1Dans l'iconographie médiévale, l'arbre est très présent et fait partie du paysage ; il est même souvent le seul élément végétal qui symbolise la nature. Outre cette équation arbre = nature, il peut être un signe dont les connotations ont leur source dans les civilisations les plus anciennes. Ainsi dans les calendriers monumentaux ou enluminés des XIIe et XIIIe siècles, mais aussi postérieurs, le mois d'avril est fréquemment illustré par un jeune homme au milieu d'arbres ou encore tenant, dans une main ou les deux, un tronc ou une branche1. Ce motif reprend, en le christianisant, le symbole païen des deux arbres, l'un représentant la terre, l'autre la fécondité2.

2Les documents en relation avec l'arboriculture proprement dite se trouvent surtout dans des ouvrages dits scientifiques ; d’abord dans les œuvres des agronomes antiques, abondamment traduites durant le Moyen Âge. Celles-ci s’intéressaient en particulier à la culture de l’olivier. L’étude des arbres est reprise par les herbiers et les encyclopédies populaires, également par les traités d’hygiène tel le Tacuinum Sanitatis. Dans ce dernier traité, trente-six rubriques sont consacrées au figuier et aux figues sèches, au pêcher, au prunier, au poirier, au grenadier doux et amer, etc. Dans le Traité d'Agriculture de Crescenzi, le chapitre 22 du livre 2 porte sur la plantation des arbres et le chapitre 23 sur les greffes à effectuer sur les arbres fruitiers, tandis qu’au livre 5, soixante-deux espèces d'arbres cultivés sont recensées et classées en deux grands ensembles : les arbres fruitiers et les autres, essentiellement les essences forestières3. Enfin certains ouvrages ont pour sujet les travaux liés à la culture des arbres. Ainsi vers 1350, Gottfried von Franken écrit un traité d'arboriculture, tandis qu'au XVe siècle, les livres relatifs à la greffe des arbres se multiplient.

3Si les calendriers ne consacrent pas de mois particulier à l'arboriculture, ils évoquent fréquemment les arbres à travers la glandée, en octobre ou novembre, et quelques-uns d'entre eux réservent un ou plusieurs mois aux tâches exigées par les arbres, comme l'abattage du bois, la greffe, les façons, la taille et surtout la récolte des fruits. Par exemple dans le calendrier sculpté par Luca della Robbia dont les tondi émaillés sont conservés au Victoria and Albert Museum, le paysan s'occupe en janvier de la coupe des arbres, en mars de la greffe des fruitiers et en novembre de la récolte des olives.

4Enfin à partir du XIIIe mais surtout aux XIVe et XVe siècles, apparaissent de nombreux livres profanes qui accordent une place parfois importante à l'arboriculture, comme l'Épître d'Othéa de Christine de Pizan où est relatée l'invention de la greffe par Isis.

5Que signifie ce regain de textes agronomiques au Moyen Âge et l’abondance des images relatives à l’arboriculture ? Pendant l'empire romain4, l'Occident témoigne d'un vif intérêt pour les fruits, à en juger par les textes littéraires et agronomiques ; beaucoup d'acclimatations5 et de variétés6 d'espèces fruitières remontent à cette époque. Mais à la fin de la domination romaine, la culture des arbres connaît une certaine désaffection ; le nombre des arbres cultivés régresse et plusieurs espèces domestiquées sont perdues, comme le prouve l'attention prêtée à ces plantes par les légistes et les dirigeants durant le haut Moyen Âge7. Or toutes les sources confirment que l'arboriculture prend ensuite un nouvel essor. Cette relance débute à des dates diverses suivant les régions. En France, les études carpologiques et les analyses des micro-restes végétaux montrent une intensification de la fructification entre le XIe et le XIIIe siècle8. Pourtant, selon certains historiens, la reprise ne remonterait qu'au milieu ou à la fin du XIIIe siècle, pour d'autres plutôt au XIVe9 ou même au XVe siècle. La recrudescence des textes agronomiques et des images relatives à ce sujet renforcerait d’ailleurs plutôt cette date tardive.

6En fait la culture des fruits n'a pas tenu la même place dans les différents pays de l'Occident médiéval. En Italie, l'importance des textes et des enluminures s’y rapportant révèle une prédilection particulière, moins manifeste en France, en Flandre et surtout en Angleterre. En France notamment, si les scènes de cueillette des fruits sont relativement peu nombreuses, c'est sans doute parce que cette culture tient une place secondaire comparée aux autres productions agricoles dont dépendait l'équilibre vital des paysans. Par contre en Italie, au moins dans le Latium, « l'arbre s'impose comme un élément constant de la structure agraire... au Moyen Âge »10.

7La faible estime que les médecins médiévaux témoignent à l'égard des fruits est donc loin d'avoir entraîné un refus de ces denrées alimentaires11, mais sans doute leur consommation était-elle surtout appréciée par les élites sociales, les paysans se nourrissant surtout de légumes.

« Bon fruit vient de bonne semence » (Miélot, 1456)

8Il existe, pour les arbres, trois techniques de reproduction : par semis des graines, pépins ou noyaux des fruits, par bouturage ou marcottage et enfin par greffage. À vrai dire les documents iconographiques ne permettent pas toujours de préciser le mode de reproduction. Lorsqu'Adam12 met en terre devant sa cabane, sans l'aide d'aucun outil, un rejet arboré, lorsque plusieurs paysans plantent des arbrisseaux, s'agit-il à coup sûr de bouturage ? Rien n'autorise à l'affirmer. Comment ont été produits l'arbre déjà grand, couvert de feuillage et aux racines abondantes13 qu'Isis enfonce dans le sol et celui semblable qui attend à côté d'elle ?

