Les outils de la préparation du sol au Moyen Âge (à propos des fouilles archéologiques tchèques)

1La préparation agricole du sol au Moyen Âge appartient à un domaine dont les découvertes dépassent, depuis longtemps, les frontières des divers pays européens. Les études reposent sur un nombre assez restreint de sources, ainsi que sur les conclusions tirées à partir d’attitudes comparatives. Les témoignages iconographiques et archéologiques tchèques sont naturellement incorporés dans ce contexte européen1. Dans notre article, nous voulons nous arrêter sur quelques trouvailles archéologiques dans les pays tchèques (Bohême et Moravie) et compléter leurs caractéristiques.

2La répartition des découvertes archéologiques d’outils agricoles, datant de la seconde moitié du premier millénaire, est particulièrement diversifiée et concerne des phénomènes remarquables liés à des outils agricoles. Ainsi, l'inventaire intéressant l'Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse comporte seulement quinze socs, qui datent du VIe au Xe siècle2. Or deux concentrations importantes se trouvent, l'une en Moravie et dans le sud-ouest de la Slovaquie, l'autre en Bulgarie. En effet les inventaires accessibles nous permettent d’étudier une cinquantaine des socs provenant de Moravie et de Slovaquie, datés des VIIIe-Xe siècles3 ; en Bohême, la quantité des découvertes est plus faible. Il n’est pas possible d’expliquer ces différences considérables des témoignages archéologiques par l’état disproportionné des recherches entre ces régions. La discussion doit en effet prendre en compte la possibilité de différence dans la “culture vivante”, dans la vie médiévale même. Dans cette culture, les dépôts des utilisateurs et de commerçants pouvaient se mêler avec les collections déposées pour des raisons votives. Ces différences essentielles étaient déjà connues lors des recherches précédentes, néanmoins les preuves concrètes nous échappent aujourd'hui encore.

3Les socs des VIIIe-Xe siècles, provenant de la Moravie et de la Slovaquie sont divisés, d’après leurs formes, en trois groupes. Les plus nombreux sont du type pentagonal, hauts de 11 à 16 cm (Fig. 1B : 1). Moins nombreux sont les socs en forme de poignard (Fig. 1A : 1, 2) et de feuille, d’une vingtaine de centimètres de hauteur ; leurs dimensions dépassent rarement 30 cm. Des socs pentagonaux et ceux en forme de poignard et de feuille se trouvent ensemble dans certaines fouilles ; en conséquence ils ont sans doute été en usage parallèlement. Ces trois types se retrouvent aussi, dans le contexte de la fouille, avec un coutre. On peut donc en conclure que certains socs de forme pentagonale, de poignard ou de feuille ont pu être utilisés sur un instrument muni d’un coutre.

4Dans l'interprétation de la technologie agraire, depuis le XIXe siècle, une valeur exceptionnelle est attribuée à la charrue. Son apparition devait indiquer non seulement une maturité technologique mais aussi une maturité de la société elle-même. Dans l'étude des exemples moraves et slovaques des VIIIe-Xe siècles, dans cet objectif particulier, une attention spéciale a été portée sur l'apparition des socs asymétriques. L'opinion que des charrues peuvent exister sans un soc asymétrique, mais qu’on ne peut pas attester l'existence de socs asymétriques sans une charrue, est devenue un point de départ pour les études suivantes. L'un des exemples se rapporte à un ensemble trouvé dans un château fort (Bourgwalt) morave, Pohansko, près de Nejdek. Parmi les objets dégagés sur le fond d’une cabane, quatre socs de 13 à 15 cm de hauteur et un coutre de 34,5 cm de haut ont été trouvés (Fig. 1B). Grâce à leur forme asymétrique, les deux socs ont été mis en relation avec une charrue (Fig. 1B : 3, 4). Même si on connaît peu de trouvailles de ce type, elles doivent être révélatrices d’une période très importante : le début de la charrue dans les pays tchèques et en Slovaquie4.

5L'existence du labourage asymétrique dans l’Europe du haut Moyen Âge est incontestable. Si le marteau d'un forgeron a donné intentionnellement une forme asymétrique à quelques socs, les autres deviennent asymétriques en raison de leur usure. Par ailleurs, nous connaissons des socs symétriques usés dans un encadrement asymétrique. L'analyse métallographique d'un soc de Ivanovice (Moravie)5 a apporté une preuve : la forme entièrement symétrique, de 11 cm de longueur seulement, était, sur un côté, renforcée par un tranchant en acier dur, tandis que l'autre côté était en fer tendre (Fig. 1A : 4). Ce soc peut être certainement mis en relation avec les labours dissymétriques effectués avec un araire symétrique sur lequel on appuie fortement6. À un labour asymétrique, effectué par des socs symétriques et dissymétriques, on peut probablement rattacher les traces du labourage asymétrique connu dans le nord de l'Europe centrale, au haut Moyen Âge7.

