1« ... Lorsque Eudes de Déols... ou Ebbes de Charenton parcouraient ces régions, ils ne devaient certes pas s’interroger sur la nature des pierres du chemin, mais plutôt sur les richesses des champs et des bois, sur les possibilités qu’offraient à la défense le relief... Ces préoccupations revenaient à connaître les lieux habités, c’est-à-dire les hommes... »1.

2Malgré des recherches, parfois très poussées, sur certains fiefs du Berry, l'émergence et l’évolution du village dans cette région n'ont pratiquement pas été étudiées2. On peut cependant constater que, des terres pauvres de la Sologne au riche Pays Fort, des collines du Sancerrois ou du Boischaut à la plaine de la Champagne berrichonne, le village se resserre principalement autour de son église. Le château ne tient pas toujours une place centrale dans cette organisation. Dans les études historiques, et jusqu'à une date récente, le rôle de l'église paroissiale dans l'organisation de la vie sociale, donc du village, durant tout le Moyen Âge, a trop souvent été négligé au profit du château qui n'a pas forcément attiré les villageois. Le château marque le paysage et contrôle le territoire, l'église, elle, semble bien être le centre vivant, le cœur du village3.

3Un exemple : au Xe siècle, la cité de Mehun-sur-Yèvre n'était vraisemblablement qu'un “gros fortin” qui contrôlait la marécageuse vallée de l'Yèvre et protégeait (?) les alentours4. Cette fortification dépendait de la vicairie d'Allouis, située à quatre kilomètres plus au nord et organisée, dès 820, autour de cette unité ecclésiastique dans laquelle on peut placer une église. Attenantes aux villages, quelques « terres incultes ou labourables », mais surtout des forêts, formaient le paysage.

4La cité de Mehun reprend, avec un léger décalage, le schéma proposé par Jacques Le Goff5 : du IXe siècle à la fin du XIIe, elle s’organise, se construit en attirant peu à peu les villageois (d’Allouis ?). Notons à ce sujet que l’église Notre-Dame de Mehun et “ses” maisons n’ont aucune liaison directe avec le château, elles sont même séparées de ce dernier par un large et profond fossé6 et l’entrée du château se faisait à l’opposé de celle de la ville. Puis, jusqu’à la mort de Charles VII dans ce château7, elle devient une cité superbe, en liaison directe avec son monument et placée sous l’autorité du roi. Enfin, elle a subi cette autorité tout au long des siècles suivants. Notons que si la vicairie de l’actuel petit village d’Allouis est attestée depuis 820, c’est seulement à partir du XIe siècle que l’église collégiale de Mehun est connue. De même, citons comme autre exemple, la maison forte de Bois-Sir-Amée8. Quelques constructions sont regroupées dans ses alentours immédiats, alors que, tout proche, s’est formé le petit village de Vorly groupé autour de son église9. Visiblement, le château n’a été un centre attractif que dans un deuxième temps, mais pas lors de sa création.

Premières approches

5Surveillés par leurs châteaux et protégés par leurs églises, les villes et les villages du Berry tissent une fine trame plus ou moins régulière dans laquelle se glisse un habitat dispersé. C'est dans ce dernier maillage qu'il nous a semblé important de présenter trois sites intéressants pour l'histoire du peuplement, abordés avec des méthodes différentes, ce qui permet d'en avoir des approches complémentaires.

6Le premier est le site de Venou. Les textes qui mentionnent ce village déserté permettent de compléter l'histoire des traces relativement importantes qui subsistent sur place. La tour de Bau, à l’étymologie assez fluctuante10, s’est principalement révélée par l'archéologie. Des dégagements relativement récents ont précisé le plan du village et de sa tour, mais les ruines, trop fragiles, disparaissent avec les intempéries. Enfin, différentes prospections ont permis de reconnaître dans le site de Langenot si ce n’est un ancien village, tout au moins la pérennité de l’habitat.

La “ville morte” de Venou11

7Comme l’ont souligné Jean Favière et Jean-Yves Ribault, la situation même du village de Venou est intéressante. Il est à cheval sur deux communes12, à la limite des départements du Cher et de l’Ailier ; c’est-à-dire du Berry et du Bourbonnais. De plus, l’ancien « grand chemin » de Bourges à Moulin le traverse.

