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L'effacement de la campagne sous la poussée urbaine : la rive gauche de Paris au XIIIe siècle
p. 637-646
Texte intégral
1L'urbanisation de cette partie de la capitale s'est produite à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle, soit avec un retard d'un bon demi-siècle sur l'essor de la rive droite, quand le monde des écoles et la jeune université ont animé cette transformation1.
2Le moment, pour notre propos, n'est pas indifférent car le XIIIe siècle conserve une documentation un peu moins parcimonieuse que celle du siècle antérieur2. Certes, par rapport aux questions que l'historien se pose, les sources restent laconiques et dispersées. Mais, se situant dans une période où les problèmes posés par l'urbanisation sont connus et où l’on a expérimenté des réponses, les actes écrits reflètent la prise en compte du phénomène par ceux qui peuvent intervenir directement pour l'orienter à leur profit. À Paris, il s'agit des grands seigneurs fonciers monastiques, propriétaires éminents du sol englobé par la muraille urbaine et exerçant leur contrôle sur les hommes qui viennent s'installer3, des évêques qui réorganisent la géographie paroissiale, des rois, à commencer par Philippe Auguste, qui veulent que s'amplifie cette transformation spontanée et empirique. Les uns et les autres savent qu'ils ne peuvent contrarier le mouvement mais, qu’avec des mesures habiles, ils peuvent en tirer des avantages. Les actes traduisent cette prise de conscience. On va ici les examiner, non pour y voir les formes de l'urbanisation, mais pour y découvrir les signes d’un monde campagnard qui ne s'est pas encore effacé. Deux sortes de témoignages ont été ainsi sollicités : ceux qui évoquent des traces matérielles et ceux qui montrent la lente adaptation au monde urbain des modes de gestion, des manières de penser, héritées des anciennes pratiques et des valeurs du monde rural.
3Avant de les examiner, il convient d'insister sur deux points. D'abord les documents proviennent massivement des archives seigneuriales et ecclésiastiques. C'est dire que les actes ont été passés, puis conservés pour garantir les droits et revenus des seigneurs. Ils ne contiennent de précisions ou de détails que lorsque ces informations sont nécessaires pour appuyer l'expression, la confirmation ou les formes nouvelles de ces droits éminents. À l'évidence ce sont là des sources incomplètes et orientées : il convient de ne point l'oublier. En second lieu, on constate que le gros de la documentation se situe dans la seconde moitié du siècle : autrement dit la documentation reflète avec retard le puissant mouvement d'urbanisation sans qu'on puisse mesurer exactement ce décalage. Ce n'est donc qu'un écho affaibli et tardif qui, on le verra, traduit en creux une des formes de la « persistance » du monde rural face au monde urbain.
Les traces matérielles de la vie campagnarde
4Dans les écrits, des mentions évoquent directement l'occupation des sols ou les formes de l'habitat. Sans aucun doute, la campagne qui subsiste sur la rive gauche de la Seine au début du XIIIe siècle a été déjà influencée par la “ville neuve” de la rive droite. Les courants d'échanges (hommes et produits) ont dû s'intensifier au cours du second tiers du XIIe siècle. Dans ce contexte, on comprend pourquoi les actes ne mentionnent qu'une seule forme de culture, la vigne, celle qui conserve le plus longtemps la meilleure rentabilité. Arracher les ceps pour obtenir du terrain à bâtir ne fut pas entrepris à la légère. Car un clos bien entretenu trouvait pour ses vins un marché facile et les possesseurs de ces terres ont hésité avant de se décider à les lotir.
