L’évolution du parcellaire en Mâçonnais (env. 900 - env. 1060)
p. 509-535
Texte intégral
1Les médiévistes, y compris ceux qui s'intéressent à l'histoire rurale, n'ont pas consacré des efforts démesurés à l'analyse des parcellaires ni, a fortiori, à l'examen de la taille des parcelles et à son évolution1. Pourtant certains documents, connus depuis longtemps2, contiennent d'abondantes informations. Sans doute cette négligence n'est-elle, à bien des égards, qu'un des effets du désintérêt et de l'incompétence des médiévistes pour toutes les questions pratiques et matérielles3 : les railleries de Marc Bloch4 n'ont guère entamé le spiritualisme benêt de la corporation.
2Il faut toutefois reconnaître que ces mentions opposent à l'analyse de notables difficultés : les unités de mesure obligent à pénétrer au cœur du maquis obscur de la métrologie médiévale, la manière de mesurer et les objectifs de ces mensurations sont malaisés à percevoir, et la représentation sous-jacente de l'espace requiert un effort spécifique et laborieux de reconstruction, qui n'est aujourd'hui qu'à peine esquissé5.
3Nous tenterons ici un premier examen des informations contenues dans le cartulaire de la cathédrale Saint-Vincent de Mâcon. Avant nous, André Déléage avait publié, en annexe de sa thèse, de vastes tableaux de données numériques relevées dans les documents bourguignons jusqu'au XIIe siècle6, mais il n'en avait tiré aucune analyse. Georges Duby, dans son ouvrage classique sur le Mâconnais7, n'avait pas abordé la question. En 1984, François Bange, dans un article tonique8, s'était employé à montrer ce qui ressort le plus directement de ces mentions. Nous voudrions établir ici que l'on peut aller sensiblement plus loin, d'un côté en tenant compte de manière méthodique du contexte de chaque mention et, d'autre part, en employant des techniques d'analyse numérique et graphique mieux appropriées.
Chartes et mensurations
4Un obstacle majeur est constitué par l'état même du texte que nous cherchons à lire. Érudits locaux, historiens, lexicographes même, ont pris l'habitude, depuis plus d'un siècle, d'utiliser sans états d'âme le volume publié par Marie-Camille Ragut en 18649. En réalité, ce sympathique amateur s'était contenté de livrer à l'imprimeur une transcription, constellée d'erreurs, d'une copie du XVIIIe siècle d'une première copie du cartulaire, elle-même effectuée à une date indéterminée avant la destruction de l'original au moment des Guerres de Religion. Il avait muni ce texte d'un index assez complet de tous les noms propres, index dénué d'identifications. Les datations, données sans explication10, sont fréquemment discutables. Autrement dit, tout le travail d'ecdotique reste à faire11 : codicologique, philologique, diplomatique, historique. Il est indispensable de savoir, d'entrée de jeu, que l'on travaille sur un texte incertain, et qu'une édition sérieuse devra être réalisée préalablement à toute tentative de reconstitution détaillée.
5Dans son état actuel, le cartulaire compte 633 “chartes”. Parmi ces textes, 114 contiennent au moins une mensuration numérique ; chiffre qu'il faut ramener à 105 pour tenir compte de 9 doublons. Ces 105 chartes proposent des mensurations relatives à 145 parcelles différentes. C'est cet effectif, correspondant à une zone géographique restreinte (les environs immédiats de Mâcon) et à une période d'un siècle et demi à peu près (environ 900-1060), qui ouvre la perspective d'une première exploitation statistique.
6Pour chaque parcelle nous avons donc relevé (= mis en fiche) les diverses mensurations, le type de parcelle (champ, vigne, etc.), le type de transaction (don, vente, etc.) et la localisation fournie par la charte. Après quelques hésitations, nous nous sommes résolu à procéder nous-même à une nouvelle datation approximative (par quart de siècle) des chartes retenues : les listes de témoins des eschatocoles permettent, dans la plupart des cas, de retenir une fourchette avec une bonne probabilité12. Tenant compte du caractère illusoire d'une tentative de datation trop précise dans les conditions actuelles, il nous est apparu raisonnable de nous en tenir, dans la suite de notre travail, à une partition en trois phases : 1. la première moitié du Xe siècle, 46 parcelles concernées (34 chartes)13 ; 2. la seconde moitié du Xe siècle, 48 parcelles (28 chartes)14 ; 3. la première moitié du XIe siècle, 48 parcelles (41 chartes)15. Ne restent que trois ultimes parcelles dans les années 1080 (2 chartes)16. Même en limitant fortement le nombre de modalités pour chaque caractère, on arrive finalement à un nombre de variables plus que suffisant pour autoriser des analyses multidimensionnelles.
Métrologie
7Au préalable, une observation soigneuse de chaque caractère demeure une voie de passage obligée, et l'on doit en premier lieu affronter résolument l'obstacle métrologique. Soit, par exemple, la charte n° 127 (vers 930) :
Hoc est vinea que terminatur a mane terra sancti Clementis, a medio die terra Bononio et Octavio, a sero et a circio terra Sitboleti; et habet in longo perticas XVI, in lato in uno fronte a mane perticas VII et pedes X et in alio fronte a sero perticas XVII. Infra istas terminationes et perticationes ad integrum vobis donamus...
8Dans le détail, le formulaire varie légèrement, et mériterait d'ailleurs un relevé exhaustif. Mais la procédure implicite est stable : le texte mentionne d'abord les détenteurs des terres adjacentes, en précisant les points cardinaux ; puis viennent, le cas échéant, les indications de mesure : le plus souvent une longueur (in longo... in longum...) puis une ou deux indications de largeur (in lato... in uno fronte... in alio fronte...), avec le plus souvent une indication de l'azimut si les deux largeurs sont différentes. Manifestement, la procédure de perticatio était avant tout un complément de celle de terminatio, il ne s'agissait pas de fournir les moyens d'évaluer la surface du terrain considéré (ce pour quoi les indications d'orientation auraient été tout à fait superflues).
9Les 145 parcelles se répartissent ainsi :
pour sept d'entre elles, on ne connaît qu'une dimension (pour quatre, une largeur ; pour deux, deux largeurs ; pour une, une longueur) ;
pour 77, une largeur et une longueur ;
pour 51, trois dimensions (pour 49, deux largeurs et une longueur ; pour deux, une largeur et deux longueurs) ;
pour dix, quatre dimensions.
10L'énoncé de la mesure de chaque segment est plus ou moins développé. Dans le cas le plus simple, le rédacteur note seulement un nombre de perches. Il indique parfois un complément d'une demi-perche et, assez fréquemment, une précision d’un reste en pieds (64 cas pour 357 segments).
11Une estimation grossière de la surface (et du rapport entre longueur et largeur) est donc possible dans 138 cas. Au total, 357 segments mesurés, dont 206 largeurs et 151 longueurs. La largeur est l'objet de bien plus de soins : la précision en pieds est beaucoup plus fréquente pour les largeurs (48 cas pour 206, 23 %) que pour les longueurs (16 pour 151, 11 %). Cette différence se marque aussi dans le vocabulaire : le terme de frons, qui désigne couramment la largeur, en plus de in lato, n'a pas d'équivalent pour la longueur. Ce qui correspond à la vision de la parcelle que l'on a en se plaçant devant un petit côté, le regard suivant l'axe de la parcelle ; la mesure suit le même processus : mesure précise de la largeur (mesure double dans 62 cas, simple dans 82 cas) puis mesure rapide de l'axe longitudinal (double dans 12 cas, unique dans 127 cas). On ne saurait trop insister sur cette forte différence de traitement entre largeur et longueur, qui renvoie à une approche pratique de la parcelle, exactement à l'inverse de notre vision géométrique, cartésienne et neutre17.
