Les grandes charrues
Cultures temporaires, communautés rurales et corvées de labour
p. 363-385
Full text
1Les lourdes charrues attelées à de puissants trains de labour ont souvent été présentées comme le symbole, la clef, voire le moteur des progrès de l’agriculture médiévale1. Dans sa version la plus schématique, ce déterminisme technique ne résiste guère aux nombreux travaux qui ont montré la grande diversité des instruments aratoires et des manières de les utiliser ; et d’autant moins que les rythmes et la géographie de leur diffusion restent très largement incertains2. Le sujet, aujourd’hui, est donc généralement abordé avec beaucoup plus de circonspection. Et pourtant, les questions et les arguments demeurent, portés par une très longue historiographie. Comment pourrait-on, en effet, ne pas être tenté de tisser des liens entre la charrue et l’essor de l’agriculture au nord-ouest de l’Europe, entre la charrue et l’éclosion des paysages et des communautés d’openfield, entre la charrue et l’émergence d’un système seigneurial largement fondé sur les corvées de labour ?
2En soulignant le caractère collectif que prenait la corvée de labour dans le nord de l’espace carolingien, Jean-Pierre Devroey a précisément choisi d’insister sur les fondements techniques de cette différenciation : « il est probable », écrivait-il, « que plusieurs exploitations familiales devaient se grouper pour réunir les attelages lourds qui labouraient au profit du seigneur »3. Dans l’espace méditerranéen, en revanche, « deux bêtes attelées de front suffisaient à tirer l’araire. C’était l’équipement de base d’une exploitation de laboureur, ce qui explique peut-être la diffusion tardive du terme “corvée” qui évoque les travaux en commun effectués par les laboureurs4 ».
3Avec le souvenir des longues et chaleureuses discussions que nous avons eues ensemble sur ce sujet des corvées collectives, je voudrais présenter ici, sur la question des grandes charrues, une piste de réflexion sensiblement différente. Pour ce faire, j’essaierai d’abord de distinguer la nature des arguments qui ont conduit à considérer les lourdes charrues comme une évolution technique et sociale de premier plan. J’utiliserai ensuite une petite série d’exemples issus de contextes et de régions très différents pour caractériser l’emploi le plus spécifique de ces lourds attelages. Et je tenterai, pour finir, de montrer l’intérêt d’une telle hypothèse, à partir d’un exemple ibérique en particulier.
*
4L’importance accordée par les historiens à l’utilisation de charrues lourdes découle d’un ensemble d’observations fortes et d’une série d’interprétations que l’historiographie a progressivement amalgamés. Il est très difficile, dans ces conditions, d’évaluer la portée des différents arguments employés, et d’autant plus qu’ils sont généralement utilisés de manière combinée. Une classification sommaire peut néanmoins permettre d’en saisir les logiques diverses et de pointer des éléments de contradiction rien moins que négligeables.
51) La charrue, tout d’abord, fut longtemps pensée en termes de progrès linéaires. Plus complexe et plus coûteuse que l’araire dont elle était souvent mal distinguée5, elle était perçue comme le fruit d’innovations successives et cumulées : le perfectionnement des attelages, l’ajout d’un avant-train, d’un coutre et d’un versoir étaient ainsi inscrits dans un long continuum allant tout uniment vers un accroissement de la puissance et de la rapidité des trains de labours, et vers un meilleur travail du sol, retourné et labouré dans une plus grande profondeur6. Il semblait aller de soi, en effet, que le but recherché par le travail de la terre répondait universellement à ces quatre critères d’efficacité : puissance, rapidité, profondeur du labour et qualité du renversement des mottes7. Avec cette grille de lecture unique, les charrues de l’Europe septentrionale et domaniale apparaissaient naturellement comme l’affirmation d’une supériorité technique sur l’araire des pays méditerranéens.
62) Les travaux des géographes, des ethnologues, des agronomes et des historiens des techniques ont rompu avec ce déterminisme simpliste en soulignant l’extrême diversité des outils, des manières de les utiliser et des objectifs attendus de leur utilisation8. Ils ont permis de caractériser le labour symétrique de l’araire et son efficacité dans la couverture des semis ou les labours croisés de la jachère, bien adaptés aux sols légers et labourés continuellement. Ce faisant, ils ont conduit aussi à mieux identifier les spécificités du labour dissymétrique de la charrue, et notamment son aptitude au défonçage des sols fortement engazonnés ou à la formation des billons indispensables à la culture des sols très humides.
7Cette distinction essentielle était cependant atténuée par la diversité des combinaisons techniques et des pratiques. Les charrues pouvaient être munies ou non d’avant-train ou de versoirs réversibles9 ; les araires pouvaient éventuellement être dotés de coutres et de versoirs10. Surtout, il a été relevé qu’avec un sep horizontal, l’araire pouvait entailler le sol très profondément, voire même retourner les mottes de terre lorsqu’il était incliné par le laboureur11. En outre, il a été admis que, même dans le nord, cet instrument fut longtemps utilisé en complément de la charrue12, qu’il était forcément utilisable sur les sols légers qui même ici furent exploités dès l’époque romaine, et par ailleurs si bien adapté à l’agriculture des régions méditerranéennes qu’il y était encore d’usage courant au début du xxe siècle. Il a bien fallu reconnaître, dès lors, que la supériorité de la charrue n’était pas universelle, et l’idée s’est imposée qu’elle constituait surtout une avancée décisive pour les terres lourdes, humides et fortement engazonnées de l’Europe du Nord-Ouest. Ce qui, d’une certaine façon, a permis de reprendre le vieil argument de l’avantage donné à ces régions par l’usage de la charrue13.
83) Dans un tout autre registre, l’intérêt accordé aux lourdes charrues s’explique également par le lien établi de longue date entre sa diffusion et la mise en place des systèmes d’openfield14. Le paysage des régions qui pratiquèrent ce système était en effet singularisé par de longues parcelles de terres disposées en lanières parallèles, des formes qui étaient incontestablement adaptées au travail de lourds attelages, efficaces en ligne droite mais fort difficiles à faire virer15. Ces longues planches de labour pouvaient être adossées en billons et leur repérage sous les prairies constituées au moment des enclosures modernes a notablement contribué à en faire l’image typique de l’openfield anglais et médiéval16. Cela dit, qu’il s’agisse de labourer en billon ou de labourer à plat, la forme même de ces parcelles rendait presque impossible leur clôture individuelle. Ainsi était expliquée la pratique des vaines pâtures qui, après les moissons, ouvrait les champs à tous les animaux des villageois. Du même coup, la charrue et la forme des parcelles se trouvaient liées à l’assolement, c’est à dire à l’organisation des cultures et des jachères en grands quartiers, afin que la dépaissance des animaux puisse être organisée sur les ensembles de lopins qui momentanément ne portaient pas de cultures17. Comme le notait Marc Bloch : « la tentation est grande de dérouler, à partir d’une invention technique, la chaîne des causes. La charrue commande les champs allongés ; ceux-ci à leur tour maintiennent fortement l’emprise collective ; d’un avant-train ajouté à un soc découle toute une structure sociale18 ».
9Mais de quelle structure sociale s’agissait-il ? L’association de la charrue attelée lourde, de l’openfield et de l’assolement (triennal a priori) conduisait à réduire le champ d’investigation : il s’agissait nécessairement de rechercher les origines, médiévales à coup sûr19, d’un système social et technique caractéristique surtout de l’Angleterre, de la France du Nord et de la Germanie. Depuis un demi-siècle, historiens et archéologues n’ont cessé d’apporter, sur la chronologie et la diffusion de ce système, nuances, corrections, réserves et hypothèses neuves20. Mais l’idée demeure très vive que c’est autour de la naissance de ce complexe qu’il faut chercher, entre viiie et xiiie siècles, l’extension et l’intensification la plus remarquable de la céréaliculture.
104) Un dernier point, enfin, a frappé l’imagination des médiévistes. De puissants trains de labour à quatre, six ou huit bœufs sont en effet mentionnés par les sources carolingiennes, mais sont surtout très fréquemment évoqués par les sources britanniques du haut Moyen Âge (viiie-xiiie siècle). Ils suggèrent évidemment un accroissement considérable de la puissance de labour et ne pouvaient être que très adaptés à la traction de charrues véritables. Implicitement, c’est souvent en référence à ces attelages que l’on parle de charrues lourdes ou de heavy ploughs. Il faut noter, cependant, que cette expression est également utilisée pour simplement distinguer la charrue de l’araire : je parlerai donc ici de grandes charrues pour désigner ces équipages utilisant plusieurs paires d’animaux de trait, et de charrues lourdes lorsqu’il sera préférable d’éviter cette distinction.
