1Les campagnes bourguignonnes n’ont pas été épargnées par les conflits de la fin du Moyen Âge et trois épisodes se distinguent particulièrement par leurs effets ravageurs. Après la défaite de Poitiers, les routiers anglais envahissent le duché, défont la noblesse bourguignonne à Brion-sur-Ource le 2 juillet 1359 et à Brignais le 13 janvier 1362, infestent et mettent en coupe réglée le pays jusqu’à la fin de la décennie ou presque. Au début du XVe siècle, c’est la « guerre du Tonnerois » opposant Armagnacs et Bourguignons : elle est si dévastatrice qu’elle impose au duc Jean de promulguer en 1408 une ordonnance définissant les modalités du retrait des habitants du plat-pays dans les forteresses. À partir du traité d’Arras, signé en 1435, les troupes royales françaises démobilisées envahissent le duché, y restent peu ou prou pendant dix années : leurs méfaits sont effroyables et leur valent le surnom d’« escorcheurs »1.

2Les effets directs sur les populations et leur habitat sont largement rapportés dans la documentation. Les agglomérations déclarées « pillées », « gastées » ou « moult gastées », voire « détruites » et même « désertes pour cause de gens d’armes » y abondent2. Le hameau de Dracy, en Beaunois, exploré pendant de longues années par l’équipe dirigée par Jean-Marie Pesez, est l’une de ces victimes3. Le premier coup est sans 'doute porté en 1348 par la Peste noire, le second assurément par une bande armée incendiant nombre de maisons vers 1360. Une population amoindrie revient toutefois au lieu : d’après les dénombrements, Dracy est encore habité par deux familles en 1400 mais elles sont parties en 1421 et, dix ans plus tard, il est dit qu’à « Drachey... n’y demeure personne nul longtemps et pour ce néant4 »

3Dracy est l’un des rares cas enregistrés de désertion définitive dans la région, ce qui lui a valu bien évidemment l’intérêt que les historiens-archéologues lui ont justement porté. Mais la plupart des nombreux autres habitats touchés dans le même temps et tout aussi durement par les mortalités et les destructions, même longuement abandonnés, renaissent finalement de leurs cendres. On le sait depuis W. Abel, inventeur de la théorie des Wüstungen5 et, en France, depuis la puissante enquête sur les villages désertés6 dont Jean-Marie Pesez fut l’un des principaux acteurs, que la conjoncture, aussi dramatique soit-elle, ne suffit pas à expliquer les désertions définitives. Celles-ci touchent sans doute des établissements affaiblis par les malheurs du temps, peuvent être déclenchées par un événement brutal mais elles ne peuvent être pérennisées que par des modifications profondes de la structure de peuplement et donc des modalités socio-économiques de l’occupation du sol. Dracy, comme les autres désertions de la fin du Moyen Âge, est moins la victime de la brutalité de la Mort noire et de la sauvagerie des soudards que des formes nouvelles qu’affecte le mouvement de reconstruction des campagnes à partir du milieu du XVe siècle7.

4Tous les bons sites sont bientôt réoccupés. Certains même prospèrent, se développent très fortement et les exemples bourguignons les plus remarquables de croissance sont certainement apportés par les cas d’« envillagement » de granges cisterciennes au cours du XVIe et dans les premières années du XVIIe siècle.

5Charles Higounet a montré que, pour Cîteaux, la pratique de l’allotissement en bloc des terres d’une grange par la fondation d’un village de tenanciers fut, avec l’affermage – procédé dominant – et la vente – restée somme toute rare – une solution à la crise de recrutement des convers et aux difficultés de gestion des domaines en direct : elle est attestée au sein de l’empire cistercien ponctuellement dès la seconde moitié du XIIe siècle, plus souvent à partir du siècle suivant8. De fait, d’après les travaux de Benoît Chauvin et de Jean-Pierre Kempf9, sa première trace reconnue dans les terres bourguignonnes date de 1257 mais, auprès de la maison-mère, la pratique se développe surtout aux Temps Modernes. Ici comme ailleurs, elle est liée à « un intense mouvement de défrichement ou plutôt de remise en valeur de terroirs abandonnés » selon des modalités juridiques assurant une meilleure productivité à la rente seigneuriale, ainsi que l’a bien mis en évidence Jean Chiffre10 : Cîteaux non seulement amodie ses granges mais, entre 1508 et 1613, transforme neuf d’entre elles en village. Ainsi celle de Crepey, qui présente toujours une puissante et suggestive clairière sur un plateau boisé de l’arrière-pays beaunois à environ seize kilomètres de Dracy11.