12Il n'est guère douteux que la perche était un multiple du pied. La question principale est celle de la valeur du multiplicateur. Il serait bien imprudent de se fonder entièrement sur des indications ponctuelles, dès lors qu'on connaît la fréquence des erreurs de copie des nombres au Moyen Âge. Il paraît beaucoup plus sage de tenter d'utiliser la documentation de manière globale. Mais, s'il faut éviter les interprétations trop ponctuelles, on doit se garder aussi de considérer en bloc les 145 parcelles, car rien ne montre a priori qu'aucune évolution ne se soit produite durant la période étudiée. Nous devons donc, à présent, entreprendre un examen comparatif des trois ensembles chronologiques distingués.
13La première question est celle de la précision relative des mesures, que l'on peut aisément envisager sous deux angles : le nombre de segments mesurés par parcelle, et le nombre de segments mesurés au pied près par rapport au nombre total de segments mesurés. Le tableau du nombre de mesures par parcelle est assez éloquent :

14Le nombre moyen de segments mesurés baisse fortement au cours du Xe siècle. Dans la première moitié du Xe, 17 parcelles correspondent à deux mesures, 29 à trois ou quatre ; la proportion s'inverse ensuite : 33 contre 15 dans la seconde moitié du Xe, 34 contre 17 au XIe.
15Le tableau du nombre de segments mesurés au pied près complète le précédent :
900-950 | 950-1000 | 1000-1050 | ap. 1050 | |
perches ; | 125 | 111 | 115 | 6 |
perches et pieds j | 24 | 20 | 19 | 1 |
rapport | 19,2 % | 18 % | 16,5 % | 16,6 % |
16Ici, la proportion de segments mesurés avec précision diminue modérément, mais continûment tout au long de la période. Nous possédons ainsi deux indices, bien distincts mais convergents, qui permettent de conclure à une diminution générale de la précision. On peut synthétiser ces deux indicateurs en divisant les parcelles en deux groupes : celles qui sont définies par au moins une longueur et une largeur et comportent au moins une indication en pieds, et les autres. On obtient :
900-950 | 950-1000 | 1000-1050 | ap. 1050 ! | |
faible précision | 28 | 34 | 36 | 2 |
bonne précision | 18 | 14 | 12 | 1 |
17On constate ainsi une diminution régulière de l'effectif des parcelles mesurées avec précision (qui passent de 40 % à 25 % de l'effectif) et une croissance symétrique de celles qui furent mesurées plus approximativement. Cette observation éclaire d'un jour nouveau un phénomène plus directement perceptible, et qui seul avait jusqu'à présent retenu l'attention : la disparition des indications de taille. Le cartulaire de Saint-Vincent comporte seulement deux chartes avec mensurations dans la seconde moitié du XIe siècle, puis plus rien. Ce phénomène, sur lequel il faudra revenir car il pose un sérieux problème, a également été observé dans le Midi18. Il nous paraît décisif de savoir que cette interruption intervient après une assez longue période (plus d'un siècle) de diminution tendancielle de la précision moyenne des mesures.
18La constatation de cette évolution invite à ne pas traiter en bloc la question du nombre de pieds par perche. Le seul auteur ayant abordé ce point est André Déléage, qui concluait à une perche à 12 pieds, essentiellement à partir de la considération des plus fortes mentions de restes en pieds ; il estimait que la plus forte fraction de perche était de 11 pieds, d'où ce résultat, d'ailleurs éminemment plausible19.
19Tabulons plutôt l'ensemble des mentions, par période :

20On remarque qu'il n'existe aucune attestation des valeurs extrêmes, 1 et 11. Il est aisé de calculer les valeurs centrales, médiane et moyenne, pour chaque période :
moyenne | médiane | |
900-950 | 4,7 | 4 |
950-1000 | 5,7 | 6 |
ap. 1000 | 4,1 | 3 |
21Le phénomène le plus frappant est la chute entre la seconde moitié du Xe siècle et la première moitié du XIe. On trouve deux mentions de restes à 10 pieds au Xe siècle, tandis qu'au XIe la valeur la plus élevée est de 8 pieds. Deux chartes peuvent contribuer à nous éclairer. Dans le texte n° 173 (vers 900), on lit :
habet (vinea) in longo perticas XII; in uno fronte a circio perticas II et dimidiam; in medio loco, ubi Reclanus est, habet perticas II et pedem I, in alio fronte a medio die perticam I et pedes VIII.
22La mention d'un reste d'un pied est unique, de même que la mesure de la largeur en milieu de parcelle. Si l'on admet que les deux côtés longs de la vigne étaient rectilignes, cette largeur médiane doit être la moyenne des largeurs extrêmes, et l'on a ainsi un moyen arithmétique élémentaire de calculer le nombre de pieds par perche. La charte donne en effet :
première extrémité : deux perches et demi
milieu : deux perches un pied
seconde extrémité : une perche huit pieds.
Pour procéder selon les règles, on peut poser :
(2p + p/n) x 2 = (2,5p) + (p + 8p/n)
ce qui, après simplification, donne p = 12p/n, soit n= 12.
23On vérifie aisément :
première extrémité : deux perches et demi = 30 pieds
milieu : deux perches un pied = 25
pieds seconde extrémité : une perche huit pieds = 20 pieds.
24Si la charte 173, quoique fort explicite comme on vient de le voir, n'avait jamais attiré l'attention, en revanche, le texte n° 453 a déjà été soumis à divers commentaires20. Voici le texte imprimé :
habet in longo perticas XII, in lato pedes VIIII id est perticam unam et dimidiam.
25Cela donnerait une perche à six pieds, ce qui n'est pas acceptable. Il suffit, pour obtenir un sens clair, de changer un seul mot de place :
habet in longo perticas XII, in lato pedes VIIII et dimidium, id est perticam unam.
26Ce texte date probablement du deuxième tiers du XIe siècle. Si la restitution que nous proposons (qui est la plus simple parmi toutes celles avancées jusqu'ici) est exacte, ce serait sans doute la première mention explicite de la fameuse « perche de Bourgogne » de neuf pieds et demi, bien attestée à la fin du Moyen Âge, repérable dans les bâtiments au XIIIe siècle, et qui a fait couler tant d'encre dans les manuels de métrologie historique21. La disparition des mentions de restes de 10 pieds au XIe siècle correspondrait ainsi parfaitement au passage d'une perche de 12 pieds à une perche de neuf pieds et demi. La perche, dans la région de Mâcon, se serait donc raccourcie, au tournant des Xe et XIe siècles, de deux pieds et demi, soit à peu près 20 % (2,5/12 = 0,208). Si l'on considère la distribution des mentions de pieds au Xe siècle et celle du XIe, on obtient deux moyennes, 5,1 et 4,1 ; l'écart est exactement de 20 % (1/5,1 = 0,196).
27Il resterait, pour terminer cette partie métrologique, à évaluer le pied employé. Le cartulaire n'offre à cet égard aucune information. Un examen attentif des dimensions des bâtiments construits dans cette région à l'époque considérée nous a amené à conclure à un usage général du pied romain classique (29,5 cm) jusque dans la première moitié du XIIe siècle. Ce qui donnerait deux perches successives de 354 et 280 cm.
28Ce vigoureux raccourcissement de l'unité de longueur agraire pose naturellement une série de problèmes tant sur les conditions de sa mise en œuvre que sur ses effets. Pour tenter d'éclaircir ce point, nous devons à présent examiner l'évolution de la proportion des diverses formes de transaction et des divers types de parcelles que l'on rencontre dans les chartes.
Types de parcelles et de transactions
29Les parcelles mesurées sont, pour près de la moitié, des champs (71 sur 145) ; puis viennent les vignes (43), les parcelles qu'on peut qualifier d'“aménagées”22, curtils, curtils et vignes, manses (22), enfin cinq prés, trois verchères et une parcelle de bois.