11S’il faut insister sur cette caractérisation des grandes charrues, c’est qu’elle tient une place très particulière dans l’historiographie. Le phénomène, de fait, appelait deux lectures complémentaires qui furent constamment combinées et fondamentalement opposées. Dans une approche domanialiste, il est apparu clairement que les manoirs disposaient de tels équipements pour travailler leurs réserves21, et qu’ils pouvaient par ailleurs disposer des corvées pour assembler les attelages de leurs tenanciers en autant de grandes charrues22. Mais pour ceux qui préféraient insister sur le rôle des communautés rurales, l’argument devait être renversé : les seigneurs n’avaient fait que capter à leur profit une pratique de labour coopératif (la co-aration des historiens britanniques) que leurs tenanciers pratiquaient probablement sur leurs propres tenures et qui était au demeurant fort bien attestée dans des régions aussi peu seigneurialisées que l’Irlande, l’Écosse ou le Pays de Galles23.
12Au-delà même de ces divergences, la formidable propension du Domesday Book à évaluer en charruée de huit bœufs (carrucates ou hides) aussi bien le potentiel des manoirs que celui des trains de labour paysans signale on ne peut plus clairement l’importance de cet équipage24. On peut douter d’un tel systématisme, et les historiens ne s’en sont pas privés. Ils ont noté en particulier que l’on n’avait pas cessé de labourer avec des attelages plus réduits, et que l’exploitation paysanne à deux bœufs (yardland ou virgate) était une réalité peut-être bien plus structurante encore25. Cette dualité reste difficile à expliquer. Mais il demeure surtout que le Domesday Book présente une Angleterre fortement seigneurialisée dont la croissance, comme il a déjà été dit, fut traditionnellement associée à l’openfield et aux assolements triennaux.
13Ces quatre types d’argumentations peuvent parfaitement s’employer de manière conjointe et indistincte, et c’est à vrai dire ce qui s’est produit le plus souvent. Rien n’empêche, en effet, de souligner tout à la fois l’efficacité et la profondeur des labours à la charrue, la puissance des grands attelages, la parfaite adaptation des uns et des autres aux terres lourdes et engazonnées du nord de l’Europe, leur impact sur la genèse des systèmes d’openfield et leur étroite association aux structures domaniales. Dans le détail cependant, chaque groupe de raisonnement révèle ses parts d’ombre et de contradiction, et les distinguer permet de souligner les déplacements d’objets qui se produisent d’une argumentation à l’autre. Sans chercher forcément à refuser toute cohérence à cet ensemble, il peut être utile dès lors de pointer plus spécifiquement quelques-unes des contradictions ainsi révélées.
141) Il est évident, en premier lieu, que tous les éléments de la charrue ne peuvent pas s’évaluer uniquement en gain de puissance et de profondeur des labours. L’utilité de l’avant train, en particulier. François Sigaut, en effet, a montré que l’adjonction des roues servait à faciliter le défonçage des sols enfrichés en permettant tout au contraire d’éviter que le soc ne s’enfonce trop profondément26. La diffusion des charrues branlantes qui semble se manifester à partir du xiiie siècle suffirait à montrer que l’évolution en la matière fut rien moins que linéaire27. Cette raréfaction des avant trains qui paraît avoir touché tout particulièrement les terres classiques de l’openfield (Angleterre et France du Nord) mérite précisément d’être soulignée.
152) Mainte fois signalée, la diversité des outils et de leurs utilisations devrait conduire par ailleurs à se défier d’une idée aussi générale que l’adéquation de la charrue aux terres lourdes et herbeuses de l’Europe du Nord. Le billonage des terres humides imposait l’usage de la charrue, certes. Mais toutes les traces de ridges and furrows ne datent pas du ixe siècle et elles ne signifient en aucune manière une disparition du labour à plat. On a souvent souligné, au demeurant, l’association de la charrue pour les labours de défonçage et de l’araire pour les binages et la couverture des semis28. Les combinaisons techniques étaient diverses et le problème n’était pas forcément l’humidité et la lourdeur du sol. De ce point de vue, il conviendrait d’insister plus vivement sur le fait que les terres classiques de l’openfield et de l’assolement triennal n’étaient pas du tout les plus lourdes et les plus difficiles à travailler29, et qu’elles furent souvent, d’ailleurs, abondamment cultivées dès l’époque romaine30.
163) Les deux points précédents suffiraient sans doute à montrer que l’association des lourdes charrues aux systèmes d’openfield et d’assolement triennal est pour le moins suspecte. Vinogradoff déjà plaisantait aux dépens de Seebohm en soulignant que les mêmes institutions et les mêmes paysages se retrouvaient dans sa Russie natale alors que l’on y cultivait la terre avec un simple araire tiré par un seul cheval31. Cela n’interdit pas de penser qu’un certain nombre de dispositions techniques (headlands, balks, co-aration, vaine pâture) avait un lien fort avec l’usage de lourdes charrues. Mais cela doit conduire à rappeler que la diffusion de la charrue n’a jamais été limitée aux terres d’openfield, qu’elle a pu être adaptée dans d’autres systèmes sociaux pour former d’autres paysages, et qu’elle était même tout particulièrement précieuse dans les pays de bocage et les pays d’infield-outfield où l’on défrichait régulièrement32.
174) Les mêmes remarques, enfin, sont valables pour ce qui concerne les grands attelages. Ceux-ci, indubitablement, constituaient un surcroît de puissance. Mais pour quoi faire ? Les trains de labour à quatre paires d’animaux ne sont nullement devenus la norme en Europe du Nord. Ici encore, il faut donc écarter l’idée d’une solution universellement pertinente et rechercher une explication plus caractérisée33. De même qu’il faut repousser l’hypothèse d’une innovation portée par la seigneurie et l’assolement triennal. Car c’est bien là ce qui a torturé Seebohm : au Pays de Galles, en Irlande, en Écosse, ces systèmes de co-aration étaient parfaitement attestés, liés à des systèmes de cultures temporaires bien différents des assolements triennaux traditionnellement associés à l’openfield, et sans grand rapport avec la seigneurie classique et son système de corvées34.
18En défaisant un ensemble d’association d’idées devenu beaucoup trop automatique dans l’historiographie, ces quelques considérations permettent donc, me semble-t-il, de jeter un œil neuf sur l’utilisation des grandes charrues.
*
19Dans les toutes premières pages de La mare au diable, George Sand a brossé peu avant 1850 un tableau très romantique du travail de la terre. La scène se passe en Berry, le pays de l’auteur, et livre une série d’observations tout à fait saisissantes35. Au premier plan, un vieillard « poussait gravement son areau de forme antique », c’est-à-dire, très vraisemblablement, une charrue véritable, mais simple et sans roue36. L’engin était tracté par deux bœufs, hauts de taille et appariés sous le même joug depuis de longues années. Ces qualités associées à l’expérience du laboureur rendaient leur travail aussi efficace que celui de l’attelage mené par son fils, à quelque distance de là. Celui-ci, pourtant, disposait d’un équipage de quatre bœufs. Mais il s’agissait de bêtes moins robustes, conduites en outre « dans une veine de terres plus fortes et plus pierreuses ». Rien de comparable, cependant avec le « spectacle » que l’on pouvait apercevoir à l’autre bout de la plaine. Là-bas, un jeune homme conduisait un attelage de huit bœufs « quasi indomptés », jeunes et fougueux car « fraîchement liés ». C’est qu’il avait entrepris de « défricher un coin naguère abandonné au pâturage » et que pour arracher les vieilles racines, la force de ces huit animaux suffisait à peine. L’homme devait les encourager, les exciter et les canaliser de son chant37. Placé à l’avant de son attelage, il conduisait les deux premières paires pendant que son tout jeune fils aiguillonnait les deux suivantes, et qu’un troisième personnage devait forcément guider la charrue38.
20L’intérêt de cette description est évidemment de nous montrer à l’œuvre, en un même lieu et une même saison, des attelages très dissemblables. Mais il tient surtout à la nette distinction qui est tracée par George Sand quant à leur utilisation. Les laboureurs pouvaient employer une ou deux paires de bœufs pour s’adapter à la qualité des bêtes ou à la nature du sol à travailler. En revanche, l’emploi d’un train de huit bœufs mobilisant trois personnes ne se justifiait que par un travail bien plus spécifique : le défonçage de terres laissées en pâturage pendant plusieurs années. Précisons cependant qu’il ne s’agissait pas d’un défrichement exceptionnel et définitif, non plus que de la mise en culture épisodique de quelques terres marginales, mais bel et bien du système de culture qui prévalait sur la plus grande partie du terroir.
