de wagons spécialisés dans le transport des pondéreux et des produits sidérurgiques.

120La réalisation du centre sidérurgique littoral, par ses extraordinaires exigences en capitaux, allait nécessiter une expansion considérable des dimensions économiques et financières d'USINOR et de ses sociétés-mères soit pour le paiement direct sur ressources propres, soit pour le lancement d'emprunts de toute nature.

121Au changement d'échelle dans les structures techniques allait correspondre un changement d'échelle dans les structures économiques et financières.

2°- La croissance des entités économiques

122À partir de 1960 vont se succéder les augmentations de capital de l'entreprise et de ses sociétés-mères. Ainsi le capital social d'USINOR passe par différents appels au marché financier ou par le biais de fusions et d'échanges de participations, de

123Parallèlement l'ampleur des participations ne cesse de croître et leur organisation de se renforcer. Tous les modes de concentration sont utilisés pour accroître la taille et rationaliser les principales unités constituant le groupe qui malgré son extension reste fondamentalement spécialisé dans la sidérurgie et dans toutes les activités qui lui sont fonctionnellement proches.

124Durant la période de croissance accélérée, les opérations de restructuration sont si nombreuses que leur analyse détaillée ne peut pas être envisagée dans le cadre de cette étude. D'ailleurs, plus encore que l'importance globale du phénomène qui sera suggérée par l'étude du groupe et de son fonctionnement en 1975, ce qui doit être souligné et retenu, c'est l'interdépendance étroite entre le développement de l'usine et celui du groupe. Les étapes dans l'accroissement sont parallèles, les seuls décalages dans la chronologie et l'équilibre des opérations résulteront des modalités d'octroi de l'aide de l'Etat et des contreparties exigées (Cf. Infra). Les moments forts de cette évolution qui cesse ou plus exactement change de nature quand sont réalisées, pour 1'essentiel, les usines de Dunkerque et de Mardyck, se situent principalement en 1966-67 et 1970-71.

125Le premier doublement de capacité de 1'usine littorale correspond à la fusion entre USINOR et Lorraine-Escaut et entre leurs holdings Denain-Nord-Est et Aciéries de Longwy. La création d'USINOR-Dunkerque avait renforcé considérablement la nécessité de constituer des groupes industriels puissants et cohérents : une nécessité ressentie par les entreprises elles-mêmes et par la Chambre Syndicale de la Sidérurgie, une opportunité encouragée par l'Etat et par la CECA dont toutes les analyses convergeaient pour conclure que le maintien et l'expansion de la sidérurgie française et européenne ne pouvaient être assurés qu'à partir d'équipements neufs et de grande taille dont la réalisation ne pouvait être envisagée que par de puissantes unités économiques. Dès 1961, des conventions avaient été passées pour permettre à Lorraine Escaut d'utiliser les capacités de laminage de Dunkerque ; ce qui offrait le double avantage d'améliorer le taux de marche des nouveaux équipements et de fournir une aide financière extérieure. En 1966, avec effet rétroactif au 1er Janvier, ces accords partiels sont englobés dans, l'opération d'absorption de Lorraine-Escaut par USINOR qui est alors justifiée par un grand nombre de raisons techniques, économiques et politiques : mise en commun d'installations complémentaires, rationalisation de la production et des investissements, augmentation de la puissance économique et financière, amélioration de la capacité concurrentielle... etc. Tous ces phénomènes ont une réalité et une efficacité d'autant plus vraies que la fusion des deux principales sociétés sidérurgiques s'accompagne de mouvements secondaires comme par exemple l'apport partiel à USINOR, par la Société des Forges de Saulnes et Gorcy, du train à fil de Saulnes, techniquement et géographiquement intégré à l'usine de Longwy et surtout se double des fusions opérées entre les sociétés mères (absorption de Denain-Anzin par Nord-Est pour créer Denain-Nord-Est qui absorbe à son tour les Aciéries de Longwy pour former Denain-Nord-Est-Longwy (DNEL). Sans compter ses usines à tubes d'Anzin, Noisy, Bessèges, Sedan et Maubeuge qui seront placées dans le département tubes d'USINOR avant que celui-ci ne soit confié à Vallourec, Lorraine—Escaut apporte alors un potentiel industriel de première grandeur qui comprend un patrimoine minier considérable, des installations de traitement et d'enrichissement des minerais, deux usines sidérurgiques intégrées, (Longwy et Thionville) trois usines sidérurgiques spécialisées (Brevilly, Maubeuge, Sedan—Laval Dieu), des ateliers et des fonderies à Thionville, Longwy et Sedan. En outre un dense réseau commercial et un riche portefeuille de participations contribuent alors à élargir les dimensions d'une entreprise industrielle qui, après quelques années consacrées à la réorganisation de ses multiples activités, allait connaître un nouveau développement.

126A la décision de porter la capacité de production d'acier brut de l'usine de Dunkerque à 8 millions de tonnes et de construire l'usine de Mardyck correspondent la nécessité et la volonté d'accroître encore la puissance des entités équivalentes sur le plan économique et financier, c'est-à-dire de classer l'entreprise et le groupe aux premiers rangs en Europe dans la production et la transformation de l'acier. La période 1970-1975 qui voit se construire le haut-fourneau n^o 4, l'aciérie n^o 2 et ses installations de coulée continue ainsi que l'usine de Mardyck qui sont autant de références dans l'évolution technologique sur le plan mondial, voit également s'affirmer USINOR et Denain-Nord-Est-Longwy qui vont réorganiser leurs activités pour que soit assuré, au niveau de 1'ensemble,le plus grand profit quelles que soient les fluctuations de conjoncture affectant l'une des productions du groupe. Les principaux mouvements consistent alors en une redistribution des participations entre sociétés mères et filiales en fonction de leurs spécialisations, en un renforcement du contrôle dans les domaines les plus importants et en un développement des participations croisées qui permettent de renforcer la cohérence et la cohésion de l'ensemble sur le plan économique et surtout d'en tirer de nombreux avantages financiers.

127Pour USINOR, les opérations les plus marquantes ont consisté à concentrer les participations directes dans les activités en relations techniques immédiates avec les différentes usines de l'entreprise, en particulier à l'amont dans l'approvisionnement minéralier et charbonnier et à-l ‘aval dans le secteur commercial. Dans ces deux orientations, la stratégie de l'entreprise s'est traduite par une volonté très affirmée d'organiser plus systématiquement ses relations à l'étranger comme le montrent par exemple l'achat d'une société minière en Virginie Occidentale ou la création de sociétés de ventes dans les pays présumés devoir être les clients les plus réguliers et les plus intéressants : USA, RFA, Italie, Suisse, pays Scandinaves, etc... En 1970, USINOR confiait à une nouvelle filiale, la "Société de valeurs Industrielles et Commerciales" (SOVACO, filiale d'USINOR à 99,9 %), le soin de gérer ses participations dans les sociétés moins directement liées à sa propre activité industrielle. Cette société financière, dont par la suite l'importance n'a pas cessé de croître, permet à l'entreprise sidérurgique de tirer parti, sans compliquer sa propre gestion, de ses filiales indirectes qui peuvent bénéficier en contrepartie d'une certaine autonomie.

128En 1973, alors que s'achevaient les travaux de construction des usines de Dunkerque et de Mardyck et que se terminaient les opérations de restructuration de l'entreprise et du groupe, c'est-à-dire au moment où l'on semblait être parvenu au meilleur ajustement entre les dimensions techniques et économiques, USINOR fut contrainte d'intervenir dans le financement de SOLMER à Fos, ce qui devait immédiatement avoir des répercussions sur l'établissement littoral de la Mer du Nord. En contrepartie d'avantages financiers déjà accordés ou prévus, l'Etat, comme il sera vu ultérieurement, exigea qu'USINOR participe à égalité avec la SOLLAC au capital et à la gestion de la nouvelle société sidérurgique dont les productions intervenaient sur le même marché. Cette modification forcée de stratégie fut semble-t-il bien monnayée sur le plan de l'autorité et d'autant mieux acceptée par les responsables d'USINOR qu'elle leur permettait de régler de vieilles rivalités avec leurs homologues lorrains, très différents par leurs modes de pensée et leurs façons d'agir dans tous les domaines de la vie économique.