6Rien sur le terrain n’apparaît aujourd’hui très ancien sinon, à l’entrée du village, un bel édifice très restauré, du XVIIe siècle peut-être. Mais les archives conservées sur cet établissement sont riches, tant écrites qu’iconographiques. Elles sont connues et ont été utilisées par les auteurs que nous venons de citer pour analyser la formation et la gestion du temporel de Cîteaux, son impact sur le paysage et le peuplement de la région12. Certains documents cependant, bien que postérieurs aux temps médiévaux, méritent relecture avec le regard de l’archéologue : ils sont riches d’informations sur les réalités physiques et sur la genèse du village, sur la naissance de la seigneurie.

Origine et développement

7Classiquement, la grange de Crepey est fondée dans le deuxième quart du XIIe siècle, sur un domaine qui existait sans doute déjà vers 877-879, à partir d’une donation massive du chapitre de Saulieu réalisée en 1124, complétée ensuite par les chapitre et évêque d’Autun et la maison de Vergy13. Aux XIIIe et XIVe siècles, elle est non moins communément exploitée par des frères convers, d’abord en faire-valoir direct puis, à partir de 1380, par amodiation : elle participe notamment à l’essor de l’élevage du mouton que connaît alors la Bourgogne14 et ses installations font l’objet de constantes réparations15.

8Elle subit comme tant d’autres habitats les malheurs des temps : elle est même déclarée abandonnée avant Dracy, dès 1400, puis encore en 1424 et toujours en 1431, date à laquelle il est précisé que « Nulz ny demeure pour cause de gens darmes »16. Elle retrouve ensuite preneur mais la remise en état est de toute évidence laborieuse : en 1433, « la grange de crespee » est toujours estimée « gastée de gens darmes » ; son amodiateur « Perrenot le grangier » se déclare « misérable » et le feu de « Poinceot maçon grangier », son successeur en 1442, est enregistré comme « mendiant »17. L’exploitation est remise en état en 1450 et, dès 1470, ce sont deux « mitanchiers » qui y tiennent feux18.

9Mais les séquelles du rattachement de la Bourgogne à la France ramènent les difficultés si bien que les exploitants ne peuvent bientôt plus habiter au lieu, comme le rapporte une déclaration des biens de Cîteaux en date du 13 février 149019 :

« Aux vénérables religieux abbé et couvent de Cisteaux, à cause de la fondation et dotation de leur église, (...) appartient de grande ancienneté la grange de Crespieres, ensemble les terres arables, bois, prés, buissons et pâturages situés et assis au finage et territoire d’icelle, ainsi comme le tout se comporte entre les villes et finages de Bligny-sur-Ouche, Bussey, Clavoillon, le finage des religieux de Sainte-Marguerite, de Bouilland, Bécoup et Aubaine. En laquelle grange et au pourpris dicelle a plusieurs maisons et murailles anciennes de présent et de long temps aucunement ruineuses au moyen de ce que personne n’y osait habiter, demeurer ni faire résidence à cause des guerres et siège de Beaune. Lesquelles maison, mex et pourpris d’icelles, selon la cloison et muraille, ont franchise et immunité ainsi gardées de toute ancienneté. Et de plus en iceux, mex, maison et pourpris et généralement en tout le finage et territoire d’iceux tant en plain comme en bois, les dits vénérables ont toute justice (...) haute, moyenne et basse, seuls et pour le tout comme du tout est apparu à moi Jehan Blanche, notaire royal, (...) par le rapport de Jehan Lami le jeune demeurant à Bouilland et de Philibert Boichot, de présent et depuis ledit siège et guerre de Beaune, admodiateurs de la grange de Cresperes et des appartenances d’icelles pour les dits vénérables... ».