21À quelques kilomètres au nord, en effet, dans la Champagne berrichone, les rotations culturales, triennales en théorie, étaient à l’époque moderne très systématiquement interrompues par trois ou quatre années de friches pendant lesquelles les terres se couvraient de bruyères et d’ajoncs. La remise en culture exigeait alors un « pénible travail de défrichement » auquel servaient assurément les trois attelages de six à huit bœufs dont disposaient les domaines dépassant la centaine d’hectares39. Plus au nord encore, sur les terroirs bien différents de la Sologne, les rythmes de culture étaient également syncopés : certaines terres étaient cultivées tous les deux ou trois ans, d’autres tous les cinq ou huit ans, pendant que d’autres encore n’étaient mises en culture que tous les dix ou douze ans, de sorte qu’il fallait « quasi les défricher lorsqu’on [voulait] les emblaver ». On employait pour ce faire un araire à deux oreilles, et les réformateurs critiquaient vivement ces trains de « dix bœufs, inégaux d’âges, de taille et de marche » qui avançaient à grand peine40. Les sources médiévales montrent que les exploitations paysannes pouvaient ne disposer que de deux animaux de trait, mais elles signalent aussi des attelages à six ou huit bœufs41, et cette différenciation pourrait fort bien s’expliquer par la dualité des opérations de labour et de défrichement.
22Annie Antoine a fort bien montré le fonctionnement de ces systèmes de culture dans tous les pays de l’Ouest français42. Pour un auteur de la fin du xviiie siècle, il y avait en effet « du côté de Mayenne, des terres noires fort difficiles à travailler ». Elles l’étaient encore davantage du côté de Laval où « les meilleurs laboureurs avec six bœufs et quatre chevaux n’en p[ouvai]ent labourer par an que 15 ou 20 arpents. C’est pourquoi, affirmait-il, on laisse se reposer la terre 8, 10 ou 12 ans de suite43 ». L’ordre des causes était ici inversé, en partie au moins. Car c’est de toute évidence parce que ces terres avaient été laissées en pâtis pendant de longues années qu’elles étaient si dures à défricher. Dans un tout autre cadre, un adepte du défrichement (définitif) des landes bretonnes signalait d’ailleurs qu’il fallait prévoir pour ce faire des attelages de 6 bœufs au moins, mais qu’il était possible de vendre les charrues à défricher et une partie des bœufs dès la troisième année, car la terre était dès lors assez meuble pour être cultivée avec deux bœufs seulement par charrue44.
23Dans le détail cependant, l’usage des grandes charrues peut être bien difficile à décrypter. Décrivant l’état de l’agriculture en Nivernais vers 1814, le marquis de Chambray évoquait deux types d’instruments aratoires. La charrue munie d’un avant-train servait aux deux premiers labours – sombres et rebinages perpendiculaires –, mais elle était utilisée en combinaison avec l’araire (ariot) pour la couverture des semis45. Elle était d’ordinaire, nous dit l’auteur, tractée par « huit bœufs mal nourris là où il serait suffisant d’en employer quatre en bon état ». Est-ce à dire, comme le suggéraient Georges Duby et Guy Fourquin, que les grands trains de labour n’étaient justifiés que par la faiblesse des animaux de trait employés à des labours profonds46 ? On pourrait le penser, et d’autant plus que Georges de Chambray évoquait d’abord des rotations triennales d’apparence classique : les baux ruraux imposaient ce cycle, et de fait, « les terres labourables des fermes se trouvaient réparties en trois parties sensiblement égales » : guérets, blés d’automne et blés de mars47. Ce n’était là, cependant, qu’un aspect d’une réalité somme toute peu familière à l’auteur. Son mémoire, en effet, insistait fort à propos sur l’importance des pâturaux, même s’il s’agissait d’en décrier le fonctionnement. Car en réalité, seules les terres les plus proches des exploitations étaient régulièrement fumées ; les autres étaient systématiquement abandonnées au pâturage des animaux et il fallait donc, pour les remettre en culture après quelques années, défricher les « ronces, épines et genièvres qui y proliféraient48 ». Sans mettre en doute l’usage régulier de la charrue, il est donc permis de suggérer que c’est pour cela sans doute que l’on avait besoin de grands attelages, que l’on n’hésitait pas à employer un homme de plus pour les guider et les faire marcher avec une « lenteur excessive » même lorsque furent utilisés des bœufs plus robustes49.
24Ces systèmes de culture qui impliquaient le défrichement régulier d’une part considérable du terroir sont évidemment très comparables aux systèmes d’infield-outfield qui prévalaient dans une grande partie des îles britanniques. Or il ne fait aucun doute que les grandes charrues y furent tout aussi fréquentes et utiles que dans cette Région Centrale de l’Angleterre que l’historiographie estime dominée très tôt par l’openfield et l’assolement triennal50. C’est un point qui n’a pas échappé à Frederic Seebhom ou Howard Gray, non plus qu’aux auteurs postérieurs51. Car de fait, c’est en Irlande et au pays de Galles que se relèvent les plus anciennes mentions de co-aration liées aux grandes charrues, et l’emploi de ces grands attelages était encore bien attesté au Pays de Galles ou en Écosse aux xviiie et xixe siècles52. Il est donc très vite apparu que dans ces régions l’emploi des grands attelages était lié aux nécessités du défrichement régulier des terres53. Cependant, comme ces systèmes de cultures étaient réputés très archaïques, il semblait évident aussi que l’explication ne pouvait être généralisée, surtout pour les grands domaines anglais du Moyen Âge central54. On remarquera, au contraire, que ces défrichements réguliers à la charrue lourde supposaient un niveau technique et un investissement en travail qui n’avait rien d’archaïque55. Et qu’à bien y réfléchir, ce serait plutôt, dès lors, l’emploi de ces grands attelages sur des terres labourées tous les ans qui peut sembler déconcertant.
25Quelques exemples empruntés à des contextes bien différents peuvent peut-être livrer un éclairage complémentaire. Dans le sud de la France, entre Toulouse et Carcassonne, la plaine du Lauragais et ses rebords montagneux apportent de rares et précieuses notations. Au xviiie et xixe siècle, la plaine était depuis longtemps vouée à la production céréalière, pratiquée en rotations biennales d’abord, mais également en rotations triennales depuis le bas Moyen Âge, et de plus en plus fréquemment à partir du xviiie siècle56. Ici, l’unité d’exploitation était en général composée d’une famille de trois ou quatre adultes disposant d’une paire de bœufs pour travailler 12 à 15 hectares. En revanche, dès que l’on pénétrait en Montagne Noire, les exploitations regroupaient plusieurs familles, douze à quinze personnes et un attelage de trois à quatre paires d’animaux, vaches plus souvent que bœufs57. Aux 12 à 15 hectares labourés s’ajoutaient ici de vastes portions de landes ou de pâturages, de sorte que la superficie globale des exploitations pouvait atteindre les 50 hectares, et parfois même plus. C’est que, bien évidemment, les rythmes de cultures étaient ici très différents. On y pratiquait l’essartage dans les bois, l’écobuage sur les terres les plus difficiles, et même sur les meilleures terres, on ne cultivait guère qu’un an sur trois ou quatre58. N’est-ce pas, encore une fois, ce qui motivait l’emploi d’attelages à huit animaux alors que l’on se contentait d’employer deux bœufs sur les terres de la plaine labourées tous les ans ?
26Le contraste paraît à cette époque assez clair. Pourtant, dans cette même région lauragaise, la visite effectuée dans les domaines du monastère de Prouille en 1340 livre un témoignage unique et surprenant59. Le document fournit, en effet, le nombre de charrues et de bœufs possédés par ses douze granges. Or il apparaît non seulement qu’elles disposaient en moyenne de près de 6 bœufs par charrue60, mais que c’était là une coutume revendiquée par les moines61 et un objectif fixé aux gestionnaires par le visiteur62. Était-ce là une norme domaniale commune dans la région ou imposée par un administrateur étranger ? Était-ce un trait propre aux seigneuries seulement où une caractéristique de tout le groupe des laboureurs ? Faute de données complémentaires, on ne saurait le dire. Il peut être noté, cependant, que des trains plus réduits paraissaient suffisant pour deux de ces granges, et notamment pour celle de La Bezole où l’on précisait que les terres étaient légères et que deux charrues de deux bœufs satisfaisaient parfaitement aux labours (d’autant que l’on pouvait au besoin leur adjoindre l’âne dont on disposait)63. En revanche, dans la plaine proche de Carcassonne, le domaine de Sauzens, qui avait la plus forte production de froment et le cheptel ovin le plus important de toutes les granges de Prouille, disposait de six charrues de six bœufs chacune. Malgré l’étendue des terres disponibles, cet équipement était jugé parfaitement adapté : parce que, expliquait-on, ces sols étant peu fertiles et les besoins en pâturages étant importants, les terres arables n’étaient en moyenne cultivées qu’un an sur trois64. Autant dire, en somme, que sur ces terres céréalières de la plaine, les grandes charrues étaient, au Moyen Âge, associées à des rythmes de culture bien plus lâches qu’on ne l’imagine d’ordinaire.
