Boire son vin en Picardie au Moyen âge
p. 93-106
Texte intégral
1Vers 850, Tubersent au nord de Montreuil : In Thorbodessem… ad host solidi IIII, ad vineas carra III…1
2Autour de l’an mil, Saint-Riquier : In ipsa Centula… ibidem vicus vinitorum, XVI sextarios vini unumque oleiper ebdomadam…2
31223, à la table du roi : « Vois bien et sachés que nous nous plaignons / Que tu confons dom Croe de Soissons / Avec le vin de Laon et de Tansois / Qui dépassent celui de Vermandois »3.
4Principaux fonds utilisés :
A1, A2 : | chapitre d’Amiens (Somme, 4G2966-67) | N1, N2 : | Mont-Saint-Quentin (ibid., Dom G. 150, Lat. 12 692) |
B : | Saint-Acheul (ibid., 22H3) | O | Moreuil (Somme, 17H7) |
C : | Saint-Fuscien (ibid., 23H1) | P1, P2 : | Paraclet (ibid., 65H12, 88) |
E : | Saint-Jean (ibid., 1H2-3) | Q1, Q2 : | Picquigny (AN, R-1 35, 110) |
F1, F2 : | Saint-Martin aux Jumeaux | R : | Poix (Somme, 44H1) |
(ibid., 2H2-4) | S : | Roye (BNF, Dom G. 17) | |
G : | Cayeux (BNF, Dom G. 305) | T : | Saint-Jean au bois (ibid., Lat. 13816) |
H1, H2 | Corbie (BNF, Lat. 17758, 17760) | U : | Saint-Just (ibid., Baluze 73) |
I1, I2 : | Fervacques (AN, L 1001, BNF, Lat. 11071) | V : | chapitre de Saint-Quentin (AN, LL 985b) |
J : | Foucarmont | W : | Saint-Prix (BNF, Baluze 75) |
(ibid., Nouv. acq. lat., 248) | X : | Saint-Quentin en l’île (AN, LL 1016) | |
K : | Homblières (ibid., Lat. 13911) | Y : | Sommereux (ibid., S 5216) |
L : | Lihons (ibid., Lat. 5460) | Z : | Vignacourt (Somme, 13G1) |
M : | Marmoutier (ibid., Lat. 5441) |
5Principaux ouvrages de référence :
6A. Demangeon, La plaine picarde. Étude de géographie sur les plateaux de craie du nord de la France, Paris, 1905 ; R. Dion, Histoire de la vigne et du vin en France, Paris, 1959 ; R. Doehaerd, Un paradoxe géographique : Laon capitale du vin au XIIe siècle, AESC, 1955, p. 351-397 ; H. Duchaussoy, La vigne en Picardie et le commerce des vins de Somme, Mémoires soc. Antiquaires de Pic., 2 vol., Amiens, 1927-1928 (désormais D I ou D 2 selon le volume) ; R. Fossier, La terre et les hommes en Picardie jusqu’à la fin du XIIIe siècle, 2 vol., Paris-Louvain, 1968 ; G. Fourquin, Les campagnes de la région parisienne à la fin du Moyen Âge, Paris, 1964 ; M. Lachiver, Vins, vignes et vignerons. Histoire du vignoble français, Paris, 1988 ; Le vigneron, la viticulture et la vinification en Europe occidentale… Onzièmes journées intern. d’histoire (Flaran 1989), Auch, 1991. Dorénavant Flaran 11.
7Avant 1322, au service du prince : « Se bevoie vins precieus / Que riches gens tiennent pour sain / D’Aucuerre, d’Anjo, d’Orlenois / De Gastinois, de Laonnois / De Biauvoisis, de Saint Joen… »4.
81411, au nord de Montdidier : « Si se boutoient asprement (les routiers flamands) parmy les vignes, et prenoient tant dedens leur ventre que pluseurs en furent trouvez morts et crevez dedens les vignes »5.
9La cause est entendue : la vigne existe en Picardie et le vin en est bu, quand même on est en droit de douter de sa qualité. Or, aujourd’hui, pas un cep ne pousse à l’ouest de l’Oise et jusqu’à la mer ; Jean Bodin et Olivier de Serres avaient donc raison de dire qu’en ces régions, « la vigne ne peut croître avec profit ». Au Premier Empire, on n’en trouvait déjà plus que des reliques au nord d’une ligne Beauvais - Compïègne - Laon - Noyon ; à présent, elle ne se voit pas au-delà de Château-Thierry ou de Soissons6.
10Où donc trouver ce vignoble médiéval ? Comment, plutôt qu’espérer une localisation ou une description bien aléatoires, estimer la place, le volume et l’intérêt de cette culture dans la civilisation du pain et du vin qui est celle du Moyen Âge occidental ? Certes les sources « littéraires » y auront leur place, d’autant qu’en pays d’oïl, « dits », fabliaux, pastourelles, voire romans sont largement picards ; j’y ai fait quelques sondages touchant mon propos, mais il y a là un travail à poursuivre ; la vendange y serait riche7. Malheureusement les preuves y sont seulement pittoresques et vagues : on offre, on vend, on boit du vin, voilà tout ; à la rigueur on le compare à des crus plus cotés. Quant à l’archéologie, c’est le fiasco : peu de sites villageois fouillés, en dépit des ruines accumulées par les guerres ; du matériel vinaire, quelques outils ; pas d’études carpologiques, anthracologiques ou autres : le néant8. L’iconographie, comme bien souvent, reste intemporelle et stéréotypée : évidemment on songe aux travaux des mois et aux stalles d’Amiens. Mais on n’en tirera rien de précis9.