10Mais le domaine est vaste – 365 ha de terre d’un seul tenant – et d’un rapport non négligeable20. L’exploitation est maintenue, les installations réparées, prises à bail, généralement pour neuf ans. L’ensemble est décrit en 1545 et, au milieu de ses terres, au centre de la clairière entourée par ses bois, la ferme présente belle allure, comprend quatre corps de bâtiment tout de pierre vêtus, avec chauffoir, chambre, grenier, cave et fournil, grange, étable et fontaine-abreuvoir, jardin et chènevière, l’essentiel entouré d’un mur de clôture21.

La grange en 1545

« ... il y a une maison de pierre couverte de lave tant en chauffeur, chambre que grenier sur le dit chauffeur. Item deux autres chatz22 de maisons joignant et au long de la précédente, de pierre couverte de lave, contenant deux chatz ainsi quelle se comporte. Item une autre maison devant des précédentes, contenant environ trois chatz, de pierre couverte de lave, ensemble une autre maison y joignant contenant un chatz en laquelle est le four à cuire pain, ensemble un cellier dessous de la dite maison au long dudit four, le tout ainsi qu’il se comporte et les aisances devant et derrière. Item (...) un jardin étant contre les dites maisons et les granges et toit du dit Crespey autour duquel est le pré et un appendice sur le dit pré ainsi que le tout se comporte. Item (...) un autre rant de maison de pierre couverte de lave auquel il y a une grange contenant environ deux chatz, une autre grange joignant à icelle contenant aussi deux chatz. Item un toit à mettre bête et dessus ledit toit l’on y met leur fourrage paille et foin tout ainsi qu’ils se comportent.
Item un jardin (...) et dessous le chemin une ouche à faire chènevière contenant la somme d’un boisseau23 de chanvre joignant le dit jardin ainsi que le tout se comporte.
Item (...) une place vide en plâtre et muraille démontrant l’antiquité de la dite grange, auquel plâtre et place vide y a un grand pignon à un arceau (...). Item en dessus et au long du dit plâtre y a une corvée que l’on laboure contenant trois boisseaux de grains et une autre place que l’on laboure avec muraille entre deux de la dite précédente et de la présente, contenant la somme d’environ une mesure, le tout déclaré au pourpris de la dite grange. Item une autre terre labourable contenant environ deux journaux24 au pourpris et cloison de la dite grange et devant le four de la dite grange ainsi quelle se comporte. Item une autre pièce de terre audit pourpris contenant quatorze journaux étant au dit cloître ainsi quelle se comporte. Item y a encore une autre pièce de terre contenant environ un journal devant et au bout des dites granges et toit devant déclaré.
Item en dehors du dit pourpris y a une corvée de terre contenant environ douze journaux appelée Champ du Gray, le grand chemin passant par environ le milieu venant d’Aubaine à Beaune, tenant d’une part et d’autre aux bois des dits vénérables.
Item au bout de la dite pièce de terre y a une ouche à faire chènevière contenant environ deux journaux au long de la fontaine y étant communément appelée le fontaine des Aulgees, garnie de trois auges de pierre et quatre de bois, auquel lieu l’on abreuve les bêtes et en laquelle fontaine y a un arnoux de pierre... ».

11La déclaration des terres et des bois se poursuit longuement, démontre l’importance du domaine que les deux foyers amodiateurs ne suffisaient pas sans doute à rentabiliser au maximum. Si bien que les frères de Cîteaux décident en 1612 d’« envillager » la grange, de la transformer en village : dix-huit lots furent prévus et quatorze immédiatement attribués, au profit de migrants venant de Lorraine et de Champagne, ainsi que l’expose en détail le contrat parvenu jusqu’à nous.