129Si USINOR devait ajourner son projet de doublement du train quarto de sa tôlerie forte à Dunkerque, l'entreprise espérait bénéficier du surcroît de capacité offert par la SOLMER, confiante, comme le monde l'était à. cette époque, dans les prévisions d'expansion régulière du marché de l'acier et assurée, comme très peu, de pouvoir répondre à la demande dans d'excellentes conditions de productivité, grâce aux exceptionnelles caractéristiques de ses nouvelles unités de production. L'euphorie, qu'autorisaient la réussite technique et la réussite économique et que confortaient les excellents résultats de l'année 1974, ne dura pas longtemps devant l'intensité de la crise qui apparut et se développa dès 1975.

130Avant d'être fortement affaiblies par cette dépression, les capacités financières du groupe DNEL furent altérées par les besoins de la SOLMER dont le capital social dut être augmenté malgré la participation de Thyssen qui n'intervint en 1974 que pour 5 % des actions. L'attitude d'USINOR dans la gestion de SOLMER, son refus de s'engager dans la seconde étape de la construction de Fos, renforcèrent certaines tensions traditionnelles entre les groupes sidérurgiques du Nord et de Lorraine, leurs holdings et les groupements bancaires auxquels ils sont associés. Ces conditions ne permirent pas au groupe DNEL de réussir par O.P.E. la prise de contrôle tentée en décembre 1974 sur Marine Firmigny, société de portefeuille possédant d'importants intérêts dans Marine-Schneider et par là dans Creusot-Loire, dans Dilling et Sacilor et par là dans la Sollac, pour ne citer que les liaisons essentielles. L'opération, qui aurait permis à D.N.E.L. de réussir de façon immédiate et spectaculaire une réelle diversification dans des activités dont on pouvait prévoir une croissance continue : les aciers fins et spéciaux, la mécanique lourde, les industries nucléaires, les industries de l'emballage, etc, a échoué devant la réaction des groupes de Wendel et Empain-Schneider, et l'intervention de la Commission de la C.E.E. qui décida de suspendre l'O.P.E. pendant quelques mois pour permettre un règlement moins dramatique à une affaire mettant en cause un ensemble industriel aux très larges dimensions et aux nombreuses ramifications, d'un point de vue sectoriel et spatial.

3°- L'état de situation en 1975

131En 1975, l'usine de Dunkerque apparaît comme la pièce maîtresse et l'un des outils essentiels d'une entreprise et d'un groupe industriel qui en ont décidé la création et le développement, en ont réglé les structures et le fonctionnement mais parallèlement se sont eux-mêmes constitués et organisés sous l'influence de l'unité technique fondamentale.

132Dix ans après la fusion avec Lorraine-Escaut, la production d'USINOR s'est élevée en 1974 à 9.517.000 T (1975 = 7.119.000 T) et à 9.920.000 T (1975 = 7.945.000 T) si l'on tient compte des quote - parts dans Solmer et dans Alpa ; le chiffre d'affaires a atteint 10.237 millions de francs (1975 = 7.996 millions) et les effectifs 42.360 personnes (1975 = 41.462). Les activités de l'entreprise, rassemblées dans six usines principales, sont complétées par celles de ses filiales dont la valeur d'inventaire atteint alors 1.842 millions de francs. Si l'on adjoint aux filiales et aux participations directes les liaisons établies par l'intermédiaire de SOVACO, l'ensemble constitué apparaît riche et complexe, tout en restant très proche de l'activité sidérurgique. (Tableau n^o 54).

133Cette spécialisation au niveau de l'entreprise a été systématiquement recherchée comme facteur de croissance. Elle s'est traduite, au niveau des unités de production, par une concentration spatiale très marquée au niveau national le long d'un axe : Dunkerque-Strasbourg et autour d'un pôle : l'agglomération parisienne. L'intégration de SOLMER a introduit une excentricité qui a perturbé la stratégie fonctionnelle de l'entreprise et son comportement géographique. (Figure n” 56).

134Même si elle est moins marquée, la concentration spatiale est également une caractéristique du groupe DNEL dont une grande partie du potentiel industriel, malgré la diversité des activités, est localisée dans le même triangle Dunkerque-Paris-Strasbourg. Comme l'espace du groupe englobe et prolonge l'espace de l'entreprise, son organisation et son fonctionnement englobent et prolongent ceux de l'entreprise. (Figure n^o 57). Si la diversification se développe dans les secteurs des transports, de la construction et des travaux publics, des produits chimiques et réfractaires, elle reste cependant relativement modeste du fait de la domination des activités métallurgiques, principalement de l'importance décisive qu'a prise la fabrication des tubes. Premier transformateur d'acier français, Vallourec est également le second producteur de tubes européens et avec ses filiales l'une des premières entreprises mondiales dans les spécialités de la fabrication et de l'installation des matériels de recherche, d'exploitation et de transport des hydrocarbures.

135Par-là s'appliquent bien des caractéristiques statiques ou fonctionnelles du centre sidérurgique de Dunkerque, en particulier l'originalité de ses relations techniques et économiques. C'est que les relations financières se doublent et se renforcent de relations personnelles. Si le nombre et la diversité des unités économiques qui composent l'entreprise et le groupe peuvent laisser croire en la possibilité d'existence de certaines faiblesses, voire de certaines incohérences, l'autorité est en fait si concentrée que la cohésion d'ensemble est très forte : la décision est l'apanage d'un petit nombre de personnes que l'on retrouve dans tous les conseils d'administration. Ces administrateurs communs définissent au plus haut niveau la politique et la stratégie du groupe et en vérifient l'exécution jusqu'aux plus modestes filiales.

4°- Le financement d'USINOR-DUNKERQUE et sa signification

136La construction des unités de Dunkerque et de Mardyck, la réalisation des infrastructures et l'implantation des équipements d'accompagnement ainsi que la croissance obligée de l'entreprise elle-même, ont nécessité la mobilisation et l'utilisation d'une masse énorme de capitaux dont il est d'ailleurs impossible d'avoir une connaissance précise et rigoureuse compte tenu des limites actuelles de 1'information en la matière.

137Malgré cette insuffisance, gênante surtout pour qui voudrait donner une appréciation quantitative sur le plan économique, il est intéressant d'effectuer une approche des problèmes du financement dans la mesure où ils font apparaître les interventions extérieures qui constituent les autres composantes du système de relations dont on essaie d'appréhender, sur le plan géographique l'extension et l’organisation. Les interventions étant ainsi révélées, il devient possible dans un second temps d'approfondir l'étude des influences les plus actives.

138Si, du fait de la taille de l'entreprise, de l'importance de ses prises de participations et de la diversité de ses immobilisations, on ne peut pas procéder à une étude rigoureuse, comparable à celle menée sur SIDMAR-GAND, le poids relatif de ce que représentent les investissements à Dunkerque et à Mardyck est tel pour USINOR qu'une mise en parallèle peut être tentée en utilisant la valeur méthodologique du modèle belge.

139De 1959 à 1975, de même que les investissements effectués à Dunkerque et à. Mardyck ont représenté une part considérable des investissements productifs réalisés par l'entreprise, les prises de participations en liaison étroite avec les activités des deux établissements du littoral de la Mer du Nord ont représenté une proportion importante des dépenses consacrées à la croissance externe de l'entreprise. (Figures n^o 58 et 59).

140Tous les modes de financement ont été utilisés. Outre les augmentations du capital social déjà signalées et qui furent suivies autant par les principaux détenteurs d'actions (1975 - DNEL = 65,20 % - Métallurgique de Senelle-Maubeuge = 2,90 % - Forges de Châtillon - Commentry - Biache = 2,28 %.-Caisse des Dépôts = 2,56 %) que par les petits porteurs (62.000 personnes participent à l'augmentation du capital en janvier 1971), un autofinancement constamment important a été réalisé par une politique d'amortissements intensifs. Dans les années de bonne conjoncture, cette action a été menée jusqu'aux limites permises par la législation, parfois contre l'avis des petits porteurs qui pouvaient se plaindre de la faible rentabilité boursière du titre.

141Mais l'essentiel des moyens financiers a eu pour origine un endettement considérable que révèle l'évolution de la structure du bilan et que met en valeur la représentation graphique des différents rapports entre d'une part l'endettement et d'autre part l'immobilisé net, les capitaux utilisés et le chiffre d'affaires. (Figure n^o 59).