11Il faut donc chercher deux autres pistes : la microtoponymie d’abord. Le relevé des lieux dits concernant la vigne offre, naturellement, le risque qu’il n’y ait là qu’une exception et non la trace d’un important vignoble. Cependant le relevé en est instructif : sur les cadastres du XVIIIe et du début du XIXe siècles, il occupe une zone en deçà d’une ligne Aumale - Airaines - Doullens ; de là Bapaume - Cambrai - Le Cateau ; vers l’Oise ou Beauvais, ils sont légion10. Nous aurions donc là une vaste région de vignoble réellement picard dont Amiens serait le centre, Beauvais, Compïègne ou Laon n’étant somme toute pas « picards »11. Malheureusement l’autre voie d’approche, actes de dons et ventes, comptes de villes ou de seigneuries, complique le tableau, car les localités où apparaissent des vignes, du XIe au XVe siècle, si on les trouve, certes, dans l’aire susdite, la débordent très largement vers la Canche, autour d’Arras et jusqu’au rebord du plateau surplombant le pays plat de Flandre ; or ces données dépendent essentiellement ou bien de la richesse d’un fonds ecclésiastique (et ils se raréfient plus l’on va vers la mer), ou bien des comptes de quelque grand seigneur comme la comtesse Mahaut ou de quelque grande ville comme Amiens, et souvent assez tard12. De surcroît, si le polyptyque de Saint-Bertin connaît des vignes dans onze de ses treize domaines d’Artois, du Boulonnais et de Flandre, par la suite ils ne comportent plus cette culture13. On est ainsi conduit à admettre un premier repli au terme du haut Moyen Âge, de la mer vers le Ponthieu et le Ternois, un deuxième au début de l’époque « moderne » jusqu’au liseré des lieux dits, un troisième jusqu’à ce qu’a noté le Premier Empire, un dernier jusqu’aux limites d’aujourd’hui14.
12Sur ces mouvements, la répartition des mentions de vignes dans les actes de la pratique ne révèle rien de notable : sur les 135 que j’ai relevées entre 1075 et 1325, plus de la moitié s’inclut entre 1175 et 1250, proportion comparable à celle de la ventilation des actes conservés dans la région15. Ensuite les indications de mise en vigne, ou, à l’inverse, de remise en labour s’entremêlent pour toutes périodes16. D’ailleurs on sait bien qu’au Moyen Âge on a planté la vigne partout, non certes pour le seul calice du curé, mais parce que ni la bière, ni le cidre n’offrent de concurrence. Il est également non moins notoire que les conditions géographiques les plus favorables à cette culture ne se rencontrent guère avant le rebord des sols tertiaires d’Île de France ; mais nous ne sommes plus en Picardie, et je ne parlerai donc ni de Beauvais, ni de Laon17. Pourtant les sources d’information y sont très riches, parce que la plupart des établissements ecclésiastiques picards ou flamands ont mené une véritable « politique viticole » jusqu’à Laon ou Beauvais18.
13En dépit d’un constat qu’on trouvera peut-être déprimant, j’avancerai quelques certitudes, à défaut de révélations.
14On peut être assuré que les ceps sont bas, mais qu’ils exigent un important appareillage d’échalas, en bois d’aulne surtout, atteignant jusqu’à deux mètres ; et les communautés paysannes en réclament fermement le droit de taille19. La vigne « en hautain » ou en treille, comme sur les domaines de Mahaut d’Artois, paraît uniquement destinée à l’élevage du raisin de table, à la rigueur aux fruits verts du verjus20. Les rangs sont serrés ; cette pratique, particulièrement malheureuse sous des cieux chagrins, semble s’inspirer du souci d’éviter les divagations animales21. On peut en être d’autant plus surpris que la plupart des vignes paraissent closes22. On notera que si le mot « clos » a fini par évoquer, sans plus d’explication, la vigne, ce terme suggère que les curtes, les manses, ou, par la suite, les « courtils » les considèrent comme partie intégrante ; c’est que le parcellaire devait être formé d’unités isolées, disjointes sur le terroir23.
15Si nous connaissons, d’ailleurs rarement, la surface totale d’un vignoble d’Église, nous ignorons en combien de parcelles il se divisait24 ; et s’il s’agit d’un morceau isolé, ce ne sont peut-être que des rangs dans un ensemble inconnu. Cela dit, je peux avancer que l’unité commune de surface se tient, au XIIIe siècle, à deux journaux environ (de 70 à 80 ares), un et demi seulement un siècle plus tard25. Quant à prétendre en approcher la forme, mieux vaut renoncer.
16La possession des vignes se présente surtout au travers des documents d’Église, très souvent dans des énumérations de biens, bulles, inventaires, comptes. Mais si les quelques vingt établissements qui apportent ces données sont bien inclus dans la zone limitée par le tracé Aumale - Cambrai, l’an mil passé, il ne figurera pas d’établissements plus septentrionaux26. Quant aux possessions des laïcs, il s’agit de celles de seigneurs fonciers, assez rarement d’un rang élevé, comte ou châtelain, beaucoup plus souvent de niveau villageois, sinon même simplement qualifiés de « chevaliers »27 ; les autres, clercs ou bourgeois, sont en nombre infime28. Les contestations que suscitent ces transactions, en général quant au prix ou à la dîme qu’on en tire, affrontent les mêmes hommes ; sur treize procès, entre 1090 et 1340, la seule nouveauté sera l’intervention d’une communauté d’habitants pour une franchise de passage29.
17La totalité des travaux d’entretien que réclame la vigne relève le plus souvent d’un accord d’accensement. Les textes carolingiens, Saint-Bertin, Saint-Riquier, ou ceux du XIe siècle sont formels à cet égard, comme plus tard, par exemple dans le polyptyque d’Amiens de 1206 : les mansionarii ou les hospites sont tenus à des versements en vin, à des corvées de charroi, ou au paiement du droit de vinage sur ce qu’ils écoulent au marché voisin30. Beaucoup d’autres exemples isolés et plus tardifs sont identiques31. L’importance de ces vignes se mesurera par exemple au fait que plusieurs sont inféodées, soumises au relief, objets d’échanges dotaux32 ; dans son testament de 1237, le sire de Villers-Guislain réserve son vignoble exclusivement à son aîné33. En revanche, le coût de ces cens, si l’on excepte quelques cas isolés34, ne nous est connu qu’à partir du XIVe siècle : mais ils se tiennent, sur une centaine d’années de 1390 à 1480, entre 11.4 s. de parisis et 2 1. 8 s. le journal, dans une « fourchette » offrant une homogénéité très grande en dépit de la période de troubles économiques ou politiques de ces temps35. En revanche le prix même du journal ou de l’arpent de vigne (dans ces régions ils se tiennent entre 34 et 48 ares) nous est accessible dès le XIIIe siècle. Il est vrai que si Beaumanoir affirme que l’arpent commun vaut 2 l., les actes sont unanimes à en placer le prix entre 24 et 36 l.36 ; et aux XIVe et XVe siècles nous aurons encore des prix de 14 à 28 l.37. Je n’ai pas trouvé d’explication à l’étrange estimation du juriste.