6Il semblerait que l'étude sur le labourage médiéval se réduise souvent à la discussion sur un mot. Dans des disputes du XIXe siècle, une grande valeur était accordée au témoignage linguistique qui devait dévoiler l'âge de la charrue et justifier la priorité d’une utilisation germanique ou slave. De nouvelles analyses critiques ont démontré une variabilité des réactions des langues sur la transformation de la nature des choses ; elles ont aussi établi des relations stratigraphiques difficiles entre les mots et les choses. Ainsi on ne peut étendre l'identification du mot “charrue” aux instruments aratoires, tels qu’ils sont définis comme “charrue” par la science contemporaine8. Mais les références à la chronologie linguistique perdurent avec une certaine résistance. Même dans la bibliographie contemporaine, on trouve des affirmations concernant l’usage de la charrue (d'après la terminologie moderne) chez des Slaves avant la venue des Hongrois ou des Avars9.

7L'idée de rapprocher les petits socs asymétriques de l'Europe centrale datant du haut Moyen Âge aux socs postérieurs de la charrue lourde s'appuie sur une morphologie interprétée d'une façon erronée. Or dans ce cadre-là, on peut se rapporter au schéma, en général reconnu sans réserve du contraste entre l'“araire” et la “charrue”10 (symétrie ou asymétrie). Dans ce sens, les résultats de M. F. Šach et Mme M. Beranová ont été intégrés à la bibliographie européenne11. La discussion actuelle sur le “mot” se résume à peu près à une question : comment distinguer nettement les instruments aratoires, qui labouraient asymétriquement mais qui, en même temps, par leur efficacité, se différencient manifestement de la charrue médiévale tardive12.

8Pour la charrue lourde, curieusement, nous n'avons pas beaucoup d’indices archéologiques. L'ensemble déterré à Semonice en Bohême de l'Est, dès 189513, appartient aux découvertes de signification européenne. Nous connaissons mal les conditions de sa découverte ; les premiers renseignements ont été réunis par L. Niederle14 d'après les témoignages des fouilleurs. La trouvaille provient du creusement d'une colline, sous laquelle ont été découverts les vestiges d'une construction à deux étages, dont la partie inférieure mesurant 6,6 x 8,5 m, était maçonnée et la partie supérieure construite en bois. Au cours d'un incendie dévastateur, la partie supérieure est tombée sur la partie inférieure et la stratigraphie a été coupée en deux par une couche de torchis et de poteaux brûlés. Un fragment de l'ensemble trouvé était posé sur cette dernière, l'autre partie, incluant les restes des instruments aratoires, se trouvait au-dessous de la couche ; avant la catastrophe, elle était déposée dans la partie basse de la maison.

9Du contexte de la découverte, il résulte que les objets trouvés à Semonice proviennent d'un lieu fortifié, élevé au bord d'un village. Déjà, à la fin du XIXe siècle, la période comprenant les premières années du XIVe siècle était retenue comme datation d'ensemble, ce qui est aussi indiqué par une monnaie frappée entre 1300 et 1306. L'ensemble de Semonice comporte 160 objets en métal, divisibles en 45 types d’après leur forme. Des pièces de l'équipement domestique voisinent avec des outils pour l’agriculture, pour le travail du bois, avec aussi des objets militaires et de petits objets quotidiens15. Deux grandes charrues, dont ont été découverts deux socs asymétriques, deux coutres et deux curettes, ont été utilisées pour le travail des champs à proximité (Fig. 2). Vingt-quatre dents, inégalement usées, de 17 à 22 cm de longueur, attestent, quant à elles, l'utilisation d'une herse. Une bêche ferrée et trois houes de types divers ont servi pour le jardinage.

10Les objets de Semonice, en comparaison avec des trouvailles datées des VIIIe-Xe siècles, nous transportent dans un milieu différent. On pénètre avec eux dans un monde fort exigeant quant à la préparation du sol, c’est-à-dire dans un monde bouleversé par les transformations médiévales16. Ces différences dans la préparation du sol correspondent, en fait, à la chronologie diversifiée du processus de transformation. Tandis que, dans l’Europe occidentale, les premiers témoignages iconographiques datent du Xe-XIe siècle, dans les pays tchèques, c'est l'ensemble de Semonice qui se trouve au commencement de la série considérée. Le contexte européen de la transformation médiévale touche également la discussion relative à l’origine de la charrue lourde dans les pays tchèques. Il faut plutôt réfléchir à la liaison avec le processus acculturel européen qu’à une innovation locale. On suppose donc que la charrue lourde ne pénétra dans les pays tchèques qu’au XIIIe siècle. À cette époque, elle est déjà un article important des “biens européens” et, dans le processus de transformation, sa diffusion dépassait les frontières des différents pays.