9De l'Antiquité à nos jours, on plante avec les mêmes gestes. Si l'on suit les conseils de Pietro de’Crescenzi, après avoir creusé un trou en rapport avec la taille de l'arbre, on fume la terre, avant de la tasser autour du nouveau sujet14. Par contre pour creuser le trou, les images montrent des outils assez variés. Ainsi la compagne d’Isis s'est munie d'une bêche dont la lame est renforcée et le manche terminé par une poignée triangulaire. Une pelle, à la lame rectangulaire, au manche identique à celui de la bêche, est posée sur le sol, près d'un pic à la pointe acérée. Lors des plantations d'arbres, le long des routes chinoises, dans une enluminure du Livre des merveilles de Marco Polo15, un homme, s'apprêtant à creuser un trou, a rejeté derrière sa tête une houe à la lame triangulaire ; une bêche à la poignée axiale est à terre, à côté d'un jeune arbre à planter16.

10Parfois les paysans qui plantent les arbres ont passé une serpe à dos tranchant sous leur ceinture, par exemple dans une version flamande du XVe siècle de Crescenzi17. Est-ce pour raccourcir les racines ou élaguer quelques branches ? L'agronome rappelle en effet qu'avant la plantation, le jeune plant doit être émondé pour favoriser sa croissance.

11Dans les documents iconographiques, rares sont les allusions au fumier. Toutefois dans un exemplaire du Traité d'Agriculture de Crescenzi18, aux côtés d'un homme qui creuse un trou, le pied droit sur l'épaule d'une bêche, un compagnon, à genoux, retient de sa main droite un arbrisseau, tandis qu'un troisième personnage apporte sur son épaule une auge aux larges bords. Contient-elle du fumier ou tout autre amendement pour le sol, selon les recommandations contenues au livre 2 du chapitre 22 de Crescenzi ?

« De bonne ente bon fruit »

12Beaucoup plus souvent les artistes montrent la reproduction arbustive grâce à la greffe. Cette technique consiste à fixer sur un porte-greffe, dit aussi sujet, qui est soit sauvage, soit de faible qualité fructifère, un greffon d'une variété dont on veut récolter les fruits19. En effet la greffe est non seulement un moyen de reproduction mais elle sert aussi à améliorer les végétaux, puisqu’elle permet de reproduire sur une autre plante toutes les caractéristiques d'un spécimen présentant des qualités exceptionnelles.

13La greffe est connue depuis l'Antiquité. Au Moyen Âge, les savoirs se perpétuent, fascinant les agronomes : alors que l'arboriculture reprend vers le XIIIe siècle avec des variétés culturales limitées, la greffe apparaît comme la clé de la réussite20, si bien que certains ouvrages abondent alors en recettes bizarres21.

14Certains traités, plus réalistes, portent sur les techniques de greffage, comme le réceptaire anonyme intitulé La manière de henter soutillement22 ou encore le livre de Nicole du Mesnil La manière d'enter et planter arbres23. D'autres ouvrages d'agronomie réservent à la greffe de longs développements, par exemple tout le chapitre 23 du livre 2 de l'Opus ruralium commodorum de Pietro de’Crescenzi. Pour Corniolo della Cornia qui consacre un chapitre entier à la culture des arbres dans la Divina Villa, composée en Ombrie à la fin du XIVe siècle, la greffe est décrite comme la technique « la plus intelligente de celles qui sont pratiquées en agriculture » et l’auteur énumère longuement différents types de greffes24.

15Dès le XIIe siècle, la greffe est illustrée dans le Temps circulaire pour symboliser le mois d'avril25, mais c’est au XIIIe siècle que le thème connaît une particulière faveur : plusieurs cycles d'origine thuringo-saxonne, notamment le Psautier d'Hildesheim26 et le Psautier de Sainte Elisabeth de Thuringe27 figurent la greffe au mois de mai28. Par la suite les calendriers manifestent moins d’intérêt, mais la greffe est alors mise en scène dans plusieurs livres profanes29.

16Bien entendu il est souvent difficile de déterminer quelle greffe est représentée par le miniaturiste : cependant il semble que ce soient les greffes en fente, simple et double, et la greffe en couronne qui aient été le plus souvent retenues30.

17Les enluminures montrent plusieurs étapes de ces opérations délicates, mais jamais l'oraison qui devait précéder toute greffe, comme le conseille La manière de henter soutillement31 ! Le plus souvent le paysan est debout, serpe ou couteau à la main, devant un porte-greffe largement entaillé verticalement. Par exemple dans une gravure du traité de Nicole du Mesnil32’la fente atteint 10 cm, alors qu'elle dépasse 15 cm dans un exemplaire de l'Épître d'Othéa33. Ces fentes semblent particulièrement exagérées, à en juger par les traités de greffage récents.