18Approchons-nous à présent des ceps eux-mêmes. Sans apporter du neuf, les textes ne manquent pas dès le XIIIe siècle : difficultés d’accès aux vignes, les chemins étant barrés par des routiers, salaires payés pour la taille, ébauche d’une réglementation pour égaliser les façons des clos d’Amiens38. Les précisions augmentent aux XIVe et XVe siècles, par exemple en 1333 dans les comptes de Thierry d’Hireçon : salaires payés pour couper, planter, fixer les échalas, ce qui demande deux semaines39 ; en 1459, pour l’Hôtel-Dieu d’Amiens, un clos de trois journaux est fumé et taillé entre la mi-février et le début mars, et travaillé ensuite jusqu’au 1er octobre à raison de cinq heures quotidiennes au besoin, pour le bêchage, le provignage, le liage, l’ébourgeonnage. L’ensemble du coût, salaires et matériel, atteint plus de 12 1. le journal40. En 1468 un « métier » de vigneron recevra ses statuts à Amiens, pour éviter les « abus et incompétences », probable rassemblement de textes plus anciens41.
19La rareté des mentions de raisin de table, la fâcheuse réputation des vins locaux, inversement la place tenue par le verjus, conduisent au pessimisme en ce qui concerne les cépages. Cependant les vignerons picards n’y ont pas été indifférents, et la littérature s’y est intéressée : à l’aube du XIIIe siècle, Robin, qui est picard, estime fort le formentiex42 : un peu plus tard, Beaumanoir consacre quelques lignes de ses « Coutumes » au formentel, au moreillon et au goet, ou gros noir43. Quant au pinot, tant apprécié en ville, même en fruit de table, ses petits grains serrés et très sucrés sont connus dès le XIIe siècle, puisqu’on en offre à l’archevêque de Reims passant à Guines44. Évidemment il est raisonnable de croire que le vigneron du commun devait se contenter de cépages locaux, quasi « naturels » sous ces cieux, comme l’arbane ou le meunier blanc.
20Voici maintenant la vendange, moment capital, même ici, de la vie agricole : elle mobilise une forte main-d’œuvre, la fraude est possible et exige la présence du seigneur, tel le vidame d’Amiens, ou au moins d’un « messier » et d’un représentant du décimateur45. La durée est brève : vers 1390, trois à cinq jours pour un clos de 3 journaux, mais à raison d’une douzaine d’heures de travail quotidien, pour les dix femmes qui coupent à la serpette, et les deux hottiers qui mèneront les grappes aux pressoirs46. On apprend d’ailleurs assez peu de choses sur ces derniers ; je n’ai relevé que neuf exemples au XIIIe siècle ; le raisin y était foulé aux pieds, ou à l’aide de battoirs, la banalité levée au neuvième47. Les dates de vendanges, aux environs d’Amiens au XIVe siècle, se tiennent entre le 10 septembre et le 15 octobre, ce qui n’est guère original48. Bonnes ou mauvaises années ? Oui, on le note, mais les raisons sont souvent extérieures : en 1284, l’abbaye de Saint-Quentin en l’Île déclare que la vendange a été désastreuse, mais il s’agit d’éviter les taxes d’amortissement du roi49 ; entre 1393 et 1404, pour s’en tenir à une seule décennie, les clos d’Amiens ont oscillé, à partir d’un niveau 100, entre 30 et 220 selon les années ; mais le nombre des vendangeurs a également varié50.
21Le problème du rendement de ces vignes offre difficulté. La production globale d’un riche propriétaire peut être accessible parfois : ainsi les hommes de Saint-Bertin livraient environ 280 hl. de vin à charroyer, à peu près autant que les vinitores de Saint-Riquier ; mais comment savoir sur quelle part de récolte51 ? Au XIIIe siècle, la circulation du vin à partir d’un centre producteur peut donner quelque idée : à Vaucelles le volume transitant vers le sud passe de 540 hl en 1190, à 2800 en 1266 ; la consommation du vin au Saint-Sépulcre de Cambrai passe en valeur argent de 360 l. à 463 en dix ans, à la fin du XIIIe siècle52 ; ce sont des signes de croissance de la production. Mais nous ne connaissons pas la surface des vignes concernées, pas plus que pour quelques exemples isolés, entre 118I à 1231, un à six muids53. Au XIVe siècle il est possible de voir plus clair ; aux environs d’Amiens, entre 1393 et le milieu du XVe siècle, un journal de vigne produit, en moyenne, 7 muids, ce qui donne environ 12 hl. à l’ha54. Or, la seule indication précise pour les temps plus anciens, un acte de Corbie non daté, mais confirmé en 1078, donne une production de 90 muids pour 12 bonniers de vigne, soit entre 18 et 20 hl à l’ha55. On pourrait donc avancer que le rendement viticole n’a pas sérieusement crû entre ces deux moments. Il reste légèrement inférieur à celui des vignobles « français » du temps, et beaucoup moins élevé que ceux d’aujourd’hui (60 hl à l’ha en 1989).
22Nous voici à présent devant le vin sorti de cuve, le premier jus, dit « de goutte », le second, « de prêt » mais qu’on mêle souvent. Malheureusement la vinification ultérieure ne nous est pas connue56. La réputation du vin picard est bien assise : il donne la colique et « fait danser les chèvres », dit-on au XVe siècle, et les routiers de Monstrelet l’ont bien vu57 ; d’ailleurs les Picards ne se font aucune illusion à ce sujet : le péage de Picquigny enregistre sans sourciller qu’un tonneau de vin « non buvable » sera taxé au prix du vinaigre ; en 1276, on jette dans l’Oise du vin « gâté » ; quant au comte de Ponthieu, en 1214 et 1248, il assure à l’abbaye de Valloires que la rente en vin qu’il lui sert sera convertie, après Pâques, du vin local suri en vin gascon importé ; on nous dit bien qu’en 1415, les soldats d’Henri V, marchant vers Azincourt, tombèrent ivres morts dans les celliers de Boves, mais la réputation détestable des godins en matière de goût était déjà solidement établie58. D’ailleurs Beaumanoir estime entre 6 et 15 s. de parisis le muid de vin picard, mais les prix pour les vins d’autre provenance atteignent aisément le triple, voire le décuple59. Ce sont des goûteurs, on dit en ville des « avaleurs » de vin, qui estiment le prix en fonction de la qualité, peut-être aussi de la quantité de la récolte60.