30Les types de transaction dans lequelles ces parcelles sont impliquées sont des échanges (47), des dons (44), des ventes (35), des contrats de complant (13), des engagements contre prêt (6). On note immédiatement la part très minoritaire des opérations impliquant la monnaie (41).
31Un croisement global de ces deux caractères fait apparaître quelques relations fortes :

32Les échanges portent essentiellement sur les champs (35 sur 47). Pour les dons, la catégorie la plus représentée est celle des “parcelles aménagées” (15 sur 44) puis viennent les vignes (14) et seulement alors les champs (11) : les donateurs faisaient apparemment un sérieux effort sur la qualité du bien remis. Les ventes et engagements concernaient d'abord les vignes (22), puis les champs (13). Les contrats de complant portent presque exclusivement sur les champs, comme la logique l'impose.
33Un premier coup d'œil sur la chronologie permet de relever d'importantes évolutions :



34La quantité de champs échangés, qui part d'un niveau moyen dans la première période (9), grimpe à 24 dans la seconde moitié du Xe siècle, puis retombe à deux au XIe siècle : à ce moment, la majorité des champs évoqués le sont à l'occasion de contrats de complant. Ceux-ci, qui sont absents de la première moitié du Xe siècle, s'épanouissent au XIe. On observe un effectif significatif de vignes vendues ou engagées dans la première moitié du Xe (13), une seule dans la seconde moitié de ce siècle, de nouveau huit dans la première moitié du XIe. S'agissant de dons, se produit une inversion de la proportion de champs et de vignes : 3 et 2, puis 3 et 6, enfin 4 et 5. Mais, s'agissant toujours de dons, le mouvement le plus remarquable est 1 essor des dons de “parcelles aménagées” : 2, 4 puis 9 ; l'essor de l'effectif total des “parcelles aménagées” mentionnées, 5, 7 puis 10 (doublement) constitue une évolution très remarquable, dès lors qu'il n'est pas douteux que ces parcelles sont un indice particulièrement clair de l'emprise des hommes sur le paysage et de la fixation du parcellaire.
35On retiendra au total deux évolutions notables :
361. le chassé-croisé des ventes-engagements et des échanges : 19 contre 14 dans la première moitié du Xe, puis 4 contre 26 dans la seconde moitié du siècle ; l'essor considérable des échanges paraît bien prendre, au moins en partie, la place des transactions monétaires. Dans la première moitié du XIe, les échanges s'effondrent (2), sans que les ventes reviennent à leur niveau antérieur (12), cependant qu'alors “explosent” les contrats de complant.
372. l'essor général et régulier des dons, qui touche toutes les catégories de parcelles, mais surtout les parcelles aménagées :
38champs et vignes : 5 / 9 / 9
39prés et verchères : 1 / 0 / 2
40parcelles aménagées : 2/4/9
41Cet essor accompagne une nette diversification des types de parcelles : champs et vignes, qui représentaient 83 % des parcelles au Xe siècle, tombent à 70 % au XIe ; l'essor des “parcelles aménagées” témoigne d'un fort mouvement de structuration du parcellaire. Tout se passe donc comme si l'Église bénéficiait des retombées d'une organisation progressive de l'espace agraire, tout en s'efforçant elle-même d'y contribuer : le complant apparaît, à l'échelle de notre cartulaire, comme la nouveauté la plus significative du XIe siècle.
42Cet ensemble de remarques sur la fréquence des formes de transaction et des types de parcelles peut être mis en relation avec la précision des mesures. Selon la méthode élémentaire explicitée plus haut, on se contentera d'une simple dichotomie : mesures en perches, ou éventuellement en demi-perches, d'une part, mesures au pied près d'autre part.




43Le rapport général est à peu près de deux pour un (100/45). Les vignes sont mesurées de manière plus précise que les champs et les verchères (25/18 contre 53/18 et 3/0), les “parcelles aménagées” et les prés se situant en position intermédiaire (15/7 et 3/2). Cela paraît tout à fait plausible. Parmi les transactions, les ventes donnent lieu à des mensurations relativement précises (20/15), au contraire des engagements (5/1), des complants (10/3) et des échanges (35/12), les dons se situant en position intermédiaire (30/14). L'évolution générale, qui se traduit globalement par une sensible baisse de la proportion des parcelles mesurées avec précision, porte principalement sur une forme de transactions, les ventes ; et sur un type de parcelles, les champs. Pour les ventes, on observe une véritable inversion des proportions : 8/10, 2/2, 10/3 ; la diminution de l'effectif des ventes va donc de pair avec une forte diminution de la précision de la mesure des parcelles concernées. L'évolution pour les champs est moins spectaculaire, mais nette cependant : 12/6, 23/8, 18/3. Soulignons que les engagements, bien que mettant en jeu un élément monétaire, n'entraînent qu'une très faible précision, ce qui incite à écarter l'hypothèse d'un lien entre précision des mesures et évaluation monétaire. D'ailleurs la vigne, quoique fréquemment impliquée dans des ventes, ne subit aucun changement sensible à cet égard : 11/9, 5/4, 8/5.
Surface et forme des parcelles
44Ayant donc examiné la métrologie, puis les divers types de parcelles et de transactions, nous pouvons aborder de manière plus assurée les dimensions elles-mêmes. Bien entendu, dans un premier temps, nous devons considérer les données brutes, c'est-à-dire des mesures de longueur. Nous devons ici tenter avant tout de préciser la forme et les paramètres des distributions observées. Mais nous pouvons aussi risquer un détournement de procédure ; quand bien même la finalité de ces mesures n’était pas un calcul de surface, on obtient une vue plus synthétique, donc plus aisément exploitable, en calculant une surface approximative23, ainsi que le rapport entre largeur et longueur, qui permet de classer les parcelles en fonction de leur forme.
45L'observation technique fondamentale est celle de la forme des distributions, tant des longueurs que des surfaces : il s'agit dans tous les cas de distributions log-normales caractéristiques24. L'examen de la droite de Henry montre sans ambiguïté une convexité vers le haut si l'on utilise une échelle arithmétique pour les abscisses, tandis que la courbe se linéarise indiscutablement si l'on passe à une échelle logarithmique. Autrement dit : un traitement fondé sur les hypothèses courantes de normalité doit porter sur les logarithmes des longueurs et des surfaces, et non pas sur les valeurs brutes. Il importe en particulier de se défier strictement des moyennes des valeurs brutes, qui ne peuvent conduire qu'à des conclusions erronées.
46Nous avons donc ramené tous les segments à des mesures en pieds, calculé des surfaces en pieds carrés, et effectué les analyses statistiques sur le logarithme de ces valeurs.
47L'examen d'ensemble des chiffres permet de dégager d'entrée de jeu deux conclusions essentielles :
481. les parcelles mesurées étaient petites, voire minuscules. La largeur médiane oscille autour de 60 à 75 pieds (18 à 22 m), la longueur médiane de 200 à 250 pieds (60 à 75 m). La surface médiane se tient entre 1200 et 1300 m2 (1/8 d'ha environ). Les extrêmes vont de 60 m2 à 3800 m2. La grande majorité des parcelles se situe dans la fourchette 500-2500 m2. La surface totale des 138 parcelles décrites est d'environ 27 ha, ce qui est peu. La question, qui ne pourrait trouver un début de solution qu'au prix d'une analyse détaillée de la totalité des parcelles mentionnées dans le cartulaire, est de savoir quelle proportion représentent les parcelles mesurées par rapport à l'ensemble des parcelles concernées par les transactions décrites dans le cartulaire. 1/5 paraît un maximum25.