27Bien plus au sud, dans la Galice et le Portugal des époques moderne et contemporaine, il est possible de trouver trace également de cette dualité des systèmes aratoires. Sur les terres labourées tous les ans, que ce soit dans le cadre de rotations biennales, triennales, ou en système de culture permanente, l’instrument de labour était presque toujours l’araire traditionnel. Mais l’on pratiquait en même temps, sur les montes, une gamme très complexe d’essartages, d’écobuages et de cultures temporaires. Ces défrichements temporaires étaient le plus souvent effectués à la bêche ou à la houe, dans des cadres plus ou moins collectifs. Mais l’on utilisait aussi, pour ce faire, le lourd besadoiro, une immense charrue à défricher, munie de roues et d’un large soc en fer65. Bien évidemment, il fallait pour tracter cet engin employer de très grands attelages, lesquels pouvaient d’ailleurs compter jusqu’à sept ou huit paires de bœufs. Il n’est pas impossible, en outre, que les mêmes contrastes aient existé plus loin vers l’intérieur de la péninsule Ibérique. En Vieille Castille, par exemple, sur des terroirs qu’il estimait presque entièrement soumis à des rotations biennales, Francis Brumont a relevé, dans l’inventaire des biens de la Grange de Cihurri établi vers 1600, la présence de six jougs et de quatre araires, dont l’un servait spécifiquement à défricher (para romper prados)66 ; ce qui suggère évidemment d’autres formes de culture, des spécificités techniques et des trains de labour dont rien n’est dit par ce document, hélas.
28Dans un contexte très différent encore, et pour en terminer avec ce rapide tour d’horizon, le contraste qui existait entre la sokkha russe et les lourdes charrues d’Ukraine et des steppes de la Russie du Sud me semble apporter un éclairage tout à fait significatif. Aux xviiie et xixe siècles, en effet, les terres noires de la Russie centrale étaient des régions d’openfield presque entièrement soumises à l’assolement triennal67. Ici, les longues lanières de sol labourable dont disposaient les paysans étaient travaillées avec un araire d’origine forestière, la sokkha, que tractait très généralement un seul cheval68. En Ukraine et dans les steppes de la Russie du Sud, en revanche, les cultures temporaires dominaient presque exclusivement : après quelques années de travail, les sols étaient rendus à la prairie pour 10, 20 ou 30 ans69. Le vaste mouvement de colonisation de ces terres qui culmina au xixe siècle impliquait donc, pour les populations venues de Russie centrale, l’adoption de nouveaux outils70. Car le défrichement cyclique des prairies nécessitait des outils plus puissants que la traditionnelle sokkha : de lourdes charrues à roue parfois importées d’Allemagne, mais tout aussi bien la forte charrue appellée saban qu’utilisaient depuis longtemps les cultivateurs des steppes71. Bien évidemment, il fallait aussi des trains de labour capables d’emporter ces friches, des attelages à huit bœufs le plus souvent72.
29Au xixe siècle, la capacité de ces charrues à travailler le sol en profondeur était souvent mise en valeur73 ; l’argument est toujours employé, mais il a été affirmé aussi que ces instruments servaient surtout à découper des bandes de prairie larges et peu épaisses74. Cela dit, il apparaissait également clair que des terres labourées beaucoup plus régulièrement pouvaient être cultivées avec des attelages bien plus réduits75 – et de fait, les rotations culturales se firent toujours plus rapides au cours de ce siècle76. En définitive, il semble donc bien que ce soient ici aussi les rythmes de culture (et de défrichements) qui ont imposé le recours aux grandes charrues, et certainement pas la lourdeur ou l’humidité des sols. Or, dans un mouvement inverse mais participant de la même logique, l’abandon de la charrue lourde et l’adoption de la sokkha tirée par un unique cheval fut sans doute liée, en Russie centrale, à la raréfaction des friches temporaires et à la généralisation des rotations triennales77.
*
30Empruntés à des contextes géographiques et historiques très différents, ces exemples montrent assez nettement que les grandes charrues furent tout particulièrement liées aux cultures temporaires et aux opérations de défrichements cycliques que celles-ci impliquaient. Si l’on ne discutera pas le fait que l’emploi de ces équipages pouvait avoir d’autres motivations, il faut au contraire souligner que la réflexion sur l’évolution des structures agraires médiévales gagnerait sans aucun doute à mieux prendre en compte le rôle crucial des grandes charrues dans les pratiques culturales qui supposaient un défonçage périodique des terres laissées en friches. Pour plusieurs raisons.
311) Par les agronomes du xviiie siècle d’abord, par les historiens ensuite, les progrès des techniques de labours ont systématiquement été liés à l’accélération des rythmes de culture. L’idée s’est ainsi imposée que les rotations biennales de la Méditerranée antique étaient moins efficaces que les assolements triennaux de l’Europe féodale, eux-mêmes bien moins efficaces que les cultures permanentes permises par les rotations nouvelles développées aux xviiie et xixe siècles. Dans ce schéma d’évolution linéaire, naturellement, les cultures temporaires ont toujours été rejetées en amont du processus. Du même coup, il a toujours semblé inconcevable qu’une évolution décisive des instruments et des techniques aratoires pût être de quelque manière que ce soit liée à la pratique de cultures intermittentes.
32Les cultures temporaires, en effet, restent traditionnellement considérées comme un système de culture archaïque, paresseux et peu productif78. Or c’est là une triple erreur. D’abord, parce que l’ouverture des friches était le plus souvent79 un travail extrêmement difficile, qui impliquait, lorsque les sols étaient fortement enracinés, un pénible travail à bras, des outils de fer, et le cas échéant, de très puissants équipages de labour comme on vient de le voir. Ensuite, précisément, parce que ces contraintes techniques conduisent à penser que de telles pratiques n’ont pu être déployées à grande échelle qu’à partir du moment où les cultivateurs ont disposé de l’équipement nécessaire et où la pression démographique fut assez forte pour justifier ce surcroît de travail80. Enfin, parce que l’alternance des années de labour et des années de pâturages qui caractérise ces systèmes de culture préfigurait largement la convertible husbandry ou le up-and-down farming qui fut théorisé comme l’une des formes de la révolution agricole prônée par les agronomes à partir du xviiie siècle. Les années de friche intercalées entre les périodes de labour permettaient en effet une régénération des sols qui rendait les terres très productives, même sur les parties du terroir les plus ingrates et les moins amendées.
33Il faut bien admettre, par conséquent, que les cultures temporaires n’avaient rien d’archaïque, et il est permis d’avancer au contraire que leur généralisation fut sans doute une innovation considérable. Or, dans cette optique, la multiplication des grandes charrues n’est pas loin d’apparaître comme le signe et l’outil d’une transformation radicale. Tous les ans, en effet, ces très imposants équipages attelés aux lourdes charrues offraient la possibilité d’ouvrir à la culture une quantité considérable de vieux pâturages et d’obtenir des rendements inespérés, bien au-delà du traditionnel cercle des terres que l’on pouvait labourer tous les ans et fumer régulièrement. Il y a là, me semble-t-il, matière à formuler une explication à l’expansion des terroirs et à la croissance agricole du haut Moyen Âge qui mériterait d’être explorée en profondeur ; une voie d’interprétation neuve et riche qui permettrait de dépasser les contradictions d’une croissance pensée jusqu’ici autour de la seule extension et intensification des terroirs de labours permanents.
342) Renoncer au schéma d’accélération linéaire des rythmes de culture, accepter l’hypothèse d’une expansion tardive et explosive des cultures temporaires conduit de fait à mieux reconnaître la diversité des pratiques qui composaient les systèmes agraires anciens81. Au sein d’une même région, d’un même village, les espèces cultivées, les rotations, le travail des champs pouvaient varier beaucoup et se combiner à l’infini selon le statut des exploitants, la qualité des sols, l’éloignement des terres ou l’usage attendu de la récolte. Dans cette immense diversité, toutefois, il me paraît tout spécialement utile de faire la distinction entre, d’une part, (a) les terres labourées tous les ans, que ce soit en système de culture permanente ou sous la forme de rotations biennales ou triennales82, et d’autre part, (b) les terres périodiquement laissées en friche pour une ou plusieurs années, terres qui pendant leurs périodes de culture pouvaient elles aussi connaître diverses formes de rotations, parmi lesquelles figuraient aussi cultures annuelles et cycles triennaux, soulignons-le.
35Car ces deux secteurs n’ont probablement pas évolué aux mêmes rythmes, ni bénéficié de la même manière de l’évolution des techniques aratoires. Dans les vieux périmètres des terres labourées tous les ans (a), les lourdes charrues ont sans doute représenté un progrès notable, de même peut-être que les grands attelages. Mais ces terres pouvaient toujours être cultivées avec des équipages plus légers. C’est ce que continua de faire assurément une grande partie des maisonnées paysannes qui pouvaient compenser la faiblesse de leur équipement par un travail plus intensif et une fumure régulière des champs, toutes choses difficiles à obtenir, en revanche, sur les immenses coutures des domaines seigneuriaux. À l’inverse, sur le vaste horizon des friches mises en culture temporairement (b), les grandes charrues étaient la condition nécessaire et le moyen d’une formidable extension des terroirs cultivés. Elles permettaient d’obtenir de bons rendements au-delà du cercle des terres que l’on pouvaient travailler et fumer intensivement. Or, ce faisant, elles imposaient la réunion de grands équipages et le travail collectif bien souvent, que ce soit dans un cadre communautaire ou seigneurial.