23Ces vins sont majoritairement blancs, quasi transparents, si l’on en croit celui qu’on servit à l’archevêque de Reims et qu’il prit pour de l’eau61. Mais les mentions tant blancs que vermeil apparaissent au XVe siècle, ou même celle de clairet62. Si les allusions au vinaigre sont rarissimes63, le verjus occupe une place de premier ordre dans la production viticole. Il s’agit bien du jus médiocre fourni soit par des plants particuliers, soit par des plants communs n’arrivant pas à maturité ; le suc qu’on en tire, acide et astringent, n’apparaît guère propre à une consommation courante ; il fait l’objet d’un salage systématique et public, et on devait le destiner à l’apprêt ou à la conservation des aliments64. Dans les comptes de Thierry d’Hireçon, 4 hl environ sont spécialement produits pour l’Hôtel de la comtesse65 ; mais il est vrai qu’en d’autres lieux la part de récolte, dite « de verjus », est peut-être aussi souvent accidentelle que voulue66. Les règlements destinés à éviter la fraude sont d’ailleurs nombreux : examen public des tonneaux, interdiction de vente sans sel, ou de mêler les jus67 ; de fait, à la vente, le muid de verjus n’atteint qu’à peine 3,5 s. ou 4 au début du XIVe siècle, moins de la moitié du vin ordinaire68.
24La consommation du vin me conduit, mais sans espoir, jusqu’au problème de sa teneur en alcool69. On ne peut guère fournir que quelques données urbaines : en 1401, à Amiens, on comptait 134 tavernes de vente au broc et une quarantaine de vente en tonneaux ; elles débitèrent, en moyenne, de 145 à 215 muids l’an, quelque 12 à 15 000 hl, auxquels il faudrait ajouter le vin en tonneaux mis en perce à domicile et qu’on ne peut estimer, malgré de rares allusions aux celliers70. Avec plus de 15 000 habitants en ville, on peut donc tabler sur une moyenne de 10 hl par feu, soit quelque 0,7 litre par jour et par adulte71. Ces chiffres n’excèdent en rien ni les rations qu’on a calculées pour le haut Moyen Âge, ni celles qu’absorbaient les communautés monastiques72. On notera que le prix du vin vendu au détail atteint en général un prix très supérieur à celui qui a été fixé par les gardes de la ville73.
25Le commerce du vin a nourri une abondante littérature historique. En raison du caractère universel, et de surcroît quasi mystique, de sa consommation, il s’agit évidemment d’un des tout premiers produits des échanges internationaux ; on en a soigneusement relevé les données, esquissé les liens avec l’économie générale des domaines, le peuplement ou même l’instabilité politique d’une ville74. Mais la médiocrité des vins de Picardie les écarte du grand commerce ; je ne ferai donc qu’une brève allusion à la circulation de vins plus prestigieux, que nos textes de taxation, d’exemption ou de consommation nous livrent : vins du sud (Gascogne, Portugal, La Rochelle), vins de « France » et de Bourgogne (Paris, Auxerre, Beaune), voire d’Arbois ; les uns touchent la côte à Saint-Valéry, Rue, Le Crotoy ou Saint-Omer, et remontent la Somme ou la Canche ; les autres gagnent Arras ou la Flandre le long de l’Oise puis par terre75. Parfois, les marchands picards vont eux-mêmes les chercher à Rouen, à Châlons ou à Paris76. Qu’ils circulent en tonneaux sur des bateaux plats comme les gribanes de la Somme, ou par char à huit chevaux, charrette à quatre, ou en outres au dos d’une bête de somme, ces vins sont taxés aux péages, et nous connaissons bien ceux de Picquigny, d’Amiens, de Bapaume, de Cambrai ou d’Arras dès le XIIe siècle, puis au XVe siècle77. On peut estimer de 10 à 15 % le poids des taxes en sus du prix à la mise en vente78 ; la somme reste encore assez élevée pour justifier les procès et surtout les innombrables privilèges d’exemption arrachés par l’Église, et nombre de puissants79.
26Face à ces boissons de prince, le vin picard est bien là ; peut-être même dans nos plus vieilles sources, aux IXe ou Xe siècles, est-ce lui qu’il faut voir dans ces charrois de corvéables qui quittent Saint-Bertin, Saint-Riquier ou Saint-Quentin. En tous cas, passé 1100, il n’y a aucun doute sur cette circulation interne : en 1094, c’est bien du vin local qui va et vient de la mer à Hesdin ; en 1155, le vin de Corbie est taxé à Athies par le sire de Boves ; en 1206, le polyptyque d’Amiens note des prélèvements de 16 à 28 s. de « vinage » dans chaque possession du chapitre80. Quant au « forage », taxe de vente au détail, il est d’un montant inférieur de moitié au « rouage » qui frappe le vin de passage, et le tarif de Bapaume, vers 1202, exempte de taxe les vins provenant d’une dizaine de villages proches, ou encore, à Amiens, ne les frappe que d’une obole la charrette81.