La constitution du village en 161225

« Au nom de Dieu, amen. L’an mil six cens et douze, le quatorzième jour de mardi, après-midi, vénérable sieur Dom Laurent Brocard religieux de Cîteaux, gouverneur de Gilly et dépendance, tant en son non que soi faisant fort pour messieurs les vénérables abbé et autres religieux du dit Cîteaux, absents, auquel il a promis faire ratifier ces présentes quand requis en sera, a baillé, cédé, quitté et transporté, baille cède, quitte et transporte perpétuellement pour les dits vénérables et leurs successeurs religieux aux conditions et dénommés ci après. A savoir Jehan Daga l’aîné de la Petite-Ville en Lorraine, bailliage d’Allemagne, tant pour lui pour une portion entière que pour au non de Jehan Daga son fils absent auquel il promet faire ratifier pour une demie portion. Jehan Florentin de Joeufz, bailliage de Saint-Miex, diocèse de Metz, Jacques Charbonnier de Beaufay, bailliage du dit Metz, Jehan Parigot de Goudreville au dit Bailliage, chacun pour une portion. Collinon Collin de Fouverance, bailliage de Sainte-Menehou en Champagne pour une portion et pour et au nom de Pierre Collin son fils absent auquel il a promis aussi de faire ratifier pour demie portion. Dimanche Thiriot de Viry-la-Petite-Metz, bailliage du dit Metz, Hostelet Vadru de Bellefontaine, bailliage d’Allemagne, chacun pour une portion, Barthélémy Joane de la Vieille-Ville, bailliage du dit Metz, pour une autre portion et ce faisant fort pour Martin Joane son fils absent auquel pareillement il a promis faire ratifier pour une demie portion. Jehan Michel de Vegy, bailliage du dit Metz, pour une autre demie portion, Jehan Belin de Souverence, bailliage du dit Metz, Laudin Cardiron de la Petite-Ville, bailliage d’Allemagne et Barthélémy Cardiron du dit lieu, chacun pour une portion.
Les nommés ci dessus qui, en leur personne comparaissant faisant le nombre avec les absents de quatorze portions ou prises, acceptent et retiennent pour eux, les dits absents, leurs successeurs et ayant causes, l’ancien pourpris de la grange et métairie de Crespie proche l’abbaye Sainte-Marguerite, bailliage de Beaune (...), réservés au profit des dits vénérables les bâtiments comme maison grange et établerie étant présentement au dit pourpris et où réside le fermier des dits vénérables, la corvée étant derrière les dits bâtiments et ce qui a été montré pour la commodité d’iceux aux dits reteneurs ce qui sera livré et divisé ou par muraille et clôture que feront faire les dits vénérables si bon leur semble ou par bornes qui seront plantées entre les parties.
Au dedans duquel pourpris ancien, les dits reteneurs ont promis et seront tenus de bâtir et faire un village composé au moins de quatorze feux ayant égard aux quatorze portions dont il a été parlé ci-dessus, lequel village portera le même nom de Crespey.
Plus ont délaissé les dits vénérables aux dits reteneurs le territoire qui dépend de la dite métairie de Crespey, tant en bois, terre, pâquier que autre héritage, fors et réservés cent journaux des dites terres qui sont en nature de labours à les prendre par iceux vénérables es lieu que bon leur semblera pour être tenus et cultivés par leur fermier que pour en disposer autrement à leur volonté, et encore la quantité de mil arpents de bois à les prendre par iceux vénérables aux extraintes du finage et territoire du dit Crespey où, pareillement, les dits vénérables les voudront choisir soit du côté du village de Clavoillon ou autre, considéré que le dit territoire et finage de Crespey peut contenir au moins deux mil arpents de bois26 sans les terres labourables et le pourpris de la dite métairie, dans lequel mil arpent de bois de la réserve susdite n’auront les dits preneur, leur hoirs, successeurs et ayant-causes, à perpétuité autre droit que de vaine-pâture pour leur bétail à la forme de la coutume générale de ce pays et duché de Bourgogne.
Et ce que dessus est délaissé aux dits preneurs pour entre eux être également partagé jusqu’au nombre de dix-huit feux et dix-huit prises ou portions, soit pour le regard des rues et commodités de leur village en corps et pour leur portion chacun en particulier.
Au dedans dudit ancien pourpris, qu’aussi pour le partage des dites terres, bois, pâquier et autre chose dépendante du présent bail et pour ce que les dénommés ci-dessus ne font le nombre que de quatorze prises entières, les dits vénérables se sont réservés d’ordonner, de disposer ci-après comme bon leur semblera des quatre autres portions faisant le nombre de dix huit.
