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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral La coercition exercée sur les biens La question du recouvrement des dettes Luxe et culture matérielle au xive siècle La valeur des objets mobiliers : problématique du prêt sur gage Annexe Notes de bas de page Auteur

    Objets sous contrainte

    Ce livre est recensé par

    • Simone Balossino, Médiévales, mis en ligne le 19 décembre 2015. URL : https://journals.openedition.org/medievales/7661 ; DOI : https://doi.org/10.4000/medievales.7661
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    Table des matières

    Les biens comme otages

    Quelques aspects du processus de recouvrement des dettes à Lucques et à Marseille à la fin du Moyen Âge

    Daniel Lord Smail

    p. 365-383

    Texte intégral La coercition exercée sur les biens La question du recouvrement des dettes Luxe et culture matérielle au xive siècle La valeur des objets mobiliers : problématique du prêt sur gage Recouvrer des dettes Saisies et prêts sur gage Annexe ANNEXE Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1L’histoire des contraintes et des coercitions a été une histoire de forces agissant sur le corps humain. C’est une histoire qui renvoie à la sociologie du pouvoir décrite par M. Weber en 1919, lorsqu’il définit l’État comme « une communauté humaine qui revendique avec succès le monopole de l’utilisation légitime de la contrainte physique sur un territoire donné1 ». On ne trouve rien dans la formulation de M. Weber de nature à limiter l’histoire de la justice et de l’État à la simple force exercée sur le corps humain. Dans les faits, cependant, les études portant sur le droit, la justice et la violence dans l’Europe de la fin du Moyen Âge se fondent sur l’hypothèse selon laquelle la seule force notable est celle qui s’exerçait sur les corps des criminels, en priorité des êtres humains, occasionnellement des porcs et autres animaux. Pour cette raison, les histoires de la force coercitive ont été des histoires politiques se focalisant sur la répression de la violence, du vol et de la déviance2. Elles décrivent la façon dont la construction de la souveraineté est un processus ayant généré tout un éventail de dispositifs pénaux allant du maintien de l’ordre, de l’emprisonnement, de la torture et du bannissement jusqu’à de terrifiants et saisissants spectacles d’exécution et de mutilation (parfois assortis d’actes de grâce3).

    La coercition exercée sur les biens

    2En s’appuyant sur les archives judiciaires de Lucques et Marseille pour le xive siècle, la présente contribution entend montrer comment les biens, au moins autant que les corps, étaient sujets à des formes de coercition et de contrainte judiciaires. Les biens étaient soumis à des mesures coercitives dans le cadre de procédures criminelles à chaque fois que des agents du tribunal saisissaient les possessions des hommes ou femmes exilé-e-s pour crime. À Lucques, les biens des rebelles et ennemis de la commune ou de ses maîtres étaient régulièrement pillés et vendus aux enchères4. De manière plus notable encore, les biens étaient soumis à des mesures coercitives durant le processus quotidien de recouvrement des dettes à chaque fois qu’ils étaient saisis en gage (lat. pignus, sazimentum, ou preda)5. Une fois saisis de la maison des débiteurs, les biens étaient transférés en possession aux créanciers qui les retenaient en otage avant d’être parfois rachetés par les débiteurs ou leurs amis ou, occasionnellement, vendus aux enchères au plus offrant. Le procédé de recouvrement des dettes à l’origine de ces saisies était très différent de la procédure du contentieux. Ce dernier, qui englobait également les dettes, était beaucoup plus onéreux et chronophage, et nécessaire uniquement en cas de contestation. Le simple recouvrement des dettes, à l’inverse, reposait sur une réclamation au-dessus de tout soupçon, ou assez souvent sur une réclamation que les débiteurs choisissaient de ne pas contester, hésitant à ajouter au fardeau de leur dette actuelle les frais de justice d’un dossier perdu d’avance. Parmi les créanciers qui utilisaient les services de la cour pour le recouvrement des dettes on trouvait des propriétaires fonciers en quête de loyers impayés, des prêteurs comptant récupérer les sommes prêtées et des partenaires commerciaux réclamant leur dû. Lorsqu’il s’agissait de commerce, certaines sommes pouvaient être très élevées, jusqu’à 500 florins à Lucques, mais la procédure de recouvrement concernait également des sommes bien moins importantes, de l’ordre d’un ou deux florins. Selon toute vraisemblance, ces dettes n’étaient pas liées à de l’usure ou du commerce. Bon nombre d’entre elles semblent résulter d’une accumulation de crédits contractés à l’occasion de petits achats auprès de commerçants ou de fournisseurs qui les consignaient dans leurs livres de compte. Pour d’autres, il pouvait s’agir d’une aide d’urgence proposée par des amis ou des voisins ou bien de ces petits emprunts saisonniers nécessaires dans un monde agraire. Un volume considérable de crédit était accordé dans l’Europe de la fin du Moyen Âge par le biais de ces dispositifs de prêts à petite échelle dont nous commençons à peine à saisir l’impact économique6.

    3La coercition judiciaire des biens remplissait une fonction économique non négligeable. Grâce à la culture matérielle florissante du bas Moyen Âge, les biens domestiques constituaient un précieux stock d’actifs. Bien que ces actifs ne présentaient apparemment pas le même avantage que l’argent liquide, ils assuraient une importante fonction économique au titre de garantie des dettes. Pour cette raison, les biens étaient essentiels à l’essor du crédit à la consommation dans les grandes villes de l’Europe méditerranéenne, cheville ouvrière de l’interaction entre le crédit et la consommation de luxe. Des actions de coercition judiciaire ont liquidé les stocks de valeur accumulés dans les maisonnées sous forme de biens. Lorsque des agents de la cour saisissaient des biens et les remettaient de force en circulation, ou lorsque la menace d’une telle action obligeait les propriétaires à liquider leurs propres biens dans les enchères privées, les biens en question jouaient en quelque sorte le rôle de monnaie pratique. Cette quasi-fonction monétaire des biens convenait parfaitement à ce monde où le volume de pièces d’or, d’argent et de petites coupures était souvent insuffisant.

    4La coercition judiciaire, cependant, n’était pas simplement économique de par son orientation. Cela avait également des implications politiques ou sociales. Les biens de luxe étaient des cibles de coercition privilégiées car tout comme les biens immobiliers, ils représentaient des investissements en termes d’honneur et de distinction. Ils servaient également de prolongement de soi. Les éléments saisis dans les foyers des débiteurs à Lucques comme à Marseille (tuniques, tabards, vêtements sophistiqués en soie et parés de fourrure, ceintures d’argent, colliers, carafes, matelas, draps, couvertures et coussins) n’étaient pas totalement distincts des personnes et des familles les possédant. Tout comme les otages du monde féodal, ils pouvaient servir de substitut à la personne du débiteur. De cette façon, la violence et l’humiliation inhérentes au système du recouvrement des dettes se trouvaient reportées vers les objets.

    La question du recouvrement des dettes

    5Les histoires de la justice pénale ont toujours supposé, sans grande réflexion, que les tribunaux exerçaient une violence particulière sur les corps humains et que la souveraineté politique reposait sur un monopole d’État de la violence toujours croissant. Loin de nous l’idée de nier que les tribunaux n’aient jamais eu cette fonction. Les archives des cours pénales des deux villes offrent des spectacles saisissants d’emprisonnement, de torture, de bannissement, de mutilation et d’exécution, mais à côté de cela, les archives des cours civiles fournissent une quantité incroyable de témoignages concernant les processus de recouvrement des dettes. Nous pouvons alors comparer les deux domaines d’activité judiciaire – la surveillance du crime d’une part et la gestion de la dette d’autre part – et nous poser la question suivante : quel secteur prédominait ? La réponse est facile à trouver. Les cours pénales de Marseille et de Lucques, des villes comptant environ 20 000 à 25 000 habitants, n’ont pas généré plus de 250 à 500 enquêtes par an7. Les actions à l’origine d’un simple recouvrement des dettes étaient beaucoup plus courantes. Dans les années 1330, pour lesquelles nous disposons d’archives particulièrement complètes, on estime le nombre minimum absolu d’actes de saisie par an pour Lucques et sa région à 1 7738. Les archives plus fragmentaires de Marseille montrent une tendance similaire. En plus, l’on peut y ajouter un nombre important d’actes de litige et d’incarcérations pour dette, dont la fréquence augmente au cours du xive siècle et qui rivalise en importance avec ce que l’on observe des saisies. Le recouvrement des dettes, en résumé, constituait de loin le secteur le plus lourd de l’activité des tribunaux, dépassant facilement la justice pénale. Le recouvrement des dettes, et non la régulation du crime, était le moteur au cœur de l’expansion de l’infrastructure judiciaire dans des villes méditerranéennes à la fin du Moyen Âge comme Lucques et Marseille.