27Concluons. La vigne est largement présente en Picardie en dépit de conditions géographiques défavorables ; le vin en est bu et alimente un petit commerce local ; mais sa mauvaise qualité et le nombre élevé des consommateurs réduisent ce dernier à peu de chose. Or, dès le XVe siècle, et surtout au XVIe, le recul est évident. Liée au marché plus qu’au sol, certainement aussi perturbée par les incessants troubles du temps, la vigne cède du terrain ; peut-être aussi l’affinement du goût écarte-t-il son jus des tables même modestes82. Ajoutons un dernier élément : la chute de la rentabilité de cette culture. Si, au XIVe siècle, le propriétaire d’une vigne, à raison de 20 l. le journal planté, assure les façons, la vendange et la mise en vente de sa production, ces frais, auxquels s’ajoutera la dîme ou le vinage, atteindront 18 l., compensées par une vente du vin jusqu’à 8 ou 10 l., soit un rapport de 6 ou 7 l. sur un capital de 20. On s’explique donc encore à ce moment l’intérêt d’un placement en vignes83. Mais au XVe siècle, l’augmentation des frais de la vendange, la hausse du coût des tonneaux, la fiscalité galopante, la concurrence des « vins forts » ramènent ce rendement à 7 ou 8 %, à peine plus que celui des labours, ce qui, eu égard à la médiocrité du produit, aux aléas de la production et à la lourdeur des exigences de travail, rendent des plus aléatoires et des moins intéressants ce type de placement. Dès lors, une survivance qui s’étiole jusqu’au début du XIXe siècle ; aujourd’hui, le néant.
Notes de bas de page
1 Le polyptyque de l’abbaye de Saint-Bertin (844-859), F. L. Ganshof éd., Paris, 1975, p. 23.
2 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, F. Lot éd., Paris, 1894, p. 307-308.
3 Henri d’Andelli, La bataille des vins, A. Héron éd., Paris, 1881, vers 90-94.
4 Jean Maillart, Le roman du comte d’Anjou, M. Roques éd., Paris, 1931, vers 1149-1159 (Classiques français du Moyen Âge, n° 67).
5 Enguerran de Monstrelet, Chronique, A. Douët d’Arcq éd., Paris, 1866, liv. II, ch. 84.
6 Cf. les ouvrages cités en tête des notes. Et Le vin au Moyen Âge : production et transformation, SHMESP, Grenoble, 1971, Grenoble, 1977. Ensuite un recueil de documents sur la région : R. Fossier, Chartes de coutumes en Picardie, XIe-XIIIe s., Paris, 1974 (Doc. inéd.) ; enfin quelques ouvrages de synthèse : R. Grand, L’agriculture au Moyen Âge de la fin de l’Empire romain au XVIe siècle, Paris, 1950 ; L. Levadoux, La vigne et sa culture, Paris, 1966.
7 Scènes de taverne dans le Jeu de la Feuillée d’Adam de la Halle, ou dans le Jeu Saint-Nicolas de Jean Bodel. Des fabliaux comme Les aveugles de Compiègne, Le pauvre clerc d’Abbeville, L’ermite qui s’enivrait mêlent le vin à leurs intrigues.
8 J.-M. Pesez, Témoins archéologiques de la viticulture médiévale, in Flaran 11, p. 241-246.
9 P. Mane, L’iconographie du travail viticole en France et en Italie du nord du XIIe au XVe s., ibid., p. 9-48.
10 R. Debrie, Corpus des lieux dits cadastraux de la Somme, Paris, 1964.
11 R. Doehaerd, Un paradoxe géographique, loc. cit., p. 351-397.
12 J.-M. Richard, Une petite nièce de saint Louis, Mahaut, comtesse d’Artois et de Bourgogne, Paris, 1887 ; et pour Amiens les séries BB et FF notamment.
13 Cf. F.L. Ganshof, op. cit.
14 Cf. les ouvrages de R. Dion, M. Lachiver, G. Fourquin cités plus haut.
15 1076-1100 : 5, 1101-1125 : 1, 1125-1150 : 11, 1151-1175 : 9, 1176-1200 : 23, 1201-1225 : 18, 1226-1250 : 25, 1251-1275 : 11, 1276-1300 : 19, 1301-1325 : 13. R. Fossier, La terre…, pour l’évolution générale des actes.
16 Jadis en vignes : 1145 (K, fol. 5), 1407 (D 1, p. 355), 1478 (D 1, p. 27). À faire en vignes : IXe s. (D.1, p. 205), 1178 (D.1, p. 305), 1217 (F2, fol. 53v), 1230 (BM Amiens 1077, fol. 1), 1248 (B, fol. 38), 1250 (O, fol. 62), 1314 (D.1, p. 169), 1331 (D.1, p. 269), 1339 (D.1 p. 374), 1400 (D.1, p. 436), 1419 (D.1, p. 163), 1428 (D.1, p. 306), 1433 (D.1, p. 29), 1435 (D.1, p. 221), 1438 (D.1, p. 306), 1460 (D.1, p. 32).
17 Pas de signe certain d’une plantation préférentielle en bordure des rivières selon l’hypothèse de R. Dion.
18 L. Musset, Signification et destinée des domaines excentriques pour les abbayes de la moitié septentrionale de la Gaule jusqu’au XIe s., in Sous la règle de S. Benoît, 1982, p. 167-182. H. Van Werveke, Comment les établissements religieux belges se procuraient du vin au Moyen Âge, RBPH, 1923, p. 643-662. On a particulièrement étudié le cas d’abbayes du Hainaut et du Cambrésis : S. Lebecq, Vignes et vins de Vaucelles. Une esquisse, in Flaran 11, p. 181-206. Cf. note 74.
19 D’après les comptes de l’Hôtel-Dieu d’Amiens (E 117 et D.2, p. 65), en 1459 : 18 000 échalas pour 3 journaux de vigne, coût : 4 l. 17 s. ; ou 20 700 pour 3,5 l. ; les échalas peuvent avoir 7 pieds de long ; risques de vol (D.2, p. 40). Les osiers sont utilisés pour les treilles (J.-M. Richard, Thierry de Hireçon, agriculteur artésien (13..-1328), BEC, 1892, p. 378-604. Aussi R. Fossier, Chartes de coutume, p. 23, 69.
20 J.-M. Richard, loc. cit., p. 385 ; les treilles peuvent être fixées aux murs.
21 On fixe un bâton dans la gueule des chiens pour les empêcher de passer dans les rangs (D.2, p. 93 et suiv.).
22 Signes de murs ou de haies mortes : 1245-1248 (Y, fol. 7-9), 1267 (Somme E 270), 1277 (Q1, fol. 7v).
23 Attenante à un manse, 970 (K, fol. 38), 1168 (K, fol. 11), 1271 (X, fol. 29) ; à une « cour », 1206 (A2), 1293 (N, fol. 128) ; parfois adjointe à un courtil.
