1L'étude des productions et de la productivité permet de compléter l'analyse des caractères généraux et originaux des usines littorales considérées comme unités techniques.

2Cette étude ajoute aux aspects anatomiques des établissements leurs particularités physiologiques, c'est-à-dire les caractéristiques de leur fonctionnement. Ces données sont d'autant plus expressives qu'elles sont dégagées à partir de la considération non seulement d'un état de situation, mais surtout d'une évolution sur une période variant, selon l'ancienneté des usines, de cinq à quinze ans.

3Cette étude enrichit la précédente de la réalité du vécu : - réalité technique, puisqu'elle permet de voir comment s'effectue l'utilisation du potentiel et des capacités avec ses irrégularités, ses incidents voire même ses défaillances - réalité économique, car elle montre la sensibilité directe de l'établissement ou sa sensibilité indirecte par l'intermédiaire de l'entreprise aux fluctuations de la conjoncture - réalité sociale, puisqu'elle reflète l'efficacité de la main-d'oeuvre et, par là même, ses structures et ses comportements.

4La nature, l'importance et l'évolution de la production, la productivité-travail et la productivité-matière et énergie seront appréciées à la fois de façon globale et intrinsèque pour caractériser les usines littorales dans la sidérurgie de leur pays respectif et de l'ensemble de la CECA et pour les individualiser les unes par rapport aux autres.

5Cette étude, expressive de la personnalité de chaque établissement et ainsi de son influence sectorielle et spatiale, présente malheureusement des difficultés, tenant d'une part aux faiblesses voulues de l'information et d'autre part à la diversité fondamentale des usines qui doit être à nouveau soulignée. Ces difficultés obligent à une grande prudence dans les comparaisons et dans 1'interprétation de certaines données brutes, particulièrement de celles qui concernent les critères de productivité. Plus qu'à la valeur quantitative des chiffres, c'est davantage à leur signification qualitative qu'il faut s'attacher dans ce domaine.

I- CARACTERES GENERAUX : LA PRODUCTION D'ACIER BRUT

6L'appréhension immédiate et précise de la production globale d'une usine sidérurgique est difficile à cause de la multiplicité de ses formes. Comme l'a montré l'étude des caractéristiques techniques des différents établissements, le processus de fabrication sidérurgique est par nature fractionné. Dans les usines littorales, pour obtenir la meilleure productivité au niveau de chaque équipement et au niveau de l'ensemble de l'établissement, on a cherché par l'intégration et l'organisation à atténuer les discontinuités et à renforcer les solidarités et les équilibres. Cependant, malgré les étroites interdépendances créés par les échanges de demi-produits et d'énergie1, chaque stade conserve une individualité qui s'exprime au niveau des livraisons de produits, de demi-produits et de sous-produits (Figure n^o 24). L'usine KNHS-IJMUIDEN qui présente la chaîne technique la plus longue et la plus diversifiée, offre l'exemple le plus riche de la diversité possible de la production sidérurgique dont les composantes peuvent en outre varier de façon importante en fonction de la conjoncture technique et économique. Les caractéristiques des productions intermédiaires et finales, propres à chaque usine, rendent délicates les comparaisons directes. L'incapacité où l'on se trouve de pouvoir connaître la valeur financière de ces productions rend nécessaire le recours à des modes d'appréciation relativement superficiels. Pour juger des caractères généraux de la production des usines littorales, on s'en tiendra au critère traditionnel, mais discutable, de la production d'acier brut ; pour juger de leurs caractères spécifiques, on approfondira au niveau des diverses familles de produits issus des différents stades de fabrication2.

7Avec, en 1974, une production de 2.260.000 tonnes d'acier brut pour SIDMAR-GAND, 2.460.000 T pour KLÖCKNER-BREME, 4.220.000 T pour USINORDUNKERQUE et 5.370.000 T pour KNHS-IJMUIDEN, les centres littoraux comptaient parmi les usines sidérurgiques les plus importantes d'Europe Occidentale et intervenaient ensemble pour près de 14 % de la production totale des quatre pays où ils sont implantés. Avec de telles productions, si l'usine KLOCKNER-BREME ne représentait que 4,6 % de la production nationale d'acier brut, les proportions étaient de 14,0 % pour SIDMAR-GAND, 15,6 % pour USINOR-DUNKERQUE et 92 % pour KNHS-IJMUIDEN.