    6C’est une revendication tendancieuse qui exige davantage de preuves que nous ne pouvons en proposer dans cette brève contribution. Néanmoins, l’ampleur du phénomène de recouvrement des dettes montre à quel point l’histoire de la justice ne peut et ne doit pas être écrite en dehors de toute considération économique. La richesse de la culture matérielle du bas Moyen Âge apparaît clairement dans les registres de recouvrement des dettes ; il est impossible de les lire sans être ébloui par l’opulence de certaines maisonnées ciblées, d’autant plus qu’il s’agissait de maisonnées de débiteurs : imaginons alors l’ameublement des gens aisés… Mais en intégrant la donnée économique à nos histoires de la justice, il ne faut pas succomber à la tentation de ne voir le recouvrement de dettes, dans une perspective biaisée, que comme un simple calcul de bénéfices : c’était un spectacle humiliant, et il était voulu comme tel. L’humiliation n’était pas seulement fondée sur la publicité entourant la transaction. Il arrivait que les gens s’investissent émotionnellement dans leurs possessions9. Dès lors, un objet de la maisonnée qui était saisi et transporté vers celle d’un créancier pouvait susciter des émotions qui n’étaient sans doute pas sans rappeler celles éprouvées après la capture et la détention d’un otage par un personnage puissant. La liquidation de la dette ne marquait pas nécessairement la fin d’une relation entre créancier et débiteur. Là où des objets domestiques étaient en jeu, l’on pourrait considérer qu’il s’agissait du point médian d’une série de transactions plus complexe. Pour bien comprendre le contexte émotionnel du recouvrement des dettes, il ne faut donc pas traiter les personnes et les choses comme des entités totalement distinctes, occupant des plans d’existence différents. Nous devons considérer les personnes et les choses comme ayant la même capacité à servir d’objets de coercition.

    Luxe et culture matérielle au xive siècle

    7Le xive siècle était un siècle de luxe : un âge doré, pour reprendre l’image proposée par S. M. Stuard10. C’est le xive siècle, selon F. Braudel, qui vit la naissance de la mode et l’introduction d’une nouvelle manière de consommer qui allait forger l’unité de la période allant de 1400 à la veille de la Révolution française11. C’est un âge pendant lequel les biens de prestige se sont échappés du contrôle des élites séculaires et ecclésiastiques. Cette tendance suscitait les commentaires des chroniqueurs prompts à encenser la richesse de leurs cités. Elle encourageait également les sermons moralisateurs condamnant les objets de luxe, et les lois somptuaires limitant leur circulation12.

    8La vague croissante des sermons et des lois somptuaires révèle avec acuité des modes de consommation que les inventaires de maisonnées de nobles, de négociants, d’artisans et même de paysans ou d’ouvriers esquissaient. À titre d’exemple, prenons l’inventaire de Guilhem Pichon, drapier marseillais mort en mars 1348 au plus fort de la Peste noire13. Comme à l’accoutumée, cet inventaire est dressé pièce par pièce : d’une belle écriture calligraphique, le notaire établit la liste des articles de la maisonnée de Guilhem Pichon avec une obsession du détail, consignant absolument tout, de plusieurs grands lits et d’une grande commode peinte contenant deux oreillers de soie à deux vieilles bottes et un panier à pain. Guilhem Pichon était un homme relativement quelconque ; il ne possédait pas de biens immobiliers à l’exception de sa maison. Même si l’une de ses deux filles avait les moyens nécessaires pour entrer au couvent six ans après la mort de son père, on découvre parmi les familiers de ce dernier, à en juger par les deux actes notariés dans lesquels son nom figure, un charpentier, un canevassier et deux capitaines de bateaux. Cependant, sa maison regorgeait d’objets de luxe et de biens précieux de toutes sortes. Dans l’inventaire, on trouve des colliers de perles, des ceintures d’argent, des bourses de soie, des couvertures de soie, un rosaire fait d’ambre et des vêtements à la mode parés de fourrure. Dans d’autres inventaires, on trouve également ce type d’objets ainsi que d’autres : des tissus de sindon et des damas précieux, des bagues en or et gobelets incrustés de perles et pierres précieuses, des manchons pour dames décorés de boutons en argent plaqués d’or, de la vaisselle fine en cuivre… – et la liste continue.

    9Les inventaires après décès ouvrent des perspectives fascinantes sur la culture matérielle de l’époque mais on peut également aborder cette thématique à travers les archives du recouvrement des dettes. Il est vrai que les inventaires des biens saisis lors d’une procédure de recouvrement de dettes ne mentionnent qu’une partie des biens trouvés dans une maisonnée donnée. Cependant, la restriction de l’échantillonnage est compensée par la richesse des archives. À Lucques, on trouve des centaines de registres relatifs au recouvrement des dettes, auxquels s’ajoutent plusieurs dizaines de milliers de commandements de saisie individuels. Bon nombre de ces archives concernent des produits « en gros », notamment des aliments comme le vin, le grain, l’huile d’olive et les fèves, mais on trouve également dans cet ensemble de nombreux objets personnels. En janvier 1333, par exemple, un sergent-crieur de la cour saisit une tunique et un tabard mi-parti de la maison de Niccolò Guattini pour une dette non déclarée. Quelques jours plus tard, un sergent-crieur prit un manteau vert-bleu pour dame, paré de fine mousseline jaune de la maison de Landuccio, fils de feu Orlando Vini, pour une dette de 40 sous14. Ces exemples ne sont que deux parmi plusieurs milliers de descriptions d’articles extrêmement personnels saisis pour dette.

    10Les articles domestiques pouvaient se révéler étonnamment précieux. En 1422, une Marseillaise aisée du nom de Johaneta Saure, dont le défunt mari lui devait plus de 1 500 florins pour sa dot et autres dettes, demanda à la cour de procéder à une estimation détaillée des biens de son mari15. L’inventaire fait état d’un manteau écarlate, paré de vair, que les assesseurs ont estimé à 28 florins. Une houppelande grise faite de soie a été évaluée à 25 florins. On peut comparer ces montants à ceux donnés pour l’une des propriétés agricoles figurant dans le même inventaire (25 florins) et pour une maison tout entière, équipée d’un four (31,25 florins). Certes, ces deux vêtements étaient du plus haut de gamme. Le manteau de Landuccio, saisi à Lucques pour une dette de 40 sous, pas même un florin, est d’une valeur plus proche de celle usuellement attribuée à de nombreux articles vestimentaires16. Tout de même, le total des investissements domestiques en biens mobiliers avait souvent une valeur proche du total investi en maisons et en terres. À titre d’exemple, à Marseille, dans le sillon de la seconde épidémie de peste de 1361-1362, on a réalisé un inventaire des biens d’un paysan urbain du nom de Raymon Cadel, mort en laissant derrière lui de nombreuses dettes17. L’inventaire révéla de nombreuses propriétés, dont une douzaine de champs et de vignes et deux maisons – une troisième maison était considérée sans valeur. On estima ces propriétés à 575 livres. Ceux qui réalisèrent l’inventaire ont par ailleurs trouvé des biens mobiliers d’une valeur de 408 livres18. Parfois, la valeur des biens mobiliers pouvait dépasser celle des biens immobiliers : un inventaire datant de 1422 évaluait les propriétés immobilières à 122 livres et les biens mobiliers à 414 livres et 8 sous19.

    La valeur des objets mobiliers : problématique du prêt sur gage

    11Les biens mobiliers constituaient clairement un ensemble d’actifs non négligeable, capable de rivaliser avec les biens immobiliers. La fonction bancaire des biens s’observe à travers l’existence d’un système bien huilé de liquidation des actifs lorsque cela s’avère nécessaire. À Marseille, on trouve plusieurs individus s’étant présentés comme professionnels de la revente, à savoir revenditor ou revenditrix. Il est cependant clair que la revente était principalement le fait des courtiers et des commissaires-priseurs (corraterii et inquantatores). La majorité des courtiers de Marseille était des juifs, comme nous le montrent les archives subsistant des serments qu’ils prêtaient tous les ans. Tout courtier devait être parrainé par un chrétien qui se portait caution de son honnêteté et mettait en gage ses propres biens en garantie du bon comportement du courtier20. Nous disposons de fascinants, bien que lacunaires, témoignages de vente aux enchères privée de biens21.