18Parfois le paysan taille le greffon, comme dans le Psautier de Bonmont34 Le greffon est couché sur sa main gauche ; à l'aide d'un couteau, il s'apprête à en découper l'extrémité en un long biseau. Plus souvent, en particulier dans les cycles des XIIe et XIIIe siècles, comme le Temps circulaire ou le Psautier d'Elisabeth de Thuringe, l'homme ne s'est muni d'aucun outil pour introduire une ou deux petites branches bourgeonnantes dans un tronc raccourci horizontalement. Dans deux versions plus tardives du Traité d'Agriculture de Crescenzi35, le paysan, sa serpe posée au sol, s'est agenouillé pour fixer un greffon de quelques centimètres dans un tronc déjà entaillé. La position est identique sur une gravure de la fin du XVe siècle de ce même traité36 : l'homme, genou droit au sol, introduit deux greffons, de part et d'autre d'un porte-greffe haut de 40 cm environ.

19Sur d’autres documents, le paysan est en train de lier la greffe, car presque tous les systèmes de greffage exigent une ligature qui rapproche les tissus écartés ou les écorces soulevées37. Quand la reprise s'est bien effectuée, la ligature devient nuisible et il est alors nécessaire de la supprimer38. Pour ces ligatures, on peut utiliser des écorces divisées en lanières qui offrent une certaine résistance, par exemple celles du tilleul ; mais ce matériau se prête mal à l'enroulement. Le paysan lui préfère souvent l'osier fendu. Sur le tondo conservé au Victoria and Albert Museum, deux gerbes de liens d'osier, d'environ 40 cm de long, attendent près du paysan. On retrouve ces bottes de liens dans un livre de proverbes datant du début du XVIe siècle39. Même si ficelles, cordes et fils se resserrent sous l'effet de l'humidité et étranglent le sujet, c'est apparemment ce dernier matériau qui est employé par le paysan d'un Psautier du XIIIe siècle40 ; assis sur un petit tabouret de bois, il est en train de lier avec un long cordon blanc le tronc d'un porte-greffe où deux greffons ont été introduits. Deux siècles plus tard, dans une version de l’Épître d'Othéa41, Isis, volant au milieu des cieux, ligature de la même manière le tronc d'un arbre sur lequel a été greffée une grosse branche.

20L'application du lien se fait avec les deux mains. Si dans le Psautier du XIIIe siècle, le paysan n'a encore fait qu'un seul tour autour du porte-greffe, en général le lien est roulé en spirale autour de la partie greffée, en serrant à chaque tour, surtout au premier et au dernier plus disposés à se relâcher. Les spires sont plus ou moins rapprochées. Sur le tondo italien, cinq tours, à faible distance les uns des autres, maintiennent ferme la greffe. Dans l'exemplaire de l’Épître d'Othéa, quatre tours de ficelle se croisent.

21La greffe peut être simplement enserrée par un lien d’osier, comme dans plusieurs versions enluminées42 ou gravées du Traité de Crescenzi ; plus souvent un chiffon protège la greffe, attestant la pratique de l'engluement. En effet toutes les fois que la greffe nécessite une section du sujet, donc la formation d'une plaie, la cicatrisation est lente. Depuis l'Antiquité, on a cherché à préserver les parties blessées des aléas climatiques, des insectes ou encore des champignons, en les recouvrant de substances.

22Dans La manière de henter soutillement, il est recommandé « après la greffe, de l'estouper de cire que l'eau n'y puisse entrer »43. Que contient la coupelle en bois posée au pied du paysan qui ligature une greffe dans le Psautier d'Hildesheim44 ? Serait-ce le produit pour la cicatrice de l'arbre greffé ?

23Cette pâte est ensuite maintenue avec de la paille ou du foin, avant d'être recouverte d’un vieux linge, puis ligaturée. Pour nombre d'enlumineurs, les poupées autour des greffons suffisent pour évoquer la greffe des arbres dont la gestuelle est plus minutieuse que spectaculaire.

24Quels sont les outils utilisés pour la greffe des arbres ? Quel que soit le type de greffe, le porte-greffe est le plus souvent coupé horizontalement à l'aide d'une scie. Sur les images, cet outil n’est guère visible lors de son utilisation, mais il attend parfois sur le sol, à côté du paysan ou d'Isis, par exemple dans les Proverbes pour tapisseries datant du début du XVIe siècle45. La lame de l'outil ne dépasse pas 25 cm et se prolonge par un manche court, en bois tourné, d'une dizaine de centimètres46. Cette scie à main, de type égoïne, est à lame fixe, alors que, dans des manuscrits postérieurs, la lame peut être pliante. La denture de la lame est simple.

25La plaie faite avec cette scie, très irrégulière, cicatrisera mal. Pour aviver les tissus mâchés et aplanir la coupe, elle doit donc être toujours rafraîchie avec une serpe ou un couteau. Ces outils servent également à fendre le sujet lors de la greffe en fente, si le tronc n'est pas trop gros, ou encore à tailler le greffon. D'après certaines illustrations, les paysans peuvent aussi utiliser pour ces différentes tâches une serpe à dos tranchant, identique à celle employée pour la taille de la vigne47. Par exemple dans plusieurs versions françaises du Traité de Crescenzi qui datent du XVe siècle48, une serpe à dos tranchant est posée sur le sol devant l'arbre. La lame, de 20 cm environ, est nettement recourbée à son extrémité ; le manche est court, de faible diamètre, en bois blond. L'outil est parfois plus important : dans un Livre des Merveilles de Marco Polo49, la lame atteint une trentaine de centimètres pour 10 cm de large, le talon tranchant ne débordant que d'un à deux centimètres au milieu du dos.