8Les usines dont la création et le développement ont été décidés dans une optique d'adaptation rapide à l'évolution des conditions techniques et économiques et dans une perspective de croissance accélérée, qui ont prévalu jusqu'en 1974 ; ont vu leur importance globale, intrinsèque et relative se renforcer constamment. Leur rythme d'augmentation (apparent dans les tableaux n^o 19 et n” 20 et les figures n" 25 et n^o 26). fut tel que, dans le cadre de leur entreprise (pour celles qui ne sont qu'un élément du potentiel sidérurgique de la firme) et dans le cadre de leur pays respectif, leur place et leur signification n'ont pas cessé de grandir. Jusqu'au début de la crise, elles apparaissent non seulement comme un moteur de croissance, mais aussi un facteur de concentration et de substitution de la croissance en leur faveur3.

9À la fin de 1974, tous les centres sidérurgiques littoraux étaient techniquement en position de battre leurs records de production dans des proportions que l'on prévoyait considérables, en particulier pour USINOR-DUNKERQUE et KLOCKNER-BREME où les nouveaux équipements de très grandes capacités étaient devenus opérationnels. Pour SIDMAR-GAND et KNHS-IJMUIDEN une importante progression était également programmée, avec un certain délai, d'ailleurs relativement court eu égard à la valeur de l'investissement envisagé.

10Dans ses premiers effets, la crise de la sidérurgie qui se manifeste dès la fin de 1974 va entraîner un arrêt brutal de la croissance et même un effondrement de la production. Le recul est général et de très grande ampleur : - 22,7 % pour USINOR-DUNKERQUE, - 17,1 % pour KNHS-IJMUIDEN, -16,2 % pour KLOCKNER-BREME, - 7 % pour SIDMAR-GAND (-17,6 % par rapport à 1973). Pour la première fois toutes les usines littorales sont touchées de façon identique par une dépression qui n'est alors considérée, malgré son amplitude, que comme la forme accentuée des difficultés cycliques touchant traditionnellement la sidérurgie dans les pays d'économie de marché ou comme une forme induite, seconde et transitoire, de la crise économique générale qui s'est développée dans les pays occidentaux à partir de la hausse brutale du coût de l'énergie. En révélant progressivement sa nature profonde de crise structurelle, la crise de la sidérurgie européenne bloque pour quelques années la croissance prévue des usines littorales sans pour autant la remettre en cause définitivement.

11Le seul moyen pour les sidérurgies nationales concernées de s'adapter aux nouvelles conditions de la production et du marché sidérurgiques étant de se spécialiser dans les productions requérant un savoir faire particulier comme c'est le cas des produits plats de qualité et de concentrer les fabrications sur les équipements les plus productifs, les usines littorales devraient connaître, après une période d'activité hésitante et même de stagnation dont il est difficile de prévoir la durée, une reprise de leur croissance. Cette croissance qui ne peut se concevoir que dans le cadre d'une réorganisation de l'économie et de la géographie de la branche d'activité, ne pourra s'effectuer que sur un rythme lent, très différent de celui qui fut enregistré durant la période d'euphorie économique, dicté par des conditions de marché draconiennes et modulé selon 1'intensité avec laquelle la production des usines littorales pourra davantage encore se substituer à celles des vieilles usines intérieures définitivement condamnées et dont les fermetures sont appelées à se multiplier.

12Sur le plan de la production, deux périodes doivent être distinguées qui concernent toutes les usines littorales et durant lesquelles leur signification sera différente dans les domaines sectoriels et spatiaux, aux niveaux local, régional, national et international = une longue phase de croissance rapide pendant laquelle les usines ont répondu de façon globalement satisfaisante aux projets qu'elles incarnaient et une phase d'arrêt brutal déterminé par le bouleversement des conditions générales de leur fonctionnement, vis-à-vis desquelles devront être définies de nouvelles formes d'adaptation.