36La dualité de ces systèmes agraires permet ainsi de mieux comprendre la diversité des équipements et des pratiques de labour, et de suggérer que, dans ces systèmes complexes, le développement des cultures temporaires fut peut-être l’élément le plus dynamique de la transformation des structures agraires au cours du haut Moyen Âge. Car en définitive, bien des traits de cette période pourraient y être tout spécialement associés : la lourde charrue à avant-train, les grands attelages, la coopération entre les maisonnées paysannes et l’importance nouvelle des communautés rurales, l’extension vertigineuse et la réorganisation des terroirs, les systèmes de corvées (collectives) et la constitution de grandes coutures, le déploiement des domaines sur les vastes friches soumises à des règles d’appropriation incertaines. Le sujet, de toute évidence, mériterait d’être creusé plus avant.
373) La mise en place de systèmes d’openfield et des terroirs laniérés, en effet, s’expliquerait elle aussi beaucoup mieux dans le cadre d’une grande et tardive extension des cultures temporaires. C’est ce qu’avaient bien pressenti, d’une certaine façon, les intellectuels qui au xixe siècle faisaient dériver les communautés rurales d’une primitive propriété collective : dans toutes les zones où elles subsistaient, les cultures temporaires étaient fréquemment associées à des formes alternées d’appropriation, à des allotissements réguliers et plus ou moins égalitaires qui pouvaient fort bien apparaître comme la matrice des paysages et des systèmes d’appropriation de l’openfield83. Mais contre cette thèse, on fit justement valoir que ces exemples étaient tardifs, et l’on ajoutait, avec beaucoup moins de pertinence, que ces pratiques marginales ne pouvaient guère servir de modèle pour des régions et des époques où l’on avait déjà atteint le stade des assolements triennaux et où la propriété privée et seigneuriale était déjà bien établie84. De part et d’autre, en définitive, la réflexion était bloquée par le postulat d’une évolution linéaire des formes de culture et de propriété.
38Dès lors que l’on admet, au contraire, la dualité des systèmes agraires et le déploiement des cultures temporaires au cours du haut Moyen Âge, il apparaît assez évident que c’est dans ce second secteur des terroirs que les formes essentielles de l’openfield ont pu trouver un terrain favorable à leur remarquable extension. C’est sur ces espaces, en effet, que les lanières pouvaient s’allonger indéfiniment sans buter sur la propriété d’un voisin. C’est sur ces friches, en outre, que l’emploi des grandes charrues et le travail collectif étaient particulièrement nécessaire. C’est sur ces terres d’appropriation partagée, bien évidemment, que l’allotissement des terres devait respecter certaines formes d’alternance et d’égalité. C’est sur ces vieux pâturages, naturellement, que les usages collectifs de dépaissance étaient réaffirmés après chaque récolte. C’est sur ces terrains de cultures et de pâtures alternées, au demeurant, qu’il importait de désigner les soles cultivables et les quartiers ouverts au pacage. Et c’est sur ces vacants, le cas échéant, que la domination sociale, économique et politique des seigneurs pouvait être transfigurée en propriété.
39Il pourra sembler paradoxal d’accorder une telle place aux cultures temporaires dans la formation d’une forme de paysage et d’un système agraire que l’on a traditionnellement associés aux rotations triennales. Mais il faut souligner, à l’encontre de ce vieux schématisme, que la pratique des rotations triennales était très fréquemment combinée avec des temps de friches plus ou moins longs85. À rebours des thèses classiques de Joan Thirsk, il a même été avancé que les pratiques d’assolement qui désignaient les terres réservées à la culture et celles ouvertes au bétail se comprenaient mieux dans des systèmes de faible intensité des cultures86. Ici et là, en outre, l’idée se fait jour que la formation des systèmes d’openfield doit être expliquée à partir de la mise en culture des marges et non pas comme une transformation des systèmes de cultures permanentes87. Et s’il reste à comprendre comment des systèmes pratiqués aux lisières du terroir ont pu être étendus jusqu’au cœur des espaces villageois, la grande transformation des structures agraires et foncières qui bouleversa les campagnes du Latium au xive siècle montre assurément que les règles appliquées aux périphéries ont pu effectivement servir de modèle au remodelage de l’ensemble d’un terroir88.
404) Si les grandes charrues peuvent être analysées comme signe et moyen d’une profonde transformation des systèmes agraires, il ne faudrait pas conclure pour autant qu’elles en furent la cause. Il est vraisemblable, en effet, que des évolutions parallèles purent prendre corps en usant d’autres moyens. Les techniques de semi-labour du type lazy-beds, le formidable développement des outils de défrichement et d’écobuage à bras, les équipes de défricheurs témoignent d’une même volonté de pratiquer l’alternance des années de friches et de culture, et d’une même nécessité d’organiser collectivement l’exploitation du territoire communautaire.
41Dans le Latium du xive siècle, par exemple, la systématisation des cultures temporaires, la mise en place de l’assolement et la refonte du système d’appropriation des terres n’ont nullement impliqué l’adoption de grandes charrues : on n’y évoque pas de trains de labour à huit animaux et le défonçage des terres s’y effectuait toujours à l’aide d’un instrument aratoire rudimentaire. Le défrichement cyclique des terres laissées sans labours deux ou trois ans posait pourtant les mêmes problèmes qu’ailleurs. Simplement, on utilisait pour ce faire des attelages de quatre bœufs robustes, trains de labour tout à fait exceptionnels dans cette région. En outre, ce défonçage des terres était précédé par le passage d’équipes de manouvriers chargés de déraciner les arbustes qui avaient déjà recolonisé ces jeunes friches89. La solution technique était quelque peu différente, mais l’on voit bien qu’elle relevait des mêmes problématiques.
*
42C’est sur un exemple pareillement décalé que je voudrais mettre un terme à ces considérations sur le rôle des grandes charrues dans le développement des cultures temporaires, le déploiement de l’appropriation communautaire et des formes de travail collectif. À ma connaissance, en effet, rien ne permet de lier les sernas de Castille et des régions voisines à l’utilisation de charrues lourdes et de grands attelages, usage qui n’est pas pour autant absolument exclu90. Les diverses significations du mot, en revanche, suggèrent assez vivement l’intrication des évolutions techniques, sociales et juridiques dans laquelle les défrichements cycliques prenaient sens, avec ou sans charrue.
43Aux ixe et xe siècles, le mot serna, ou senara en vieux castillan, désignait le plus souvent de très vastes parties des terroirs villageois, généralement périphériques et soumises à des cultures entrecoupées de longues friches91. Or, il semble bien que le vocable ait perdu sa caractérisation première au fur et à mesure de l’intensification des cultures : très vite, le mot a pu être appliqué à toute sorte d’espaces agricoles. Bien souvent, cependant, il s’agissait de terres céréalières qui pouvaient être régulièrement réalloties entre les membres de la communauté. L’usage du terme senareros pour désigner les habitants qui obtenaient un lot à cultiver alors qu’ils ne disposaient pas d’animaux de labour témoigne assez bien du caractère communautaire de l’institution92. Au xixe siècle encore, les senaras concejiles étaient, ici et là, des corvées collectives instituées par la communauté pour cultiver des terres communes et allouer les revenus à ses propres besoins93. Et en León, la senara désignait à l’époque moderne encore des cultures temporaires sur abattis-brûlis94.
44De façon plus générale, toutefois, la serna servit toujours plus fréquemment à désigner la réserve seigneuriale d’une part, et les corvées de labour d’autre part. La transformation des sernas en terres domaniales apparaît sous ce jour très révélatrice du mode de constitution des seigneuries95, bâties en l’occurrence sur l’appropriation d’espaces d’attribution disputée, qu’elles fussent anciennement terres publiques, possessions partagées, communautaires ou vacantes. En outre, la valeur de corvée accordée au terme à partir de la deuxième moitié du xe siècle96 semble très clairement désigner le processus qui permit la patrimonialisation des sernas, et d’autant plus que cette acception devint vite le principal sens du mot : que la contrainte fût d’origine fiscale, sociale ou économique, c’est dans tous les cas en captant à leur profit une partie du travail collectif réalisé sur les friches que les puissants parvinrent à asseoir leur domination. Ce qui semble bien suggérer que c’est sur ces espaces de cultures temporaires notamment que se jouaient les enjeux de la croissance, de la formation des communautés rurales et de l’installation du système seigneurial.
45L’exemple, en définitive, montre assez bien que les corvées de labour ne sauraient être interprétées comme la conséquence directe d’une forme de seigneurie ou d’une transformation des attelages et des instruments aratoires ; et que l’on gagnerait, en revanche, à mieux prendre en compte le développement des cultures temporaires et le redéploiement des formes d’appropriation du sol. Un contexte général en dehors duquel, j’ai essayé d’en convaincre, l’usage particulier des grandes charrues peut difficilement être compris.
