1Il existe plusieurs études sur la très ancienne famille des Grimaldi de Gênes1 et surtout sur la branche princière de Monaco. Cette famille, comme tout le monde le sait, joua un rôle essentiel dans les événements historiques et juridiques des Alpes-Maritimes ; elle se divisa en différentes branches dotées d'importants titres et fiefs. Egalement, au moment de la cession de Nice aux comtes de Savoie, lorsque se réalise ce "nouveau destin" de la ville, on remarque le personnage de Jean Grimaldi qui était, d'après Orestis2, neveu d'Andaron, qui avait épousé Astruga, fille unique et héritière de Guillaume Rostaing, baron de Beuil. Les gestes de ce Jean Grimaldi sont connus, mais pourraient mériter encore des études plus approfondies.

2C'est avec les descendants de Jean Grimaldi que l'importance de cette famille sous la nouvelle dynastie augmente, même si l'on trouve de temps en temps des épisodes d'intolérance qui aboutissent à de véritables conspirations dans le cadre des dernières luttes pour le pouvoir à la fin de la période féodale3.

3Honoré Grimaldi, avec ses frères Jacques et Ludovic, se consacre désormais avec dévouement au service de la maison de Savoie à tel point qu'il devient, en 1576, chevalier de l'Ordre de la Très Sainte Annonciade et qu’il obtient du duc Charles Emmanuel Ier la transformation du fief baronnial de Beuil en fief comtal (1581). C'est ainsi que l'affirmation de Mgr Francesco Agostino della Chiesa4, savant auteur d'études fondamentales sur l'aristocratie dans les Etats du duc de Savoie, suivant laquelle le comte de Beuil aurait été le premier seigneur du comté de Nice, paraît justifiée. Antonio Manno, dans son œuvre célèbre "Il Patriziato subalpino"5, lorsqu'il s'occupe des diverses branches de la famille Grimaldi, a l'air de les considérer comme provenant toutes de la même souche. Cette opinion est partagée par le marquis Guasco di Bisio6.

4Les éléments généalogiques et héraldiques qui ont poussé les différents érudits à soutenir la thèse de l’origine commune de toutes les branches Grimaldi sont les suivants : une tradition orale très répandue et le fait que les armoiries de cette famille, que tout le monde connaît puisqu'il s'agit de celles de la principauté de Monaco, ont toujours été les mêmes pour toutes les branches, avec des soutiens et des devises différents. Il serait de toute façon impossible de prouver par des documents l'origine commune de toutes les branches Grimaldi, puisqu'il faudrait trouver des actes remontant aux Xe et XIe siècles.

5Le baron Manno, dans l'œuvre citée plus haut, en rappelant le volume de Charles de Venasque, Genealogica et historica Grimaldae gentis Arbor, qui date de 1647, n'ose pas contredire cette source ancienne, en affirmant que son seul but est de la compléter. Il cite la branche principale des comtes de Beuil, qui est à l'origine de la branche piémontaise de Boves avec JeanFrançois, qui vivait au début du XVIIe siècle, et dont le petit-fils, Annibal, devient le premier marquis de Boves et de Peveragno.

6Il cite également la branche des comtes de Levens et celle des seigneurs, ensuite barons, de Sauze7. Quant à la branche des Grimaldi de Coni, comme il l'appelle, il ne cite que Jules et Philippe-Ferdinand ; pour celle des Grimaldi de Villafalletto, il rappelle le personnage d'Amédée. Il donne, au contraire, beaucoup plus de détails sur la branche qu'il considère comme provenant de la ville de Busca. D'après le baron Manno, cette branche aurait eu une attestation signée par le prince de Monaco en 1674 selon laquelle8 elle aurait fait partie de la même famille que les princes de Monaco. Le personnage le plus célèbre de cette branche fut Nicolas (1633-1721), comte de Meyronnes et Archie en l'an 1700, comte du Pogetto de Nice et coseigneur de Costigliole de Saluces.