8Archéologiquement, les champs alentour ne sont pas avares de témoignages antiques. Le village, quant à lui, est resserré dans une enceinte elliptique d’environ 130 mètres de grand axe et aplatie au nord-est13. Au vu de la quantité relativement importante des pierres se trouvant sur l’emplacement du premier rempart encerclant le village, celui-ci devait être construit en pierre. Un profond fossé en V le sépare d’une levée de terre parallèle à l’enceinte. Cette levée est elle-même pourvue d’un fossé, également en V, masqué à la vue extérieure par un léger monticule. La route traverse le village du nord-ouest au sud-est ; elle est parallèle aux défenses nord-est et sépare en deux le village. Une première partie, égale à environ un quart de la surface totale, est beaucoup plus plane que la seconde où les traces des maisons sont parfaitement visibles, ainsi que certains des alignements qu’elles formaient. La chapelle a malheureusement fait l’objet, il y a quelques années, de fouilles clandestines ; sa nef s’inscrit dans un carré de 10 m de côté environ et est pourvue d’une abside circulaire. L’ensemble est recouvert d’une épaisse “bouchure”, bois non entretenu et sans ordre.

9Les auteurs ont recensé les textes qui relatent l’histoire du village ; le premier d’entre eux est daté de 121214 et les derniers de la fin du XVe siècle. D’autres documents, plus récents, ne se rapportent qu’au Nouveau Venou, ferme située tout à côté. L’étude des différentes rentes et impositions montre que les villageois étaient au nombre d’une grosse centaine15, pour une trentaine de feux. Le village possédait un lieu de justice, des fortifications fossoyées, trois foires, un péage, un four banal et vraisemblablement un moulin. Venou, malgré ses installations relativement importantes, n’est pas une paroisse16, mais possède une chapelle. Les activités semblent avoir été autant commerciales qu’agricoles ; c’est-à-dire autant en rapport avec sa principale voie de communication qu’avec les terres attenantes. Nous savons également qu’il était du ressort de trois seigneurs : le roi, le duc de Bourbonnais et un seigneur berrichon17. La situation juridique du village n’est pourtant pas aussi claire et fera l’objet de différents litiges, ce qui permet de savoir qu’à la fin du XVe siècle il ne reste qu’un seul “foyer”, plus précisément cinq hommes d’une même famille18. L’une des hypothèses envisageables serait que ce village, inconnu avant le XIIIe siècle, ait été une fondation éphémère, et abandonné à la fin du Moyen Âge19, pour des raisons liées aux guerres.

10Entre les villages de Bessais-le-Fromental, Venou et Saint-Aignan-des-Noyers, la campagne semble avoir été largement exploitée. Il ne faut pas imaginer un village perdu dans la forêt et les bois, mais entouré de champs et de prés et traversé par une route active. Les photographies aériennes (verticales)20 prises par l’Institut Géographique National montrent bien à quel point l’organisation des parcelles situées à proximité immédiate du site lui est encore liée.

11L’éclatement territorial du comté de Bourges au Xe siècle21 et les guerres entre l’Aquitaine et le royaume de France sèment le chaos dans la région. Cependant, par rapport à la campagne environnante, nous ne savons pas comment s’organisaient les châteaux à motte qui hérissaient la frontière entre haut et bas Berry22. Jusqu’au XIIIe siècle, seule l’Église reste stable. Dans ce contexte, la population semble avoir cherché ses marques, ne sachant où se réfugier23. Dans pareille situation, la campagne ne pouvait être parfaitement organisée. Des essartages aléatoires et des broussailles plus que de véritables forêts devaient principalement constituer le paysage. Il n’est pas étonnant alors que, du fait de l’ordre et la stabilité imposé par Philippe Auguste aux seigneurs berrichons, la mobilité des populations ait diminué et qu’elles se soient fixées dans des fondations ex nihilo24 comme celle de Venou.

L’enceinte de la tour de Bau

12La tour de Bau est perdue dans la végétation envahissante des bois du Palais et de la Chaume aux Lièvres25. Le site est enserré dans une enceinte quadrangulaire très irrégulière et ressemble à s’y méprendre à une ferme fortifiée. Cependant, l’ampleur et le nombre des bâtiments montrent clairement qu’il s’agit bien d’un (modeste) village.

13Les auteurs des recherches26, lors de leurs prospections dans les environs immédiats du site, ont découvert des puits en bordure de la route et des sarcophages, vraisemblablement du XIe siècle, à l’orée du bois des Brosses. Par le simple fait que la tour et le tracé de l’enceinte soient encore parfaitement visible, la fonction défensive paraît, comme à Venou, s’imposer. Une première levée de terre27 domine, en rupture de pente, la vallée du Cher, tandis que le village et son enceinte s’étendent sur l’arrière du plateau28. À l’une des extrémités des fortifications, une tour circulaire, liée d’un bien mauvais mortier de chaux et de terre, domine l’ensemble. Dans l’épaisseur des murs de la tour, on distingue encore son passage d’entrée et l’escalier qui donnait accès aux étages. Marches et piédroits sont en pierres calcaires de bonne qualité. Dans l’épaisseur du mur, les embrèvements sans corbeau des poutres du plancher séparant la salle du rez-de-chaussée du niveau inférieur sont encore visibles. Dans le soubassement de la tour, a été dégagée une partie de la salle basse circulaire, alors que le raccordement de la salle du rez-de-chaussée avec le bâtiment adjacent donne plutôt un plan en forme de poire. À l’extérieur, on peut voir les assises sommitales d’une voûte, qui semble en pierre sèche, et qui s’enfonce dans l’épaisseur du mur pour couvrir un couloir desservant vraisemblablement les niveaux inférieurs.