Footnotes
1 Par exemple : L. White, Medieval Technology and Social Change, Oxford, Oxford University Press, 1962 (voir également la critique de cet ouvrage par R. Hilton, « Technical Determinism, the Stirrup and the Plough », Past and Present, 1963, p. 95-100) ; W. Rösener, Les paysans dans l’histoire de l’Europe, Paris, Seuil, 1994 ; M. Mazoyer, L. Roudart, Histoire des agricultures du monde : du néolithique à la crise contemporaine, Paris, Seuil, 1997.
2 Par exemple : M. Barceló, F. Sigaut (dir.), The Making of Feudal Agricultures ? Leyde, Brill, 2004 ; G. Astill, J. Langdon, (dir.), Medieval Farming and Technology : The Impact of Agricultural Change in Northwest Europe, Leyde, Brill, 1997 ; J. Henning, « Revolution or Relapse ? Technology, Agriculture and Early Medieval Archeology in Germanic Central Europe », dans G. Ausenda, P. Delogu, C. Whickam (dir.), The Langobards Before the Frankish Conquest. An Ethnographic Perspective, Woodbridge, Boydell Press, 2009, p. 149-173 ; Id., « Did the “Agricultural Revolution” go East with Carolingian Conquest ? Some Reflexions on Early Medieval Rural Economics of the Baiuvarii and Thuringii », dans Baiuvarii and Thuringi. An Ethnographic Perspective, Woodbridge, Boydell & Brewer, 2012, p. 331-360 ; G. Raepsaet, « Les prémices de la mécanisation agricole entre Seine et Rhin de l’Antiquité au xiiie siècle », Annales E. S. C., 1995, p. 911-942.
3 J.-P. Devroey, Économie rurale et société dans l’Europe franque ( vie -ixe siècles), Paris, Belin, 2003, p. 120-121.
4 Ibid. Voir également : Id, « Représenter l’attelage de labour au ixe siècle en pays rémois : mythe, symbole ou représentation du monde rural », Cahiers d’Histoire des techniques, 7, à paraître.
5 Dans la France des xviiie-xixe siècles, le mot araire servait le plus souvent à désigner des charrues sans roues. Pour la Gascogne, par exemple : F. Brumont, « L’outillage des métairies gasconnes à l’époque moderne », dans G. Comet (dir.), L’outillage agricole médiéval et moderne et son histoire. Actes des 23es Journées internationales d’histoire de l’Abbaye de Flaran. 7-9 septembre 2001, Toulouse, Presses universitaires du Mirail (Flaran, 23), 2003, p. 41-54.
6 Cet évolutionnisme se retrouve peu ou prou dans toutes les synthèses d’histoire économique antérieures aux années 1950 (et jusqu’à nos jours dans beaucoup de manuels). François Sigaut a fort justement souligné que la diversité des instruments aratoires était alors le terrain des folkloristes, ce qui en dit long, a contrario, sur les critères d’efficacité qui structuraient l’analyse des historiens (F. Sigaut, « Le labour qu’est-ce que c’est ? », dans R. Bourrigaud, F. Sigaut [dir.], Nous labourons. Actes du colloque « Techniques de travail de la terre, hier et aujourd’hui, ici et là-bas », Nantes, Centre Histoire et Techniques, 2007, p. 21).
7 Ce sont les qualités des labours mises en valeur aux xviiie et xixe siècles par les agronomes, physiocrates et autres réformateurs agraires, ainsi que par les fabricants de charrues.
8 A.-G. Haudricourt, M. Brunhes Delamarre, L’homme et la charrue à travers le monde, Paris, La Manufacture, 1955 ; F. Sigaut, « Les conditions d’apparition de la charrue. Contribution à l’étude des techniques de travail du sol dans les anciens systèmes de culture », Journal d’Agriculture Tropicale et de Botanique Appliquée, 1972, p. 442-478 ; Id., L’Agriculture et le feu : rôle et place du feu dans les techniques de préparation du champ de l’ancienne agriculture européenne, Paris, Mouton, 1975 ; G. Comet, Le paysan et son outil : essai d’histoire technique des céréales, Rome, École française de Rome, 1992.
9 B. Gille, « Recherches sur les instruments du labour au Moyen Âge » Bibliothèque de l’École des chartes, 120, 1962, p. 5-38.
10 A. Marbach, « Essai de classement typo-technologique des araires à partir des pièces métalliques découvertes en Gaule romaine en vue de leur reconstitution », Revue archéologique du Centre de la France, 45-46, 2006-2007, p. 11-28.
11 G. Comet, Le paysan et son outil…, op. cit., p. 52-53.
12 S. van Bath, The Agrarian History of Western Europe : A. D. 500-1850, Londres, E. Arnold, 1963, p. 69-70 ; F. Sigaut, « Les conditions… », art. cité, p. 474 ; Id., L’agriculture et le feu…, op. cit., p. 91.
13 T. Barnebeck Andersen, P. Sandholt Jensen, C. Volmar Skovsgaard, « The Heavy Plough and the Agricultural Revolution in Medieval Europe », dans Discussion Papers on Business and Economics, 6, 2013 [En ligne : http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.2362894].
14 L’argument fut d’abord utilisé en Angleterre par Seebhom contre les thèses ethniques sur l’origine germanique et communautaire de l’openfield : F. Seebohm, The English Village Community, Londres, Longmans, 1890. En France, il a été popularisé par le grand classique de M. Bloch, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Paris, Les Belles Lettres, 1931.
15 S’il est globalement admis que la charrue était mieux adaptée à des parcelles plutôt longues, l’idée qu’elle imposait des lanières très étroites possédées par des propriétaires différents a été, au contraire, vivement critiquée. Voir par exemple : P. Vinogradoff, Villainage in England. Essays in English Mediaeval History, Oxford, Clarendon Press, 1892 ; C. Orwin, C. Orwin, The Open Fields, Oxford, Clarendon Press, 1938 ; T. Bishop, « Assarting and the Growth of the Open Fields », Economic History Review, 6/1, 1955, p. 26-40.
16 Quelques exemples récents : S. Oosthuizen, Landscapes Decoded : The Origins and Development of Cambridgeshire’s Medieval Fields, Hatfield, University of Hertfordshire, 2006 ; C. Lewis, P. Mitchell-Fox, C. Dyer, Village, Hamlet and Field. Changing Medieval Settlements in Central England, Manchester, Manchester University Press, 1997. Pour une présentation en français de ce type d’archéologie des paysages : E. Zadora-Rio, « Les terroirs médiévaux dans le Nord et le Nord-Ouest de l’Europe », dans J. Guilaine (dir.), Pour une archéologie agraire, Paris, Armand Colin, 1991, p. 165-192.
17 Ce lien entre parcelles laniérées, openfield et assolement est considéré par Joan Thirsk comme nécessaire à partir du moment où les réserves de paturages sont devenues rares : J. Thirsk, « The Common Fields », Past and Present, 33/1, 1964, p. 3-29.
18 M. Bloch, Les caractères originaux…, op. cit., [rééd. 1999], p. 128-129.
19 Les origines du système, il est vrai, furent d’abord recherchées dans la période des invasions, voire dans la période romaine. Mais ces hypothèses ont été assez vite abandonnées et l’archéologie a depuis confirmé l’existence d’un vrai hiatus entre le temps des invasions et la mise en place des terroirs laniérés.
20 Pour l’Angleterre, voir parmi bien d’autres : H. L. Gray, English Fields Systems, Cambridge, Harvard University Press, 1915 ; A. Baker, R. Butlin, Studies of Field Systems in the British Isles, Cambridge, Cambridge University Press, 1973 ; T. Rowley (dir.), The Origins of Open-Field Agriculture, Londres, Croom Helm, 1981 ; R. Dodgshon, The Origin of British Field Systems : An Interpretation, Londres/New York, Academic Press, 1980. Pour les pays nordiques : S. Goransson, « Regular Open-Field Pattern in England and Scandinavian Solskifte », Geografiska Annaler, 43, 1961, p. 80-104. Pour les régions germaniques : H.-J. Nitz, « Introduction from Above : the Intentional Spread of Common-Field Systems by Feudal Authorities through Colonization and Reorganization », Geografiska Annaler, 70/1, 1988, p. 148-159. Pour la France : S. Leturcq, Un village, la terre et ses hommes. Toury en Beauce ( xiie-xviie siècle), Paris, Éditions du CTHS, 2007.
21 Le remarquable travail de John Langdon montre, à partir du dépouillement d’un demimillier de comptes domaniaux, que les attelages à huit animaux était quasiment de règle sur les réserves domaniales : J. Langdon, Horses, Oxen and Technological Innovation. The Use of Draught Animals in English Farming from 1066 to 1500, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 118-127.
22 C’est la thèse centrale de Seebohm, qui malgré son titre (The English Village Community), insiste sur le rôle fondamental de la seigneurie dans la structuration de l’openfield.