26Plus rarement la serpe est dépourvue de dos tranchant, par exemple dans un incunable de Pietro de’Crescenzi imprimé à Lyon en 153050 ; la lame de cet outil mesure environ 20 cm sur 3 de large. Dans une gravure légèrement antérieure du traité de Nicole du Mesnil51, le paysan se sert d'une serpe dont la lame, sans dos tranchant, assez large, est prolongée par un manche fixé par une virole, mais l'homme porte, passée sous sa ceinture, une seconde serpe, celle-ci munie d'un dos tranchant. La greffe pouvait donc exiger l'utilisation de ces deux outils52.

27Lorsque le porte-greffe est d'un diamètre assez important, la fente s'effectue souvent avec un couteau dont la forme est très proche de celle des couteaux utilisés pour la cuisine. Par exemple dans le Psautier d'Hildesheim53, un couteau à la lame bombée et à l'emmanchement consolidé par une virole est sur le sol, à proximité du paysan qui effectue une greffe sur un porte-greffe de belle taille. De même le paysan d'un Traité de Crescenzi, enluminé à la fin du XIVe siècle en Bohême54, entaille le tronc d'un porte-greffe avec un couteau. La lame large a des bords dont un des côtés est nettement bombé. Elle se prolonge par un manche en bois noir, clouté ; un fourreau en cuir noir est suspendu à la ceinture du travailleur.

28Dans le Psautier de Bonmont55, c'est le greffon et non plus le porte-greffe que le paysan taille avec son couteau56. La lame, d'une vingtaine de centimètres, presque rectangulaire, se termine en biseau et le manche est consolidé par une double virole.

29Parfois, comme dans une autre version française de Crescenzi du XVe siècle, le “greffeur” tient dans sa main droite un couteau, tandis que son compagnon, qui a terminé de préparer le porte-greffe, porte une serpe à la taille. Outils complémentaires, couteau-greffoir et serpette sont d'ailleurs disposés côte à côte sur le sol près d'Isis dans un livre de Proverbes pour tapisseries57. Le greffoir proprement dit, composé d'une lame étroite dont la pointe est recourbée vers l'arrière et caractérisé par son manche, terminé par une spatule pour soulever les écorces entaillées préalablement avec la lame, n'est en fait jamais figuré58.

30Pour fendre les porte-greffe dont le diamètre est important, il est parfois nécessaire de frapper sur le dos de la lame du couteau ou de la serpe à coups de maillet. Cet outil sert aussi à enfoncer le coin dans la fente de l'arbre. Dans des Proverbes pour tapisseries, un marteau à la massette légèrement incurvée est posé sur le sol, à côté d'un coin de bois blond, certainement confectionné dans un bois dur59.

31Quels arbres greffe-t-on au Moyen Âge ? Dans certaines illustrations, par exemple dans le Psautier d'Elisabeth de Thuringe ou le Psautier de Bonmont60, l'environnement végétal n'étant pas dessiné et l'arbre non identifiable, il est impossible de préciser. Souvent la greffe a lieu dans un jardin d'agrément où des amoureux se rencontrent61 ; plus fréquemment ce sont les arbres des vergers qui sont améliorés grâce à la greffe, notamment dans les versions du Traité de Crescenzi ou dans des Proverbes pour tapisseries.

32De quelles espèces proviennent sujet et greffon ? Une certaine affinité entre les deux doit exister pour rendre la soudure possible, l’expérience montrant que seules les plantes d'une même famille botanique s'unissent par la greffe62. L'iconographie ne peut guère fournir d'indications précises. Dans l'exemplaire du Traité d'Agriculture conservé à Prague63, les poiriers situés en arrière-plan pourraient bien indiquer que c'est un poirier qui est greffé. Cette espèce se prête d’ailleurs particulièrement bien à la greffe, à preuve les cinq rubriques qui lui sont consacrées dans La manière de henter soutillement64.

33Pour réussir une greffe, le porte-greffe doit être scié assez court : à environ 40 cm du sol, dans le Psautier de Bonmont65, à un mètre, dans l'exemplaire de Crescenzi déposé à Prague66 ou sur une gravure de La manière d'enter et planter arbres67. Ces hauteurs respectent d’ailleurs les prescriptions de Pietro de’Crescenzi.

34Quant aux greffons, on peut les prélever dans les forêts sur des plants sauvages ou sur un arbre particulièrement apprécié du verger. Pour effectuer les greffes au printemps, ils devaient être choisis en janvier ou février afin d'être placés en terre verticalement au pied d'un mur, pour y puiser assez d'eau et ne pas se flétrir avant leur emploi. Dans un livre de proverbes68, des greffons sont posés sur le sol. Ils viennent sans doute d'être déterrés et sont rassemblés en botte dans une motte d'argile ; pour être conservés frais, ils ont été enveloppés dans un tissu.

35Les greffons sont presque toujours des rameaux de l'année précédente. Ils doivent posséder au moins un bourgeon ou un œil et être en bon état afin d'avoir toutes les chances d'assurer la reprise. Après avoir été taillés, puis introduits dans le sujet, ils sont souvent raccourcis, entre 5 et 10 cm. Pourtant sur les documents iconographiques, ils sont nettement plus longs : dans le Psautier de Bonmont, ils atteignent même 80 cm et portent cinq bourgeons ; un tel agrandissement rendait bien sûr les images plus lisibles.