Entretiendront les dits reteneurs les anciens chemins étant au territoire de Crespey et, s’il convient en tracer de nouveaux pour la commodité de leur village et communications avec les villages voisins, les dits chemins seront tenus en largeur de trente pieds le roi lesquels, aussi comme leurs anciens chemins, seront débornés pour éviter entreprises sur iceux, ce qu’arrivant seront amendables de soixante et cinq sols les délinquants. Et lesquels chemins seront tenus les dits preneurs, leurs successeurs et ayant-causes habitant dudit Crespey, nettoyer et perpétuellement entretenir en suffisant état et au bord d’iceux planter ormeaux ou arbre fruitier suivant les édits et règlements.
Feront leur profit des dits reteneurs des bois, au territoire du dit Crespey à eux accordés par le présent contrat, qui se trouveront sur les fonds propres à faire terre labourable, pré, rue, chemin et pâquier, excepté des bois à bâtir desquels il se fourniront pour leur bâtiment et logis ; la forme pour la distribution desquels bois à bâtir sera entre eux prescrite et réglée ci après. Et en useront en bon père de famille sans le pouvoir vendre aux étrangers si non après qu’ils auront fait leur dit bâtiment.
Et après qu’il aura été remarqué dans les dits bois, tant par les officiers des dits vénérables que les dits reteneurs des cantons et endroits plus propres et commodes à faire terre labourable, pré ou pâquier, le surplus demeurera en bois pour servir à la communauté du village d’usage pour et par les habitants y prendre bois pour leur chauffage et autre leur commodité sans en pouvoir vendre aux étrangers, le transporter ou appliquer à autre effet que pour leur dit usage, chauffage et commodité, à peine de confiscation d’amende, le fonds desquels bois d’usage demeurant en propre aux dits vénérables avec les intérêts des mésus et amendes qui se jugeront contre les mésusants et d’iceux bois les dits reteneurs et leurs successeurs habitant du dit Crespey useront aussi en bon père de famille (...) à peine de l’amende de soixante et cinq sols et des intérêts pour chacun fois contre un chacun des contrevenants. Dans lesquels bois d’usage, les dits fermiers des dits vénérables au dit Crespey pourront comme les autres habitants du dit lieu prendre leur chauffage et commodité (...) à la charge aussi de couper ce qu’ils prendront à ras de terre et sans fureter les dits bois aux peines que dessus. Lesquels habitants et fermiers auront soin de conserver en iceux bois les chênes de vieille écorce pour survenir à l’avenir à leurs bâtiments.
Pourront iceux habitants de Crespe aller aux paroisses voisines pour ouïr le service et faire leur prière et recevoir le saint sacrement attendant qu’ils aient moyen d’avoir une église paroissiale, l’appointement d’un prêtre pour la desserte de laquelle, cas advenant, demeurera aux dits vénérables.
Seront les dits habitants du dit village de Crespey comme aussi leur meix, maison, et héritage, sujets en toute justice, haute, moyenne et basse, des dits sieurs vénérables de Cîteaux, comme le fond et territoire à eux délaissés de tout temps a été et est encore... Lesquels habitants ne se pourront assembler en communauté sans licence des dits vénérables ou leur officier, à peine de l’amende de soixante et cinq sols et leur sera établi par les dits vénérables un maire habitant au dit lieu de Crespey pour connaître des causes (...) à la forme des villages circonvoisins.
Eliront les dits habitants manuellement quelqu’un d’entre eux pour régir et avoir le soin des affaires de leur communauté en qualité de procureur, et des messiers pour la garde et conservation de leur fruit aussi à la forme de leurs voisins, lesquels messiers seront tenus prêter le serment et faire leur rapport par devant les officiers de la justice du dit Crespey.
Et moyennant ce que dessus, seront tenus les dits reteneurs et leur successeurs et habitants du dit Crespey de payer pour chacun feu aux dits vénérables de Cîteaux et à leurs successeurs seigneurs du dit Crespey, chacun an à jour de fête Saint-Martin en leur maison seigneuriale au dit Crespey, dix sols tournois, un boisseau mesure de Beaune bon blé loyal et marchand et une poule bonne et suffisante, le tout de cens emphytéote, portant lods, retenus et amende de sept sols, les dits lods à raison de vingt deniers par livre.
