1Bâtiments vinicoles, cuves, pressoirs et vaisselle vinaire sont longtemps mentionnés dans les archives franciliennes médiévales sans autre précision. Il est donc intéressant de tenter une approche qui permette de cerner les dates où la situation change, où l’apport documentaire devient assez substantiel, en particulier, pour rendre compte de la brusque multiplication des pressoirs à arbre puis de la réapparition du pressoir à roue, questions qui n’ont, jusqu’à présent, pas intéressé les auteurs spécialisés1.

Bâtiments vinicoles

2Pendant des siècles, les sources écrites sont peu prolixes mais elles recèlent parfois une indication intéressante, même si celle-ci est imprécise. En 872, l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés possède à Villeneuve-Saint-Georges une maison avec un pressoir adjacent, ce qui implique une annexe spécifique2. En 1078, l’abbaye Saint-Magloire reçoit en don, à Poissy, une maison avec toutes les cuves et les redevances en vin3.

3Il faut attendre le XIII^e siècle pour obtenir quelques détails. En 1234, le Chapitre de Paris autorise, sur les terres défrichées de Vernou, la construction d’une ferme et d’un grand et bon pressoir couvert d’un bon appentis en tuiles, imposant à la fois l’édification d’une annexe et le choix du matériau de couverture4. En 1294, à Charonne, on cite « la cour du pressoir », ce qui révèle aussi un local particulier dans l’hôtel qu’y possède Saint-Magloire5. En 1363, l’abbaye cistercienne de Notre-Dame du Val est propriétaire d’un « hôtel, pressoir, cellier, cuves » à Saint-Leu6 :

4C’est seulement à partir du XVI^e siècle qu’on trouve des descriptions détaillées. En 1547, la Sainte-Chapelle de Paris est propriétaire, à Féricy, d’une maison contenant trois chas (travées), avec pressoir, cuves et ustensiles, cour devant où sont à présent les cuves7. En 1564, à Saint-Rémy-lès-Chevreuse, Thomas de Farbois, écuyer, dispose d’un grand corps d’hôtel où il y a « deux fouleries, cave ancienne sous ladite foulerie, cellier, cave voûtée au-dessous dudit cellier, pressoirs servant à faire les vins »8. C’est un texte exemplaire sur des bâtiments vinicoles franciliens. On y trouve le décompte des annexes avec leur disposition sur deux niveaux : foulerie et ancienne cave dessous, pressoirs, cellier avec cave plus récente et maçonnée dessous. L’existence d’installations doubles atteste l’essor de la vigne sur les coteaux du château de la Madeleine. Jusqu’à la fin du XVIII^e siècle, les textes reprennent avec une continuité remarquable les mêmes éléments que ce soit, par exemple, dans la maison seigneuriale de Suresnes en 16629 ou à Thorigny, en 1791, avec la foulerie au rez-de-chaussée, le pressoir à vin (à vis) qui lui est adossé, le cellier et la cave dessous, le tout regroupé ici dans un même corps de bâtiment d’une ferme de l’abbaye de Chaalis10.

Pressoir à arbre, pressoir à roue

5Certains vignerons se contentent simplement du vin de mère-goutte, issu spontanément lors des manipulations durant les vendanges, et du vin de goutte issu du foulage, sans avoir recours au pressoir. Cette pratique est sans doute plus répandue qu’il n’y paraît, comme l’a très justement souligné, pour le Bordelais, Jean-Bernard Marquette11. Certaines redevances en nature relèvent expressément de ces deux types de vin, les meilleurs12.

6Depuis l’époque gallo-romaine, des pressoirs ont cependant toujours persisté même s’il manque des témoignages archéologiques et des sources écrites en nombre suffisant pour prouver de manière serrée cette longue continuité. Rappelons que les quatre mécanismes de pressoir – par torsion, par abaissement d’une poutre grâce à des chocs sur des coins ou à un levier, par l’action d’une ou de deux vis – étaient connus dès l’Antiquité13.

7Pendant des siècles, on ne trouve, de loin en loin, que de simples mentions de pressoir comme celui de Boinville, à Châlo-Saint-Mars, légué en 616 par l’évêque du Mans Bertran à l’église parisienne Saint-Germain-en-la-Cité14 ou les deux pressoirs donnés avec vingt-deux arpents de vigne sis à Boissy-Saint-Léger à l’abbaye de Saint-Maur par Clovis II15.