13Si la crise a touché pareillement toutes les usines littorales, la croissance qui a modelé leurs caractéristiques principales, s'est effectuée de façon différente.

14L'usine néerlandaise a connu la croissance la plus régulière : l'ancienneté, la multiplicité des équipements à chaque stade de la fabrication permettant d'éviter de fortes baisses consécutives aux arrêts accidentels ou aux arrêts réguliers pour l'entretien, la permanence longtemps assurée d'un programme cohérent d'investissements équilibrés, la capacité à répondre par la diversité des productions aux fluctuations traditionnelles de la conjoncture économique, l'ampleur du marché des ventes, la puissance financière de l'entreprise et la stabilité sociale ont contribué à cette croissance exceptionnelle par sa rapidité, sa constance et sa régularité. Si la mise en marche des grands équipements s'est traduite par des accélérations fortes, aux grandes dépressions sur le marché de l'acier que reflète l'effondrement des prix à la grande exportation n'a correspondu qu'une stabilisation de la production du moins jusqu'en 1974.

15Les usines les plus récentes, dotées d'un équipement aux unités plus puissantes mais moins nombreuses, ont connu une croissance comparable par la rapidité, mais différente par l'irrégularité. Usines d'un très grand dynamisme, elles ont montré jusqu'à la crise dans leur production sinon dans leur résultat financier une très faible sensibilité aux variations conjoncturelles qui n'ont joué dans un sens ou dans l'autre que comme accélérateur ou frein d'une situation davantage déterminée par les modalités de réalisation des investissements, les impératifs techniques et les conflits sociaux. Ainsi à l'usine dunkerquoise dont la production a atteint le niveau de 4.500.000 tonnes d'acier brut en une décennie, la stabilisation des années 1966-1968 et la dépression de 1971 furent davantage causées par la convergence de facteurs techniques (pause dans les investissements et réfection de certaines unités de production) et de facteurs sociaux (grèves importantes de 1968 et 1971) que par les faiblesses du marché sidérurgique.

16L'évolution de la production de l'usine belge jusqu'à l'échéance de la crise reflète sa grande réussite technique. Avec un taux de marche exceptionnel, les équipements majeurs — hauts fourneaux et aciéries — ont été constamment tenus au-dessus de leur capacité théorique. Les investissements limités complètant la mise de fonds initiale et concernant moins les activités fondamentales que les activités annexes (cokerie et agglomération), ont permis un développement extraordinaire de la production qui n'a été altéré que pendant de très courtes périodes comme le montre l'évolution mensuelle de la production de 1970 à 1975 (Figure n^o 28).

17L'usine allemande s'individualise par une croissance plus irrégulière et surtout beaucoup plus lente. Longtemps dotée d'une structure technique incomplète et traditionnelle, l'usine de Brême connaîtra jusqu'en 1971 une évolution comparable à celle de la sidérurgie allemande dans son ensemble, avec la marque nettement accusée des fortes dépressions ayant affecté le marché mondial de l'acier. À partir de 1971, quand la réalisation des grands investissements donne à l'usine KLÖCKNER un équipement proche de celui des autres usines littorales, le rythme s'accélère nettement malgré de très nombreuses difficultés dans la mise au point définitive des équipements les plus modernes.

II- CARACTERES SPECIFIQUES : LES PRODUCTIONS SIDERURGIQUES

18L'importance des usines littorales dans l'économie sidérurgique est d'autant plus nette qu'elle s'est affirmée dans certains secteurs particuliers : au niveau des productions primaires pour l'ensemble des usines étudiées, au niveau des spécialités de laminage pour chacune d'entre elles.

19La puissance des activités primaires est le caractère dominant des centres littoraux à l'exception de KLÖCKNER-BREME dont l'originalité s'explique pour des raisons tenant à la fois à la situation de l'usine, à son équipement et à sa place dans la sidérurgie allemande. De façon générale, les avantages de la situation littorale apparaissent le plus nettement aux stades de fabrication où l'indice matière est le plus élevé. L'importance relative de la production de fonte des usines littorales est plus nette encore que celle de leur production d'acier brut.

20En 1974 par exemple, USINOR-DUNKERQUE est intervenue dans la production nationale d'acier brut et de fonte pour 15,6 et 19,2 % ; KNHSIJMUIDEN pour 92 et 100 %.