Item seront tous les acheteurs des biens ci devant cédés, tenus représenter aux dits vénérables de Cîteaux et à leurs successeurs, seigneur dudit Crespey, copie des contrats de leur acquisition dûment collationnée et signée du notaire royal dans quarante jours après les dits acquêts, à peine de l’amende de soixante et cinq sols, pour et par les dits sieurs user de la retenue des choses vendues ou prendre les lods du prix ainsi que bon leur semblera.
Aussi seront tenus les dits preneurs et leur hoirs, successeurs et ayant-causes, perpétuellement et annuellement en temps des moissons, payer la neuvième portion et gerbe de tous les grains qui seront semés au territoire et finage du dit Crespey, tant soit blé, orge, avoine, pois, fève, chanvre, lin que autres grains et légumes quelconque, laquelle neuvième portion sera prise par les commis ou fermier des dits vénérables après que les dits grains seront mis en gerbe ou monceaux de neuf gerbes l’une au regard des grains qui se doivent lier et mettre en gerbe et, quant aux légumes qu’on n’a pas accoutumé de lier, il en sera pris et levé la neuvième portion au profit des sieurs comme dit est ci dessus et quant au chanvre, auront iceux vénérables sieur de la femelle seulement de neuf masses l’une et le tout par droit de titre et cens emphytéote portant lods, retenue, remuage et amende aussi comme il a été dit ci dessus.
Et s’il arrivait que hors le pourpris ancien du dit Crespey les dits reteneurs (...) fissent des vergers et meix qui fussent enclos et dans iceux missent la charrue et y semasse des grains, chanvre, légume ou lin, les dits vénérables (...) auront à prendre le même droit de la neuvième portion (...).
Payeront aussi (...) la dîme des laines des brebis, moutons et agneaux, à raison de douze toisons l’une et de douze agneaux un agneau (...).
(...) que s’il se trouve au finage du dit Crepey es meix et endroits délaissés aux dits reteneurs des fonds propres à faire prairie (...), pour chacune soiture des dits prés seront tenus annuellement payer (...) cinq sols (...).
Aussi que si les dits reteneurs (...) plantent de la vigne au dit finage (...), ils seront tenus de payer le douzième des fruits (...) qu’est à entendre de douze paniers de raisins un panier (...).
Et au cas que les dits sieurs feront construire un pressoir au dit Crespey, il sera banal pour les dits habitants dudit lieu lesquels, audit cas, payeront la douzième partie des vins et verjus qu’ils y presseront (...).
Pourront les dits reteneurs construire chacun en sa maison un four pour y cuire ses pâtes et, pour droit de banalité des dits fours, par chacun feu et ménage des dits habitants sera payé dix sols (...)· Seront tenus les preneurs de nettoyer le puits étant à Crespey et l’entretenir ci-après que aussi la fontaine dudit lieu et icelle garnir d’auges pour abreuver leur bétail (...).
Travailleront incessamment à se loger et bâtir dans l’enclos ancien dudit Crespey et, pour y parvenir, pourront se servir des matériaux étant audit pourpris, comme pierres, carrons et laves, réservé ce qui dépend des bâtiments qui sont jà construits et des murailles dudit pourpris à quoi il ne toucheront nullement sinon es endroits ou il conviendra faire les ouvertures pour les entrées et issues du village.
Pareillement seront tenus de travailler incessamment à essarter les bois es lieux à leur délaissés par le présent contrat pour les réduire au plutôt que faire le pourront en terre labourable, prés et vigne, du moins pour ce comme sera jugé audit territoire propre à cet effet (...).
Néanmoins le premier paiement des redevances susdites et des terres et prés qui se cultiveront sera et commencera en l’année mil six cent et seize (...) : ont les dits vénérables gratuitement accordé pour icelles redevances quatre années franches aux dits reteneurs pour leur donner plus de moyens et commodités de s’habituer, nourrir et survenir à leurs nécessités.
En outre seront tenus (...) donner un homme une fois l’an pour à tel jour qui leur sera avisé par les vénérables employer au finage dudit lieu une journée à ce qui leur sera commode et ce gratuitement comme sujet de faire chacun une corvée de bras par an.
Davantage seront tenus (...) de annuellement charrier les graines qui se récolteront au territoire dudit lieu pour les dits vénérables après que les dites graines seront battues et en la première réquisition d’iceux vénérables en la ville de Beaune ou en leur maison à Gergueil à leur choix (...) contre (...) trois sols par émine des dites graines.
Seront ceux des dits habitants qui voudront vendre vin au dit Crespey tenus demander licence aux dits vénérables (...) ».