142La crise a accentué et rendu excessif cet endettement qui se nourrit lui-même par l'obligation où se trouve l'entreprise de devoir effectuer de nouveaux emprunts pour payer les intérêts et le remboursement des anciennes dettes ; ce qui multiplie les charges financières, même si l'on tente de masquer 1'importance du découvert par une réévaluation de certains postes de l'actif, qui, certes peut être justifiée mais n'en reste pas moins assez artificielle. (Tableau n^o 56).

143Comme dans le cas de SIDMAR, 1'accroissement de l'endettement à court terme a été spectaculaire ; la proportion de ce que représente ce mode de financement dans la totalité des capitaux utilisés étant passée de 16,8 % en 1960 à 23,1 % en 1970 et à 31,6 % en 1974. L'emprise des banques d'affaires s'affirme, non pas dans le phénomène lui-même, mais dans son intensité. Pourtant, il ne semble pas que pour USINOR cette dépendance sur le plan financier se traduise par un partage et une dépendance sur le plan de la décision, comme cela peut être noté en Belgique où la Société Générale exerce un pouvoir effectif et dominant par la multiplicité de ses interventions. Cependant existe une convergence des intérêts qui implique pour le moins l'harmonisation des stratégies définies par la direction des groupes industriels et des groupes financiers : ceci est évident entre USXNOR, Denain-Nord-Est-Longwy et la Banque de Paris et des Pays-Bas qui joue ici le rôle essentiel. Même si son action s'exerce surtout au niveau de la politique économique générale des entreprises, son influence est telle que la Banque de Paris et des Pays-Bas doit être considérée comme une composante du système de relations financières et décisionnelles dans lequel est intégrée l'usine de Dunkerque.

144L'endettement à moyen et à long terme révèle des interventions plus directes, plus constantes et plus importantes. De 1960 à 1975, cemode de financement a représenté entre 40 et 55 % des capitaux utilisés par l'entreprise. A l'exception des années de crise, la relation est étroite entre le lancement des emprunts et l'exécution des grands programmes de travaux neufs. (Figure n^o 60). L'étude de l'origine des capitaux montre le rôle primordial que jouent la Chambre Syndicale de la Sidérurgie Française et l'Etat :

145- la première par l'intermédiaire du G.I.S. (Groupement des Industries Sidérurgiques) qui émet chaque année un emprunt obligatoire et donne sa caution aux entreprises qui bénéficient des prêts accordés par l'Etat ou la Communauté Economique Européenne,

146- le second par l'intermédiaire de certains services de financement public : principalement le Crédit National et le Fonds de Développement Economique et Social qui accordent des prêts à des conditions intéressantes pour l'industrie. Ce rôle est encore plus décisif que ne le laisse paraître l'aide financière en elle-même déjà très importante ; i.1 fait l'originalité du système de relations déterminant l'usine littorale française et mérite à ce titre d'être étudié plus précisément. Les autres sources de financement apparaissent plus modestes et plus irrégulières. Les crédits de la C.E.C.A. ont été accordés dans le cadre de ses aides sectorielles, (en l'occurrence ici pour le financement de la cokerie de Dunkerque qui participe à la résorption d'une insuffisance structurelle de la sidérurgie européenne) et de son aide globale à l'ensemble des entreprises sidérurgiques frappées par la crise. Les dettes contractées à l'étranger, particulièrement aux USA, l'ont été pour assurer le paiement des gros équipements de laminage provenant de ce pays. Le recours au secteur bancaire et à l'aide directe de la société mère D.N.E.L. a été rendu nécessaire pour combler les énormes pertes des années de crise.

147L'endettement a été le moyen d'une politique très ambitieuse de croissance technique et économique qui s'est principalement exprimée par la création et le développement accéléré des usines de Dunkerque et de Mardyck et par la constitution et le renforcement d'une entreprise et d'un groupe industriels contrôlant une part notable au niveau national de la production et de la première transformation de l'acier. Cette politique qui s'est affirmée durant la période euphorique des premières années de la décennie 70 était fondée sur la conviction que l'économie mondiale s'était engagée dans la voie d'une croissance régulière et durable, que les économies d'échelles avaient des limites encore loin d'être atteintes et que les accidents de conjoncture, d'ailleurs fort improbables, verraient en France leurs méfaits atténués par une intervention de l'Etat, par avance jugée normale du fait de la signification économique, politique et sociale de cette activité. L'ampleur de la crise devait remettre en question la plupart de ces fondements et interdire aux nouvelles entités techniques et économiques de faire la preuve de leur efficacité, du moins dans les conditions qui avaient été escomptées.

5°- Le rôle de la Profession et de l'Etat

148Œuvre de l'entreprise et du groupe industriels, USINOR-DUNKERQUE et son complément USINOR-MARDYCK, ont été également les instruments privilégiés de politiques définies et appliquées, séparément ou conjointement par l'Etat et par la Chambre Syndicale de la Sidérurgie Française qui fait la synthèse de toutes les organisations corporatives de la branche et en est le porte-parole vis à vis de la Haute Autorité de la C.E.C.A., du gouvernement, des organismes officiels et des autres activités industrielles.

149Dès sa conception et malgré la modestie de ses dimensions originelles l'usine de Dunkerque a été marquée par l'influence de la Chambre Syndicale de la Sidérurgie Française qui, trouvant dans ce projet une forme satisfaisante de sa nécessaire-adaptation à la mutation technique et économique enregistrée par la branche à l'échelle mondiale, en a favorisé la réalisation et ceci d'autant plus vivement que les mêmes personnes occupaient les postes de responsabilité à la tête de l'entreprise et du groupement professionnel. Parmi les sites d'implantation possibles, un choix fut fait en faveur de Dunkerque et dans ce choix intervinrent de nombreux facteurs d'ordre politique : de l'influence des hommes politiques locaux jusqu'à la volonté gouvernementale de susciter et de soutenir la croissance d'un-port qui, souffrant de l'insuffisance de ses infrastructures terrestres et maritimes ainsi que de la faiblesse traditionnelle de ses équipements en services, ne parvenait pas à s'affirmer face à la concurrence des grands ports du système rhénan.

150Cette double action s'est amplifiée et systématisée quelques années plus tard, lorsque 1'usine,entrée en fonctionnement, eût révélé puis confirmé son aptitude à être le moyen exceptionnel de concrétiser à la fois une politique sectorielle de modernisation d'une branche industrielle et d'une politique spatiale d'aménagement d'un centre urbain et d'un ensemble régional. Cette accentuation des interventions qui déterminera une forte accélération du développement à la fois de l'usine et de son cadre géographique d'insertion, date de 1965, quand sont définies simultanément les modalités d'application du Plan Professionnel de la Sidérurgie, de la Convention Etat-Sidérurgie et du Vème Plan de Développement Economique et Social.

151Le Plan Professionnel de la Sidérurgie avait un double but : l'accroissement de la production et l'amélioration de la productivité. Aux objectifs globaux du Vème Plan, définis par les Pouvoirs Publics, la Profession cherchait à faire correspondre les choix techniques et économiques les plus cohérents à la fois dans l'espace et dans le temps. Ces choix peuvent être résumés dans la volonté clairement exprimée de concentrer la production sur les équipements les plus productifs, existants ou à créer. USINOR-DUNKERQUE permettait de répondre à cette exigence en assurant aux investissements neufs éventuels les meilleurs gains intrinsèques de productivité et le plus grand pouvoir d'entraînement sur l'ensemble de la branche. Aussi n'était-il pas étonnant de voir cette usine-modèle au centre des mesures de restructuration proposées par l'ensemble des sidérurgistes et qui furent entérinées par la Convention Etat-Sidérurgie le 29 Juillet 1966.