21Cette puissance est d'autant plus évidente que les proportions d'auto-approvisionnement sont exceptionnelles, qu'il s'agisse de l'alimentation des aciéries en fonte ou des hauts fourneaux en coke ou en agglomérés. (Figure n^o 29). Les indices de production des différentes activités primaires sont à cet égard significatifs : En 1974, pour une production de fonte constituant la base 100, les productions de coke, d'agglomérés et d'acier brut étaient selon les usines aux niveaux suivants :

22Soit en chiffres absolus pour USINOR-DUNKERQUE :

23A ces intenses activités primaires correspondent de fortes productions de sous-produits ; certains d'entre eux possédant un pouvoir calorifique (gaz de haut fourneau, gaz de cokerie, goudrons etc.) ou une nature métallique (chutes, déchets, poussières etc..) sont en partie réutilisés dans l'usine ; le reste et d'autres sous-produits interviennent dans les livraisons extérieures après avoir subi un traitement plus ou moins poussé (Cf. § Les relations techniques).

24A IJMUIDEN en 1973, à une production de 4.707.000 tonnes de fonte et de 5.167.000 tonnes d'acier brut, a correspondu une production voisine de 1.500.000 tonnes de laitier, de 6,4 millions de G caloriés de gaz de haut fourneau, de 3,8 millions de G calories de gaz de cokerie (1 Geal = 1 Gigacalorie = 1 milliard de calories).

25Les caractères concernant KLÖCKNER—BREME sont très différents : pas de cokerie, faible production d'agglomérés, proportion limitée de fonte dans l'approvisionnement de l'aciérie. Ces particularités transcrivent, au niveau des productions, les spécificités de la composition technique et de la situation géo-économique de l'usine allemande : nécessité du recours au coke national dont 1'entreprise contrôla une partie du potentiel de production jusqu'à la constitution de la Ruhrkohle AG, préférence accordée aux importations de minerais agglomérés ou de pellets pour diminuer la charge relative du transport ferroviaire entre le port minéralier de Bremerhaven et les hauts fourneaux, utilisation importante de ferrailles limitant les incidences négatives de la médiocre accessibilité de l'usine en ce qui concerne les produits pondéreux importés par la voie maritime.

26La production des centres sidérurgiques littoraux ne se caractérise pas seulement par ses aspects quantitatifs, mais aussi par la constante amélioration de la qualité de ses fontes hématites et de ses aciers à l'oxygène pur. Les sidérurgistes ont acquis une telle maîtrise dans l'utilisation des techniques nouvelles et des équipements les plus récents qu'ils sont capables de produire dans les meilleures conditions toutes les nuances dans le domaine des aciers courants. Cette aptitude à fabriquer, sur des outils de grande capacité, des produits de haute qualité adaptés aux exigences variées de la clientèle, concerne également les activités de laminage. Sur les trains de laminoirs les plus puissants, peuvent être produites, non seulement les tôles d'utilisation banale, mais aussi, avec une productivité comparable, les tôles à destination spéciale. Sans entrer dans le détail des programmes de laminage, on peut distinguer les différentes usines par l'ampleur, la diversité et l'éventuelle transformation de leur gamme de production.

27A la longueur et à la diversité de la chaîne technique correspond, dans l'usine KNHS-IJMUIDEN, une gamme de productions très variées, mais présentant un certain équilibre entre les différents niveaux d'élaboration. A chacun des stades, les quantités fabriquées sont importantes et situent l'usine néerlandaise aux premières places dans la hiérarchie des usines européennes. (Figures n^o 3o et n^o 31). Cette importance et cet équilibre ne sont pas synonymes de stabilité dans la répartition des différentes productions. L'évolution récente révèle de sensibles transformations significatives d'un changement de situation de l'usine littorale dans la stratégie de l'entreprise. A l'usine, élément fondamental sinon unique du potentiel sidérurgique d'une entreprise avant tout néerlandaise, correspondaient un effort de valorisation poussée, une volonté de satisfaction des nécessités nationales et une répartition caractérisée par la faiblesse relative des demi-produits par rapport aux produits finis et, parmi ceux-ci, par la faiblesse relative des produits n'ayant subi qu'une élaboration peu avancée. L'emprise grandissante de l'entreprise à l'échelle nationale et surtout son élargissement à l'échelle internationale dans le cadre de la société ESTEL5 devaient modifier l'orientation originelle dans le sens d'une plus profonde spécialisation et d'une préférence accordée aux productions intermédiaires : baisse des ronds à béton et des fils-machines au profit des billettes, maintien du fer blanc et de la tôle forte au profit d'une croissance rapide de la tôle laminée à froid, de la tôle laminée à chaud et surtout des demi-produits, particulièrement des bobines et des brames.