    12On pouvait également lever des liquidités en mettant ses biens au mont-de-piété. Autant que l’on sache, Marseille ne réglementait pas l’activité des prêteurs sur gage, et nous n’avons toujours pas trouvé d’archives des bureaux de gages de Lucques comme ceux que G. M. Varanini a pu étudier22. Mais il est possible de reconstituer certains aspects du système de prêt sur gage à partir de preuves disséminées dans toute une série de sources. L’inventaire produit pour Johaneta Saure, déjà citée plus haut, mettait en évidence l’existence d’une ceinture d’argent, de deux coupes d’argent et d’un gobelet d’argent laissés en gage auprès d’un courtier juif. Elle dut lui verser 27,5 florins pour racheter les biens23. Il semble que le système de prêt sur gage ait été étendu et complexe. Sur ses marges, comme l’a montré V. Toureille, il se confondait avec le système du recel des marchandises volées24. En outre, les débiteurs au bord de la faillite étaient fortement tentés de mettre leurs biens en gage avant que les créanciers ne mettent la main dessus. Pour un habitant de Lucques du nom de Giovanni Bettori, ce fut un espoir vain, dans la mesure où la cour de Lucques n’eut aucune difficulté à découvrir les biens qu’il avait mis en gage à l’approche de sa faillite en 134125. Un sergent fut dépêché pour les saisir, et le malheureux prêteur sur gage ne fut que partiellement rémunéré pour ses pertes. Parmi les articles qu’il avait laissés en gage, on trouvait un tabard, un manteau mi-parti fait dans le même tissu que le tabard et formant un ensemble, un jupon, un petit matelas, un petit oreiller, une jupe (unam guibbam) faite de fine mousseline et quelque peu déchirée, un surcot pour dame rouge sang, une large bourse de soie avec une parure de luxe et un tabard pour enfant fait de soie. Pour ces articles, Giovanni Bettori avait reçu 7 florins et 20 sous, qu’il emporta probablement avec lui en exil. À côté des prêteurs sur gage professionnels, on trouvait amis, parents et voisins qui prêtaient de l’argent pour aider leurs amis. Les inventaires et autres sources font également état de nombreux cas de biens laissés en gage à cette intention. Dans son testament de 1358, une noble marseillaise, Douselina de Rocafort, reconnaissait une dette de 12 livres à un membre de sa famille : le testament mentionne qu’elle a laissé en gage un matelas, un oreiller, un couvre-lit matelassé et un bassin26.

    Recouvrer des dettes

    13Le bassin était inhabituel. Même si les sources sont fragmentaires, il est clair que les articles laissés en gage étaient typiquement des objets personnels ou d’un luxe haut de gamme plutôt que d’indescriptibles bassins. Les articles d’argent laissés en gage par l’époux de Johaneta Saure ou bien les tabards et vêtements laissés en gage par Giovanni Bettori en sont des exemples classiques. À la mort de Guilhem de Cavalhon, un impécunieux noble marseillais, en 1405, sa femme, Massileta, dut mettre en gage trois objets pour payer la cire de ses funérailles. Le premier était un manteau pourpre paré de vair mis en gage auprès d’un chrétien en échange de 12 florins. Les deux articles suivants étaient laissés à Resens Cambale, l’une des marchandes les plus redoutables de Marseille, pour un montant non précisé dans le registre ; l’un était un manteau gris bordé d’une mousseline d’un beau rouge ; l’autre un manteau gris pour dame27. Parmi d’autres articles laissés en gage à Marseille, on trouvait également des manteaux écarlates, des couronnes d’argent serties de perles, une ceinture d’argent ainsi que d’autres objets en argent. Les inventaires nous montrent également que les maisonnées comprenaient de nombreux biens moins personnels comme la vaisselle, les coffres de rangement et des meubles divers. Les registres de saisie montrent que les créanciers, au moins à Lucques, donnaient souvent comme instruction aux sergents de prélever les marchandises « de gros » sans aucune valeur personnelle intrinsèque. Mais les articles divers et impersonnels comme les aliments et les bassins, quelle que soit leur valeur, apparaissent rarement dans les dispositions de prêt sur gage privé. Les prêteurs sur gage et autres créanciers, y compris les amis et les proches du débiteur, insistaient typiquement sur les articles personnels, même les biens volumineux comme les lits et les accessoires de literie, car l’implication émotionnelle vis-à-vis de ces objets en augmentait la valeur.

    14Il semble que les biens constituaient des entités extrêmement mobiles dans les cités de la fin du Moyen Âge. Même si certains biens coulaient des jours relativement tranquilles dans les foyers de leurs propriétaires, d’autres circulaient dans la cité, restant parfois des semaines ou des mois dans d’autres maisonnées sous forme de gage. Au cours de leurs pérégrinations, les liens affectifs persistaient, instaurant alors des relations de dépendances entre les débiteurs et les proches, les amis et les créanciers. Tout comme des otages, ils rappelaient les obligations et garantissaient la bonne foi. De temps à autre, les débiteurs qui se sentaient grugés par le système cherchaient à récupérer leurs otages : en 1331 à Marseille, une femme du nom de Ponsa Peisoneria investit la maison du juif Isaac de Bagnols et reprit de force une cape (clamidem) qu’elle y avait laissée en gage, ce qui n’arrangea rien puisqu’elle fut condamnée à payer la petite somme de dix sous28. Les affaires comme celles-ci ne sont pas inhabituelles et elles trahissent la nervosité qui se cache derrière la nécessité de mettre en gage des effets personnels.

    15Passons maintenant aux procédures de recouvrement d’une dette. Grâce à d’excellentes nouvelles études, nous avons une bonne compréhension des procédures usitées dans la majeure partie de l’Europe au xive siècle29. Nous nous attacherons à décrire ici celle en vigueur à Lucques, pour lesquelles les témoignages sont exceptionnellement riches. Le processus commence lorsqu’un créancier se présente devant le tribunal afin de porter plainte (reclamum) pour la dette qui lui est due. Si les preuves étayant la plainte sont suffisantes, alors les biens du débiteur sont « annexés » (intesiantur) par la cour et confiés au consul local, officiel ayant la responsabilité d’un quartier ou d’un village30. Les documents produits à cette étape de la procédure indiquent que tous les biens du débiteur étaient susceptibles de saisie mais ils ciblent (et listent) des biens spécifiques équivalents à la dette due plus les frais de justice31. À ce stade, les biens n’étaient pas déplacés physiquement. Après deux ou trois jours, le créancier pouvait alors requérir « une autorisation de prédation » (licentia predandi) ou « une autorisation de capture » (licentia capiendi) à l’encontre du débiteur. Les notifications d’enregistrement de cette étape du processus constituent les mentions les plus courantes des registres des tribunaux de Lucques relatifs au recouvrement de dettes32. Si la prédation était retenue, un sergent-crieur (nuncius) était immédiatement dépêché sur place, il saisissait les biens et les remettait physiquement au consul. À son retour, il signalait la prédation au notaire du tribunal qui transcrivait la liste des articles saisis dans son registre journalier. Le débiteur disposait alors de trois jours pour payer la rançon pour les biens, sans quoi ils étaient cédés au créancier ou vendus aux enchères. À Marseille comme à Lucques, les règlements stipulaient que la vente aux enchères devait se dérouler dans des lieux usuels et habituels de façon à limiter la possibilité de fixation des prix. Toute la procédure s’accompagnait d’un maximum de publicité. Des crieurs accompagnés de tambours et trompettes annonçaient les étapes de la procédure devant la maison du débiteur et dans tout le quartier ou le village. Si le débiteur possédait ou louait plus d’une maison ou d’un atelier, la proclamation était répétée devant chacun des bâtiments33.

