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La nature a-t-elle encore une place dans les milieux géographiques ?

 | 
Paul Arnould
, 
Éric Glon

Introduction générale

« La nature a-t-elle encore une place dans les milieux géographiques ? »

Paul Arnould et Éric Glon

Texte intégral

1Le terme « nature » a suscité une production écrite d’une ampleur impressionnante. La discipline géographique s’est en partie construite, durant plus d’un demi-siècle, sur une approche de type naturaliste. Vidal de La Blache et Emmanuel de Martonne sont les chantres de cette vision ancrée dans la physique du globe (Sanguin, 1993 ; Robic et al, 1992 ; Tissier, 1992). Depuis les années 1970, ce paradigme est vivement contesté, sévèrement remis en question, voire carrément évacué (Reynaud, 1971 ; Brunet et al, 1992 ; Lévy et Lussault, 2003), pour privilégier parfois le « tout-social ».

2Alors, fin de la nature, du naturel, de l’entrée naturaliste pour la géographie ? La nature n’a-t-elle plus sa place dans des milieux géographiques sous le contrôle total des sociétés ? La chose n’est pas si simple. Le succès de librairie de l’ouvrage de Jean Demangeot sur les milieux naturels du globe est un signe de vitalité. Les travaux qui fleurissent dans la discipline sur les risques et l’environnement composent avec la présence implacable des risques dits « naturels » (Veyret, 2003 ; Dauphiné, 2000 ; Pigeon, 1994 ; Chaline et Dubois-Maury, 1983). La géographie urbaine, retrouvant les intuitions de certains fondateurs de l’École de Chicago, se préoccupe de la gestion du vivant, de l’eau, de l’air, du minéral dans la ville. La géographie du peuplement ne fait pas fi des déterminismes naturels (Baudelle et al., 2001). La géographie littorale, après avoir minimisé le poids des facteurs et des processus naturels, sur-étudiés à un certain moment, renoue une intimité avec les houles, la dérive littorale, l’amaigrissement des plages, les courants, les surcotes de tempêtes, la montée du niveau marin (Miossec, 1998 ; Paskoff, 1994). En montagne, les contraintes du froid, de la neige, de la pente, de l’exposition restent des facteurs majeurs qui ne sont pas que du registre des représentations. La rugueuse nature a encore de beaux jours devant elle.

3Le terme même de nature prête d’ailleurs à confusion par la diversité des sens qu’il implique. La consultation d’un dictionnaire donne le tournis devant la multiplicité de sens du terme de base mais aussi de ses dérivés comme naturaliste, naturalisation, naturisme, naturalité.

4L’approche des choses de la nature est également compliquée par l’ambiguïté fondamentale qui pèse dans la civilisation judéo-chrétienne sur la place de l’homme dans la nature. La Bible entretient le paradoxe en proposant dans la Genèse deux positions de l’homme, l’une de dominateur : « Dieu les bénit et leur dit : soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la Terre », l’autre de serviteur : « Le seigneur Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour cultiver le sol et le garder » (Lambin, 2004).

5La vision globale de la nature et les enjeux de sa mise en valeur supposent d’appréhender les interrelations entre les éléments qui la composent, la complexité de celles-ci et la variété des combinaisons selon les milieux géographiques. Trois enjeux qui reviennent de façon récurrente dans cette longue quête qui s’étend sur plusieurs siècles pour comprendre les dispositifs et les fonctionnements de la diversité biologique (Deléage, 1991). En fait toutes les histoires de l’écologie publiées récemment, en langue française, retracent les épisodes de cette mise à distance progressive de la nature (Acot, 1988 ; Deléage, op. cit. ; Drouin, 1991). Plus récemment, de remarquables synthèses dues à des philosophes contribuent à nourrir et à élargir encore le débat (Larrère et Larrère, 1997, Ferry, 1992)