28Cette spécialisation est un fait très caractéristique des usines plus récentes qui, dès leur origine, se sont développées au sein de groupes industriels ayant un potentiel sidérurgique constitué d'usines multiples dans lequel elles ont été amenées à insérer leurs productions. Le centre d'USINOR-DUNKERQUE est avant tout spécialisé dans la fabrication des tôles laminées à chaud : tôles fortes issues du train quarto, tôles issues du train continu à larges bandes dont une partie est parachevée à la ligne de cisaillage. Il s'est affirmé en 1974, dans les secteurs précédemment cités, respectivement premier et second producteur national. A cela s'ajoutent de façon toujours plus déterminante d'importantes livraisons sous forme de demi-produits : fonte liquide et solide, lingots d'acier et surtout brames provenant du slabbing et des très productives installations de coulée continue.

29SIDMAR-GAND rapidement devenu premier fabricant belge de tôle mince laminée à froid n'a cessé de renforcer cette orientation aux dépens même de ses livraisons de tôles à chaud parachevées dont l'importance a décru. A cette orientation très exclusive tend à s'ajouter une fonction qui devrait s'accentuer dans l'avenir : celle de participer à l'approvisionnement en demi-produits divers, du lingot au coil, des usines intérieures, de l'ARBED en particulier.

30L'analyse des productions du centre KLÖCKNER-BREME montre que cette usine a connu une évolution comparable, du moins en ce qui concerne le rôle croissant de pourvoyeur en demi-produits de laminage d'usines étrangères ou intérieures. À Brême, les livraisons classiques de l'usine (tôle mince laminée à froid, fer blanc, tôle forte et feuillard) dont la gamme variée rappelait les caractéristiques de l'usine néerlandaise sont restées stables ou ont décliné tandis que, d'année en année, se développaient les livraisons de demi—produits, au fur et à mesure que se renforçait et se modernisait le potentiel de production jusques et y compris le laminage à chaud par la mise en marche progressive du plus moderne train à larges bandes du monde.

31L'activité des centres sidérurgiques littoraux est complétée par le laminage à façon pour le compte de tiers, c'est-à-dire de sociétés qui demandent à faire effectuer sur les équipements de l'usine littorale des opérations de laminage portant sur des demi-produits dont elles assurent et l'apport et la destination. Cette activité dont les causes peuvent être très diverses : techniques (défaillance d'un train de laminage par exemple), économiques (surcharge momentanée), sociales (grèves de longue durée), peut porter sur des quantités importantes et contribuer ainsi à optimiser la marche de certains équipements qui, du fait de leur nouveauté et de leur puissance, sont en état de surcapacité.

32Par delà leur diversité fondamentale, tous les centres sidérurgiques littoraux ont vu leur production se caractériser par un accroissement des activités primaires, un renforcement de la production des demi-produits et une accentuation des spécialités de laminage. Jusqu'à la crise, ces tendances ont renforcé leur puissance, non seulement quantitativement, mais aussi qualitativement, par l'amélioration constante de leur productivité.