    16Les créanciers s’acquittaient préalablement des frais afférents à la saisie. Ces frais ne sont pas faciles à estimer car les archives ne couvraient typiquement que la saisie proprement dite. Il est possible que les agents des tribunaux lucquois aient voulu dissimuler au Trésor de la commune l’étendue des bénéfices qu’ils tiraient de leur travail. Les notaires de l’un des tribunaux de Lucques, la Curia Nuova di Giustizia e dell’Esecutore, semblent avoir facturé une somme forfaitaire d’un sou trois deniers pour enregistrer chaque acte d’annexion et trois sous quatre deniers pour enregistrer un acte d’annexion ayant débouché sur une saisie34 ; or il ne s’agissait que des frais de notaire. Un registre inhabituel conservé dans les séries de la cour de la Podestà datant des quatre derniers mois de 1369 consigne les recettes liées à des frais connus sous le nom de datia. Il s’agissait d’un droit de licence ; on le collectait à chaque établissement d’une licentia predandi. En 1369, la datia était fixée à deux deniers par livre de dette due.35 En plus de ces droits d’enregistrement et de licence, les consuls facturaient les créanciers pour la prise de biens en pension (accomodigia). Une entrée provenant d’un registre de 1336 indique qu’un consul facturait cinq sous pour une période de deux jours, et nous devons supposer que les consuls collectaient assidûment de tels droits dans tous les cas36. Citons également les sergents-crieurs et parfois même les porteurs – qui procédaient à proprement parler à la saisie – qui tous, à l’instar des notaires, tiraient habituellement la majeure partie de leurs revenus de l’émission d’actes et non de la perception d’un salaire fixe. Ces frais sont pratiquement invisibles. Heureusement, l’un des registres du Tribunal des rebelles et des bannis, datant de 1341-1342, fournit les échéanciers des versements aux notaires, sergents-crieurs et porteurs intervenus dans quelques affaires de saisie37. Ces frais n’étaient pas collectés selon un forfait mais variaient d’un minimum dépassant à peine 2 % de la valeur des biens saisis à un maximum de près de 18 %, la moyenne se situant juste au-dessous de 5 %. Ces variations ne sont pas faciles à expliquer. La quantité et le poids des biens saisis pouvaient jouer, de même que l’éloignement du tribunal. Comme on pouvait s’y attendre, les coûts des transactions n’augmentaient pas en fonction de la valeur des biens. À titre d’exemple, la saisie la plus élevée dans ce registre, d’un montant de 47 livres et 11 sous, n’engendra que 20 sous en frais de notaires, sergents-crieurs et porteurs, soit à peine plus de 2 % de la dette. Même si les circonstances ayant conduit aux saisies par ce tribunal particulier n’avaient rien à voir avec celles régentant les saisies quotidiennes pour dette, on peut tenir le chiffre de 5 % de la dette qui était due pour une estimation raisonnable des coûts moyens liés à l’exécution de la saisie.

    17Au tout début de la procédure comme tout au long de celle-ci, les débiteurs devaient procéder à des choix. Ils pouvaient soit s’acquitter de leur dette, soit laisser se dérouler l’annexion puis la saisie. Mais nous nous trouvons ici face à un surprenant paradoxe : grâce aux systèmes bien connus de la revente et du prêt sur gage, nous savons que les débiteurs n’avaient aucun mal à liquider leurs propres biens. Nous savons également que les débiteurs disposaient généralement d’un volume d’actifs largement suffisant pour rembourser leur dette : ainsi, il est rare de trouver un acte de saisie se concluant par un rapport du sergent-crieur signalant qu’il n’avait trouvé aucun bien38. Dès lors, le rôle du tribunal dans les saisies de biens était entièrement superflu.

    18Qu’est-ce qui aurait pu amener les débiteurs à pousser leurs créanciers vers les tribunaux et la voie de la saisie ? Une possibilité veut que l’humiliation infligée au débiteur ait été, en un sens, déduite de sa dette. Il est probable que des créanciers donnaient discrètement pour instruction aux sergents de ne pas saisir toute la valeur des biens, et les débiteurs, qui anticipaient cette possibilité, auraient pu choisir la voie de la saisie de façon à réduire leurs pertes pécuniaires au détriment de leur dignité. Dans les rares cas pour lesquels nous avons des preuves de ventes aux enchères, on observe que les estimations de départ fixées pour la vente étaient généralement inférieures aux sommes dues. Mais une autre manière d’explorer cette question – pourquoi les débiteurs laissaient-ils les saisies se dérouler ? – est de considérer le destin des biens saisis. Lorsque des biens étaient saisis à Lucques, ils étaient habituellement portés à la maison du consul de quartier qui les gardait trois jours. Durant ce laps de temps, le débiteur avait la possibilité de racheter son bien : une notification de saisie datée du 12 janvier 1333 a ainsi été raturée et une brève remarque indique que la saisie a été annulée par le créancier, très certainement parce que le débiteur avait racheté ses biens39. De nombreuses autres notifications s’accompagnent de mentions marginales précisant que cassa est dicta preda. Si les biens n’étaient pas rachetés dans les trois jours, le consul s’en défaussait auprès du créancier qui devait en accuser réception : c’est ainsi que l’on apprend que le manteau bleu-vert pour dame paré de fine mousseline jaune saisi dans la maison de Landuccio le 12 janvier 1333 a été cédé au créancier le 16 janvier. Ce dernier admit « avoir reçu du consul [Becto], et détenir actuellement en son pouvoir, le manteau confié à Becto40 ».

    19À l’occasion, le registre indique que l’article a été adjugé au plus offrant. Les articles ainsi vendus sont presque tous des biens. Les vêtements prédominent, même si l’on trouve également à l’occasion une bague, une couronne ou un objet en argent aussi bien que, de temps à autre, des bocaux de stockage. Les agents missionnés par le Tribunal des rebelles et des bannis vendaient aux enchères tout ce qui leur tombait sous la main, depuis les lits, la literie et les vêtements jusqu’aux bocaux de farine. En dehors de ce tribunal toutefois, les notifications d’adjudication ne sont pas courantes. Le registre de la cour de la Podestà de 1333 ne recense que 23 cas de vente aux enchères, alors même que cette année-là, ce tribunal a diligenté 800 à 900 saisies. Les archives sont probablement incomplètes mais malgré cela, dans la majorité des cas, il est probable que les biens étaient transportés dans la maison des créanciers et y demeuraient pour une durée indéterminée.

    20Qu’advenait-il de ces biens ? À Lucques, la majorité des articles saisis étaient des produits alimentaires (grain, haricots, vin) : nous devons supposer que le créancier les consommait sans se presser. Dans ce cas, le processus de saisie se résumait à un simple mécanisme de transport de marchandises en gros. Le destin des objets pérennes est également difficile à tracer et résiste à toute spéculation hâtive. Ceci étant, un remarquable document de 1333 donne une idée de ce qui pouvait arriver à ces biens. Le 14 janvier 1333, deux sergents sont entrés dans la maison d’un dénommé Ciome Diversi et ont saisi une cape (clamidem) de luxe pour une dette non précisée. Plus d’un mois après, l’acte fut annulé, une note marginale précisant que « Ciome a racheté la cape le 23 février ce qui, de fait, annule la procédure » (redibuit clamidem dictus Ciomeus die xxiii februarii ideo cassus). Comme le révèle ce cas, les débiteurs avaient la possibilité de racheter leurs biens longtemps après que ceux-ci sont devenus la propriété des créanciers, ce qui donne à penser que les biens saisis pour dette ne perdaient pas leur identité.

    Saisies et prêts sur gage

    21Si cela nous semble familier – à savoir, une cape échangée contre de l’argent liquide, détenue plusieurs semaines puis rachetée par le débiteur –, c’est tout simplement parce que la cape est devenue un gage. À Lucques, le système de recouvrement de dettes par le tribunal constituait souvent une solution alternative aux dispositifs privés de prêt sur gage. Cela nous ramène donc à la question posée plus tôt : pourquoi tant de débiteurs ont-ils choisi l’humiliation de la saisie ? Le fait que les débiteurs accueillaient parfois les sergents par des menaces, des insultes et une certaine violence suggère que les débiteurs n’appréciaient guère ce qui leur arrivait mais ils laissaient peut-être faire les choses parce que les coûts de transaction afférents à la saisie, à peine 5 % du montant de la dette, étaient probablement inférieurs à ceux d’un prêt sur gage ou à la revente. Les métiers du prêt sur gage et de la revente étaient intrinsèquement dangereux pour leurs praticiens, particulièrement exposés à de possibles accusations de fraude, d’usure et de recel de marchandises volées. À Lucques, les serments annuels par lesquels les revendeurs de vieux vêtements juraient de ne jamais acheter en toute connaissance de cause des vêtements volés montrent une certaine conscience du danger41. Un document de 1336 relate comment une victime de vol se rendit chez les prêteurs sur gage de son quartier pour décrire un tabard (guarnaccha) qui avait été volé et leur demander de garder les yeux ouverts. Sa prudence fut récompensée puisque quelques jours plus tard, c’est le voleur lui-même qui fit la tournée des prêteurs dans l’idée de mettre ledit tabard en gage42. Comme les prêteurs sur gage et les revendeurs étaient responsables des marchandises volées qu’ils recevaient, ils devaient demander des frais élevés pour couvrir le risque. Des témoignages trouvés à Lucques suggèrent que les articles laissés en gage valaient habituellement deux à trois fois la dette43. En garantissant la provenance d’un article, le « prêt sur gage » financé par le tribunal supprimait les risques et réduisait, par conséquent, les coûts de transaction.