492. certains indicateurs varient, mais dans des proportions assez limitées (surtout si l'on tient compte de la longueur de la plage chronologique considérée), et la majorité demeure stable. Cette stabilité générale apparaît comme un indice particulièrement fort à l'appui de la reconstitution métrologique proposée plus haut. Il est aisé en effet de comparer les surfaces médianes calculées d'une part en pieds, en tenant compte du passage de la perche de 12 pieds à 9,5 ; et, d'autre part, en perches, sans rien modifier. On obtient (valeurs converties en mètres carrés) :
900-950 | 950-1000 ! | 1000-1050 | |
avec modification | 1317 | 1095 | 1120 |
sans modification | 1342 | 1091 | 1811 |
50Si donc l'on suppose une perche de longueur constante, la taille médiane des parcelles augmente de 66 % entre le Xe et le XIe siècle, ce qui n'est nullement plausible ; après conversion au contraire, on retrouve une quasi-stabilité. La taille de la perche ayant diminué de 21 %, l'expression numérique des longueurs a donc augmenté de 26 %, et celle des surfaces de 60 % : c'est ce que traduit parfaitement ce tableau.
51Pour analyser l'évolution de la taille et de la forme des parcelles, nous considérerons, pour chaque catégorie, les principales valeurs centrales et de dispersion, les calculs (sauf la somme) étant effectués avec les logarithmes, et les moyennes (mais non les écarts-types) reconverties en valeurs arithmétiques (en pieds carrés, 1 m2 = 11,5 pieds carrés).
CHAMPS | 900-950 | 950-1000 | 1000-1050 | global |
effectif | 18 | 27 | 21 | 67 |
surface totale (v.a.) | 1107000 | 552000 | 413000 | 2098000 |
surface : médiane | 26000 | 16000 | 14500 | 18000 |
surface : moyenne (log-norm.) | 31800 | 13000 | 13700 | 17000 |
surface : écart-type (log-norm.) | 0.51 | 0.44 | 0.46 | 0.49 |
allongement : médiane | 3.46 | 3.88 | 2.91 | 3 21 |
allongement : écart-type (log-norm.) | 0.42 | 0.36 | 0.44 | 0.40 |
52
VIGNES | 900-950 | 950-1000 | 10001050 | global |
effectif | 20 | 9 | 13 | 43 |
surface totale (v.a.) | 206000 | 170000. | 129000 | 512000 |
surface : médiane | 7060 | 10400 | 7780 | 7780 |
surface moyenne (log-norm.) | 6760 | 10700 | 7350 | 7600 |
surface : écart-type (log-norm) | 0.42 | 0.50 | 0.35 | 0.41 |
allongement : médiane | 2.62 | 3.27 | 3.97 | 3 33 |
allongement : écart-type (log-norm.) | 0.33 | 0.35 | 0.19 | 030 |
53
CURTILS | 900-950 | 950-1000 | 1000-1050 | global |
effectif | 5 | 6 | 10 | 21 |
surface totale (v.a.) | 133000 | 105000 | 274000 | 512000 |
surface : médiane | 19600 | 18700 | 20800 | 19400 |
surface : moyenne (log-norm.) | 22500 | 16700 | 20700 | 19800 |
surface : écart-type (log-norm.) | 0.27 | 0.16 | 0.36 | 0.28 |
allongement : médiane | 2.13 | 2.48 | 1.23 | 1 93 |
allongement : écart-type (log-norm·). | 0.47 | 0.23 | 0.33 | 0 34 |
54
ENGAGEMENTS | 900-950 | 950-1000 | 1000-1050 | global |
effectif | 3 | 1 | 2 | 6 |
surface totale (v.a.) | 38000 | 8600 | 32000 | 78000 |
surface : médiane | 9800 | 8600 | 15700 | 9200 |
surface : moyenne (log-norm.) | 11400 | 8600 | 13600 | 11500 |
surface : écart-type (log-norm.) | ||||
allongement : médiane | 1.8 | 2.4 | 3.8 | 2 1 |
allongement : écart-type (log-norm.) |
55
VENTES | 900-950 | 950-1000 | 1000-1050 | global |
effectif | 18 | 3 | 12 | 33 |
surface totale (v.a.) | 335000 | 98000 | 158000 | 592000 |
surface : médiane | 8200 | 10400 | 9500 | |
surface : moyenne (log-norm..) | 8500 | 10400 | 10100 | 9600 |
surface : écart-type (log-norm.) | 0.58 | 0.63 | 0.34 | 0.50 |
allongement : médiane | 4.56 | 1.42 | 4.93 | 4.5 |
allongement : écart-type (log-norm.) | 0.35 | 0.48 | 0.30 | 0.35 |
56
ÉCHANGES | 900-950 | 950-1000 | 1000-1050 | global |
effectif | 17 | 26 | 2 | 45 |
surface totale (y. a.) | 822000 | 426000 | 55000 | 1303000... |
surface : médiane | 20000 | 10700 | 27600 | 161.9.9. |
surface : moyenne (log-norm.) | 21800 | 10400 | 27500 | 14400 |
surface : écart-type (log-norm.) | 0.48 | 0.45 | 0.03 | 0.48 |
allongement : médiane | 1.75 | 4.27 | 3.05 | 2.9 |
allongement : écart-type (log-norm.) | 0.29 | 0.38 | 0.03 | 0.36 |
57
COMPLANTS | 950-1000 | 1000-1050 | global |
effectif | 2 | 11 | 1.3 |
surface totale (v.a.) | 52000 | 269000 | 321000 |
surface : médiane | 26000 | 18300 | 19400 |
surface : moyenne (log-norm.) | 25200 | 18000 | 19000 |
surface : écart-type (log-norm.) | 0.16 | 0.44 | 0.41 |
allongement : médiane | 4.94 | 2.21 | 3.21 |
allongement : écart-type (log-norm.) | 0.23 | 0.24 | 0.25 |
58
DONS | 900-950 | 950-1000 | .1000-1050 | global |
effectif | 8 | 11 | 19 | .4.1. |
surface totale (v.a.) | 323000 | 246000 | 338000 | 940000 |
surface : médiane | 24700 | 17300 | 11000 | 14600 |
surface : moyenne (log-norm.) | 24600 | 16800 | 10800 | .1.9.9.99 |
surface : écart-type (log-norm.) | 0.53 | 0.35 | 0.48 | 0.50 |
allongement : médiane | 3.0 | 2.73 | 1.7 | 2.56 |
allongement : écart-type (log-norm.) : | 0.58 | 0.25 | 0.48 | 0.43 |
59
TOTALITÉ | 900-950 | 950-1000 | 1000-1050 | global |
effectif | 46 | 43 | 46 | 138 |
surface totale (v.a.) | 1518000 | 831000 | 8520000 | 3234000 |
surface : médiane | 14400 | 14300 | 14100 | 14100 |
surface : moyenne (log-norm.) | 14800 | 12600 | 12700 | 13000 |
surface : écart-type (log-norm.) __ | 0.54 | 0.43 | 0.43 | 0.48 |
allongement : médiane | 2.82 | 3.27 | 3.23 | 3.12 |
allongement : écart-type (log-norm.) | 0.41 | 0.35 | 0.39 | 0.38 |
60Les champs sont le type de parcelle qui connaît les évolutions les plus sensibles. Dans la première moitié du Xe siècle, les valeurs centrales tournent autour de 2700-2300 m2 ; dans la seconde moitié du siècle, on tombe à 1400-1200 m, la baisse continue dans la première moitié du XIe, mais très atténuée, 1280-1200 m2. Les vignes subissent une évolution beaucoup moins marquée : 600-59 m2 dans la première moitié du Xe, puis 930-90 m2, enfin de nouveau 680-64 m2, mais avec un éventail (écart-type) nettement resserré. S'agissant enfin des “parcelles aménagées”, on ne constate qu'une légère oscillation : 1850-1700, puis 1650-1450, enfin 1820-178 m2. Cette faiblesse des variations dans le temps se combine à une amplitude bien plus restreinte.