III- LA PRODUCTIVITE

33La productivité d'une usine sidérurgique comme celle de tout établissement industriel peut être appréciée en termes variés, exprimant les quantités de travail, de matières premières, d'énergie ou de capitaux investis, requises pour élaborer une quantité donnée de produits. La productivité humaine, matérielle ou financière reflète l'efficacité technique de l'unité de production. L'étude approfondie de cette efficacité est rendue difficile par la médiocre qualité de l'information disponible : les renseignements communiqués sont généralement limités, fractionnés et ponctuels ; ils ne permettent ni la formulation d'un jugement assuré concernant un phénomène par nature complexe et fluctuant, ni la comparaison précise entre des unités de production différentes l'une de l'autre par leurs structures techniques. La concordance de toutes les données, malgré la faiblesse intrinsèque de chacune d'entre elles, permet cependant de situer les usines littorales à la tête et très au-dessus de la moyenne des usines sidérurgiques situées dans les pays de référence, par le niveau et les progrès de leur productivité appréhendée surtout en termes humains et matériels. Cette analyse a été menée durant la période de croissance ; la crise et les réactions diverses qu'elle a suscitées tant sur le plan économique et social, au niveau des usines, des entreprises et des Etats excluant toute possibilité de comparaison interne et externe.

1°- La productivité du travail

34USINOR-DUNKERQUE offre l'exemple de cette exceptionnelle productivité humaine que l'on peut juger en comparant les résultats obtenus dans l'usine littorale à ceux enregistrés aux niveaux'de l'entreprise et de la branche d'activité.

35En ne considérant que le travail du personnel de fabrication, les indices "heures de travail à la tonne produite" étaient les suivants à chacun des principaux stades de fabrication6 :

36En considérant l'ensemble du travail du personnel de fabrication et des services à tous les stades, les indices, au terme de l'élaboration, s’établissent comme suit :

37Jusqu'à la crise, dans toutes les usines littorales, sauf en période de mise en place d'un nouvel équipement où les situations de sureffectif sont inévitables, la productivité humaine déjà élevée a continué régulièrement de s'améliorer.

38Le critère "tonnes produites par personne et par an", lorsqu'il est accessible au niveau de chaque stade de fabrication, permet d'exprimer ces progrès. Les meilleures informations, par leur cohérence et leur précision, concernent les activités primaires ; sans permettre des comparaisons rigoureuses, elles autorisent cependant une mise en parallèle significative. Dans les usines littorales, ce critère a évolué comme suit au cours des années 1968-1972 :

39SECTEUR FONTE : Tonnes produites par personne et par an :

40SECTEUR ACIER : Tonnes produites par personne et par an :

41En fait, tous les facteurs déterminant la productivité humaine dans les usines intégrées ont agi conjointement pour favoriser le haut niveau et l'amélioration de la productivité dans les usines littorales, qu'il s'agisse de l'âge de l'établissement et surtout de ses principaux équipements, de sa capacité de production d'acier brut, de la nature et de l'intensité du processus de transformation, de l'importance du rapport transformation-production d'acier brut7.

2°- Productivité matière et énergie

42L'efficacité technique d'un centre sidérurgique s'exprime également par ses différentes mises au mille, c'est-à-dire par la quantité de matières premières ou énergétiques qu'il faut fournir à chaque stade de la fabrication pour élaborer une tonne de produit. Plus les mises au mille sont faibles, plus la productivité est forte.

43Mais dans ce domaine également, les informations données sont telles que les comparaisons et les jugements doivent être établis avec prudence et ceci d'autant plus que les matières premières et énergétiques ne sont pas homogènes et sont, à certains stades de la fabrication, en partie substituables les unes par les autres. Il en va ainsi par exemple de la mise au mille coke au haut fourneau ; les appréciations ne sont possibles que dans la mesure où l'on peut connaître la composition exacte du lit de fusion (en particulier la répartition des charges en minerais selon leur teneur et la proportion d'agglomérés et de pellets8 ainsi que 1'importance des injections d'hydrocarbures, la température du vent et la pression. L'évolution du prix des minerais selon leur teneur et leur préparation, du charbon à coke, du fuel, du gaz naturel et des ferrailles peut entraîner des modifications si considérables des mises au mille qu'on ne peut utiliser les critères relatifs à la productivité – matière et énergie – qu'avec beaucoup de précautions. Quoi qu'il en soit, le fait essentiel réside dans l'aptitude des usines littorales à s'adapter plus totalement et plus rapidement à ces fluctuations que les usines traditionnelles et à présenter ainsi des indices très favorables non pas dans l'absolu, mais à un moment donné de l'évolution économique. La comparaison de la mise au mille moyenne de coke au haut fourneau dans deux usines littorales par rapport à la sidérurgie française servant de référence est, à cet égard, très significative par les écarts très importants qu'elle montre. (Tableau n^o 21.