    22Si nous interprétons le système de saisie comme un système de prêt sur gage déguisé, il serait intéressant de connaître l’étendue du système. Quel était le volume de dettes réclamées annuellement par le biais des tribunaux lucquois ? Difficile d’obtenir un chiffre, en premier lieu parce que les notifications les plus courantes dans les registres des tribunaux, à savoir les actes de prédation, ne mentionnent pas systématiquement l’importance des dettes en cours de recouvrement. En attendant de mettre à jour de meilleures preuves, on peut calculer le volume global du recouvrement des dettes en procédant à une extrapolation à partir des datia, autrement dit les deux deniers par livre qui étaient facturés à chaque émission d’une autorisation de saisie. Le droit de collecter les datie était vendu aux enchères chaque année en même temps que les autres gabelles. En 1336, le proventus datie fut acheté par un spéculateur pour 740 livres et 5 sous. En admettant que le taux de deux deniers par livre était la norme pendant tout le xive siècle et en se fondant sur le fait que la livre valait 240 deniers, nous pouvons multiplier la valeur de la gabelle par 120 pour arriver à une estimation du volume de transactions de dette que le spéculateur pouvait s’attendre à voir passer par les tribunaux lucquois l’année à suivre : 88 830 livres, soit à peu près 25 750 florins. En 1352, le proventus datie fut vendu pour 250 livres, un montant classique pour cette époque tardive, ce qui suggère un volume anticipé de 30 000 livres dans les années suivant la peste44. Le proventus datie était éclipsé par les autres gabelles collectées à Lucques. Comme l’a montré C. Meek, les taxes sur le sel et le vin engendraient chacune des bénéfices de plus de 10 000 florins, et les transactions marchandes qui soutenaient ces taxes dépassaient à l’évidence très largement les 88 830 livres par an45. Tout de même, le volume de crédit réclamé par le biais de la cour n’était pas négligeable.

    23Il est important d’admettre que le système de recouvrement des dettes à Lucques se distinguait du prêt sur gage, ne serait-ce que par un élément significatif. Les créanciers pouvaient contraindre les débiteurs de deux façons : par la licentia predandi qui conduisait à la saisie des biens, mais aussi par la licentia capiendi, qui autorisait les créanciers à faire saisir et emprisonner les débiteurs par les sergents du tribunal. De récents travaux effectués par J. Claustre et G. Geltner ont fortement mis en lumière la pratique de l’emprisonnement pour dette46. Dès les années 1360, à Lucques, les deux autorisations avaient fusionné pour créer une troisième autorisation appelée licentia predandi et capiendi qui laissaient davantage de souplesse aux créanciers. Ainsi, pour citer un exemple parmi des milliers, le 7 février 1362, un créancier reçut une autorisation de poursuivre son débiteur, et dans ses biens et dans sa personne. Dans cette affaire, nous savons qu’il a choisi l’arrestation car une mention marginale indique que le débiteur fut libéré de prison le 16 février de gratia et amore47. Les sommes dues pouvaient être scindées et une action différente engagée à l’endroit de chaque division. Un peu plus tôt dans ce registre, un créancier reçut une licentia predandi pour une dette de deux florins et également une licentia capiendi pour une dette de six florins concernant le même débiteur. Dans ce registre, la simple autorisation de saisie de biens est utilisée pour les dettes allant d’un florin à 146 livres, les autorisations d’incarcération concernent celles allant de 2 à 500 florins et la double autorisation, moins courante, s’applique quant à elle aux dettes allant de 2 à 120 florins. On observe un chevauchement considérable entre ces différentes catégories. Pour prendre un exemple, un total de dix créanciers a comparu à la cour pour réclamer des dettes d’exactement trois florins : quatre d’entre eux ont demandé une autorisation de prédation, deux une autorisation d’arrestation, les quatre derniers une double autorisation de prédation et d’arrestation. Il n’est pas facile de savoir ce qui a motivé les choix des créanciers ; peut-être choisissaient-ils l’arrestation lorsqu’ils savaient que les débiteurs avaient peu de biens. Force est de constater malgré tout que les créanciers avaient parfois leurs propres préférences et lorsqu’ils apparaissent plus d’une fois dans le registre, on observe qu’ils optaient souvent pour le même type d’autorisation. Ainsi, un créancier du nom de Bendinello Castiglione avait prêté de l’argent à deux hommes distincts et dans les deux cas, il demanda une licentia predandi et capiendi. À l’opposé, une femme du nom de Lagina choisit la prédation pour un débiteur qui lui devait 8 florins et un autre qui lui devait 10 livres mais préféra l’arrestation pour un troisième débiteur qui lui devait 20 florins.

    24Dans les registres de recouvrement des dettes de Lucques, les trois types d’autorisation étaient souvent entremêlés et il arrivait parfois qu’il en aille de même pour leurs conséquences, comme si la pratique de saisie des biens n’était pas réellement distincte de celle des corps. À cet égard, l’on peut considérer la saisie des biens comme un type d’arrestation dans laquelle le corps se révèle en fait être un objet. Les détenus pour dette, assez souvent, étaient immédiatement libérés par les créanciers et même si cela se produisait moins souvent pour les biens, il arrivait parfois qu’après avoir procédé à leur saisie, les créanciers les ont restitués immédiatement aux débiteurs de gratia et amore. À tous égards, l’on trouve une remarquable similitude dans la manière qu’avaient les tribunaux lucquois de traiter à la fois les biens et les corps.

    25Pour bien comprendre le rôle des biens dans le processus de recouvrement des dettes à Marseille et à Lucques à la fin du Moyen Âge, il est important d’appréhender les biens comme étant des objets possédant un certain degré d’« humanité » et étant traités comme des otages ou des prisonniers. Cette revendication peut sembler saugrenue ou anthromorphe, mais nous devons garder à l’esprit que notre monde cartésien établit une nette distinction entre l’inanimé et l’animé. Dans l’ontologie des tribunaux du bas Moyen Âge, cette distinction était bien moins claire. Les objets étaient des prolongements du corps et traités comme des personnes physiques. À l’inverse, les corps pouvaient être traités comme des choses. Les deux étaient sujets à la coercition et à la contrainte exercées par les agents des tribunaux. Et comme nous l’avons suggéré ici, l’appareil coercitif des tribunaux du xive siècle était déployé beaucoup plus souvent pour aider les créanciers à recouvrer les dettes. Dans l’Europe méditerranéenne, il se peut que des États de la fin du Moyen Âge aient mis au point un monopole de l’exercice légitime de la force, mais le cadre dans lequel ils développèrent cette expertise était celui de la dette et les cibles de coercition, la plupart du temps, se limitaient aux objets.

    Annexe

    ANNEXE

    Exemples de saisies réalisées à Lucques en 1333, de l’Archivio di Stato di Lucca, Podestà di Lucca 33, folios 4 et 7.

    (Folio 4). Pro Johanne ser Nicolay di Fiandrada. Ghibertinus Nuccoris et Milliore Magalotti, nuncii Lucanis comunis, retulerunt mihi notario suprascripto et curie die viii Januarii se die predicto, mandato domini judicii, predasse ser Nicolao Guattini unam tunicam et unam guarnacciam femineam dimidi coloris viridis, gialli, et sanguinei vergati et has retulerunt commendasse Cardellino Cardellini, civi Lucanis, presenti et cetera et precepisse ut supra.

    (Folio 7). Pro Cione condam Guercii de Luca. Jannes Gilii, nuncius Lucanis comunis, retulit mihi Jacobo Binamontis, notario et cancellario Lucanis comunis, se die predicta predasse et in predam elevasse Landuccio condam Orlandi Vini, Lucanis civi, pro solidis xl et expensis, unum mantellum persum ad usum domine foderatum sindonis coloris gialli et ipsum comendasse Becto Pieri, fabricaio48, qui moratur coram palacio domini potestatis in persona eius presenti et volenti et eidem precepisse contra penam librarum xxv predictos pyngnos tenere tribus diebus secundum formam statutis et ipsis elapsis det et tradat eidem Cioni, faciendo eum confiteri in actis curie ipsum habuisse.