6Repérer quelques jalons de cette longue histoire des rapports de l’homme à la nature expose à des partis pris et des oublis. Ils sont inévitables mais revenir sur quelques repères n’est pas dénué d’intérêt. Dès le ive siècle avant Jésus-Christ, le Grec Aristote évoque la continuité qui existe entre les êtres vivants. À la fin du ier siècle de notre ère, le Romain Pline l’Ancien insiste sur les « organisations harmonieuses » dans sa monumentale Histoire naturelle. Après la longue parenthèse du Moyen Âge, au xviie siècle, le Suédois Linné travaille à une vision globale de l’ensemble de l’univers vivant. Sans remettre en cause l’origine divine de la Création, il s’intéresse aux cycles de vie des végétaux et aux conditions du milieu qui facilitent ou non leur épanouissement. Toujours au xviiie siècle, le Français Buffon explore les liens et les interactions entre les différents arbres au sein d’une forêt. Une analyse qui est annonciatrice de ce qui est aujourd’hui appelé un écosystème. Au xixe siècle, plusieurs bouleversements importants sont introduits. Reprenant les idées de l’Anglais Darwin notamment sur la différenciation des espèces selon les conditions de vie au sein d’un territoire, le biologiste allemand Ernst Haeckel définit en 1866 le terme d’écologie. Elle est « la science des rapports des organismes avec le monde extérieur, dans lequel nous pouvons reconnaître d’une façon plus large les facteurs de la lutte pour l’existence », dit-il. Il insiste sur l’importance des liens entre la nature et les interventions des êtres humains sur celle-ci. Peu de temps après, en 1877, Karl Möbius, zoologiste allemand, explore le champ des interrelations dans des communautés de vie et parle de biocénose.

7La variété de la vie, les associations et les discontinuités qui la constituent sont ainsi progressivement mises en évidence pour ce qui n’est qu’une mince pellicule organique à la surface de la terre (Ozenda, 1982). Le géologue autrichien Eduard Suess parle le premier, à ce propos, de la biosphère à la fin du xixe siècle (Suess, 1883-1909) mais c’est le minéralogiste russe Wladimir Vernadsky qui précise la notion en 1926. Il montre que le sort des hommes est lié à cette « région unique de l’écorce terrestre » (Vernadsky, 1926). Les géographes sont influencés par les réflexions sur une approche globale de la nature dans ses combinaisons. Sensible à ce paradigme, Emmanuel de Martonne publie en 1927 son Traité de géographie physique. Le troisième tome consacré à la biogéographie insiste sur la « notion d’association » qui « doit s’appliquer à la géographie zoologique aussi bien qu’à la géographie botanique » (de Martonne, 1927). Son « étude de la répartition des êtres vivants à la surface du globe et l’analyse de ses causes », pour reprendre ses propres mots, mentionnent notamment les contributions d’Eduard Suess ou de Alexander von Humboldt au début du xixe siècle. Ce dernier travaille sur les associations végétales et leur distribution géographique selon les climats. Emmanuel de Martonne fonde en partie sa biogéographie sur ces différents apports. « La géographie biologique doit aller plus loin que l’étude de la répartition de chaque espèce. [...] La surface du globe offre aux êtres vivants des milieux variés, dont la discontinuité entraîne la discontinuité dans la répartition d’un grand nombre d’espèces », déclare le géographe français. C’est en cherchant à comprendre ces phénomènes qu’il invoque des adaptations et des associations générant un certain équilibre dans l’occupation d’un milieu. Emmanuel de Martonne explique que les conditions dans lesquelles elles s’établissent varient, par exemple, selon les climats, une évolution des populations par rapport aux périodes antérieures, les caractères locaux observés dans la station. Ces critères suscitent des disparités et donc une grande variété des milieux.