5La documentation conserve des traces de cette concurrence entre une forme d'exploitation rurale profitable et la demande urbaine en terrain à bâtir. Les quelques mentions de vigne pour la fin du XIIe siècle n'évoquent pas le prochain arrachage ; par exemple, en 11854, cinq arpents de vigne sont donnés par Élainor comtesse de Beaumont. Ces vignes situées près de Saint-Étienne-des-Grès furent à son père et le bénéficiaire Robert de Chartres continuera sans doute à les exploiter. L'obituaire de Sainte-Geneviève5 contient des mentions analogues : ainsi les vignes « près de la Croix Hémon » données par le chanoine Ermeric, où sont établis six hôtes, ou celles données par Gilbert qui étaient situées « près du cimetière des Juifs » et où, là aussi, étaient installés six hôtes qui donnaient tous les ans six muids de vin.
6Le lotissement de grands clos de vigne, délibérément engagé, marque un tournant au bénéfice de la ville. On connaît bien celui du Clos Mauvoisin ou du Clos Bruneau6 en 1202. Les actes prévoient l’arrachage prochain des vignes pour faire place à des maisons d’habitation, c’est-à-dire des maisons urbaines, mais ils ne s'attachent pas à décrire comment seront découpés les lots et à quelles conditions ils seront attribués. Ils tablent sur une augmentation importante du nombre des hommes et ils consignent minutieusement comment seront répartis les droits et les revenus à attendre de ce surplus de population. Les seigneurs promoteurs de l'entreprise entendent ne pas laisser diminuer leurs droits anciens et supputent ce qu'ils pourront tirer des nouveaux habitants. Des vignes ou des terres plus petites ont sans doute été concédées pour faire des maisons mais ces menues opérations ont laissé peu de traces. Retenons en 1210 le cas du chanoine Herloinus qui acense sa grange et les vignes attenantes à Thomas l'Épicier pour une somme de 6 livres parisis par an. Thomas s'engage à faire bâtir une maison qui reviendra ensuite aux chanoines de Notre-Dame7.
7Des actes postérieurs à ces débuts du XIIIe siècle mentionnent parfois des vignes. Elles se sont maintenues aux abords de l'enceinte, là où la demande en terrain fut sans doute moins forte, là où elles prolongeaient des vignes hors les murs. C'est le cas d'un arpent et demi situé dans le clos de l'église Saint-Étienne8, vendu en 1256.
8Les documents font allusion parfois à des « terres » ou à des « places ». Peut-on y lire des références à des terres encore cultivées ? Faut-il y voir des terrains vagues qui attendent preneur ? Pour certaines des mentions, l'interprétation – terre encore exploitée – est possible. Voici en 1258, près du Palais des Thermes, une place de terre attenante à une maison d'une part et de l'autre à une autre place de terre9. Dans cette zone où se constitue une bonne part du patrimoine de la Sorbonne, la pression de la ville reste discrète, les prix relativement sages et les terres non occupées encore assez nombreuses. Il en est de même aux abords de l'enceinte. Comme les mentions de vignes, celles de terres indiquent une moindre urbanisation dans le second tiers du XIIIe siècle. Ailleurs, terres et places désignent vraisemblablement des terrains qui ont été déjà bâtis mais qui, au moment où l'acte est passé, sont nus. Ainsi en 129910, la référence à deux places vides est complétée par l'indication qu'elles sont vagues depuis douze ans.
9Vue par les allusions à la terre et à sa mise en valeur rurale, la campagne s'est effacée dès le début du XIIIe siècle11. Vue par les formes de l'habitat, l'emprise rurale, au moins passive, fut sans nul doute plus longue. Elle se traduit dans les documents écrits par des mentions de granges. La plupart des références à ce type de bâtiment agricole datent de la période 1240-1250, car aux mentions dispersées dans la documentation seigneuriale d'ensemble viennent se joindre les indications fournies par le Cartulaire de la Sorbonne, et celles fournies par les premiers censiers conservés de Sainte-Geneviève. Ensuite, les mentions redeviennent sporadiques. Il s’agit de bâtiments intégrés au tissu urbain ordinaire. Je retiens les mentions qu'on peut, sans trop de risques d'erreurs, interpréter comme des granges au sens de bâtiment d'exploitation rurale. Ainsi une grange citée en 1230 près de la porte Saint-Victor12, en 1247 celle située près de Saint-Etienne, celle citée en 1248 rue Pavée13, en 1251 la grange et le verger près du Palais des Thermes14, en 1252 les trois granges rue de Bièvre15, en 1254 la petite grange et le pré, sis également près du Palais des Thermes16. Voici en 1265 rue des Noyers une grange avec un petit jardin tenant à un verger17, en 1270, rue des Poitevins, une place où il y a une loge tenant à une grange et à un jardin18, en 1276, rue des Noyers une grange attenante à un jardin. La mention en 1247 d'une grange neuve rue Saint-Benoit19 indique que des granges conservaient leur fonction première car, en ville, maintenir des bâtiments (voire en bâtir) était nécessaire20.