44Les hauts fourneaux des usines littorales classent souvent leurs performances parmi les meilleures à l'échelle mondiale. Par exemple, en 1970, le HF N^o 4 d'Ijmuiden avait une mise au mille-coke de 403 kg de coke (+ 47 kg d'hydrocarbures) ; en 1974, le HF N^o 4 de Dunkerque en avait une de 390 kg (+ 90 kg d'hydrocarbures) alors qu'en mars 1975, le record mondial était battu par le HF N^o 3 de la Nippon Steel à Kimitsu avec 365 kg (+ 66 kg)09.

45Chaque amélioration technique participe à ces gains de productivité, parfois avec un certain délai, voire avec retard comme ce fut le cas pour la mise au point difficile de la coulée continue et du train à larges bandes de KLOCKNER-BREME. A USINOR-DUNKERQUE par exemple, 1'adoption de la coulée continue qui fut considérée par beaucoup comme un véritable pari technique, s'avéra d'une exceptionnelle efficacité : pour produire une tonne de brames par le procédé classique (coulée en lingotières et passage au slabbing), 1.175 kg d'acier brut sont nécessaires contre 1.070 kg par la coulée continue, ce qui représente un gain de près de 10 %. Aussi en 1974, la coulée continue participa-t-elle à la production de brames pour 53 % contre 16 % en 1972.

46Ces mêmes constatations peuvent être faites à chaque stade de la fabrication ; tous les bilans matières et énergie révèlent les avantages entraînés par 1'adoption des équipements les plus grands et les plus modernes dont l'efficacité ne cesse de croître avec l'augmentation de leur taux de marche consécutif à 1'accroissement de la production et avec les améliorations constantes apportées par le personnel que l'on motive par un système de primes récompensant les idées les plus intéressantes dans les domaines de la productivité et de la sécurité.

47Le niveau et la tendance caractérisant la productivité humaine10 et matérielle de chacun des équipements constitutifs des usines littorales sont favorables dans tous les cas. À l'échelle des établissements, la situation est encore meilleure : en effet, les gains de productivité sont beaucoup plus que la somme des gains réalisés à chaque étape de la fabrication. Le processus est non seulement cumulatif, il est aussi fortement amélioré par les atouts que sont la spécialisation, l'intégration et l'organisation.

48Ces résultats exceptionnels furent en grande partie à l'origine de la puissance et de la croissance exemplaire de l'usine et de l'entreprise néerlandaise, ils surprirent même les responsables des établissements les plus récents, français et belge, ils servirent d. 'objectif à atteindre dans les transformations de l'usine allemande dont l'infériorité a été précédemment évoquée. La très haute productivité ne provient pas seulement de l'augmentation et de la modernisation du potentiel de production, elle en est aussi la cause : les avantages obtenus dans les usines littorales sont tels que, dans le cadre des entreprises intéressées, voire dans le cadre national, elles ont bénéficié d'une priorité parfois absolue en matière de production et d'investissement. Ainsi en ajoutant aux avantages donnés par la taille et le modernisme ceux d'un taux de marche toujours plus soutenu, on augmente encore l'intérêt de la croissance jusqu'à l'établissement du meilleur équilibre à la saturation du site.

49Au début de la crise de 1975, les investissements étaient réalisés ou programmés pour augmenter de façon considérable la production des usines de Brême et de Dunkerque, puis celle d'Ijmuiden et de Gand. Parmi les effets de cette crise, on peut noter le retard qu'elle a apporté à la manifestation de cette croissance et l'on doit souligner la très lourde charge financière qu'elle a déterminée dans la trésorerie des entreprises dont la capacité de remboursement des emprunts lancés pour le développement a été singulièrement affaiblie. Cette situation imprévue diminue la productivité humaine et matérielle pour la période pendant laquelle la production devra être ralentie, elle fait s'effondrer la productivité financière pour une période qui sera plus longue encore11.