    Die xvi Januarii suprascriptus Cione fuit confessus suprascripto Becto Pieri deponente49 habuisse ab eo et penes se habere suprascriptum mantellum commendatum eodem Becto.

    Notes de bas de page

    1 M. Weber, « Einleitung », dans Politik als Beruf, Munich/Leipzig, 1919 (disponible en ligne : http://www.textlog.de/weber_politik_beruf.html, consulté le 30 juin 2010).

    2 On trouve d’importantes études récentes parmi lesquelles G. Schwerhoff, « Justice et honneur. Interpréter la violence à Cologne (xve-xviiie siècle) », Annales. Histoire, sciences sociales, 5, 2007, p. 1031-1061 et V. Toureille, Vol et brigandage au Moyen Âge, Paris, 2006.

    3 On trouve plusieurs études pertinentes comme G. Geltner, The Medieval Prison : A Social History, Princeton, 2008 ; H. Zaremska, Les Bannis au Moyen Âge, trad. fr. par Th. Douchy, Paris, 1996 ; C. González Minguez, « Algunas reflexiones sobre la pena de muerte en la sociedad Europea medieval », Clío & Crímen. Revista del Centro de Historia del Crimen de Durango, 4, 2007, p. 14-21 ; P. J. Gyger, L’Épée et la corde. Criminalité et justice à Fribourg (1475-1505), Lausanne, 1998 (Cahiers lausannois d’histoire médiévale, 22) ; C. Gauvard, « De grace especial ». Crime, État, et société à la fin du Moyen Âge, 2 vol., Paris, 1991.

    4 Archivio di Stato di Lucca, Curia dei Rebelli e dei Banniti, 7 (désormais ASL), pour trouver une archive des saisies et des ventes aux enchères dans le sillon de l’acquisition florentine de la cité en 1341. L’histoire de la période est traitée dans L. Green, Lucca under Many Masters : A Fourteenth-Century Italian Commune in Crisis (1328-1342), Florence, 1995 (Instituto Nazionale di Studi sul Rinascimento, Quaderni di « Rinascimento », 30).

    5 Le français moderne peut traduire ces mots comme « garantie » ou « gage », même si « gage » est un mot typiquement associé aux prêts financiers.

    6 W. C. Jordan, Women and Credit in Pre-Industrial and Developing Societies, Philadelphie, 1993 ; F. Menant et O. Redon (dir.), Notaires et crédit dans l’Occident méditerranéen médiéval, Rome, 2004 (Collection de l’École française de Rome, 345). Pour l’Angleterre et d’autres régions, voir la littérature citée dans D. L. Smail, The Consumption of Justice : Emotions, Publicity, and Legal Culture in Marseille, 1264-1423, Ithaca, 2003. Parmi de récents travaux importants on trouve J. Claustre (dir.), La Dette et le juge : juridiction gracieuse et juridiction contentieuse du xiiie au xve siècle (France, Italie, Espagne, Angleterre, Empire), Paris, 2006. Pour le début de l’Europe moderne, voir L. Fontaine, L’Économie morale. Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe préindustrielle, Paris, 2008.

    7 Les registres de versement d’amendes imposées par les cours pénales fournissent les données les plus facilement comparables dans la mesure où tous les registres (à l’exception de trois d’entre eux) de la cour pénale de Marseille pour les années 1300 à 1500 sont aujourd’hui perdus. Des problèmes de comparaison demeurent. Il arrivait que le tribunal de Marseille facture les groupes de manière collective mais collecte les amendes individuellement, ce qui amplifie exagérément le nombre d’enquêtes par rapport à Lucques qui collectait les amendes auprès des groupes. Sachant cela, on observe que les récépissés du Trésor de Marseille indiquent qu’au cours des exercices fiscaux commençant en 1330, 1407, 1409, et 1413, le Trésor a encaissé (respectivement) 492, 312, 337, et 305 versements, Archives départementales du Bouches-du-Rhône, B 1940, B 1943, B 1944, et B 1947 (désormais ADBR). Un registre lucquois comparable pour les six premiers mois de 1337 (ASL, Sentenze e bandi, 7) consignant les amendes infligées plutôt que les versements perçus, fait état de 130 versements pour un montant annuel total de 260 livres.

    8 À voir D. L. Smail, « Violence and predation in late medieval Mediterranean Europe », Comparative Studies in Society and History, 54, 2012, p. 7-34.

    9 Il a été démontré que cet « enchevêtrement » homme/chose, qui est un sujet de recherche émergent dans le domaine de l’archéologie cognitive, trouvait de profondes racines dans la psychologie humaine. Pour une étude récente, voir T. Webmoor et C. L. Witmore, « Things are us ! A commentary on human/things relations under the banner of a “social” archaeology », Norwegian Archaeological Review, 41, 2008, p. 53-70.

    10 Sur la consommation de luxe, voir R. A. Goldthwaite, « The Renaissance economy : The preconditions for luxury consumption », dans F. Melis (éd.), Aspetti della vita economica medievale. Atti del Convegno di Studi nel X Anniversario della morte de Federigo Melis, Firenze-Pisa-Prato, 10-14 marzo 1984, Florence, 1985, p. 659-675 ; C. Cipolla, Before the Industrial Revolution : European Society and Economy, 1000-1700, New York, 1994 ; L. Jardine, Worldly Goods : A New History of the Renaissance, New York, 1996 ; S. M. Stuard, Gilding the Market : Luxury and Fashion in Fourteenth-Century Italy, Philadelphie, 2006 ; M. Kowaleski, « A consumer economy », dans R. Horrox et W. M. Ormrod (éd.), A Social History of England, 1200-1500, Cambridge, 2006, p. 238-259.

    11 F. Braudel, Civilisation matérielle et capitalisme, xve-xviiie siècle, Paris, 1967.

    12 L. K. Little, « Pride goes before avarice : Social change and the vices in Latin Christendom », The American Historical Review, 76, 1971, p. 16-49 ; A. Hunt, Governance of the Consuming Passions : A History of Sumptuary Law, Basingstoke, 1996 ; C. Kovesi Killerby, Sumptuary Law in Italy, 1200-1500, Oxford, 2002.

    13 ADBR, 355E 1, 25-29v.

    14 ASL, Podestà di Lucca, 33, 4 et 7.

    15 ADBR, FF 1009, 35-38v, 5 septembre 1422.

    16 Voici quelques fourchettes de valeur à titre indicatif, tirées de multiples sources : una gonnella (une gonnelle), de 24 à 50 shillings de Lucques ; una guarnaccha (un tabard), de 1,5 à 4 livres de Lucques ; unum mantellum (un manteau), de 28 grossi à 4 livres royales à Marseille et de 2 livres lucquoises à 6 florins à Lucques ; una chopa (une houppelande), de 3 à 25 florins à Marseille ; un lit avec ameublement, de 2 à 19 florins à Marseille et à Lucques ; una garlanda (un collier), de 3 livres royales à 10 florins à Marseille.

    17 ADBR, 3B 64, 6-16v, ouverture le 22 octobre 1362.

    18 À Marseille au xive siècle, dans le cours local des devises, la valeur du florin fluctuait entre 26 et 32 sous. La devise lucquoise avait une valeur bien inférieure à celle du florin. La valeur du florin lucquois était fixée à 69 sous dans la monnaie de compte courante.

    19 Archives municipales de la ville de Marseille, FF 1009, 31-33v, 17 juin 1422 (désormais AMM).

    20 AMM, FF 166, FF 167 et FF 168

    21 ADBR, 3B 808, 290-303v, ouverture le 28 novembre 1342. Pour Marseille, voir J. Sibon, Les Juifs de Marseille au xive siècle, thèse de doctorat d’histoire médiévale sous la direction d’H. Bresc, Université de Paris 10-Nanterre, 2006, en particulier p. 75-78. Pour la coutume de vente aux enchères à Valence au xve siècle, voir J. V. García Marsilla, « Vestir el poder. Indumentaria e imagen en las cortes de Alfonso El Magnánimo y María de Castilla », Res publica, 18, 2007, p. 353-373.

    22 G. M. Varanini, « Tra fisco e credito : note sulle camere dei pegni nelle città venete del Quattrocento », Studi storici Luigi Simeoni, 33, 1983, p. 215-246.