10Les granges citées dans des actes concernant la rue au Foin l'illustrent. Cette voie reliait d'est en ouest la rue de la Harpe à la rue des Noyers qui la prolongeait21. Son nom vient sans nul doute de la présence de nombreux marchands de foin. Un document de 1278 l'atteste22. Il cite une maison tenant de part et d'autre à des granges, l'une appartenant à Vincent le Fenier, l'autre à Nicholas Preudhomme, fenier. Si le métier de Nicolas est clairement indiqué, celui de Vincent a dû lui servir de surnom23. Les autres mentions de granges, dans des actes concernant cette rue, sont plus sèches : 1182, une maison est située entre deux granges, 1253, vente d'une grange, 1278 une maison tient à la grange de Haimon de Marele24.
11Les mentions de granges ailleurs dans l'espace de la rive gauche sont plus difficiles à interpréter. Au moment où elles sont mentionnées dans les textes (c'est-à-dire avec le retard sur la prise en compte de l'urbanisation dans les documents), elles peuvent représenter une forme rudimentaire d'habitat urbain car, avec quelques aménagements, ces granges peuvent loger des citadins à moindre coût. Les mentions de grange dans le cartulaire de la Sorbonne paraissent relever de ce type d'habitat peu cher25.
12Pour résumer, la campagne semble s'être rapidement effacée sous la poussée urbaine qui, en faisant monter les prix des terrains, a désavantagé les mises en culture les plus rentables, qui a utilisé (pour des premiers occupants sans grandes ressources) le bâti ancien, y compris les bâtiments d'exploitation. Avec un décalage de deux générations, les actes conservés n'en portent plus qu'une trace furtive.
13En revanche, jaugée par les modes de gestion et les manières de penser, la campagne, ou plutôt les formes d'exploitation seigneuriale des activités rurales demeurent vivaces, bien après que tout l'espace se soit urbanisé. Nous allons le voir par les censiers de Sainte-Geneviève.
L'emprise mentale de la campagne sur la ville en plein essor
14Ces registres conservés, qui contiennent la liste des redevances attendues par le pitancier, s'étendent sur une période allant de 1243 à 127626. Ils se présentent ordonnés par des rubriques fort révélatrices. La plupart des hommes de l’abbaye qui lui doivent des redevances en argent ou en nature se trouvent sous deux rubriques : le cens du vinage et le cens du pré. C'est bien une référence aux formes de la mise en valeur des terres qui fonde les droits consignés et, à ces dates, pour l'abbaye/seigneur, ce rappel de la légitimité de ses droits l'emporte sur toute autre considération.
15Le titre, cens du vinage, coiffe de longues listes au maniement incommode : elles n'ont pas de cohérence topographique. Pour ne point trop s'y perdre, le pitancier fait ajouter parfois, après l'inscription du nom de la personne, celle de la rue où se trouve la maison pour laquelle le vinage est dû. Ces références précises montrent une dispersion des mentions dans toute la seigneurie urbaine. La base de ces droits, parfois exprimés en quantité de vin, n'est plus (depuis combien de temps ?) rurale comme atteste la mention la plus généralement employée par le pitancier : « un tel... pour sa maison ». Dans les censiers postérieurs, quelques souvenirs de cette redevance en nature subsistent toujours27.