61Ces remarques sur les tailles peuvent être utilement combinées à l'examen des rapports longueur/largeur, que l'on peut désigner comme “coefficient d'allongement”. L'étude de la distribution de cette variable requerrait, en bonne statistique, un ajustement spécifique, puisqu'il s'agit d'une distribution de Pareto. La médiane reste cependant, ici aussi, un indicateur utilisable en première approximation. Les champs oscillent autour de 3-3,5 ; le coefficient des vignes s'élève régulièrement et sensiblement : 2,7 3,3 4,0. Inversement, celui des “parcelles aménagées” tend à décroître : 2,1 2,5 1,2. Il s'agit globalement de parcelles trapues, les lanières sont très rares. On ne trouve que huit parcelles dont le coefficient soit compris entre 10 et 20, et quatre au-dessus de 20. Inversement, 50 parcelles sont comprises entre 1 et 2 ; les formes massives dominent de manière écrasante.
62Entre la première et la seconde moitié du Xe siècle, l'essentiel est la chute de la taille des champs, combinée à une modeste augmentation de la taille des vignes, tandis que les “parcelles aménagées” fléchissent légèrement et s'allongent imperceptiblement. Ces évolutions paraissent traduire une densification de l'occupation de l'espace : découpage des champs entre agriculteurs sans doute plus nombreux, essor du vignoble. Entre la seconde moitié du Xe et la première moitié du XIe, la diminution de la taille des champs se stabilise ; les vignes continuent de s'allonger, tout en diminuant de surface, alors que les “parcelles aménagées” voient leur taille augmenter quelque peu et leur forme tendre vers le carré. Et l'on doit rappeler ici l'explosion durant cette période des contrats de comptant, sur des parcelles ayant en gros deux fois et demi la surface médiane des vignes, ce qui semble logique, puisque le principe même du comptant impliquait un partage par moitié au bout de quelques années, cinq le plus souvent. Tout cela suggère la poursuite de la densification agraire, mais, cette fois, de manière plus ordonnée sinon mieux contrôlée. Les divers types de parcelles s'individualisent mieux les uns par rapport aux autres, tandis que l'éventail à l'intérieur de chaque type demeure stable ou se resserre26.
63L'examen des graphiques sur lesquels on a porté les surfaces en abscisses et les allongements en ordonnées permet de définir un peu mieux les deux écarts successifs entre phases. Pour les vignes, on part d'une situation proche du cas de figure le plus général : une corrélation négative tendancielle (faible) entre surface et allongement : les petites vignes sont plutôt plus allongées que les plus vastes27 ; dans la seconde moitié du Xe, cette corrélation s'atténue : on trouve bien moins de petites parcelles et bien moins de parcelles compactes ; dans la première moitié du XIe siècle, les parcelles compactes (proches du carré) disparaissent, tandis que l'ensemble du nuage se déporte légèrement vers la gauche (diminution de la surface médiane). Ainsi l'allongement progressif noté plus haut ne signifie pas que l'ensemble des parcelles s'allongent, mais que la proportion des parcelles voisines du carré s'effondre ; tout se passe comme si une tendance (modérée) à la division des vignes en long avait alors prévalu dans le vignoble des environs de Mâcon.
64L'évolution des champs présente une allure assez différente. La proportion des parcelles trapues et allongées ne paraît pas se modifier. Dans la première moitié du Xe, on n'observe aucune corrélation entre surface et allongement ; dans la seconde moitié de ce siècle au contraire, le haut du nuage bascule vers la gauche, ce qui traduit l'apparition d'une proportion notable de parcelles plus petites et plus allongées : processus de division en long caractérisé. Mais celui-ci s'interrompt bientôt : le nuage de la première moitié du XIe siècle est analogue à celui d'un siècle auparavant, à ceci près que la position du centre de gravité a glissé vers la gauche, traduisant la division par deux de la surface médiane. Le recul de la tendance à l'allongement semble donc lié à l'effet d'un retour à l'équilibre, donc sans doute d'un meilleur contrôle.
65Les ventes ont porté sur des parcelles en général modestes (700 - 900 - 830 m2) ; les échanges, qui débutent avec des parcelles assez vastes (1730 m2) diminuent de près de moitié dans la seconde partie du siècle (900 m2). Les dons ont également diminué : 2000 - 1500 - 950 m2. Un indicateur crucial est ici constitué par la surface totale concernée. Dans la première moitié du Xe, les échanges viennent largement en tête (près de 7,2 ha), les ventes (2,9 ha) et les dons (2,8 ha) suivent : les dons sont bien moins nombreux, mais portent sur des parcelles nettement plus vastes, ce qui compense. Dans la seconde moitié du Xe, les échanges, dont l'effectif progresse (de 17 à 28), régressent en surface totale : de 7,2 à 3,7 ha ; la surface médiane des parcelles échangées s'effondre. Mais les ventes connaissent un recul plus dramatique encore, tombant à 0,85 ha. Les dons au contraire se maintiennent tant bien que mal : 2.3 ha. Tous ces chiffres subissent manifestement le contrecoup de la réduction de surface des champs. Dans la première moitié du XIe siècle, les échanges cessent à peu près ; les ventes connaissent une modeste embellie, 1.4 ha. Mais les dons dépassent le niveau de la première moitié du Xe, 3 ha, et surtout les contrats de complant occupent d'emblée 2,4 ha. Cet essor rapide des complants, combiné à la quasi disparition des échanges, confirme que l'on est désormais dans une situation agraire beaucoup moins fluide et mieux contrôlée. La faible surface mise en vente atteste de son côté le caractère marginal des circuits monétaires comme outils des transactions agraires. Le maintien constant des dons et leur hausse au XIe (alors même que la taille médiane des parcelles données a fortement diminué !) sont assez éloquents et témoignent bien de l'emprise accentuée de l'Église sur le système agraire.
66Une analyse factorielle portant sur les 138 parcelles met en évidence les croisements (entre caractères) dont les effectifs s'écartent le plus de leur valeur moyenne (“écarts à l'indépendance”). Finalement, c'est la fréquence relative plus élevée de telle ou telle modalité (type de parcelle ou de transaction) dans telle période qui fait apparaître un trend chronologique dans l'analyse des correspondances, ici sur le deuxième axe : les trois phases sont nettement caractérisées, et plusieurs indicateurs n'évoluent pas de manière linéaire. L'analyse des correspondances corrobore globalement la somme de nos observations.
Le sens historique des évolutions
67Au terme de cette étude analytique des informations liées aux 145 parcelles mensurées décrites dans le cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon, il nous faut proposer quelques hypothèses aptes à rendre à ces informations leur sens proprement historique.
68Il importe, au préalable, de souligner deux points de méthode décisifs :
l'effectif des “données” que nous avons exploitées est relativement faible mais surtout l'état du texte disponible est détestable, ce qui doit inciter à une grande prudence dans l'interprétation. Il serait hautement souhaitable de pouvoir reprendre l'analyse avec des datations mieux établies et des personnages à peu près identifiés, ce qui permettrait certainement une meilleure perception des phénomènes observés ;
en dépit de cet effectif limité, il est apparu en toute lumière comment une lecture cursive des chiffres peut entraîner des erreurs caractérisées :
une comptabilité naïve en perches, qui ferait l'économie de l'étude métrologique, conclurait à une augmentation forte de la taille des parcelles au XIe siècle, alors que c'est la stabilité qui l'a emporté ;
en utilisant des moyennes arithmétiques, on se fie à des valeurs qui ne sont pas représentatives des valeurs centrales des distributions, et l'on obtient des tableaux numériques erratiques, qui interdisent une étude cohérente de la documentation.