12L’opération est, visiblement, une réussite. En 1640, la grange seigneuriale que Cîteaux a conservée est reconstruite à la charge des habitants tenanciers du nouveau village27. En 1722, ceux-là sont dix-huit, outre le grangier de Cîteaux, à tenir les « meix, maisons et chènevières du village de Crespey », à exploiter les 1063 journaux de terre du finage et, parmi eux, on reconnaît les Daga, Parigot, Collin et Joane d’origine28. Entre 1681 et 1730, l’agglomération est représentée sur les différents plans que l’abbaye commande aux arpenteurs Gambu père et fils.

Le village de la fin du XVIIe au début du XVIIIe siècle

13Dans le justement fameux Atlas de Cîteaux conservé aux Archives Départementales de la Côte d’Or29, « le village de Crespey » apparaît en vue cavalière au folio 15 de l’arpentage des bois commencé en 1681 et achevé en 1718 par André Gambu. Il apparaît aussi en plan au folio 38, dans la section concernant l’arpentage des terres, rentes et seigneuries commencé en 1715 par le fils, Bernard Gambu.

14L’agglomération figure encore, en vue cavalière, sur un plan en une feuille levé par André Gambu en 1681 et conservé à l’abbaye de Cîteaux. Cette représentation, moins connue, est différente de celle de l'Atlas : les traits sont plus grossiers, voire maladroits mais nous sommes ici, peut-être, en présence d’une ébauche préparatoire à l'Atlas. L’angle de vue reste le même, face à la porte monumentale, mais celle-ci est représentée ici par un arc à claveaux et sur l'Atlas par un porche à linteau droit. L’économie générale du village est similaire, avec sa rue principale flanquée de maisons débouchant sur une place délimitée à l’est par une croix et fermée à l’ouest par une rangée de bâtiments ; mais, au nord de la porte, le plan conservé à Cîteaux montre un enclos enfermant trois grands édifices en enfilade avec pignon sur rue, alors que l'Atlas organise les trois bâtiments autour d’une cour ; et si sur l'Atlas aucun bâtiment ne se distingue par sa taille, celui fermant la place dans l’axe de la rue se détache clairement : c’est évidemment la grange que Cîteaux a conservée à Crepey et qui continue de marquer en ce lieu la présence seigneuriale.

15Cette grange a disparu et l’agglomération ne s’est guère ensuite développée mais elle a subsisté : c’est aujourd’hui un hameau rattaché à la commune d’Aubaine qui comptait, en 1951, 14 feux et 49 habitants30.