8Emmanuel de Martonne reconnaît ouvertement l’influence de l’écologie scientifique sur sa démarche et sa méthode. Il est difficile de ne pas situer cette compréhension progressive de la nature dans sa globalité sans la remettre dans une perspective historique même succincte. L’usage très répandu de nos jours du mot biodiversité se situe ainsi dans le prolongement de ces travaux. « C’est la diversité des organismes considérée à tous les niveaux, depuis les variants génétiques appartenant à la même espèce jusqu’aux gammes des espèces et aux gammes des genres, familles et catégories taxinomiques de plus haut niveau », précise Edward O. Wilson, l’un des vulgarisateurs contemporains de cette notion. Il poursuit en disant : « Elle comprend également la diversité des écosystèmes, lesquels sont constitués à la fois de la communauté des organismes vivants au sein d’habitats particuliers et de l’ensemble des conditions physiques qui y règnent » (Wilson, 1993). L’idée d’écosystème a été définie par le Britannique Arthur Tansley dès 1935. Il démontre, en tant qu’écologue, que leur étude est inséparable de la prise en compte des interventions de l'homme.

9Tenter de dire ce qu’est la nature est indissociable de la prise en compte de ce long processus historique de recherches et de travaux qui en ont sans cesse amélioré la connaissance scientifique. C’est ce que nous avons restitué par ces quelques jalons sans aucunement prétendre à l’exhaustivité. Si l’approche de plus en plus rigoureuse de ce monde de la nature porte notamment sur ces dimensions systémiques, les réflexions prennent également en compte les influences des êtres humains. Cet aspect est aussi très présent dans la définition du milieu géographique. Il est à la rencontre des influences naturelles et des actions des êtres humains, précisent Philippe et Geneviève Pinchemel (Pinchemel et Pinchemel, 1988). Il incarne « l’interaction entre l’homme et la nature, entre le biologique et le social » d’après Jacques Lévy et Michel Lussault (2003). La nature est donc bien présente dans les milieux géographiques mais elle est humanisée, transformée par l’homme.

10À quoi bon alors se poser cette question : « La nature a-t-elle encore une place dans les milieux géographiques ? » Ce terme encore semble faire peser une menace, l’hypothèse à peine voilée du risque d’un déclin de la nature. Ce ne sont pas tant ces aspects qui nous interpellent que la multiplication des actions humaines et des aménagements qui contribuent à l’artificialisation croissante des milieux. Pour ces raisons, nous pouvons effectivement nous demander quelle est la place de la nature dans les sociétés mais aussi comment celles-ci la conçoivent et la façonnent dans un tel contexte. C’est en considérant la nature comme hors du social que les êtres humains ont souvent dominé et exploité ces milieux naturels sans esprit de restitution. Jean Brunhes invoque une économie destructrice dès l’entre-deux-guerres (Brunhes, 1956). Plus que les impacts des interventions humaines, ce sont les liens entre nature et sociétés qui ont été au cœur du colloque qui s’est tenu à Enneuvelin, non loin de Lille, les 21 et 22 octobre 2004.

11Quasiment toutes présentées dans cet ouvrage, seize communications ont abordé cette question : « La nature a-t-elle encore une place dans les milieux géographiques ? » Organisée par Éric Glon et Jean-Jacques Dubois, professeurs de géographie, respectivement membres des laboratoires « Hommes, villes, territoires » et « Géographie des milieux anthropisés » (UMR 8141) de l’UFR de géographie au sein de l’Université des sciences et technologies de Lille, par Paul Arnould, professeur de géographie, du laboratoire de biogéographie et d’écologie (CNRS FRE 2545) de l’École normale supérieure, lettres et sciences humaines, et Laurent Simon, professeur de géographie appartenant au « Ladyss » (UMR 7533) de l’université Paris I, cette manifestation s’est tenue sur deux jours. Elle fut complétée par une sortie en forêt de Raismes-Saint-Amand, à proximité de Valenciennes. Jean-Jacques Dubois et plusieurs ingénieurs de l’Office national des forêts, dont Nicolas Drapier et Bruno Dermaux, nous y ont présenté un cas de réserve biologique intégrale paradoxal dans un massif forestier intensément anthropisé.