69Ce double constat constitue une belle illustration d'un principe général : le quantitativisme naïf aboutit trop souvent à de grossiers contresens ; mieux vaut pas de calculs du tout que des calculs erronés.
70Cela dit, la question fondamentale demeure celle du sens même des mesures transcrites dans ces chartes. L'observation la plus remarquable est celle de la baisse tendancielle de la précision, avant la disparition des mesures dans le dernier tiers du XIe siècle. On doit se souvenir ici que la perticatio était avant tout un complément de la terminatio qui, elle, s'est maintenue, même simplifiée. Dans une société qui ne connaissait ni cadastre, ni plan, ni enregistrement d'aucune sorte, toute transaction devait comporter une procédure de repérage précis de la ou des parcelles concernées ; et ce repérage était fondamentalement social, en ce sens qu'il s'agissait avant tout de définir les voisinages par contiguïté (terminatio) ; dans une situation où les limites sont stables (visibles et matérialisées), ce repérage est suffisant. L'intérêt de compléter la liste des voisinages (liés à chaque point cardinal) par un énoncé des dimensions n'existe vraiment que si les limites sont plus ou moins incertaines, ce qui pouvait être en particulier le cas si l'ensemble des parcelles n'étaient pas mises toutes systématiquement en culture : on empiète bien plus aisément sur une friche que sur une parcelle cultivée, ne serait-ce que du fait que le cultivateur qui travaille une terre en connaît mieux que personne la configuration et les détails.
71Il y a donc lieu de supposer que la baisse de précision des mesures a correspondu à une densification de l'agriculture autour de Mâcon durant la période considérée, jusqu'au moment où un seuil de densité et de fixité a été atteint, qui a rendu superfétatoire la procédure de perticatio.
72C'est probablement dans ce même contexte qu'il faut placer la modification de l'unité de mesure agraire. Dans les systèmes métrologiques anciens28, on constate couramment une adaptation tendancielle des unités à la dimension des objets mesurés. L'usage des coefficients multiplicateurs a toujours constitué une difficulté dans les sociétés anciennes, car les calculs, même ceux qui nous paraissent élémentaires, demandaient des efforts importants. D'une façon générale, était appréciée toute unité permettant, sans usage de sous-multiples, un compromis acceptable entre une précision relative compatible avec la signification de la mesure effectuée et l'usage de nombres manipulables sans effort excessif. Le rétrécissement de l'unité de longueur a sans doute permis de retrouver un tel équilibre après une diminution sensible de la taille des parcelles. Cela dit, plusieurs autres hypothèses demeurent plausibles et un examen plus large de la documentation bourguignonne de cette époque (clunisienne au premier chef29) pourrait apporter des éclairages qui nous font défaut, en particulier sur le moment exact et les conditions de cette transformation.
73Dans l'étude des chiffres eux-mêmes, il faut distinguer les valeurs centrales caractérisant les types de parcelles (et leur évolution), d'une part, et l'évolution des diverses transactions, en effectifs et en surface globale, d'autre part. L'effondrement de la surface des champs est sans doute l'observation essentielle : la médiane passe de 2300 à 1400 puis 1250 m2 ; la chute entre la première et la seconde moitié du Xe siècle se traduisit surtout par l'apparition de parcelles plus petites et plus allongées : la fragmentation est bien visible. Au XIe siècle, la stabilisation de la surface est corrélative d'une baisse de proportion des parcelles très allongées : il y a bien recherche d'un nouvel équilibre. La surface des vignes, minuscule (600-900 m2), ne connaît pas d'évolution univoque ; l'augmentation régulière du coefficient médian d'allongement traduit essentiellement la diminution puis la disparition des vignes trapues : les vignes tendent à s'homogénéiser autour d'un rapport longueur/largeur de 4 environ. S'agissant enfin des curtils et autres “parcelles aménagées”, la stabilité de la surface médiane est nette, tandis que le coefficient d'allongement, au lieu d'augmenter, diminue sensiblement, ce type de parcelle tendant vers le carré. L'interprétation de ce premier ensemble n'offre guère de difficulté : on lit une première phase de densification vigoureuse, presque “sauvage”, de l'occupation du sol, suivie par une période où ce processus se ralentit, et se combine avec une tendance à une structuration plus caractérisée du parcellaire.
74L'examen des transactions apporte d'intéressants compléments. On note d'emblée la faiblesse des surfaces touchées par des opérations monétaires (ventes et engagements) : 28 % des parcelles, mais tout juste 20 % de la surface. Les engagements (liés à des prêts) ont un caractère tout à fait marginal, 2,4 % de la surface totale considérée. La surface des terres vendues chute entre la première et la seconde moitié du Xe siècle (de 2,9 à 0,85 ha), de manière d'ailleurs parallèle à celle des engagements. On doit noter la synchronie avec l'étiage de la circulation monétaire générale en France, telle qu'elle ressort des inventaires de trésors30. Or on a vu plus haut qu'il s'est justement agi de la phase de densification de l'occupation du sol la plus prononcée : cette densification se produisit donc en même temps que chutait à son point le plus bas le rôle de la monnaie dans les transactions foncières. Dans la première moitié du XIe, les engagements retrouvent leur très modeste niveau de la première moitié du Xe, tandis que les ventes, se redressant elles aussi, ne parviennent cependant qu'à un score inférieur de moitié à celui du début du Xe31.
75La courbe des surfaces échangées n'est pas moins remarquable : 7,2 ha 3,7 ha 0,48 ha. Pente décroissante forte et régulière, 93 % de baisse en un siècle. Il paraît donc raisonnable de considérer les échanges comme un indice de fluidité du parcellaire et d'analyser cette chute comme une manifestation supplémentaire de la stabilisation des limites. Ce fut justement au moment où l'on cessa la perticatio que les échanges disparurent à peu près. Exactement à l'inverse, les contrats de complant, absents au début du Xe siècle, pointent le nez à la fin du siècle et explosent au XIe (2,34 ha). Quant aux dons, c'est la stabilité de la surface globale qui est la plus remarquable (2,8 ha 2,14 ha 2,9 ha), alors même que la taille médiane des parcelles données décroissait vivement (2150, 1500, 950 m2) : l'augmentation du nombre de dons fit plus que compenser le rétrécissement des parcelles.
76Comme on l'a souligné à plusieurs reprises, il est fort délicat, dans l'état actuel de la recherche, de préciser ce que représentent les 145 parcelles qui ont fait l'objet du présent travail. En revanche, on est très frappé par la cohérence des observations : celles-ci, pour la plupart, s'articulent parfaitement avec un schéma général d'évolution du parcellaire et du tissu agraire correspondant à un processus global de densification et de meilleure fixation, une première phase (seconde moitié du Xe) apparaissant comme un mouvement plus rapide et désordonné, la seconde phase (première moitié du XIe) relevant davantage de l'intensification et de la structuration. Il resterait naturellement à se donner les moyens de mettre cette évolution en relation avec ce que l'on peut savoir des transformations des structures sociales dans le Mâconnais des Xe et XIe siècles.

HISTOGRAMME DES LARGEURS DE PARCELLES
On considère ici l'ensemble des mesures de largeurs relevées dans le cartulaire de Saint-Vincent (206 valeurs). Les histogrammes sont destinés à la détermination rapide de la forme de la distribution, qui doit orienter vers l’identification d'une loi de probabilité. Sur le graphique de gauche, les largeurs (portées sur l'axe des x) sont représentées sur une échelle arithmétique ; sur le graphique de droite, l'échelle est logarithmique. A gauche, la dissymétrie est flagrante, alors que le graphique de droite montre une courbe en cloche à peu près symétrique : il s'agit donc d'une distribution log-normale.