36En général un ou deux greffons sont enfoncés dans le porte-greffe. Ainsi dans une version du Traité de Crescenzi69, quatre arbres déjà greffés portent chacun deux greffons de part et d'autre de la fente. Lorsque les deux greffes ont bien poussé, on choisit la plus vigoureuse et on fait sauter l'autre d'un coup de maillet avec un ciseau de menuisier. D'autres arbres, greffés en couronne, portent des greffons en nombre plus important, parfois de façon fort irréaliste d'ailleurs. Par exemple dans le tondo de Luca della Robbia, six greffons sont enfoncés, trois par trois dans deux branches du même porte-greffe. Les arbres soignés par Isis dans un exemplaire de l’Épître d'Othéa conservé à Lille sont encore moins vraisemblables70. Ils sont en effet greffés en trois ou cinq endroits différents dans lesquels de un à quatre greffons ont été introduits.

37Si l'on se fie aux dates fournies par les quelques calendriers qui figurent la greffe, cette tâche se situerait en avril ou en mai. Or Pietro de’Crescenzi recommande de greffer avant le départ de la végétation ou bien encore en été, à condition de protéger la greffe et d'arroser71. En fait la greffe en fente se pratique plus tôt que la greffe en couronne. D'après L. Daniel72, le moment propice pour la greffe en fente, c'est mars, quand les yeux du sujet commencent à éclater pour donner des pousses, et pour la greffe en couronne les premiers jours d'avril, lorsque l'écorce se soulève facilement du bois et que la sève commence à circuler. Bien entendu l'iconographie ne permet pas de vérifier si le conseil « d'enter deux ou trois jours devant le croissant » est bien respecté, comme le préconise l'auteur de La manière de henter soutillement.

38Parmi les soins nécessités par l'arboriculture, la plupart des traités conseillent de retourner la terre au pied des arbres, jusqu'à dénuder les racines, plusieurs fois par an. Certains calendriers et plusieurs versions du Traité de Crescenzi73 illustrent ce travail peu pittoresque. Ainsi dans le Psautier de Bonmont74, au XIIIe siècle, en février, deux paysans travaillent le sol de part et d'autre d'un arbre. Si ces façons connaissent un certain désintérêt dans l'iconographie des XIVe et XVe siècles, de nombreux Livres d'Heures flamands, enluminés par Simon Bening ou son atelier à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, symbolisent le mois de mars par un paysan en train de bêcher au pied d'un arbre dans un jardin d'agrément, sous le regard des nobles propriétaires75.

39Suivant les régions, les sols et les habitudes culturales, on utilise pour cette tâche la houe ou la bêche. Sur une version de l'Epître d'Othéa conservée à Lille, un paysan enfonce dans le sol d’un verger une bêche dont le manche est muni d'une poignée axiale76 ; son pied droit est appuyé sur la lame rectangulaire77.

40Pour ce travail on se sert également de la houe : par exemple dans une version gravée de Pietro de’Crescenzi, c’est une houe à la lame triangulaire, emmanchée à douille, qui permet de bêcher autour d'arbres qui viennent d'être greffés78.

41Houe et bêche peuvent d’ailleurs être employées simultanément. Ainsi, dans le Psautier de Bonmont79, deux hommes face à face retournent le sol au pied d'un arbuste, l'un a son pied droit sur l'épaule d'une bêche triangulaire, l'autre abat une houe à la lame, elle aussi, triangulaire. La même association se retrouve dans deux versions de Pietro de’Crescenzi plus tardives : deux hommes travaillent la terre dans un verger, l'un avec une bêche, l'autre avec une houe. La lame de la houe est triangulaire, celle de la bêche dont le manche mesure environ un mètre, est rectangulaire, renforcée de métal, avec des épaules largement débordantes80.

« Arbre molt ramé fait à peine bon fruit »

42Outre les façons, la taille fait partie des soins nécessaires. Les cycles français n'illustrent pas cette tâche ; mais plusieurs calendriers italiens, tel celui de Florence du XIIIe siècle81 ou plus tard celui de l'Officium Beatae Mariae Virginis82, enluminé par un élève bolonais de Niccolo vers 1385, symbolisent février par un paysan raccourcissant les branches d'un arbre. Cette tâche prend alors la place de la taille de la vigne, traditionnellement figurée à cette époque dans les travaux des mois, la fin de l'hiver étant, pour ces différents végétaux, la période la plus propice, du moins en ce qui concerne la taille dite sèche. Quand aucune date n'est indiquée, les arbres semblent taillés dans la période active de végétation, selon la taille en vert Il existe en effet plusieurs types de taille, répondant à des objectifs précis différents : former la charpente de l'arbre, le mettre à fruits et enfin restaurer les arbres âgés.

43Pour la taille de formation, le paysan utilise un large tranchoir dont la lame, largement évasée à partir du manche, atteint une trentaine de centimètres de long, par exemple à Forli. À l'extrémité, la lame se prolonge perpendiculairement et dépasse 10 cm de large. Un manche clouté, d'une quinzaine de centimètres, se termine par un crochet recourbé qui permet d'avoir l'outil mieux en main, mais aussi de le suspendre à la ceinture. À Forli, outre ce tranchoir, une hache dont la lame déborde d'un seul côté du manche complète l'équipement.