7Passons maintenant au sujet principal : les Grimaldi de Carignan. Pour essayer d'établir la généalogie de cette branche peu connue, il faut citer, tout d'abord, Mgr F.A. della Chiesa, qui indique, pour cette branche, une origine savoyarde, avec le personnage d'André qui était venu dans le Piémont étant écuyer du duc de Savoie et avait épousé Nicolina Montafia, riche héritière d'une famille de Carignan9. Grâce à ce mariage, dès leur arrivée à Carignan, les Grimaldi furent considérés comme l'une des meilleures familles locales, ce qui prouve en tout cas qu’ils jouissaient d'une grande considération même au dehors de leurs terres d'origine. Un privilège auquel on attachait une énorme importance dans le cadre des institutions juridiques et sociales du XVIIe siècle était celui de porter un des quatre soutiens du baldaquin pendant les processions qui avaient lieu à Carignan. Il est intéressant de remarquer que les trois autres étaient portés par le podestat de la ville, qui représentait le duc de Savoie, et par deux membres des très illustres familles Provana et Romagnano, qui étaient les seules à avoir ce droit. Les rivalités entre d’autres familles, dont les Grimaldi, pour jouir de ce privilège obligèrent le duc Charles-Emmanuel Ier à délivrer, en l'an 1600, des lettres patentes qui octroyaient aux Grimaldi ce grand honneur10.

8Malgré ce que plusieurs historiens ont affirmé, les grandes familles piémontaises ne refusèrent jamais de faire partie du conseil de leurs villes. C'est ce que l'on peut constater en ce qui concerne la ville de Carignan et la famille Grimaldi, dont cinq membres furent maires entre 1580 et 1682 et un membre fut conseiller municipal11.

9En 1562-63, Carignan devint le siège du Sénat du Piémont, plusieurs membres de la famille de Savoie y firent de longs séjours et à partir du XVIIe siècle la branche cadette la plus proche du duc porta le titre de princes de Carignan. Ce n'est qu'en 1831, au moment du décès du roi de Sardaigne Charles-Félix, que Charles-Albert, prince de Carignan, devint roi de Sardaigne (et son fils Victor-Emmanuel II, comme tout le monde le sait, sera le premier roi d'Italie). Grâce à la "Consegna delle bocche umane"12 de 1627, il est possible de vérifier l'état patrimonial de la famille Grimaldi (branche de Carignan) : le représentant de cette famille, à cette époque, avait huit domestiques qui vivaient dans son hôtel. Les Grimaldi de Carignan sont toujours qualifiés comme "comtes", en considération de l’ancienneté et de l'importance de la famille. Marcelucio Grimaldi fut chevalier de Malte et commandeur de cet ordre pour la ville d'Ivrée.

10On peut supposer que les Grimaldi qui vivaient à Cambiano, petite ville située à quelques kilomètres de Carignan, et sur lesquels restent des documents qui témoignent de leur appartenance à un milieu élevé13, étaient de la même souche que leurs homonymes de Carignan.

11En même temps que membres du conseil municipal de Carignan, les Grimaldi, au XVIIe siècle, avaient obtenu des charges importantes à la Cour de Turin, malgré leur appartenance à un milieu provincial : rappelons par exemple César qui, en 1606, était gentilhomme "di bocca" du duc de Savoie14.

12A partir de la moitié du XVIIe siècle et pendant tout le XVIIIe siècle, la politique absolutiste des Savoie veut la formation d'une nouvelle aristocratie qui se réalise par l'évocation et la vente, parfois aux enchères, d'un grand nombre de titres retentissants et de fiefs. Ceci oblige plusieurs familles d'ancienne noblesse et qui n'avaient souvent que la noblesse simple, à acquérir de nouveaux fiefs et titres relatifs, pour réaffirmer leur statut nobiliaire15.

13C'est le cas des Grimaldi de Carignan qui, en 1688, achètent une partie du fief de Baldissero avec le titre de seigneur16. Cela prouve que leur fortune était encore considérable à cette époque et qu'ils tenaient à ne pas renoncer à leur situation sociale et juridique antérieure.

14La branche des Grimaldi de Carignan s'éteignit d'une façon dramatique, avec le décès, en 1698, d'Emile Grimaldi, de douze ans, qui mourut en tombant d'une loge pendant la représentation d'une pièce dans le Collège des Nobles de Turin17.