24 S. Lebecq pour Vaucelles.
25 Entre 1211 et 1250, douze exemples de 3/4 de journal à 3 (Y, fol. 7-9 ; Hl, fol. 116 ; W, fol. 69v ; El, fol. 554, 555, Ο, P2, fol. 68, 405 ; BM Amiens 1077, fol. 1 ; D.1 p. 321). Entre 1459 et 1493 une quinzaine d’exemples : D.1, p. 27, 169, 221, 252, 262, 305, 436. Les exemples plus anciens donnent des surfaces plus vastes : en 1078, 36 journaux (H2, fol. 69), mais en combien de pièces ? De même le cas aberrant de 1277 : 120 journaux (F1, fol. 72v). Un bon exemple de 1360 : 74 journaux en 143 pièces, donc bien une moyenne de 2 journaux environ (Somme 4G2307).
26 Cf. liste des manuscrits en tête.
27 Des milites : 957 (date très précoce dans la région) (K, fol. 32), 1195 (Al, fol. 81v), 1224 (P2, fol. 44) ; le comte de Vermandois : 970 (W, fol. 69v) ; celui de Clermont : 1145 (El, fol. 549), les sires de Boves : 1078 (A2, fol. 69), 1249, 1254, 1256 (P2, fol. 40, 46) ; le châtelain de Péronne : 1090 (N2, fol. 190) ; celui de Poix, un Tirel : 1207, 1231 (R) ; un seigneur croisé, en 1238 (El, fol. 155). Pour les seigneurs de moindre importance, ils se répartissent : 2 entre 1125 et 1175, 15 entre 1176 et 1225, 12 avant 1300 ; en général des ventes ; un échange : 1243 (Hl, fol. 116) ; un pariage : 1193 (II, fol. 11) ; trois fois seulement il est indiqué qu’il s’agit d’un franc alleu : 1268 (II, fol. 64), 1271 (F1, fol. 72v), 1277 (F1, fol. 63v). On trouvera les données dans les actes : X, fol. 68 ; N2, fol. 206v ; T, fol. 439 ; Hl, fol. 162v ; N1, fol. 128 ; U, fol. 5v, 10 ; Somme E 270 ; Z, fol. 1 ; El, fol. 549-551, 555 ; F1, fol. 22v, 72v ; F2, fol. 53v, 54 ; 13H4, fol. 66 ; B, fol. 28v ; P2, fol. 20, 44, 58.
28 Clerc, curé, chanoine : 1105 (C), 1214 (V, fol. 169), 1231 (El, fol. 544), 1232 (El, fol. 554) ; bourgeois : 1206 (date assez précoce) (P2, fol. 68), 1226 (P2, fol. 44v), 1271 (X, fol. 29).
29 Sur les dîmes : 1222 (F2, fol. 54), 1248 (B, fol. 38), 1294 (Dl, p. 227). Sur les prix ou les cens : 1090 (N2, fol. 190), 1206 (P2, fol. 68), 1207 (R), 1226 (El, fol. 552), 1339 (D1, p. 374). Sur les taxes de circulation : 1237 (Q1, fol. 17v), 1239 (M), 1250 (BM Amiens 1077, fol. 54), 1313 (M).
30 Le polyptyque du chapitre d’Amiens est dans A2 ; actes de 970 (Y, fol. 44v), de 1189 (Al, fol. 59v).
31 1147 (El, fol. 545), 1226, 1231, 1233 (Al, fol. 175v), 1240, 1242 (El, fol. 552, 554-5), 1250 (P1). Censitaire ne travaillant pas forcément lui-même la vigne, un chevalier : 1195 (Al, fol. 16v, 18v) ; un maire : 1186 (El, fol. 550), 1230 (BM Amiens, 1077, fol. 1), et même le sire de Boves, 1290 (P1). La durée des baux échappe : un viager en 1224 (P2, fol. 44).
32 Tenue en fief : 1173, 1175 (Al, fol. 16v, 18v). Paiement de relief féodal de 6 d. le setier de terre.
33 Échange dotal : 1211, 1225, 1236 dans Al, fol. 175v ; El, fol. 155) ; P2, fol. 68). Partie de douaire : 1240 (P2, fol. 154). Le testament du sire de Villers-Guislain est dans BNF, Nouv. acq. lat. 927.
34 1146 : 3 d., 1147 : 1 tonneau (El, fol. 549), 1214 : 6 l. de Laon sur 4 vignes ( ?) (V, fol. 159).
35 Le journal accensé à 52 s. (1390), 42 et 24 s. (1430), 24 et 42 s. (1450), 48 s. (1460), 46 s. (1462) ; mais au XVIe siècle, la chute est marquée en raison de la non rentabilité de la culture :12 s. vers 1548 (D.2).
36 Philippe de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, A. Salmon éd., Paris, 1899, liv. XXVII, par. 778. Des prix sont inutilisables : vignes vendues avec une « cour » (en 1271 : 937 l. (X, fol. 29), en 1293 : 520 l. (NI, fol. 128) ; parfois des prix sans surface : El, fol. 550-5. Le journal (ou l’arpent ?) est estimé 24 l. de par. en 1220 (Al, fol. 175v), en 1229 : 26 l. (P2, fol. 84), en 1238 : 36 l. (El, fol. 556), en 1245 : 25 l. 10 s. (Dl, p. 321).
37 D’après D1, p. 27 sq., de 14 à 28 l. de 1473 à 1475, 9 à 11 seulement de 1492 à 1498.
38 Les magni hommes qui gênent Froidmont en 1288 (Oise G223), les salaires du Saint-Sépulcre vers 1298 (Nord 3H1016). Allusion sans référence de D.2 pour un statut dès 1286.
39 Frais de 13 s. 4 d. par. (J.-M. Richard, Thierry…, loc. cit.).
40 L’Hôtel-Dieu d’Amiens paye 31 l. 12 s. en 1459 (mais on ignore le nombre des travailleurs), 41. 17 s. pour les échalas (v. note 19) (D2, p. 79 et suiv.). En 1284, Saint-Quentin en l’Île annonce 100 l. de frais de façon (X, fol. 58-61). G. Fourquin estime en Île de France, vers 1285-1340, les frais de 150 à 300 l. pour dix arpents.