12Plus que jamais la nature est dans le social, serait-on tenté de dire. C’est un des intérêts majeurs du colloque et de cet ouvrage. Toutes les contributions insistent sur ce point. Notre cadre de vie résulte de multiples interventions humaines passées et actuelles. Les écosystèmes évoluant en dehors de ces emprises sont désormais rares. Ils existent encore en Amérique du Nord, par exemple, comme l’évoquent Cole Harris, Éric Glon ou Stéphane Héritier. Les politiques de protection touchent parfois des morceaux d’étendues quasi « sauvages ». Elles concernent de plus en plus des portions de nature qui ont été transformées par l’homme. Jean-Jacques Dubois et Micheline Hotyat s’attachent à le démontrer à propos des réserves biologiques intégrales après que Nicolas Drapier de la direction technique de l’ONF les a resituées dans la politique de cet organisme. Ces aires protégées correspondent parfois à des espaces tellement humanisés qu’ils sont totalement artificialisés. Marion Amalric insiste ainsi sur la réinvention d’un paysage dans le cadre du projet de parc de la Deûle aux abords immédiats de la métropole lilloise. Un paysage a été remodelé dans sa configuration topographique, reverdi et planté d’arbustes et d’arbres sur d’anciennes friches d’industries et d’entrepôts, voire des aires de stockage des boues de curage du canal. Nombre de travaux proposés ici montrent bien comment les hommes ont modifié, dompté, exploité et rejeté la nature, c’est-à-dire qu’ils insistent sur les processus résolument humains d’appropriation de celle-ci. Ces analyses s’accompagnent souvent d’une mise en valeur des systèmes d’acteurs complexes qui sont à la base de cette valorisation et de ces aménagements. Ces intervenants sont variés et agissent souvent du local au global. Denis Chartier nous le montre avec les organisations non gouvernementales environnementales. Véronique André insiste, quant à elle, sur la multiplication des interventions, en particulier celles émanant du Nord à destination du Sud. Tout comme les usages, la représentation de la nature est ainsi indéfectiblement liée à des sociosystèmes en perpétuel renouvellement et à des contextes sociaux qui le sont tout autant. Pour Aziz Ballouche, la période coloniale a forgé une image des forêts et savanes de la zone intertropicale. Peu humanisées et lieux d’expression de modes de vie traditionnels, ces zones deviennent des symboles d’une nature authentique. À ce titre, les aires protégées s’y développent. L’intensification récente de la pression humaine dans les espaces dits naturels des zones intertropicales africaines a incité de nombreux pays de la zone à multiplier les mesures de protection. L’objectif est désormais différent puisqu’il s’agit de protéger des étendues de forêts et de savanes afin d’éviter leur déclin, voire leur disparition. Elles sont davantage perçues comme un patrimoine.

13La nature semble ainsi bien présente au sein des milieux géographiques à condition de ne pas la considérer comme une sorte d’éden épargné par les interventions humaines. Elle est de plus en plus aménagée et modelée par l’homme. Pierre Gautreau parle d’une « hybridité » issue de la coexistence et de la fusion de logiques biologiques et sociales. Ce même auteur insiste sur la nécessité de situer l’évolution des formations végétales dans une perspective longue pour mieux comprendre leur état actuel. À quoi bon dès lors préserver des sanctuaires ou des reliques de nature si celle-ci est vouée à d’incessantes transformations par les êtres humains au cours du temps ? La question mérite d’être posée. Judith Klein tente d’y répondre à propos des arrière-plages à filaos sur une partie du littoral de l’île de La Réunion. Accepter le social dans la nature, c’est admettre qu'elle est aussi le fruit de cultures variées. Si les réflexions proposées lors de ce colloque abordent l’Afrique et plus modestement l’Amérique latine, force est d’admettre qu’elles portent surtout sur l’Europe et l’Amérique du Nord. De vastes parties du monde ne sont pas prises en compte. C’est le cas de l’Asie ou de l’Océanie, par exemple. De plus, les travaux relatifs aux pays africains ou sud-américains sont menés notamment en insistant sur le regard du Nord sur le Sud ou en considérant l’impact de la colonisation. L’intention est louable car ce sont des réalités incontournables de ces régions. Sans doute peut-on regretter l’absence de témoignages autochtones émanant de personnalités de ces différentes régions. Notre colloque est resté une affaire d’individus des pays riches. Au-delà de ce bémol, les communications restituent une diversité des considérations culturelles sur la nature dans différentes sociétés. Plusieurs remarques s’avèrent intéressantes.

