Les groupements de parenté

1Quelle que soit l’importance relative de la filiation et de l’alliance, la famille élémentaire constitue toujours l’atome de parenté autour duquel se structurent les autres noyaux. Néanmoins, l’existence universelle de la famille élémentaire, n’exclut pas l’existence de groupements plus étendus1, fondés sur la résidence commune ou sur tout autre type de relations. Les règles de filiation et d’alliance se conjuguent en effet avec le mode de résidence pour déterminer des groupes de parenté locaux, plus ou moins étendus1, qui présentent une certaine continuité, une identité entre des individus appartenant à des générations successives. Il nous faut donc analyser le mode de structuration de ces groupements, ainsi que leur finalité. Pour ce faire, il est nécessaire de bien distinguer entre les diverses formes et niveaux de groupements.

2Les études menées par les historiens allemands regroupés autour de Karl Schmid ont conclu qu’on passait, au xi^e siècle, de groupements larges et généalogiquement peu profonds, organisés horizontalement, à des lignages agnatiques, de structure verticale plus cohérente, ancrés dans le sol de châteaux2. Georges Duby a repris ce modèle pour la France en le nuançant : les lignages s’y organisèrent plus précocement, avant l’an Mil pour les plus puissants, autour de la transmission patrilinéaire de l’honor familial3. Plus récemment encore, Constance B. Bouchard, se fondant sur les tendances patrilinéaires qui prévalaient au sein de trois familles de la haute aristocratie carolingienne, a remis en cause l’existence de groupements larges et horizontaux au ix^e siècle4. En fait, les choses me paraissent beaucoup plus compliquées que cela, parce qu’il faut distinguer selon les niveaux.

3Distinguant la filiation de la descendance, Meyer Fortes a mis en lumière une unité de filiation, située autour d’Ego et correspondant à peu près à la famille de procréation et d’éducation. Selon lui, au-delà de cette unité de filiation, les groupements de parenté se structurent selon le principe de la descendance, remontant dans le passé et descendant vers l’avenir, autour de la possession commune de la terre ou de biens spirtuels. Il met également en lumière les relations entre les groupements de parenté et les réalités sociales et politiques, tout en montrant que les groupes segmentaires, lignages ou clans, ne fonctionnent pas forcément comme des unités sociales et politiques, même dans les sociétés où l’équilibre social est assuré par des groupes de parenté qui agissent seuls ou en collaboration avec l’État. Les fonctions politiques peuvent y être assumées par des groupements qui résultent de l’enchevêtrement de segments plus restreints5.

4Cette analyse du mode de structuration des groupements ne permet pas de prendre en compte l’importance de l’alliance au sein de la parenté haut-médiévale. Elle réduit la famille élémentaire à une unité de filiation, alors qu’elle est une unité d’alliance et de filiation, organisée autour du couple conjugal et de ses enfants. Elle conduirait à assimiler les Sippen à des clans, ce qu’elles ne sont pas. Elle ferait du lignage la structure portante de la société politique des xi^e et xi^e siècles, ce qui n’est pas totalement vrai. Mais elle montre qu’il existe des niveaux de groupements, que l’univers de la parenté est formé de segments qui se hiérarchisent et s’entrecroisent pour s’adapter à la réalité sociale et politique. Il est possible que les groupements larges, les Sippen, aient eu une toute autre vocation que celle d’exercer le pouvoir, comme il se peut que l’instauration de lignages à finalité plus nettement politique n’ait pas fait disparaître des formes de relations plus cognatiques. Tout le propos qui va suivre sera donc d’examiner comment les groupements de parenté du haut Moyen Age ont accédé aux réalités politiques, en combinant le principe de la descendance qui permettait la patrimonialisation d’un pouvoir avec celui de l’alliance qui sous-tendait le pouvoir patrimonialisé.