Conclusion

1Le travail d’archéologie mené sur les archives de la ville de Montpellier a permis d’établir que le modelé du paysage documentaire actuel était dans une large mesure hérité de choix anciens, datant des trois derniers siècles du Moyen Âge. L’archivistique moderne antérieure à la Révolution a contribué, par le travail conjugué du feudiste François Joffre et de l’historien Pierre Louvet, à figer l’organisation des archives de la ville. D’une manière différente, il est vrai. Pierre Louvet a construit un inventaire qui, à de rares exceptions près, a enregistré un classement forgé dès le milieu du xiv^e siècle, au temps du déménagement des archives dans le nouvel hôtel de ville. François Joffre a quant à lui travaillé sur une matière plus mouvante, celle des archives que nous pouvons qualifier, de manière anachronique, de courantes et d’intermédiaires. L’influence similaire qu’ont eue les deux inventaires modernes sur les archivistes des xix^e et xx^e siècles a contribué de manière décisive à figer la division des archives municipales en deux entités matérielles et intellectuelles : le grand chartrier et le greffe, dont l’origine remonte à la mi- xiii^e siècle. Ces inventaires ont également concouru au maintien du classement ancien au sein de ces deux ensembles. Ce paysage documentaire médiéval, encore visible aujourd’hui, procède de la sédimentation du travail des notaires. Entre les dernières années du xii^e siècle et la mi- xiv^e siècle, l’écrit de la ville est confié à des individus issus du groupe professionnel des notaires publics. Par un système de délégation, dont le mécanisme repose principalement sur le recrutement annuel d’un notaire du consulat en charge d’instrumenter pour l’institution et de pourvoir à la conservation des documents, les consuls élus pour gouverner la ville confient à des praticiens ordinaires, distingués de leurs pairs pour un temps restreint, la gestion des écritures. L’instauration du notariat public, dans les dernières décennies du xii^e siècle, établit un lien renouvelé entre les praticiens de l’écrit et les communautés d’habitants. C’est à l’intérieur d’un territoire juridictionnel, qui est aussi un espace de vie et d’échanges, que le notaire est doté d’une compétence pour instrumenter. Jusque vers 1330-1350, le développement d’une première administration de la ville par l’écrit repose sur une mobilisation des savoir-faire notariaux, sans que les fonctions liées à l’administratio ne conduisent à l’apparition d’institutions et de carrières distinctes. Cet équilibre singulier, qui se défait par étapes au xiv^e siècle, peut être interprété comme l’une des nombreuses manifestations de l’instauration d’un système d’autogouvernement de l’universitas dans lequel l’écrit tient une place essentielle. En renouvelant, dans le domaine de la gestion des écritures de la ville, le lien entre la communauté et le notaire, les gouvernants, tout en s’assurant de la présence à leurs côtés d’un personnel compétent, disposent d’un outil puissant de légitimation de leur action. Ce travail des notaires du consulat s’accompagne, dès les années 1220, de l’apparition de pratiques et d’outils nouveaux. Ce sont les phases successives de cette « histoire scripturale » du gouvernement de la ville que nous allons maintenant aborder.