44D'autres outils peuvent servir à cette tâche : dans deux versions, l'une enluminée83, l'autre gravée du Traité de Crescenzi, à côté de paysans en train de greffer et de bêcher un verger, un compagnon coupe les branches hautes d'un arbre avec une serpe à lame large et dos tranchant. Plus souvent la serpe ne comporte pas de talon : notamment dans le chapitre sur les drogues d'une Histoire naturelle de Pline84, enluminée à Rome par Giuliano Amadei vers 1400, la lame de l'outil est large, nettement incurvée à son extrémité et se prolonge par un manche en bois blond tourné. Dans le verger clôturé du Missel de Poitiers85, c'est un outil identique que tient l'homme qui taille les arbres ; la lame dépasse 40 cm de long sur dix de large.

45Outre ces outils de taille imposante, des serpes de dimensions plus réduites, à la lame fine, très proches de celles servant à la taille de la vigne, sont utilisées pour raccourcir les branches plus petites dans un Livre des Merveilles de Marco Polo86. Ces serpes confirment, une fois de plus, la polyvalence de l'outillage agricole au Moyen Âge.

46L'homme manie ces outils tantôt debout au pied de l'arbre, tantôt juché sur les branches hautes, par exemple dans l’Histoire naturelle de Pline87. Dans le verger du Missel de Poitiers88, un feu, allumé à proximité des arbres qu'on taille, permet de brûler, au fur et à mesure, les branches coupées.

47Comment les arbres étaient-ils cultivés ? En fait la plupart des arbres ne révèlent pas une conduite particulière. Pourtant une taille en gobelet est repérable sur certains arbres fruitiers, comme ceux d'un verger lombard dans une version des Géorgiques89 ; des ceps de vigne s'appuient sur ces arbres auxquels la taille assure un port aéré et une grande pénétration au soleil.

48Dans un exemplaire de la fin du XVe siècle de Crescenzi, c’est en espalier que s’étale un figuier90 ; ses branches forment des arceaux, soutenus par des traverses, sur quatre niveaux différents. L'enlumineur respecte ainsi les directives de l’agronome : cet arbre ne doit pas pousser en hauteur, car il serait trop sensible au gel ; son port sera élargi et ses branches s'étendront à l'horizontale91. Dans un Thomas de Cantimpré92, la conduite est assez semblable : dans un verger, un poirier a ses branches accrochées à un espalier, constitué de solides tuteurs de plus de deux mètres de haut.

49À l'encontre des traités d'arboriculture, l'arrosage des arbres nouvellement plantés ou transplantés n'est jamais évoqué par les enlumineurs, pas plus que la plantation des graines ou noyaux. Seul un exemplaire de Crescenzi93 illustre sans doute l'écorçage. Un homme, un genou à terre, une serpe à dos non tranchant dans la ceinture, passe, de la main droite, un écorçoir contre le tronc d’un arbre. S'agit-il d'une pratique visant à redonner de la vigueur à un arbre malade comme cet agronome le recommande, ou l'enlumineur a-t-il voulu figurer le gemmage du pin pour la récolte de la résine94 ? Il est difficile de trancher.

« Quant la pomme est meure, force est qu'elle chaye »

50Parmi les tâches liées à l'arboriculture, la récolte des fruits est de loin la plus figurée au Moyen Âge. Ce thème iconographique a d'ailleurs son origine dans la plus haute Antiquité et il est repris dès le XIIe siècle dans les calendriers. Si, en France, nous ne connaissons que trois exemples monumentaux datant des XIIe et XIIIe siècles95, 60 % des cycles italiens, la quasi totalité des calendriers des régions plus méridionales96 lui consacrent une scène, le climat de ces contrées étant particulièrement adapté à cette culture. Les cycles enluminés du XIIIe siècle marquent une certaine désaffection, mais, à nouveau, la récolte est souvent intégrée dans les travaux des mois des XIVe et surtout XVe siècles, notamment en Italie et en Flandre. Même faveur dans les traités scientifiques : ainsi dans les Tacuinum Sanitatis, la cueillette est la seule tâche en relation avec les différentes espèces fruitières, cette prédilection n’étant qu'une facette de cette « vaste cueillette » qu’est l’agriculture à cette époque97.

51Dans les calendriers, la récolte des fruits s'effectue à des dates très diverses, suivant le climat et surtout la variété des espèces. Ainsi en Italie, le paysan ramasse les figues en août ; en juin, il cueille les cerises ou les poires, tandis que la récolte des pommes est le plus souvent repoussée en septembre ou octobre.

52Contrairement aux autres tâches relatives à l'arboriculture, la cueillette requiert fréquemment une participation féminine. Dès le XIIIe siècle, alors que les femmes sont très rarement présentes dans les calendriers monumentaux, elles sont là pour la récolte des fruits, en particulier à Borgo San Donnino et sur la fontaine de Pérouse. En fait l'ensemble de la famille est mobilisé et les tâches sont réparties. Ce sont le plus souvent les hommes qui transportent les lourdes corbeilles de fruits, les femmes se contentant de ramener à la maison des paniers pour l'approvisionnement familial. Ce sont aussi les hommes qui manient la gaule. Par exemple dans plusieurs versions du Traité de Crescenzi98, des paysans, au pied des arbres ou juchés à leur sommet, abattent les fruits avec de longs bâtons. Quelquefois la femme les remplace, comme lors de la récolte des amandes douces de deux Tacuinum Sanitatis 99. Plus souvent elle remplit paniers et corbeilles avec les fruits tombés au sol. La paysanne passe aussi un panier à son compagnon perché dans l'arbre, comme dans un Infortiatum de Justinien, enluminé à Bologne au XIVe siècle100.