16Au XIIIe siècle, lorsqu’il récapitule la quantité de vin qu'il attend, le monastère ne distingue pas ce qui vient de ses terres dans les murs de Paris et de ses terres hors les murs. La coupure ville-campagne ne s'impose pas encore dans la rédaction des censiers. Toutefois, la réalité commence sans doute à perturber le rédacteur car on voit, dans les rubriques concernant d'autres redevances en vin, une distinction entre ceux qui la doivent « à cause de leurs vignes » et ceux qui la doivent « à cause de leurs maisons », deux petites rubriques qui s'ajoutent à celle du vinage.
17Le cens du pré évoque une autre forme d'exploitation rurale qui fondait les profits de l'abbaye/seigneur. On y retrouve la même discordance entre le titre justifiant le droit et la liste des contribuables qui payent « pour leur maison » urbaine. De même, les indications de rue viennent compléter l'indication du nom de la personne. Grâce à ces mentions, on voit que l'espace concerné se définit bien, en bordure de la Seine, structuré par les rues Saint-Victor et de Bièvre. Ces zones basses et humides furent d'abord exploitées comme pâturages et prés. Une rubrique l’atteste, qui précise pour une liste d'une vingtaine de noms : « ceux qui doivent faire les foins ». Là encore, rien ne distingue dans cette liste les Parisiens des villageois de la banlieue28.
18L'ensemble de l'organisation des censiers témoigne de l’inadaptation des anciennes méthodes de gestion. L'abbaye tarde à reconnaître que les hommes dont elle attend ses ressources ne sont plus, à l'intérieur de la muraille, des paysans, que les terres qu'ils tiennent tirent leur valeur de la maison qui y est bâtie. Très progressivement et avec des retours en arrière, une autre manière d'établir les censiers va s'imposer : classer les hommes en fonction de la maison qu'ils possèdent et les retrouver en suivant les maisons dans chaque rue de la seigneurie. C'est entre 1261 et 1276 que les censiers sont rédigés selon un ordre entièrement topographique, pleinement accordé avec le tissu urbain concret, seule base de connaissance claire et commode pour le seigneur.
19D'autres indices témoignent de ce lent arrachement au système hérité du passé rural. D'abord, comme on l'a déjà noté, la séparation des terres urbaines et des terres de la banlieue ne semble pas bien prise en compte. Les censiers évoquent rarement l'enceinte et, quand ils le font, c'est comme repère commode pour situer une maison, ainsi « près de la porte Saint-Marcel ». En dehors du vinage et des redevances pour les prés, la base des autres droits a du mal à être définie. Dans les courtes rubriques à base topographique (comme pour les maisons « près du carrefour Saint-Séverin »), la somme à payer est notée sans autre explication. Au long des registres, on trouve des mentions plus explicites comme « pour le fond de terre », et pour le « croît de cens », comme si les fondements des droits seigneuriaux en ville se reliaient mal encore à la population des dépendants de l'abbaye établis dans les murs de Paris. Peu à peu ces bases se clarifient. L'adoption d'un recensement par ordre topographique traduit ces rapports redéfinis. Au long d'une rue de la seigneurie, tous les possesseurs doivent le fond de terre, base des droits éminents. Peuvent s'y ajouter des rentes éventuelles. Ainsi établis, les censiers deviennent à la fois “urbains” et bien plus faciles à utiliser par le seigneur.
20Le vocabulaire exprime aussi ce genre de difficile mutation. Le mot censive en est un bon exemple. À la fin du XIIIe siècle, son sens à Paris est définitivement arrêté. Le terme désigne tout le territoire de la seigneurie et il est employé quand, dans un acte, il faut préciser que le possesseur d'une maison relève de la seigneurie et doit donc payer le fond de terre et les autres droits29. Bornes, écus, ou marques de censives inscrivent matériellement la frontière des seigneuries parisiennes et c’est parfois, aux XIVe et XVe siècles, un sujet de différends et procès entre seigneurs. Hors les murs de l'enceinte, le mot désigne couramment l'exploitation rurale concédée par le seigneur, la terre paysanne, soit l'interprétation inverse du rapport hiérarchique de la propriété. À Paris, l'accent s'est porté sur l'espace dominé par le seigneur. Hors de la ville, il est mis sur la terre tenue par le paysan.