14En admettant que la nature soit présente dans les milieux géographiques, les relations que les hommes entretiennent avec elle sont source d’identités et en partie de cultures renouvelées et ambivalentes. Inversement, les hommes réagissent par rapport à ces milieux naturels selon des repères culturels qui n’en dépendent pas uniquement. L’identité et la culture des individus s’élaborent dans des cadres géographiques en renouvellement constant (Di Méo, 2004). Ces cadres peuvent parfaitement correspondre aux milieux ainsi que les définissent Philippe et Geneviève Pinchemel. Ils sont modelés, aménagés, exploités, préservés, pensés selon des politiques, des croyances, des pensées, des décisions et des actions.

15Les processus identitaires et culturels sont donc au cœur de construits, émanant de ces sociosystèmes souvent complexes. Aucune société n’y échappe. C’est assurément un des enseignements que nous pouvons tirer des différents travaux présentés dans cet ouvrage quant aux dimensions culturelles de ces liens à la nature. Indomptée, elle devient synonyme de désordre. Se l’approprier et la mettre en culture sont assimilés à une mission civilisatrice. Claire Leduc et Éric Glon insistent sur ces points à propos de l’Amérique du Nord. Cole Harris complète ces analyses en montrant bien que les colons en arrivent à nier toute différence et à rejeter ceux qu’ils appellent les sauvages.

16Cette construction identitaire et culturelle laisse une large part aux sentiments, aux impressions, à l’imagination. Martine Tabeaud nous montre ainsi que la perception de la pluie varie selon les cultures mais aussi au cours du temps. Avec Nicolas Schoenenwald, la même auteure explique que les regards que l’homme porte sur le ciel ont toujours eu une grande importance, notamment dans les religions, avec de grandes différences selon les croyances et là encore selon l’époque. Il n’y a donc pas une relation à la nature mais une diversité de situations selon des cultures variées, des milieux et des contextes différents qui changent en fonction des époques. Tous ces éléments se combinent dans le travail de Martin de La Soudière. « L’hiver québécois a très fortement à voir avec l’identité culturelle des habitants », nous dit-il. Le rapport à l’univers naturel est aussi très ambivalent. L’homme peut l’exploiter de manière immodérée et éprouver dans le même temps le souci de le préserver de cette attitude aussi prédatrice. L’exploitation des ressources naturelles et plus particulièrement des forêts s’est intensifiée en Amérique du Nord à partir de 1850. Parallèlement à ce productivisme naissant et souvent contre lui, une volonté de préserver la nature s’est manifestée dans le dernier quart du xixe siècle (Héritier, 2002 ; Glon, 2004). À titre d’exemple, le Sierra Club est créé par John Muir en 1875 aux États-Unis. Ces actions et politiques en faveur des espaces protégés n’ont cessé de se développer sans pour autant que soit remise en cause l’approche productiviste. C’est dans son rapport au milieu et à la société, dans son itinéraire que chaque individu, chaque groupe se construit une identité et une relation à la nature. Celle-ci revêt des aspects multiformes. Que des responsables politiques, des militants écologistes, des entreprises n’en aient pas la même conception semble évident tout en restant très intéressant à décrypter et à comprendre. Le point important reste de savoir quelle est la référence de naturalité qui sert de base aux différentes prises de position. C’est ce que Jean-Jacques Dubois et Micheline Hotyat envisagent très directement à propos des réserves biologiques intégrales. Cette question est également présente dans d’autres contributions. Celles de Marion Amalric, Judith Klein, Stéphane Héritier et Aziz Babouche en constituent quelques exemples à partir d’aires géographiques et de thématiques différentes.