DISTRIBUTION DES LARGEURS : DROITES DE HENRY
La droite de Henry rapporte la courbe des fréquences cumulées à une échelle gaussienne (en ordonnées), ce qui permet d'obtenir une droite si la distribution est normale (linéarisation par anamorphose). Sur le graphique de gauche, les abscisses (x) correspondent aux largeurs reportées sur une échelle arithmétique, sur celui de droite, l'échelle est logarithmique. On constate l'excellente linéarisation obtenue avec une échelle logarithmique, ce qui atteste qu'il s'agit bien d'une distribution log-normale.

DISTRIBUTIONS DES SURFACES : CHAMPS ET VIGNES
Deux droites de Henry (graphiques gausso-logarithmiques) permettent de comparer globalement la distribution des surfaces des champs avec celle des vignes. Les deux distributions sont nettement log-normales. La médiane des surfaces des 67 champs (intersection de la droite avec l'ordonnée 0) approche 18000 pieds carrés, tandis que celle des 43 vignes dépasse 7500 pieds carrés La pente de la courbe, qui correspond à l'écart-type, montre une courbe des champs sensiblement plus étirée que celle des vignes (écart-type sensiblement supérieur)

CHAMPS. Evolution du rapport entre surface et allongement.
Sur chaque graphique, les abscisses (x) indiquent les surfaces et les ordonnées (y) les coefficients d'allongement (valeurs logarithmiques en x comme en y) On part, à gauche, d'un nuage où les champs se situent entre 1000 et 15000 pieds carrés, sans relation nette de la surface et de l'allongement Dans la seconde période, le haut du nuage bascule à gauche : apparition d'un lot significatif de petites parcelles allongées. Dans la troisième période, le nuage retrouve une verticalité approximative, mais avec un centre de gravité nettement décalé à gauche (entre 800 et 8000 pieds carrés), avec plusieurs champs minuscules.

VIGNES. Evolution du rapport entre surface et allongement.
Sur chaque graphique, les abscisses (x) indiquent les surfaces et les ordonnées (y) les coefficients d’allongement (valeurs logarithmiques en x comme en y). Le nuage de gauche gravite autour d'un ensemble de parcelles de taille moyenne (aux alentours de 1000 pieds carrés), assez peu allongées. Dans la deuxième période, le centre de gravité se déplace vers des parcelles plus petites et plus allongées. Dans la première moitié du XIe siècle, le nuage se resserre autour d'un ensemble de parcelles un peu plus petites, moyennement allongées. Le plus notable est sans doute le "décollage" progressif du nuage : la proportion de parcelles voisines du carré et peu allongées diminue régulièrement. On note aussi la régression des parcelles les plus importantes.
Notes de bas de page
1 Parmi les exceptions, citons : M.-T. Lorcin, Les campagnes de la région lyonnaise aux XIe et XVe siècles, Lyon, 1974, p. 21-45. M. Bourin-Derruau, Villages médiévaux en Bas-Languedoc, genèse d'une sociabilité, Paris, 1987, p. 42-59. M. Zerner, Le cadastre, le pouvoir et la terre. Le Comtat Venaissin pontifical au début du XVe siècle, Rome, 1993, p. 218-244. Dossier très riche dans P. Toubert, Les structures du Latium médiéval. Le Latium méridional et la Sabine du IXe à la fin du XIIe siècle, Rome, 1973, p. 273-300.
2 « Il y a, dans les quelques 1700 actes édités (de la fin du VIIIe siècle à 1080) du fonds de l'abbaye de Cava, des centaines de descriptions de champs mesurés à exploiter », J.-M. Martin, La mesure de la terre en Italie méridionale (VIIIe-XIIe siècle), dans Histoire et Mesure, 8, 1993, p. 291 (seul article d'histoire médiévale dans le très intéressant dossier sur « La mesure de la terre » rassemblé par J.-P. Genet dans ce numéro d'Histoire et Mesure).
3 Encore quelques exceptions : J.-M. Pesez, Histoire de la culture matérielle, dans La nouvelle histoire, J. Le Goff (éd.), Paris, 1978, p. 98-130 ; Ιd., Outils et techniques agricoles du monde médiéval, dans Pour une archéologie agraire, J. Guilaine (éd), Paris, 1991, p. 131-164. Sur le parcellaire médiéval, É. Zadora-Rio, Les terroirs médiévaux dans le Nord et le Nord-Ouest de l'Europe, Ibidem, p. 165-192. H. J. Nitz, La géographie historico-génétique de l'occupation des sols en Allemagne. État actuel et évolution scientifique et historique des recherches, dans Bulletin d'information de la mission historique française en Allemagne, 30-31, 1995, p. 45-70. P. Toubert, Histoire de l'occupation du sol et archéologie des territoires médiévaux : la référence allemande, dans Castrum 5, 1995.
4 Voir l'anecdote à propos de Fustel de Coulanges, M. Bloch, Les caractères originaux de l'histoire rurale française, Paris, 1952, p. ΧΙ-ΧΠ.
5 A. Guerreau, Quelques caractères spécifiques de l'espace féodal européen, dans L'État ou le roi. Les fondations de la modernité monarchique en France (XIVe-XVIIe siècle), N. Bulst, R. Descimon, A. Guerreau (éd.), Paris, 1996, p. 85-101.
6 A. Deléage, La vie rurale en Bourgogne jusqu'au début du onzième siècle, Mâcon, 1941, p. 963-1057.
7 G. Duby, La société aux XIe et XIIe siècles dans la région mâconnaise, Paris, 1953.
8 F. Bange, L'ager et la villa : structures du paysage et du peuplement dans la région mâconnaise à la fin du Haut Moyen Age (IXe-XIe siècle), dans Annales É.S.C., 39, 1984, p. 529-569.
9 Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon, connu sous le nom de Livre enchaîné, M.-C. Ragut (éd.), Mâcon, 1864.
10 Curieusement, dans le texte, certaines chartes sont munies d'une datation et d'autres non. Il faut se reporter à l'index chronologicus chartarum (p. CXCIX-CCCXVIII) pour découvrir, souvent après de sérieux efforts, quelle date Ragut a attribuée à telle ou telle de ces dernières.
11 Bon dossier dans Les cartulaires, O. Guyotjeannin, L. Morelle, M. Parisse (éd.), Paris, 1993.
12 Notre datation diffère de celle de M.-C. Ragut dans dix cas.
13 Chartes 119, 122, 125, 127, 128, 147, 159, 162, 165, 166, 168, 172, 173, 175, 176, 188, 189, 227, 241,244, 246, 248, 249, 253, 258, 274,275, 281, 301, 310, 311, 337, 357, 399.
14 Chartes 104, 114, 161, 194, 205, 207, 214, 216, 219, 221, 228, 242, 247, 250, 264, 270, 273, 283, 290, 308, 323, 358, 367, 368, 369, 378, 381, 382.
15 Chartes 43, 44, 47, 80, 82, 105, 106, 149, 167, 174, 177, 202, 238, 259, 261, 262, 263, 287, 288, 297, 344, 351, 362, 371, 380, 387, 388, 389, 429, 432, 436, 437, 440, 449, 450, 452, 453, 457, 470, 489, 513.
16 Chartes 50, 526.
17 Il est frappant de constater la coïncidence presque parfaite entre cette conclusion et la description pratique des procédures d'arpentage donnée au début du XVe siècle par l'arpenteur arlésien Bertrand Boysset. Cf. A. Guerreau, Remarques sur l'arpentage selon Bertrand Boysset (Arles, vers 1400-1410), dans Études offertes à Robert Fossier, É. Mornet (éd.), Paris, 1995, p. 87-102. On note la même dissymétrie entre longueur et largeur, et le privilège accordé à l'axe longitudinal mesuré une seule fois.