21Au XIIIe siècle, cette distinction ne s'est pas encore totalement opérée. Les censiers de l'abbaye mentionnent des revenus ainsi justifiés : « pour sa censive », ce qui rappelle les modes de lotissements et d'installation des hommes qui ont peuplé le quartier de la rive gauche. Parfois, le pitancier indique « pour la censive qui a été achetée à », rares et brèves allusions à l'actif marché foncier que déclenchait le mouvement d'urbanisation30. Ces censives concédées par l'abbaye/seigneur ne nous sont pas connues directement par une documentation écrite. On peut estimer, cependant, qu'elles furent de tailles diverses, allant du petit terrain juste suffisant pour y bâtir une maison jusqu'à de grandes surfaces que le preneur a ensuite divisées et sous-concédées à plusieurs personnes, ou qu'il a lui-même loties dans une seule entreprise de construction et de location ou de vente. Passées les armées 1260, on ne rencontre plus ce genre de censives car les transferts fonciers multiples ont définitivement effacé le souvenir de la première concession : seule compte désormais la situation de l'immeuble dans la censive/seigneurie qui suffit à fonder les droits éminents de l'abbaye.
22Reste à s'interroger sur ce retard des sources écrites par rapport à une transformation massive et puissante de l'espace urbanisé. Je ne crois pas qu'il s'agisse de paresse et de routine dont le pitancier de Sainte-Geneviève ou les autres seigneurs monastiques seraient affligés. Pas plus qu'il ne peut être question d'indifférence ou d'incompréhension du phénomène. Le lotissement des grands clos montre le contraire. En revanche, il me paraît assuré que ces vieilles seigneuries monastiques étaient prudentes et déterminées. Elles étaient prudentes pour adopter des changements de forme de gestion, de rédaction, car elles savaient que leurs droits se fondaient sur ces textes, scrutés, contestés éventuellement, cités et recopiés pour trancher les conflits juridiques. Or leur souci premier était de préserver leurs droits. Aussi fallait-il être particulièrement attentif au glissement d'une légitimité fondée sur la mise en valeur rurale des terres seigneuriales vers une légitimité incontestable dans le monde urbain. La diversité des droits, celle des contrats particuliers ou collectifs qui encadraient le peuplement et l'urbanisation de leurs terres, obligeaient à ne pas rompre inconsidérément la continuité de la prééminence seigneuriale. Face à cet impératif, les inconvénients pour le gestionnaire d'une forme archaïque de l'organisation des censiers ne pesaient pas suffisamment, tout au moins jusqu'à la seconde moitié du XIIIe siècle. Mais précisément, la nécessité de maintenir vivante et dynamique cette prééminence a conduit à modifier les vieilles pratiques et les formulations anciennes. Cette nécessité l'emporte quand le risque, pour les seigneuries monastiques, est de ne plus connaître leurs dépendants et donc d'exiger d'eux les revenus attendus parce que, dans l'espace urbanisé où se pressent tant d'hommes, où se bâtissent tant de maisons, il n'est plus possible de suivre les habitants par leur seul nom inscrit sous une rubrique désordonnée et obsolète. Et lorsque les prix des immeubles montent, que le marché foncier est vigoureux, le risque était désormais de laisser passer une part des profits prélevé par le jeu des lods et ventes payés à chaque mutation, si l'abbaye/seigneur n’est pas capable de suivre exactement les transactions. Impossible de continuer à gérer les seigneuries parisiennes comme une série de gros villages où chacun se connaît, à commencer par le seigneur. Une bonne gestion exigeait de changer et de prendre en compte plus directement et plus clairement les changements intervenus. Dans les années 1260, c'est chose faite.