41 Le statut est aux AM Amiens, BB10, fol. 185. Il faut payer 1 l. pour le chef d’œuvre, 1 s. l’an pour le preneur de vigne, 6 d. pour le simple travailleur.
42 K. Bartsch, Romances et pastourelles françaises des XIIe et XIIIe s., Leipzig, 1870, n° 70, 195, vers 19-20 : Abuvrez a un grant hanap de fust / li vin formentiex que ma dame n’el refust.
43 Beaumanoir, XXVII, par. 790 : le muid de formentel à 12 s., le morillon à 9 s., le gouais à 6 s.
44 Pour le repas de Guines, R. Dion, Grands traits d’une géographie viticole de la France, Publ. Soc. de Géog. de Lille, 1948-49. Dans les comptes de Saint-Lazare d’Amiens le morillon est jugé le meilleur (en 1403, D2, p. 90).
45 « Messier » en 1279 (BNF, Lat. 10112, fol. 350) ; le vidame présent en 1410 (D1, p. 324). Le montant de la dîme, peut-être prélevée sur place, se tient entre 1/10e et l/13e (1218, 1222, 1294 : D1, p. 185, 227). Les conflits de banvin sont très rares : 1200, 1218 (AM Amiens AA1, fol. 152), Beaurain (Rodière 29-30).
46 Au XVe siècle, les femmes sont payées 8 d. la journée, les hottiers 9 s. (AM Amiens, BB 8, fol. 132, 185), Dl, p. 324 ; mais en Île de France G. Fourquin relève 16 et même 24 s. pour les coupeuses.
47 Onze pressoirs au XIIIe siècle (dans I1, fol. 12 ; Y, fol. 7-9 ; N1, fol. 122v ; X, fol. 65v ; Nord 1H1757, fol. 69 ; Oise G 1732, H 114, 172, 4650, D1). Dès le XIIe siècle, indications de banalité du pressoir avec procès à ce sujet (1143, 1184 : D1, p. 291, 297). Les frais d’entretien sont lourds : en 1345 un pressoir tout étoffé coûte 30 florins ; l’entretien annuel nécessite de l’huile (2,5 l. en 1393, et 12 s. de surveillance : D1, p. 268) sans compter les salaires des fouleurs : 2 s. par jour en 1393 et 1410. On installe parfois des pressoirs volants aux carrefours (cf. A. Demangeon). La banalité reste au l/9e (D2, p. 160).
48 Travail au noir autorisé en 1447 (AM Amiens, AA 13), mais les comptes de 1393 prévoient 2 s. de chandelle par jour durant la vendange (ibid., BB 8).
49 En 1147, le comte de Clermont prévoit de réduire de moitié sa rente sur Le Gard en cas de mauvaise récolte (El, fol. 549) ; en 1193 l’archidiacre d’Amiens s’engage à donner aux mansionarii du « bon vin » (Al, fol. 59v ; 1284 : X, fol. 58).
50 Comptes de 1393 à 1404 dans AM Amiens, BB, fol. 172-181 : 32 muids (1393), 9 (1394), 32 (1397), 29 (1398), 28 (1400), 32 (1402), 68 (1404), toujours pour un clos de 3 journaux.
51 Voir notes 1 et 2. Saint-Bertin réclame 24 chars et demi ; d’après le polyptyque de Prüm le char équivaudrait à 15 muids de 75 litres au moins, soit un total d’environ 250 hl, que Devroey juge le surplus de la production. Mesures dans Beaumanoir, par. 751.
52 Pour Vaucelles, cf. S. Lebecq ; pour Cambrai : Nord 3H1016-1017. En 1401 il est entré à Amiens 1580 tonneaux, soit environ 12 000 hl pour 2 700 feux (D2, p. 385).
53 U, fol. 5v, 10 ; R ; P1, fol. 40.
54 AM Amiens, BB 8. Il faut ajouter 1 muid de verjus.
55 Hl, fol. 28, H2, fol. 69. Je prends la valeur du bonnier à 1,2 ou 1,3 ha. À Chartres de 15 à 20 hl., en Anjou 20 à 22, en Île de France 8 à 35, au Toulousain 20 à 30, en Lorraine 5 à 10.
56 Cf. Flaran 11, et M. Lachiver.
57 A. Demangeon (d’après une donnée de 1892).
58 Dès 1193 versement « en bon vin » (A1, fol. 59v). Pour Picquigny, C. de Tourtier, Le péage de Picquigny au Moyen Âge, Bull, philol. et hist., 1960, p. 271-284 ; pour le vin jeté dans l’Oise à Bohéries : Aisne IG288, fol. 67. Les actes des comtes de Ponthieu sont les nos 243 et 372 de l’édition de C. Brunel, Les actes des comtes de Pontieu, 1923 ; cf. Y. Renouard, Le vin vieux au Moyen Âge, Annales du Midi, 1964, p. 447-451. Pour les Anglais, D1, p. 167. On notera cependant qu’en 1489 (D1, p. 326) un « ponchon de vin vieux », environ 4 muids, est vendu presque 4 l., proche des prix du vin nouveau.
59 D2 donne des prix de 1 livre et demie le muid pour le vin de Somme, 2 pour celui de Beauvais, 5 pour celui d’Auxerre, 6 pour le Beaune, 8 pour l’Alicante entre 1380 et 1430 ; aux mêmes temps, G. Fourquin donne 3 l. pour le vin d’île de France, 6 pour celui de Bourgogne, et Le Mené, 5 à 10 pour le vin de Touraine. En Picardie le coût varie aussi en fonction de la nature du vin : « en bas de cuve » le muid n’est qu’à 5 s. en 1393, 2 s’il est vendu au broc sur place, mais 3 l. en taverne vers 1402-1408 (D1, p. 214, 404).
60 « Avaleurs » en 1239, mais à Cambrai et pour des vins importés (Dl, p. 12) ; « goûteurs » de l’évêque d’Amiens en 1301 (Dl, p. 249) ; « jaugeurs » assistés de deux échevins en 1344 (D2, p. 314).
