Introduction
p. 71-72
Plan détaillé
Texte intégral
1Retracer la trajectoire qui a conduit Pierre Roger à devenir pape sous le nom de Clément VI est le moyen de réfléchir à la genèse d’une expérience individuelle aux dimensions multiples. Le récit biographique est contraint par la disposition documentaire dont nous avons hérité et dont on voudrait, là aussi, tirer parti, en présentant trois éclairages successifs de la vie de Pierre Roger/Clément VI, à partir des documents institutionnels conservés, puis de sa bibliothèque, enfin de ses propres écrits. On l’a déjà suggéré dans l’introduction de ce livre, Clément VI semble plutôt, au sein du monde curial, une figure de l’« exceptionnel normal », selon le mot d’Edoardo Grendi, dont la singularité réside moins dans le parcours que dans la documentation conservée pour en faire l’histoire, permettant ainsi de donner toute sa portée historique à ce qui est d’abord une étude de cas. En suivant ces trois fils biographiques et documentaires, il s’agira à la fois de montrer la logique propre à chaque source et l’effet polyphonique obtenu par la superposition des lignes, conduisant à un récit à trois voix où les moments de contrepoint et de discontinuité n’empêchent pas que se dessine une forme de cohérence historique.
2Cette cohérence confirme la véritable singularité du parcours de Pierre Roger/Clément VI. Étudiant, théologien puis grand prélat, il ne diffère pas profondément de bien des maîtres de sa génération devenus évêques, cardinaux ou papes ; à ce titre, la comparaison avec des personnages de sa génération à l’université de Paris, comme François de Meyronnes1, franciscain, étudiant puis maître en théologie à Paris, prédicateur, ministre provincial de l’ordre en Provence, ou avec des papes comme son prédécesseur Benoît XII2, successivement moine, étudiant parisien, théologien, prédicateur, évêque, inquisiteur puis cardinal, est révélatrice de la cohérence d’un milieu social et intellectuel qui se construit entre l’université de Paris et la cour pontificale, et auquel il appartient pleinement. Si Clément VI a été un pape singulier, c’est plutôt parce qu’il a porté à un degré élevé d’intensité, de succès et donc de visibilité, y compris par les traces qu’il a laissées, ce lien entre savoir et pouvoir caractéristique de l’institution pontificale des xiiie et xive siècles. C’est dans cette perspective, et à partir de l’étude de son parcours, qu’on peut saisir la manière dont il a travaillé à construire une politique de représentation, une image de lui-même, et dont il a œuvré, politiquement et intellectuellement, en particulier à travers ses sermons et ses discours, à la fabrique d’un modèle pontifical renouvelé, qu’il a prétendu incarner.
Notes de bas de page
1 Pour une présentation synthétique, M. Barbu, « La formation universitaire et l’univers culturel de François de Meyronnes », dans M.-M. de Cevins et J.-M. Matz (dir.), Formation intellectuelle et culture du clergé dans les territoires angevins (milieu du xiiie-fin du xve siècle), Rome, 2005, p. 253-263, ainsi que l’ouvrage de référence de B. Roth, Franz von Mayronis OFM. Sein Leben, seine Werke, seine Lehre vom Formalunterschied in Gott, Werl, 1936.
2 P. Fournier, « Jacques Fournier (Benoît XII) », Histoire littéraire de la France, XXXVII, 1938, p. 174-208 ; I. Bueno, « False Prophets and Ravening Wolves : Biblical Exegesis as a Tool against Heretics in Jacques Fournier’s Postilla on Matthew », Speculum, 89, 2014, p. 35-65.
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