53Les enfants qui, comme les anciens, sont les oubliés de l'iconographie rurale, en particulier jusqu'au XIVe siècle, participent à la récolte des fruits. Avec les femmes, ils ramassent les fruits à terre ou ils aident les parents en tendant un récipient : ainsi au Palazzo della Ragione de Padoue, debout sous un arbre, le paysan cueille à la main des fruits qu’un enfant dépose dans un panier. Parfois, les jeunes garçons escaladent vivement les arbres. Ici, dans un Digeste italien101, l'enfant grimpe le long d'un cerisier, dans les branches duquel son père, sans doute, est déjà installé. Là, dans un Compendium des plantes médicales102, deux gamins sont en équilibre entre les hautes branches ; l'un met des cerises dans un panier, l'autre en lance à sa mère. Ou encore dans un Tacuinum Sanitatis103, le jeune fils est monté dans un châtaignier et fait tomber les fruits que ses parents ramassent. Exceptionnellement deux enfants tentent de faire tomber les noix d’un Manuel des vertus, végétaux et animaux, enluminé à Venise vers 1480104, l’un avec des bâtons, mais l’autre avec des flèches. Parfois l'enfant ramène, lui aussi, à la maison quelques paniers pas trop lourds, comme dans un Infortiatum bolonais105 où il a enfilé deux paniers sur une perche qu’il porte sur l'épaule.

54Enfin dans un Livre d'Heures flamand conservé à Munich106, l'enfant joue tout simplement et s'apprête à manger une pomme ramassée par sa mère, tandis que son père est juché sur une échelle. La récolte des fruits est aussi parfois vécue comme une réjouissance : la paysanne et même le paysan prennent le temps de se reposer et goûtent quelques fruits, par exemple dans un Tacuinum conservé à Paris107.

55La cueillette ne rassemble en général que trois ou quatre personnes et ne dépasse pas le cadre familial108. Mais si le verger est vaste, la récolte des fruits regroupe une main-d’œuvre plus nombreuse : une vingtaine de personnes sont réunies pour récolter les pommes dans le calendrier des Heures de la Duchesse de Bourgogne109.

56La cueillette s'effectue de manière différente selon les fruits. C'est le plus souvent à la main que les paysans cueillent les espèces les plus fragiles, telles les cerises, les poires ou les figues : ainsi dans une version lombarde du Tacuinum Sanitatis conservée à Vienne110, toutes les espèces sont ramassées directement à la main, à l'exception des amandes douces et des pommes amères.

57Pourtant pour certains fruits piquants comme les châtaignes, on prend des précautions. À Morozzo111, la paysanne saisit les bogues avec un morceau de bois, d'une quinzaine de centimètres de long, fendu en son milieu pour former une sorte de pince.

58Si dans un Tacuinum lombard112, c’est le manche de la quenouille qui sert à faire tomber les amandes douces, plus souvent c’est une gaule qui est utilisée, du moins pour les espèces les moins délicates, les pommes notamment113. Dans une version rhénane d'un Tacuinum Sanitatis114, une femme, au pied d'un pommier, le bras replié sur la tête, se protège de la pluie des fruits. Les olives aussi sont parfois gaulées, comme dans le calendrier d'un Livre d'Heures enluminé vers 1490 à Florence115, pourtant plusieurs traités bannissent cet usage pour les oliviers. La gaule, un long bâton qui peut atteindre deux mètres, est le plus souvent maniée du sol, mais on n'hésite pas à s'en servir même du haut d'un arbre, comme dans le Traité d'Agriculture de Londres116.

59L'utilisation du cueille-fruit reste exceptionnelle dans l’iconographie, en tout cas avant la fin du XIVe siècle. Sur un Tacuinum Sanitatis117, de l'atelier de Giovanni dei Grassi, trois jeunes filles cueillent des figues avec cet instrument, composé d'un gobelet apte à loger le fruit

60Bien souvent la récolte est très simple, comme pour ces trois femmes, accroupies devant un sorbier, qui remplissent le creux de leurs tabliers118. D'autres fois l'homme grimpe sur une échelle, par exemple pour récolter des châtaignes dans un Thomas de Cantimpré conservé à Grenade119, ou encore dans un Tacuinum lombard120, une femme monte sur le dos d’une compagne à genoux. Dans un calendrier Éphéméride121, deux échelles sur lesquelles deux hommes sont debout, se font face de part et d'autre d'un pommier. Parfois le paysan s'apprête à monter dans l'arbre, le bliaud retroussé, comme au Duomo de Ferrare ; il a saisi de ses deux mains une branche robuste ; la jambe gauche calée contre le tronc, il se dresse sur la pointe du pied. Plus souvent les hommes sont déjà parvenus dans les branches les plus hautes. Le paysan du tondo de Luca della Robbia122 ramasse, par exemple, des olives, assis au creux d'une fourche de l’arbre contre lequel une échelle est appuyée. Pour atteindre le sommet d'un cerisier, dans une autre enluminure du Thomas de Cantimpré de Grenade123, un homme, debout sur une branche, a suspendu son panier pour avoir ses gestes plus libres. L'équilibre est parfois instable, comme en témoigne le grand écart d’un cueilleur entre deux branches d’un figuier, dans un Livre des plantes de Manfred de Monte Imperiali, enluminé vers 1380 à Salerne124. Même les femmes se hissent dans les arbres : dans les Heures de la Duchesse de Bourgogne125, trois paysans mais aussi une paysanne, tous armés d'une gaule, sont debout sur les branches d’un pommier et une compagne se prépare à les rejoindre. Ce sont souvent les enfants, plus légers et agiles, qui escaladent entre les branches126 ; certains garçonnets, pour atteindre les plus beaux fruits, montent sur les épaules d'un camarade127. Rusé, un autre enfant abaisse des branches chargées de fruits avec un bâton à l'extrémité recourbée.