61 Voir note 44.
62 1402, 1448, 1490 dans Dl, p. 265, 325, 404.
63 Dans le polyptyque du chapitre d’Amiens en 1206 (A2), lié curieusement à l’énumération des « courtils ».
64 Le salage n’est pas économique : en 1325 Thierry d’Hireçon achète 10 boisseaux de sel à 9 d. le boisseau ; sur une vente de 14 s. de parisis de verjus le prix du sel est de 7 s. : J.-M. Richard, Thierry…, loc.cit.
65 Ibid.
66 Dans la récolte de 1393 plusieurs fois citée il est indiqué qu’il a été vendangé 32 muids dont 4 de verjus.
67 La plupart de ces données pour 1428 sont dans D1, p. 304 et D2, p. 161.
68 Dans J.-M. Richard, Thierry…, 68 lots (d’1,03 l), pour 3 s. 6 d. ; et 420 pour 14 s. ; dans les deux cas : environ 3,5 d. le muid.
69 Manger et boire au Moyen Âge, Colloque de Nice 1982, 2 vol., Nice, 1984 ; ou B. Laurioux, Le Moyen Âge à table, Paris, 1989. La vente de diverses boissons en taverne est autorisée en 1340 à Amiens.
70 Tavernes d’Amiens : D2, p. 385. Sur les quadrilobes de la cathédrale, le mois de février montre un broc à côté d’un paysan. Peu de renseignements sur les celliers : lors du sac d’Hesdin en 1313 il fut trouvé 39 tonneaux de vin, mais de provenances diverses : J.-M. Richard, Thierry…
71 Voir note 52.
72 Rations de 1,4 ou 1,5 litre pour les moines de Saint-Denis, 0,6 ou 1,4 litre pour des travailleurs laïcs.
73 Au broc, en 1402 et 1408, les ventes peuvent atteindre 3 l. 10 s. le muid (D1, p. 214, 404).
74 Dans une littérature pléthorique, on signalera : A. Lesort, Le trafic du vin sur l’Oise au Moyen Âge, Bull, philol. et hist., 1960, p. 295-302 ; J. Massiet du Biest, Les ports fluviaux et les chemins de l’eau à Amiens, Mém. de la soc. des Antiq. de Picardie, 1954, p. 232-280.
75 Les vins d’Auxerre, de Beaune, de « France » remontent l’Oise jusqu’à Compiègne, et gagnent Roye, Bapaume (éventuellement Amiens) ; les vins de La Rochelle, de Gascogne, du Portugal viennent par mer jusqu’à l’embouchure de la Somme.
76 R. Dion.
77 R. Doehaerd, Le tonlieu d’Arras, Mém.-bull. de l’Académie d’Arras, 1943-46, p. 157-193 ; N. Dupire et É. Perroy, Deux tarifs de tonlieu de Cambrai RN, 1935, p. 185-208 ; J. Finot, Le commerce entre la France et la Flandre au Moyen Âge d’après les tarifs du péage de Bapaume, sd. ; J. Godard, Un tarif de tonlieu de Bapaume au XVe s., in Mélanges Halphen, 1951, p. 123-134 ; J. Lestocquoy, Tonlieu et peuplement urbain à Arras aux XIIe et XIIIe s., AESC, 1955, p. 351-397 ; voir aussi C. de Tourtier. Pour le vin, la taxation à Bapaume en 1202 est de 6 d. le char, 2 la charrette vers la Flandre, 4 et 1 depuis la Flandre ; au XVe siècle, 8 s. le char et 4 la charrette dans les deux sens. À Amiens en 1185, 2 d. et une part en tonneaux au tonloier pour une charrette, le double pour le char, le quart pour le cheval seul. À Picquigny au XIIe siècle, le « bon vin » paye jusqu’à 8 s. le muid.
78 Aux frais de péage ajouter le paiement de l’aide, attesté en 1150 (BM Amiens, 1077, fol. 54), 1206 (A2), 1240 (P2, fol. 134) ; le montant peut atteindre entre 16 et 30 s. l’an. Le vinage de Nesle est estimé ainsi à 44 l. 6 s. en 1240 et le total de l’aide du vin à Amiens en 1439 à 612 l.. Exemple de charges globales au XIVe siècle dans D2, p. 313 : un ponchon (environ 4 muids) paye une moyenne de 1 s. 6 d. le muid, et le coût de vente est de 6 à 10 s. ; il est vrai qu’ultérieurement la charge fiscale augmente : à Amiens au XVe siècle, la charge sur les bateaux ou la décharge coûte 4 s. le tonneau de 10 muids.
79 S. Lebecq indique des exemptions pour Vaucelles obtenues de 1139 à 1228 à Saint-Quentin, Ham, Ribémont, Guines, Nesle, Avesnes, Valenciennes, Saint-Omer.
80 L’acte de 1094 est dans R. Fossier, Cartulaire chronique du prieuré Saint-Georges d’Hesdin, Paris, 1989, no 89 ; en 1195, le sire de Boves taxe à Athies les vins de Corbie (H2, p. 69) ; et le forage au détail (2 d. le tonneau de 10 muids) est régulièrement levé sur les domaines des chanoines d’Amiens (polyptyque cité supra).
81 J. Finot. Le vin destiné à être consommé sur place en campagne autour de Corbie est déchargé à Dreuil, Breilly, Tirancourt, Argoeuves de part et d’autre d’Amiens.
82 R. Dion (encore 35 000 hl à Beauvais au XVIIIe siècle), M. Lachiver, Le Mené.
83 En Anjou rapport de 18 %, en Lorraine de 13 %. Dans l’exemple amiénois de 1459 (D2, p. 64) : façons 30 l. 8 s. + prouvains, échalas, fétus 6 l. 2 s., + vendange 5 l. 12 s. + frais de pressoirs 4 l. 6 s. pour 3 journaux de vigne, soit 46 l. 8 s., environ 15 l. le journal ; la production étant de 32 muids et le muid à environ 15 s., le produit atteindra plus de 8 l. ; l’ajout de la dîme, du vinage et du forage ramènera à 5 l. et demie ou 6 environ le bénéfice brut de l’exploitation, par rapport à un capital investi de 20 l. environ.
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