14L’emplacement supposé du puits du village est situé plutôt vers les maisons que vers les fortifications. Les différents corps de bâtiments s’adossent volontiers contre le rempart et s’organisent autour d’un système de courettes. On distingue ici une sole de cheminée, là un fragment de sarcophage en remploi, ou encore les piédroits, souvent en pierres taillées, des portes.

15Buhot de Kerser29 s’interroge sur l’état (ruiné ?) du “château” en 1414, lorsque le trésorier de la Sainte-Chapelle de Bourges fait l’acquisition du lieu30. Il faut dire que l’acte peut être trompeur, puisque ce qui intéresse en priorité l’acheteur, ce sont les bois. Cette indication a son importance et démontre que les éventuelles terres labourables du plateau sont, si ce n’est totalement abandonnées, tout au moins très réduites et supplantées peu à peu par les bois et les taillis. De ce fait, même si la totalité du site n’était pas déserté, il ne devait plus, au début du XVe siècle, être très important. Les céramiques conservées tendent à le confirmer, et c’est justement à cette époque qu’à Villeneuve-sur-Cher est construite la « Grande Maison ». Il n’est pas impossible que se soit produit un glissement de l’habitat depuis le site de la tour de Bau vers ce qui peut être considéré comme le cœur du village de Villeneuve31.

Les prospections de Langenot

16Le site de Langenot n’est connu, à ce jour, par aucune source écrite. Il est situé en plein bois et, dans une clairière, se distinguent encore les ruines d’une maison barre (Langenot), habitat typique du Berry traditionnel. Dans les environs immédiats, différentes prospections ont mis en évidence la pérennité du lieu : habitat protohistorique, villa gallo-romaine, zone à forte concentration de mobilier de toutes les périodes du Moyen Âge, dont le support d’une lampe à huile de la fin du Moyen Âge découvert en bordure de la route32. Actuellement subsiste, à une centaine de mètres, une ferme habitée occasionnellement (Valleau). En avant de celle-ci, des substructions33 avaient été repérées lors de la construction d’un hangar dominant une dépression assez importante du sol. À première vue, il y a toujours eu un habitat sur ces terres. L’accès du site est très difficile, principalement en raison de la végétation. Les traces d’un fossé sont partiellement reconnaissables. On distingue en fonction des dépressions, de possibles emplacements de bâtiments et un puits sans margelle en grande partie comblé. C’est autour de ce puits que les monticules sont les plus visibles et sont les plus riches en pierres. Il est possible également que ce site, ou simplement certaines des dépressions, soient le résultat de l’extraction de minerai de fer ou de terre argileuse. En effet, la région est riche en minerai qui, de tous temps, a été exploité34. Actuellement, il est évident que seules des recherches archéologiques permettraient de mettre au jour des structures et de définir leurs relations avec d’éventuels sites d’extraction.

Pour conclure...

17Au regard d’une simple carte, on se rend compte que les trois sites étudiés ici sont relativement proches de cités plus importantes. Charenton-du-Cher pour Venou, Saint-Florent-sur-Cher ou Villeneuve-sur-Cher pour la Tour de Bau et Mehun-sur-Yèvre pour Langenot. Car à la mauvaise qualité des terres ou à l’impossibilité de gérer plusieurs activités agricoles voire artisanales, vient s’ajouter le pouvoir d’attraction éventuel de ces petites villes. Les hameaux et les villages abandonnés résulteraient alors d’un recentrage de la population35. Mais la qualité d’une terre ne peut être la seule cause de désertion. Les guerres, les épidémies ont très probablement accéléré le phénomène. Dans le cas de Venou, les lacunes des textes, l’achat intéressé du chapitre de la Sainte-Chapelle de Bourges dans celui de la tour de Bau et, dans une moindre mesure, les résultats des ramassages de surface à Langenot, semblent indiquer un profond bouleversement des campagnes au XVe siècle. L’attachement du Berry à la cause royale est bien connu, les incursions du Prince Noir aussi. Il n’est peut-être pas impossible, devant les misères de la guerre, de lier l’abandon ou le recentrage des populations à l’extension des enceintes de villes au XVe siècle36.