61Une fois récoltés, les fruits sont parfois entassés dans un coin du tablier ou de la robe des femmes. Ainsi dans un Livre d'Heures enluminé par Simon Bening128, les pommes ont été rassemblées dans le creux du tablier blanc que la paysanne a replié. Lors de la cueillette des figues d'un Tacuinum'129, un jeune homme, au pied de l'arbre, a relevé sa robe pour recueillir les fruits que lui jette son compagnon. Ou encore le paysan d'un autre Tacuinum130 recueille les châtaignes dans une grande étoffe blanche dépliée sous l'arbre.

62Le plus souvent les fruits cueillis sont déposés dans un panier. Ces paniers sont, pour la plupart, de taille modeste, en osier tressé. Par exemple dans un Digeste italien du XIVe siècle131, des cerises sont ramassées dans de petits paniers cylindriques au fond renforcé par un bourrelet. Ces paniers, le paysan les pose sur le sol, les tient à la main, les passe à son bras ou les suspend à une branche, comme lors de la récolte des cerises en juin dans le Missel de Boniface, datant de la fin du XIIIe siècle132. Dans un tondo italien, du milieu du XVe133, le panier pour les olives, en osier, est de forme sphérique, avec un tressage en côtes et une anse haute en bois pour l'accrocher à une branche. D'autres fois un crochet en bois permet de fixer l'anse à une branche ; le panier peut ainsi être déplacé facilement, par exemple pour la récolte des figues du Livre des plantes de Manfred de Monte Imperiali134.

63Ces paniers sont ensuite déversés dans des récipients plus importants. Ce sont parfois de larges paniers, à section ovale et à fond plat, semblables à ceux utilisés lors des vendanges ; dans un Crescenzi flamand135 ou dans les Heures de la Duchesse de Bourgogne136, ils servent pour la récolte des pommes. Plus souvent les paniers sont cylindriques, d'environ 20 à 30 cm de diamètre pour trente à quarante de haut, en osier brun à Morozzo137 pour la récolte des châtaignes, ou de couleur blonde, avec un tressage à côtes, dans un Livre d'Heures français, pour la cueillette des cerises138. Les paniers en osier de la récolte des pommes d'un Ephéméride français, datant du début du XVIe siècle139, sont plus hauts : d'une cinquantaine de centimètres pour un diamètre d'environ 30 cm. Leur forme est cylindrique, les parois étant légèrement évasées et l'anse très haute.

64Quand la cueillette est peu importante, ces paniers suffisent pour ramener les fruits à la ferme. Ainsi dans les Heures de la Duchesse de Bourgogne140, la paysanne a posé un de ces paniers rempli de pommes sur sa tête. De même les cerises amères de deux Tacuinum Sanitatis141, italien et rhénan, sont transportées par une femme dans deux paniers, en osier blond, dont les anses sont passées de part et d'autre d'une perche reposant sur l'épaule. Dans la version conservée à Paris, un long tissu protège le dessus des paniers et la paysanne a enfilé un troisième panier à son bras.

65Si les olives d'un exemplaire italien de Pline142 sont ensuite entreposées dans une grande amphore avec anses latérales, les paniers sont plus souvent déversés dans des hottes ; par exemple dans une version de Crescenzi143, le paysan ramène sa cueillette dans une hotte assez plate suspendue à ses épaules. Plus fréquemment encore ce sont de grandes corbeilles qui sont utilisées, surtout pour les pommes et les poires. En osier tressé, elles peuvent être munies de petits pieds, comme dans le Crescenzi de Chantilly144 ; plus souvent elles reposent directement sur le sol. Deux poignées permettent une préhension facile. Ces corbeilles, en osier brun, d'une quarantaine de centimètres de haut pour un diamètre de trente, ont des parois légèrement obliques ; elles servent, par exemple, lors de la récolte des pommes d’un Livre d'Heures flamand145. Dans un calendrier d'Éphéméride146, les pommes sont stockées dans des paniers, mais aussi dans des corbeilles tronconiques dont le bord supérieur est renforcé par un bourrelet. On peut les saisir grâce à deux courtes poignées. Paniers et corbeilles sont ensuite transvasés dans de grands sacs de toile solidement ficelés qu'un paysan transporte sur une brouette vers les maisons villageoises.

66Une fois rapportés à la ferme, les fruits sont ensuite triés, comme le montre la paysanne d'un manuscrit flamand ; assise sur un banc devant sa maison, à côté de grandes corbeilles de pommes, elle met de côté les fruits gâtés pour les distribuer aux porcs qui divaguent dans la cour147.

67Dressés au milieu d'un champ, cultivés en verger ou encore composant les haies qui cernent nombre de parcelles, les arbres scandent le paysage et l’arboriculture est loin d’être un domaine négligeable de l’économie rurale. Les images en témoignent. Les divers outils qu’on y repère sont très proches de ceux trouvés dans les fouilles, mais surtout les paysans médiévaux y sont saisis dans leurs pratiques et leur gestuelle qui éclatent souvent de vie.