18 Dans le Latium, cette disparition n'intervient pas avant le milieu du XIIe : P. Toubert, op. cit. à la note 1, p. 281-282. Dans le Biterrois au contraire, la disparition est contemporaine de la disparition en Maçonnais : M. Bourin, Délimitation des parcelles et perception de l'espace en Bas-Languedoc aux Xe et XIe siècles, dans É. Mornet (éd.), op. cit. à la note 17, p. 73-85, 81-82.
19 A. Deléage, op. cit. à la note 6, p. 964-965.
20 Id., Ibid., p. 964. Théodore Chavot, dans la « Préface » du Cartulaire, p. CXXXIV.
21 Une perche de 9,5 pieds romains a été utilisée pour définir le plan de la cathédrale Saint-Bénigne de Dijon (après 1270) : A. Guerreau, Notes métrologiques sur Saint-Bénigne de Dijon et Saint-Pierre de Genève (XIe-XIIIe siècle), dans Guillaume de Volpiano et l'architecture des rotondes, M. Jannet, C. Sapin (éd.), Dijon, 1996, p. 156-158. Un peu plus tard, à la « Grange du Mont » (Charny, Côte-d'Or, fin XIIIe, voir la publication de P. Beck), on trouve des bâtiments construits avec un module de 304/307 cm, très voisin de la perche de Bourgogne classique (308 cm) : Histoire et Mesure, 5, 1990, p. 166-168. A. Machabey, La métrologie dans les musées de province et sa contribution à l'histoire des poids et mesures en France depuis le treizième siècle, Paris, 1962, p. 98-100. Sur les mesures en Bourgogne, la seule vue d'ensemble reste F. Bailly, Notice sur les anciennes mesures de Bourgogne, dans Société d'histoire, d'archéologie et de littérature de l'arrondissement de Beaune. Mémoires, 1901 à 1904. Un tableau utilisable des mesures “d'Ancien Régime” en Mâconnais se trouve dans L. Lex et L. Jacquelot, Le langage populaire de Mâcon et des environs, Mâcon, 1926, s.v. mesures anciennes, p. 77-78. Voir aussi s.v. perche et ouvrée (« l'ouvrée, huitième du journal, contenait 45 perches carrées de 9 pieds 1/2, et valait 4 ares 285 »).
22 Il n'est pas très sérieux de « traduire » (?) curtile ou curtilis par curtil ou courtil. Une analyse d'un grand nombre d'occurrences nous a amené à conclure qu'il s'agissait selon toute vraisemblance de ce qu'on appelle plutôt un clos, c'est-à-dire une parcelle soigneusement enclose, le plus probablement de murs (la pierre dite « mureuse » est particulièrement abondante et facile à utiliser dans la région). Ce qui correspond bien au fait, qu'on établira un peu plus loin, que ces parcelles tendaient vers le carré : cette forme géométrique est celle qui minimise le périmètre pour un quadrilatère d'une surface donnée. Ce mur pouvait enclore en principe n'importe quel type de parcelle, ce qui explique que le texte des chartes précise souvent cum vinea, ou cum domo, etc. Si l'on n'a pas cette précision, on ne peut pas conclure qu'il s'agissait d'une parcelle bâtie, mais seulement d'une parcelle bien enclose. Mais, naturellement, la construction de ce mur était en soi un aménagement très important, et c'est pour cela que nous parlons de “parcelles aménagées”.
23 Il va de soi que cette procédure ne donne un résultat exact que dans le cas d'un rectangle. Pour tout autre quadrilatère convexe, ce calcul tend à surévaluer la surface.
24 Cette observation n'a rien de surprenant, il s'agit au contraire d'une situation standard. La quasi totalité des distributions de tailles de biens ou de revenus, ou même d'objets, sont des distributions log-normales. Exemple : A. Guerreau, Notes statistiques sur les jardins de Saint-Flour au XIVe siècle, dans Les cadastres anciens des villes et leur traitement par l'informatique, J.-L. Biget (éd.), Rome, 1989, p. 341-357. Sur la découverte, mouvementée, de la généralité de cette distribution, M. Armatte, Robert Gibrat et la loi de l'effet proportionnel, dans Mathématique, informatique et sciences humaines, 33, 1995, p. 5-35. Sur les caractères de cette distribution et les procédures classiques d'analyse, G. Calot, Cours de statistique descriptive, Paris, 1973, p. 158-173.
25 Il faudrait comparer en détail nos résultats avec ceux obtenus par d'autres médiévistes (voir au premier chef les travaux cités dans la note 1), ou dans des zones voisines à date plus récente. De ce point de vue, l'ouvrage le plus intéressant est celui de G. Durand, Vin, vigne et vignerons en Lyonnais et Beaujolais (XVIe-XVIIIe siècle), Lyon, 1979, qui a procédé à une étude remarquable du parcellaire dans cette région aux XVIIe et XVIIIe (p. 235-262). Il a analysé une population de plus de 3000 parcelles arpentées ; selon les villages, la parcelle médiane se situe entre 1650 et 4500 m2 (1400 à 3600 m3 pour les vignes). La médiane que nous observons est inférieure à la moitié de ces chiffres. L'hypothèse la plus simple et la plus plausible est que notre population n'est représentative que de la frange inférieure de la distribution réelle : on ne procédait à une mensuration que pour des parcelles isolées et de dimensions petites ou moyennes ; il est manifeste par exemple que les chartes qui relatent le don d'une exploitation complète ne comportent jamais de mensuration. Cela dit, rien ne démontre a priori dans quel sens a pu varier la taille des parcelles entre le XIe et le XVIIe siècle. Il ne serait pas inintéressant de procéder à des analyses précises des parcellaires en Mâconnais au XIXe siècle, les matrices cadastrales attendent les chercheurs. Un examen très superficiel et rapide montre que les tailles indiquées dans le cartulaire sont, par rapport à ces données, modestes, mais que le cadastre actuel comporte une très grande quantité de parcelles ayant des surfaces de cet ordre. Il est clair que l'enquête doit être poursuivie.
26 Ce serait bien le moment de procéder à une analyse de variance...
27 L'allure penchée du nuage dans la première moitié du Xe siècle autorise à penser qu'il s'agit sans doute déjà là d'une situation en mouvement, la fragmentation des vignes ayant donc peut-être débuté dès la seconde moitié du IXe siècle. Hypothèse qu'il faudrait étayer par d'autres indices.
28 W. Kula, Les mesures et les hommes, Paris, 1984 (original polonais 1970). À Mâcon même, nous avons mis en évidence l'augmentation de la mesure du blé selon une démarche analogue (l’ânée passant de 18 à 21 coupes) entre 1672 et 1688, A. Guerreau, Mesures du blé et du pain à Mâcon (XIVe-XVIIIe siècle), dans Histoire et Mesure, 3, 1988, p. 163-219.
29 Voir les observations de B. Rosenwein, To be Neighbor of Saint Peter. The Social Meaning of Cluny's Property, 909-1049, Ithaca-Londres, 1989, en particulier p. 8-29, 209-219.
30 J. Duplessy, Les trésors monétaires médiévaux et modernes découverts en France. I : 751-1223, Paris, 1985.
31 Une mise au point, d’une lumineuse fermeté, sur le sens qu’il convient d’attribuer à la notion de « marché de la terre au Moyen Âge » se trouve dans R. Pastor, Quelques réflexions sur l'expansion seigneuriale. Un regard castillan, dans Georges Duby. L'écriture de l’histoire, C. Duhamel-Amado, G. Lobrichon (éd.), Bruxelles, 1996, p. 103-107 (texte très concis comportant un ensemble de réflexions qui déborde largement son titre).
Auteur
CNRS, Paris
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