17Dans tous les cas, l’idée de préservation et plus généralement de lien à la nature relève de la culture dans laquelle elle s’est progressivement construite. Quitte ensuite à ce qu’elle soit transposée ailleurs sans forcément tenir compte des identités et des repères culturels locaux. Véronique André nous le montre bien à propos des dispositifs mis en place dans les pays riches au profit d’une partie de l’Afrique. Cette question de la naturalité de référence apparaît nettement dans l’univers des ONG environnementales. Celles-ci façonnent des conceptions de la nature et lancent des actions pour sa protection qu’elles défendent ensuite au niveau mondial. Denis Chartier le développe à propos du cas de Greenpeace. Ces initiatives sont-elles conformes aux souhaits des populations locales et comment tient-on compte des différences culturelles ? Originaire du Canada, c’est-à-dire d’un pays riche qui possède des étendues de nature peu transformées par l’homme, cette organisation est présente aux quatre coins du monde. Les usages de la nature et l’idée de sa préservation diffèrent, par exemple, en Europe par rapport à ceux du Canada. Ces différences sont aussi très fortes entre les pays riches et les pays pauvres. Dans ce cas comme dans celui qui précède, les cultures, les réalités sociales et les sociosystèmes relatifs à la nature n’y sont pas les mêmes. Bien que ce monde de la nature soit l’objet d’attentions croissantes au niveau mondial, il paraît impossible d’occulter ces spécificités.

18Si la modernité s’est traduite par une mise à distance de la nature par l’homme, celui-ci ne lui est pas extérieur. À partir de la Renaissance et plus encore du xviiie siècle, la mathématisation de l’interprétation du monde puis la mainmise de la technique au xixsiècle éloignent l’homme de la nature (Dagognet, 2004 ; Larrère et Larrère, 1997). Il est convaincu qu’il peut en disposer, la mettre en valeur et l’aménager à sa guise. Il semble la maîtriser au point de se sentir capable d’évoluer en dehors de son influence.

19Il est pourtant difficile d’aller jusque-là. Bien des signaux actuels de la mise à mal des écosystèmes ont et auront des effets sur la vie des êtres humains, comme l’affirment Catherine et Raphaël Larrère (Larrère et Larrère, op. cit.). C’est l’environnement de la terre qui est touché et l’homme ne lui est pas extérieur. La nature n’est pas non plus en dehors des êtres humains en raison des très nombreux projets variés, réflexions et actions dont elle fait l’objet. Les sociétés construisent la nature qu’elles méritent. Mais dans tous les cas l’intégrisme naturaliste doit être apprécié avec lucidité et clarté, comme nous y invite brillamment Philippe Pelletier (Pelletier, 1993). Le regard géographique aide à mieux comprendre les enjeux des télescopages spatiaux et temporels. De nombreux travaux présentés ici témoignent de la nécessité, lorsque l’on aborde les questions de nature, de correctement manipuler les échelles et les références précisément situées dans des contextes géographiques concrets.

20La première partie de cet ouvrage aborde les perceptions et les impressions de la nature. Celles-ci sont intimement liées aux appartenances culturelles et varient selon les régions du monde et dans le temps. Où qu’ils soient, les êtres humains recréent, réinventent et aménagent la nature. Le social s’inscrit donc dans la nature. Après avoir insisté sur cet aspect dans un deuxième temps, nous mettons en évidence la diversité des approches culturelles de la nature au sein d’une troisième partie. Nous nous interrogeons enfin sur leurs fondements ainsi que sur les pratiques au sein des espaces naturels dans une ultime séquence.

21Nous tenons à remercier très sincèrement l’Université des sciences et technologies de Lille, le laboratoire « Hommes, villes, territoires » de l’UFR de géographie et aménagement au sein de cette université, le Conseil régional Nord-Pas-de-Calais, l’Office national des forêts, le Laboratoire de biogéographie et d’écologie (CNRS, FRE 2545) et la fondation Norsys. Le colloque n’aurait pu avoir lieu sans l’aide de ces partenaires. Le présent ouvrage doit beaucoup au travail de lecture réalisé par Colette Morice, ingénieur d’études au sein de l’UFR de géographie et aménagement de l’université de Lille I. Nous tenons à la remercier vivement pour sa collaboration ainsi que Jacqueline Domont, cartographe, pour sa participation à quelques éléments d’iconographie.

Bibliographie

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