    23 AMM, FF 1009, 35-38v.

    24 V. Toureille, Vol et brigandage au Moyen Âge…, op. cit., p. 75, 87-88, 126, ainsi que sa contribution dans le présent volume.

    25 ASL, Curia dei Rettori, 11, p. 279-294.

    26 ADBR, 381 E 81, 29-30, 15 juin 1358.

    27 ADBR, 3B 145, 104v-108v.

    28 ADBR, B 1940, 112.

    29 J. Claustre (éd.), La Dette et le juge…, op. cit. ; pour Marseille, voir J. Shatzmiller, Shylock Reconsidered : Jews, Moneylending, and Medieval Society, Berkeley, 1990.

    30 Les consuls de Lucques étaient des intermédiaires clés dans les relations de responsabilité entre la commune et son peuple. Outre leur rôle dans le processus de recouvrement des dettes, ils étaient également tenus pour responsables de la dénonciation des crimes commis dans leur juridiction et s’exposaient à des amendes s’ils n’agissaient pas comme il se devait.

    31 Par exemple, le processus pouvait annexer toute la propriété d’un paysan avant de se concentrer sur un champ donné, comportant environ le volume de froment suffisant pour couvrir la dette et les frais de justice. Pour des détails sur la procédure de saisie conservatoire, voir ASL, Curia Nuova di Giustizia e dell’Esecutore, 32, 1336.

    32 La licentia capiendi, qui conduisait à l’incarcération pour dette, était une forme majeure de coercition pour dette en parallèle de la saisie des biens. Dans les années 1330, l’incarcération pour dette était moins courante que la saisie des biens. Dès les années 1360, les licentie capiendi devenaient de plus en plus courantes.

    33 Par exemple ASL, Curia dei Rettori, 11, p. 290 : Et publice et alta voce ad domum eius habitationis et per dictam contratam in vicinia publice et alta voce cum proclamatione dicti nuncii et tunc in dictis locis eidem Johanni locasse.

    34 Nous nous fondons sur une lecture attentive de ASL, Curia Nuova di Giustizia e dell’Esecutore, 32. Les sommes d’argent parfois listées au bas des feuillets consignant des annexions étaient soit d’un sou, trois deniers, soit de trois sous quatre deniers. Une corrélation attentive des cahiers constituant ce registre suggère que la somme la plus importante ne figurait que si le dossier comportait également une saisie. On notera que seule une annexion sur trois ou quatre semble avoir donné lieu à une saisie.

    35 ASL, Podestà di Lucca, 480.

    36 ASL, Curia Nuova di Giustizia e dell’Esecutore, 32, fol. 25.

    37 ASL, Curia dei Rebelli e dei Banniti, 7.

    38 De tels documents étaient parfois conservés sous l’intitulé Titulus relationum predarum non inventarum. Voir par exemple ASL, Podestà di Lucca, 33.

    39 Tous les exemples ici et plus bas sont tirés de ASL, Podestà di Lucca, 33.

    40 ASL, Podestà di Lucca, 33, 7.

    41 ASL, Curia dei visconti o dei gastaldioni, 24, 1340. Le Titulus iuramentorum vendentium pannos veteros se trouve au folio 27.

    42 ASL, Podestà di Lucca, 4729, 12-13.

    43 À titre d’exemple, un manteau laissé en gage en 1341 pour 2 livres 10 sous fut ensuite vendu aux enchères pour 6 livres, et un assortiment de linge de maison laissé en gage pour 2 livres 15 sous fut ensuite vendu aux enchères pour 6 livres (ASL, Curia dei Rebelli e dei Banniti, 7, 21 et 23).

    44 ASL, Camarlingo Generale, 7 et 38.

    45 C. Meek, « Public policy and private profit : Tax farming in fourteenth-century Lucques », dans T. W. Blomquist et M. F. Mazzaoui (éd.), The “Other Tuscany” : Essays in the History of Lucca, Pisa, and Siena during the Thirteenth, Fourteenth and Fifteenth Centuries, Kalamazoo, 1994, p. 41-82 (Studies in Medieval Culture, 24).

    46 J. Claustre, Dans les geôles du roi. L’emprisonnement pour dette à Paris à la fin du Moyen Âge, Paris, 2007 ; G. Geltner, The Medieval Prison…, op. cit.

    47 ASL, Podestà di Lucca, 390, 20v.

    48 Référence incertaine.

    49 Référence incertaine.

    Auteur

    • Daniel Lord Smail

      Harvard University

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    1 M. Weber, « Einleitung », dans Politik als Beruf, Munich/Leipzig, 1919 (disponible en ligne : http://www.textlog.de/weber_politik_beruf.html, consulté le 30 juin 2010).

    2 On trouve d’importantes études récentes parmi lesquelles G. Schwerhoff, « Justice et honneur. Interpréter la violence à Cologne (xve-xviiie siècle) », Annales. Histoire, sciences sociales, 5, 2007, p. 1031-1061 et V. Toureille, Vol et brigandage au Moyen Âge, Paris, 2006.

    3 On trouve plusieurs études pertinentes comme G. Geltner, The Medieval Prison : A Social History, Princeton, 2008 ; H. Zaremska, Les Bannis au Moyen Âge, trad. fr. par Th. Douchy, Paris, 1996 ; C. González Minguez, « Algunas reflexiones sobre la pena de muerte en la sociedad Europea medieval », Clío & Crímen. Revista del Centro de Historia del Crimen de Durango, 4, 2007, p. 14-21 ; P. J. Gyger, L’Épée et la corde. Criminalité et justice à Fribourg (1475-1505), Lausanne, 1998 (Cahiers lausannois d’histoire médiévale, 22) ; C. Gauvard, « De grace especial ». Crime, État, et société à la fin du Moyen Âge, 2 vol., Paris, 1991.

    4 Archivio di Stato di Lucca, Curia dei Rebelli e dei Banniti, 7 (désormais ASL), pour trouver une archive des saisies et des ventes aux enchères dans le sillon de l’acquisition florentine de la cité en 1341. L’histoire de la période est traitée dans L. Green, Lucca under Many Masters : A Fourteenth-Century Italian Commune in Crisis (1328-1342), Florence, 1995 (Instituto Nazionale di Studi sul Rinascimento, Quaderni di « Rinascimento », 30).

    5 Le français moderne peut traduire ces mots comme « garantie » ou « gage », même si « gage » est un mot typiquement associé aux prêts financiers.

    6 W. C. Jordan, Women and Credit in Pre-Industrial and Developing Societies, Philadelphie, 1993 ; F. Menant et O. Redon (dir.), Notaires et crédit dans l’Occident méditerranéen médiéval, Rome, 2004 (Collection de l’École française de Rome, 345). Pour l’Angleterre et d’autres régions, voir la littérature citée dans D. L. Smail, The Consumption of Justice : Emotions, Publicity, and Legal Culture in Marseille, 1264-1423, Ithaca, 2003. Parmi de récents travaux importants on trouve J. Claustre (dir.), La Dette et le juge : juridiction gracieuse et juridiction contentieuse du xiiie au xve siècle (France, Italie, Espagne, Angleterre, Empire), Paris, 2006. Pour le début de l’Europe moderne, voir L. Fontaine, L’Économie morale. Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe préindustrielle, Paris, 2008.

    7 Les registres de versement d’amendes imposées par les cours pénales fournissent les données les plus facilement comparables dans la mesure où tous les registres (à l’exception de trois d’entre eux) de la cour pénale de Marseille pour les années 1300 à 1500 sont aujourd’hui perdus. Des problèmes de comparaison demeurent. Il arrivait que le tribunal de Marseille facture les groupes de manière collective mais collecte les amendes individuellement, ce qui amplifie exagérément le nombre d’enquêtes par rapport à Lucques qui collectait les amendes auprès des groupes. Sachant cela, on observe que les récépissés du Trésor de Marseille indiquent qu’au cours des exercices fiscaux commençant en 1330, 1407, 1409, et 1413, le Trésor a encaissé (respectivement) 492, 312, 337, et 305 versements, Archives départementales du Bouches-du-Rhône, B 1940, B 1943, B 1944, et B 1947 (désormais ADBR). Un registre lucquois comparable pour les six premiers mois de 1337 (ASL, Sentenze e bandi, 7) consignant les amendes infligées plutôt que les versements perçus, fait état de 130 versements pour un montant annuel total de 260 livres.