23Pour la majorité des hommes qui ont peuplé et bâti la rive gauche de Paris, l'effacement de la campagne est accompli au début du XIIIe siècle. Là où la poussée urbaine est moins vive, près du bord de la Seine où débouche la Bièvre, aux abords de la muraille, il peut subsister des zones où des formes de campagne se maintiennent quelque temps. Mais elles se mêlent sans doute à des formes d'occupation des lieux par une population pauvre, qui ne s'est pas encore intégrée mais qui espère bientôt réussir. La documentation conserve quelques traces de ces histoires, mais le gros nous échappe. L'effacement est plus lent si l'on considère l'attitude des grandes seigneuries et leur manière de voir la ville en plein essor. Elles attendent, pour modifier leurs anciennes pratiques fondant leurs droits, que le monde urbain se soit durablement imposé.
24Resterait à évoquer ce qu'il en fut pour la masse des Parisiens impliqués dans cette histoire. Mais on ne peut que poser le problème, parce que les écrits ne s'intéressèrent pas à ces aventures. Pas plus que les paysans qui peuplaient auparavant ces terres, ces nouveaux venus devenus citadins n'eurent l'occasion d'apparaître dans les archives seigneuriales autrement que pour témoigner de leur subordination fondamentale.
Notes de bas de page
1 Cf. R. Cazelles, Nouvelle Histoire de Paris. Paris de l'avènement de Philippe Auguste à la mort de Charles V (1223-1380), Paris, 1972 et S. Roux, Le quartier de l'Université à Paris du XIIIe siècle au XVe siècle : étude urbaine, Lille, Thèse 134208953/90.
2 Les archives des grands monastères conservent des actes de vente, des contrats de rente, des donations, des accords entre seigneurs.
3 L’abbaye de Saint-Germain-des-Prés à l’ouest, celle de Sainte-Geneviève à l’est, dominent la rive gauche emmuraillée par l’enceinte au début du XIIIe siècle. On note que l’abbaye de Sainte-Geneviève se trouve alors incorporée dans l’espace urbain.
4 Cf. Actes de Philippe Auguste, H. F. Delaborde (éd), Paris, 1916-1966, no 147.
5 Obituaires de la province de Sens et de Paris, I. Rédigé entre 1275 et 1285, l’obituaire rassemble des informations antérieures à ces dates mais sans qu’on puisse préciser davantage.
6 Mathieu de Montmorency concède sa vigne du Clos Mauvoisin ad hostias faciendas en 1202, et l’évêque de Paris celle du Clos Bruneau la même année, ad habitandum. Pas de problème entre Mathieu et l’abbaye pour se partager les droits sur les futurs habitants qui seront paroissiens de l’église du Mont (Saint-Étienne). Pour le clos Bruneau, l’abbaye obtient de l’évêque le rattachement de ces futurs habitants à la paroisse du Mont, alors que l’évêque pouvait en décider autrement, mais il s’agit là d’une contrepartie à des concessions faites par Sainte-Geneviève sur son église de Sainte-Geneviève-la-Petite dans l’île de la Cité. Voir A. Friedman, Paris, ses rues, ses paroisses, du Moyen Age à la Révolution Française, Paris, 1959, p. 244-247.
7 Cartulaire de Notre-Dame, B. Guérard (éd.), Paris, 1850, 1, no XXV.
8 Archives Nationales (désormais AN) S 4070b. Près de Saint-Étienne-des-Grès se trouvait le pressoir du roi cité dans les censiers de l’abbaye. Ceux-ci mentionnent aussi des vignes hors les murs notamment celles proches de Saint-Victor, et celles appartenant à Sainte-Geneviève au lieu « les Arènes » ou simplement hors les murs ; cf. Censiers de Sainte-Geneviève, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 579, f. 4, 4 v, 5 (censiers de 1249) et f. 130 v, 133 (censier de 1258).