8Une multiplication importante des mentions de pressoirs s’opère, en Ile-de-France, dès la première moitié du XII^e siècle. Voici quelques-uns de ces jalons chronologiques : en 1116, un pressoir appartenant à Saint-Victor dans la censive de Saint-Marcel16 ; après 1117, deux torcularia et des vignes remises à Saint-Martin-des-Champs17 ; en 1119, un pressoir du Chapitre de Paris à Maisons-Alfort, des pressoirs de Saint-Martin-des-Champs dans Paris, près des Bernardins18 ; en 1124, don par Louis VI au Chapitre de Notre-Dame d’un clos de vigne, d’un pressoir (torculari) et d’une maison à Ivry-sur-Seine19 ; en 1125, un pressoir à Villiers-le-Bel20 ; en 1130, un pressoir à Avrainville, près d’Étampes, donné pour fonder un obit à Saint-Germain-des-Prés21 et trois pressoirs à Noisy-le-Grand cédés par le roi à Saint-Martin-des-Champs22 ; en 1146, abandon par Louis VII aux lépreux de Paris d’une rente de cinq muids de vin sur le pressoir de Montreuil-sur-le-Bois23.

9Cette rafale de mentions atteste donc, parallèlement à une expansion certaine du vignoble francilien, la mise en place de grands pressoirs liée à la vinification en blanc où, sans cuvage préalable de plusieurs jours comme pour la vinification en rouge, toute la vendange passe au pressoir immédiatement, et une organisation contractuelle des modalités juridiques et financières de leur utilisation entre le seigneur, propriétaire de ces onéreuses machines, et les vignerons. Ceci pourrait d’ailleurs avancer la datation des premières banalités correspondantes d’un demi-siècle, du moins dans cette région, par rapport à la chronologie généralement admise24.

10Nous ne disposons que de peu de descriptions dans les inventaires après décès médiévaux en raison d’un problème juridique propre à la coutume parisienne. Est, en effet, considéré comme immeuble, donc non retenu dans ce type de document, tout pressoir édifié dans une maison et fixé au sol, au mur, au moyen de fer, de clous ou scellé au plâtre25.

11Il n’existe pas de représentations de pressoir utilisables, d’un point de vue documentaire26, en France et en Italie avant le XV^e siècle. Il faut attendre plus longtemps encore pour en trouver des descriptions écrites autres que : « un pressouer tel quel (sic) et IIII que cuves et cuveaux »27. La Picardie voisine n’est pas mieux lotie : en 1455, les Augustins d’Amiens reçoivent en donation la maison du Soleil « avec le pressoir et toutes les cuves et aultres choses servans à fouller, cuver et presser vins »28. Voici enfin, en 1547, la prisée du pressoir de la Sainte-Chapelle à Féricy : « le pressouer, qui est à roue tournant à bras avecques les ustencilles qui y appartiennent, tant de mouslures, chable, crochet, rondeau sous l’arche »29. La période moderne continue cette nouvelle voie descriptive avec, par exemple, ce pressoir de Nogent-sur-Marne en 1731, « ledit pressoir garni de ses écrous, vis, roue, chables, moulinet, planches, blots, moutons et autres pièces de bois […] tournant et travaillant et autres ustensiles »30.

12C’est avant le tournant des XV^e-XVI^e siècles qu’il faut, à côté du pressoir à arbre probablement majoritaire au Moyen Âge, placer le développement du pressoir à roue centrale. Il a dû subsister depuis l’Antiquité sporadiquement et connaît brusquement un renouveau notoire. Plus petit et moins onéreux que le pressoir à levier, il correspond mieux que ce dernier à de nouveaux besoins liés à la vinification en rouge. Après un cuvage de plusieurs jours et un foulage important, la quantité de marc transférée au pressoir est ici moindre que dans le cas du vin blanc. Après la fin de la Guerre de Cent Ans, nombre de pressoirs banniers, longtemps abandonnés, doivent être reconstruits et les finances seigneuriales sont à l’étiage. Si les banalités n’ont pas été perçues pendant trente ans, il y a prescription31 et les villageois doivent alors eux-mêmes payer leur nouveau pressoir. Ces trois causes expliquent probablement la résurgence du pressoir à roue.

13Dans les archives parisiennes, des mentions attestent maintenant l’existence des deux types de pressoirs, bien ancrée dans la vie quotidienne : en 1518, une maison à deux pressoirs, l’un et l’autre marchant à roue, rue du Battoir, dans la capitale32 ; en 1521, une maison sur la Grande-Rue de Vaugirard, près de l’église, « en laquelle il y a deux pressoirs banniers, l’un à arbre et l’autre à roue »33 ; en 1523, à Gibard, lieu-dit de Saint-Germain-des-Prés, deux pressoirs installés par l’abbaye, l’un à arbre et l’autre à roue34.