23 P. Vinogradoff, Villainage in England…, op. cit., p. 223-408 ; C. Orwin, C. Orwin, The Open Fields…, op. cit. ; H. Richardson, « The Medieval Plough Team », History, 26, 1942, p. 287-296. Frederic Seebohm lui même a donné de nombreux exemples de cette pratique en dehors des terres classiques de l’openfield.
24 R. Lennard, « The Origin of the Fiscal Carucate », The Economic Historical Review, 14/1, 1944, p. 51-62 ; Id., « The Composition of Demesne Plough-Teams in Twelfth-Century England », The English Historical Review, 75, 1960, p. 193-207 ; H. Finberg, « The Domesday Plough Team », The English Historical Review, 66, 1951, p. 67-71.
25 H. Richardson, « The Medieval Plough Team… », art. cité ; J. Langdon, Horses, Oxen…, op. cit., p. 66-74.
26 F. Sigaut, L’agriculture et le feu…, op. cit., p. 84-86 ; Id. « La jachère en Écosse au xviiie siècle : phase ultime de l’expansion d’une technique », Études rurales, 57, 1975, p. 89-105.
27 B. Gille, « Recherches sur les instruments du labour… », art. cité, p. 24 et 36 ; J. Langdon, Horses, Oxen …, op. cit., p. 128-141. Au xixe siècle, l’abandon de l’avant train pouvait toujours être présenté comme une heureuse innovation : F. Knittel, « La charrue “dombasle” (c. 1814-c. 1821) : histoire d’une innovation en matière de travail du sol », Étude et gestion des sols, 12/2, 2005, p. 187-198.
28 Voir supra, note 12.
29 A. Meynier, Les paysages agraires, Armand Colin, Paris, 1958 [1970], p. 106-110.
30 Pour l’Angleterre, voir par exemple : D. Hall, The Open Fields of Northhamptonshire, Northampton, Northhamptonshire Record Society, 1995. Pour la France : G. Sivéry, Terroirs et communautés rurales dans l’Europe occidentale au Moyen Âge, Lille, Presses universitaires de Lille, 1990.
31 P. Vinogradoff, Villainage in England…, op. cit., p. 254.
32 F. Sigaut, L’agriculture et le feu …, op. cit., p. 72-86, 89-97, 124-129, 156-168, 182-186, 234-242 ; P. Flatrès, Géographie de quatre contrées celtiques. Irlande, Pays de Galles, Cornwall et Man, Rennes, Librairie Universitaire J. Plihon, 1957 (spécialement, p. 308-317) ; N. Brady, « Reconstructing a Medieval Irish Plough », dans Primeras Jornadas Internacionales sobre tecnologia agraria tradicional, Madrid, Museo del Pueblo Español, 1992, p. 31-44 ; B. Roberts, « The Great Plough : A Hypothesis concerning Village Genesis and Land Reclamation in Cumberland and Westmorland », Landscape History, 18/1, 1996, p. 17-30 ; S. Halliday, « Rig-and-Furrow in Scotland », dans S. Govan (dir.), Medieval or Later Rural Settlement in Scotland : 10 Years On, Édimbourgh, Historic Scotland, 2003, p. 69-79.
33 Il a surtout été proposé d’y voir une particularité de l’économie domaniale et du nombre de jours de travail nécessaires sur la réserve. Le nombre élevé des bœufs aurait moins visé à rassembler de grandes charruées qu’à mettre régulièrement au repos la moitié des animaux disponibles : H. Richardson, « The Medieval Plough Team… », art. cité, p. 287-296 ; J. Langdon, Horses, Oxen…, op. cit., p. 66-74.
34 F. Seebohm, The English Village Community…, op. cit., p. 181-250.
35 G. Sand, La mare au diable, Paris, Dessart, 1846, chap. 2.
36 C’est en général, dans la France du nord, ce que désigne le mot araire au xixe siècle.
37 Le chant du laboureur menant ses bœufs est un lieu commun de la littérature depuis l’antiquité. Francis G. Payne, cependant, en signale aussi l’importance dans la conduite des grands attelages gallois : F. Payne, « The British Plough. Some stages in its Development », Agricultural Historical Review, 5/2, 1957, p. 80.
38 Dans l’élan de sa description romantique, George Sand ne mentione pas de conducteur. Il fallait bien, cependant qu’une troisième personne guide la charrue.
39 F. Gay, « Vicissitudes de l’emploi de la troisième sole de l’assolement en triennal en Champagne berrichone », Norois, 33, 1962, p. 29-34 ; Id., La Champagne du Berry. Essai sur la formation d’un paysage agraire et l’évolution d’une société rurale, Bourges, Éditions Tardy, 1967.
40 I. Guérin, La vie rurale en Sologne aux xive et xve siècles, Paris, École pratique des hautes études, 1960, p. 69-70.
41 Ibid.
42 A. Antoine, « Cycles culturaux, usages et appropriation de l’espace rural (France, fin du Moyen Âge-Époque Moderne) », dans R. Viader, C. Rendu (dir.), Cultures temporaires et féodalité. Les rotations culturales et l’appropriation du sol dans l’Europe médiévale et moderne. Actes des 34es Journées internationales d’histoire de l’Abbaye de Flaran, 12-13 octobre 2012, Toulouse, Presses universitaires du Mirail (Flaran, 34), 2014, p. 147-168.
43 F. Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, xve-xviiie siècle, Paris, Armand Colin, 1979, t. 1, p. 125.
44 A. Ysabeau, « Des défrichements en Bretagne », Journal d’agriculture pratique et de jardinage, 3, 1840, p. 362-369.
45 G. de Chambray, De l’agriculture et de l’industrie dans la province de Nivernais, Paris, Huzard, 1834, p. 13. L’utilisation de la charrue pour les rebinages que mentionne l’auteur (des retaillages en réalité) est probablement une erreur due à sa connaissance un peu superficielle du pays et des pratiques agraires traditionnelles. On sait, en effet, que les binages étaient souvent effectués à l’araire, d’où le non de binot que recevait cet outil dans les Flandres (F. Sigaut, L’agriculture et le feu…, op. cit., p. 91).
46 G. Duby, L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval, Paris, Armand Colin, 1962, vol. 1, p. 74 ; G. Fourquin, « Le premier Moyen Âge », dans G. Duby, A. Wallon (dir.), Histoire de la France rurale, Paris, Seuil, 1975, vol. 1, p. 331-333. Un point de vue contesté par J.-P. Devroey, « Les représentations… », art. cité, p. 7-8.
47 G. de Chambray, De l’agriculture…, op. cit., p. 11-12.
48 Ibid, p. 18-19.
49 Ibid., p. 24.
50 De fait, John Langdon relève même que les attelages de 10 animaux étaient spécialement nombreux en dehors des zones d’openfield classique (Cornwall, Devon, Essex, Sussex), et plus réduits dans les Midlands : J. Langdon, Horses, Oxen…, op. cit., p. 66.
51 F. Seebohm, The English Village Community…, op. cit., p. 181-245 ; H. Gray, English Fields Systems…, op. cit., p. 164-165.
52 N. Brady, « Reconstructing a Medieval Irish Plough… », art. cité, p. 31-37 ; F. Payne, « The British Plough… », art. cité, p. 80 ; H. Gray, English Fields Systems…, op. cit., p. 164-165.
53 C’est implicite dans les discours de Frederic Seebohm et Howard Gray, et avancé explicitement par S. Van Bath, The Agrarian History…, op. cit., p. 69-70 et M. Postan, Essays on Medieval Agriculture and General Problems of Medieval Society, Cambridge, Cambridge University Press, 1973, p. 17.
54 Refus renouvelé dans : J. Langdon, Horses, Oxen…, op. cit., p. 72.
55 R. Viader, « Cultures temporaires et féodalité. Pour une redéfinition des problématiques », dans R. Viader, C. Rendu (dir.), Cultures temporaires…, op. cit., p. 7-31.
56 M.-C. Marandet, Les campagnes du Lauragais à la fin du Moyen Âge, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2006, p. 38-40 et 127-129.
57 F. Pariset, Économie rurale, industrie, mœurs et usages de la Montagne Noire, Paris, Tremblay, 1882, p. 165-166.
58 Ibid, p. 142-144, 148-149, 195-198. Des rythmes que tendent à confirmer, pour le Moyen Âge, l’analyse carpologique du grenier incendié de Durfort : M.-P. Ruas, Productions agricoles, stockage et finage en Montagne Noire médiévale, Paris, Éditions de la maison des sciences de l’homme (Documents d’archéologie française, 93), 2002, p. 144-145.
59 Visitatio monasterii Pruiliani, Archives départementales de l’Aude, H 335. Voir : M. Bourin-Derruau, « Un exemple d’agriculture monastique en Lauragais. Les domaines de Prouille en 1340 », Le Lauragais. Histoire et Archéologie. Actes du live Congrès de la Fédération historique du Languedoc Roussillon, Montpellier, La Charité, 1983, p. 115-125.