9 AN S 6213 no 61 et Mgr. P. Glorieux, Le Cartulaire de la Sorbonne, Paris, 1965, no 162.
10 Cf. Ibid., no398.
11 Je n'oublie pas les mentions, encore plus rares de vergers ou de jardins, qui, comme les vignes, peuvent s'intégrer dans la grande ville. Pour mon propos, ces indications ne traduisent pas une résistance de la campagne à la ville montante mais une adaptation en milieu urbain de certaines de ses activités.
12 AN S 58 no 21.
13 Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 579, f. 1 v et 6 v.
14 P. Glorieux, op. cit. à la note 9, no 69.
15 AN S 1490.
16 P. Glorieux, op. cit. à la note 9, no 92.
17 AN S 844.
18 AN S 3441.
19 AN S 5115A
20 Entrepôts de fourrage, resserres à usage divers, des granges sont indispensables car les villes logent des animaux de selle, de bât et d’attelage, bêtes qu’il faut nourrir. Je relève dans un acte de 1263 (AN S 4245), à propos de deux maisons rue du Foin, que l’une d’elles tient à la grange des Mathurins dans laquelle les religieux « entreposent leurs tonneaux ». Est-ce l’utilisation inhabituelle de cette grange qui a motivé cette précision ?
21 Cette rue fut absorbée par l’ouverture du boulevard Saint Germain.
22 AN S 4245.
23 Au XIIIe siècle, les surnoms de personnes conservent encore une signification directe, que tout le contexte de cette mention confirme.
24 AN S 4245.
25 Ce qu’indique l’expression « grange ou maison » employée dans certains actes. Par exemple, rue de la Sorbonne en 1283, cf. P. Glorieux, op. cit. à la note 9, no 370. En 1286, rue des Murs, près de l’enceinte, une grange est concédée en bail à rente avec une clause d’amendement à y investir à hauteur de 20 livres parisis (AN S 56).
26 Un censier de 1243 est conservé dans Le livre du cellerier, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 351, f. 6 à 27 v. Ceux de 1247 à 1261 dans le ms. 579, de la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Celui de 1276 incomplet, débute la série de registres conservés aux Archives nationales sous la cote S* 16261
27 Ainsi en 1367 (AN S 16265, f. 39), Jacquemart de Cambrai est redevable, pour ses maisons au coin de la rue de Bièvre, de 10 setiers de vin. En 1463 (AN S* 16293, f. 22 v), ces maisons sont tenues par Regnault Canivet et il est précisé que les 10 setiers de vin « ont esté convertis à paier autrefois à 20 sous ».
28 Par exemple en 1254 (Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 579, f. 87 v), en 1256 (f. 107 v), en 1257 (f. 124 v) en 1259 (f. 145). On note qu’il s’agit d’une redevance de deux deniers par faneur.
29 Un exemple entre cent, en juin 1247 une maison située au clos Saint-Symphorien est dite « dans la censive de Sainte-Geneviève » et chargée en « 18 deniers parisis de cens capital ». Cf. P. Glorieux, op. cit. à la note 9, no 59.
30 Par exemple, en 1252 la veuve de Nicolas Arrode paye 10 sous 6 deniers pour sa censive, soit pour la terre concédée par l’abbaye : la censive est ici « rustique » (Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 579, f. 81 v). En 1248 (f. 7 v), Sarra paye 21 sous pour la censive qu’elle a acheté à Girard Freida et à sa femme Agnès.
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Le village médiéval et son environnement
Ce livre est cité par
- Verhulst, Adriaan. (2002) The Carolingian Economy. DOI: 10.1017/CBO9780511817083
- Le Jan, Régine. (2003) La société du haut Moyen Âge. DOI: 10.3917/arco.lejan.2003.01.0285
- Villanueva Morte, Concepción. Rodrigo Estevan, María Luz. (2022) Reutilizar y reciclar. Prácticas cotidianas y modelos de negocio en el Aragón bajomedieval. Anuario de Estudios Medievales, 52. DOI: 10.3989/aem.2022.52.1.06
Le village médiéval et son environnement
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