152Cette convention enregistrait un double engagement, celui d'une branche industrielle qui acceptait de modifier ses structures et celui de l'Etat qui, sous réserve de l'exécution des mesures de rationalisation prévues, consentait certaines facilités, notamment une importante attribution de crédits à long terme à des conditions intéressantes, une amélioration des coûts d'approvisionnement en combustible et une aide pour faciliter la résolution des problèmes sociaux et de reconversion régionale. USINOR pouvait être à double titre bénéficiaire de l'aide de l'Etat puisque l'entreprise était lancée dans son opération d'absorption de Lorraine-Escaut et se proposait d'accroître les capacités de production de son usine littorale, c'est-à-dire répondait par avance aux exigences du Ministère de l'Industrie. La Convention particulière signée entre USINOR et l'Etat en Janvier 1967 réglait l'attribution avantageuse de crédits importants du Fonds de Développement Economique et Social qui favorisait surtout le développement de l'usine de Dunkerque dont on prévoyait le doublement de capacité pour 1970, en fixant précisément la nature, l’importance et le calendrier des investissements à réaliser. Des accords étaient en outre passés entre USINOR et la SOLLAC pour une utilisation harmonisée des trains de laminage à chaud et à froid existants et pour la coordination des investissements à venir dans le secteur des produits plats. Ainsi la consistance même de l'usine littorale et certaines modalités de son fonctionnement étaient-elles influencées par des interventions extérieures à l'entreprise et au groupe qui allaient d'ailleurs être maintenues et renforcées au cours de la période quinquennale suivante 1971-1975.

153Si le VIème Plan ne vit pas le renouvellement formel de la Convention, son esprit fut conservé à la fois dans la définition des objectifs à atteindre, dans la concertation pour le choix des investissements à réaliser et dans la fixation de l'aide gouvernementale en matière de financement. Dunkerque devait rester un bénéficiaire privilégié de ces interventions puisque furent décidés et engagés un nouveau doublement de capacité de l'usine littorale et la création de l'usine de Mardyck. (Figure n^o 55). Mais Dunkerque devait également subir certaines influences négatives : l'obligation faite à USINOR de participer au financement de l'usine de Fos dont la construction de la première étape était considérée comme la pièce maîtresse du VIème Plan, se traduisit pour l'usine de la Mer du Nord d'abord, par l'ajournement de la réalisation du 2ème train à tôles fortes dont l'étude était fort avancée, puis, pendant la crise, par un ralentissement de la production de bobines à chaud dont une partie était volontairement exécutée dans l'usine de la Méditerranée où l'on essayait de maintenir un certain niveau d'activité.

154L'intervention des Pouvoirs Publics dans le fonctionnement spécifique de l'usine de Dunkerque est également sensible dans d'autres domaines : il est évident que la modernisation du port, l'amélioration des infrastructures de transports terrestres, en particulier la mise à grand gabarit du Canal Dunkerque-Valenciennes, le renforcement des principaux axes ferroviaires, la jonction autoroutière Dunkerque-Lille ainsi que l'extension du potentiel énergétique, pour ne citer ici que les exemples les plus frappants, ont joué un rôle bénéfique dans la rentabilité de l'usine elle-même.

155USINOR-DUNKERQUE est ainsi une forme unique de concrétisation de plusieurs politiques ayant des fondements et des finalités différentes. Ces politiques ont cependant en commun les espaces où elles se sont, de façon prioritaire, définies et appliquées : la région du Nord, le Nord-Est de la France, la France dans son ensemble. Comme l'usine littorale française révèle l'importance de ces échelles régionale et nationale, l'usine litt rale néerlandaise est l'expression d'un système qui s'est étendu à une échelle multinationale.

D- UN SYSTÈME ÉTENDU A L'ÉCHELLE MULTINATIONALE : KNHS-IJMUIDEN

156A l'usine d'Ijmuiden qui est non seulement la plus importante et la plus complète par la gamme de ses productions sidérurgiques et par la forte intégration d'activités annexes mais aussi la plus ancienne et par conséquent celle qui a connu l'évolution la plus longue, correspond un système financier et décisionnel original par ses grandes dimensions et par sa complexe organisation. Dans ces caractéristiques apparaissent les marques des mutations successives pendant lesquelles l'entreprise, composante essentielle de ce système, est passée du rang de petite société productrice de fonte en 1924, pour se classer au début des années 70 parmi les toutes premières entreprises des Pays-Bas réalisant alors près de 2,5 % de la valeur ajoutée industrielle nationale puis en 1972 s'intégrer, en position dominante, dans le groupe multinational ESTEL qui en 1974 occupait le 4ème rang des groupes sidérurgiques en Europe Occidentale et le 8ème rang dans le monde et s'affirmait, comme groupe industriel, par la diversité de ses activités, la valeur de son chiffre d'affaires (10.197 millions de Florins) et l'importance de ses effectifs (77.600 personnes).

157Le poids d'un passé de plus de cinquante ans et l'influence encore limitée d'une fusion récente dont les effets sont un peu estompés par la crise et la prudence qu'elle suscite, incitent à rechercher dans l'évolution chronologique les mécanismes essentiels qui régissent le fonctionnement du système de relations financières et décisionnelles intéressant l'usine néerlandaise.

1°- Le système originel 1918-1940.

158C'est le 20 Septembre 1918 que fut constituée la KNHS, Koninklijke Nederlandsche Hoogovens en Staalfabrieken NV, en vue de concevoir et de réaliser aux Pays-Bas un centre sidérurgique intégré susceptible de répondre, de façon autonome sur le plan de la production, aux besoins nationaux dans les principaux produits sidérurgiques. Créé à l'initiative d'un industriel, M. Wenckebach, le Comité d'étude dont l'activité devait aboutir à cette création, reçut l'appui de l'Etat qui cherchait à assurer l'indépendance nationale dans les branches industrielles stratégiques et des milieux d'affaires privés qui se décidaient alors à jouer la carte d'une active industrialisation. Lors de la réalisation du capital social initial qui s'élevait à 25 millions de Florins, coût de la construction de la première étape, 7,5 millions furent apportés par l'Etat néerlandais et le reste par des banques, des compagnies d'armement maritime, des entreprises industrielles, des sociétés de service et des particuliers. Le choix définitif d'Ijmuiden comme site d'implantation, aux dépens d'une dizaine d'autres possibilités gui furent alors étudiées et surtout aux dépens de Rotterdam qui offrait un vaste terrain situé sur la Nieuwe Waterweg au Sud du Waalhaven, entraîna la participation financière de la ville d'Amsterdam qui fit un apport de 5 millions de Florins.

159Dès lors était fixée la répartition des principaux intervenants dans le capital social de l'entreprise ; l'Etat et la Ville d'Amsterdam devaient maintenir avec de faibles variations leur importance respective alors que la part des capitaux privés se dispersait et se diffusait à la faveur des augmentations de capital et de la cotation des actions de la KNHS sur les principales places boursières d'Europe. Cette répartition générale, l'absence de groupe dominant dans la partie détenue par le secteur privé et surtout la part exceptionnelle prise par les capitaux propres et les réserves dans l'ensemble des capitaux utilisés, allaient permettre à l'entreprise de se doter d'une réelle autonomie en affirmant une nette séparation entre la propriété du capital social et la responsabilité de la gestion.

160Le système de relations financières et décisionnelles mis en place à la naissance de l'entreprise conserva sa simplicité initiale jusqu'au lendemain de la seconde guerre mondiale. Cette stabilité s’explique par le fait que la KNHS ne put réaliser que très lentement son usine intégrée à cause des effets profonds et durables de la grave crise du début des années Trente et limita sa création de filiales dans les seules activités complémentaires de ses propres productions. Si le premier haut-fourneau et la cokerie sont allumés en 1924, l'aciérie Siemens-Martin n'entrera en fonctionnement qu'en 1939 et le premier train de laminoir en 1940. Entre temps des accords avaient été passés avec les deux producteurs d'acier néerlandais de l'époque, la Koninklijke Demka Staalfabrieken NV créé en 1902 et la NV Nederlandse Kabelfabrieken NKF créé en 1913, accords d'approvisionnement ou de limitation de concurrence. Par contre la KNHS développa ses activités par la valorisation de ses sous-produits les plus importants. En 1928, elle fondait, en association avec la NV De Bataafsche Petroleum Maatschappij, la NV Maatschappij tot Exploitatie van Kooksovengassen (NV Mekog) qui fabriquait, à partir du gaz de cokerie, de l'ammoniaque et des engrais azotés ; en 1930, elle créait, en collaboration avec la Eerste Nederlandsche Cernent Industrie NV (ENCI), la Cernent fabriek Ijmuiden NV (Cemij NV) dans le but de fabriquer du ciment à partir du laitier de haut-fourneau.