60 218 pour 40 charrues, auxquels s’ajoutaient parfois des animaux non encore dressés ou de moins de trois ans.
61 quodlibet aratrum habet vi boves, juxta consuetudinem monasterii hactenus observatam, Visitatio…, fol. 1, col. 3.
62 La Visitatio est complétée par un programme de réformes proposées par le visiteur à chaque grange (fol. 19 et suivants) : il stipule presque toujours la nécessité de doter chaque charrue de six bœufs.
63 Visitatio…, fol. 23, col. 3.
64 Visitatio…, fol. 12, col. 3.
65 P. Saavedra, « Le pan de monte. La culture des montagnes communales en Galice (xviie-xxe siècle) », dans R. Viader, C. Rendu (dir.), Cultures temporaires…, op. cit., p 169-200 ; O. Sobrado Correa, « La fertilisation des terres dans la Galice de l’Ancien Régime (xviie-xixe siècle) », Histoire et Sociétés Rurales, 21, 2004, p. 39-72 ; J. Dias, Os arados portugueses e as suas prováveis origens, Lisbonne, Imprensa Nacional- Casa da Moeda, 1982.
66 F. Brumont, Paysans de Vieille-Castille aux xvie et xviie siècles, Madrid, Droz, 1993, p. 86.
67 M. Confino, Systèmes agraires et progrès agricole ; l’assolement triennal en Russie à la fin du xviiie siècle et au début du xixe, Paris, Mouton, 1969.
68 Ibid., p. 53, 110, 308 ; D. Moon, The Plough that Broke the Steppe. Agriculture and Environment on Russia’s Grasslands, 1700-1914, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 18 ; F. Sigault, L’agriculture et le feu…, op. cit., p. 225-233.
69 M. Confino, Systèmes agraires…, op. cit., p. 40-45 ; D. Moon, The Plough…, op. cit., p. 96-115.
70 Sur la colonisation de ces régions : D. Moon, The Plough…, op. cit., p. 11-24.
71 Ibid., p. 18 et 258-259 ; M. Confino, Systèmes agraires…, op. cit., p. 110.
72 Trois à six paires de bœufs : M. Confino, Systèmes agraires…, op. cit., p. 97-98, 110 ; D. Moon, The Plough…, op. cit., p. 258-259.
73 Ibid., p. 257-263.
74 C’est l’importante correction que fait M. Confino, Systèmes agraires…, op. cit., p. 110, n. 92.
75 D. Moon, The Plough…, op. cit., p. 258.
76 Ibid., p. 20-21.
77 M. Confino, Systèmes agraires…, op. cit., p. 53.
78 Sur tous ces points, je me permets de renvoyer à mon rapport introductif au colloque de Flaran : R. Viader, « Cultures temporaires… », art. cité, p. 7-26.
79 L’essartage des sols forestiers pouvait être réalisé à moindres frais et avec des outils plus rudimentaires, ce qui a fortement contribué à enraciner l’idée qu’il s’agissait de formes archaïques et peu exigeantes en travail, idée aujourd’hui assez contestée : Ibid., p. 16.
80 La diffusion des techniques d’écobuage à l’époque moderne montre assez bien qu’il ne s’agissait pas d’usages archaïques : F. Sigaut, L’agriculture et le feu…, op. cit., p. 53-86, 98-111, 156-161, 194-202.
81 Sur les notions de systèmes agraires et de systèmes de culture : H. Cochet, S. Devienne, M. Dufumier, « L’agriculture comparée, une discipline de synthèse ? » Économie rurale, 297-298, 2007, p. 99-112.
82 R. Viader, « Cultures temporaires… », art. cité, p. 26-30.
83 Voir notamment : É. de Lavelaye, De la propriété et de ses formes primitives, Paris, Félix Alcan, 1874 ; P. Vinogradoff, Villainage in England…, op. cit., p. 397-404 ; H. Gray, English Fields Systems…, op. cit., p. 157-205.
84 C’était fondamentalement l’argument de Frederic Seebohm dans The English Village Community…, op. cit., p. 412-413.
85 On a vu qu’en Nivernais les rotations triennales, qui sont omniprésentes dans les comptes domaniaux et les contrats, pouvaient en réalité être interrompues par de longues friches (voir supra, note 47). Même chose en Bretagne : A. Antoine, « Cycles culturaux… », art. cité, p. 158-160 ; et dans tous les pays de pâturaux : F. Sigaut, « Pour une cartographie des assolements en France au début du xixe siècle », Annales E. S. C., 31, 1987, p. 631-643. Même remarque pour la Russie : M. Confino, Systèmes agraires…, op. cit., p. 31, 35, 39-40 ; pour le Languedoc, A. Durand, Les paysages médiévaux du Languedoc (xe-xiie siècle), Toulouse, Presses universitaires du Midi, 1998, p. 320-323.
86 B. Campbell, R. Godoy, « Commonfield Agriculture : The Andes and Medieval England Compared », dans Proceedings of the Conference on Common Property Management, Washington, National Academy of Sciences, 1986, p. 323-346.
87 D. Hall, The Open Fields of England, Oxford, Oxford University Press, 2014, notamment p. 188-195 ; M. Gardiner, « Dales, Long Lands and the Medieval Division of Land in Eastern England », Agricultural History Review, 57/1, 2009, p. 1-14 ; R. A. Dogshon, The Origins…, op. cit., p. 50-53, 59-104.
88 S. Carocci, « Ius serendi et demani : cultures temporaires, communauté rurale et pouvoir seigneurial dans l’Italie centrale et méridionale », dans R. Viader, C. Rendu, Cultures temporaires…, op. cit., p. 59-77.
89 Ibid., p. 73.
90 Pour le xixe siècle, Joaquím Costa évoque à plusieurs reprises le rassemblement de tous les animaux de trait du village ce qui pouvait permettre des compositions d’attelages plus larges ; il mentionne, en outre, un défrichement communal effectué avec six ou sept paires de bœufs, mais il est vrai aussi qu’il s’agissait dans ce cas de planter de la vigne : J. Costa, Colectivismo agrario en España, Madrid, Guara editorial, 1898, p. 146 et 303.
91 J. Á. García de Cortázar, « La serna, una etapa en el proceso de ocupación y explotación del espacio », En la España Medieval, 1, 1980, p. 115-128 ; E. Botella Pombo, La serna : ocupación, organización y explotación del espacio en la Edad Media, 800-1250, Santander, Tantin, 1988 ; E. Peña Bocos, La atribución social del espacio en la Castilla altomedieval, Santander, Universidad de Cantabria-Asamblea Regional, 1995, p. 32-38 ; J. J. Larrea, R. Viader, « Aprisions et presuras au début du ixe siècle : pour une étude des formes d’appropriation du territoire dans la Tarraconaise du haut Moyen Âge », dans Philippe Sénac (dir.), De la Tarraconaise à la marche supérieure d’Al-Andalus ( ive-xie siècle), Toulouse, CNRS/Presses universitaires du Midi, 2006, p. 167-210.
92 J. Costa, Colectivismo…, op. cit., p. 101, 153, 205, 241, J. J. Larrea, « Les cultures temporaires au sud du Duero (xie-xve siècle) », dans R. Viader, C. Rendu (éd.), Cultures temporaires…, op. cit., p. 97.
93 J. Costa, Colectivismo…, op. cit., p. 71, 302, 314.
94 M. J. Pérez Álvarez, La montaña noroccidental leonesa en la Edad moderna, León, Universidad de León, 1996, p. 71-72 (cité par J. J. Larrea, « Les cultures temporaires… », art. cité, p. 97).
95 J. Á. Garcia de Cortázar, « La serna… », art. cité, p. 118-120.
96 E. Peña, La atribución social…, op. cit., p. 33.
Author
Only the text can be used under the OpenEdition Books License license. Other elements (illustrations, attached files) are “All rights reserved”, unless otherwise stated.
Marquer la ville
Signes, traces, empreintes du pouvoir (xiiie-xvie siècle)
Patrick Boucheron and Jean-Philippe Genet (ed.)
2013
Église et État, Église ou État ?
Les clercs et la genèse de l’État moderne
Christine Barralis, Jean-Patrice Boudet, Fabrice Delivré et al. (ed.)
2014
La vérité
Vérité et crédibilité : construire la vérité dans le système de communication de l’Occident (XIIIe-XVIIe siècle)
Jean-Philippe Genet (ed.)
2015
La cité et l’Empereur
Les Éduens dans l’Empire romain d’après les Panégyriques latins
Antony Hostein
2012
La délinquance matrimoniale
Couples en conflit et justice en Aragon (XVe-XVIe siècle)
Martine Charageat
2011
Des sociétés en mouvement. Migrations et mobilité au Moyen Âge
XLe Congrès de la SHMESP (Nice, 4-7 juin 2009)
Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public (ed.)
2010
Une histoire provinciale
La Gaule narbonnaise de la fin du IIe siècle av. J.-C. au IIIe siècle ap. J.-C.
Michel Christol
2010