14Cette coexistence du traditionnel pressoir à arbre et du « nouveau » pressoir à roue se maintient longtemps en Île-de-France et ailleurs, comme l’a bien vu pour la Lorraine, par exemple, Charles Parain35. Un marché de 1540 conclu entre un charpentier de la grande cognée de Paris et un propriétaire de Mons-Ivry, près de Villejuif, concerne les réparations de deux pressoirs, l’un à arbre, l’autre à roue36. En 1641, à Vaugirard, on retrouve les deux pressoirs banniers signalés plus haut, l’un à arbre et l’autre à roue, tous deux affermés, signe qu’ils sont toujours, cent-vingt ans plus tard, en activité simultanément37.

Vaisselle vinaire

15Au pressoir à roue, le document sur l’hôtel de la Sainte-Chapelle à Féricy ajoute la composition et l’évaluation de la vaisselle vinaire : « rondeau soubz l’arche, deux tinettes à porter vin, troys seaulx, une hache à tailler le marc, deux mains de fer à charger le dit marc, troys pelles et troys sibilles, le tout de la valleur de cent livres tournois. Deux cuves de chacune onze muys (2 948 1) vallant ensemble dix-huit livres tournois, deux autres cuves tenant chacune dix muys (2 680 1) vallant ensemble seize livres tournois, deux autres petites cuves tenant chacune six muys (1 608 1) vallant les deux dix livres tournois, ung rondeau vieil tenant ung muy (268 1) vallant vingt-deux solz six deniers tournois, trois autres petitz rondeaulx servans aux cuves vallant ensemble trente solz tournois, deux bagnouères tenant chacune ung muy vallant quatre livre dix sols tournois, deux grandz entonnouers vallant vingt sols tournois, le tout ensemble de la valleur de la dite somme de sept-vingtz douze livres deux sols six deniers tournois ».

16Ce texte ne concerne que le foulage et le pressurage. En un premier temps, la vendange est foulée au pied dans des cuves de bois. Elles sont ici au nombre de trois paires de onze, dix et six muids. Ailleurs, des registres de comptes apportent des détails intéressants sur des cuves « à pieds » ou posées « sur un pied de bois », l’achat de grands cercles et de torches d’osier pour les « relier » périodiquement38.

17À Féricy, il n’est pas mentionné de foulangeaux. À Chartres, en revanche, les cuves de l’Hôtel-Dieu sont complétées de foulangeaux, qu’il est sans doute possible d’assimiler au fouloir. Cette caisse à brancards, percée de trous, est disposée au-dessus de la cuve soit pour permettre un premier foulage, soit plutôt pour susciter une couche protectrice qui protège des atteintes de l’air le contenu de la cuve inférieure39.

18Le vin de foulage recueilli, la vendange qui reste est transportée au pressoir à l’aide de baignoires, dites ailleurs cuves baignoires, et de trois seaux. À Chartres, on emploie aussi des ancheaux, terme régional qui doit désigner les cuves à deux anses.

19La première pressurée faite, il est nécessaire de découper le tour du gâteau compact de marc à l’aide de la hache pour le remettre au centre grâce aux trois pelles de bois, aux deux mains de fer (de grandes pinces), avant de procéder à la pressurée suivante.

20Le vin de presse est recueilli dans un rondeau disposé sous l’arche (la maie du pressoir) et dans les « tinettes à porter vin ». A défaut d’être mentionnée ici, sans doute en raison de son faible prix, la couloire d’osier, passoire d’osier intermédiaire qui filtre le vin en retenant les débris de râfles et de peaux, est citée dans les comptes et figure dans les représentations de pressoirs. Deux grands entonnoirs (de bois) servent à remplir les tonneaux. Le résidu des rondeaux et des tinettes est recueilli grâce aux trois sébilles. À Chartres, on emploie aussi à cette fin des espisouers, qui, en général, servent à vider l’eau40.

21Au terme de cette synthèse, il est maintenant possible d’établir quelques jalons chronologiques importants dans la viniculture médiévale francilienne. Une étape marque la première moitié du XII^e siècle avec la multiplication subite des mentions de pressoirs à levier liée à une vinification en blanc et un probable développement des banalités correspondantes. Pendant la restauration agricole qui suit la fin de la Guerre de Cent Ans, durant la seconde moitié du XV^e siècle et le début du XVI^e siècle, se posent les problèmes juridiques et financiers de la remise en état des pressoirs. Cette charge incombe traditionnellement au seigneur mais elle peut maintenant être à la charge des vignerons. La renaissance du pressoir à roue centrale est donc conditionnée à la fois par des ressources financières amoindries et par l’essor d’une vinification en rouge qui devient majoritaire à l’époque moderne.

Les plus anciens pressoirs franciliens (début du XVI^e-début du XVIII^e siècle)

Photos Clark, Musée du Vin, Paris