161Si durant les années de guerre, les activités de production diminuèrent puis cessèrent complètement sous les effets conjugués des bombardements alliés et du transfert en Allemagne de certains équipements, des relations obligées furent nouées entre la KNHS et les Vereinigte Stahlwerke qui, en fait, dirigèrent alors l'économie et le fonctionnement du centre littoral. Des liaisons techniques s'ajoutèrent alors à des liaisons financières établies avec la sidérurgie allemande dès la création de l'usine néerlandaise ; celle-ci en effet transforma en 1923 une part de ses disponibilités financières en actions de la Société allemande Phoenix AG qui fut intégrée en 1930 dans les Vereinigte Stahlwerke. Ainsi apparaissaient les prémisses de ce qui, par la suite, allait devenir une politique systématiquement poursuivie de collaboration et de prise de contrôle permettant à l'entreprise néerlandaise de faire correspondre ses dimensions économiques à ses dimensions techniques.

2°- La croissance dans le cadre national : 1945-1966

162Durant les deux décennies qui suivent la seconde guerre mondiale, cette recherche de correspondance et d'adaptation des différentes structures va s'opérer surtout à l'échelle nationale et selon deux axes principaux : la concentration verticale et horizontale à partir de l'activité sidérurgique et la diversification dans d'autres activités industrielles.

163De 1945 à 1966, l'usine littorale connaît pour l'époque un développement exceptionnel, non seulement sur le plan quantitatif puisque la production atteint en 1966 2.900.000 tonnes d'acier brut, mais aussi sur le plan qualitatif puisque sur le site est réalisée une intégration quasi complète de la production d'acier et de la valorisation des principaux sous-produits. L'usine comme l'entreprise servent alors de modèle à la sidérurgie européenne, voire à la sidérurgie mondiale. Pour obtenir ces brillants résultats, l'entreprise a su tirer profit des avantages géographiques, techniques et économiques qu'elle possède alors et qu'elle entretient par rapport à ses principaux concurrents et a bénéficié de l'aide de l'Etat.

164Cette intervention s'est avérée particulièrement importante en 1950 lorsque l'Etat, utilisant une partie de l'aide américaine du Plan Marshall, participa pour 92 % et la KNHS pour 8 % à la création d'une Société de laminage, la "Breedband NV", chargée de réaliser à Ijmuiden et de gérer sous la conduite des directeurs de la KNHS, deux trains de laminoirs, un à chaud et un à froid, qui allaient assurer un succès croissant à la sidérurgie néerlandaise. Forte de cet appui qui lui permettait d'effectuer un développement spectaculaire dans un secteur dynamique sans altérer ses propres disponibilités financières, la KNHS allait s'étendre en contrôlant peu à. peu la presque totalité des activités industrielles néerlandaises liées à la production et à la première transformation de l'acier. La KNHS a racheté à l'Etat l'ensemble des actions qu'il possédait dans la Breedband NV qui disparaît dès 1964 comme société indépendante. Elle a porté sa participation à 99,2 % dans la Koninklijke Demka Staalfabrieken, à 1,00 % dans la Vereenigde Utrechtsche Ijzerhandel NV et dans la NV Nederlands Verkoopkantoor voor Walserijproducten. En absorbant la NV Rijnstaal (96,9 %) elle intervient de façon décisive dans la fabrication des tubes qu'elle dominera rapidement par l'absorption de la Blericksche Buizen_fabriek NV en 1967 et de la NV Vereenigde Buizenfabricken Excelsior De Maas en 1968. La même politique sera appliquée à la tréfilerie (1969 : absorption de la NV Nederlandse Draadindustrie) et aux industries de valorisation des sous-produits comme par exemple la prise de contrôle de la NV Teerbedrijf Uithoorn (100 %) ou la prise de participation dans la Cementfabriek Rozenburg NV (50 %) et dans la NV Nederlandse Steenwolfabriek (40 %).

165Pour asseoir davantage ses assises économiques et s'assurer une certaine sécurité, la KNHS a recherché une diversification de ses activités et s'est pour cela orientée vers le secteur des métaux non-ferreux et plus précisément à cette époque vers les industries de l'aluminium : en 1966 la NV aluminium Delfzijl, dont la KNHS détient 50 %, commence sa production alors que la NV Industrie Vaassen, spécialisée dans la transformation du métal, est totalement absorbée (99,7 %). En outre les premiers accords sont signés avec la NV Billiton Maatschappij pour créer, en association avec cinq entreprises étrangères, allemandes, anglaises et américaines, un groupe de recherche et d'extraction des hydrocarbures en Mer du Nord, le groupe "Noordwinning".

166Malgré cette considérable extension qui plaçait alors la KNHS au cinquième rang des entreprises néerlandaises après la Royal Dutch Shell, Unilever, Philipps et AKU, la volonté d'accroître la production d'acier et la nécessité de l'augmenter dans de fortes proportions pour maintenir un haut niveau de productivité, allaient contraindre l'entreprise à rechercher un nouvel ajustement de ses dimensions économiques qui ne pouvait plus se concevoir que sur un plan international. Après quelques tentatives de rapprochement avec la sidérurgie belge, la KNHS se tourna délibérément vers la sidérurgie allemande dans laquelle avaient été maintenus d'importants intérêts financiers.

3°- L'accès aux dimensions multinationales

a/ Les accords de coopération : 1966-1972

167Lors de la réorganisation de la sidérurgie allemande en 1951, la KNHS regroupa les intérêts qu'elle détenait au sein des anciennes Vereinigte Stahlwerke dans le capital de la Dortmunder Hörder Hüttenunion AG (D.H.H.U.) dont elle acquit 42,8 % des actions. Malgré l'ampleur de la participation, l'intervention de la KNHS se limita à un contrôle de la gestion de l'entreprise allemande qui se révéla d'ailleurs, dès sa création, d'une rentabilité fort moyenne. Importante mais dotée d'équipements disparates reçus en héritage de plusieurs groupes différents dissous à la fin de la guerre, faiblement intégrée à l'amont comme à l'aval, sa productivité resta médiocre malgré les nombreuses mesures de modernisation et de rationalisation qui furent prises dans les usines de Dortmund et le renforcement de la spécialisation dans les produits plats par la prise de contrôle de la Hüttenwerke Siegerland AG. (Tableau n^o 58).

168Aussi la KNHS accepta-t-elle l'absorption de sa filiale le 1-10-1966 par la société Hoesch, AG dont elle reçut en contrepartie 14,5 % des actions. Cette opération lui permettait d'intervenir dans un groupe industriel puissant et diversifié avec lequel de fructueux accords de collaboration semblaient pouvoir être passés. Un an après cette fusion, le groupe allemand présentait les caractéristiques suivantes (Exercice 1967 - 1968)

169- Productions :

170- Ventes

171- Effectifs

172Toute la gamme des produits sidérurgiques est élaborée par les sociétés suivantes qui constituent les éléments essentiels du Konzern :

• Hoesch AG Hüttenwerke - Dortmund

• Hüttenwerke Siegerland AG - Siegen

• Hoesch AG Walzwerke Hohenlimburg - Hohenlimburg

• Döhner AG - Letmath

• Schwerter Profileisenwalzwerk AG - Schwerte/Ruhr

• Triererwalzwerk AG - Wuppertal

173Les activités de transformation se sont étendues dans tous les secteurs classiques : fabrication de tubes, forges, tréfileries, traitement des tôles, fabrication de machines à partir des principales entreprises suivantes :

• Hoesch AG Röhrenwerke - Hamm

• Rathe Erde Schmiedag AG - Hagen

• Schwinn AG - Homburg/Saar

• Dittmann und Neuhaus AG - Herbede/Ruhr

• Blefa GmbH - Kreuztal

• Hoesch Drahtseilwerke Gmbl - Dortmund

• Hoesch. Maschinen fabriek Deutschland AG - Dortmund

174A cela s'ajoutent les contrôles et les participations dans un nombre impressionnant de sociétés exerçant leurs activités dans des domaines situés à l'amont et à l'aval de l'industrie sidérurgique, en Allemagne et dans le reste du monde : sociétés minières, entreprises de valorisation des sous-produits, sociétés de transport, sociétés commerciales, sociétés immobilières... etc..., qui parachèvent une intégration extrêmement poussée.