    8 À voir D. L. Smail, « Violence and predation in late medieval Mediterranean Europe », Comparative Studies in Society and History, 54, 2012, p. 7-34.

    9 Il a été démontré que cet « enchevêtrement » homme/chose, qui est un sujet de recherche émergent dans le domaine de l’archéologie cognitive, trouvait de profondes racines dans la psychologie humaine. Pour une étude récente, voir T. Webmoor et C. L. Witmore, « Things are us ! A commentary on human/things relations under the banner of a “social” archaeology », Norwegian Archaeological Review, 41, 2008, p. 53-70.

    10 Sur la consommation de luxe, voir R. A. Goldthwaite, « The Renaissance economy : The preconditions for luxury consumption », dans F. Melis (éd.), Aspetti della vita economica medievale. Atti del Convegno di Studi nel X Anniversario della morte de Federigo Melis, Firenze-Pisa-Prato, 10-14 marzo 1984, Florence, 1985, p. 659-675 ; C. Cipolla, Before the Industrial Revolution : European Society and Economy, 1000-1700, New York, 1994 ; L. Jardine, Worldly Goods : A New History of the Renaissance, New York, 1996 ; S. M. Stuard, Gilding the Market : Luxury and Fashion in Fourteenth-Century Italy, Philadelphie, 2006 ; M. Kowaleski, « A consumer economy », dans R. Horrox et W. M. Ormrod (éd.), A Social History of England, 1200-1500, Cambridge, 2006, p. 238-259.

    11 F. Braudel, Civilisation matérielle et capitalisme, xve-xviiie siècle, Paris, 1967.

    12 L. K. Little, « Pride goes before avarice : Social change and the vices in Latin Christendom », The American Historical Review, 76, 1971, p. 16-49 ; A. Hunt, Governance of the Consuming Passions : A History of Sumptuary Law, Basingstoke, 1996 ; C. Kovesi Killerby, Sumptuary Law in Italy, 1200-1500, Oxford, 2002.

    13 ADBR, 355E 1, 25-29v.

    14 ASL, Podestà di Lucca, 33, 4 et 7.

    15 ADBR, FF 1009, 35-38v, 5 septembre 1422.

    16 Voici quelques fourchettes de valeur à titre indicatif, tirées de multiples sources : una gonnella (une gonnelle), de 24 à 50 shillings de Lucques ; una guarnaccha (un tabard), de 1,5 à 4 livres de Lucques ; unum mantellum (un manteau), de 28 grossi à 4 livres royales à Marseille et de 2 livres lucquoises à 6 florins à Lucques ; una chopa (une houppelande), de 3 à 25 florins à Marseille ; un lit avec ameublement, de 2 à 19 florins à Marseille et à Lucques ; una garlanda (un collier), de 3 livres royales à 10 florins à Marseille.

    17 ADBR, 3B 64, 6-16v, ouverture le 22 octobre 1362.

    18 À Marseille au xive siècle, dans le cours local des devises, la valeur du florin fluctuait entre 26 et 32 sous. La devise lucquoise avait une valeur bien inférieure à celle du florin. La valeur du florin lucquois était fixée à 69 sous dans la monnaie de compte courante.

    19 Archives municipales de la ville de Marseille, FF 1009, 31-33v, 17 juin 1422 (désormais AMM).

    20 AMM, FF 166, FF 167 et FF 168

    21 ADBR, 3B 808, 290-303v, ouverture le 28 novembre 1342. Pour Marseille, voir J. Sibon, Les Juifs de Marseille au xive siècle, thèse de doctorat d’histoire médiévale sous la direction d’H. Bresc, Université de Paris 10-Nanterre, 2006, en particulier p. 75-78. Pour la coutume de vente aux enchères à Valence au xve siècle, voir J. V. García Marsilla, « Vestir el poder. Indumentaria e imagen en las cortes de Alfonso El Magnánimo y María de Castilla », Res publica, 18, 2007, p. 353-373.

    22 G. M. Varanini, « Tra fisco e credito : note sulle camere dei pegni nelle città venete del Quattrocento », Studi storici Luigi Simeoni, 33, 1983, p. 215-246.

    23 AMM, FF 1009, 35-38v.

    24 V. Toureille, Vol et brigandage au Moyen Âge…, op. cit., p. 75, 87-88, 126, ainsi que sa contribution dans le présent volume.

    25 ASL, Curia dei Rettori, 11, p. 279-294.

    26 ADBR, 381 E 81, 29-30, 15 juin 1358.

    27 ADBR, 3B 145, 104v-108v.

    28 ADBR, B 1940, 112.

    29 J. Claustre (éd.), La Dette et le juge…, op. cit. ; pour Marseille, voir J. Shatzmiller, Shylock Reconsidered : Jews, Moneylending, and Medieval Society, Berkeley, 1990.

    30 Les consuls de Lucques étaient des intermédiaires clés dans les relations de responsabilité entre la commune et son peuple. Outre leur rôle dans le processus de recouvrement des dettes, ils étaient également tenus pour responsables de la dénonciation des crimes commis dans leur juridiction et s’exposaient à des amendes s’ils n’agissaient pas comme il se devait.

    31 Par exemple, le processus pouvait annexer toute la propriété d’un paysan avant de se concentrer sur un champ donné, comportant environ le volume de froment suffisant pour couvrir la dette et les frais de justice. Pour des détails sur la procédure de saisie conservatoire, voir ASL, Curia Nuova di Giustizia e dell’Esecutore, 32, 1336.

    32 La licentia capiendi, qui conduisait à l’incarcération pour dette, était une forme majeure de coercition pour dette en parallèle de la saisie des biens. Dans les années 1330, l’incarcération pour dette était moins courante que la saisie des biens. Dès les années 1360, les licentie capiendi devenaient de plus en plus courantes.

    33 Par exemple ASL, Curia dei Rettori, 11, p. 290 : Et publice et alta voce ad domum eius habitationis et per dictam contratam in vicinia publice et alta voce cum proclamatione dicti nuncii et tunc in dictis locis eidem Johanni locasse.

    34 Nous nous fondons sur une lecture attentive de ASL, Curia Nuova di Giustizia e dell’Esecutore, 32. Les sommes d’argent parfois listées au bas des feuillets consignant des annexions étaient soit d’un sou, trois deniers, soit de trois sous quatre deniers. Une corrélation attentive des cahiers constituant ce registre suggère que la somme la plus importante ne figurait que si le dossier comportait également une saisie. On notera que seule une annexion sur trois ou quatre semble avoir donné lieu à une saisie.

    35 ASL, Podestà di Lucca, 480.

    36 ASL, Curia Nuova di Giustizia e dell’Esecutore, 32, fol. 25.

    37 ASL, Curia dei Rebelli e dei Banniti, 7.

    38 De tels documents étaient parfois conservés sous l’intitulé Titulus relationum predarum non inventarum. Voir par exemple ASL, Podestà di Lucca, 33.

    39 Tous les exemples ici et plus bas sont tirés de ASL, Podestà di Lucca, 33.

    40 ASL, Podestà di Lucca, 33, 7.

    41 ASL, Curia dei visconti o dei gastaldioni, 24, 1340. Le Titulus iuramentorum vendentium pannos veteros se trouve au folio 27.

    42 ASL, Podestà di Lucca, 4729, 12-13.

    43 À titre d’exemple, un manteau laissé en gage en 1341 pour 2 livres 10 sous fut ensuite vendu aux enchères pour 6 livres, et un assortiment de linge de maison laissé en gage pour 2 livres 15 sous fut ensuite vendu aux enchères pour 6 livres (ASL, Curia dei Rebelli e dei Banniti, 7, 21 et 23).

    44 ASL, Camarlingo Generale, 7 et 38.

    45 C. Meek, « Public policy and private profit : Tax farming in fourteenth-century Lucques », dans T. W. Blomquist et M. F. Mazzaoui (éd.), The “Other Tuscany” : Essays in the History of Lucca, Pisa, and Siena during the Thirteenth, Fourteenth and Fifteenth Centuries, Kalamazoo, 1994, p. 41-82 (Studies in Medieval Culture, 24).

    46 J. Claustre, Dans les geôles du roi. L’emprisonnement pour dette à Paris à la fin du Moyen Âge, Paris, 2007 ; G. Geltner, The Medieval Prison…, op. cit.

    47 ASL, Podestà di Lucca, 390, 20v.

    48 Référence incertaine.

    49 Référence incertaine.

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