175La collaboration entre les deux groupes se traduisit immédiatement sur les plans technologique et commercial par des échanges d'informations et de demi-produits et par le début d'une organisation commune des ventes. Elle concerna surtout l'étude coordonnée des programmes d'extension, de modernisation et de spécialisation des entreprises et des usines. Elle aboutit à un accord fondamental réservant à la KNHS, avantagée par sa situation littorale, le développement des activités de base (production de fonte, d'acier brut et de demi-produits) et à Hoesch, bien placée au cœur du marché allemand, la progression des productions terminales et l'élargissement des activités de transformation. La KNHS trouvait là une justification et une sécurité supplémentaires, techniques, économiques et financières, pour ses plans de croissance de l'usine d'Ljmuiden dont les objectifs étaient de 5,25 millions de tonnes d'acier brut pour le plan rendu public en 1968 et 6,0 millions de tonnes pour le plan de 1970.

176Cette collaboration se resserra davantage encore à l'occasion du projet de construction commune d'un nouveau centre littoral dans la Maasvalkte de Rotterdam9. Bien que les recherches aient été fort poussées et que la plupart des difficultés techniques, financières et politiques aient été aplanies, l'exécution du projet fut retardée par l'opposition des comités de défense de l'environnement puis ajournée et suspendue. Cet échec ne ralentit par la coopération qui, au contraire, s'intensifia et redonna un rôle moteur à l'usine d'Ijmuiden dont on planifia la croissance jusqu'à une capacité de 6,6 millions de tonnes en envisageant de la porter à moyen terme à 8 millions de tonnes et en fixant à 11 millions de tonnes la capacité théorique maximale du site. Dès lors commencèrent des études approfondies pour parvenir à une fusion entre les deux groupes. Cette formule apparaissait, malgré les difficultés qu'elle faisait naître dans les deux pays concernés et au niveau de la Communauté, comme la seule susceptible de permettre dans les meilleures conditions la construction de très grandes installations nouvelles, l'harmonisation des investissements d'expansion ou de remplacement, la conquête de positions plus fortes à la fois sur les marchés d'approvisionnement en matières premières et en énergie et sur les marchés de vente dans les deux pays et l'exportation, la réussite d'une diversification à grande échelle.

177Parallèlement la KNHS accentuait dans le cadre national son emprise sur toutes les industries proches de son activité principale : la fabrication des tubes (constitution de la NV Vereenigde Buizenfabricken VBF - 100 %), la tréfilerie (absorption de la NV Staalmat - 100 %, le commerce des produits sidérurgiques (Koninklijke Handelsmaatschappij Bemet NV), 1'ingéniérie, les constructions d'acier, la fabrication de machines... etc, (NV Ingenieursbureau IMCT - (100 %) - Alpha Engineering - 25 % - NV Nobels Peelman - Belgique - 11,6 %). Le développement des activités complémentaires et de diversification confirmait l'extension internationale de 1'entreprise, que ce soit dans le domaine des produits minéraux (participation de 22 % dans le PT Pacific Nikkel Indonesia, de 25 % dans la Beckley Coal Mining Company, de 50 % dans l'Oremco Inc ; absorption totale de la SA. Usines de Stephenne) dans celui des métaux non ferreux (croissance de Holland Aluminium - 33,8 % - et de ses filiales, constitution progressive d'un groupe complètement intégré associant l'exploitation des matières premières, la fabrication des produits semi-ouvrés et la transformation des produits finis sur les principaux marchés mondiaux) ou encore dans la fabrication des tubes d'acier en Indonésie (PT Inastu Indonesian Steel Tube - 75 % - Krakatau Hoogovens International Pipe Industries KHI PT - 25 %-).

178A la veille de la fusion avec Hoesch, la KNHS est devenue une entreprise sidérurgique et un groupe industriel d'importance mondiale. Si le capital social reste réparti entre l'Etat néerlandais (28,5 %), la Ville d'Amsterdam (8,5 %) et les particuliers (63 %), il ne représente plus qu'une part infime des capitaux utilisés. (Tableau n" 59). Malgré les énormes investissements et les considérables dépenses entraînées par l'accroissement de son potentiel économique, l'entreprise a su conserver une grande autonomie financière qui lui assure une réelle liberté de gestion. Si la rentabilité des capitaux utilisés comme le rapport entre le bénéfice d'exploitation et le chiffre d'affaires ont régulièrement baissé, si l'endettement a augmenté, les capitaux propres ainsi que les réserves et les provisions représentaient encore en 1971, plus de 61 % des capitaux utilisés. La fusion avec Hoesch est alors considérée comme un des mouvements du processus inéluctable de concentration qui doit permettre à la sidérurgie européenne de résister à ses principaux concurrents.

b/ La aviation d'ESTEL - 1972

179Après consultations et décisions des autorités gouvernementales et communautaires, des conseils d'administration et de surveillance, la fusion définitive fut opérée au cours de l'été et officialisée avec effet rétroactif au 1.1.1972. Pour satisfaire aux exigences des législations allemande et néerlandaise sur les sociétés, le nouveau groupe ESTEL NV était doté d'une structure corporative. La KNHS NV et la Hoesch AG se transformaient en sociétés holding et acquéraient chacune une participation de 50 % du capital souscrit et libéré d'une société centrale de gestion : ESTEL NV. La fusion était ainsi opérée sur une base totalement paritaire mais la KNHS conservait sa participation de 14,5 % dans Hoesch AG et la société ESTEL NV, de droit néerlandais, implantait son siège social à Nimègue, à distance à peu près égale d'Ijmuiden et de Dortmund. Cette société centrale de gestion ESTEL NV détenait 100 % des actions des deux sociétés d'exploitation : la Hoogovens Ijmuiden BV et la Hoesch Werke AG qui conservaient la direction de leurs propres filiales et participations.

180La cohésion du groupe était favorisée par la multiplication des liens personnels entre les conseils de surveillance et les directions générales des diverses sociétés. La structure corporative permettait d'accorder une certaine autonomie aux différents éléments, l'organisation centrale permettait de gérer l'ensemble comme une unité.

181A Nimègue, étaient mises en place la direction générale assistée de comités de gestion (gestion financière, gestion du personnel, gestion commerciale-technologie), des secteurs d'ordre fonctionnel (Personnel - Finances et Questions Juridiques - Planning et Systèmes - Développements techniques - Services Généraux) et des groupes de coordination (Coordination Acier - Coordination Transformation de l'Acier - Coordination Commerce - Coordination Diversification).

182Chaque groupe de coordination, en rassemblant les activités des anciennes sociétés mères et celles de leurs filiales, constitue une entité au sein de laquelle sont étudiées les mesures de rationalisation et recherchées les meilleures possibilités de développement coordonné. La concertation a commencé à ce niveau avant que ne soient définis précisément pour le groupe et le plan stratégique à long terme et le plan opérationnel à moyen terme. (Cf. Tableau n^o 60).

183La crise qui frappa durement le nouveau groupe malgré l'équilibre de ses structures financières, sa forte intégration et la très grande diversité de ses activités, devait retarder l'élaboration et la publication de ces plans.

184Les principes fondamentaux de la politique générale du groupe ne furent pas modifiés, même si la stratégie à court terme dut s'adapter à la pesanteur initiale des nouvelles structures et surtout à l'influence de la crise. Les objectifs sont restés les mêmes : développement et rationalisation de la production d'acier brut, accroissement proportionnellement plus soutenu des secteurs de transformation de l'acier et de diversification. Ils ont été poursuivis en tenant compte des atouts propres à chaque unité technique et économique et des mesures qui avaient été précédemment prises pour en améliorer la productivité ; pour la KNHS intérêt de la situation côtière et d'une diversification progressivement évoluée, pour Hoesch :avantage d'une implantation au cœur d'une zone de forte consommation et d'une transformation de l'acier très différenciée.

185Pour l'approvisionnement à long terme du groupe en acier brut, il n'est pas prévu à Dortmund de dépasser une capacité annuelle de 7 millions de tonnes qui sera obtenue et maintenue essentiellement par des rénovations de plus ou moins grande envergure des installations existantes ; par contre, l’usine d'Ijmuiden devrait bénéficier de tous les projets d'extension du groupe. Mais sur ces projets d'autres influences interviennent, en particulier celles des organisations professionnelles et des gouvernements respectifs ainsi que celle de la CECA.

186Le fonctionnement et le développement du centre littoral néerlandais sont conçus dans le cadre du groupe mais sont aussi devenus, en partie, dépendants des choix effectués moins par la Chambre Syndicale de la Sidérurgie néerlandaise dominée par la KNHS que par la Wirtschaftsvereinigung Eisen-und Stahlindustrie qui, de Düsseldorf, établit la politique de branche de la sidérurgie allemande. L'intégration totale de la sidérurgie néerlandaise dans le projet DENELUX en fut une preuve tangible10. De même la politique économique générale et la politique industrielle du gouvernement allemand deviennent des facteurs de détermination, indirects certes, mais cependant réels. Quant au gouvernement néerlandais, son action s'exerce à plusieurs titres, d'une part comme actionnaire privilégié et d'autre part comme responsable du développement économique et de l'aménagement régional. Les plans d'extension à 7,3 puis à 8 millions de tonnes de capacité et les modèles de croissance jusqu'à 11 millions de tonnes pour la fin des années 80 ont été soumis en 1974 à l'approbation des Etats Généraux de la Province qui assument au niveau régional la responsabilité de l'aménagement du territoire et au gouvernement central qui définit au niveau national les grandes orientations politiques de la croissance économique et de l'organisation de l'espace. Les autorisations accordées en 1976 sont à considérer comme essentielles pour l'avenir du centre sidérurgique d'Ijmuiden dont on pouvait craindre qu'il ne soit limité par la volonté du gouvernement néerlandais de freiner 1'implantation de certaines activités industrielles dans les régions congestionnées de l'ouest du pays. La signification économique nationale et le rôle régional du centre sidérurgique expliquent cette dérogation et justifient une autorisation par ailleurs assortie de réserves et de conditions qui se répercuteront sur les données techniques et le calendrier d'exécution des installations à réaliser.

CONCLUSION

187Chaque centre sidérurgique littoral est le point de convergence et la forme de concrétisation d'un grand nombre de flux financiers et décisionnels ayant déterminé sa création, régissant son fonctionnement et réglementant son développement. Ces investissements et leurs implications financières et décisionnelles sont d'une importance et d'une complexité telles qu'ils émanent d'intervenants multiples utilisant l'établissement industriel comme l'outil de politiques et l'instrument de stratégies très variées : l'entreprise et les groupes industriels et financiers la contrôlant, les groupements professionnels, les autorités publiques locales, régionales et nationales, voire les assemblées internationales.

188Chaque centre sidérurgique littoral est l'expression d'un système industriel qui lui est propre, moins par la nature et le nombre de ces intervenants, que par leur mode d'action, leur organisation et leur extension spatiale.

189Mais si chaque usine est le reflet d'un système sur lequel influent l'histoire, la législation économique, les comportements en affaires, propres à chaque lieu d'origine, elle est également le facteur primordial d'évolution de ce système qui, nécessairement, doit s'adapter aux implications de son importance et aux exigences de son rythme de croissance par un élargissement de ses dimensions sectorielles et spatiales.

190Chaque centre littoral est l'élément moteur d'un système pouvant se développer et acquérir un poids tel qu'il est susceptible d'influencer, non seulement le fonctionnement d'une branche industrielle à l'échelle régionale et nationale, mais aussi d'un vaste ensemble d'activités industrielles à l'échelle nationale et internationale et qu'il peut infléchir les politiques économiques et d'organisation régionale de plusieurs gouvernements.

191C'est à l'intérieur des aires où s'organisent les relations de chacun de ces systèmes de relations financières et décisionnelles que devra être étudiée et appréciée l'influence exercée par chaque usine.

II- LES RELATIONS FINANCIÈRES ET DÉCISIONNELLES ORIGINAIRES DE L'ÉTABLISSEMENT INDUSTRIEL

192Les usines sidérurgiques littorales sont également des centres de diffusion de flux financiers et de flux décisionnels dont le nombre, l'intensité et la répartition sont très variables selon les cas. L'originalité de chaque système de relations résulte, là encore, de 1'intervention de multiples facteurs/tenant à la fois aux caractéristiques techniques de l'établissement, aux structures de l'entreprise, aux traditions et aux législations économiques, sociales et administratives des milieux d'insertion.

193Ce système de relations a une réalité d'autant plus sensible que l'établissement industriel renferme la totalité ou une partie des services de direction de l'entreprise ou d'un de ses secteurs de production, que l'usine possède importance et autonomie, que les milieux d'accueil du niveau local et régional sont dotés de véritables responsabilités en matière de croissance économique et d'aménagement régional.

194Les différences sont ainsi les plus marquées entre l'usine française et l'usine néerlandaise qui sont opposées à la fois par leur propre signification relative au sein de leur système industriel respectif et par le rôle que sont amenés à jouer les pouvoirs locaux, régionaux et nationaux dans l'organisation de l'espace.

195Si, du fait de sa puissance et de son efficacité, l'établissement de Dunkerque a vu sa direction recevoir dans le domaine technique certains pouvoirs qui s'appliquent à toutes les usines du groupe exerçant des activités dans la spécialité des produits plats, cette direction d'usine n'a que des pouvoirs dérisoires en matière économique et sociale, ce qui limite ses possibilités de discussion et d'action dans la vie locale et régionale, des possibilités déjà fort restreintes par la structure excessivement centralisée de la firme et de l'administration du territoire.

196Par contre et malgré la création du siège social d'ESTEL à Nimègue, l'établissement néerlandais est un centre de décision d'autant plus influent qu'il garde rassemblé l'essentiel des pouvoirs de commandement des différentes entités économiques du groupe implantées à Ijmuiden et dans le reste des Pays-Bas. Cette fonction d'autorité est d'autant plus développée que c'est prioritairement au niveau local et régional que sont définies aux Pays-Bas les mesures fondamentales concernant l'aménagement de l'espace.

A- LES FLUX FINANCIERS

197Les flux financiers qui divergent de l'établissement sidérurgique sont, dans leur grande majorité, des flux de paiement des mouvements de biens et de services ayant participé à la production industrielle et, dans certains cas et pour une part plus modeste, des flux de rémunération des modalités d'occupation de l'espace de production.

198Seuls, les établissements renfermant le siège social de l'entreprise, c'est-à-dire ceux d'Ijmuiden et de Gand, sont des centres à partir desquels s'effectue le paiement de la presque totalité des biens et des services requis par la production réalisée dans l'usine. La répartition spatiale de ces flux financiers est le reflet des aires d'approvisionnement pour les dépenses générales et de l'aire de résidence de la main d'œuvre pour les salaires et les coûts sociaux. Très significatif à cet égard est l'exemple donné par la répartition des dépenses générales et des salaires de l'usine d'Ijmuiden et par les correspondances étroites que l'on peut relever avec l'organisation des flux d'intrants et le fonctionnement du bassin de main d'œuvre. (Cf. Supra § Flux et réseaux techniques et économiques. Cf. Infra § Les aires de résidence de la main d'œuvre).

199Malgré l'importance des transferts, aucune infrastructure bancaire spécifique n'a été développée sur place et les mouvements de capitaux s'opèrent à partir des équipements de niveau supérieur implantés à Amsterdam en empruntant les réseaux généraux de la circulation financière aux Pays-Bas. Par contre, la distribution des salaires qui se fait, comme dans la plupart des grands établissements, totalement par la voie bancaire, a favorisé le développement des succursales et des guichets dans tout le bassin de main d'œuvre en s'adaptant aux exigences d'une circulation financière croissant avec l'augmentation et la dispersion des effectifs.

200Pour SIDMAR le phénomène présente des caractéristiques très proches ; commandés de Gand, les mouvements de capitaux les plus importants se réalisent à partir de Bruxelles et de Luxembourg par les voies classiques de la circulation financière dans ces deux pays, alors que le réseau bancaire s'étoffe et se ramifie dans le bassin de main-d’œuvre.

201Pour les usines ne comprenant pas le siège social de l'entreprise, c'est-à-dire pour USINOR-DUNKERQUE et KLOCKNER-BREME, les dépenses engagées par les directions d'établissement sont très réduites, l'essentiel s'effectuant par les directions générales, à partir des capitales financières respectives, Paris et Düsseldorf. Une très grande similitude se retrouve avec les cas précédents pour tout ce qui concerne la distribution des salaires et ses conséquences au sein de chaque bassin de main d'œuvre.

202Si les impôts sur la production, la valeur ajoutée, le bénéfice, qui sont établis à partir de la comptabilité de l'entreprise, sont prélevés au plus haut niveau par la perception de l'Etat et sont intégrés dans le budget national, d'autres impôts sont parfois établis à partir de l'établissement en fonction de sa superficie, de son effectif ou de sa production, pour approvisionner en priorité le budget des collectivités locales et régionales. Il s'agit en France de la Patente, transformée en 1976 en Taxe Professionnelle, qui fournit une part essentielle des recettes fiscales directes des communes. Dans les autres pays étudiés, cette taxe a été remplacée par une imposition au niveau de l'entreprise qui, versée dans le budget général, parvient aux collectivités dans le cadre des attributions budgétaires de l'Etat aux collectivités publiques. Cette forme de prélèvement et de redistribution a été peu à peu préférée au système qui subsiste en France car elle permet d'éviter la création et le maintien d'inégalités trop criantes entre des entités territoriales, commune, agglomération, région, qui possèdent des aptitudes très variables au développement économique. Aux Pays-Bas par exemple, plus de 90 % du budget communal est alimenté par des attributions provenant de l'Administration centrale et qui sont fixées en fonction des besoins de la population, calculés selon ses caractéristiques démographiques.

203En France, l'évaluation de la Taxe Professionnelle se fait sur la base de deux éléments : la valeur locative des bâtiments et des matériels et la masse salariale distribuée. Elle dépend donc de l'importance de l'activité économique mais aussi et surtout de la politique de la Commune qui fixe, en fonction de ses besoins et de ses engagements de dépenses, le taux d'imposition et la répartition entre les différentes parties prenantes : la commune, la Communauté Urbaine éventuelle, le Département et éventuellement les Syndicats intercommunaux. Son usine de Dunkerque étant installée sur les communes de Grande-Synthe et de Dunkerque (avant la fusion sur les communes de Dunkerque et de Petite Synthe) et l'usine de Mardyck sur la commune de Grande-Synthe, USINOR a été amenée à verser aux deux communes citées, de la date de son implantation jusqu'à la fin de 1976, 158.800.000 F au titre de la patente puis de la taxe professionnelle dont le montant s'éleva à 48.883.000 F pour la seule année 1976. L'année précédente, en faisant intervenir la patente pour 96,1 % de l'imposition communale avec un taux d'imposition de 14,3 et en réservant à la commune 74,8 % des ressources obtenues (17,4 % pour la Communauté Urbaine et 7,8 % pour le département et autres destinataires) la commune de Grande-Synthe a pu tirer d'USINOR plus de 75 % de ses ressources fiscales alors que la proportion était beaucoup moins forte à Dunkerque où la part de la patente était de 80,5 % avec un taux de 8,26 et une répartition pour la commune de 43,2 %. (27,7 % pour la Communauté Urbaine, 29,1 % pour le département et autres destinataires). L'existence d'une péréquation, malgré sa variabilité permet, sans faire disparaître les inégalités fondamentales, de diffuser une partie des recettes fiscales provenant de la taxe professionnelle au moins jusqu'au niveau de la Communauté Urbaine qui peut ainsi tirer parti dans son ensemble du développement de l'industrie.

204Malgré tout,1a répartition spatiale reste très concentrée, contrastée, en forte discordance avec l'aire d'extension de l'influence majeure de l'usine sidérurgique ; ce qui pose de graves problèmes pour l'aménagement urbain et régional.

B- LES FLUX DECISIONNELS

205L'insertion de l'établissement sidérurgique dans son cadre d'accueil est l'occasion d'un échange d'informations et de décisions.

206Dans le cas où 1'établissement industriel est dépourvu du siège social de l'entreprise, on est frappé par la faiblesse de la vie de relation entre la direction de l'usine et le milieu local et régional, ses dirigeants administratifs, ses représentants politiques, les responsables techniques de son fonctionnement et de son aménagement.

207A Dunkerque en particulier, on perçoit immédiatement que les décisions essentielles sont prises à Paris au niveau des services les plus élevés dans la hiérarchie de l'entreprise et du groupe et au niveau des plus hautes instances ministérielles. La direction de l'usine, comme souvent les services administratifs locaux et régionaux, ne sont chargés que de l'application de décisions prises par des autorités à la fois supérieures et extérieures. Les retards voire les incohérences qui en résultent, contribuent à renforcer des tensions, à faire naître des incompréhensions puis des oppositions systématiques.

208Cette indifférence est moins sensible à Brême, surtout à cause de la structure fédérale de l'administration et du rôle du Land qui est, ici, d'autant plus efficace que la petite taille de l'unité territoriale est un facteur incontestable de cohésion. La faiblesse de la vie de relation reste cependant évidente : au niveau de l'établissement elle s'est exprimée jusqu'en 1976 par l'absence d'un véritable bâtiment de direction dans l'enceinte de l'usine. Il aura fallu attendre près de vingt ans pour que l'établissement soit doté d'une construction moderne et fonctionnelle rassemblant tous les services de commandement jusqu'alors dispersés dans l'usine et dans divers bâtiments de la ville.

209Les usines possédant le siège social de l'entreprise sont naturellement les centres d'une vie de relation plus riche et plus complète. Une distinction doit cependant être faite entre les usines.

210A Gand a été affirmé, dès la création de l'entreprise, le principe d'une nécessaire indépendance entre l'activité économique et les pouvoirs politiques : la première assumant la responsabilité de la production et de l'emploi, les seconds devant lui assurer les meilleures conditions de fonctionnement. Les échanges sont déterminés par cette répartition des fonctions et ne sont établis à partir de l'usine qu'en cas de besoin et pour répondre à des objectifs précis.

211A Ijmuiden, l'ancienneté, l'importance et le rythme de développement de l'établissement sidérurgique dans une région où les problèmes de protection de l'environnement et d'aménagement spatial sont intensément vécus, tous ces facteurs, ont favorisé le développement des relations informatives et décisionnelles. L'usine de la K.N.H.S. est la seule à posséder, outre les conventionnels services des Relations Extérieures et du Contentieux, un service progressivement étoffé de "Planologie Externe" chargé d'étudier toutes les questions relatives à l'intégration de l'usine dans le milieu local et régional, qu'il s'agisse des problèmes de logement, de circulation, de pollution, de développement économique et d'aménagement régional. Les relations ne sont pas seulement établies au niveau des responsables du groupe industriel et des autorités gouvernementales, mais surtout au niveau des services opérationnels de l'établissement industriel d'une part, du pays, de la province et des communes d'autre part. Un réseau dense de flux s'étend sur l’ensemble de la Province de Noord-Holland avec une intensité particulière dans l'Ijmond, le Noord-Kennemerland, l'agglomération d'Alkmaar et ses environs, l'aire d'aménagement du Canal de la Mer du Nord où l'établissement exerce une profonde influence qui touche tous les éléments essentiels de la structure spatiale.

CONCLUSION

212D'un point de vue géographique, l'activité industrielle, dans ses composantes techniques et économiques, ne s'exprime pas seulement par l'établissement et ne se concrétise pas uniquement dans l'espace de production, elle s'exprime également par des flux et se concrétise dans des espaces de relations.

213Dans le cas des centres sidérurgiques littoraux étudiés, existent des liens d'étroite interdépendance et de détermination respective entre l'usine considérée comme centre de production et l'usine appréhendée comme centre de relations techniques, économiques, financières et décisionnelles.

214Parce qu'elles sont des centres de production de première grandeur, les usines littorales sont également au cœur de systèmes de relations particulièrement importantes par leur richesse, leur extension et leur organisation.

215Mais, de même que chaque usine affirme comme centre de production une personnalité dotée d'une grande originalité, elle s'impose également par les particularités de ses systèmes de relations. Selon les cas, ces systèmes s'inscrivent dans l'espace avec une intensité variable au niveau local, régional, national ou international.

216Cette force, cette complexité et cette diversité de l'expression géographique de l'activité industrielle, en dehors même de ses caractéristiques humaines qui font l'objet de la seconde partie de la thèse, doivent inciter, surtout dans les tentatives de généralisation, à la plus grande prudence dans la recherche de l'influence qu'exerce l'industrie sur l'organisation de l'espace, c'est-à-dire dans l'étude de sa signification géographique.